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Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
Dalinians
CONFERENCE
LA PERSISTANCE DE LA MEMOIRE
HISTOIRE D’UN TABLEAU
La persistance de la mémoire, 1931
Huile sur toile. 24,1 x 33 cm. The Museum of Modern Art, New York
L’œuvre La persistance de la mémoire est devenue l’une des
œuvres les plus représentatives et les plus mystérieuses de
Salvador Dalí peinte à l’âge de 27 ans seulement.
Bien qu’on ne sache pas de façon sûre où fut réalisée la toile,
nous savons que durant les premiers mois de 1931, date à
laquelle est peinte la Persistance de la mémoire, Dalí et Gala se
trouvent à Portlligat. Peu de temps auparavant, concrètement
en mars 1930, ils avaient acheté une baraque de pêcheurs qu’ils
retapent. Pendant cette période, Dalí vit un processus de
transition très important aussi bien sur le plan personnel que
sur le plan créatif.
En 1929, Dalí entre pleinement en contact avec le mouvement
surréaliste, il rompt avec sa famille et par voie de conséquence
avec le Cadaqués de son enfance et de sa jeunesse. C’est aussi
l’époque où son père le bannit pour avoir blasphémé contre sa
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
Dalinians
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mère morte en 1921; et où il entame une relation avec une
femme mariée, Gala, d’origine russe, de dix ans son aînée et
mère de Cécile, fille issue de son union avec le poète Paul
Eluard.
Malgré cette expulsion du cercle familial, Dalí ne veut pas
s’éloigner de Cadaqués et il s’installe à Portlligat, situé plus au
nord en direction du Cap de Creus, où quatre baraques de
pêcheurs constituent un petit hameau. Pendant la période
1929‐1932, au moment où Dalí peint La persistance de la
mémoire, les séjours à Portlligat alternent avec des périodes
dans leur appartement de Paris et des séjours chez des amis et
des connaissances aussi bien à Paris qu’en Espagne. C’est donc
dans ce contexte de grande tension et de branle‐bas que Dalí
peint l’une des œuvres les plus emblématiques de sa
production: La persistance de la mémoire.
On peut contextualiser la vie et l’œuvre de Dalí de cette
époque en rappelant que 1930 correspond à la fin de la
dictature de Primo de Rivera instaurée en 1923 et que le 14
avril 1931 est proclamée la IIème République en Espagne. Sur
le plan artistique, les années de la République (1931‐1936)
peuvent être définies comme des années de grande
effervescence, de bouleversements et d’enthousiasme mais
finalement un moment trop court pour que les initiatives mises
en place donnent leurs fruits et que de nouveaux projets
puissent se développer.
Barcelone devient la capitale des manifestations artistiques
d’avant‐garde; apparaissent des groupes qui révolutionnent le
panorama culturel : GATCPAC (Groupe d’Architectes et de
Techniciens Catalans pour le Progrès de l’Architecture
Contemporaine) se constitue comme association en 1930 ; ses
membres se définissent comme des architectes rationalistes
ayant pour objectif de contribuer au progrès de la nouvelle
architecture afin qu’elle s’adapte au temps nouveau; c’est‐à‐
dire qu’ils défendent une modernisation de l’architecture. Il y a
aussi ADLAN (Amis de l’Art Nouveau), association
constituée en 1932 de caractère spirituel et de soutien à l’art le
plus à l’avant‐garde. Le groupe se dissout au début de la
Guerre Civile.
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
Dalinians
Salvador Dalí devant sa maison de Portlligat, c. 1931
C’est dans ce contexte artistique, social, politique et culturel
que Salvador Dalí crée La persistance de la mémoire.
Au sujet de l’œuvre, nous pouvons dire presque en toute
certitude que le paysage qui apparaît est celui de Portlligat et
par extension celui du Cap de Creus. La grande relation et
l’attachement de Dalí à cet environnement est une constante
dans son œuvre, présente tout au long de sa trajectoire
artistique et l’un des dénominateurs daliniens. L’artiste sent
une admiration et un respect inconditionnels pour Portlligat
qu’il exprime aussi bien picturalement qu’à travers ses propres
mots :
« Je me suis construit sur ces grèves, j’y ai créé mon
personnage, découvert mon amour, peint mon œuvre, édifié
ma maison. Je suis inséparable de ce ciel, de cette mer, de ces
rochers : lié à jamais à ce Portlligat – qui veut dire port lié‐ où
j’ai défini toutes mes vérités crues et mes racines. Je ne suis
chez moi qu’en ce lieu; ailleurs je campe. Il ne s’agit pas
seulement de sentiment mais de réalité psychique, biologique
– surréaliste. Je me sens relié par un véritable cordon ombilical
à la totalité vivante de cette terre. 1»
1 Dalí, S. ; Parinaud, A. (1973) Comment on devient Dalí. Paris : Opera Mundi, p. 159
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
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En 1931, quand Dalí peint La persistance de la mémoire, le
paysage constitue déjà un élément primordial dans son œuvre.
Les toiles réalisées entre les années 30 et 31 incorporent au fur
et à mesure des horizons élevés, les rochers du Cap de Creus et
cette lumière si particulière de l’Empordà.
La persistance de la mémoire se caractérise donc par un paysage à
l’horizon en hauteur, couronné par la mer, avec un ciel
crépusculaire et des falaises escarpées sur le côté droit. Dalí
offre une vision simple et austère de la nature, un paysage
plutôt statique qui transmet une certaine idée de stérilité. La et
par une impression de congélation de l’instant.
La persistance de la mémoire, 1931
Huile sur toile. 24,1 x 33 cm. The Museum of Modern Art, New York
Ce paysage se voit interrompu par trois montres molles et une
quatrième de rigide qui donnent de nombreuses significations
à l’œuvre. L’une des montres molles pend d’une branche
d’olivier; une autre, tout aussi déformée, repose sur la forme
amorphe, apparemment endormie, qui occupe le centre de
l’œuvre. Le visage pourrait bien être un autoportrait de Dalí,
car il présente de nombreuses similitudes avec d’autres visages
de la même époque, comme par exemple celui qui apparaît
dans l’œuvre Le grand masturbateur (1929), où Dalí s’auto
représente et s’identifie aux traits des rochers du Cap de
Creus. La dernière montre molle s’appuie sur le meuble situé
sur le côté gauche. Dessus il y a de plus une mouche posée, qui
nous invite à faire un jeu de mot du genre “le temps s’envole”.
Chacune de ces trois montres marque une heure différente (il
semble être entre 18 et 19h heures, heure crépusculaire), ce qui
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
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insinue la relativité du concept de temps. En contraste avec les
montres molles, il y a une quatrième montre rigide, qui, au lieu
d’indiquer l’heure, est couverte de fourmis et placée sur
l’envers.
Il est évident que Dalí évoque ici l’une des préoccupations les
plus artificielles et abstraites inventées par l’homme :
l’obsession de contrôler le temps par les heures que marque la
montre. Le temps qui passe, sa relativité et son écoulement
sont des concepts envisagés et largement développés par les
auteurs qui ont étudié cette peinture. Dalí déforme les
instruments même qui doivent nous informer sur le temps et il
en annule la fonction. Toutes les montres marquent une heure
différente et la seule qui maintient sa rigidité initiale est peinte
retournée sur l’envers et infestée de fourmis.
Le grand masturbateur, 1929
Huile sur toile, 110 x 150 cm. Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía,
Madrid. Legs Dalí
L’inutilité du temps devient évidente à partir du moment où
son symbole (la montre) a été détruit. Il est plus intéressant de
conserver la mémoire et de demeurer dans le passé que
d’avancer vers un présent et un futur. Dalí revendique
l’absence de temps, par laquelle nous goûtons bien davantage
à sa présence éternelle. Il juxtapose avec élégance l’infini d’une
scène comme le paysage, avec des objets qui nous rappellent à
chaque instant la fugacité des instants et des choses; tout est
éphémère et fuyant. C’est cette volonté de demeurer dans
l’hier et de se souvenir d’un passé sans contrôle du temps qui
finit par donner son titre au tableau: La persistance de la
mémoire.
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
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A La Vie Secrète de Salvador Dalí, l’artiste lui‐même nous
explique le moment de création du tableau:
Manuscrit original de La vie secrète de Salvador Dalí où le peintre explique
le moment d’inspiration de la création du tableau.
« Cela se passa un soir de fatigue. J’avais une migraine,
malaise extrêmement rare chez moi. Nous devions aller au
cinéma avec des amis et au dernier moment je décidai de rester
à la maison. Gala sortirait avec eux et moi je me coucherais tôt.
Nous avions terminé notre dîner avec un excellent camembert
et lorsque je fus seul, je restai un moment accoudé à la table,
réfléchissant aux problèmes posés par le « super mou » de ce
fromage coulant. Je me levai et me rendis dans mon atelier
pour donner, selon mon habitude un dernier coup d’œil à mon
travail. Le tableau que j’étais en train de peindre représentait
un paysage des environs de Portlligat dont les rochers
semblaient éclairés par une lumière transparente de fin de
jour. Au premier plan, j’avais esquissé un olivier coupé et sans
feuilles. Ce paysage devait servir de toile de fond à quelque
idée, mais laquelle ? Il me fallait une image surprenante et je
ne la trouvais pas. J’allais éteindre la lumière et sortir, lorsque
je « vis » littéralement la solution : deux montres molles dont
l’une pendrait lamentablement à la branche de l’olivier. Malgré
ma migraine, je préparai ma palette et me mis à l’œuvre. Deux
heures après, quand Gala revint du cinéma, le tableau qui
devait être un de mes plus célèbres, était achevé. Je la fis
asseoir devant et fermer les yeux.
‐ Un, deux, trois. Regarde maintenant, tu peux…
Je l’observai à mon tour tandis qu’elle fixait le tableau et que
son visage reflétait son étonnement émerveillé. Je fus donc
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convaincu de l’efficacité de mon image, car Gala ne se trompe
jamais.
‐ Penses‐tu que dans trois ans tu auras oublié ce
tableau ? lui demandai‐je.
‐ Personne ne peut l’oublier après l’avoir vu2. »
Les dimensions de La persistance de la mémoire sont de 24 x 33
cm; ces dimensions si réduites témoignent du soin et de la
minutie utilisés par Dalí. Nous pouvons dire que la technique
picturale est excellente et qu’on y trouve la volonté d’imiter
l’art des peintres classiques si admirés par Dalí. Dans les
œuvres des années 30‐32, on retrouve de façon réitérative les
éléments de la mer, les rochers du Cap de Creus, la petite
pierre blanche à l’ombre allongée, le ciel de l’Empordà, le
paysage aride et l’usage des couleurs terreuses. Tout autant
d’éléments présents également à La persistance de la mémoire.
Durant cette époque, Dalí utilise principalement des toiles de
petit format déjà préparées industriellement; c’est‐à‐dire qu’il
les achète montées sur un châssis de bois avec une couche
d’apprêt sur laquelle il applique la peinture.
Le processus créateur de Dalí à l’heure de peindre La
persistance de la mémoire pourrait se résumer de la façon
suivante: il commence par faire une ébauche au crayon en vue
de délimiter les formes et la composition. Il étend dessus la
première couche de peinture du fond, de façon fluide et
uniforme : la mer, la terre, la table, etc. Ensuite il continue en
peignant les différents objets et éléments, à base de délicats
petits coups de pinceau, et détermine ainsi les volumes et les
ombres. Finalement les derniers coups de pinceau sont
destinés aux détails les plus petits comme la mouche, les
fourmis et les cils de la tête molle. Il réalise la signature à la
peinture noire à l’aide d’un pinceau extrêmement fin. Il faut
remarquer que c’est l’une des premières fois que Dalí écrit le
mot “Olive” au lieu de Gala avant son nom à lui. “Olive” est
un surnom affectueux qu’il utilise pour nommer sa muse en
référence évidente à son teint olivâtre.
2 DALÍ, S. (1952), La Vie Secrète de Salvador Dalí, Paris : La Table Ronde, p. 246.
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
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La composition de La persistance de la mémoire peut se définir
comme “ascendante en diagonale de gauche à droite”. Cette
organisation offre un équilibre parfait entre la zone des
montres molles et le foyer de lumière dorée des rochers.
Le poids des éléments représentés au premier plan de la scène:
montres molles, tête molle, meuble, olivier est compensé par la
lumière dorée des rochers à droite dans le fond. De plus, les
diagonales ascendantes formées par la perspective de la table
contribuent à conduire le regard vers ce point lointain illuminé
par le soleil déclinant. Le tableau conserve probablement son
cadre original, formé par une vitrine de bois avec un fond de
d’autres œuvres de Dalí de l’époque.
Composition de La persistance de la mémoire, 1931
En ce qui concerne l’histoire du tableau, La persistance de la
mémoire est présentée pour la première fois en public à Paris,
dans le cadre de l’exposition individuelle organisée à la
Galerie Pierre Colle en juin 1931. Le tableau réussit à éveiller
l’intérêt non seulement du public mais aussi de personnalités
du monde de l’art.
L’une des personnes en relation avec le monde de l’art, et qui
reconnaît immédiatement l’importance de La persistance de la
mémoire, est le galeriste new‐yorkais Julien Levy. Il est en visite
à Paris l’été 1931 au moment de l’exposition à la Galerie Pierre
Colle, à la recherche d’artistes pour la nouvelle galerie d’art
contemporain qu’il veut inaugurer en janvier 1932 à New
York. L’amitié entre Pierre Colle et Julien Levy favorise
l’accord suivant : Levy aura la responsabilité d’introduire Dalí
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et d’organiser une exposition aux Etats‐Unis. Avec ce pacte et
de façon non officielle, Colle et Levy deviennent associés
transatlantiques. Alors qu’il avait déjà vendu deux Dalí à deux
collectionneurs américains, Colle vend La persistance de la
mémoire à Levy pour la quantité de 250 dollars, prix de
grossiste jamais payé par le galeriste américain jusqu’alors.
Dans ses mémoires, le nouveau propriétaire des montres
molles relate la réaction familiale devant le tableau et explique
de quelle façon il pressent le succès que cette œuvre obtiendra
aux Etats‐Unis :
“[...] mon père a été content quand je lui ai dit que si le tableau
lui plaisait, il plairait “aussi à l’Amérique”. Il insista sans
succès pour que je change le titre de La persistance de la mémoire
pour celui des Montres molles. Mon père a certainement été le
premier, mais pas le dernier, à tomber dans cette banalité”3
Levy fait le voyage de retour aux Etats‐Unis avec «10 x 14
pouces de dynamite» dalinienne sous le bras. Dalí lui‐même
rappelle dans La vie secrète de Salvador Dalí le moment où
Julien Levy fait l’achat du tableau :
Julien Levy, galeriste et marchant d’art nord‐américain.
«Quelques jours plus tard, un oiseau venu d’Amérique acheta
mes montres molles que j’avais baptisées Persistance de la
Mémoire. Cet oiseau arborait de grandes ailes noires comme
celles des anges du Greco. Si l’on ne voyait pas ses ailes noires,
3 LEVY, J. (1977). Memoir of an Art Gallery. G. P. Putman’s Sons, New York. p. 71.
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
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en revanche on ne pouvait manquer de remarquer son complet
de toile blanche et son large chapeau de Panama. Il s’appelait
Julien Levy et c’était l’homme qui allait faire connaître mon art
aux États‐Unis. Julien Levy m’avoua qu’il considérait mon
œuvre comme très extraordinaire, mais anti publique et
invendable. Il accrocherait mon tableau dans sa maison pour
son plaisir personnel. Persistance de la Mémoire ne justifia pas
ces mauvais pronostics et fut vendue et revendue, pour
finalement aboutir au musée d’Art moderne dont c’est, sans
doute, le tableau le plus public. Je le vis souvent recopié en
province par des peintres amateurs qui n’en avaient vu qu’une
photo en blanc et noir, et inventaient donc les couleurs. Il
servit aussi à attirer l’attention du public dans les épiceries et
boutiques d’ameublement!4»
Il faut mentionner que l’arrivée de La persistance de la mémoire
aux Etats‐Unis a lieu dans le contexte suivant :
Le 24 octobre 1929 se produit la spectaculaire chute de la
bourse due à l’augmentation de la dette et à un marché des
valeurs surcapitalisé. Cette période des années 30 est connue
comme la Grande Dépression et la crise économique qui en
découle dure jusqu’au début de la Deuxième Guerre Mondiale.
En novembre de cette même année 1929 est inauguré le
Museum of Modern Art de New York (MoMA).
Dans le domaine artistique, les années 30 sont des années
d’activisme social et de peinture de caractère “réaliste”. C’est
le moment culminant du mouvement appelé Mouvement
Régionaliste représenté par Grant Wood (1892–1942), John
Steuart Curry (1897–1946) et Thomas Hart Benton (1889–1975).
Leurs peintures reflètent une certaine nostalgie du monde
rural et un amour envers leur terroir. De fait, le régionalisme
fut une révolte contre le phénomène de centralisation apporté
par la Révolution Industrielle : des usines qui centralisaient la
production à bas prix tout en provoquant la consommation des
masses et en réduisant le rôle de l’individu dans le processus
de production. Dans une société encore fortement marquée par
l’agriculture, avec de petits centres industriels comme Chicago
et New York, le Régionalisme revendique une image
4 DALÍ, S. (1952), La Vie Secrète de Salvador Dalí, Paris : La Table Ronde p. 247.
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
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autochtone et réaliste de l’Amérique. Ce régionalisme définit
une Amérique conservatrice face à la Modernité européenne
qui est en train d’arriver.
Grant Wood, American Gothic, 1930
Huile sur toile 74.3 x 62.4 cm. The Art Institute of Chicago
Dans ce contexte si éloigné de l’avant‐garde et de la
“modernité”, le galeriste Julien Levy (1906 – 1981) introduit
aux Etats‐Unis à la fois La persistance de la mémoire et l’artiste
Salvador Dalí. Levy est considéré comme l’un des
collectionneurs les plus intrépides et pionniers, introducteur
de l’art moderne aux Etats‐Unis, précisément à un moment où
le marché artistique est encore dominé par Paris et que
l’Amérique demeure ancrée dans le passé. Ses initiatives sont
jugées osées et innovatrices.
Si l’arrivée de La persistance de la mémoire aux Etats‐Unis est
due à Julien Levy, c’est en fait A. Everett (Chick) Austin, Jr.,
directeur du Wadsworth Atheneum Museum of Art de
Hartford, Connecticut, qui expose le tableau pour la première
fois en Amérique. L’amitié entre Levy et Austin permet que le
galeriste new‐yorkais prête La persistance de la mémoire pour
l’exposition qu’organise le Wadsworth Atheneum en
novembre de cette même année 1931. C’est précisément avec
cette exposition que le surréalisme et Salvador Dalí sont
présentés aux Etats Unis.
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
Dalinians
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Avec la présentation publique de l’œuvre, La persistance de la
mémoire commence à soulever toute sorte de commentaires
passionnés dans la presse de par son thème polémique. Les
journaux de l’époque se demandent:
«[…] Pourquoi des montres molles? [...] Quand l’une de ces
montres, comme s’il s’agissait d’une selle installée sur ce qui
pourrait être un cheval, l’objectif est que le spectateur
expérimente une sensation de pouvoir et cesse de se sentir
contraint par la rigidité des choses matérielles. Voilà un
univers des plus séducteurs, dans lequel une montre peut faire
office de selle à cheval ! Et ensuite le spectateur, fort de ces
nouvelles normes et de ce nouveau pouvoir, peut divaguer à
sa guise à travers la vaste plaine et explorer les falaises qui
s’élèvent dans le fond. Il y en a une qui est en or. Chacun a
pleine liberté pour satisfaire ses désirs occultes”5
Article d’un journal de Norwich, 23.04.1932
Avec l’exposition au Wadsworth Atheneum, La persistance de la
mémoire inaugure son périple à travers différentes villes
américaines. Levy, toujours propriétaire de l’œuvre, permet
qu’elle parcourt pendant quelques années New York (1932),
Cambridge (1932), Norwich (1932), Hartford (1933), à nouveau
New York (1933) et finalement Chicago (1934), ville où elle
5 “Il y a de la méthode dans la folie des super réalistes français dont les œuvres surprenantes
s’exposent chez nous en ce moment”, The Hartford Courant, 22 novembre 1931.
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
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apparaît encore dans le catalogue comme une œuvre “en
vente”.
En 1934, Alfred H. Barr, Jr., historien de l’art et premier
directeur du Musée d’Art Moderne de New York (inauguré en
1929), offre 250 dollars à Levy pour La persistance de la mémoire.
Levy, lui, en demande 400. Barr, dont le budget à l’époque est
de 1000 dollars pour acheter des œuvres durant les six
premières années d’existence du musée, assure à Levy qu’il
trouvera quelqu’un disposé à acheter le tableau et a en faire
don au musée. Et il en fut ainsi: en août 1934, Barr convainc
Helen Resor, magnat de la publicité et future patronne du
MoMA, qui assume l’achat de La persistance de la mémoire et la
donne au Musée d’Art Moderne. Bien qu’il s’agisse d’une
cession anonyme, en novembre 1943 le nom de Madame de
Stanley Resor apparaît déjà dans la presse de l’époque comme
acquéreuse du tableau.
Installation de l’exposition Literature and Poetry in painting since 1850, au
Wadsworth Atheneum de Hartford (1933), Connecticut.
DIGITAL IMAGE ©2009, The Museum of Modern Art/Scala, Florence
“[…] La persistance de la mémoire, une œuvre donnée
récemment au Musée d’Art Moderne par Mme Stanley Resor
et qui a déconcerté nombre des intrépides ayant gravi deux
étages de l’escalier du musée pour l’examiner”6. La
présentation de La persistance de la mémoire en tant que récente
6 “L’art surréaliste n’est plus un casse‐tête”, New York Times, 10 janvier 1935.
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
Dalinians
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acquisition a lieu lors de l’exposition organisée pour la
célébration du cinquième anniversaire du musée. Ce moment
précis est d’une grande importance dans l’histoire du tableau
puisque c’est celui où il passe des mains d’un collectionneur
particulier à la collection d’un musée pionnier comme le
Musée d’Art Moderne de New York.
La persistance de la mémoire est accueillie avec grand intérêt,
provoquant débats et caricatures sur la notion de temps et sa
flexibilité. La presse de l’époque salue également l’arrivée de la
peinture aux Etats Unis et les montres molles font la une des
journaux. Elles sont même interprétées psychologiquement:
« La Persistance de la mémoire a suscité un grand intérêt entre les
psychanalystes newyorkais bien qu’il n’y ait pas unanimité sur
les conclusions. Pour l’un d’entre eux la texture molle des
montres exprimait l’impuissance. Un autre a jugé que c’était
une excellente représentation de puissance, puisque le temps,
symbolisé par les montres, désignait un pouvoir capable de se
transformer en toute chose, même en selles sur lesquelles on
peut monter pour chevaucher vers la victoire en direction des
lointaines montagnes.»7
Caricature de Collin Allen dans Click, 1942
7 “La psychologie freudienne fait son apparition dans la première exposition surréaliste en Amérique”, The Art Digest, 15 janvier 1932.
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
Dalinians
Caricature de John Art Sibley dans Collier’s, 1946
Liste des voyages de La persistance de la mémoire:
1931 PARIS, France Galerie Pierre Colle 1931 HARTFORD, USA Wadsworth Atheneum Museum of Art 1932 NEW YORK, USA Julien Levy Gallery 1932 CAMBRIDGE, USA Harvard Society for Contemporary Art
1932 NORWICH, USA Converse Art Gallery at the Slater Memorial Museum 1933 HARTFORD, USA Wadsworth Atheneum Museum of Art
1933 NOVA YORK, USA
Julien Levy Gallery
1934 CHICAGO, USA
Art Institute of Chicago 1934 NOVA YORK, USA Museum of Modern Art A partir de ce moment, le tableau devient partie intégrante de la
collection permanente du MoMA 1939 BUFFALO, USA Albright Art Gallery 1955 POUGHKEEPSIE, USA Vassar College 1963‐1964 WASHINGTON, D.C., USA
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
Dalinians
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National Gallery of Art 1977 PARIS, France
Musée National d’Art Moderne 1980 LONDRES, Royaume Uni Tate Gallery 1994 NEW YORK, USA
The Metropolitan Museum of Art 2001‐2002 TOKYO, Japon Ueno Royal Museum 2002 ST. PETERSBURG, USA
The Salvador Dalí Museum
2003‐2004 HOUSTON, USA
The Museum of Fine Arts
2004 BERLIN, Allemagne
Neue Nationalgalerie
2007‐2008 LONDRES, Royaume Uni
Tate Modern
2008 LOS ANGELES, USA
Los Angeles County Museum of Art
2008 ST. PETERSBURG, USA
The Salvador Dalí Museum
2009 FIGUERES, Catalogne
Teatre‐Museu Dalí
Vingt‐et‐un ans après avoir peint La persistance de la mémoire,
Dalí crée une autre œuvre qui s’en inspire: La désintégration de
la persistance de la mémoire (1952‐1954), qui appartient
actuellement au Salvador Dalí Museum de Florida. Le peintre
mystico‐nucléaire de sa trajectoire et on remarque dans la
nouvelle œuvre la nature corpusculaire de la matière et les
aspects métaphysiques.
Désintégration de la persistance de la mémoire, 1952‐1954
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
Dalinians
Huile sur toile, 25,4 x 33 cm. The Salvador Dalí Museum.
Dalí lui‐même explique:
« Ici, c’est un tableau des « Montres Molles » qui ont été
beaucoup discutées (sic) parce que toujours on me demande
pourquoi elles sont molles, et je réponds toujours que : « Une
montre, qu’elle soit molle ou dure, ça n’a aucune importance,
l’important est qu’elle signale l’heure exacte. Dans ce tableau il
commence à y avoir des symptômes de cornes de rhinocéros
qui se détachent et font une allusion exacte à la
dématérialisation constante de cet élément se transformant de
plus en plus chez moi en un élément nettement mystique »8.
Bien que La persistance de la mémoire ait visité à plusieurs
reprises le continent européen, elle n’a jamais fait acte de
présence en Espagne. La visite de l’œuvre au Teatre‐Museu
Dalí en cette année 2009 est une expérience et une opportunité
uniques de voir l’un des tableaux les plus célèbres d’un artiste
admiré et reconnu mondialement.
J’espère qu’après ce bref voyage à travers l’histoire de la
Persistance, un voyage physique qui a eu lieu de fait entre
New York et Figueres, des Etats Unis à la Catalogne, du
MoMA au Teatre‐Museu Dalí, j’espère donc que vous jouissiez
du tableau en direct et en personne et que vous profitiez de
son séjour chez nous, puisque voilà 78 ans qu’il en est parti et
qu’il est maintenant momentanément parmi nous.
Anna Otero
Centre d’Estudis Dalinians
8 DALÍ, S. (1956), Aspects phénoménologiques de la méthode paranoïaque critique (conférence en Sorbonne). Paris : La Vie Médicale, p.81
Histoire d’un tableau : la Persistance de la mémoire – Anna Otero – Centre d’Estudis
Dalinians
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Des oeuvres de Salvador Dalí: © Salvador Dalí, Fundació Gala‐
Salvador Dalí, Figueres, 2009
De l’oeuvre de Salvador Dalí de la collection du Salvador Dalí
Museum: © Salvador Dalí, Fundació Gala‐Salvador Dalí, Figueres,
2009. Als USA: © Salvador Dalí Museum inc., St. Petersburg, Fl, 2009.
Des textes de Salvador Dalí: © Salvador Dalí, Fundació Gala‐
Salvador Dalí, Figueres, 2009
Droits d’image de Salvador Dalí réservés. Fundació Gala‐Salvador
Dalí, 2009
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