Banques et marchés · 2018-11-14 · Objectifs de ce chapitre l Comprendre la nature polymorphe de...

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Banques et marchés

Jézabel Couppey-Soubeyran

Université Paris 1 L3

Chapitre 3

Instabilité financière

Objectifs de ce chapitre

l  Comprendre la nature polymorphe de l’instabilité financière

l  Souligner le caractère endogène et auto-entretenu de l’instabilité financière

l  Expliquer les dynamiques d’instabilité (processus auto-entretenu)

l  Notions clés : emballement du crédit, bulles, krachs, crises bancaires, cycle financier, cycle du crédit, « paradoxe de la tranquillité », « Paradoxe de la crédibilité », crise systémique …

Plan du chapitre

l  1. La diversité des formes d’instabilité financière

l  2. Les théories des bulles spéculatives l  3. Les théories du surendettement l  4. Le canal de la prise de risque l  5. Le canal des variations de prix d’actifs l  6. La crise des subprimes (illustration)

1. La diversité des formes d’instabilité financière l  A – Un processus historique … l  B – … complexe et polymorphe l  C – Instabilité et procyclicité

A – Un processus historique … l  Recrudescence des crises bancaires et

financières depuis les années 1980 : • krach 1987, crise des caisses d’épargne US

1987, crise bancaire des pays scandinaves 1991-1992, crise du SME 1992-1993, crise asiatique 1997, crise brésilienne 1998 suivies par les crises russe, argentine, krach internet 2001, crise des subprimes 2007-2009

l  La recrudescence des crises coïncide avec le vaste mouvement d’expansion des marchés de capitaux.

A – Un processus historique … l  L’instabilité : conséquence de la

mutation financière ? l  Ambivalence de la mutation financière :

• Marchés plus « complets » mais plus instables, et pas forcément plus efficaces.

l  L’histoire des systèmes financiers montre que les crises ne datent pas d’hier !*

l  Les crises financières marquent des points de retournement de l’expansion cyclique de la finance.

*Une anecdote !

l  1. Combien valait un bulbe de tulipe en 1636 en Hollande ?

l  r quelques florins pour un vulgaire oignon

l  r l’équivalent d’un carrosse flambant neuf

l  r plus cher qu’un Rembrandt

Réponse

l  L’équivalent « d’un carrosse neuf, de ses deux chevaux et de leur harnais » : donc plus cher qu’un Rembrandt !

l  Tulipomania des années 1634-1637 en Hollande

l  Formation d’une bulle spéculative dont l’éclatement provoqua une grave récession

l  Preuve que les accès de fièvre spéculative ne datent pas d’hier sur les marchés financiers !

A – Un processus historique … l  Les crises jalonnent l’histoire des

systèmes financiers l  Charles Kindleberger recense 31 années

de crises financières au cours de la période 1720-1987, touchant l’Europe (en particulier l’Angleterre, la France, les Pays-Bas), puis les Etats-Unis à partir de 1819 (plus de dix crises boursières au cours de la période).

A – Un processus historique …

l  Au cours de cette période, c’est la crise de 1929 qui fut la plus sévère et la plus lourde de conséquences au niveau de l’économie réelle à « Grande dépression » des années 1930 (fermeture aux échanges internationaux tant commerciaux que financiers)

A – Un processus historique …

l  Vives tensions sur les marchés des changes dans les années 1950-1960 jusqu’à l’effondrement du système de Bretton Woods en 1973

l  Essor des marchés de capitaux dans ce contexte de vives tensions

l  Essor des nouvelles technologies = accélérateur

A – Un processus historique …

l  Quelques années plus tard krach de 1987, puis crises bancaires, crises de change, … et … crise des subprimes

l  Bref, les systèmes financiers apparaissent intrinsèquement exposés à un risque d’instabilité globale

A – Un processus historique … l  Les crises se répètent sans jamais se

ressembler vraiment : • on retrouve des ingrédients communs

(endettement, spéculation) •  mais leur conjonction se révèle toujours

inédite.

l  Un trait commun souligné par Kindleberger : •  les crises financières surviennent dans les

phases hautes des cycles économiques

A – Un processus historique … l  A l’origine de chaque crise financière, il y

a toujours un « boom », un « déplacement de l’économie » favorisé par telle invention, telle découverte : •  le décollage économique des Etats-Unis dans

les années 1920, favorisé par l’application des méthodes d’organisation scientifique du travail (dans l’industrie automobile), précède la crise de 1929

• L’informatisation des marchés précède le krach 1987

•  Internet précède le krach de 2000, etc.

A – Un processus historique …

l  Ce boom euphorise les agents et favorise les anticipations de profit et donc aussi les demandes de financement.

l  Paradoxalement, c’est quand tout va bien et que la période est à l’euphorie que l’instabilité prend racine à « paradoxe de la tranquillité » (Hyman Minsky)

B –  … complexe et polymorphe l  Les manifestations de l’instabilité

financière sont très variées. l  On parle d’instabilité financière en

présence de : •  bulles financières ou quand elles éclatent (krach) ; •  volatilité excessive des prix d’actifs ; •  diminution anormale de la liquidité sur certains segments de

marché ; •  interruptions dans le fonctionnement des systèmes de

paiement ; •  emballements ou rationnements excessifs du crédit ; •  défaillances d’institutions financières ; •  volatilité excessive des taux de change ; •  etc.

B –  … complexe et polymorphe

l  « Tous ces phénomènes peuvent introduire des dysfonctionnements graves dans l’allocation de cette ressource rare qu’est le capital et perturbent la constellation des signaux sur lesquels les agents économiques fondent leurs décisions » (Banque de France)

B –  … complexe et polymorphe

l  Signaux brouillés : • prix faussé ; • évaluations des profitabilités erronées ; • distributions des risques déformées ; • primes de risques insuffisantes ou

excessives ; • etc.

B –  … complexe et polymorphe

l  Ce caractère polymorphe fait de l’instabilité financière, un phénomène : • Difficile à appréhender • Difficile à mesurer • Difficile à prévenir

B –  … complexe et polymorphe

l  Difficile à appréhender : risque d’une appréhension trop étroite

l  Difficile à mesurer : risque d’une mesure trop microéconomique et cartésienne. risque systémique ≠ ∑ risques individuels

l  Difficile à prévenir : si appréhension trop étroite et mesure micro alors prévention nulle

B –  … complexe et polymorphe

l  Ces différents facteurs d’instabilité aboutissent à plusieurs types de crises : • crises boursières • crises de change • crises bancaires

l  celles-ci pouvant intervenir conjointement.

B –  … complexe et polymorphe

l  Cette liste doit être complétée par •  les crises obligataires •  les crises de la dette souveraine •  les crises immobilières

l  qui ont joué important au cours des dernières décennies.

B –  … complexe et polymorphe

l  Toutes ces crises ne revêtent pas le même degré de gravité, en ce qui concerne •  leur dimension systémique •  leur coût économique et social

l  « Toutes les bulles ne présentent pas un risque pour l’économie », Frederic Mishkin (Financial Times, 9 Novembre 2009).

B –  … complexe et polymorphe

l  Frederic Mishkin distingue •  les bulles de crédits qu’il estime être les plus

coûteuses • et les bulles purement spéculatives (« pure

irrational exuberance bubble”) qui selon lui ont de moindres incidences macroéconomiques.

B –  … complexe et polymorphe

l  Les bulles de crédit se forment dans un contexte particulier à la suite d’une découverte, d’une technologie nouvelle, d’un changement structurel …

l … qui porte les agents à anticiper de futurs profits dans le(les) domaines concernés.

l  Ce contexte stimule l’endettement. Une spirale se met en œuvre à Deflation theory, Irving Fisher 1933

B –  … complexe et polymorphe

l  La seconde catégorie (bulles, purement spéculative) est moins dangereuse parce qu’elle n’entraîne pas de spirales auto-entretenue entre crédit et prix d’actif (hausse du crédit à hausse des prix d’actifs à hausse du crédit …).

l  Par exemple, la bulle Internet de la fin des années 1990 ne s’est pas caractérisée par cette spirale, celle de 1987 non plus.

B –  … complexe et polymorphe

l  On retiendra que les bulles et les crises les plus dangereuses sont celles alimentées par le crédit.

C – Instabilité et procyclicité l  L’activité bancaire et financière est

fondamentalement « procyclique » l  Elle suit et amplifie le cycle :

Croissance à Expansion du crédit à accélération de la croissance

Et symétriquement Récession à Restriction du crédit à recul

de la demande et augmentation du nombre de faillites à approfondissement

de la récession

La procyclicité du crédit

l  La procyclicité du crédit s’explique par : • Le risque de défaut qui augmente en période

de récession et baisse en période de croissance

• La valeur du collatéral qui suit elle-même les variations des prix d’actifs

• Les ratios réglementaires de capital et les normes comptables (débats / ces questions)

La procyclicité du crédit (suite) l  Conjugue des effets d’offre et des effets

de demande l  dans les récessions, la baisse de la

distribution de crédit vient à la fois d’une baisse de l'offre de crédit et de la baisse de la demande de crédit

l  Artus (2008) à « il faut pouvoir séparer les effets d'offre et les effets de demande pour pouvoir juger de la responsabilité des banques ».

Pro-cyclicité, cycle financier, cycle réel

l  Cycle financier et cycle des affaires interagissent

l  le cycle financier n’a ni la même ampleur ni la même fréquence que le cycle réel …

l  …mais il s’en nourrit et l’amplifie. l  Il s’amplifie aussi de lui-même. l  L’excès de confiance quand tout va bien

amplifie la phase haute du cycle financier l  La défiance quand tout va mal amplifie la

phase basse du cycle financier

Cycle financier plus ample, plus long que le cycle réel (Borio, 2012, BIS WP n°395)

confiance

Ampleur du cycle financier

temps

Excès de confiance

Défiance

Croissance du Crédit, de l’endettement, des prix d’actifs, etc.

Crise systémique

Excès de confiance

l  Quand bascule-t-on dans l’excès de confiance ? • Quand l’environnement macroéconomique

paraît stable : « grande modération » = paradoxe de la tranquillité d’Hyman Minsky

• Quand on se croit en capacité de gérer les risques : essor des modèles VaR, des techniques de transferts des risques (CDS, titrisation)

Excès de confiance à hyperfinance

l  L’excès de confiance a alimenté une croissance excessive du secteur bancaire et financier au cours des dernières décennies

l  Explosion du crédit, de la dette et des actifs bancaires

l  Au point de rompre la relation positive entre finance et croissance

Trop de finance = moins de croissance

Source : « Is Europe Overbanked ? », Reports of the Advisory Scientific Committee, n°4, ESRB, juin 2014.

2. Les théories des bulles spéculatives

l  A – Définition et processus l  B – Bulles rationnelles, bulles

mimétiques, bulles comportementales l  C – Validation empirique l  D – Les banques centrales face aux

bulles

A – Définition et processus l  Une bulle spéculative désigne un

phénomène d’engouement spéculatif pour un actif souvent financier (ex : action) mais pas nécessairement (ex : immobilier, devise, …)

l  Toute opération de spéculation sur la hausse d’un prix ne se traduit pas nécessairement par une bulle spéculative

A – Définition et processus l  Il y a bulle lorsque :

•  la phase d’appréciation est durable •  Il existe un écart cumulatif entre valeur de

marché et valeur fondamentale (prix reflétant les déterminants économiques fondamentaux)

l  Le mot « bulle » renvoie à la forme de l’évolution des prix : une longue phase de hausse suivie par un dégonflement – plus ou moins brutal – qui ramène les prix dans leur configuration initiale.

A – Définition et processus

l  Quelques épisodes de bulles célèbres : • Tulipomania : engouement pour les bulbes

de tulipe en Hollande (1634-1637) •  la bulle des Mers du Sud (1720) •  l’engouement pour les valeurs des

années folles (Radio Corporation of America, Ford, …) qui a précédé le krach de 1929

(Suite)

• Bulle japonaise : au plus fort de la bulle japonaise de la fin des années 1980, la valeur foncière théorique de Tokyo dépassait celle… des Etats-Unis. Cf. art. « Faut-il avoir peur des bulles financières ? », Alternatives Economiques Pratique » n° 046 - novembre 2010

• Bulle Internet : forte ascension des valeurs technologiques jusqu’en mars 2000 avant une chute de près de 75% en quelques mois.

• Bulles des subprimes

Quelques illustrations …

Prix immobiliers au Japon et en Suède, base 100 en 1985

Évolution du NASDAQ-100 entre 1973 et 2004

Bulle internet

l  En moins de deux ans, entre octobre 1998 et fin mars 2000 – date d’éclatement de la bulle – le cours moyen des actions incluses dans le NASDAQ-100 a été multiplié par plus de quatre.

l  Deux semaines seulement après ce pic historique, l’indice NASDAQ-100 avait déjà perdu plus de 30 % de sa valeur.

l  En avril 2002, il avait pratiquement retrouvé son niveau d’octobre 1998, soit une correction de -70 % par rapport à mars 2000.

Évolution de l'indice immobilier S&P/Case-Shiller aux Etats-Unis entre 1987 et 2008

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50

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Bulle immobilière

l  Forte augmentation prix de l’immobilier dans de nombreux pays industrialisés (Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne, Irlande) à partir de la fin des années 1990

l  Entre 1995 et 2006, les prix de l’immobilier ont été multipliés par trois aux Etats-Unis avec une nette accélération à partir de 2002

Bulle immobilière

l  Cette « bulle immobilière » a fini par éclater avec la hausse des taux d’intérêt à partir de 2004 qui a forcé un nombre important de "nouveaux propriétaires" endettés à taux variable à revendre leurs biens

l  La défaillance de ces ménages est à l'origine de la crise des subprimes.

A – Définition et processus l  Le plus spectaculaire dans les

phénomènes de bulles spéculatives réside dans leur éclatement : krach, correction des cours, réajustement, …

l  La soudaine chute des prix peut annoncer une phase durable de dépréciation des actifs concernés, voire une dépression durable de l’ensemble de l’économie, si des effets réels sont constatés.

A – Définition et processus l  Une bulle spéculative n’est reconnue

comme telle qu’après son explosion l  C’est ex post, après la baisse brutale

des cours, que la surévaluation passée des prix devient manifeste

l  Ex ante, discriminer, a priori, entre une bulle spéculative et un boom basé sur des perspectives d’amélioration fondamentaux n’est pas aisé.

A – Définition et processus l  L’éclatement d’une bulle spéculative

conduit nécessairement à une turbulence de marché : • crise circonscrite au marché touché (krach

relatif) • crise qui se généralise à l’ensemble des

marchés financiers (krach financier global) • qui peut s’étendre à l’ensemble du système

financier (crise systémique).

B – Bulles rationnelles, bulles mimétiques, bulles comportementales

l  a) Bulles rationnelles l  b) Bulles mimétiques l  c) Bulles comportementales

a) Bulles rationnelles

l  Même en connaissant la surévaluation d’un actif, il peut être parfaitement rationnel de continuer à parier sur la hausse de son prix.

l  Logique des anticipations auto-réalisatrices : si les anticipations sont en moyenne validées par l’évolution ultérieure des cours, il peut être profitable de parier sur la poursuite de la hausse du prix

a) Bulles rationnelles

l  Il serait même irrationnel pour un investisseur de ne pas parier sur une hausse de prix, dès lors qu’il prévoit que les anticipations qui guident le marché vont rester haussières.

l  Parier trop tôt sur une correction à la baisse des cours engendre des manques à gagner tant que la bulle se développe

a) Bulles rationnelles

l  les anticipations auto-réalisatrices sont les meilleures prévisions qui peuvent être faites sur la base de l’information disponible.

l  Elles rentrent donc dans la catégorie des anticipations rationnelles !

a) Bulles rationnelles

l  Dans la théorie des bulles rationnelles divergentes, Blanchard et Watson (1982) montrent que lorsque le prix d’un actif dépend de sa valeur future anticipée, il peut admettre une infinité de solutions correspondant à des bulles spéculatives

l  Le prix d’un actif est défini comme la valeur actuelle des flux de paiements attendus (revenus + prix de revente)

a) Bulles rationnelles

l  (1) Pt = Et(Dt+1)/(1+r) + Et (Pt+1)/(1+r) l  En réécrivant la 2ème partie de l’équation

selon le processus décrit par (1), on obtient :

l  (2) Pt = Et(Dt+1)/(1+r) + Et (Dt+2)/(1+r)² + Et (Pt+2)/(1+r)²

l  Puis on réécrit Pt+2 puis Pt+3, … l  Enfin on obtient : Pt = ∑ [Et (Dt+i)/(1+r)i +

Et(Pt+T)/(1+r)T]

a) Bulles rationnelles l  Pt = Ft + Bt

l  En l’absence de bulle Pt= Ft • Cette solution ne dépend que des

déterminants fondamentaux ; pour une action, elle se résume à la somme actualisée des dividendes anticipés

l  En présence de bulles spéculatives, le prix de l’actif n’est plus borné et admet une infinité de solutions correspondant à l’infinité de bulles spéculatives Bt possibles.

a) Bulles rationnelles

l  Le modèle initial de Blanchard et Watson aboutit à des bulles déterministes : une bulle qui par exemple croit au taux r à partir d’une bulle initiale B0.

l  Or, en pratique, les périodes de surévaluation d’un actif sont suivies de périodes de correction : les bulles finissent par exploser.

a) Bulles rationnelles

l  Blanchard et Watson (1982) proposent alors un modèle de « bulle aléatoire » plus général.

l  Dans ce modèle, la bulle spéculative éclate avec une probabilité p pour se réduire à un aléa pur, de moyenne nulle.

a) Bulles rationnelles

l  Un problème est toutefois soulevé par Diba et Grossman (1988) : •  Pour qu’un aléa soit de moyenne nulle, il ne doit

pas prendre uniquement des valeurs positives, il faut aussi qu’il prenne des valeurs négatives. Mais si la bulle se re-développe à partir d’un aléa négatif, le prix deviendrait négatif. Or un prix d’actif est toujours positif. Formellement, l’aléa doit donc être nul continuellement et non en moyenne. Et si c’est le cas alors la bulle ne peut pas se développer à nouveau contrairement à ce qu’on observe.

a) Bulles rationnelles l  D’où une seconde génération de bulles comme

les modèles de bulle intrinsèque (Froot et Obstfeld, 1991).

l  Ces bulles « intrinsèque » dépendent de façon non-linéaire des déterminants fondamentaux.

l  Elles reposent sur l’idée d’une sur-réaction des cours boursiers aux variations des dividendes ou plus largement des fondamentaux.

l  Leur croissance est exponentielle comme les bulles rationnelles divergentes mais ces bulles peuvent se dégonfler de façon transitoire.

a) Bulles rationnelles

l  Le modèle de bulle strictement positive d’Evans (1991) intègre l’idée que la probabilité de dégonflement de la bulle est conditionnée par la taille de la bulle : •  lorsque la bulle augmente, elle passe d’un

état où elle n’éclate pas (régime 1), à un autre (régime 2) où elle peut se dégonfler. À partir d’une certaine taille, la bulle a donc une probabilité plus forte de se dégonfler.

a) Bulles rationnelles

l  Ces modèles de seconde génération viennent répondre à la critique de Diba et Grossman (1988) concernant l’impossible ré-apparition de la bulle après son éclatement.

l  Mais les conditions d’existence des bulles dans ces modèles sont extrêmement restrictives.

a) Bulles rationnelles

l  En particulier, une bulle rationnelle ne peut jamais apparaître après la création de l’actif. Elle n’existe que si elle est présente dès l’émission de l’actif, qui serait donc surévalué dès cette date.

l  Ensuite, même après son éclatement, dans les modèles de seconde génération, la bulle ne disparaît jamais complètement pour pouvoir se développer à nouveau.

a) Bulles rationnelles

l  Retenir la théorie des bulles rationnelles revient donc à admettre que les bulles spéculatives sont en quelque sorte « congénitales ».

l  Même amendée, la théorie des bulles rationnelles divergentes reste donc trop restrictive pour être satisfaisante.

b) Bulles mimétiques

l  La théorie des bulles rationnelles ne permet pas d’éclairer le processus par lequel les anticipations peuvent se coordonner pour former une bulle spéculative.

l  Pour comprendre ce processus il faut lever l’hypothèse d’information parfaite.

b) Bulles mimétiques l  Le courant des bulles mimétiques fait

l’hypothèse que l’information détenue par les investisseurs est imparfaite.

l  Les investisseurs continuent d’utiliser toute l’information disponible, seulement cette information est distribuée de façon asymétrique pour des raisons multiples : accès différenciés à l’information, coûts de traitement de l’information, stratégies de dissimulation des informations, capacités de calcul limitées, etc.

b) Bulles mimétiques

l  Cette asymétrie de l’information peut être alors à l’origine de comportements mimétiques entre les investisseurs.

l  le mimétisme se définit comme un ensemble de comportements individuels corrélés et non-indépendants. Il se produit lorsqu’un agent imite la décision d’un ou de plusieurs autres agents, même si son propre signal lui indique de prendre une autre décision.

b) Bulles mimétiques

l  En situation d’information asymétrique, le mimétisme est une stratégie rationnelle fondée sur l’idée que l’agent imité est mieux informé.

l  Cette stratégie est dominante dans un contexte où les gains des agents dépendent des décisions de tous les autres comme dans l’exemple fameux du « concours de beauté ».

Concours de beauté l  Le gagnant est celui qui aura su choisir les

six plus jolis visages parmi une centaine de photographies

l  Le gagnant sera celui dont les préférences s’approchent le plus de la sélection moyenne opérée par l’ensemble des participants

l  Pour gagner il faut donc choisir non pas le visage qu’on juge soi-même le plus joli mais celui dont on pense qu’il sera jugé comme tel par tous les autres

b) Bulles mimétiques l  Les investisseurs sont dans la même

situation sur le marché. Leur gain en t+1 dépendra du prix de marché qui se formera en t+1 en fonction des décisions de ventes et d’achat de tous les investisseurs

l  Les investisseurs prennent donc leurs décisions financières non pas en fonction d’eux-mêmes mais en fonction de l’idée qu’ils se font de l’opinion des autres : « il vaut mieux avoir tort avec le marché que raison contre lui ! »

b) Bulles mimétiques

l  André Orléan parle de mimétisme autoréférentiel: les investisseurs ne se fondent plus sur une référence extérieure au marché comme la valeur fondamentale mais sur une donnée produite par le marché lui-même, à savoir l’opinion majoritaire des investisseurs qui y interviennent.

b) Bulles mimétiques

l  La littérature sur les comportements moutonniers (herding) regroupe une grande diversité de modèles

l  Revue de la littérature : M. Brunnermeier dans Asset Pricing Under Asymmetric Information: Bubbles, Crashes, Technical Analysis and Herding, Oxford University Press, 2001

b) Bulles mimétiques

l  La transposition de la notion de bulle spéculative à un contexte d’information asymétrique pose toutefois des difficultés.

l  Notamment, la notion de valeur fondamentale devient plus difficile à cerner: les spéculateurs peuvent former des prévisions différentes des dividendes futurs et donc évaluer différemment le prix fondamental d’une action.

b) Bulles mimétiques l  Que devient alors la notion de valeur

fondamentale ? l  À la limite, un actif peut avoir autant de

valeurs fondamentales qu’il y a de spéculateurs !

l  Deux définitions de bulles sont alors proposées dans le contexte d’information imparfaite et de marchés incomplets (bulle au sens faible / au sens fort)

b) Bulles mimétiques

l  Une « bulle au sens faible » existe lorsque la valeur de l’actif est supérieure à toutes les valeurs fondamentales espérées par les spéculateurs.

l  Une « bulle au sens fort » existe lorsque aucune réalisation de dividendes ne peut justifier un prix aussi élevé.

b) Bulles mimétiques

l  Pour que la « bulle forte » existe à l’équilibre, il faut que chaque spéculateur pense que les autres intervenants n’ont pas conscience de l’existence de la « bulle forte ».

l  Autrement dit, l’existence des bulles n’est pas ici une « connaissance commune » mais une « connaissance mutuelle » (mutual knowledge) que tous partagent … mais sans le savoir

c) Bulles comportementales

l  Un courant récent de la littérature applique des modèles comportementaux qui autorisent une évaluation « irrationnelle » de la part des investisseurs.

l  Cette approche rejette l’hypothèse d’investisseurs uniformément rationnels.

c) Bulles comportementales l  Des investisseurs rationnels

interagissent avec des investisseurs ignorants (noise traders) qui achètent et vendent des actifs sur la base de croyances erronées.

l  La théorie financière traditionnelle considère que l’arbitrage permet de ramener les prix de marché vers leur valeur fondamentale.

c) Bulles comportementales

l  La finance comportementale postule au contraire que l’irrationalité des investisseurs peut avoir un impact substantiel et durable sur les cours car l’arbitrage est risqué et limité.

l  L’arbitrage peut être risqué lorsque le marché dans son ensemble est mal valorisé.

c) Bulles comportementales l  Il peut aussi exister un risque qu’un choc sur

les fondamentaux, survenant au moment où les arbitragistes vendent le titre surévalué, valide ex post la surévaluation

l  la surévaluation peut s’accroître à court terme sous l’effet d’achats importants des investisseurs ignorants ou du suivi de stratégie naïve de suivi de tendance.

l  De plus l’arbitrage peut être limité par des coûts de transaction (commissions, …)

c) Bulles comportementales

l  Les investisseurs rationnels peuvent faire face à un risque de synchronisation (Abreu et Brunnermeier, 2003): •  Un investisseur seul ne peut en effet pas

retourner le marché. • L’action des investisseurs rationnels doit être

coordonnée pour pouvoir éliminer une surévaluation

c) Bulles comportementales

l  Chacun des investisseurs rationnels fait face au même dilemme : l  attaquer la bulle trop tôt et se priver des profits tirés de

l’accroissement de la surévaluation l  attaquer la bulle trop tard et rester investi dans l’actif

surévalué au moment où la bulle éclate. l  Le marché s’apparente alors à un jeu dont

personne n’est incité à sortir en premier même si tous savent qu’il se terminera tôt ou tard.

C – Validation empirique l  La mise en évidence empirique des

bulles spéculatives est un exercice difficile.

l  L’économètre est en effet confronté au problème dit de l’« hypothèse jointe ».

l  La présence d’une bulle est toujours discutable dans la mesure où elle est nécessairement testée conjointement avec une spécification du prix « normal » de l’actif.

C – Validation empirique l  Une large part des travaux empiriques

s’est consacrée aux tests des bulles rationnelles, en particulier sur le marché des actions.

l  Il s’agit d’examiner si le processus suivi par les cours est plus explosif que celui suivi par les dividendes (ce qui revient à tester l’existence d’une relation d’équilibre de long terme entre les cours des actions et les dividendes)

C – Validation empirique l  Evans (1991) montre que ces tests ne

permettent pas de détecter les bulles rationnelles à éclatements périodiques.

l  D’autres travaux empiriques mettent en évidence des formes de non-linéarité et des changements de régime dans les cours boursiers (suivant les spécifications des modèles de bulles de seconde génération).

C – Validation empirique l  Une autre voie a consisté à mettre en

évidence les bulles en comparant la volatilité des cours à celle des flux de dividendes actualisés (Shiller, 1981).

l  Ces tests sont controversés, parce qu’ils supposent que le taux d’actualisation des dividendes est constant dans le temps. Sans cette hypothèse, la mise en évidence d’un excès de volatilité des cours boursiers est moins claire.

C – Validation empirique l  Les études empiriques sur le mimétisme

consistent surtout à repérer d’un point de vue purement statistique des regroupements de décisions similaires

l  Ces approches sont fragiles car elles ne parviennent pas toujours à différencier le « mimétisme intentionnel » du « mimétisme fallacieux » qui apparaît lorsque plusieurs agents, face à un même problème ou à un même ensemble d’information, prennent des décisions identiques

C – Validation empirique

l  La plupart des études empiriques sur le mimétisme et ses effets ont été réalisées sur les pays les plus avancés.

l  Dans ces pays, les gérants de portefeuilles ne semblent pas montrer de comportement mimétique significatif et le mimétisme détecté apparaît hautement corrélé avec des stratégies de momentum qui consistent à acheter les titres qui se sont le plus appréciés sur un passé récent.

C – Validation empirique

l  Les recherches empiriques sur les marchés émergents sont plus rares où pourtant des comportements mimétiques ont plus de chances d’être observé en raison d’une plus grande asymétrie d’information (+ pb de transparence et d’accès couteux à l’info).

C – Validation empirique

l  Des recherches empiriques assez récentes s’intéressent au comportement adopté par certains investisseurs particulièrement informés et rationnels lors des bulles spéculatives, qui «joueraient» les bulles plutôt que de les contrarier.

l  Elles testent l’hypothèse du « risque de synchronisation »

C – Validation empirique

l  L’étude de Brunnermeier et Nagel (2003) confirme cette hypothèse pour 53 « Hedge funds » (fonds spéculatifs) pendant le bulle des valeurs technologiques entre 1998 et 2000.

C – Validation empirique

l  Temin et Voth (2004) ont également montré que la banque Hoare qui reconnaissait la surévaluation du marché durant la « Bulle des Mers du Sud » (lié au développement du commerce colonial au début du XVIIIème siècle) a spéculé sur la bulle plutôt que d’arbitrer et de contrarier la très forte hausse des cours.

D – Les banques centrales face aux bulles l  L’art du central banking a été grandement

influencé par les théories économiques, celles des monétaristes tout d’abord dans les années 1980 puis celle des néo-keynésiens dans les années 1990-2000.

l  Les banques centrales ont conservé du monétarisme deux hypothèses centrales • H1 : l’inflation est un phénomène monétaire

(M. Friedman) • H2 : la stabilité monétaire est une condition

nécessaire et suffisante de la stabilité financière

D – Les banques centrales face aux bulles

l  H2 = « hypothèse de Schwartz » formulée par l’économiste Anna Schwartz (co-autrice de Milton Friedman).

l  Cette hypothèse peut s’énoncer de la manière suivante : • 1°/ la stabilité des prix favorise la stabilité

financière • 2°/ l’instabilité financière est le résultat d’une

forte instabilité des prix.

D – Les banques centrales face aux bulles

l  Cette hypothèse conduit à séparer la mission de stabilité monétaire de la mission de stabilité financière et à considérer la première comme prioritaire. à « principe de séparation »

D – Les banques centrales face aux bulles

l  En vertu de ce principe de séparation qui a conduit l’action des banques centrales jusqu’à la crise récente, il fallait que des conditions très strictes soient réunies pour que les BC réagissent à une bulle.

D – Les banques centrales face aux bulles

l  Ces conditions sont résumées par Rudebush (2005) • 1. l’existence d’une bulle doit être

démontrée ; • 2. l’éclatement éventuel de cette bulle

pourrait avoir des conséquences macro-économiques importantes ;

• 3. les effets d’une variation – c’est-à-dire d’une hausse - des taux d’intérêt sur la bulle sont certains et peu coûteux.

D – Les banques centrales face aux bulles

l  Le caractère très restrictif et rarement vérifiable de ces conditions a souvent conduit les banques centrales à ne réagir aux bulles qu’après coup, selon une stratégie baptisée « cleaning up afterwards » (nettoyer les dégats), en intervenant comme « prêteur en dernier ressort ».

D – Les banques centrales face aux bulles

l  Avant la crise, les dirigeants de la Fed – Alan Greenspan en tête, puis Ben Bernanke – ont toujours défendu l’idée suivante : « pour une banque centrale, vouloir faire éclater une bulle est impossible, voire dangereux, et donc à éviter »

l  Au-delà de la Fed, c’est le point de vue auquel se sont rangées la plupart des banques centrales.

D – Les banques centrales face aux bulles

l  C’est ce qu’on a appelé le « consensus de Jackson Hole » - du nom du lieu qui sert de cadre, à la fin du mois d’août, à un rendez-vous annuel des banquiers centraux – où ce point de vue a été régulièrement exposé et défendu aussi bien par des banquiers centraux que par des universitaires.

D – Les banques centrales face aux bulles

l  La réaction des banques centrales à l’évolution des prix dans le secteur de l’immobilier, au cours de la phase de boom qui a précédé la crise des subprimes, a été conforme aux recommandations de la version « classique » du principe de séparation.

Illustration l  Hormis le Japon et l’Allemagne, les

pays du G7 ont été confrontés à un mouvement de hausse très prononcé à partir des années 1996-1997 des prix de l’immobilier : •  166% en Grande-Bretagne entre le mois d’avril

1996 et le mois de juillet 2007 ; •  120 % en France entre janvier 1997 et juillet 2007 ; •  92% aux Etats-Unis entre janvier 1997 et avril

2006 ; •  79% au Canada entre juillet 1998 et octobre 2007 ; •  57% en Italie entre janvier 1997 et octobre 2010.

Illustration

l  La bulle a été identifiée par les banques centrales. Les compte-rendus (publiés en 2010 par la Fed) des réunions mensuelles de Federal Open Market Committee qui se sont déroulées à l’époque permettent de s’en convaincre

Illustration

l  Lors de la réunion du 30 juin 2004, un économiste du département de la recherche de la Fed a présenté une étude d’où il ressortait que le ratio loyers / prix des logements s’était écarté de sa moyenne historique et qu’une large part de cette évolution ne pouvait être expliquée par celle des fondamentaux.

Illustration

l  Le scénario d’un effondrement des prix de l’immobilier était envisagé mais il ressort des déclarations faites à l’époque par les banquiers centraux que cela ne nécessitait pas une action « préemptive » de leur part.

Illustration l  Les banques centrales ont donc identifié la

bulle mais se sont contentées d’« avertir ». Elles n’ont pas réagi à la situation en augmentant leurs taux directeurs.

l  Conséquence : leur politique monétaire a été trop accommodante (taux trop bas par rapport à ce qu’ils auraient dû être si on se réfère à un taux qui aurait suivi une règle de Taylor)

Illustration l  En comparant, à partir de 2003, le

niveau des taux directeurs des principales BC à celui résultant d’une règle de Taylor standard du type :

Taux de Taylor = 1 + Taux d’inflation + ½ * [Taux d’inflation – 2] + ½* [Ecart de production]

l  On peut montrer que i << taux de taylor pour les USA mais aussi pour la zone euro.

Ecart taux directeur / taux de Taylor (Etats-Unis)

0

1

2

3

4

5

6

7

8

2000

Q1

2000

Q2

2000

Q3

2000

Q4

2001

Q1

2001

Q2

2001

Q3

2001

Q4

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Q1

2002

Q2

2002

Q3

2002

Q4

2003

Q1

2003

Q2

2003

Q3

2003

Q4

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Q1

2004

Q2

2004

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2004

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2005

Q1

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Q2

2005

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2006

Q1

2006

Q2

2006

Q3

2006

Q4

2007

Q1

2007

Q2

SHORT-TERM INTEREST RATES - units: Per cent per annum USA Taylor Déflateur

Ecart taux directeur / taux de Taylor (Zone euro)

0

1

2

3

4

5

6

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Q1

2000

Q2

2000

Q3

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2001

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2001

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2001

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2002

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2002

Q4

2003

Q1

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2003

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2004

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2005

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Q1

2006

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2006

Q3

2006

Q4

2007

Q1

2007

Q2

EMU 3-month EURIBOR-Quantum (non-additive or stock figures) - units: % p.a. - power: 0 EMU Taylor Déflateur

Illustration

l  Et lorsqu’on examine le lien entre ce gap de taux d’intérêt et la hausse des prix du logement, on se rend compte que la corrélation est positive et significative.

Gap de taux d’intérêt et variations des prix réels des logements

y = -0,5581x + 2,4719R2 = 0,1358

-30,00

-20,00

-10,00

0,00

10,00

20,00

30,00

40,00

-20 -15 -10 -5 0 5 10 15

Gap Taux

Prix

imm

obili

ers

(var

)

Illustration

l  Cela signifie que la stricte application du principe de séparation s’est révélée dangereuse, car l’absence de réaction des banques centrales a contribué à grossir la bulle immobilière.

Illustration

l  Des travaux récents (menés à la banque de France) posent plus directement la question de savoir si le ciblage d’inflation favorise les bulles immobilières ?

l  Sur un panel de 17 pays de l’OCDE depuis 1980, Mésonnier et Frappa (2010) trouvent que la croissance des prix réels des logements a été en moyenne plus forte, toutes choses égales par ailleurs, dans les pays ayant adopté une stratégie explicite de ciblage de l’inflation.

D – Les banques centrales face aux bulles

l  L’inaction des banques centrales face aux tensions financières était confortée par l’idée que leur mission prioritaire à savoir la stabilité monétaire favoriserait nécessairement la stabilité financière.

l  La crise a illustré que les relations entre stabilité monétaire et stabilité financière sont autrement plus complexes.

D – Les banques centrales face aux bulles

l  La stabilité monétaire, accrue par la crédibilité des banques centrales, s’est en fait révélée défavorable à la stabilité financière car elle a contribué à réduire le degré d’aversion à l’égard du risque.

l  Cela renvoie au paradoxe de la tranquillité au cœur des théories du surendettement.

3. Les théories du surendettement l  A – La « debt deflation » d’Irving Fisher l  B – L’analyse d’Hyman Minsky

A – La « debt deflation » d’Irving Fisher

l  Si chaque crise financière a ses caractéristiques propres, des traits communs sont régulièrement observables : • une expansion du crédit, une augmentation

de la dette, la quête de rendements élevés et son corollaire, une prise de risque toujours plus grande, une inflation des prix des actifs et l’introduction d’innovations financières pas toujours maîtrisées.

A – La « debt deflation » d’Irving Fisher

l  Une des premières contributions à la compréhension des crises financières est proposée par l'économiste américain Irving Fisher (1933).

l  Fisher cherche à montrer comment le cycle de l’endettement contribue aux cycles de l’activité et aux crises financières qui les ponctuent.

A – La « debt deflation » d’Irving Fisher

l  Dans cette approche, toute crise est précédée d’un surendettement, puis accompagnée de déflation.

l  La dette et l’évolution des prix sont, dans la théorie de Fisher, les facteurs clefs de la gravité et de la durée des crises.

A – La « debt deflation » d’Irving Fisher

l  La montée de l’endettement prend racine dans des perspectives de profits élevés liées à « de nouvelles inventions, de nouvelles industries, le développement de nouvelles ressources, l’accessibilité de nouveaux terrains ou de nouveaux marchés » (Fisher, 1933).

A – La « debt deflation » d’Irving Fisher l  Comme Schumpeter, Fisher pense que

des innovations sont généralement à l’origine de la phase ascendante du cycle

l  Des facteurs psychologiques généralisent et accentuent le mouvement d’endettement initial. La phase ascendante s’accompagne d’un mouvement d’euphorie qui entretient la croissance.

A – La « debt deflation » d’Irving Fisher

l  Optimistes les agents s’endettent pour investir.

l  Les banques participent à ce mouvement d’euphorie et prêtent sans trop compter.

l  Plus les agents s’endettent et plus ils deviennent fragiles en cas de retournement.

l  Or ce retournement finit par se produire.

A – La « debt deflation » d’Irving Fisher

l  À partir d’une situation de surendettement généralisée des investisseurs, il est assez facile d’expliquer le déroulement de la crise.

l  La défaillance d’un ou plusieurs gros emprunteurs donne le signal du retournement des anticipations de profit à la baisse : la défiance se généralise et l’offre de financement chute.

A – La « debt deflation » d’Irving Fisher

l  L’assèchement de l’offre de crédits bancaires réduit la quantité de monnaie en circulation et exerce une pression déflationniste.

l  Les investisseurs ne peuvent renouveler leurs crédits et sont amenés à brader leurs actifs dans l’urgence afin de faire face aux remboursements.

A – La « debt deflation » d’Irving Fisher l  Cet accroissement des ventes produit

une baisse des prix, qui réduit la valeur de l’actif des débiteurs.

l  Ceux-ci sont alors amenés à vendre encore davantage pour honorer leurs dettes et les prix baissent encore…

l  Si le surendettement de départ est suffisamment important, le mouvement de désendettement ne parvient pas à rattraper la baisse des prix.

A – La « debt deflation » d’Irving Fisher

l  La déflation accroît alors la valeur réelle des dettes, rendant plus difficile et nécessaire encore le désendettement.

l  « L’effort même des individus pour diminuer la charge de leur dette l’augmente, car la course à la liquidation [des actifs] a pour effet de gonfler la valeur de chaque dollar dû » (Fisher, 1933).

A – La « debt deflation » d’Irving Fisher

Surendettement

Volonté de désendettement

Baisse des prix (déflation)

Augmentation du poids réel des

dettes

A – La « debt deflation » d’Irving Fisher

l  Rétention de liquidité, faillites des débiteurs et retraits de dépôts mettent les banques en difficulté

l  Ruées bancaires à faillites bancaires à désorganisation du système financier

l  Intervention publique indispensable pour rompre la spirale : injections de liquidité pour sauver les banques et les marchés et dépenses publiques pour relancer la croissance.

Anecdote

l  Irving Fisher (1867-1947) a-t-il déclaré à la veille du krach de 1929 : • a. « Le prix des actions a atteint ce qui paraît

être un haut plateau permanent. » • b. « Le surendettement des ménages et des

entreprises est sur le point de nous plonger dans une profonde dépression. »

l  Réponse dans « La finance est un jeu … dangereux », éditions Librio, 2010.

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  La théorie de la déflation par la dette de Fisher a été quelque peu oubliée après la crise de 1929, jusqu’à la fin des années de forte croissance des Trente glorieuses.

l  À partir du milieu des années 1970, elle a été remise à l’honneur par l’économiste Hyman Minsky dans une série d’articles sur l’instabilité financière.

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  Minsky (1982) distingue trois modes de financements des investissements: • Le financement couvert • Le financement spéculatif • Le financement Ponzi

l  Plus les investisseurs sont « confiants » et dans un contexte macroéconomique tranquille et plus ils adoptent un comportement risqué : « paradoxe de la tranquillité »

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  Le financement « couvert » est un mode de financement prudent : •  les revenus attendus de l’investissement

excèdent la charge de l’emprunt et l’ensemble des besoins de trésorerie à chaque période.

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  Le financement « spéculatif » est plus risqué : •  les revenus attendus de l’investissement

couvrent les intérêts de la dette, mais les remboursements du capital ne peuvent être honorés qu’à partir d’un horizon assez éloigné.

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  Le financement « Ponzi » caractérise les firmes qui doivent s’endetter pour financer les intérêts de leur dette. Du nom d’un célèbre spéculateur américain d’origine italienne dans les années 1920.

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements l  Les firmes qui ont une structure financière

Ponzi parient sur des projets d’investissement qui ont un rendement attendu élevé mais à une date éloignée et qui, entre-temps, ne génèrent pas des revenus suffisants pour couvrir les intérêts de l’emprunt.

l  Elles sont dans une situation d’insuffisance chronique de liquidités : elles sont à la merci d’une absence de renouvellement de leurs crédits. En cas de hausse des taux d’intérêt ou de profit final plus faible que prévu, elles basculent dans l’insolvabilité.

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  Lors des phases d’expansion économique et financière, les comportements les plus risqués (spéculatifs et « Ponzi ») se développent et fragilisent l’économie.

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  Le ralentissement de l’offre de crédit, la hausse des taux d’intérêt (qui se produit du fait de la tension croissante entre l’épargne et l’investissement ou de l’augmentation de la demande de monnaie) suffisent alors à déclencher les premières faillites.

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  La crise financière se développe à partir du moment où la défiance se généralise et le besoin accru de liquidités ne peut être satisfait.

l  Par un effet domino, les firmes « Ponzi » et « spéculatives » se retrouvent les unes après les autres en situation de cessation de paiement.

l  Les difficultés s’étendent aux firmes prudentes (chute des ventes, rationnement du crédit).

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  Dans l’analyse de Minsky, comme dans celle de Fisher, la fragilité financière est « endogène », « intrinsèque ».

l  Des analyses plus récentes (M. Aglietta, C. Borio) reprennent ce type d’explication.

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  C. Borio insiste sur les problèmes d’incitation, de perception du risque et de défaut de coordination : •  Perception du risque. les agents savent comparer

les risques en un point donné du temps bien mieux qu’ils ne parviennent à prévoir leur évolution. C’est ainsi que le risque peut être perçu comme faible en période de boom et élevé en période de récession, alors même que c’est pendant le boom que les déséquilibres futurs se préparent et que ceux-ci se résorbent lors du ralentissement.

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

• défaut de coordination des agents : les solutions qui collectivement seraient souhaitables pour la stabilité d’ensemble du système financier ne sont pas celles pour lesquelles les agents optent individuellement (ne pas relâcher son ratio de capital, provisionner en haut de cycle, ne pas vendre quand les prix baissent, …) craignant que les autres ne les adoptent pas non plus.

l  Ces facteurs tendent à conférer à l’instabilité financière une dimension endogène

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  M. Aglietta pose la question de savoir si la recrudescence de l’instabilité financière ne serait pas le fruit (sinon le ver !) d’un nouveau régime macroéconomique.

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  Un changement de régime d’inflation lié au changement profond de régulation dans les pays émergents (effondrement du change, croissance tirée par les exports, surcapacités de production latentes déversées sur les marchés de l’occident) serait à l’origine des profonds déséquilibres financiers.

Evolution de l’inflation mondiale (G7) depuis 1971

-4-202468

10121416

71 73 75 77 79 81 83 85 87 89 91 93 95 97 99 01 03 05 07 09

Source : Crédit Agricole S.A., OCDE Inflation a/a %

Evolution de la corrélation entre l’inflation totale et l’inflation sous-jacente

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  Michel Aglietta (2010) explique que la stabilité de l’inflation est propice à l’instabilité financière : « La stabilité des prix, couplée à la libéralisation financière, entraîne un bas coût du crédit qui favorise un boom de la consommation et des prix des actifs » (“Banques centrales et globalisation”, 2009)

B – L’analyse d’Hyman Minsky et ses prolongements

l  Ces analyses permettent de comprendre que la stabilité monétaire peut porter préjudice à la stabilité financière

l  En se focalisant sur la stabilisation à court terme de l’inflation, les banques centrales peuvent laisser s’installer des déséquilibres macrofinanciers qui éclateront plus tard.

Source : Jean-Stéphane Mésonnier, « Le paradoxe de la crédibilité en question », Bulletin de la

Banque de France n°122, février 2004.

4. Le canal de la prise de risque

l  A – L’insuffisante prise en compte du canal du crédit

l  B – Du canal du crédit au canal de la prise de risque

A – L’insuffisante prise en compte du canal du crédit l  L’essor des marchés de capitaux et

des nouvelles techniques financières (notamment la titrisation) ont entretenu l’illusion que : •  le crédit ne comptait plus guère dans le

financement de l’économie • et qu’il ne pouvait de toute façon plus

constituer un canal important de transmission des chocs, y compris de la politique monétaire.

A – L’insuffisante prise en compte du canal du crédit l  Les politiques monétaires ont donc été

conduites dans les pays dotés de systèmes financiers développés en tenant pour négligeable le canal du crédit.

l  Canal du crédit : ensemble des répercussions que les variations de taux directeurs peuvent avoir sur l’offre de crédit.

A – L’insuffisante prise en compte du canal du crédit

l  La littérature économique opère une distinction entre: • Le canal strict du crédit bancaire • La canal large du crédit bancaire ou canal du

bilan

Le canal strict du crédit bancaire

l  Les changements de taux directeurs modifient les conditions de refinancement des banques sur les marchés monétaires et financiers.

l  Donc aussi leur capacité à créer de la monnaie, c’est-à-dire leur production de crédit à l'économie, donc l'investissement des entreprises et la consommation des ménages.

l  Le modèle de Bernanke et Blinder (1988) montre qu’en réduisant l’accès des banques aux fonds prêtables, les opérations d’open market limitent l’offre de prêts bancaires.

Le canal large du crédit ou canal du bilan

l  C’est la qualité de la structure du bilan des agents économiques qui entre en jeu, comme dans la théorie de l’accélérateur financier* de Bernanke et Gertler (1989) mais en considérant non l’impact d’un choc réel mais celui de la politique monétaire sur la prime de financement externe.

l  Une variation des taux d’intérêt affecte la structure des bilans, donc la prime de financement externe. Une hausse des taux aura alors des effets dépressifs plus importants si les agents privés sont déjà très endettés.

* Accélérateur financier

l  L’asymétrie d’information dont pâtit le prêteur l’oblige à effectuer une sélection et un contrôle qui élèvent le coût du financement externe.

l  Ce surcoût ou prime de financement externe (External Financial Premium), dépend de la situation financière de l’emprunteur.

* Accélérateur financier l  Tout choc réel (tel qu’un choc de

productivité) qui améliore la situation financière (richesse nette, liquidité) des emprunteurs réduit leur prime de financement externe et facilite la réalisation de leurs projets d’investissement. Et inversement en cas de choc qui dégrade la situation de l’emprunteur

l  Cet accélérateur financier fait persister l’effet initial.

L’accélérateur financier de la crise

baisse du niveau et de la volatilité de l’inflation

baisse des taux et des primes de risques

hausse du crédit

augmentation des prix d’actifs

hausse de la valeur des collatéraux

A – L’insuffisante prise en compte du canal du crédit l  Introduit au milieu des années 1980, le canal

du crédit a fait l’objet de vives controverses. l  De nombreuses études empiriques ont

cherché à évaluer son importance relativement aux autres canaux de transmission de la politique monétaire (canal du taux d’intérêt, canal du taux de change).

l  Pour une revue de cette littérature voir Clerc (2001), Beaudu et Keckel (2001), Pollin et Bellando (1996), Barran, Coudert, Mojon (1995).

A – L’insuffisante prise en compte du canal du crédit l  L’existence du canal du crédit fait

intervenir plusieurs conditions (Woodford, 2010) : • dépendance des entreprises au crédit • Sensibilité des banques à leurs conditions de

refinancement auprès de la banque centrale • activité des banques orientée vers le crédit

l  Nombreuses tentatives de remises en cause du canal du crédit liées à la notion de désintermédiation

A – L’insuffisante prise en compte du canal du crédit

l  Or, ainsi qu’on l’a montré dans le précédent chapitre le rôle des banques est resté prépondérant dans le financement.

l  Le canal du crédit a été trop rapidement évacué.

l  Mais il appréhende encore trop étroitement l’activité des banques qui ne se limite pas aux crédits

l  Le RTC va plus loin.

B – Du canal du crédit au canal de la prise de risque Comme on vient de le voir l  Le mécanisme de l’accélérateur financier

attire l’attention sur les variations de la prime de financement externe, mais n’accorde pas un rôle spécifique aux banques.

l  Le canal strict du crédit se concentre quant à lui sur les banques, mais en appréhendant de façon étroite leur rôle dans la transmission et la propagation des chocs.

B – Du canal du crédit au canal de la prise de risque

l  Le canal de la prise de risque (Risk Taking Channel – RTC) montre comment la politique monétaire affecte la prise de risque des banques pas seulement au niveau de leur activité de crédit mais également au niveau de leurs activités de marché.

l  Version moderne de l’analyse de Minsky

B – Du canal du crédit au canal de la prise de risque

l  A mesure que les conditions économiques et financières deviennent accommodantes, comme l’explique Shirakawa (2009), la perception du risque et la tolérance des agents à l’égard du risque se modifient graduellement mais sûrement, ce qui les conduit à une prise de risque accrue.

B – Du canal du crédit au canal de la prise de risque l  Il s’ensuit une expansion du crédit et du

levier d’actifs des institutions financières conduisant à une accumulation de déséquilibres financiers.

l  Au-delà d’un point critique, ces déséquilibres se manifestent brutalement sous la forme d’un choc. Le système financier devient instable et l’activité économique se détériore fortement.

B – Du canal du crédit au canal de la prise de risque

l  Plusieurs contributions, toutes issues des travaux des économistes de la BRI, ont posé les bases du RTC, prolongeant les analyses de Minsky : Borio et Lowe (2002), Rajan (2005), Borio et Zhu (2008), Adrian et Shin (2007 et 2008).

l  La question que soulèvent les théoriciens du RTC est celle de savoir si de bas taux d’intérêt ne se traduisent pas par une prise de risque accrue de la part des banques, mettant directement en cause la politique monétaire accommodante du début des années 2000.

B – Du canal du crédit au canal de la prise de risque

l  Toutes cherchent à mettre en évidence ce lien entre politique monétaire, perception du risque, et prise de risque des banques.

l  Il s’agit de montrer un nouveau canal de transmission de la politique monétaire, gravement sous-estimé avant la crise et probablement accru par les transformations des systèmes financiers.

B – Du canal du crédit au canal de la prise de risque

l  L’étude de Jiménez et al. appliquée à l’Espagne entre 1984 et 2006 montre que les taux bas réduisent à court terme le risque de défaut en diminuant le poids des frais financiers et, à moyen terme, accroissent la valeur des collatéraux, poussant les banques à relâcher leurs conditions de crédit

l  Gambarcota (2009) étudie 600 banques cotées œuvrant en zone euro et aux Etats-Unis (2007-2008). Cette étude montre que les risques bancaires sont positivement corrélés avec le niveau insuffisant des taux d’intérêt.

B – Du canal du crédit au canal de la prise de risque

l  Altunbas, Gambacorta et Marqués-Ibáñez (2010) mènent une étude portant sur 1100 banques dans 16 pays au cours de la période 1998-2008. Il en ressort qu’une politique monétaire accommodante réduit à court terme les risques des crédits en portefeuille et pousse les banques à en prendre davantage.

5. Le canal des variations de prix d’actifs l  Traditionnellement, la contagion s’explique

par des défaillances en chaîne (« effet domino ») d’une banque à une autre, via les dettes interbancaires.

l  Pendant la crise financière de 2007-2009, la contagion s’est aussi propagée par un canal des variations de prix d’actifs pour les banques d’investissement.

Exemple (extrait de Adrian et Shin, Revue de la stabilité financière N° 11, Février 2008)

• Les bilans des banques d’investissement sont valorisés en valeur de marché

•  les banques d’investissement gèrent activement leur bilan. Elles ont un levier cible (actifs / fonds propres = 10 par exemple) et réagissent quotidiennement aux variations de prix.

l  Supposons que le prix de la dette soit approximativement constant en cas de légère variation de l’actif total et que le prix des titres augmente de 1 %, à 101.

l  Le levier tombe alors à 101/11 = 9,18. Si la banque cible un levier de 10, elle doit augmenter sa dette de D afin d’acheter des titres pour une valeur de D du côté de l’actif de manière à ce que : actif / fonds propres = (101+D)/11 = 10 ce qui donne D = 9

l  La banque s’endette de 9 pour acheter 9 de titres.

l  L’augmentation du prix du titre de 1 se traduit donc par une augmentation du portefeuille de 9.

l  Après l’achat, le levier est revenu à 10.

l  Ce mécanisme fonctionne dans l’autre sens, à la baisse. Supposons que le prix des titres subisse un choc et que la valeur du portefeuille recule à 109.

l  Au passif, ce sont les fonds propres qui supportent l’ajustement, puisque la valeur de la dette reste approximativement constante.

l  Le bilan devient :

l  Le levier est maintenant trop élevé (109/10 = 10,9). La banque peut le faire diminuer en vendant des titres pour une valeur de 9 et en remboursant sa dette pour une valeur de 9. Ainsi, le recul du prix des titres conduit à une cession de ces titres:

Amplification par les prix des variations de bilans

5. La canal des variations de prix d’actifs l  L’effet d’amplification est encore plus

important quand le levier cible n’est pas fixe mais procyclique (plus élevé en période de croissance, plus faible en période de récession).

l  Lorsque le prix des titres augmente, l’ajustement à la hausse du levier entraîne des achats de titres encore plus importants que lorsqu’on s’efforce simplement de maintenir un levier constant.

5. La canal des variations de prix d’actifs

l  Ce mécanisme d’amplification par les variations de prix d’actifs a été au cœur de la récente crise financière.

6. La crise des subprimes l  Subprime = mot de l’année 2008 !

• Le marché subprime est le marché des prêts hypothécaires américains à risque.

•  tout petit segment (1000 mds de dollars) du marché immobilier US qui lui-même ne constitue qu’une petite part des actifs détenus par les ménages (60000 mds de dollars).

• Comment se fait-il alors que cela ait débouché sur une crise mondiale ?

l  A/ Qu’est-ce que le marché des subprimes ?

l  B/ A qui la faute ?

6. La crise des subprimes (à titre d’illustration – hors programme de révision)

l  A/ Qu’est-ce que le marché des subprimes ?

l  B/ A qui la faute ? l  C/ Pourquoi une telle ampleur ?

A/ Qu’est ce que le marché des subprimes ?

l  Lorsqu’une banque accorde un crédit, le taux d’intérêt qu’elle fait payer à l’emprunteur inclut une « prime de risque », qui est un surcoût calculé en fonction du risque estimé que l’emprunteur ne rembourse pas (risque de défaut).

A/ Qu’est ce que le marché des subprimes ? l  Aux Etats-Unis, les emprunteurs de première

qualité dont le risque de défaut est faible sont dits « primes ». Les emprunteurs dont la qualité est inférieure (et le risque de défaut plus élevé) sont dits « subprime » (en dessous du prime)

l  Entre 2001 et 2006, la part des emprunteurs subprimes est passée de moins de 10 % à plus de 20 %, pour atteindre quelques 600 milliards de dollars puis 1000 milliards de dollars en 2007 à la veille de la crise.

A/ Qu’est ce que le marché des subprimes ? l  En bref, les crédits subprimes sont des crédits

hypothécaires accordés aux ménages américains à revenu modeste.

l  Qu’est-ce qu’un crédit hypothécaire ? Lorsqu’une banque accorde un crédit immobilier, elle exige de l’emprunteur des garanties. Aux Etats-Unis, la principale garantie prend traditionnellement la forme d’une hypothèque. Autrement dit, si l’emprunteur est dans l’incapacité de rembourser son prêt, la banque sera en droit de saisir le bien immobilier pour le revendre et limiter ses pertes.

B/ A qui la faute ?

l  Aux banques ? (trop de crédit, transfert des risques)

l  Aux traders, courtiers, … et autres financiers incités à prendre des risques excessifs ?

l  Aux pauvres ? (« tous propriétaires » !, culture financière insuffisante)

l  Aux Chinois dont les bas prix et les bas salaires ont écrasé l’inflation mondiale ?

l  Aux banques centrales ? l  Aux superviseurs ? l  Aux économistes ?

Les emprunteurs : coupables ou victimes ?

l  Comment se fait-il que les banques aient autant assoupli leurs critères d’attribution des crédits ? Doit-on y voir un élan de générosité de leur part ?

l  Lorsque les banques accordent des crédits à une clientèle risquée, elles exigent un taux d’intérêt plus élevé. C’est normal, faute de quoi l’activité de prêt ne serait pas viable. Il faut en effet que l’augmentation des défaillances soit compensée par une rémunération plus forte. A risque élevé, rentabilité élevée.

Les emprunteurs : coupables ou victimes ?

l  Problème, beaucoup de ces prêts étaient à taux variable.

l  Or, entre 2004 et 2007, la Réserve fédérale américaine (la Fed) a relevé son taux d’intérêt directeur, qui sert de base au calcul des taux variables, de 1 % à plus de 5 %. Automatiquement, les ménages endettés ont vu leur charge d’intérêt s’alourdir, alors même que les prix de l’immobilier avaient commencé à baisser.

Un exemple l  Prenons l’exemple d’un emprunt de 250 000

$ sur 30 ans. Pour un taux d’intérêt de 2 % que l’on suppose constant sur toute la période, les mensualités sont de 920 $ environ, pour un coût total du crédit de 83 000 $. Pour un taux de 3 %, les mensualités augmentant de plus de 100 $ et le coût du crédit atteint 130 000$. Enfin, pour un taux de 5 %, les mensualités sont de plus de 1 300 $ et le coût total du crédit de 233 000 $, soit presque autant que le capital de départ.

Montant emprunté

Intérêts 250 000

333 000 380 000

483 000

Montant emprunté

Intérêts

Montant emprunté

Intérêts

2 % 3 % 5 %

Taux d’intérêt

Durée du prêt = 30 ans

83 0

00

233

000

Les emprunteurs : coupables ou victimes ? l  Les banques ont également offert à leur client

la possibilité de reporter le paiement des intérêts et le remboursement du capital en fin de période. Or, bien sûr, cela a un coût. Reprenons l’exemple précédent avec un taux de 3 %. Avec un prêt classique à mensualités constantes, le total du remboursement en capital et des intérêts est de 130 000 $. Si l’on décide de tout payer au terme des 30 ans, alors il faudra débourser 615 000 $ !

250 000

380 000

615 000

Montant emprunté

Intérêts

Montant emprunté

Intérêts

Durée du prêt = 30 ans Taux d’intérêt = 3 %

Prêt classique

Prêt « ballon »

1300

00

365

000

Le rôle de la bulle immobilière

l  Pourquoi les banques et les emprunteurs ont-ils accepté de telles conditions ? Tout simplement parce que tout le monde était convaincu que les prix immobiliers ne cesseraient pas de croître

l  « bulle immobilière » : entre 1997 et 2007, les prix de l’immobilier ont doublé en moyenne aux Etats-Unis.

l  Dans cette situation, les prêts immobiliers sont jugés « peu risqués ». En effet, si l’emprunteur fait défaut, la banque pourra toujours saisir la maison et la revendre à un prix plus élevé. A condition toutefois que l’appréciation perdure. Or, « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ! »

Le rôle de la bulle immobilière l  Lorsque les prix de l’immobilier finissent par

se retourner à la baisse, les emprunteurs entrent alors dans une spirale négative : la valeur des biens immobiliers devient inférieure à la valeur des crédits qu’ils sont supposés garantir.

l  On commence par ailleurs à observer une augmentation du nombre de défaillances qui conduisent à des ventes en détresse.

l  Ces ventes conduisent à une baisse des prix et nourrissent les soupçons quant à la santé du marché immobilier. Les prix se contractent davantage encore, etc.

Le rôle de la bulle immobilière

l  Au total, on estime à environ 3 millions le nombre de foyers américains qui auraient perdu leur maison.

l  Mais comment se fait-il que des faillites – aussi nombreuses soient-elles - à Santa Barbara ou Miami aient pu déclencher une crise mondiale ?

La face cachée de l’iceberg

l  Un contexte macroéconomique favorisant un excès de confiance (le « paradoxe de la tranquillité ») : • Un ample liquidité mondiale • Baisse de l’inflation • Baisse des primes de risques • Expansion du crédit • Baisse des taux d’intérêt à long terme • Montée des prix d’actifs

La face cachée de l’iceberg

l  Des innovations financières favorisant la prise de risque.

l  La principale innovation en cause dans la crise des subprimes est la « titrisation »: • Opération financière qui consiste à transformer

des prêts bancaires traditionnellement illiquides en titres aisément négociables sur des marchés, par l’intermédiaire d’une entité juridique ad hoc.

La face cachée de l’iceberg

• Le plus souvent, la banque à l’origine des prêts les cède à un véhicule spécifique qui finance cette acquisition en émettant des titres sur les marchés.

• La transformation d’actifs illiquides en titres négociables s’accompagne souvent d’une « structuration » : les titres émis (par exemple les CDO) ont ainsi des caractéristiques différentes de celles des actifs sous-jacents en termes de modalités de paiements, de sensibilité aux risques…

La face cachée de l’iceberg

l  Tous les ingrédients de la crise sont alors réunis: • des cohortes de crédits faits à des

populations de plus en plus fragiles • des structurations de plus en plus complexes

de ces crédits qui ont à la fois disséminé et masqué les risques.

• Une « petite » crise d’insolvabilité U.S. a pu alors enclencher une gigantesque crise d’illiquidité mondiale

C/ Pourquoi une telle ampleur ?

l  La titrisation a disséminé les risques partout dans le monde et réduit l’incitation au contrôle. (déjà vu)

l  Les réactions des IF aux variations des prix d’actifs ont créé une nouvelle forme de contagion (canal des prix d’actifs). (déjà vu)

l  Excès de confiance et incitation à la prise de risque (aspect macro déjà vu) : éléments micro.

Science et excès de confiance

l  Des modèles mathématiques rassurants …

l  Nourrissant une dangereuse « illusion du contrôle »

Des modèles mathématiques rassurants …

l  Engouement des banquiers pour les modèles de « Value at Risk » dès le début des années 1990

l  En dépit de leurs limites soulignées par les théoriciens de la finance

l  Ces modèles ont même permis aux banques de prendre une part active dans le dispositif de supervision !

Nourrissant une dangereuse « illusion du contrôle »

l  Ces modèles ont conforté les banquiers dans l’idée qu’ils pouvaient « contrôler » tous les risques (*)

l  ils ont aussi conféré à la prise de risque une pseudo assise « scientifique » …

l … facilitant l’ascendant du front office sur le back office

Nourrissant une dangereuse « illusion du contrôle » l  Quand il s’agit de science, on accepte

beaucoup plus facilement de ne pas comprendre !

l  Nick Leeson (affaire Barings, 1995), Jérôme Kerviel (affaire Société générale, 2008), Bernard Madoff (escroquerie mondiale, 2008) ont tous déjoué les contrôles internes et externes en invoquant une stratégie complexe (reposant sur un modèle mathématique) d’investissement ou de couverture

Nourrissant une dangereuse « illusion du contrôle » l  « L’art est fait pour troubler, la science

rassure », Georges Braque. l  il est dangereux d’être rassuré quand on

est un financier car cela repousse les limites du risque.

l  « Il est faux de croire que l’on peut éliminer le risque, seulement parce qu’on peut le mesurer », Robert Merton, en 1998 après la quasi-faillite du fonds LTCM

Illustration : quand les banquiers se prennent pour des super héros !

Les dures lois de la nature se rappellent à eux !

Dessin repris par Paul Krugman (prix Nobel d’économie 2008)

Incitations et prise de risque

l  Rémunération associée à la prise de risque

l  Interdépendance et jugement l  « Pile la banque gagne, face l’Etat

perd » : l’aléa moral

Rémunération associée à la prise de risque l  Bonus : compléments de rémunération

pour inciter à la performance l  Système mis en place depuis une

vingtaine d’années pour attirer « les talents » (traders super stars !!!)

l  Ces rémunérations ne sont pas neutres sur les comportements face au risque

Rémunération associée à la prise de risque l  Les bonus ont incité les traders à

prendre un maximum de risques pour maximiser leur part de rémunération variable

l  Pire, ils ont incité les salariés des back offices à fermer les yeux, car leur propre part variable est calculée à partir de l’enveloppe de bonus de la salle de marché

Interdépendance et jugement

l  Pourquoi les contrôleurs internes n’ont pas tiré la sonnette d’alarme ?

l  Pourquoi les conseils d’administration des banques n’ont pas su exercé leur jugement ?

l  Pourquoi les autorités de réglementation n’ont pas renforcé à temps leur surveillance ?

Interdépendance et jugement l  2 réponses possibles :

•  Incompétence ? • Échec de jugement ?

l  Optons pour la seconde option et tentons d’en éclairer la cause : • L’Interdépendance ! (Voir les travaux de

Simon Johnson (MIT) sur l’interdépendance réglementaire)

Interdépendance et jugement l  De fortes interdépendances :

• Un salarié du back-office a envie de poursuivre sa carrière au front office

• La rémunération des actionnaires dépend positivement des risques pris

• Les hauts fonctionnaires des autorités de réglementation sont allés à « l’école » avec les hauts dirigeants de banques

l  Interdépendance à Convergence d’intérêts à altération du jugement

Comment éviter une autre crise subprimes ?

l  Les banques doivent se réapproprier la gestion de leurs risques

l  les régulateurs doivent mieux encadrer les instruments de transferts des risques bancaires (titrisation, dérivés de crédit, CDO, …)

l  Extension du périmètre de la réglementation (beaucoup de sociétés financières US « originatrices » du risque subprimes n’étaient pas réglementées)

l  Soumettre les banques à de nouvelles normes (ratio de liquidité, ratio de levier, coussins de capital contracycliques, …)

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