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Chapitre 3 La neuro-imagerie cognitive : mythes et réalités
La cognition peut être définie comme une fonction génératrice de connaissance. Mais, la
cognition, peut aussi être définie comme l'ensemble des processus et entités qui se
"rapportent" à la connaissance (Le Ny, 2002, pp. 70-72). Ceux-ci peuvent alors être explorés à
des niveaux d'analyse différents (neurophysiologie, anthropologie, psychologie, sociologie,
etc.) et être décrits par des formalismes variés.
Dans le domaine de la psychologie scientifique, la cognition est devenue un concept
central lors de la crise du behaviorisme, dans les années 1950-1960 (Gardner, 1985 ; Miller,
2003). Les psychologues cognitivistes ont été conduits à postuler, entre les stimuli et les
comportements, de nombreux processus hypothétiques (mémoire, décision, etc.) ou des
entités non directement observables (attitude, expectation, etc.). Cette évolution était, d'un
certain point de vue, plutôt paradoxale. En effet, le behaviorisme s'était opposé aux autres
formes antérieures de psychologie préscientifique car elles créaient des entités explicatives
non observables (désir, sentiments, etc.). Pour le behaviorisme, ces entités n'étaient que des
concepts flous, d'origine introspective, empêchant l’essor d’une psychologie objective. Mais
cette méthodologie, pure et dure, avait donc aussi ses limites et la psychologie cognitive qui
lui a succédé, a été contrainte de créer des constructions hypothétiques dont la complexité
n'avait rien à envier à celles de la psychologie introspective.
On comprend dès lors que la psychologie cognitive, puis les sciences cognitives, aient
tenté de définir des indicateurs objectifs des entités cognitives invoquées. D’où l'importance
de la méthode chronométrique dans l'approche cognitive : il s'agissait de révéler les entités
cognitives par l’étude de la dynamique temporelle des comportements observables (Luce,
1986). Mais, évidemment, la preuve ultime de la réalité de ces entités cognitives ne pouvait
être que le constat de leur présence dans le cerveau.
L'observation des lésions cérébrales a d'abord été la source principale de ces "preuves
par le cerveau" et une logique de dissociation expérimentale a tenté d'objectiver ces entités
cognitives dans le cerveau (Dunn & Kirsner, 2003). Les techniques modernes de neuro-
imagerie ont encore amplifié cette stratégie de recherche visant à détecter l'inobservable
cognitif dans le cerveau (pour une revue: Raichle, 2001). Mais de nombreux problèmes,
méthodologiques et théoriques, subsistent. Nous voudrions les évoquer dans ce chapitre, en
commençant par la chronique épistémique d'une histoire édifiante qui illustre les risques
encourus à vouloir localiser, à tout prix, les fonctions cognitives dans le cerveau.
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1. Une histoire édifiante : la grande illusion de la phrénologie
La phrénologie a été promue par Franz-Joseph Gall (1758-1828) et Johann Spurzheim (1776-
1832) au XIXe siècle (Figure 1)1. Selon cette conception, les dispositions intellectuelles et
morales pouvaient être localisées précisément dans le cerveau. Le développement inégal
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Figure 1. A gauche : daguerréotype de Franz Joseph Gall, "inventeur" de la phrénologie. A
droite : une "tête phrénologique" [Ottin (1834)]
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de ces dispositions dans le cerveau des individus était repéré par la palpation des déformations
à la surface de la boite crânienne. La "tête" phrénologique faisait ainsi apparaître 30 aptitudes
dont 22 fondamentales (Figure 1). Par exemple, l'aire VII, au niveau temporal, est l'aire de
"l'instinct de faire de des provisions et le sentiment de propriété" et l'aire XXI, au niveau
frontal, est l'aire de la "sagacité comparative". La notoriété et la reconnaissance académique
de la phrénologie ont été immenses en Europe comme aux Etats-Unis. Elle a été ensuite
falsifiée puis, peu à peu, oubliée. Mais elle a exercé une influence sensible sur le
développement ultérieur des sciences cognitives et a imposé l’hypothèse de modularité et de
1 Pour une étude de la phrénologie: Gall & Spurzheim (1809), Ottin (1834), Lanteri-laura (1970) et G. Paicheler (1992).
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localisation cérébrale des fonctions cognitives. La technologie mise en œuvre aujourd'hui est,
bien sûr, sans commune mesure avec celle de Franz Joseph Gall, mais le risque d'erreur, et
même d'aveuglement, en est-il totalement écarté ?
2. La neuro-imagerie cognitive et l'illusion techno-phrénologique
On peut en douter quand on observe dans la littérature scientifique actuelle une véritable
fringale de localisations (Tiberghien & al., 2007). La neuro-imagerie cognitive permet de
localiser pratiquement tout ce que l'on souhaite dans le cerveau : l'organe de la numération
dans le cortex pariétal inférieur, les plans d'action dans le cortex orbito-frontal, les visages
dans le gyrus temporal droit (FFA ou "Face Fusiform Area"), l'expertise aux Echecs, dans le
néo-cortex, le lobe temporal médian et l'hippocampe et même les oiseaux et les voitures dans
le FFA et le lobe occipital, etc. On a même trouvé le "centre (affectif) de l'humour" dans la
partie ventrale du cortex préfrontal médian (Goel & Dolan , 2001) … et quasiment au même
endroit que l'aire phrénologique XXIII dédiée à "l'esprit de saillies et de réparties"
("mirthfulness") (Figure 2) ! On voit le risque de régression à l'infini de cette stratégie de
recherche : si la catégorie "voitures" est localisée dans le cerveau, pourquoi leurs marques
commerciales ne le seraient-elles pas également 2 ?
Si la localisation d'une fonction cognitive est (presque) toujours possible, son
interprétation computationnelle est souvent incertaine et sa description fonctionnelle souvent
problématique. De plus, une fonction cognitive est rarement la seule à activer une structure
cérébrale définie, Par exemple, Azari et al. (2001), en soustrayant la carte d'activation
cérébrale obtenue en Tomographie par Emission de Positons (TEP) dans une situation de
récitation d'un texte non religieux de celle obtenue dans une situation de récitation d'un texte
biblique, trouvent deux aires d'activation qu'ils attribuent à l'expérience du sentiment
religieux: l'aire préfrontale dorso-latérale et l'aire frontale dorso-médiane. Mais ces régions
sont aussi activées dans d'autres situations sans composante religieuse apparente : mémoire
épisodique autobiographique, anxiété, décision sémantique, etc. Ce manque de spécificité
2 De nombreuses recherches ont pour objectif de localiser dans le cerveau la préférence pour telle ou telle marque commerciale : la zone de préférence du Coca-Cola, par exemple (McClure, 2004). Il y a une prolifération de nouvelles neuro-disciplines: neuro-économie (Gironde, 2008) neuromarketing (Roullet & Droulers, 2010), neuro-éthique (Gazzaniga, 2005), neurothéologie (Newberg & al., 2001), etc. Les conclusions des recherches dans ces domaines sont souvent, idéologiquement biaisées et l’on a parfois la désagréable impression qu'elles visent en fait à "naturaliser" un système (économique, culturel et éthique) dominant.
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caractérise aussi, autre exemple, l'aire de Broca, dans le gyrus frontal inférieur gauche. En
effet elle n’est activée dans des situations de langage, comme on le pense communément, que
dans 55% des situations étudiées.
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Figure 2. En haut : localisation phrénologique de "l'esprit de saillies et de réparties" (aire
XXIII: "mirthfulness"). En bas : localisation tomographique de la composante affective de
l'humour (MVPFC: cortex pré-frontal ventro-médian) (Adapté de Goel & Dolan, 2001, p.
238).
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Lire l'esprit dans le cerveau ("reading mind"), avec la TEP ou l'IRMf (Imagerie par
Résonance Magnétique fonctionnelle), pose donc un sérieux problème d'interprétation, en
particulier quand plusieurs observations expérimentales (ou cliniques) sont corrélées,
partiellement ou totalement, à l'activation des mêmes régions cérébrales. En effet, un tel
manque de sélectivité pourrait signaler que des processus cognitifs identiques interviennent
dans des situations différentes. Mais cela pourrait tout aussi bien signifier que des processus
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cognitifs différents et indépendants interviennent dans ces situations mais activent les mêmes
régions cérébrales (Poldrack, 2006). Une inférence inverse3, au sens strict du terme, implique
donc une relation de détermination unique entre la situation, l'entité cognitive postulée et
l'activation cérébrale observée. Elle n'est valide que si elle est exclusive. On peut certes,
affaiblir cette contrainte en démontrant que la probabilité d'activation d'une région cérébrale
spécifique par une situation, ou une entité cognitive, est significativement plus élevée que la
probabilité d'activation de cette région par l'ensemble des autres situations, ou des autres
entités cognitives (inférence bayesienne). Mais, de toute façon, dans ce cas, la nature
probabiliste de la démonstration, plaide davantage en faveur d'un système fonctionnel
cérébral distribué que d'un système déterministe précisément localisé (Nyberg & McIntosh,
2001).
3. Une illustration sans illusions: la neuro-imagerie de la reconnaissance épisodique
L'application des méthodes de neuro-imagerie à l'étude de la reconnaissance illustre
parfaitement la conclusion précédente. Deux familles de théories cognitives tentent
actuellement d'expliquer le processus de reconnaissance épisodique en mémoire. Pour la
première famille de théories, la reconnaissance est fondée sur une simple estimation de la
"familiarité" et l'application d'un mécanisme de décision à seuil fixe ou à seuil variable. Pour
la seconde famille de théories, la plus populaire, la reconnaissance épisodique peut résulter
d'un double processus basé soit sur la familiarité soit sur un processus de recherche en
mémoire d'informations contextuelles associées à l'information à reconnaître ("récollection").
Il s'agit ici d'une description computationnelle des processus cognitifs nécessaires à la
réalisation des tâches de reconnaissance. Mais il n'y a d'accord ni sur la nature ni sur le
mécanisme exact des processus invoqués ni sur leur architecture. Par exemple, la familiarité
comme la récollection pourrait être décrite comme une variable à seuil, une variable à états ou
une variable continue ; l'organisation temporelle de la familiarité et de la récollection pourrait
être décrite selon un mode séquentiel, parallèle ou en cascade, avec ou sans rétroaction, etc.
En d'autres termes, une même théorie computationnelle de la reconnaissance à deux processus
pourrait fonctionner selon des algorithmes très différents. 3 L'inférence inverse consiste à inverser la relation causale mise en évidence de façon expérimentale : le comportement observé en réponse à une situation contrôlée expérimentalement (et l'entité cognitive invoquée) se traduisent par une activation cérébrale définie. La conclusion à laquelle on souhaite parvenir est, à l'inverse : l'activation cérébrale observée est la cause de la relation définie observée entre la situation et le comportement (et de l'entité cognitive associée).
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La stratégie de recherche, dans ce domaine, a donc consisté à élaborer des méthodes
d'étude de la reconnaissance permettant de dissocier expérimentalement la familiarité de la
récollection (l’analyse chronométrique, par exemple) et des méthodes d'estimation plus ou
moins directes des processus cognitifs invoqués visant à les dissocier sur le plan
comportemental (le paradigme d'exclusion-inclusion, par exemple). La difficulté est ici liée à
la grande diversité des situations étudiées et des matériels à reconnaître (mots, phrases,
images, visages, textes, scènes, etc.) qui n'impliquent pas nécessairement les mêmes
processus de récupération en mémoire ni les mêmes processus de décision. La preuve décisive
serait de démontrer que des régions cérébrales distinctes sont activées dans les situations de
reconnaissance impliquant la familiarité ou la récollection. L'examen des recherches
conduites sur cette question depuis deux décennies fait apparaître trois tendances
remarquables:
1) Dans un premier temps, les localisations cérébrales basées sur la TEP et l'IRMf se
sont révélées relativement grossières et quelque peu fluctuantes : la familiarité a d'abord été
associée à une activation des régions pariéto-temporales et la récollection à une activation des
régions frontales. Mais on a aussi obtenu des données montrant un pattern d'activation inverse
et, en apparence, contradictoire. La prise en compte de la dimension temporelle des
activations cérébrales, avec la méthode d'enregistrement des potentiels évoqués cérébraux
(ERP ou "Event-Related Potential"), permet de mieux comprendre l'origine de ces
contradictions apparentes : entre 150ms et 400 ms, après la présentation de l'information à
reconnaître, on observe à la fois une activation bio-électrique des régions pariéto-temporales
(N170 et P350) et une activation des régions frontales (N400) corrélées à l'émergence de la
familiarité et à la focalisation de l'attention ; entre 500ms et 1000 ms on observe des
potentiels bio-électriques tardifs à la fois au niveau pariéto-temporal et au niveau frontal
corrélés à la récollection. En d'autres termes, les mêmes régions cérébrales peuvent intervenir,
à des moments différents du traitement, à la fois dans la familiarité et la récollection (pour une
revue : Curran, 2000 ; Yonelinas, 2002).
2) La seconde tendance caractéristique de ce champ de recherche montre que le
nombre de régions caractéristiques de la familiarité et de la récollection ne cesse d'augmenter.
Les hypothèses initiales les plus simples n'invoquaient que deux régions critiques, associant la
familiarité aux régions frontales et la récollection aux régions médio-temporales. Mais, les
recherches plus récentes montrent que de nombreuses autres régions sont activées par la
familiarité et (/ou) la récollection. Par exemple, dans une situation de reconnaissance de mots,
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Yonelinas & al. (2005) ont montré que cinq régions cérébrales présentaient une activation
cérébrale significative pour la récollection (le gyrus frontal antérieur médian, le gyrus
cingulaire, le gyrus temporal supérieur et, enfin, la formation hippocampique), et cinq pour la
familiarité (quatre activations positives : le gyrus pariétal latéral, le gyrus préfrontal antérieur,
le gyrus frontal médian, le gyrus pariétal médian, auxquelles s'ajoute une désactivation de la
formation hippocampique).
3) La troisième tendance caractéristique de ces recherches est l'importance
fonctionnelle croissante accordée au système hippocampique. Les données empiriques
confirment, en général, l'hypothèse d'une activation de cette région dans la récollection. Mais
on observe aussi, parfois, une activation de cette région cérébrale corrélée avec la familiarité.
Les données les plus précises indiquent même que si l'activité de l'hippocampe est un
indicateur de la récollection, celle du cortex parahippocampique est associée à la familiarité.
D'ailleurs, les lésions cérébrales de l'hippocampe qui s'étendent à une large partie du lobe
temporal provoquent une amnésie perturbant fortement la récollection, et plus faiblement, la
familiarité. En revanche, si la lésion est limitée à l'hippocampe on n'observe seulement une
forte perturbation de la recollection.
On le voit, le croisement des données comportementales et des neuro-images aboutit à
une description de plus en plus complexe et à une interprétation théorique qui s'éloigne de
plus en plus des hypothèses initiales de localisation absolue. De multiples régions cérébrales
interviennent dans la détermination de la familiarité et de la récollection avec, d'ailleurs, un
recouvrement spatial et temporel qui ne peut être négligé. Trois raisons essentielles peuvent
expliquer cet état de fait.
La première raison est liée à la définition et à l'opérationnalisation de la familiarité et
de la récollection. Ces concepts ne sont pas aussi clairs qu'il y paraît: la familiarité qui dépend
de la fréquence des répétitions est-elle identique à la familiarité qui dépend de la récence de
l'encodage ou de la familiarité qui dépend de la richesse du réseau associatif ? De même, la
récollection associative, caractéristique de la mémoire verbale, peut-elle être confondue avec
la récollection discriminative, caractéristique de la mémoire visuelle des images et des scènes
(Guillaume & Tiberghien, 2005) ?
La deuxième raison est beaucoup plus spécifique. L'interprétation des images
cérébrales associées à la récollection et à la familiarité présuppose un accord minimal sur la
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validité de la théorie dualiste sous-jacente. Or, c'est loin d'être le cas et de nombreux résultats
comportementaux ne valident pas la théorie de la reconnaissance à deux processus. D'ailleurs,
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Figure 3. A gauche : inscription cérébrale dans le système hippocampique de l'hypothèse
computationnelle d'un traitement cognitif différentiel de l'information cible (visage) et de
l'information contextuelle. (Adapté de Diana & al., 2007, p. 383). A droite : un système
algorithmique (réseau connexionniste multicouches) permettant de simuler cette hypothèse
computationnelle dans une situation de reconnaissance de visages en contexte (Adapté de
Schreiber & al., 1991).
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la familiarité et la récollection pourraient être également conçues, non comme deux processus
distincts, mais comme deux dimensions d'un même processus de décision: la reconnaissance
résulterait alors de la composition additive d'une décision sur la dimension de familiarité
globale de la trace mnésique et d'une décision sur la dimension de familiarité spécifique ou
contextuelle de cette même trace (Rotello & al., 2004).
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La dernière raison est sans doute la plus importante. Une théorie, dominante à un
moment donné, peut s'avérer n'être qu'une version approchée d'une autre théorie plus générale
qui finit par l'englober. C'est peut-être ce qui est en train d'arriver à la théorie à deux
processus de la reconnaissance. Les données les plus récentes ont en effet montré que la
familiarité et la récollection activent des régions différentes, mais voisines, du système
hippocampique : la familiarité activerait principalement, et fortement le gyrus
parahippocampique antérieur (cortex périrhinal) tandis que la récollection serait associée à
une forte activation de l'hippocampe et du cortex parahippocampique postérieur (cortex
entorhinal). Mais une autre lecture de ces données de neuro-imagerie cognitive a été proposée
par Diana & al. (2007) : le cortex périrhinal pourrait être activé par l'accès à l'information
mnésique cible ; l'activation du cortex entorhinal serait un indicateur cérébral de l'accès au
contexte de cette cible et, enfin, l'hippocampe serait un système de liage entre la cible et son
contexte (Figure 3). Une telle interprétation remet fortement en question l'hypothèse d'une
dualité de processus en reconnaissance. Elle se fonde plutôt sur l'hypothèse d'un statut
différentiel de l'information selon que celle-ci est le focus du traitement mnésique ou son
arrière-plan contextuel. En d'autres termes : « [There is not] a simple mapping between
Medio-Temporal Lobe subregions and recollection and familiarity. Instead […] there is an
integrated system in which the involvement of each subregion depends on the type of
information processing that is engaged " (Diana & al., 2007, p. 385). Cette interprétation
cognitive (computationnelle) et son inscription cérébrale peuvent d'ailleurs être simulées de
façon algorithmique par un réseau connexionniste multicouches à rétro-propagation du
gradient d'erreur (Figure 3). Un tel réseau permet à la fois de simuler les effets de spécificité
et de variabilité contextuelle en reconnaissance des visages (Schreiber & al., 1991) et le
fonctionnement su système hippocampique (Norman & al., 2008).
Conclusion
Les méthodes de neuro-‐imagerie offrent donc aux sciences cognitives l'indicateur
cérébral qui leur manquait. C'est un progrès considérable à condition qu'il ne
s'accompagne pas d'un affaiblissement des règles méthodologiques de la recherche
expérimentale. Or c'est loin d'être le cas et la majorité des bases d'images cérébrales ne
catégorisent souvent les processus cognitifs que de façon globale et peu opérationnelle
(mémoire, langage, conscience, etc.). Les inférences inverses et la méthode soustractive
sont, dans ces conditions, particulièrement risquées. En effet le risque est grand alors de
localiser, de façon parfois compulsive, des entités cognitives (souvent mal définies), qui
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mettent sans doute en œuvre une interaction complexe entre de nombreux systèmes
cérébraux. Plus un processus cognitif est complexe, et plus il fait intervenir, dans
l'espace et le temps cérébral, un nombre important de sous-‐systèmes selon une
dynamique de toute évidence non linéaire.
L'avenir, dans ce domaine, se caractérisera sans doute par la substitution
progressive de modèles d'intégration fonctionnelle aux modèles classiques de
localisation des processus cognitifs dans le cerveau. De toute façon, la neuro-‐imagerie
cognitive ne sera féconde que si elle est précisément associée à l'approche
computationnelle des processus cognitifs et à leur formalisation algorithmique.
Assembler ces trois approches est précisément le programme des sciences cognitives et
celui-‐ci ne pourra être réalisé, bien évidemment, par les seules neurosciences car,
comme le remarque Michael Gazzaniga (2010, p. 291) : « Understanding how each and
every neuron functions still tells us absolutely nothing about how the brain
manufactures a mental state ».
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Guy TIBERGHIEN
Professeur Honoraire à l'Institut Universitaire de France
Courriel : tiberghien@isc.cnrs.fr
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