Comment le genre traverse le sexe Thierry HOQUET Université LYON 3, France Espace Mendès-France 7...

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Comment le genre traverse le sexe

Thierry HOQUETUniversité LYON 3, France

Espace Mendès-France 7 février 2013

Poitiers 20-22 mai 2004

Congrès de la Société Française d’Histoire des Sciences et des Techniques

Les femmes comme « techniciennes invisibles »

(Shapin)

Rosalind Franklin (1920-1958)

Sexe: différents niveaux

Sexe 1: échange génétiqueSexe 2: reproduction sexuée (méiose et

fécondation)Sexe 3: comportements sexuels

(comportements de copulation entre individus)

Les bactéries baisent-elles?

Genre

Le genre est « un élément constitutif des relations sociales fondées sur des différences perçues entre les sexes […] une façon primaire de signifier des rapports de force. »

Joan Scott, « Gender : a useful category of historical analysis » American historical review, 91 (1986), pp. 1065-1067

L’administration des intersexes

• Robert Stoller, John Money. • Réassignations de sexe: flexibilité du genre

(« sexe social » ou « identité sexuelle » de l’individu) indépendamment des chromosomes (sexe génétique)

Sexe/Genre• Sexe : différences biologiques entre mâles et

femelles. socle anhistorique (reproduction)• Genre : système lié à la classification sociale.

influences culturelles, historiques, etc. • Une tentative pour séparer constats de faits et

jugements de valeur

Jusqu’où le sexe? t. I, p. 134 : « … l’empreinte sexuelle est si

profonde, si universelle, qu’à l’aide d’une observation scrupuleuse et détaillée, on parvient encore à en découvrir quelques traces dans la vie de nutrition. On retrouve ces traits plus ou moins prononcés du sexe dans les derniers replis, dans les profondeurs de l’organisme ; […] Ces prodiges de digestion, ces êtres qui jouissent de la faculté de dévorer rapidement une grande quantité de nourriture, ont presque toujours été de notre sexe ; et par opposition, les femmes ont fourni le plus grand nombre des exemples d’abstinences prolongées. »

Jusqu’où le sexe? (Darwin, Descent of man)

Ce qui établit la distinction principale dans la puissance intellectuelle des deux sexes, c’est que l’homme atteint, dans tout ce qu’il entreprend, un point auquel la femme ne peut arriver, quelle que soit, d’ailleurs, la nature de l’entreprise, qu’elle exige ou une pensée profonde, la raison, l’imagination, ou simplement l’emploi des sens et des mains. Que l’on dresse deux listes des hommes et des femmes qui se sont le plus distingués dans la poésie, la peinture, la sculpture, la musique, y compris la composition et l’exécution – l’histoire, la science, et la philosophie : les deux listes d’une demi-douzaine de noms pour chaque art ou science, ne supporteront pas la comparaison. Nous pouvons ainsi déduire de la loi de la déviation des moyennes, si bien expliquée par M. Galton dans son livre sur le Génie héréditaire, que si les hommes ont une supériorité décidée sur les femmes en beaucoup de points, la moyenne de la puissance mentale chez l’homme doit excéder celle de la femme.

Le règne des confusions fâcheuses

Le sexe et le genre

le fait et le droit l’actuel et le potentiel l’histoire et la nature

Notre message aux extra-terrestres

Pioneer 10 (1972)

Carl Sagan (1934-1996)

Des biais dans la représentation?

Mais… jusqu’où?

♀♂

Femelles et mâles ?

♀♂… ou Vénus / Mars ? Beauté / GuerreMiroir / Glaive

Le genre absorbe le sexe

« Une fois contesté le caractère immuable du sexe, peut-être ce construit qu’on appelle le « sexe » est est aussi culturellement construit que le genre; en réalité, peut-être a-t-il été toujours déjà du genre, avec pour conséquence: que la distinction entre sexe et genre ne distingue rien du tout. » (Judith Butler, Gender Trouble, 1990, p. 9-10)

1/ Comportements sexuels:

sélection sexuelle, anisogamie … et biais genrés

Sélection sexuelle (Darwin 1859, 1871)

• Combat entre mâles• Choix de la femelle

• « Coy females, eager males »

• Wallace: la vigueur supérieure des mâles?

La femelle qui n’a jamais évolué?Antoinette Blackwell, The sexes

throughout nature (New York, 1875)

« Avec un grand luxe de détails, [Darwin] a illustré sa théorie de la manière dont le mâle a probablement acquis plus de caractères masculins ; mais il ne semble jamais avoir pensé à regarder si oui ou non, les femelles avaient développé des caractères féminins équivalents. »

Geddes & Thompson, The Evolution of sex, 1889

L’argument de l’anisogamie

Les deux graphiques de Bateman (1948): nombre de partenaires / fécondité

Tang-Martinez Z , Ryder T B Integr. Comp. Biol. 2005;45:821-830

Le gradient de Bateman

Bateman 1948« La cause primaire de la sélection intra-masculine semble donc être que les

femelles produisent bien moins de gamètes que les mâles. Par conséquent, il y a une compétition entre les gamètes mâles pour la fécondation des gamètes femelles. Et cette compétition est bien plus intense que celle qui a été étudiée jusqu'ici, entre les zygotes. La caractéristique primaire de la reproduction sexuelle est, à coup sûr, la fusion des gamètes sans égard à leur taille relative, mais la spécialisation en grands gamètes immobiles et en petits gamètes mobiles produits en quantité excessive (la différence sexuelle primaire) fut une étape évolutionnaire précoce. On s’attendrait donc à trouver, à quelques exceptions près, dans tous les organismes très primitifs, et chez ceux où la monogamie se combinant à une sex-ratio 1 :1 a éliminé toute sélection intra-sexuelle, à ce que les mâles manifestent une sélection intra-sexuelle plus grande que les femelles. Cela expliquerait pourquoi chez les organismes à un seul sexe [unisexuels], il y a presque toujours la combinaison d’une avidité sans discrimination chez les mâles et une passivité avec discrimination chez les femelles. Même chez les espèces à monogamie dérivée (par exemple l’homme), on peut s’attendre à ce que cette différence sexuelle persiste comme une relique. »

Moulay Ismail ibn Sharif(1646-1727)888 descendants, pour un nombre xxx de copulations?

Le sexe veut absorber le genre• Hormones : permettent aux hommes d’être plus

catégoriques, plus combattis, … et d’emporter les meilleures places au travail.

• L’argument de l’anisogamie entraîne que les mâles/hommes sont plus naturellement polygames et les femmes/femelles monogames, et ce du fait de leurs investissements inégaux.

• D’où du conflit sexuel: … et le viol : une simple affaire de copulation contrainte, comme on la rencontre chez les punaises? (Thornhill et Palmer 2001).

Le genre (c’est-à-dire les représentations hétérocentrées) ont traversé le sexe au moins

deux fois

• Dans la vision traditionnelle: « téléologie sexuelle »: les individus sont attirés l’un vers l’autre en vertu d’un destin (Schopenhauer)

• Dans la vision 1970s: le conflit sexuel généralisé et individualiste: le destin est incorporé dans les gènes (Dawkins)

Que voit-on en réalité?

• Le spermatozoïde « féconde » l’ovule ?• Activité/Passivité ? • Matière /Forme? (Aristote)• Parasite/Hôte?• Deux particules égoïstes en compétition ?

L’obsession SRY

• La femelle comme développement « par défaut » ? (René Habert)

• Aujourd’hui : « pas d’hormones dans le développement femelle »

La nouvelle frontière?

Le cas de la primatologie

• Irven DeVore: ‘mâle dominant’• Mais que font les femelles ?

• Travaux de Jane Goodall, Thelma Rowell, Sarah B. Hrdy, Linda Fedigan…

Pourquoi les femmes ont-elles pu changer la science?

Le mythe de la femelle « chaste »

(coy)

• Le terme « coy » a empêché de voir que les femelles étaient très souvent actives sexuellement.

• Il a recouvert de significations socio-culturelles un fait biologique : le fait que les femelles soient discriminantes dans le choix de leur partenaire, dans la mesure où elles ne sont pas contraintes par les mâles.

Attention au vocabulaire « Je ne peux m’empêcher de m’interroger : quels termes

seraient employés si les rôles sexuels étaient inversés ? Est-ce qu’un investisseur (mâle) ou un directeur d’entreprise serait appelé « faussement timide » parce qu’il ne se jette pas tête baissée sur la première proposition ? Si les mâles étaient difficiles dans le choix de leurs partenaires, est-ce qu’ils seraient « rétifs  » ou bien plutôt discriminants, judicieux, responsables, prudents, pleins de discernement ? (Et, à ce propos, est-ce que les femmes seraient « avides » — ou bien seraient-elles délurées, légères, capricieuses, effrontées. » (Helena Cronin, 1994, p. 248)

Critiques du paradigme de Bateman

• Bateman n’a jamais observé les comportements des mouches.

• Choix de l’espèce de mouche: dans d’autres espèces, la femelle aurait dû recopuler plus fréquemment.

• Il peut y avoir eu des biais expérimentaux forts. (P. Gowaty)

2/ Extension du bestiaire naturaliste:

en finir avec l’arche de Noé?

L’arc-en-ciel de l’évolution Joan Roughgarden: née Jonathan en 1946.

L’Arc-en-ciel de l’évolution., Berkeley, University of California Press, 2005.

The Genial Gene, tr. fr. Le Gène généreux, Le Seuil, 2012.

Hétérocentrisme implicite

XX, XY: • Le sexe est une propriété de l’individu.

• Dès la fécondation, le sexe de l’individu est défini.

• Le sexe est le moyen pour l’espèce de se reproduire/de se maintenir (par réparation ou variation)

• L’individu est soumis à une téléologie reproductive implicite (l’espèce).

Extension du bestiaire sexuel

Comprendre ce qu’il en est réellement du concept de sexe dans la nature

Déjouer l’hétérocentrisme et l’anthropocentrisme implicites de la biologie

Un « naturalisme queer » ou « alternaturalisme » ?

Mettre « le sexe » à sa place

Roughgarden: Ce qu’on sait: 1/ Un grand nombre d’espèces se reproduisent

sexuellement 2/ Il existe un binarisme quasi universel des

gamètes3/ Ce binarisme des gamètes constitue la seule

définition biologique de ce que sont un mâle et une femelle.

D. bifurca

Même ce schéma gamétique pourtant minimal souffre des exceptions.

Ce que nous disent les fleurs

Le sexe n’est pas une caractéristique de l’organisme tout entier mais une fonction qu’on peut attribuer à certains organes.

Hermaphrodisme protogyne (FtM)

• Cas du mérou brun= d’abord femelle, puis mâle (à partir de 9 ans).

• Explication classique: il est avantageux pour un mâle d’être gros pour s’emparer des harems de femelles …

Tout ce qu’on ne nous a pas dit sur Nemo

• Mâles et femelles : fonctions variables de l’environnement. Transsexualité chez les poissons clowns: « protandrie » (MtF)

Détermination thermodépendante du sexe

(non chromosomique)Tortues: température d’incubation: 25°C: masculinisante30°C: féminisante.

Le sexe: pas une nécessité Mouches cécidomyiidées: 2 modes de reproduction: Soit elles se développent, d’abord dans des œufs, puis se métamorphosent en larve et en chrysalide avant de devenir des mouches capables de

se reproduire sexuellement. Soit les femelles se reproduisent par parthénogenèse: elles arrêtent très tôt leur développement (se reproduisent à l’état de larve ou de

chrysalide) et donnent naissance à leurs petits sans avoir été fécondées. Les petits se développent à l’intérieur même de la mère. I

• Le sexe (la production de mâles) n’est pas une nécessité pour la reproduction. C’est une stratégie pour

laquelle les vivants peuvent opter ou non, en fonction des circonstances.

Le harem naturel ?• Le Bœuf & Peterson, « Social

status and mating activity », Science, 163-91 (3 Jan. 1969).

• quatre mâles (6% d’entre eux) ont fécondé à eux seuls 88% des 120 femelles.

• Les 67 autres ne sont responsables que de 12% des accouplements. Dans un autre groupe, un seul mâle a assuré 73% des accouplements.

Absence de dimorphisme

La pie(Pica hudsonia)

« inversion des rôles sexuels »

Jacanas, phalaropes

Le concept de « genre » dans le règne animal

« Le genre est l’apparence, le comportement et le déroulement de la vie d’un corps sexué. » (J. Roughgarden)

Les espèces animales sont-elles exclusivement bi-genres?

Le coq

Jacques de Sève, Le Coq, in Buffon, Histoire naturelle des oiseaux, t. II, Paris, Imprimerie royale, 1771. © www.buffon.cnrs.fr

« On voit souvent dans les basses-cours un coq sevré de poules, se servir d’un autre coq, d’un chapon, d’un dindon, d’un canard… Qui sait tout ce qui se passe en amour au fond des bois ? qui peut nombrer les jouissances illégitimes entre gens d’espèces différentes ? »

Idées reçues (à compléter, corriger, etc. )

• Un organisme est exclusivement mâle ou exclusivement femelle pendant toute la durée de sa vie?

• Les mâles ont des chromosomes XY et les femelles des chromosomes XX ?

• Les espèces parthénogénétiques sont des impasses évolutives?

• Le mâle et la femelle n’ont pas le même aspect ?• Les femelles donnent naissance, et non les mâles?• Le mâle contrôle les femelles?• Les femelles sont monogames et les mâles aiment batifoler?• Il n’y a que deux genres, correspondant aux deux sexes?

3/ Réflexion sur la nature de la science

Le sexe de la science

François Peyrard, De la Nature et de ses Lois, Paris, Chez Louis, 1793.

« O Mortel, reviens à la nature »

Isis Journal of the History of

Science Society(George Sarton, 1913)The temple of Neith in Sais: « I

am the things that are, that will be, and that have been. No one has ever laid open the garment by which I am concealed. The fruit which I brought forth was the sun »

Louis Ernest Barrias La nature se dévoilant devant la science (1889) Nature revealing herself to science. (sculpture for the School of Medicine in Bordeaux).

Joseph Glanvill (1636-1680)

Vanity of Dogmatizing : Nature’s coarser wares are easy to see, but « her choicer riches are locked up only for the sight of them that will by at the expense of sweat and oil ».

Le regard du savant violeur

• Des orientations anti-femmes et anti-nature ? • Cas des biches de Harvey.

Susan Griffin, Woman and nature. 1978. Carolyn Merchant, Death of nature. 1980.

« écoféminisme »

Barbara McClintock

« A feeling for organism »? (E. Fox Keller)

Conclusions 1

• La biologie (bestiaire queer, arc-en-ciel de l’évolution) offre des ressources pour un « alternaturalisme ».

Un pied de nez au naturalisme conservateur.

• Aucune conséquence à en tirer pour l’espèce humaine, mais des outils pour déconstruire l’hétérocentrisme de la biologie et pour relativiser les arguments qu’on nous assène sur « la Nature ».

Conclusions 2

• Inviter les biologistes à avoir un regard réflexif sur leurs métaphores, notamment par rapport à l’histoire de leur discipline

• Utiliser le féminisme comme un outil de contrôle expérimental des biais.

« Culture shapes bones »« Our bodies physically imbibe culture »

« If ‘facts’ about biology and ‘facts’ about culture are all in a muddle, perhaps the nature/nurture dualism, a mainstay of feminist theory, is not working as it should. » (p. 1492-3)

« In thinking about both gender and race, feminists must accept the body as simultaneously composed of genes, hormones, cells and organs — all of which influence health and behavior — and of culture and history ». (p. 1495)

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