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L'Église adventiste du septième jour est née aux États-Unis au XIXe siècle. En France métropolitaine, elle compte environ 9000 membres, dont 750 dans le grand Sud-Ouest. Dans ce mémoire, je vais tenter de montrer comment, à travers les relations entre les membres, leur Église et la société englobante, deux modes de spatialisation coexistent chez les adventistes. Il s'agit en fait d'une distinction entre la Terre de la géographicité (Terre-sol) et celle de la territorialité (Terre-corps). Aucune réconciliation entre les deux modes de construction territoriale n'est envisageable, et la fin du millénium marque également celle de la Terre-corps. Toute géographicité ne peut donc être envisagée que dans une spatialité utopique.
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Constructions territoriales des adventistes dans le grand
Sud-Ouest
Pierre-Amiel GiraudMémoire de master 1 de géographie et aménagement
Année universitaire 2006 – 2007Sous la direction de André-Frédéric Hoyaux
Université Bordeaux 3 — Michel de Montaigne
UFR de géographie et d'aménagement
Constructions territoriales
des adventistes dans le
grand Sud-Ouest
Composition du jury
Président : CALAS Bernard, Professeur de géographie, Bordeaux 3 ;Premier membre : RIGAL-CELLARD Bernadette, Professeur d'anglais, Bordeaux 3 ;Deuxième membre : HOYAUX André-Frédéric, Maître de Conférences en géographie, Bordeaux 3.
Pierre-Amiel GiraudMémoire de master 1 de géographie et aménagement
Année universitaire 2006 – 2007Sous la direction de André-Frédéric Hoyaux
Soutenu le 21 juin 2007
« Tu t'inquiètes et t'agites pour bien des choses, mais une seule
est nécessaire. » (Luc, 10:41)
Ce mémoire ne l'est pas.
À Grégory, Jean-François et Rachel,
que l'Aspi 3000 ne pourra pas soulever de terre
au jour du grand retour.
RésuméL'Église adventiste du septième jour est née aux États-Unis au XIXe siècle. En France
métropolitaine, elle compte environ 9000 membres, dont 750 dans le grand Sud-Ouest. Dans ce
mémoire, je vais tenter de montrer comment, à travers les relations entre les membres, leur Église et
la société englobante, deux modes de spatialisation coexistent chez les adventistes. Il s'agit en fait
d'une distinction entre la Terre de la géographicité (Terre-sol) et celle de la territorialité (Terre-
corps). Aucune réconciliation entre les deux modes de construction territoriale n'est envisageable, et
la fin du millénium marque également celle de la Terre-corps. Toute géographicité ne peut donc être
envisagée que dans une spatialité utopique.
Mots-clefs : Adventisme, constructions territoriales, spatialité utopique.
AvertissementsLes citations de la Bible sont issues de la traduction de la Bible de Jérusalem. Bien que ce soit une
bible catholique, je l'ai utilisée d'une part car — et c'est le principal argument — c'est celle que je
possède, et d'autre part car il n'existe pas de version préférée par les adventistes. Ainsi, les Éditions
Vie et Santé proposent sur leur site d'acheter cette bible.
Les citations en anglais n'ont pas été traduites. Bien qu'on puisse considérer que cela rend le propos
incohérent, j'ai opté pour cette solution afin de ne pas devoir proposer à chaque fois la version
originale entre parenthèses, et pour ne pas risquer de trahir le sens voulu par l'auteur.
A part celles concernant spécifiquement l'Église d'Angoulême et sauf précision, les statistiques sur
l'adventisme proviennent du site www.adventiststatistics.org.
Les prénoms des membres enquêtés ont été modifiés, afin de préserver leur vie privée. Cependant, il
m'a semblé ridicule de cacher l'identité des pasteurs Thierry Mathieu et Philippe Aurouze, car
indiquer de quelle Église ils sont les pasteurs suffit à les identifier.
Ce mémoire contient des « je » et des « nous ». Ce n'est pas par manque de rigueur ou par hasard.
Quand je dis « je », cela signifie que les propos qui suivent relèvent de ma démarche de recherche,
tandis que lorsque nous lirons « nous », ce nous comprendra le lecteur et tente de l'impliquer dans la
lecture... pour mieux lui imposer mon point de vue?
Illustration de couverture : Affiche adventiste à Montpellier, avril 2002 (Photo Philippe Aurouze)
SommaireRésumé.................................................................................................................................................5Avertissements......................................................................................................................................61. Justifications : la foi et les œuvres....................................................................................................82. Présentation de l'Église d'Angoulême............................................................................................363. La Terre, un non-lieu?....................................................................................................................554. La Terre, une contrée toujours à conquérir.....................................................................................935. Proposition de synthèse................................................................................................................107Bibliographie....................................................................................................................................112Annexes............................................................................................................................................116Index des figures...............................................................................................................................127
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1. Justifications : la foi et les œuvresLes premiers mots sont bien souvent les plus difficiles. Non pas que trouver une accroche soit un
problème — ces lignes en constituent justement une — mais plutôt qu'il faille un certain culot pour
écrire un texte aux exigences universitaires : ces idées qui lors de leur apparition me semblaient si
lumineuses et novatrices ne sont-elles pas déjà présentes chez un auteur dont j'ignore l'existence?
Ces analyses in situ qui me paraissent si fines ne sont-elles pas le fruit d'un grossier contre-sens? De
quel droit puis-je contredire, ou ne serait-ce que préciser les propos d'un chercheur dont je n'ai peut-
être pas compris la pertinence? Et surtout : à quoi bon? En sciences humaines, une autre
interrogation offusque l'écriture, lui fait scandale, obstacle : qu'est-ce que tout ceci sinon une vaste
et insidieuse tentative d'incarcération générale des individus? En effet, chaque étude de groupe
humain est un recensement dont le dénombrement n'est qu'une partie, recensement qui permet
« d'accroître son information sur un groupe et donc son emprise sur lui » [Raffestin, 1981, p59].
Ces scrupules — peut-être de simples prétextes de fainéant ou de pisse-froid — ont longtemps
retardé la rédaction du présent mémoire. C'est finalement par nécessité — ou par peur des
conséquences d'une telle démission — que j'ai retroussé mes manches pour me mettre à organiser
toutes ces idées, plus ou moins confuses. Et adviendra que pourra !
Une introduction est toujours une double justification : sous couvert de vouloir faire entrer le lecteur
dans le sujet, on le met à la place juste, au lieu adéquat à partir duquel le sujet pourra se déployer. Il
s'agit donc de justifier à la fois le choix du-dit sujet d'une part, la problématique et les paradigmes
scientifiques mis en œuvre pour sa résolution d'autre part, le plan n'étant présenté qu'en tant que
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conséquence nécessaire des deux justifications précédentes. Cependant, un adventiste pourrait
rétorquer que le redoublement de la justification se trouve entre la justification du choix du sujet et
de sa problématique (justification par la foi) d'une part, la présentation du plan d'autre part
(justification par les œuvres) d'autre part, la double justification par la foi et par les œuvres étant
l'un des fondements théologiques de l'adventisme en tant qu'Église mondiale.
Celle-ci n'y échappe pas. Il s'agira donc d'abord d'élucider les éléments qui m'ont poussé à choisir
d'étudier les constructions territoriales des adventistes du septième jour, sujet qui me semblait aisé
au départ. Ensuite, seront abordés les principaux obstacles méthodologiques rencontrés — ou plutôt
décelés — souvent de manière imprévue — et qui ont rendu mon travail hasardeux ou périlleux,
ainsi que les ébauches de solution que j'ai cru bon d'y apporter. Seulement après viendra la
justification des limites topographiques comme épistémologiques du champ d'investigation, car
elles découlent pour une bonne part des questions méthodologiques abordées auparavant. Nous
pourrons alors présenter les modestes objectifs de recherche de ce mémoire, ce qui nous permettra
finalement d'en annoncer la structure générale.
1.1. Cheminement vers le sujet
Je connais et fréquente certains anciens membres de l'Église adventiste d'Angoulême depuis une
dizaine d'années maintenant. Les adventistes, mais plus généralement les personnes appartenant à
des groupes religieux minoritaires — des sectes comme je disais alors, m'intriguent depuis plus
longtemps encore : comment des gens peuvent-ils choisir des croyances et un mode de vie qui
parfois est si en porte-à-faux avec la culture ambiante? Comment est-il possible que des gens qui
sur certains points me semblent si proches puissent soutenir des idées qui me paraissent parfois
risibles ou absurdes?
Ma proximité avec quelques adventistes semblait me faciliter l'étude car, extrapolant au groupe ce
que j'avais pu constater sur une ou deux familles qui me servaient d'étalon, je m'étais fait une idée
simple voire simpliste de l'adventisme. Pensant assez bien maîtriser ses allants-de-soi, la « clé de la
compréhension » [Luze, 1997, p23] du groupe me semblait à portée de main et une première
approche de l'ethnométhodologie semblait me donner raison. C'était sans compter de nombreux
problèmes.
1.2. Problèmes méthodologiques et éventuelles solutions
Lors de mes premières confrontations avec des adventistes autres que ceux que je connaissais déjà
avant l'étude, je fus pris de vertige : pas un ne semblait penser la même chose que son voisin, pas un
ne pratiquait sa religion comme son prochain — même si, comme le fait très justement remarquer
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Pierre Desproges, le voisin est parfois le contraire du prochain. Constatation rassurante pour
l'individu : personne ne peut être réduit aux préoccupations d'un des groupes auxquels il appartient,
eût-il pour volonté de s'occuper de tous les aspects de la vie de ses membres. Constatation
effrayante pour le chercheur, qui voit s'envoler ses schémas d'explication bien propres du mode de
vie des membres d'un groupe qu'il supposait homogène. Mais une fois fait le deuil de ma naïveté,
des problèmes un peu plus sérieux m'attendaient, car la religion, en tant que « religiosante » — sur
le modèle de la nature naturante spinoziste, ne se laisse pas réduire à un phénomène géographique,
historique ou autre économique, car ces approches, ne peuvent rendre compte de la sacralité qu'en la
profanant ou en la « profanisant », c'est-à-dire en la rendant profane. Par ailleurs, sur certains
points, ma proximité étroite avec certains membres s'est révélée parfois difficile à assumer en cela
que la profanation de la religion a pu me sembler une violence faite à des gens que j'apprécie. En
outre, mes recherches d'ouvrages scientifiques sur l'adventisme ne me faisaient découvrir que des
écrits d'adventistes ou adventistes. Enfin, non content des difficultés déjà nombreuses que je
rencontrais, j'ai décidé d'exploiter plusieurs types de sources que je rencontrais, car toutes me
semblaient structurantes, ce qui demande aussi une clarification méthodologique.
1.2.1. Problèmes généraux concernant l'étude des religions en sciences humaines
Les religions sont un sujet très prisé en sociologie et plus généralement en sciences humaines.
Paradoxalement, le nombre de ces recherches, outre la quantité impressionnante de groupes
religieux existant, démontre peut-être aussi l'extrême difficulté qu'il y a à rendre compte de manière
scientifique d'un phénomène religieux, de la réalité d'un groupe dont, bien que maîtrisant certains
allants-de-soi, on ne peut accepter de faire entièrement partie sans trahir des convictions profondes.
« L'ethnométhodologie pose comme condition sine qua non, pour tout travail d'enquête, que
l'observateur soit membre (ou tente de le devenir) du groupe qu'il va décrire » [Luze, 1997, p25]. Je
n'ai pu que pratiquer l'observation participative. J'ai parlé de mon travail, de mes pistes de recherche
à certains adventistes. Par ailleurs, il est extrêmement difficile de départir les aspects qui reviennent
en propre à l'adventisme, au protestantisme, au christianisme en général, à des facteurs locaux
d'inculturation ou à des poins de vue personnels : je n'ai donc pas vraiment tenté de délimiter ces
différents aspects, d'autant qu'une religion n'est pas constituée uniquement de ses spécificités. Elles
me paraissent d'ailleurs marginales dans le cas de l'adventisme. Si l'on m'a rarement dit que je
faisais franchement fausse route, personne n'a été vraiment convaincu, comme si le phénomène
religieux, une fois décrit de manière profane, donc dans un registre qui n'est pas le sien, s'aliénait et
n'était plus entièrement reconnaissable. J'ai décidé tout de même de persister, après avoir cru que
cette « étrangeté » qu'éprouvaient les adventistes à ma lecture était due à des erreurs de ma part, car
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étudier de manière scientifique un phénomène religieux impose de fait une aliénation de l'objet, ou
plutôt un regard sur l'objet qui ne saurait être celui d'un membre en tant que membre : pour tenter de
pallier à ceci, il m'a semblé profitable d'utiliser, au même titre que des entretiens, des prédications
ou des débats de membres lors d'écoles du sabbat, afin de disposer de discours proférés depuis un
lieu (spatial comme ontique) religieux, par un individu religieux, dans une optique religieuse. Mais
l'interprétation même de ces discours, par moi ou par des membres lors d'entretiens ultérieurs, reste
elle-même une profanisation : ce n'est que reculer pour mieux sauter. Ceci ne remet pas en cause
l'absence d'idiot culturel que postule GARFINKEL en fondant l'ethnométhodologie dans les années
1950. Simplement, pour traduire scientifiquement un phénomène religieux, il faut être prêt à le
trahir. Avoir cette religion pour fondement ontologique ou être proche de personnes dans ce cas n'est
donc pas une situation très facile.
1.2.2. Proximité étroite avec l'objet d'étude
Ce deuxième problème vient renforcer le premier, en cela que ma proximité avec certains
adventistes d'Angoulême éveille en moi un sentiment de culpabilité à l'idée de profaner, c'est-à-dire
d'aborder de manière profane, des réalités qui pour eux sont sacrées et donc quelque peu
intouchables. Par exemple, le jour du Sabbat, central dans le discours identitaire adventiste, il est
interdit d'agir si Dieu n'est pas la finalité de l'action. Or, assistant au culte dans une optique profane,
je commettais une triple profanation : celle d'un temps saint, celle d'un lieu saint, celle d'un discours
saint. Heureusement, les fidèles m'ont expliqué que cela ne les gênait en rien. De même, je me vois
contraint d'écrire avec l'appréhension constante de blesser ou de choquer des personnes que
j'apprécie. Je leur demande donc par avance de m'en excuser.
1.2.3. Publications scientifiques sur l'adventisme seulement adventistes
Un deuxième problème que j'ai rencontré est lié à la littérature existant sur l'adventisme. Si l'on met
de côté les ouvrages du catholique Jean SÉGUY qui abordent parfois l'adventisme, je n'ai pu trouver
aucune étude sur l'adventisme émanant d'un non-adventiste. J'ai d'abord pensé qu'il s'agissait là d'un
problème de tout premier ordre car leur discours ne pourrait être que biaisé. Mais biaisé par rapport
à quelle hypothétique réalité objective? J'ai donc décidé de prendre ces études, mémoires ou thèses
reconnus universitairement, pour ce qu'ils étaient : des écrits scientifiques réalisés par des membres
sur leur groupe religieux. D'une certaine manière, cela résolvait partiellement mon pseudo-problème
d' « aliénation » du phénomène religieux lors de sa mise en ordre scientifique. De plus, cela me
permettait de faire un travail un peu plus intéressant que « le tourisme dans le bassin d'Arcachon ».
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1.2.4. Une masse de données protéiformes : classification et exploitation
Enfin, dernier et moindre de mes problèmes, car il résulte d'un choix, le caractère protéiforme des
données récoltées impose une classification stricte ainsi qu'une exploitation différenciée. En effet, il
eut été plus facile de se cantonner à un type de source précis, par exemple les entretiens semi-
directifs, les prédications ou encore les publications à vocation prosélyte. Cependant, il m'a semblé
plus riche de combiner toutes les sources qui étaient à ma disposition, afin de montrer des échos ou
des divergences entre les sources, dont non seulement la forme mais aussi l'origine et la finalité
diffèrent fortement. On peut distinguer :
• les sources qui s'adressent spécifiquement à moi : simples discussions, entretiens
informatifs, entretiens semi-directifs, courriels ;
• les discours et écrits destinés aux membres d'Église : Manuel d'Église, Ce que les
adventistes croient... 27 vérités bibliques fondamentales, rapports de missions, École du Sabbat et
prédications ;
• les publications adventistes à vocation prosélyte : prospectus, opuscules, CD-ROM,
pages internet et affiches publicitaires ;
• les ouvrages adventistes de nature scientifique, notamment les travaux de Ronald COFFIN,
Fabrice DESPLAN et Stefan HÖSCHELE — le premier et le dernier étant pasteurs ;
• les ouvrages scientifiques non-adventistes, traitant de problèmes géographiques ou
sociologiques.
Ces sources, parce que de nature différente, doivent faire l'objet d'un traitement spécifique. Si
l'usage des ouvrages scientifiques généraux permet de donner à cet essai d'analyse quelques grandes
lignes paradigmatiques et quelques cadres pour une réflexion un tant soi peu générale — ce qui
n'entre donc pas dans le cadre de l'ethnométhodologie, qui est destinée « à l'étude des
phénomènes... en s'abstenant de tout jugement sur leur pertinence, leur valeur, leur importance,
leur nécessité, les possibilités de les pratiquer, leur succès ou leurs conséquences » [Luze, 1997,
p25] — les ouvrages adventistes sont utilisés de manière à apporter un éclairage un peu plus interne
sur certaines réalités. Cependant, cette partition entre ouvrages adventistes et non-adventistes peut
sembler assez inutile, voire fondée sur une erreur, car cela pourrait revenir à refuser toute
scientificité à ces chercheurs — ou à ne leur reconnaître qu'une scientificité propre qui ne serait pas
réductible à celle des autres travaux universitaires. Max WEBER appelle neutralité axiologique le fait,
pour un chercheur, de présenter clairement ses positions idéologiques afin justement de les
neutraliser ou tout au moins de permettre au lecteur de savoir depuis quel lieu le discours est émis.
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Cette neutralité me semble devoir aussi valoir pour les sources utilisées : dès lors que l'origine et le
projet initial des documents utilisés sont explicités, on ne saurait les mettre de côté à cause d'un
hypothétique manque d'objectivité de la part de l'auteur.
Cependant, dans l'optique qui est la nôtre, nous tenterons de donner une place prépondérante aux
discours des membres — des prédications aux entretiens semi-directifs — afin de saisir au plus près
ce qui constitue leur territoire.
J'ai assisté à une dizaine de sabbats entre les mois de février et d'avril 2007, ce qui m'a permis
d'écouter de nombreux discours de membres sur des sujets variés qui, fort heureusement pour moi,
ont souvent porté sur la relation au monde extérieur, à la société englobante. De même, cette
observation participative m'a permis de prendre connaissance de cantiques dont le discours a parfois
trait à la territorialité c'est-à-dire de l'ensemble des rapports qu'entretiennent des individus
appartenant à une collectivité avec leur territoire [Raffestin, 1981, p145]. Les entretiens semi-
directifs, au nombre de dix, ont quant à eux été effectués entre le 20 mars et le 20 avril au domicile
de l'enquêté et après avoir pris rendez-vous avec lui au sortir d'un office. Enfin, les prospectus et
opuscules prosélytes m'ont été donnés par des membres ou trouvés dans la salle de culte.
Après m'être fourvoyé sur l'adventisme en extrapolant à partir d'individus-étalons, il me fallait
trouver un moyen de rendre compte de ce que je comprenais sans pour autant commettre une erreur
semblable, à savoir extrapoler à partir de l'Église d'Angoulême sur les autres Églises adventistes.
J'ai donc décidé, plutôt que de chercher dans ce que je trouvais des informations confirmant mes
premières hypothèses, d'en construire de nouvelles à partir des éléments épars dont je disposais. Ce
sont donc ces éléments qui ont posé à la fois le contenu et les limites de mon propos, passant ainsi
d'une démarche hermétique à une autre plutôt — car il est difficile de se débarrasser de ses vieilles
illusions — herméneutique.
1.3. Délimitation et description de l'objet de recherche
Nos investigations ont porté sur les constructions territoriales des adventistes dans le grand Sud-
Ouest. La question de la délimitation du sujet ne porte pas véritablement sur les limites de
l'adventisme, mais cette Église n'est pas assez connue pour que l'on puisse faire l'économie d'une
rapide présentation de son histoire, de ses dogmes et de son organisation. Ensuite, nous poserons le
problème des limites spatiales de notre champ d'investigation, avant enfin de nous demander quelles
sont les spécificités de la construction religieuse du territoire.
1.3.1. L'adventisme du septième jour
L'Église adventiste du septième jour, bien que comptant plus de quatorze millions de membres de
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par le monde dont 33 000 environ en Martinique et en Guadeloupe, n'est que peu connue en France,
et souvent comprise comme une secte évangéliste, comme le prouve un ouvrage tel que le tome 2 de
Les Sectes à visage découvert [Dagon, 1997], dont la couverture porte la liste des principaux
groupes religieux dont il sera question. Les adventistes y sont en deuxième place, juste après les
Témoins de Jéhovah. Il est donc nécessaire de présenter l'adventisme de manière dépassionnée, en
commençant par son histoire et en continuant par ses croyances et son organisation, avant enfin de
nous attacher au problème de l'inculturation de l'adventisme en France, autrement dit aux
adaptations de l'adventisme dans la culture française.
1.3.1.1. Origines et développement
Le titre de ce paragraphe reprend celui du mémoire d'histoire moderne de l'orateur adventiste John
GRAZ [Graz, 1974], l'une de mes sources principales sur le sujet, sans pour autant en suivre les
principales thèses. En effet, l'auteur y bâtit son discours en se fondant principalement sur les écrits
d'Ellen G. White (1827 - 1915), ce qui tend à accentuer l'autonomie, l'originalité du mouvement et
ne rend pas souvent compte des divers courants antécédants à la formation de l'Église et desquels
elle s'est inspirée. Nous nous intéresserons ici à savoir comment l'adventisme, de mouvement anti-
écclésial dans les années 1840, a reformulé son discours théologique et notamment sotériologique
afin de pouvoir s'assigner un territoire de mission bien plus vaste : le monde. Nous verrons ensuite
l'expansion de l'adventisme au cours du XXe siècle.
1.3.1.1.1. D'une méfiance envers toute forme d'autorité centralisée (1844 - 1863)...
Au début du XIXe siècle, les États-Unis connaissent ce qui a été appelé par la suite le Réveil. « Le
climat du réveil était caractérisé par l'individualisme et le littéralisme » [Coffin, 1981, p78]. Par
ailleurs, « le principe de l'idéologie dominante était associé et confondu avec le protestantisme et le
nationalisme américain, en d'autres termes : une méfiance profonde envers toute autorité
centralisée ». Notons tout de même que l'Église adventiste est par la suite devenue mondiale et
puissamment structurée. La figure la plus emblématique de ce réveil, considéré par ailleurs par
certains comme le père fondateur de l'adventisme, est sans conteste William Miller (1782-1849), un
fermier baptiste. Après une étude personnelle de la Bible, il annonce le retour du Christ pour 1843-
1844. Il se fonde pour cela avant tout sur Le Livre de Daniel et sur la compréhension du verset 8, 14
— « Jusqu'à deux mille trois cents soirs et matins, puis le sanctuaire sera rétabli dans ses
droits. » — comme étant 2300 ans à partir de 457 avant Jésus-Christ. D'après Ronald COFFIN, la
crise économique que connaissaient les États-Unis dans les années 1830-1840 n'est pas étrangère au
succès de William Miller car elle lui a « préparé le terrain » [Coffin, 1981, p29]. Il parvient en effet
à réunir plusieurs milliers de personnes de confessions différentes, qui abandonnent tout et attendent
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la parousie en robe blanche sur les collines. Après deux échecs successifs (mai et septembre 1844)
qui provoquent des désastres économiques dans les familles, beaucoup de fidèles repartent dans
leurs Églises d'origine, considérées comme autant de Babylone par les autres.
Pour autant, les millérites restant ne parvenaient pas à trouver d'unité. En sus des différents courants
qui cohabitaient en bonne intelligence, trois étaient considérés comme extrémistes par Miller lui-
même, qui ne les invita donc pas à la conférence d'Albany en avril 1845 [Graz, 1974, p42] : les
juges qui pensaient avoir reçu le pouvoir de juger les hommes, les spiritualistes qui estimaient que
le retour de Jésus était entièrement spirituel, et les adventistes qui respectaient le sabbat à cause de
l'influence de baptistes sabbatistes, notamment de Rachel Oakes Preston [Desplan, 2006].
Cependant, ces derniers sont d'accord avec Miller sur le fait que la date de 1844 a été mal
interprétée et non mal calculée. Ils en viennent à la conclusion que le sanctuaire désigné par l'ange à
Daniel n'est pas la Terre — contrairement à une interprétation traditionnelle qui remonte au moins à
Flavius Josèphe [Eliade, 1957, p43] — mais le sanctuaire céleste. C'est aussi à partir de 1844 que
Ellen G. White, méthodiste dont les parents se sont ralliés très tôt à la cause millérite, a ses
premières menstruations ainsi que ses premières visions. Elles n'ont cessé qu'avec sa ménopause
[Carson, 1957, p113]. Elle possède une très grande autorité aujourd’hui encore parmi les
adventistes, notamment car tout dans l'adventisme porte la marque de ses révélations, depuis la
correspondance des heures de début et de fin de sabbat avec le coucher et le lever du soleil — sauf
peut-être pour les adventistes vivant au-delà du cercle polaire — en passant par l'organisation
adventiste, jusqu'au qualificatif de « septième jour » qui apparaît en 1860 et qui se veut « un
reproche constant au monde protestant » [Desplan, 2006].
On voit donc bien qu'il y a une forte méfiance de l'adventisme primitif envers toute forme
d'organisation ecclésiale, ceci à cause de l'ostracisme dont ont été victimes beaucoup d'entre eux
dans leurs Églises d'origine. Pour eux, aussi bien l'Église catholique que celles protestantes font
l'œuvre de l'ennemi. Il est donc intéressant de voir que dès 1863, lors de la fondation officielle de
l'Église dans le Michigan par une Conférence générale réunissant huit personnes [Price-
Kreitz, 2000, p314], les adventistes se dotent d'une organisation hiérarchisée fédéraliste qui rappelle
celle des États-Unis.
1.3.1.1.2. ... à une organisation mondiale hiérarchisée très puissante (1885 - 1890)...
Un adventiste d'Angoulême m'a dit une fois lors de mes visites à l'église que, si l'on exclut les sectes
para-chrétiennes comme le mormonisme ou les Témoins de Jéhovah, « l'Église adventiste est la
seule Église chrétienne, avec l'Église catholique romaine, à posséder une organisation mondiale ».
Si cette affirmation est très discutable, il n'en reste pas moins qu'elle montre que le réferrent des
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adventistes au moins à Angoulême (car plusieurs membres se sont déclarés d'accord avec cette
affirmation) est l'Église catholique, qui apparaît comme une sorte de double inverse. Cependant, la
mise en place d'une organisation que les membres comparent à celle de Rome n'a pas été sans poser
de problème. En effet, l'ecclésiologie adventiste confond pour ainsi dire l'Église et la mission
[Höschele, 2005, p12n67]. C'est donc l'étendue du champ missionnaire que s'accordent les
adventistes qui définit l'étendue de leur Église. Au début, ils ne pensent pas sortir des États-Unis,
aussi bien par manque de personnel que parce qu'ils voient ce pays d'immigration comme un monde
en miniature. Cependant, certains pensent qu'ils doivent apporter la bonne nouvelle sur toute la
surface du globe. Un premier missionnaire, Michael Belina Czechowski, ancien prêtre catholique
polonais (toujours) nationaliste, part dès 1864 sans l'accord de la direction de l'Église en Italie du
Nord rencontrer des Vaudois, puis se déplace en Suisse et en France où il acquiert une très mauvaise
réputation à cause des dettes qu'il contracte, ce qui ne sera pas sans entraver le travail de ses
successeurs officiels [Coffin, 1981, p169]. Ce n'est qu'en 1874 que John Nevins Andrews, le
premier missionnaire officiel, part pour l'Europe. Il est rejoint en France par Daniel T. Bourdeau,
francophone, dès 1876. Malgré des stratégies divergentes — Bourdeau ne présente la spécificité que
constitue le Sabbat qu'en dernier [Coffin, 1981, p172] — , les deux missionnaires se tournent tous
deux vers les noyaux protestants du sud de la France, les catholiques étant considérés comme trop
corrompus spirituellement pour être convertis tout de suite. Il faut d'ailleurs préciser ici la place
particulière que tient l'Europe divisée dans l'eschatologie adventiste. Leur interprétation du livre de
Daniel en fait le territoire de la bête à dix cornes, c'est-à-dire de l'ennemi, de Satan
[Coffin, 1981, p157].
La première Église locale française est fondée à Valence en 1890, et dès cette époque l'Europe,
surtout l'Allemagne, envoie ses propres missionnaires de par le monde. La mission devient donc
mondiale, globale pour reprendre le titre de l'article de Rachel PRICE-KREITZ. Ce changement est
soutenu voire permis par une tournure nouvelle prise à la Conférence générale de Minneapolis en
1888 : alors que les pionniers de l'adventisme soutiennent la justification par les œuvres, deux
jeunes membres, épaulés par E. G. White, proposent d'intégrer le salut par la foi seule, fruit de la
tradition réformiste, dans la doctrine adventiste. Après de nombreux rebondissements, les visions d'
E. G. White convainquent les membres de la conférence. Pour Stefan HÖSCHELE
[Höschele, 2006, p21], ce tournant théologique a été rendu nécessaire par le visage ecclésiologique
nouveau que tentait de prendre la secte : la justification par la foi rend nécessaire une mission
mondiale car il ne suffit pas de bien agir, encore faut-il le faire sciemment et en Christ d'une part ;
cette formulation permet aux adventistes d'insister sur leur filiation au protestantisme afin
d'optimiser leur prosélytisme dans le milieu protestant, qui est à l'époque leur principale cible,
d'autre part. Cette insistance sur l'appartenance au protestantisme n'a fait que prendre de l'ampleur
16 sur 128
jusqu'à nos jours. En effet, en 2006, les deux fédérations françaises adventistes ont rejoint la
Fédération Protestante de France (FPF), ce qui n'a pas été sans créer de multiples débats au sein de
l'adventisme français.
1.3.1.1.3. ... qui permet une expansion mondiale
Dès 1890, l'Église est présente dans dix-huit pays [Staples, 1993, p17]. Très vite, les missionnaires
se tournent vers l'Afrique en cours de christianisation puis vers l'Amérique du sud. Aujourd’hui, un
tiers des adventistes se trouvent en Afrique sub-saharienne, et 90% hors des États-Unis [Price-
Kreitz, 2000, p330]. Dans son lieu d'origine, elle reste, comme en Europe, très minoritaire. Elle est
proportionnellement plus présente à d'autres endroits. Ainsi, 10% des Antillais sont adventistes. Par
endroits, en Tanzanie, elle est majoritaire. Mais en Europe et aux États-Unis, elle reste
ultraminoritaire. En effet, si l'union brésilienne compte trois millions de membres — selon Philippe
Aurouze, pasteur à Bordeaux depuis 2000 et secrétaire de la fédération France-sud, l'Amérique
latine est la région du monde où « l'Église adventiste est la plus dynamique » — l'union franco-
belge n'en compte quant à elle que 14000.
Les statistiques ici présentes ne commencent qu'en 1972 car auparavant les divisions
administratives adventistes étaient différentes. Ainsi, par exemple, la division eurafricaine date de
17 sur 128
Figure 1: Évolution de la population adventiste mondiale (1901 - 2005)
1901
1909
1917
1925
1933
1941
1949
1957
1965
1973
1981
1989
1997
2005
0
1000000
2000000
3000000
4000000
5000000
6000000
7000000
8000000
9000000
10000000
11000000
12000000
13000000
14000000
Membres
Années
Mem
bres
cette époque. On ne peut donc pas suivre Rachel PRICE-KREITZ lorsqu'elle écrit que cette division
regroupe « the very first countries visited by the pioneer Adventist missionaries » [Price-
Kreitz, 2000, p320]. Peut-être de fait ceci est-il exact, mais la formulation laisse entendre que c'est
pour cette raison qu'ils ont été réunis alors qu'il s'agit plutôt de pays où l'Église rencontre des
problématiques similaires.
On peut se demander pourquoi l'adventisme a connu un succès certain en Afrique subsaharienne et
en Amérique latine, alors qu'il demeure très confidentiel en Europe et en Amérique du Nord. En
effet, les deux graphiques ci-dessus montrent que si au niveau mondial le nombre d'adventiste
augmente chaque année d'environ 8% (soit un gain de près d'un million de membres par an entre
2000 et 2006), le taux de croissance est en revanche beaucoup plus faible dans l'union franco-belge,
sans même parler de la fédération France-sud où l'on assiste à une véritable stagnation. Dailleurs, si
pendant longtemps la « 10/40 window » — la zone comprise entre les parallèles 10 et 40 de
l'hémisphère nord — a été regardée comme une « critical geographical area » abritant « 90% of
the world's unreached people » [Price-Kreitz, 2000, p329], il faut néanmoins remarquer que c'est
depuis ces zones que l'adventisme connaît sa plus forte croissance et que l'Europe devient « a new
mission field » [Price-Kreitz, 2000, p329]. Ceci n'est pas sans rappeler l''ouvrage choc des
catholiques GODIN H. et DANIEL Y. : La France, pays de mission? (1943, le point d'interrogation qui
visait à ne pas trop choquer les lecteurs est retiré dès l'édition de 1945).
18 sur 128
Figure 2: Population adventiste de l'union franco-belge et de la fédération France-sud (1972 – 2005)
1972
1974
1976
1978
1980
1982
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
0
1000
2000
3000
4000
5000
6000
7000
8000
9000
10000
11000
12000
13000
Union
Fédération
Je n'ai pu trouver aucune explication pour ce qui est de la différence entre la fédération du sud et
l'ensemble de l'union. Je me permets néanmoins d'émettre une hypothèse : la présence adventiste est
assez faible dans l'union pour que l'incompétence d'une seule personne à la fédération puisse avoir
un impact visible sur la fédération elle-même. Certes, des nominations ont lieu pour chaque poste,
mais il s'est installé avec le temps une sorte de népotisme qui conduit moins de dix familles à
fournir l'essentiel des contingents de responsables pour les deux fédérations françaises réunies
[Coffin, 1981]. Quant à la croissance rapide de l'adventisme hors des pays les plus développés, des
hypothèses plus solides peuvent être avancées. En effet, le sociologue Peter L. BERGER
[Berger, 1999] remarque qu'à l'échelle du monde les courants religieux qui aspirent à réguler les
modes de vie par leurs valeurs mais aussi à augmenter leur influence dans le domaine
public — certes, il est plus que discutable que l'adventisme soit dans cette situation, en tout cas en
France — connaissent une très forte croissance, tant est si bien qu'il en arrive à parler de
« désécularisation du monde », tout en admettant que « les élites sécularisées internationales »,
autrement dit l'Europe et l'Amérique du Nord, sont la seule exception. Nous pouvons donc supposer
que ce que nous observons pour l'adventisme relève de cette dynamique générale.
1.3.1.2. Quelques doctrines adventistes
Il est très difficile, lorsqu'on étudie une dénomination — c'est-à-dire une secte qui a évolué vers une
structure ecclésiale dans la typologie de Max WEBER — protestante, de départir ce qui est spécifique
à ladite dénomination de ce qui est partagé par de nombreux autres chrétiens. Il ne s'agira donc pas
ici de tenter cette opération délicate. On peut cependant affirmer, comme certains prospectus édités
par l'union franco-belge que « les adventistes partagent avec les autres chrétiens de tradition
évangélique les doctrines essentielles sur la divinité de Jésus-Christ, la Trinité, l'autorité normative
de la Bible en matière de doctrine, le salut par la grâce divine, la justification par la foi, le baptême
par immersion après confession personnelle de sa foi » [Denéchaud, 1998]. Pour ce qui est des
spécificités doctrinales, seules trois ou quatre peuvent avoir de l'intérêt pour cette étude.
1.3.1.2.1. Le sabbat, spécificité visible de l'adventisme
D'abord, les adventistes sont pour ainsi dire les seuls chrétiens à respecter le sabbat, ce qui constitue
leur originalité la plus visible car elle donne lieu à des pratiques hebdomadaires particulières. C'est
ce jour qu'ont lieu l'école du sabbat (sorte de débat sur un thème choisi à l'avance par l'union) et le
culte, puis un repas commun dans l'église-même et souvent des activités l'après-midi. Cette journée
« mise à part » doit être consacrée entièrement à l'adoration ou en tout cas à des activités qui
« glorifient » Dieu. Par exemple, il est autorisé de prendre la voiture, mais seulement s'il s'agit de se
rendre au culte ou d'en revenir.
19 sur 128
1.3.1.2.2. Le jugement investigatif et le sanctuaire céleste
Ensuite, les adventistes croient qu'en 1844, date de la Parousie prévue par Miller, ce qu'ils appellent
le jugement investigatif a commencé. Il s'agit en fait, après un changement de fonction dans le
sacerdoce du Christ qui passe du lieu saint au lieu très saint dans le sanctuaire céleste (ce qui donne
lieu à une géographie imaginaire du Ciel), du début du jugement des croyants. Cette transformation
de l'interprétation n'est pas en soi une originalité : c'est une procédure qui est mise en place par ceux
qui veulent continuer à croire quand un événement prédit n'a pas lieu, comme lorsque la
« génération » de Jésus a « passé » (cf Marc, 13, 30).
1.3.1.2.3. La figure d'Ellen G. White
Encore, ils considèrent Ellen G. White, la plus éminente de leurs fondateurs, comme une
prophétesse, bien que ses écrits ne soient pas mis sur le même rang que la Bible. Son charisme
personnel est très sollicité par la Conférence Générale qui, dans son Manuel d'Église, la cite plus
que la Bible elle-même.
1.3.1.2.4. La notion d' « Église du reste »
Les adventistes se considèrent comme étant les derniers gardiens de la loi chrétienne, le « reste »
dont il est question dans le chapitre 14 de l'Apocalypse. Cela ne signifie pas pour autant qu'ils se
considèrent comme les seuls à pouvoir espérer le salut, ni que l'appartenance à l'adventisme en tant
qu'institution politique le garantisse. Les implications territoriales de cette notion sont développées
pages 95 et suivantes.
Cet inventaire très sommaire et simpliste des doctrines adventistes ne doit pas faire oublier que
même au sein d'un groupe très restreint les dissensions et les différences d'interprétation sur certains
thèmes fondamentaux peuvent être importants, ce qui est notamment le cas pour ce qui est de la
manière dont il faut considérer Ellen G. White. Cependant, si l'Église parvient à maintenir son unité
malgré des tensions certaines, c'est qu'elle possède une organisation solide et pourvue d'une forte
autorité normative.
20 sur 128
1.3.1.3. Une organisation ecclésiale hiérarchisée inspirée du système presbytérien : les quatre niveaux de l'Église adventiste
Comptant 14 millions de membres baptisés — ce qui permet
d'estimer le total des messalisants, ou plutôt sabbatisants,
entre 25 et 35 millions — l'Église adventiste, pour maintenir
son unité, a besoin d'une organisation puissante capable de
réunir les différentes Églises locales comme d'exclure les
déviants, les hétérodoxes. Cette organisation se veut
« représentatif ou fédératif ou presbytérien ». Il est également
stipulé que « la direction de l'Église est partagée entre les
membres de l'Église locale et une assemblée formée de
représentants des diverses Églises locales composant
l'organisation entière . Le système représentatif reconnaît
l'égalité de tous les pasteurs et responsables d'Église» [Conférence générale, 2006, p26]. L'Église
adventiste du septième jour est néanmoins hiérarchisée en quatre niveaux que nous allons
succinctement présenter ici.
1.3.1.3.1. L'Église locale
L'Église locale « réunit en un seul corps les croyants individuels » [Conférence
générale, 2006, p26]. Elle ne choisit pas son pasteur, nommé par la fédération, mais elle peut
réclamer à cette dernière la mutation d'un pasteur dont le tempérament serait incompatible avec
21 sur 128
Figure 3: L'organisation adventiste (Fabrice Desplan, 2005)
Illustration 1: Logo de l'Église adventiste du septième jour
celui des membres d'Église. L'entrée dans une Église, le baptême, se fait par cooptation. En effet,
pour être baptisé, en sus d'avoir suivi une trentaine d'études bibliques et de déclarer publiquement
son accord avec les doctrines adventistes, un vote de la part des autres membres est requis. En
revanche, les formalités de départ sont très simples : il suffit de demander sa radiation par écrit.
1.3.1.3.2. La Fédération
La fédération est le premier échelon reconnu par la Conférence générale. Elle nomme et paie les
pasteurs. Elle s'occupe également de la fondation, de la fusion ou de la fermeture des Églises. En
son sein se prennent les décisions concernant l'orientation des Églises locales sur des thèmes
comme les relations publiques, le prosélytisme, les activités inter-ecclésiales. La France
métropolitaine compte deux fédérations, séparées par une ligne allant de La Rochelle à Genève et
suivant les limites départementales.
1.3.1.3.3. L'Union
D'après plusieurs responsables et pour expliquer l'adjonction aux deux fédérations françaises de
celles de Belgique et du Luxembourg, les unions « ne sont pas construites sur des logiques
nationales mais linguistiques ». Ainsi, l'union franco-belge regroupe la France, la Belgique et le
Luxembourg. On peut remarquer néanmoins que le Français n'est pas la seule langue officielle de la
Belgique et du Luxembourg. Cependant, comme les unions s'occupent de tout ce qui concerne les
infrastructures lourdes de l'Église — hôpitaux, écoles, maisons d'édition — cela signifie que l'union
est un vecteur de diffusion de sa langue officielle (par exemple dans l'union franco-belge, le
Français) dans des régions dont ce n'est pas forcément la langue maternelle, mais aussi et en
conséquence que cela peut provoquer une solution de continuité dans la diffusion du message
adventiste cette fois, ou bien une repolarisation des Églises locales de cette région vers une union
homoglotte, par exemple pour la Belgique vers l'Allemagne (composée de deux unions, celle du
nord et celle du sud, ce qui met également à mal la logique linguistique) ou les Pays-Bas (qui
appartiennent à la division trans-européenne et non euro-africaine). Il pourrait d'ailleurs être
intéressant d'étudier précisément cette question de recomposition territoriale locale des Églises
locales quand la langue maternelle des membres diffère de celle du reste de l'union à laquelle les
Églises appartiennent.
Ce sont aussi les unions qui traduisent et éditent les livrets des écoles du sabbat, qui élaborent les
programmes, les formations, qui tentent de donner une dynamique d'ensemble aux Églises au
niveau d'un pays. En France, il existe un niveau parallèle, qui n'est pas reconnu par la Conférence
générale : l'association des Églises adventistes de France. Elle a été fondée spécifiquement pour
permettre l'adhésion des Églises adventistes françaises à la FPF.
22 sur 128
1.3.1.3.4. La Conférence générale et ses sièges locaux, les divisions
Le siège mondial de l'Église adventiste se trouve à Washington DC. Pour Ronald COFFIN
[Coffin, 1981] ceci n'est pas un hasard et renforce le parallélisme entre les organisations politiques
fédérales étatsunienne et adventiste, mais relève aussi de la volonté des adventistes américains
d'influer sur la vie politique aux États-Unis. La Conférence générale y gère les affaires courantes
avec une quinzaine de personnes, mais une à deux fois par an, les représentants des différentes
divisions — un échelon intermédiaire entre l'union et la conférence qui par lui-même a les mêmes
prérogatives que la Conférence générale, celles doctrinales en moins — c'est-à-dire trois cents
personnes, s'y réunissent. C'est elle qui détermine les régions du monde à évangéliser en priorité,
qui répartit l'argent au niveau mondial (80% provient d'Amérique du Nord), et enfin mais aussi
surtout qui établit la doctrine adventiste.
Ainsi, chaque niveau de l'organisation adventiste dispose de prérogatives précisément définies par
la Conférence Générale aux États-Unis, où sont donc prises également les résolutions doctrinales et
où se trouvent les facultés de théologie adventistes les plus dynamiques et les plus influentes : si les
unions traduisent les livrets de l'École du sabbat, ce sont des théologiens adventistes américains qui
les rédigent, avant que la Conférence générale ne les ratifie et ne fixe les dates de leur étude partout
dans le monde.
23 sur 128
Carte 1: La division eurafricaine (source : Adventist Statistics)
1.3.1.4. L'adventisme en France et son inculturation
Cette primauté administrative, financière et théologique nord-américaine n'est cependant pas perçue
comme telle par bon nombre de fidèles de l'Église d'Angoulême, et plus généralement de France.
Pour eux en effet, « peu importe que [l'adventisme] ait vu le jour — en tant qu'organisation — aux
États-Unis. Que la lumière vienne de Rome, de Genève ou de Washington, l'essentiel est de savoir si
elle procède vraiment du ciel. Tout le reste n'est qu'accessoire » [Vaucher, 1951, p11]. Cette
isotropie des lieux terrestres, qui sera étudiée en son temps, s'accompagne parfois d'une
revendication européenne des origines de l'adventisme. Si des sociologues des religions comme
Jean SÉGUY considèrent que l'adventisme, en tant que mouvement chrétien mettant fortement
l'accent sur une attente impatiente de la Parousie (adventus en latin), trouve son origine dans le
catholicisme du Moyen-Age central avec notamment Joachim de Flore (1132 - 1202) [Séguy, 1999,
p193] et certains « ordres consacrés » [Séguy, 2003], des membres d'Angoulême affirment que
« l'adventisme ne vient pas des États-Unis. La Réforme est née en Europe, et l'adventisme c'est
l'aboutissement de la Réforme. Donc l'adventisme est d'abord européen ». Ceci nous place
exactement dans la problématique des Mutations transatlantiques des religions [Lerat, 2000] — qui
étudie comment les religions tant dans leur contenu doctrinal que dans leur expression culturelle se
transforment en passant d'une rive à l'autre de l'océan — et on peut regretter que le chapitre de cet
ouvrage traitant de l'adventisme, et qui aurait pu expliquer son inculturation lors de son importation
en Europe, ne soit en fait qu'un récit très détaillé des missions adventistes de ce côté-ci de
l'Atlantique [Price-Kreitz, 2000]. Contentons-nous donc ici d'esquisser à grands traits l'implantation
de l'adventisme en France continentale et de citer quelques caractéristiques qui nous semblent
relever de l'inculturation.
1.3.1.4.1. Développement de l'adventisme en France
Une socio-histoire de l'adventisme en France reste à faire. Les documents ne sont pas forcément
accessibles ou sont lacunaires. Cependant, en nous fondant sur une carte de France indiquant les
Églises avec leur date de fondation jusqu'en 1978 [Coffin, 1981] nous croyons pouvoir déceler trois
phases majeures dans la diffusion de l'adventisme en France.
D'abord, des années 1880 à 1920, les Églises sont fondées principalement dans les bastions
traditionnels réformistes : les Cévennes (Nîmes en 1886), le sillon rhodanien (Valence en 1876) et
l'Alsace (Strasbourg en 1902). Cela correspond à une stratégie prosélyte fondée sur une opposition
ferme au catholicisme et au reste du protestantisme. Seulement, de nombreux thèmes adventistes
sont issus de la Réforme, et c'est parmi les réformés qu'elle pense pouvoir trouver le plus grand
écho. Ensuite, de 1920 à 1960 environ, des Églises sont fondées dans les grandes villes françaises
(Marseille en 1919, Lille en 1920, Nantes en 1926, Paris en 1931, Toulouse en 1955), probablement
24 sur 128
car des responsables considéraient que les villes peuplées recelaient plus d'âmes à sauver. Enfin,
après cette date, des Églises naissent dans des villes de moyenne importance, comme c'est le cas
pour Angoulême (1971).
Nous avons donc à faire à un phénomène de diffusion spatiale d'une innovation, dans la mesure où
l'adventisme peut être considéré comme telle. En effet, HÄGERSTRAND (1952) et à sa suite Thérèse
SAINT-JULIEN distinguent quatre conditions nécessaires pour que se produise la diffusion spatiale
d'une innovation :
• « apparition en un lieu d'une innovation apte au déplacement et qui puisse s'imposer en
tant que telle ;
• capacité du lieu d'apparition de l'innovation à devenir foyer émetteur ;
• existence d'un milieu d'accueil qui favorise une propagation rapide ;
• force de propagation suffisamment grande et temps de propagation suffisamment long
pour que l'interruption du processus de diffusion soit peu probable. » [Saint-Julien, 2004]
25 sur 128
26 sur 128
Carte 2: La Diffusion de l'adventisme en France jusqu'en 1978
La carte ci-dessus (carte 2, p26), bien que discutable voire contestable car les axes de diffusion
supposés n'ont été établis que par les différences de dates de fondation d'Églises observées, semble
montrer que l'adventisme en France répond à ces quatre critères. Si on l'accepte au moins à titre de
piste de recherche pour des travaux portant spécifiquement sur ce sujet, on peut en conclure —
simple hypothèse — qu'après s'être surimposées à une réalité protestante antécédente (phase
primaire d'amorce de la diffusion, jusqu'en 1920), les Églises adventistes se sont propagées en
visant en priorité les principaux centres des grands bassins de population (phase d'expansion,
jusqu'en 1960) pour enfin se diffuser en descendant la hiérarchie urbaine, ce qui se traduit par une
homogénéisation du taux de pénétration à l'intérieur des bassins (phase de condensation). On peut
aussi supposer que la stagnation relative du nombre de membres dans l'union franco-belge et
particulièrement dans la fédération du sud depuis une dizaine d'années manifeste la réalité de la
quatrième phase distinguée par HÄGERSTRAND, à savoir celle de saturation.
De nos jours, près de la moitié des départements comptent au moins une Église adventiste. Grâce au
site de l'union franco-belge, qui abrite un annuaire des Églises adventistes de France continentale,
j'ai établi une carte de France précisant le nombre d'Églises et de groupes (personnes qui se
réunissent le samedi, font un office à part, mais ne sont pas déclarés en préfecture et sont
comptabilisés avec une autre Église) cumulés par département.
27 sur 128
Cette carte (carte 3, p28) permet de mettre en évidence les régions où l'adventisme est le mieux
implanté, même si sa limite est de ne pas prendre en compte le nombre de membres par Église.
Ainsi, Toulouse (179 membres) ne semble pas plus importante que sa voisine Saint-Jean du Falga
(29 membres). De même, si un département comprend plusieurs petites Églises, il apparaîtra
surreprésenté par rapport à un autre abritant une seule grande Église. En revanche, elle peut être
utile si on cherche à mesurer l'homogénéité des constructions territoriales de l'adventisme
notamment au travers de ces marqueurs spatiaux essentiels que sont les églises, même si la carte ne
tient pas compte de leur localisation à l'intérieur même du département, considéré ici comme un
individu.
Si on met à part la région parisienne, où l'Église adventiste est assez bien implantée pour voir
émerger des Églises linguistiques (roumaines et portugaises par exemple), une solution de
28 sur 128
Carte 3: La présence adventiste en France métropolitaine
continuité suivant à peu près ce que des géographes appellent la diagonale du vide est visible. A
l'est, où se trouvent les principaux foyers traditionnels du protestantisme, l'adventisme se trouve
bien plus développé qu'à l'ouest. La limite entre les deux fédérations ne semble pas, en tout cas pour
ce qui est de la diffusion de l'adventisme au niveau national, être une discontinuité opérationnelle.
Ceci appelle des tentatives d'explications qui seront effectuées plus bas.
1.3.1.4.2. L'inculturation de l'adventisme en France
Il s'agit d'un phénomène très difficile à repérer, et encore plus à mesurer. C'est pourquoi je n'ai pas
tenté une approche quantitative. De plus, le sujet se trouve quelque peu en marge de notre
problématique principale et demanderait une connaissance fine de l'adventisme tel qu'il est pratiqué
aux États-Unis. Enfin, nous ne pouvons nous fonder que sur ce que les adventistes d'Angoulême
déclarent et sur ce que nous avons observé. D'abord, il semblerait qu'en Amérique du Nord, tout
comme aux Antilles d'ailleurs, les adventistes soient généralement prompts à considérer tout ce qui
vient de la société ambiante (cinéma, radio, littérature, mode) et ce qui met le corps en valeur
(bijoux, maquillage) comme mauvais, tout en estimant comme hautement valable ce que la société
ambiante considère comme ses fondements, son excellence (notamment la musique classique et la
morale chrétienne). Ceci est particulièrement visible dans le Manuel d'Eglise, dont la version
française n'est qu'une traduction de celle anglaise [Conférence générale, 2006, pp173 – 187]. En
France continentale, les membres ont une attitude souvent plus relâchée, acceptent comme normales
de nombreuses dimensions de la société englobante, ce qui choque d'ailleurs souvent les
observateurs venus d'Amérique du Nord ou des Antilles françaises, comme le pasteur nord-
américain Ronald COFFIN [Coffin, 1981] ou de nombreux enquêtés antillais de Fabrice DESPLAN
[Desplan, 2005].
29 sur 128
Alors que le pasteur d'Angoulême affirme que « l'adventisme n'est pas une culture, il ne demande
pas aux gens de changer de culture tant que leurs pratiques ne sont pas interdites par l'évangile »,
on peut penser qu'une religion qui veut réguler tous les aspects de la vie du croyant apporte avec
elle une forte charge culturelle. Il serait hasardeux de tenter d'estimer dans quelle mesure les
adventistes d'Angoulême se sont américanisés (dans la mesure où les valeurs de l'adventisme se
confondent bien souvent avec celles des États-Unis). Cependant, ils utilisent toujours l'expression
« Église catholique romaine » pour désigner l'Église catholique, vocable qui est beaucoup employé
à l'étranger et particulièrement aux États-Unis mais pas en France.
1.3.2. Délimitations spatiales
J'ai choisi de limiter mon étude au Grand Sud-Ouest, en réalisant mes entretiens dans l'Église
d'Angoulême. Ces choix, qui ne vont pas de soi, doivent être justifiés.
1.3.2.1. Le Grand Sud-Ouest, un territoire pour l'adventisme?
On peut à juste titre se demander quelle pertinence il peut y avoir à limiter cette étude au Grand
Sud-Ouest. Outre le fait que les limites matérielles qui m'étaient imposées incitaient à réduire mon
30 sur 128
Les normes de la vie chrétienne
Notre haute vocation en Jésus-Christ.
L’étude de la Bible et la prière
Les rapports avec la société
L’observation du sabbat
Le respect pour le lieu de culte
La santé et la tempérance
Le vêtement
La simplicité
Les lectures
La radio et la télévision
Les loisirs et les divertissements
La musique
Les relations sociales
L’encadrement des jeunes
Les fréquentations et le mariage
Conclusion
Texte 1: Sommaire du chapitre 13 du Manuel d'Église
champ d'investigation, on peut noter plusieurs éléments qui montrent que, dans le cadre de
l'adventisme, le grand Sud-Ouest possède ses problématiques propres, qui font signe vers une
construction territoriale originale, hypothèse que nous ne pourrons malheureusement pas discuter à
cause du manque de travaux similaires dans d'autres régions.
S'il n'existe pas de division administrative adventiste recouvrant l'espace du Sud-Ouest, il est
cependant présent en tant qu'entité propre dans des discours de dirigeants. Ainsi, pour Philippe
Aurouze, le Sud-Ouest compte onze Églises et regroupe 18% des membres de la Fédération du Sud
[Aurouze, 2007, p4]. Ceci confirme au moins pour la fédération sud ce que nous avons pu observer
au travers du nombre d'Églises par département, à savoir une implantation bien plus solide dans l'est
qu'à l'ouest.
1.3.2.2. Angoulême, une Église type du Grand Sud-Ouest
Certes, on peut estimer qu'Angoulême n'appartient pas au Grand Sud-Ouest. Cependant j'ai
considéré pour ma part que l'ensemble du bassin aquitain en faisait partie. Sa limite septentrionale
est donc le seuil du Poitou. Si dans les discours des dirigeants adventistes le Sud-Ouest s'arrête
brutalement avec la limite de la fédération (ce qui inclut Angoulême et justifie en partie notre
choix), la Vienne y sera succinctement traitée pour observer le gradient auquel donne lieu ladite
limite.
Par ailleurs, je reconnais qu'il est risqué d'estimer une seule Église comme représentative du Sud-
31 sur 128
Carte 4: Les Églises adventistes du Grand Sud-Ouest
Ouest, autrement dit par un procédé métonymique de prendre la partie pour le tout. C'est d'ailleurs
pourquoi toutes les conclusions de cette étude sont à mettre au conditionnel, ne sont que des
hypothèses. Cependant, Angoulême possède une Église qui, pour le secrétaire de la fédération lui-
même, est représentative de celles du Sud-Ouest, c'est-à-dire dont à la fois la population, tant en
nombre qu'en qualité, et les problématiques de gestion ou de croissance sont comparables avec les
autres Églises du Sud-Ouest. Il faut cependant dès lors exclure les exceptions que sont les Églises
de Toulouse, Bordeaux et Pau, qui sont les trois seules à compter plus de cent membres — encore
que celle de Pau ne compte cent membres que parce qu'elle comprend le groupe de Bayonne,
autonome.
Voici donc le profil d'une Église type du Sud-Ouest, dont Angoulême est un exemple. Fondée entre
1960 et 1970, son temple se situe en périphérie de la préfecture du département après s'être trouvé
jusque vers 1990 dans le centre-ville. Elle compte entre 30 et 50 membres, pour une bonne part des
retraités (entre 40 et 50%) venant de tout le département, et doit l'essentiel de son existence à deux
ou trois familles piliers.
1.3.3. Les constructions territoriales : spécificités d'approche dans le cadre des phénomènes religieux
Le terme de construction territoriale désigne à la fois une procédure (territorialisation) et des
résultats (le territoire et la territorialité). Elles ne mettent pas tant les hommes en relation avec
l'espace que les hommes entre eux au travers de l'espace. Elles sont les manifestations privilégiées
des relations de pouvoir qui existent entre différents acteurs, l'espace devenant donc lieu de la mise
en scène du pouvoir [Raffestin, 1981, p146]. Ceci est valable pour toute construction territoriale,
mais les phénomènes religieux possèdent des spécificités qu'il nous paraît nécessaire d'expliciter. En
outre, ces spécificités permettent de mettre en évidence certains aspects de la territorialisation.
Ainsi, « la prise en considération des faits religieux est indispensable à la compréhension des
processus de territorialisation envisagés á différentes échelles qui constituent les objets spécifiques
du savoir géographique » [Dory, 1995].
1.3.3.1. Les modes d'appropriation religieuse du territoire
Il existe plusieurs ouvrages traitant de la construction religieuse des territoires mais ils étudient
avant tout le paganisme [Dory, 1995; Detienne, 1990] ou le catholicisme [Bertrand, 1999].
Cependant, nous pouvons reprendre à notre compte certaines de leurs conclusions générales.
Par leur discours, dont la forme privilégiée est le mythe, les religions « contribuent à la production
et à la légitimation d'instruments conceptuels et symboliques permettant de penser les territoires
(appropriation cognitive). A cet égard, l'interrelation spécifique d'éléments naturels et de pratiques
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sociales qui est à l'origine des territoires se traduit de façon privilégiée dans le mythe, pour autant
qu'il constitue une combinaison particulière de cosmologie et de sociodicée » [Dory 1995]. Idée
particulièrement puissante pour penser l'adventisme puisqu'elle nous servira à rendre compte de
certains aspects de la notion d'Église du reste et à nous poser des questions sur un éventuel spiritual
mapping tel qu'on peut le rencontrer chez les charismatiques troisième vague [Fath, 2007].
Pour autant, il faut reconnaître que « le christianisme est agent de déconstruction territoriale [et
que] la Nouvelle Alliance a, fondamentalement, un caractère mondialiste » [Gagnebin, 1993 in
Riveteau 1999]. De fait, dans la plupart des dénominations protestantes, on ne trouve ni lieu saint ni
pèlerinage. Cependant, et comme Roger BRUNET affirme qu'il n'y a pas de délocalisation mais
uniquement des relocalisations [Brunet, 2003], il n'y a pas de déconstruction territoriale véritable.
Au contraire la déconstruction d'un territoire entraîne nécessairement l'émergence d'un nouveau
territoire. Et si le christianisme a un caractère mondialiste, c'est qu'il ne reconnaît qu'un seul
territoire valable : le monde pris dans son unité, comme création de Dieu.
1.3.3.2. Espace sacré, espace profane
Ce mondialisme du christianisme pose néanmoins problème lorsqu'on tente d'appréhender les
territoires qu'il produit. On ne peut pas directement utiliser la distinction entre lieux profanes et
sacrés telle qu'elle a été établie par Mircea ELIADE [Eliade, 1957]. Pour cet auteur, qui reconnaît la
spécificité du christianisme mais ne la traite que très peu, chaque groupe humain doit, pour rendre
habitable un espace, le consacrer, y répéter l'acte divin de la création du monde. Hors de cet espace
mondanisé se trouve le chaos peuplé de démons et de forces hostiles qui rendent cet espace
inhabitable. Seul l'espace sacré fait donc monde et peut être un lieu de vie. Dans un sens affaibli, un
espace sacré est un espace privilégié (et non exclusif) de relation avec le divin, un endroit où la vie
spirituelle peut être plus intense, ou bien où la vie peut se renouveler de manière périodique
(sources guérisseuses des Landes). Le christianisme, en postulant (et c'est un point sur lequel
l'adventisme insiste beaucoup) que le corps est le temple de l'esprit, tend à annuler cette différence
puisqu'un lieu habité par un chrétien se trouve du même coup sacré. Il n'y a pas pour autant
d'indifférenciation entre le sacré et le profane dans l'adventisme. Plutôt, la Terre y est le champ de
bataille entre le sacré et le profane, entre l'habitable et l'inhabitable, le monde et l'immonde, le Bien
et le Mal. On peut donc reprendre ici à bon compte ici la distinction classique entre espace sacré et
espace profane, mais en les considérant comme les deux extrémités inatteignables d'un segment.
1.3.3.3. La relation à l'espace, thème peu développé en ecclésiologie protestante
Peut-être à cause de cette absence de partition nette entre profane et sacré, les auteurs protestants
traitent très peu du rapport à l'espace, alors que les discours sur le temps et sur l'Histoire comme
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déploiement du dessein divin lisible dans l'ensemble de la Bible y sont omniprésents. Pour
GAGNEBIN, cela est dû au fait qu' « en ecclésiologie protestante, on a toujours donné le pas à
l'événement (l'histoire) sur l'institution (l'espace) » car « on se méfie de la pesanteur charnelle de
l'espace ». Or la chair (sarx), dans le Nouveau Testament, a clairement et à l'inverse du corps
(soma) temple de l'esprit, une connotation négative [Cugno, 1993] : céder à ses caprices revient à
céder aux forces immondes, qui désagrègent le monde et le font pourrir — dernier point spécifique
aux adventistes —, en un mot le péché. Si l'ecclésiologie protestante met si peu l'accent sur l'espace,
c'est probablement parce qu'il est ce par quoi le péché arrive, qu'il consacre Satan comme seigneur
de ce monde.
Nous ne pouvons donc appréhender les constructions territoriales de l'adventisme comme on
aborderait celles d'un acteur syngtagmatique — c'est-à-dire réalisant un programme |Raffestin,
1981] — non religieux. Encore qu'on peut « dire que la notion de territoire s'exprime
prioritairement — nécessairement? — dans les termes du religieux » [Vincent, 1995, p13], ce que
nous comprenons comme signifiant que toute construction territoriale met en jeu des réalités
existentielles dérivant plus ou moins directement du discours religieux. Ce très rapide tour d'horizon
sur l'approche religieuse des constructions territoriales nous a apporté quelques notions clés qui
seront mises en ouvre par la suite et qui se révèleront structurantes pour la suite de cette étude.
1.4. Objectifs de ce mémoire : mise en évidence des stratégies de territorialisation des Églises
Nous touchons enfin — presque — au terme de celle longue introduction. Cette longueur, qui peut
sembler excessive, m'a semblée nécessaire tant les sujets à présenter pour rendre la suite du contenu
intelligible sont nombreux, de la présentation générale de l'adventisme en passant par sa présence
sur le territoire français et en allant jusqu'aux approches géographiques des constructions religieuses
des territoires. Maintenant que ces sujets ont été mis en place, nous pouvons discuter des objectifs
de ce mémoire. Il s'agit avant tout de montrer comment, par l'interaction entre l'environnement —
aussi bien social que « naturel » — l'Église en tant qu'entité politique ou acteur syntagmatique, et
les membres en tant qu'individu eux aussi acteurs syntagmatiques réalisant un programme qui n'est
pas nécessairement — loin s'en faut — conforme à celui de l'Église, il se crée du territoire.
Seulement, l'environnement, surtout l'environnement social, m'a semblé trop vaste pour tenter
d'appréhender depuis lui quelle relation il entretenait avec l'Église ou ses membres. Quatre axes de
recherche sont donc ouverts :
• Comment l'Église agit-elle sur son environnement (en considérant à chaque fois
l'emprise cognitive comme performative)?
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• Comment agit-elle sur ses membres?
• Comment les membres agissent-ils sur leur environnement?
• Comment les membres agissent-ils sur l'Église?
Il faut bien garder à l'esprit que lorsque nous disons que les membres agissent sur l'Église, nous
signifions chaque membre en tant qu'individu syntagmatiques ou des membres regroupés selon
d'autres configurations que celles de l'Église formant d'autres acteurs. Il ne faut donc pas
comprendre : Comment les membres, en tant qu'acteurs paradigmatiques agissent-ils sur l'Église qui
en est la figure syntagmatique? sous peine de rendre le propos totalement inintelligible.
1.5. La Terre, du non-lieu au territoire à conquérir
Pour répondre à ces quatre questions, cette étude sera partagée en trois pans. D'abord, nous
étudierons, sur le mode de la monographie, l'Église d'Angoulême. Ensuite, nous aborderons les
questions d'appréhension cognitive de la Terre par les adventistes, dont ils ne se sentent pas
provenir. Enfin, nous verrons comment, malgré tout, il leur faut habiter ce monde et y répandre la
bonne nouvelle.
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2. Présentation de l'Église d'AngoulêmeCette présentation générale de l'Église adventiste du septième jour d'Angoulême a pour objectif de
donner une maîtrise cognitive suffisante des réalités locales pour permettre la compréhension de
problématiques qui en dépendent. Afin de réaliser ce programme, une description de la population
présente sera effectuée. Ensuite, il s'agira de montrer en quoi, à Angoulême, l'église en tant que
bâtiment se situe en position de centralité marginale. Encore, nous montrerons comment, par une
implication forte et constante dans la vie de leur Église, la territorialité des membres se trouve
modifiée, avant d'expliquer que cette vie d'Église possède une dimension majeure essentielle dans
une procédure de territorialisation : l'inter-ecclésialité. Enfin, nous ne comptons pas pour rien les
grandes Églises du sud-ouest. Effectuer, en contre-point, un portrait de l'Église de Bordeaux servira
donc à montrer que d'autres configurations d'Église sont possibles.
2.1. Esquisse de la population présente
Il est plutôt de coutume, lorsqu'un géographe présente une région ou un territoire, de commencer
par introduire son site et sa situation avant d'en présenter la population et ses activités, comme si
cette population était surimposée à une réalité géographique inhumaine pré-existante. J'ai choisi ici
de procéder dans l'ordre inverse, non par pure défiance, mais parce que dans le cadre d'une étude sur
des constructions territoriales, il faut montrer comment des acteurs produisent leur territoire,
comment par les jeux de pouvoir et de finalités concurrentes des marqueurs spatiaux finissent par
émerger, des plus évidents comme les bâtiments aux plus invisibles et fragiles comme les discours.
Ainsi, après avoir présenté la composition de la population adventiste, nous verrons comment elle
se répartit sur le département charentais.
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2.1.1. La composition de l'Église adventiste d'Angoulême
De nombreux paramètres peuvent être pris en compte pour différencier les membres d'un groupe
religieux. J'ai choisi d'exploiter avant tout les âges et la présence antillaise.
Certains s'étonneront peut-être, à bon droit, de l'absence presque totale de considérations sur le
niveau de vie ou d'éducation des membres. J'y ai renoncé pour plusieurs raisons. D'abord, j'ai senti
que certains étaient gênés par mes demandes concernant leur commune de résidence, et je ne
souhaitais pas créer de froid entre le groupe et moi en leur posant des questions sur des sujets plus
sensibles. Ensuite, je me suis aperçu que ce genre de renseignement ne serait pas d'une grande
pertinence pour la problématique des constructions territoriales, sauf peut-être dans un cas : les
métiers intermédiaires de la santé. Et en effet, 4 membres déclarent être ou avoir été infirmières, ce
qui induit une surreprésentation de cette profession que nous tenterons d'expliquer par la suite.
2.1.1.1. Une population particulièrement âgée
L'Église d'Angoulême comptait 40 membres au 31 décembre 2006, chiffre qui n'a pas évolué
jusqu'à présent (22 mai 2007). Parmi ces quarante membres, 45% sont des retraités et 57% ont 60
ans ou plus, alors que seuls 25,4% des Charentais appartenaient à cette tranche d'âge au
recensement de 2006 — il faut cependant prendre en compte le fait que seuls les membres baptisés,
donc âgés de plus de 15 ans environ, sont comptabilisés. Cette vieillesse de la population de l'Église
d'Angoulême se vérifie dans l'ensemble de la fédération-sud puisque le taux de radiation par décès y
est le double de celui de la fédération du nord sur les 15 dernières années (10‰ contre 4‰).
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Figure 4: Taux de mortalité dans les fédérations françaises (1970 - 2005)
Ce taux de mortalité n'est cependant pas élevé si on considère qu'il est équivalent à celui de la
population totale française (9‰), d'autant plus que là encore les enfants ne sont pas comptés. Il est
donc délicat d'expliquer la faiblesse de ces taux de mortalité. Si la différence entre le nord et le sud
manifeste un plus grand dynamisme du premier, la faiblesse du deuxième peut découler — simple
hypothèse — d'une hygiène de vie meilleure que celle de la société englobante. On remarque
également l'aspect chaotique des courbes durant les années 1970. Je pense qu'il est dû à une
mauvaise gestion des registres des Églises locales, par exemple à une mise à jour après plusieurs
années, dans laquelle sont comptés d'un coup tous les morts de cette période.
Cette pyramide des âges rend compte de plusieurs phénomènes. La partie gauche, en bleu, indique
l'âge des membres d'Église et montre la vieillesse de la population présente. Celle de droite, en vert,
indique l'âge des membres à compter de leur seconde naissance, lorsqu'ils sont nés nouveau — la
formulation anglaise, born again, est souvent plus connue : chaque sabbat des cartes d'anniversaire
sont distribuées, aussi bien pour les naissances biologiques que spirituelles. J'ai conscience qu'une
telle pyramide peut dérouter lors d'une première lecture. Cependant, présenter les données de la
sorte me semble comporter plusieurs avantage lorsque l'on étudie un groupe religieux anabaptiste au
sens large, baptisant ses membres à l'âge adulte. En effet, une telle présentation met en évidence et
en regard la population touchée (partie gauche) et le dynamisme du groupe (partie droite). Il est très
visible ici que nous avons affaire à une Église très peu dynamique sur le plan prosélyte — ou en
tout cas particulièrement inefficace — constituée essentiellement de personnes âgées membres
depuis leur trentaine. D'ailleurs, cette pyramide peut à plus juste titre se dire « des âges » qu'une
pyramide classique puisque, contrairement à cette dernière, elle propose deux types d'âges.
Il faut pour autant se garder d'interprétations hâtives. D'abord, on ne saurait trop insister sur le fait
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Figure 5: Pyramide des âges de l'Église adventiste d'Angoulême en 2007
que ces statistiques ne prennent en compte ni les enfants d'adventistes qui sont présents chaque
sabbat et reçoivent une formation religieuse, ici environ douze, ni les « sympathisants ». Ensuite,
comme toute pyramide des âges, celle-ci présente un état de la population : les flux sortants n'y sont
pas indiqués. Ainsi, par exemple, six membres âges de 15 à 20 ans se sont faits baptisés en 1999,
mais ont tous été radiés depuis lors. Encore, on ne peut voir si la croissance est interne (enfants
d'adventistes qui se font baptisés à l'âge adulte) ou externe (prosélytes), ce qui fait la différence en
sociologie weberienne entre une Église, à laquelle on « appartient de naissance », et une secte
[Weber, 1910, p252]. Enfin, on ne peut déterminer à partir de cette pyramide le degré de corrélation
entre ses deux faces : le membre de plus de 90 ans peut très bien être le plus récent. C'est donc par
d'autres sources que nous aborderons éventuellement — car réaliser une analyse précise de la
composition de l'Église adventiste d'Angoulême n'est pas notre but mais seulement l'un de nos
moyens — ces questions. Je n'en démords pour autant pas : cette pyramide permet de dresser un
aperçu rapide et efficace d'un groupe religieux anabaptiste.
2.1.1.2. Une forte présence antillaise
Il me semble devoir insister sur un dernier point, important, pour ce qui est de la composition de la
population adventiste de l'Eglise d'Angoulême : la présence antillaise. « En France hexagonale
l'adventisme se caractérise, du point de vue de l'origine culturelle des individus qui en sont
membres,, par une très forte proportion d'Antillais français devenus adventistes en Guadeloupe ou
en Martinique ». D'ailleurs, « les dirigeants adventistes estiment [la présence antillaise] à 3500
membres sur l'ensemble du territoire hexagonal français soit 33% de la population totale des
membres des deux fédérations » [Desplan, 2005].A Angoulême, ceci se vérifie en partie. Le pasteur,
en poste depuis août 2006, est Antillais. Dans l'Église, on peut voir de nombreux autres Antillais.
Par ailleurs, ce phénomène semble récent : « il y a une dizaine d'années, il n'y avait qu'un noir à
l'Église. Aujourd’hui il y en a bien une vingtaine » m'a déclaré un membre à la sortie d'un culte et, si
je parlais des Antillais à cette personne, sa confusion entre noirs et Antillais provient peut-être du
fait que la quasi-totalité des noirs de l'Église d'Angoulême sont Antillais, même si le premier noir
auquel elle fait allusion est Guyanais. Par ailleurs, Fabrice DESPLAN avance que « dans la migration
d'adventistes antillais vers la France, l'adventisme, qui avait un rapport négatif avec la culture
antillaise aux Antilles, devient un outil de réappropriation identitaire pour les Antillais » [Desplan,
2005]. On trouve dans les propos d'Antillais de l'Église d'Angoulême des éléments qui vont dans ce
sens. Ainsi, l'un d'entre eux a été « très surpris » de constater que les adventistes de l'hexagone
n'allaient pas nécessairement au culte en costume cravate. Ensuite, alors que « des fois le créole
n'est pas accepté » [Desplan, 2005] aux Antilles, un cantique polyglotte chanté parfois à Angoulême
contient un couplet dans cette langue.
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Cette transition de la relation qu'entretient l'Église adventiste vis à vis des traditions de ses membres
antillais est intéressante dans la mesure où elle illustre une modification majeure du rôle joué par la
religion dans le rapport à la société englobante. Le théologien adventiste Stefan HÖSCHELE, dans sa
thèse sur l'Adventisme en Tanzanie, établit une typologie du rôle que peut jouer l'Église adventiste
pour ses membres face à ce qu'il appelle la modernité. Selon lui, l'Église peut détruire la culture
traditionnelle (l'Église comme marteau) ou bien permettre de la déserter (l'Église comme pont) au
profit de la modernité. Mais cette culture peut également être protégée (l'Église comme bouclier) ou
bien imprégnée de modernité (l'Église comme tampon). Enfin, la culture traditionnelle peut être
rejetée au même titre que la modernité (l'Église comme forteresse), ou bien les deux peuvent être
amalgamées (l'Église comme Melting pot) [Höschele, 2005]. Dans toutes les images utilisées (sauf
peut-être celle du marteau) une notion géographique fondamentale ressort : celle d'interface. Dans
le cas des Antillais adventistes, il s'agit donc du passage de l'Église comme forteresse à l'Église
comme tampon une fois l'Atlantique franchi. Ceci signifie que les Antilles, leurs traditions, ne sont
plus autant mises à distance, redeviennent un territoire habitable voire un foyer à partir duquel peut
se déployer « l'effort-pour-être », l'intériorité du fidèle (voir p49).
2.1.2. Répartition de la population sur le territoire charentais
Pour ce qui est de leur répartition sur le territoire, 52% des membres de l'Église adventiste
d'Angoulême résident dans la Communauté d'Agglomération du Grand Angoulême (ComAGA),
contre 33,1% de la population totale charentaise selon le recensement de 1999. Il me semble qu'en
conclure que les adventistes sont davantage des urbains que des « ruraux » serait hâtif. En effet, il
faudrait, pour tenter de confirmer cette hypothèse quantitativement, posséder des données
concernant une autre association culturelle ou mieux religieuse dont le champ d'action déclaré en
préfecture couvrirait le département et qui organiserait des réunions hebdomadaires à son siège,
situé à Angoulême. Au contraire, les entretiens semi-directifs que j'ai mené montrent que tous les
enquêtés déclarent vivre ou avoir vécu par le passé « en milieu rural ». Tous également souhaitent
pouvoir vivre « à la campagne » ou « pas en ville », même si souvent (6 personnes) une proximité
immédiate de la ville est souhaitée. Aussi, sachant que 77% (14 sur 18) des retraités adventistes de
l'Église d'Angoulême vivent hors de la ComAGA, et que l'appartenance à cette Église entraîne des
déplacements hebdomadaires parfois ressentis comme « éprouvants » ou « difficiles » par les
membres concernés (un seul dans mon échantillon), on peut soutenir l'hypothèse qu'une Église
adventiste, par la charge symbolique qu'elle appose au sabbat à la fois en tant que jour du repos
mais aussi — et c'est ce qui explique les déplacements — en tant que réunion des croyants, que
cérémonie d'adoration.
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Le désir de ruralité dont font part des adventistes est justifié bien souvent par la volonté d'être
« plus proche de la nature » (8 personnes) ou loin de la ville. Si tous les enquêtés trouvent
saugrenue l'idée qu'à la campagne on est plus proche de Dieu car, comme l'affirme Jean-Paul M.
« Dieu est présent partout de la même façon », ils pensent cependant qu'on peut y mener une vie
« plus saine » (6 personnes) ou « plus proche des principes chrétiens ». Mon hypothèse de départ,
qui postulait que les adventistes, percevant la ville comme un lieu de tentation ou de dégradation
constante de la création, essayaient dans la mesure du possible de s'en éloigner, n'a pas été
confirmée. Un tel comportement — se couper de tout lien avec la ville voire la société englobante
qui dans les propos des enquêtés sont souvent assimilées — est même perçu comme « extrémiste »
(7 personnes) voire « contraire à l'enseignement du Christ » par une personne qui considère que le
centre de son message est « l'équilibre entre l'amour pour Dieu, l'amour du prochain, mener une
vie saine et s'intégrer aux autres ».
L'idéal de vie des adventistes est donc lié à la ruralité, ce qui historiquement s'explique par le rôle
de ses pères fondateurs — parmi lesquels de nombreux cultivateurs — dans la réforme hygiéniste
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Carte 5: Répartition géographique des membres de l'Église adventiste d'Angoulême
américaine du milieu du XIXe siècle (ils ont ouvert le premier sanatorium du pays à Battle Creek en
1866). Cette réforme prônait, pour les urbains, un mode de vie plus rural : activité physique
régulière, régime alimentaire tendant au végétarianisme, prohibition de l'alcool du café et du tabac.
On aurait pu croire, dès lors, que les églises adventistes floriraient en milieu plutôt rural. Cependant,
la plupart des églises adventistes se situent dans la préfecture du département ou dans son
agglomération.
2.2. Site et situation : une centralité marginale
La plupart des Églises locales adventistes ont leur bâtiment dans une préfecture et ont une aire de
responsabilité qui recoupe la département. Pour Philippe Aurouze, « chaque Église correspond à un
département car il faut déclarer une aire géographique d'action [...] : le plus simple est de dire le
département », et l'église se trouve dans la préfecture ou à proximité « parce que qui dit préfecture
dit grosse ville, qui dit grosse ville dit population, et qui dit population dit Église ». Cependant, il
serait naïf de considérer que l'organisation adventiste subit le maillage départemental : il correspond
plutôt à une volonté de s'adapter aux échelles et aux sociabilités dont les (potentiels) membres sont
déjà familiers, surtout que dans bien des cas le département est lié à une territorialité particulière
forte. Ainsi, en Espagne, les communautés autonomes espagnoles fournissent elles aussi un
maillage repris par l'organisation adventiste, tout comme les landers en Allemagne. De même,
l'association immédiate entre préfecture et grande ville, qui guide donc la stratégie de contrôle du
territoire de la fédération-sud, semble assez réductrice car une centralité administrative ne l'est pas
nécessairement du point de vue économique ou démographique. En outre, à plusieurs reprises, c'est
par une petite ville que l'adventisme a fait son entrée dans un département du Grand Sud-Ouest :
Saintes en Charente-Maritime (qui a été ensuite phagocytée par l'Église de La Rochelle) et Ribérac
en Dordogne (là encore, phagocytée par la préfecture, Périgueux). Mais ce n'est pas seulement à
l'échelle locale que l'Église adventiste réutilise les maillages existant pour profiter des
infrastructures ou des sociabilités antécédentes à son implantation. Ainsi, questionné sur la
localisation du siège de l'Union à Dammarie-Les-Lys en Ils de France, Philippe Aurouze répond que
« en France on a toujours tout voulu centraliser. D'abord ya eu la monarchie absolue puis le
jacobinisme. Alors peut-être que les adventistes français font la même chose, par facilité ».
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A Angoulême, plus spécifiquement, le bâtiment, après s'être longtemps trouvé dans le centre-ville,
se trouve au pied des remparts sud, dans la ville basse, et s'il ne s'agit pas de l'Houmeau, on ne peut
s'empêcher de penser tout de même à la remarque d'Honoré de Balzac dans Illusions perdues : « en
haut la Noblesse, l'Évéché et le Pouvoir, en bas le Commerce et le Temple ». Notons au passage
qu'aucun membre ni aucun auteur adventiste ne désigne à notre connaissance le lieu de culte sous le
nom de temple. Vers le nord donc, l'église est surplombée par les remparts et quelques maisons
individuelles situées sur la pente. Vers l'ouest se trouve la rue par laquelle on peut y accéder, bordée
de résidences. Enfin, au sud et à l'est, elle est à proximité de deux barres d'immeubles, dont les
parkings privatifs sont occupés par les membres le samedi matin.
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Carte 6: Les lieux de culte adventistes à Angoulême
Le bâtiment a été racheté aux Témoins de Jéhovah, pour qui il était devenu trop petit et qui se sont
eux aussi éloignés du centre-ville en élisant domicile dans la commune périurbaine de La Couronne,
et son intérieur a été entièrement aménagé par les membres. Le fait que le bâtiment soit passé des
mains d'un groupe religieux à celles d'un autre n'est que pure coïncidence. Ce déplacement du
centre-ville vers une certaine périphérie est assez général, d'après Philippe Aurouze. Il concerne
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Carte 7: Croquis du site de l'église adventiste d'Angoulême
avant tout les Églises n'ayant pas pu s'acheter un local assez grand quand les prix de l'immobilier
étaient encore bas. Les Églises ayant beaucoup crû doivent donc se déplacer en périphérie sous
peine de se ruiner : nous sommes donc dans une logique de déconcentration tout à fait similaire à ce
que l'on peut observer dans l'industrie ou l'administration. Par ailleurs, lorsqu'on demande aux
membres ce qui pour eux est l'église idéale, on trouve uniquement des préoccupations d'ordre
pratique ou relationnel, ce qui montre que le fait religieux en tant que tel ne détermine pas le
territoire adventiste, en tout cas tel qu'il est visible au travers des marqueurs spatiaux que sont ses
églises. Ainsi par exemple Marguerite F. :
« Ben la structure idéale pour une église ce serait d'avoir le bâtiment avec un peu de terrain autour et un parking pour les voitures... minimum quoi. Et puis assez de... de de de place dans l'église pour pouvoir euh faire des classes pour les enfants pour pouvoir manger tous ensemble quand on veut manger tous ensemble pour des soirées et des animations un petit peu internes et bon ça ya pas. Après euh pfff (2sec), après c'est vrai que on avait choisi Angoulême parce que c'était le c'était le centre-ville et puis que euh euh dans les grandes villes c'est quand même plus pratique pour les gens s'ils veulent venir en train ou... vous voyez pour le transport c'est quand même plus, plus facile mais bon euh... (2sec) c'est vrai que l'idéal ce serait peut-être plus à la campagne euh quelque chose de plus tranquille euh mais bon il faut voir aussi selon où se situent les familles parce que si toutes les familles sont à la campagne bon euh qu'est-ce qu'on fait en ville quoi. Ce serait un peu ridicule mais bon ça c'est, c'est une stratégie je dirais pour être plus, plus adaptés. »
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Dans l'adventisme, le phénomène religieux n'est pas producteur de centralité, au sens où il peut
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Carte 8: Plan de l'église adventiste d'Angoulême
l'être par exemple dans le catholicisme. J'entends par là que si Lourdes, lieu de pèlerinage, est
devenu une centralité catholique, c'est que d'abord s'y est produit un miracle, l'apparition de la
vierge à Bernadette. Le religieux y est donc antécédent à la centralité. A l'inverse, les lieux de culte
adventistes ont tendance à se surimposer à une centralité en ce sens qu'ils recherchent le lieu le plus
accessible par tous les membres, ce qui souvent, à cause de la structuration du réseau routier
français, est une ville importante.
L'église en elle-même peut prendre des formes très variées selon les matériaux ou les bâtiments
disponibles localement. Ainsi, des églises catholiques et anglicanes ont été vendues à l'Église
adventiste. Contrairement à ce qu'on observe dans ces confessions ou même dans le luthérianisme,
l'architecture extérieure ne fait pas sens. Cependant, pour ce qui est de l'aménagement interne, des
modèles d'organisation sont proposés aux fidèles, afin qu'ils n'oublient pas de pièce essentielle. Car
la discrimination interne au bâtiment, elle, fait sens. Elle se fait d'abord selon l'âge, puisque que
chaque classe de l'école du sabbat, établies selon ce critère, a sa propre salle. Elle se fait ensuite par
importance de la personne au sein de la communauté : dans la salle principale où a lieu l'école du
sabbat des adultes, chacun parle depuis sa place dans l'assistance, sauf ceux qui animent l'école,
lisent les lettres de la fédération ou des rapports missionnaires, qui parlent depuis un petit pupitre.
Le prédicateur, quant à lui, parle d'un pupitre plus imposant posé sur une estrade, un mètre environ
au-dessus du sol.
2.3. L'implication des laïcs dans la vie d'Église : conséquences sur la territorialisation
Le paragraphe précédent parlait sciemment de prédicateur et non de pasteur, car ces derniers ne sont
pas les seuls à pouvoir prêcher. Ceci est particulièrement patent dans les Églises partageant avec une
autre leur pasteur, qui ne peut donc être présent qu'à certaines cérémonies — une sur deux à
Angoulême, qui partage son pasteur antillais avec La Rochelle. Mais la participation des laïcs ne se
limite pas à une nécessité pour pallier un manque de personnel. Elle est constante, et donne un
fonctionnement pour ainsi dire participatif à l'Église locale. Ainsi, pour chaque poste à
responsabilité — trésorerie, secrétariat, mission, communication, bonnes œuvres, etc. — une
nomination a lieu. Il ne s'agit pas d'une élection en ce sens qu'on ne peut pas se présenter : les
candidats sont proposés par d'autres membres. Les postes à pourvoir sont si nombreux et les
mandats si courts (un à deux ans) que presque chaque membre a un rôle ou une fonction spécifique
à remplir, et doit même parfois cumuler plusieurs mandats. L'implication des membres dans la vie
de leur Église, véritable micro-société, est donc très intense et a donc des conséquences sur la
construction des territoires des membres.
Une exception, et non des moindres, dans cette présentation : ce ne sont pas les membres qui
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choisissent leur pasteur, il leur est imposé par la fédération. Tous les cinq ans environ a lieu une
rotation des pasteurs entre les Églises locales d'une même fédération. Il y a donc une
homogénéisation au niveau de la fédération, si on considère chaque pasteur comme une innovation
ou comme pourvoyeur d'innovations et de particularités. Cette rotation a pour but avéré d'empêcher
la formation d'un lien fort et exclusif entre le pasteur et ses ouailles qui pourrait au final transformer
le charisme de fonction (que WEBER appelle Amtscharisma) dont il est pourvu par la fédération en
un charisme personnel,autrement dit transformer l'Église locale en une secte. Ce mode de gestion du
personnel officiant témoigne, à mon sens, d'une stratégie réticulaire à petite échelle du contrôle de
l'espace. En effet, l'Église ayant une visée universaliste, elle en vient, pour maintenir son unité et
pour la justifier, à « postuler l'homogénéité, l'isotropie et la transparence de l'espace » et « tente de
réaliser une intégration territoriale et une continuité dans l'aménagement des distances »
[Raffestin, 1981, p188]. Cette stratégie, similaire à celle de l'Église catholique, s'oppose aux
stratégies des sectes évangéliques qui, postulant un « principe de la souveraineté absolue du
groupement communautaire, puisque seules les personnes qui sont en contact journalier et qui se
connaissent mutuellement peuvent juger de leur qualification religieuse réciproque » [Weber, 1910,
p319], en viennent à une conception atomique de l'espace, produisant des territoires à moyenne et
grandes échelles et qui se traduisent souvent par des juxtapositions de réseaux [Raffestin, 1981,
p189]. C'est vers ce type de constructions territoriales que pourrait tendre l'adventisme s'il ne
pratiquait pas la rotation des pasteurs, tant le rôle de la communauté y est prépondérant.
La participation des membres à la vie de leur Église locale est très intense : le fonctionnement y est
unanimement décrit comme « démocratique » par les membres. Cependant, contrairement à des
dénominations où l'absence de clergé empêche de parler véritablement de laïcs, l'existence de
pasteurs dont l'autorité ne dépend pas des membres permet de distinguer ces deux groupes au sein
de l'adventisme. Cette autorité n'est pour autant pas absolue, et j'ai assisté à l'interpellation d'un
pasteur par un membre qui n'était pas d'accord avec lui en pleine prédication. Ceci n'a pas semblé
troubler l'assemblée de moins du monde. Ainsi, la solution de continuité entre la nef et le chœur
(voir carte 8, p46), marquant territorialement celle entre le clergé ou l'autorité prophétique — au
sens où le prophète est une personne qui parle au nom de Dieu — et les membres, est relativisée par
Jean-Paul :
« C'est vrai que le prédicateur a une autorité spécifique et que l'estrade la marque. Mais cette autorité n'est pas absolue hein ! Ce qu'il dit n'est pas parole d'évangile, il peut se tromper. Ça veut juste dire que celui qui parle a une longue expérience de la vie chrétienne et qu'il est digne d'une grande attention. C'est tout, c'est pas comme chez les catholiques que tu dois mieux connaître où faut dire amen à tout ce que le curé dit. »
Relativisée, la rupture n'en est pas moins existante : celui qui parle depuis le pupitre du prédicateur
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est plus « digne d'attention » que les membres parlant lors de l'école du sabbat.
Les territoires manifestent donc spatialement des relations de pouvoir entre acteurs. Ils sont aussi
les traces, les indices, des activités et des pratiques de personnes. Par son intensité, la vie d'Église
implique des déplacements réguliers à l'église et des relations continuelles entre membres. Ceci
explique la perception qu'ont de nombreux adventistes angoumoisins : le lieu de culte est une
maison, un lieu de vie ; l'Église est une seconde famille même si de vives tensions et des inimitiés
se font parfois jour. On remarque cependant que les personnes les plus impliquées ne sont pas les
plus âgées et sont celles qui vivent dans la ComAGA (sauf une). Ce sont toujours des raisons
pratiques qui sont évoquées pour expliquer ce phénomène (« c'est plus pratique », « la vieillesse ça
diminue », « c'est trop loin », « faut du temps pour y aller », « bon maintenant je suis vieux c'est
pas facile » etc.), les membres posant ainsi l'é-loignement — concept issu de la phénoménologie
heideggerienne désignant la place qu'un Dasein assigne à un objet quelconque dans sa construction
territoriale : voir notamment Didier FRANCK [Franck, 1986] — des membres en tant qu'individu à
l'Église en tant qu'acteur syntagmatique comme la résultante de ce que le philosophe Michel HENRY
(1922 - 2002) appelle leur « effort-pour-être » (leur intériorité) et de la « résistance » (l'extériorité)
qui leur est opposée [Henry, 1963], ici associée à la distance et aux moyens physiques. C'est de
cette opposition que naît le territoire, réalité transcendantale.
2.4. L'inter-ecclésialité comme composante majeure de la vie d'Église
L'Église locale est un élément majeur de la construction territoriale de ses membres. Cependant,
dans des Églises de petite taille comme celle d'Angoulême, de nombreuses rencontres sont
organisées avec des Églises voisines d'ampleur comparable. Ainsi, lors des cérémonies du samedi
matin auxquelles j'ai assisté, deux fois les membres de l'Église de La Rochelle sont venus et une
fois ceux de Périgueux. Quant à eux, les membres de l'Église d'Angoulême se sont rendus sur cette
période deux fois à La Rochelle. Ces rencontres donnent lieu le matin à un culte spécifique, souvent
plus orienté vers la louange qu'à l'accoutumé, et l'après-midi à des activités de groupes comme des
promenades en forêt ou des jeux pour les enfants.
Par les déplacements suscités et l'organisation nécessaire, ces pratiques sont une composante
majeure de la vie d'Église et donc de la construction territoriale des membres. Il est important de
noter que les relations avec l'Église de Bordeaux et celle de Poitiers sont inexistantes, ce que nous
tenterons de comprendre plus tard (pour Bordeaux, voir p51 et pour Poitiers p94). Par ailleurs, ces
relations varient selon les pasteurs de chaque Église. Ainsi, cela fait de nombreuses années La
Rochelle et Angoulême disposent du même officiant. Cependant, ce n'est que depuis l'arrivée du
dernier que des relations intenses ont repris, après une vingtaine d'années d'éloignement. Ces
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relations inter-ecclésiales sont perçues de manière très favorable par les membres, qui y voient un
moyen de changer de l'entre-soi habituel, d'y relativiser leur manière d'envisager la vie chrétienne,
même si les Églises avec lesquelles les relations sont intenses restent identifiées comme différentes,
comme appartenant à un autre cercle de relations, et se voient donc assigner une place différente
dans la structure d'é-loignement des membres. C'est d'ailleurs cette identification de la différence
qui permet aux membres de percevoir les rencontres comme extraordinaires, n'appartenant pas à
l'ordre normal des choses. Ainsi Romain :
« Tu sais La Rochelle, j'y suis allé deux fois en quinze jours, mais ça faisait vingt ans que j'y étais pas allé alors qu'on avait déjà le même pasteur. Ça dépend beaucoup de sa personnalité et des activités qu'il voudrait nous faire faire. Pour certaines activités il vaut mieux être deux Églises et puis ça fait du bien de voir d'autres chrétiens d'autres frères et sœurs, de fraterniser euh...tu vois ça permet de voir comment les autres vivent leur foi, de sortir de son petit groupe. »
Ou encore Jean-Paul :
« On est des petites communautés donc on aime se rencontrer pour être plus nombreux mais on le fait plus maintenant car le pasteur est pasteur des deux Églises. Comme ça on est un peu plus nombreux mais on reste entre nous [ie entre adventistes], c'est simplement une question euh euh de plus social qu'autre chose. »
Ce type de relations entre Églises semble être assez courant dans le Sud-Ouest, par exemple entre
Agen, Pau et Bayonne. Ces Églises fonctionnent donc en réseau, dans le sens où l'intensité la
fréquence et la variété (personnes, idées, biens, etc.) des flux qui les relient sont largement
supérieurs à ceux qui les relient avec les autres Églises. Dans le cas de La Rochelle et d'Angoulême,
il faut préciser en outre que deux des trois familles piliers de l'Église d'Angoulême sont d'anciens
membres de celle de La Rochelle, sans que cela relève pour autant d'une stratégie d'implantation ou
de front pionnier missionnaire qui aurait pour foyer La Rochelle et Angoulême comme cible : il
s'agit seulement de la coïncidence de plusieurs trajectoires individuels ou familiaux. Des liens
interpersonnels très forts unissent donc les deux Églises.
2.5. Portrait en contre-point : Bordeaux
Si les relations entre La Rochelle, Angoulême et Périgueux sont assez intenses, en revanche elles
sont pour ainsi dire nulles avec celle de Bordeaux. Après avoir montré que les justifications
qu'utilisent les membres pour expliquer cette absence de relation sont insuffisantes, nous verrons
que la jeunesse des membres bordelais en est peut-être la cause. Enfin, si différentes soient-elles par
l'âge de leurs membres, les Églises d'Angoulême et de Bordeaux n'en connaissent pas pour autant
des problèmes de locaux différents.
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2.5.1. L'absence presque totale de relations entre les Églises de Bordeaux et d'Angoulême
De prime abord, il est étonnant qu'Angoulême ait davantage de relation avec La Rochelle qu'avec
Bordeaux car il faut deux heures en voiture comme en train pour joindre Angoulême à La Rochelle
contre 1h30 en voiture et 1h00 en train entre Angoulême et Bordeaux. On peut expliquer ce
phénomène par l'absence d'échanges de membres entre ces deux Églises, mais il s'agit là d'une
condition non suffisante, car il n'y a pas plus d'échanges ou de migrations entre Angoulême et
Périgueux. Les membres exposent quant à eux plusieurs raisons, qui touchent toutes au même
domaine : la différence de taille entre l'Église de Bordeaux et celle d'Angoulême. Par exemple,
Philippe Aurouze affirme :
« Il y a beaucoup de liens familiaux entre ces Églises [Angoulême, Périgueux et La Rochelle]. En plus, bon c'est un peu dommage peut-être mais les grosses Églises se suffisent à elle-même. Par contre les petites communautés cherchent à se regrouper, à tisser des liens. Du coup, on peut voir ces Églises comme des sortes de petits satellites de Bordeaux. Et puis bon, j'ai bien assez de travail comme ça sans devoir me partager avec d'autres Églises. Il nous faudrait au moins trois pasteurs rien que pour Bordeaux alors... »
L'image de « satellite » qu'utilise le pasteur de Bordeaux est assez surprenante puisqu'elle vise à
décrire l'absence de lien entre ces satellites et leur métropole, à l'inverse de son emploi habituel qui
implique une dépendance et a un sens bien précis dans la géographie des réseaux urbains puisque
dans ce paradigme là un satellite est une « ville considérée comme dépendant d'une autre, et donc
dépourvue de certaines activités rares » [Brunet, 1993]. Cette relation de satellite existe
vraisemblablement plus entre l'Église de Toulouse et celle de Saint-Jean du Falga, puisqu'elles se
partagent trois pasteurs — effectif que Philippe Aurouze réclame pour son Église — et que la
seconde compte six à sept fois (6,37) plus de membres que la première.
Par ailleurs, l'exemple de Toulouse et Saint-Jean du Falga met à mal certains arguments avancés par
des membres de l'Église d'Angoulême pour expliquer l'absence de lien avec Bordeaux. Ainsi
Romain quand il dit : « Tu as vu notre église? Comment veux-tu qu'on accueille l'Église de
Bordeaux? Il faudrait qu'on loue une salle pour ça, mais on n'a pas les moyens ! » S'il est vrai que
la salle de l'église d'Angoulême ne peut accueillir ses effectifs cumulés à ceux de Bordeaux, ce
genre de propos, courant, dénote à mon avis le peu de motivation qu'ont les membres d'Angoulême
d'accueillir leurs frères de Bordeaux. Car eux pourraient venir à l'église de Bordeaux d'une part, et
d'autres formes de sociabilité qu'une présence complète de l'Église à un sabbat peuvent être
envisagées d'autre part. Finalement, on peut supposer — ce que je ne suis pas parvenu à
démontrer — que c'est la profonde différence de composition, notamment au niveau des âges, entre
les deux Églises, qui explique leur incapacité relative à fonder des relations et donc des territoires
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communs hors des rapports institutionnels entre Églises, comme les rencontres de secteur annuelles,
héritières des Camp Meetings des méthodistes américains, qui sont pour faire simple un grand
sabbat. Les secteurs n'ont d'ailleurs d'autre réalité territoriale — d'autre réalité tout court en fait —
que celle de rassembler des Églises données pour les Camp Meetings. Il ne faudrait donc pas voir
dans la scission du Sud-Ouest en deux secteurs une inopérance de cette région dans les
constructions territoriales adventistes, ce que montrent d'ailleurs les noms des deux secteurs, Sud
Ouest nord et Sud-Ouest sud : leur réalité propre est si faible qu'aucun nom propre, aucun toponyme
indice d'un espace géographique ayant une certaine unité, ne leur a été attribué. D'autre part, il
n'existe de région adéquate hors d'un objectif déterminé. Les secteurs ont pour seul finalité de réunir
des croyants fréquentant des Églises relativement proches sans que le nombre de présents interdise
toute relation interpersonnelle : ils ne doivent pas être plus de quelques centaines réunis, ce qui
explique le secteur des deux Savoie puisqu'il compte à lui seul sept Églises très dynamiques et
peuplées.
2.5.2. Des membres plus jeunes qu'à Angoulême
Pour ce paragraphe, je me fonde uniquement sur le fascicule que Philippe Aurouze a rédigé à
l'intention de la hiérarchie adventiste pour promouvoir la construction d'une nouvelle église à
Bordeaux [Aurouze, 2007] et sur l'entretien que j'ai eu avec lui le 21 mars 2007. Selon cette source,
l'Église de Bordeaux compte 112 membres inscrits mais a « un potentiel de 191 personnes » si on
compte les enfants, les membres d'autres Églises assistant au culte (des étudiants) et les adultes non
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Carte 9: Les six secteurs de la fédération sud
baptisés. C'est sur ce nombre de 191 que Philippe Aurouze fonde toutes ses statistiques, ce qui pose
des problèmes pour comparer les données avec celles que j'ai pu relever à Angoulême. Il est
d'ailleurs la seule personne — scientifiques et responsables adventistes mis ensemble — à
comptabiliser les sympathisants, à ma connaissance. Ceci peut s'expliquer par le fait que son
fascicule est censé défendre le projet de construction d'une nouvelle Église, et qu'un nombre
important de membres peut favoriser le déblocage de fonds en provenance de la fédération, qui
finance et détient légalement tous les bâtiments adventistes.
Sur 191 personnes, l'Église de Bordeaux n'en compte que 27 de plus de 60 ans, soit 14%. Par
rapport au nombre de membres, cela représente 24%, ce qui reste donc tout de même moins que la
moitié de la part de cette tranche d'âge dans la population adventiste charentaise (57%). Par ailleurs,
17% des personnes fréquentant l'Église sont des étudiants inscrits ailleurs. Même si le taux de
corrélation entre les deux n'est pas précisé, on peut s'étonner du fait que ce pourcentage est presque
celui des adultes venant des DOM-TOM non-inscrits à Bordeaux (16%). Ceci dit, Philippe Aurouze
écrit par ailleurs que « la plupart [des jeunes] sont étudiants et proviennent des Antilles » [Aurouze,
2007, p5]. En prenant le « et » de cette phrase comme posant une intersection, on peut conclure que
la corrélation entre population estudiantine et antillaise est très forte. En outre, alors même qu'ils ne
sont pas inscrits, « leur dynamisme génère de nombreuses activités où ils sont impliqués »
[Aurouze, 2007, p5].
Cette jeunesse se traduit par une sensibilité particulière dans le culte, notamment dans la place
donnée à la louange. Ainsi, l'Église de Bordeaux dispose d'une batterie, alors que les membres
d'Angoulême préfèrent le piano. Un ancien membre d'Angoulême évoque même la réticence de ses
anciens coreligionnaires à introduire une batterie dans l'église :
« On a vraiment dû lutter. Personne ne voulait. Finalement je sais plus vraiment comment on s'y est pris mais on est rentré la nuit du sabbat dans l'église, on a mis la batterie, et le lendemain matin on a mis les autres devant le fait accompli. Il sont arrivés et là ils avaient plus le choix, elle était là. Et encore yen avait qui voulaient la sortir. »
Le batteur a emmené la batterie en quittant l'adventisme, mais les louanges enjouées ou teintées de
modernité ne sont pas du goût de la plupart des membres charentais. Ainsi, alors que leur nouveau
pasteur propose beaucoup de « cultes de louanges » (des cultes constitués essentiellement de chants
où la prédication en est réduite à sa portion congrue), des membres affirment que « on est pas trop
comme ça », que « c'est pas trop notre tempérament » voire carrément que « c'est un peu ridicule ».
En effet, si dans ces cultes les membres antillais s'en donnent à cœur joie, les autres sont nettement
plus en retrait, chantant presque du bout des lèvres. Ceci peut s'expliquer par une plus forte
conformation des membres charentais (ou des membres âgés) à la doctrine comportementale
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adventiste — conformation qui reste à expliquer — qui stipule que « beaucoup de soin doit être
apporté au choix de la musique. Des personnes vraiment cultivées fuiront tout emprunt au jazz, au
rock and roll, et d’autres genres hybrides, ainsi que tout langage exprimant des sentiments exagérés
ou triviaux. Qu’il s’agisse du foyer, de l’école ou de l’Église, ne faisons usage que de bonne
musique » [Conférence générale, 2006, p182]. Cette différence de sensibilité, dont la musique n'est
somme toute qu'un exemple, est peut-être la cause principale de l'absence d'arc relationnel entre
Angoulême et Bordeaux dans le réseau des Églises adventistes du grand Sud-Ouest. La présence
d'un pasteur antillais finira peut-être par faire évoluer ces sensibilités et finalement rapprocher
Bordeaux d'Angoulême.
2.5.3. Une situation périurbaine
S'il est un point sur lequel ces deux Églises sont proches cependant, c'est bien celui de la situation
de leur bâtiment au sein de leur agglomération. Après s'être longtemps trouvée rue du Palais Gallien
« dans une montée d'immeuble », l'Église loue depuis une vingtaine d'années des locaux à une
Église baptiste de Caudéran, ce qui souligne d'ailleurs la bonne entente que les adventistes
entretiennent avec les autres confessions protestantes, mais aussi la vacuité d'une idée comme celle
de lieu saint : tout lieu est propre à accueillir des louanges. Un exemple est cependant peut-être
encore plus pertinent pour montrer cela : à ses débuts, c'est dans la salle des fêtes de la mairie
d'Angoulême que les adventistes charentais se réunissaient chaque samedi.
2.6. D'Angoulême... à la Terre
Dans cette présentation, j'ai volontairement empiété sur certains thèmes qui seront abordés par la
suite, afin de faire ressortir la dimension géographique de mon propos mais aussi pour faire en sorte
que cette présentation de l'Église d'Angoulême ne soit pas une introduction qui ne dit pas son nom.
Il est maintenant clair qu'Angoulême est une petite Église, dans la moyenne de celles du Sud-Ouest,
dont la population est âgée et qui possède un très faible dynamisme — la disparition de l'Église est
régulièrement évoquée par les membres. Mais jusqu'ici, nous ne nous sommes pas intéressés
véritablement à la géographie des adventistes, c'est-à-dire à la façon dont un individu qui appartient
à une Église adventiste perçoit les dessins de la Terre, ses territoires, mais aussi le lieu depuis le lieu
depuis lequel il parle (son foyer) et que son existence vise : un nouvel Éden, la Terre régénérée.
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3. La Terre, un non-lieu?Marc AUGÉ, développant le concept de surmodernité, explique que « si un lieu peut se définir
comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire,
ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu. » [Augé, 1992, p100]. Un non-lieu
ne peut donc en aucun cas être un foyer, autant au sens de refuge que d'origine. Pour un adventiste,
la Terre, prise dans son unité, ne peut apparaître ni comme refuge ni comme origine car elle est une
créature qui subit la volonté du maître de l'Histoire. Néanmoins, comprise comme habitation —
temporaire, c'est-à-dire en tant qu'espace, elle est le domaine de Satan, Seigneur de ce monde; mais
aussi le lieu d'affrontement, le champ de bataille qui oppose le Seigneur à l'Ennemi lors de la grande
controverse (the great controversy). Affirmer d'emblée que la Terre apparaît comme un non-lieu
pour des Adventistes serait donc abusif. Il nous faut auparavant montrer, reprenant la terminologie
d'Edmund HUSSERL [Husserl, 1932], que pour un chrétien la Terre n'est pas un sol mais un corps,
qu'elle n'est donc pas ce que HUSSERL appelle Terre. Ensuite, il nous faudra développer les charges
symboliques dont sont revêtus l'espace et le temps dans les discours adventistes, avant enfin
d'étudier comment les lieux terrestres — mais aussi les institutions, les valeurs, etc. — se trouvent
dans une incapacité de faire sens par eux-mêmes, sans référence à un au-delà céleste.
3.1. La terre comme sol et comme corps
Quelle utilité d'intégrer dans ce mémoire des concepts phénoménologiques ? Comment les faire
entrer dans le cadre d'une démarche qui se veut géographique ? Quelle légitimité y a-t-il à formuler
mon discours sur les adventistes en des termes qu'ils remettraient peut-être — sûrement ! — en
cause ? J'ai longtemps hésité à prendre ce droit... et ce risque. Mais la géographie a ceci de
particulier que, science de toutes les interfaces, de toutes les rencontres, elle est capable de faire
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sienne les discours les plus divers émis depuis les lieux les plus divers : elle est elle-même une
interface épistémologique, ce qui la rend d'ailleurs souvent difficile à définir précisément. En outre,
de nombreux géographes ont déjà sauté le pas, avec en tête Éric DARDEL (1899 - 1967). Il m'a
semblé utile d'exploiter certains concepts phénoménologiques afin de rendre clair mon propos, mais
surtout parce que le discours que porte le religieux sur le territoire, et qui par là le construit, met en
jeu de manière assez explicite des problématiques existentielles ou ontologiques. Si j'ai choisi
d'exploiter surtout HUSSERL et non MERLEAU-PONTY ou HEIDEGGER, ce n'est pas à cause d'un
attachement particulier à cet auteur mais simplement parce que, au hasard de mes recherches, j'ai
trouvé chez lui des textes et des concepts qui me semblaient adéquats pour traiter le problème qui
nous occupe. J'aurais peut-être trouvé mieux ailleurs, mais rien ne sert d'utiliser un ciseau pour
tailler un moellon.
3.1.1. Sol, corps, corps-sol, sol-corps
Pour HUSSERL, le sol est ce à partir de quoi un étant se construit, le fondement absolu de son être.
Ainsi, « la Terre elle-même, dans la forme originaire de représentation, ne se meut ni n'est en
repos, c'est d'abord par rapport à elle que mouvement et repos prennent sens »[Husserl, 1932, p12].
Un corps, lui, est projeté dans le monde, appartient au monde, à l'« espace de jeu des possibilités »
[Husserl, 1932, p13]. Il peut donc être objet de projet et « possède non seulement extension et
qualification mais aussi son "lieu" dans l'espace, en tant que lieu susceptible de changer, de se
mouvoir ou reposer » [Husserl, 1932, p16]. Malheureusement, nous ne pouvons nous permettre de
discuter ici la parenté que nous croyons voir entre la localisation d'un corps chez HUSSERL et
l'éloignement d'un être-dans-le-monde chez Martin HEIDEGGER, en tout cas tel qu'explicité par Didier
FRANCK [Franck, 1987, p86sqq].
Corps-sol et sol-corps sont deux concepts, encore à l'état d'ébauche sous la plume de HUSSERL pour
qui La Terre ne se meut pas n'était qu'un brouillon, qui permettent de rendre compte de deux
phénomènes. D'une part, on ne peut maîtriser ne serait-ce que cognitivement un sol qu'en
l'objectivant, en en faisant un objet : il est donc un sol-corps. D'autre part, tout corps, en tant
qu'objet, fruit et source de notre inquiétude prend place dans notre sol, devient une nouvelle
fondation : il est donc un corps-sol. ( On peut remarquer que ce rapprochement du corps et du sol en
corps-sol et sol-corps prend place dans une dynamique plus générale de la phénoménologie qui
consiste à rapprocher voire à confondre des concepts qui auparavant étaient compris comme
opposés : sujet et objet, intériorité et extériorité, âme et corps, etc. ) A partir de ces quatre concepts,
nous pouvons essayer de comprendre la place que nos sujets donnent à la Terre dans leurs discours.
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3.1.2. Le jardin d'Eden, vrai sol dont le monde actuel est la trace
Les adventistes considèrent que Dieu « a révélé dans les Écritures un compte rendu authentique de
son activité créatrice » [Conférence générale, 2006, p10]. Autant dire qu'ils sont créationnistes, et
qu'aucun des adventistes que nous avons interrogé ne porte le moindre crédit aux thèses
évolutionnistes telles qu'elles sont formulées. Profitons-en pour remarquer que le créationnisme, tel
qu'on peut le rencontrer depuis la fin du XIXe siècle, peut être compris comme résultant du
cartésianisme. « C'est vrai que ça a été écrit par des Orientaux, qui n'ont pas forcément la même
façon que nous d'aborder les choses. C'est vrai que nous on a un esprit plutôt... plutôt cartésien »
nous dit Auguste. Il nous semble en tout cas certain que les rédacteurs des textes bibliques n'avaient
pas la même approche de la réalité, et que le conflit entre créationnistes et évolutionnistes est issu,
de la part de ces premiers, d'une lecture cartésienne de la Bible, en voulant y voir un compte rendu
fidèle sur des idées « claires et distinctes ». Notons également qu'une telle lecture est aussi la cause
de bien des défections parmi les croyants.
Cependant, si un tel attachement est porté à une lecture littérale de la Genèse, c'est qu'y est décrite
la Terre des origines, sortie des mains du Créateur et non encore maudite par lui, une Terre qui peut
être un vrai foyer car le mal n'y a pas d'emprise. Cette Terre est véritablement habitable, même si
« la Terre n'est pas origine; elle n'est pas au commencement de la vie et de l'Être. Elle est une
œuvre, une création. Elle n'est par elle-même que cette substance "informe et vide" du Chaos,
"abîme" et "ténèbres", espace avant l'espace. [...]La Terre vient après le Créateur; elle est en
dehors de lui et au-dessous de lui. Elle est en vue de quelque chose. A travers elle, quelque chose
doit s'accomplir » [Dardel, 1952, p93]. Mais cette Terre est-elle vraiment hors du Créateur et en-
dessous de lui quand il est écrit que Dieu vivait parmi les hommes, c'est-à-dire que la Créature était
apte à accueillir en son sein le Créateur, à être sa maison ou autrement dit quand Dieu habitait la
Terre? Avant le péché originel, tout était très bon, parfait : la seule finalité que pouvait poursuivre la
Terre était justement de persévérer dans son être. Pour les adventistes, cette Terre est la seule nature
vraiment naturante, la seule Terre à pouvoir se dire vraiment Terre, c'est-à-dire sol.
Pour les adventistes, « le péché originel introduit non seulement un désordre éthique, mais aussi un
désordre écologique » [Willaime, 1995, p16] : la Terre — en tant que planète — n'est plus apte à
être une maison, un écoumène. Lorsque Jean-Paul WILLAIME parle de « désordre écologique », il le
fait à juste titre puisque tout ce qui est perçu par les adventistes comme contraire au bien-être
humain ne peut, pour eux, que résulter du péché, qu'être une manifestation du mal dans le monde.
Cet élément se retrouve dans de nombreux discours adventistes, chez Romain par exemple :
« C'est vrai que si on lit par exemple le livre de l'Apocalypse où il est question de la nouvelle terre où il n'y aura plus de douleur de souffrance etc., c'est sûr que quand on regarde bien la nature on voit des arbres morts on sait pas pourquoi, on voit des
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parasites sur les troncs d'arbres avec la mousse et tout ça, on voit plein de défauts, on voit bien que c'est pas la vie luxuriante partout, c'est pas le paradis hein : les plantes meurent, les animaux meurent, ya des maladies. En plus j'ai un verger j'en sais quelque chose parce que des fois ya des maladies, des pucerons, plein de maladies qui mangent les fleurs [...] les fruits [...] on sent bien que la nature est malade quoi [...] Je récolte des fruits rabougris, avec des taches, mangés par les insectes... c'est là qu'on voit que la nature elle est pas idéale hein. »
Mais la trace du mal porte même sur des éléments de plus grande envergure à l'échelle terrestre.
Ainsi, tous les enquêtés expliquent la présence des continents par le péché originel, puisque qu'il est
écrit : « Que les eaux qui sont sous le ciel s'amassent en une seule masse et qu'apparaisse le
continent » (Genèse 1, 9). Quant aux montagnes, elles sont unanimement le fruit du déluge. Il est
intéressant de noter que c'est exactement l'interprétation qui est donnée dans Ce que croient les
adventistes...
Malgré le fait que la géographie traduit l'œuvre du mal, les adventistes utilisent l'argument
callistique, c'est-à-dire que pour eux la beauté de la nature est une preuve de l'existence de Dieu
(voir texte 2, p58). C'est donc que la Terre est aussi trace du jardin d'Eden. Paradoxalement, c'est
même sa dégradation qui montre la grandeur de Dieu : la nature est bonne est belle alors même que
le mal, la difformité, l'habitent de part en part. Imaginez donc l'œuvre de Dieu non souillée !
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L'oreille attentive entend et comprend la voix de Dieu dans la nature. Les prairies verdoyantes, les arbres majestueux, les boutons et les fleurs, le nuage fugitif, la pluie, le murmure du ruisseau, la splendeur du ciel, tout parle à nos cœurs et nous invite à faire connaissance avec celui qui a créé toute chose.
Ellen G. WHITE, 1892, Le meilleur chemin
Texte 2: La nature fait signe vers Dieu
3.1.3. La Terre régénérée, vrai sol dont le monde actuel est l'indice
L'adventisme est un millénarisme. Le millenium — les « mille ans de bonheur » comme dirait Jean
DELUMEAU — et l'éternité qui s'en suit dans la Nouvelle Jérusalem y ont donc un rôle capital. A la
Parousie, la Terre sera régénérée, renouvelée, des enfants adventistes disent « toute neuve ». Cela dit
bien ce que ça veut dire : toute trace du mal, d'usure, en sera retirée. Pour reprendre la formulation
de FEUERBACH (1804 - 1872) qui stipule que Dieu a été imaginé par l'homme en s'idéalisant, on peut
dire que le Paradis terrestre est imaginé par les adventistes en idéalisant leur environnement, qu'il en
est l'alpha (le jardin d'Eden) et l'oméga (la Terre régénérée). Je préciserai même en disant que la
Terre renouvelée est imaginée en éliminant ce qui est compris comme mauvais de leur
environnement. Autre point important de cette vision de la Terre d'après la Parousie et du mode de
vie qu'y auront les élus : sa profonde ruralité, alors que le texte de Jean, par une longue description
de la Nouvelle Jérusalem, les place franchement dans un contexte urbain.
3.1.3.1. Description de la Terre renouvelée : une géographie négative
La théologie classique, celle de Thomas d'Aquin par exemple, envisage le mal comme une privation
du Bien et de l'être, comme une absence, un manque. A l'inverse, la théologie négative est une
démarche qui tente de définir Dieu par la négative, en disant qu'il n'est pas ce qu'il n'est pas : il s'agit
de le priver de certaines déterminations qui le lui appartiennent pas. Autrement dit, il s'agit de
circoncire Dieu sans pour autant lui donner un contenu positif. C'est, il me semble, une démarche
similaire qu'ont les adventistes d'Angoulême quand ils tentent d'appréhender géographiquement ce à
quoi pourrait ressembler la Terre renouvelée. Ainsi Romain déclare en se fondant sur une vision de
Ellen G. White (c'est moi qui souligne):
« Alors c'est une vision d'Ellen White : ya des collines ondulées, des fleurs, de la végétation... Alors déjà cette colline qui ondule, c'est pas l'image de la falaise, de la montagne où on risque une chute de pierre [...] c'est pas non plus un paysage plat, c'est
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Le récit biblique [de la création] est relativement simple. Sur l'ordre du Créateur, « les cieux et la terre, la mer, et tout ce qui s'y trouve » apparurent instantanément (Exode 20:11). Six jours tout au plus furent nécessaires pour transformer une terre « informe et vide » en une planète à la végétation luxuriante regorgeant de créatures épanouies et de toutes sortes de plantes. Notre planète était parée de couleurs et de formes claires, pures et éclatantes, associées selon un goût très sûr et dans un soucis de précision du détail et de la fonction.
Ensuite, Dieu « se reposa », s'arrêta pour fêter l'événement et pour s'en réjouir. A jamais la beauté et la majesté de ces six jours resteraient dans les mémoires grâce au repos.
Ce que croient les adventistes... p77
Texte 3: La beauté du monde avant le péché originel
pas monotone, ça ondule [...] ya le loup qui mange avec l'agneau, on voit comme ça les animaux qui ne sont plus carnivores, ils sont tous ensemble à manger de l'herbe, donc on voit que ya plus d'agressivité, ya plus de risque ya plus de maladies ya plus de mort et en plus ya l'arbre de vie qui donne des fruits tous les mois, donc ya des fruits en permanence [...] C'est vrai que c'est une vie idéale... ya pas à gagner de l'argent pour gagner sa vie, ya pas à se protéger des voleurs et des bandits parce qu'il y a aucune agressivité donc pas besoin de juge pas besoin de policier pas besoin de prison... c'est le bonheur idéal où tout le monde se respecte les uns les autres et c'est la paix, c'est la sérenité quoi. »
Autre exemple, un extrait de la prédication du 17 février 2007, par l'ancien consacré de l'Église :
« Dans le monde nouveau, il n'y aura plus de guerre, plus de racisme, plus de famine, plus de persécution religieuse ou politique. [...] Les volcans seront éteints, les cyclones, sècheresse, pluies torrentielles seront complètement inconnues. »
On trouve le même type de description dans un prospectus adventiste distribué dans des boîtes à
lettres, que j'ai trouvé au fond de la salle de culte. Il est accompagné d'un coupon à retourner pour
recevoir une brochure intitulée La grande espérance et des cours nommés Croire, c'est la vie.
Encore une fois, c'est moi qui souligne.
Ce qui ressort de la confrontation de ces deux textes, outre leur très forte conformation l'un à l'autre,
c'est que le Paradis y est décrit en mettant en scène l'absence des marqueurs spatiaux de la présence
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LE RÊVE !
Être en pleine forme, en parfaite santé, avoir une famille où chacun a sa vraie place, dans l'harmonie et l'entente, mais aussi la fantaisie. Avoir un travail passionnant et valorisant, mais pas trop accaparant. Avoir des amis, des vrais, et pas d'ennemis. Avoir du temps pour se cultiver, pour vivre et partager.
Quelle merveille ce serait !
Mais attendez, vous n'avez pas encore tout lu !
Vivre dans un monde sans hôpitaux ni pharmacies parce que cela ne sert plus à rien. Sans police ni armée parce que la sécurité règne partout. Sans tribunaux, sans prisons, sans barreaux, sans serrures, parce qu'il n'y a plus ni crimes, ni vols, ni viols. Sans Restos du ceur, sans Armée du salut, sans ANPE, sans camps de réfugiés, parce qu'il n'y a plus ni chômage, ni sous-développement, ni misère, ni rejet. Sans poubelles, ni décharges, ni centrales nucléaires, ni stations d'épuration, ni déchets, ni effets secondaires indésirables.
Oui, le rêve ! Le rêve parfait. Le rêve dont vous n'avez jamais osé rêver !
Bientôt ce rêve deviendra une réalité ! Oui, c'est vrai ! Pour vous comme pour moi.
Quand ? A quelle condition ? Comment ?
Comme un grand cadeau offert par Dieu au moment où il le décidera. Jésus reviendra, il l'a promis. Et c'est lui qui fera de ce beau rêve une réalité.
Texte 4: Description prosélytiste du Paradis à venir
du mal et du péché. On peut cependant établir une différence entre eux. Si le discours de Romain
décrit l'état de la nature régénérée (animaux herbivores, fruits en toute saison, bonne santé générale
et perpétuelle, etc.), celui du prospectus montre l'absence d'infrastructures anthropiques (hôpitaux,
armée, œuvres caritatives, etc.) rendus inutiles par l'absence de mal.
Dans son ouvrage Le Droit de Dieu (1974), le philosophe et théologien — il décrivait son œuvre
comme une « théologie philosophique » — français Claude BRUAIRE (1932 - 1986) exprimait l'idée
que « la vérité de la théologie négative est l'athéisme » [Bruaire, 1974, p12]. Pour faire court, son
raisonnement est le suivant : tenter de définir un objet par ce qu'il n'est pas, c'est affirmer qu'on ne
peut pas lui attribuer un contenu positif, c'est-à-dire qu'il ne peut être un objet. Dans le même temps,
c'est affirmer qu'il est de même nature, en moins en partie, que ce qu'il n'est pas — puisque lui et ce
qu'il n'est pas doivent avoir une limite commune pour être délimités. Au final, il ne peut rien
demeurer de verbal sur Dieu, puisque la démarche apophatique présuppose son absolue simplicité,
alors que toute parole est dialectique, composée. Les théologiens négatifs, selon Claude BRUAIRE, ne
peuvent donc en venir, au mieux, qu'à une foi dont le contenu est indéfinissable, que Dieu est la plus
pure des indéterminations — mais cela même est encore trop, car verbal. C'est la position soutenue
notamment par PLOTIN (205 - 270), considéré comme le père de la tradition apophatique, qui estime
que Dieu, absolument simple, n'est pas, car lui attribuer l'essence revient à introduire un
redoublement interne qui relève déjà de la procession. On pourrait longuement discuter de la
validité d'une telle analyse, car une foi dont le contenu serait entièrement élucidable, dicible,
explicitable, comme le veut la théologie naturelle, ne laisse pas de place à la révélation, pourtant au
cœur du christianisme.
Peut-on affirmer au sujet de la géographie de la Terre renouvelée adventiste ce que Claude BRUAIRE
affirme pour la théologie négative? C'est-à-dire : cette géographie négative impliquerait-elle l'a-
territorialité du monde nouveau, voire son inexistance? S'il est un point sur lequel les adventistes
sont prudents, c'est bien sur les événements à venir et sur cette géographie. Tous les enquêtés —
dont les réponses sont similaires à celle de Romain mais sont moins développées, insistant sur
l'absence de mort et de maladie — commencent leur description en disant qu'il s'agit d'un « avis
personnel », d'une « interprétation », car « il n'y a pas assez d'éléments dans l'Apocalypse pour
avoir une idée claire ». Il y a donc bien problème à s'imaginer ce en quoi pourrait consister le
nouvel Éden. Un adventiste a même déclaré avec ironie — mais quelle pertinence de ses propos, qui
condensent tous les idéaux adventistes ! — : « au Paradis, les mobylettes rouleront au lait de
soja ». Ceci vise à montrer que les adventistes imaginent un monde avec tous les avantages de la
société moderne mais qui serait totalement non-polluant. Il s'agit là encore d'un contenu en négatif
puisque cela revient à dire, selon un schéma déjà repéré : le monde moins ce qu'il a de mauvais
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égale le Paradis. Pourtant, il est un contenu positif qui se fait jour dans les descriptions : la ruralité
de la Terre renouvelée.
3.1.3.2. La ruralité de la Terre renouvelée
Je ne sais pas si l'on peut vraiment dire que la ruralité du Paradis terrestre est un contenu positif
dans la mesure où elle résulte, dans le discours adventiste, de l'inutilité des infrastructures urbaines,
actuellement nécessaires à cause de la présence du mal. Cependant, à certains moments, un paysage
dont la seule anthropicité est celle de l'observateur est décrit. Certains me feront le reproche de
confondre ruralité et « nature », dans la mesure où le monde rural est très fortement anthropisé. Si je
les confonds, c'est d'une part parce que le système de cueillette, forme de ruralité à minima, est
l'idéal présenté du mode de vie adventiste puisqu'il est celui qu'il y aura dans le Paradis terrestre,
mais aussi parce que les adventistes, dans leur discours, confondent les deux. L'anthropisation
rurale est perçue comme une mise en valeur de la nature, tandis que l'urbanité est souvent comprise
comme sa dégradation. Après avoir donné un aperçu du monde rural et de la nature qui, dans la
construction territoriale des adventistes, est mise à proximité, nous verrons que la montagne et son
mode de vie apparaissent comme la quintessence de cette ruralité, pour certains adventistes.
3.1.3.2.1. La mise à proximité de la « nature »
Nous avons vu que les adventistes charentais vivent ou ont presque tous vécu à un moment donné
en milieu rural. Le mode de vie rural, loin de l'agitation de la ville, est vécu comme un foyer. Idéal
de la vie, c'est à partir de lui que les adventistes s'imaginent le paradis à venir.
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Nul besoin d'être attentif pour voir que le texte 5 commence par une description de ville.
Cependant, si cette première partie est habituelle dans de telles descriptions puisqu'elle reprend le
texte de l'Apocalypse, la suite constitue une innovation, d'autant plus que c'est sur cette deuxième
partie qu'Ellen White met le plus d'emphase. Il est vrai que la thématique de l'entente entre les
animaux est directement tirée du livre d'Esaïe, mais dans d'autres descriptions du Paradis,
notamment dans celle qu'en fait le Suédois Emmanuel SWEDENBORG (1688 - 1772) (pour une
interprétation de la transformation de l'idéal urbain et sociétal au XVIIIe siècle au travers des
visions de SWEDENBORG, voir RAGON 1979, p142) cet aspect est complètement occulté ou au mieux
compris comme métaphorique. J'irai même plus loin en mettant en parallèle les « nous » du premier
paragraphe avec les « je » du deuxième. Sans pouvoir garantir que je ne m'éloigne pas du sens
voulu par l'auteur, je pense qu'il s'agit là, de la part d'Ellen WHITE, d'une mise en perspective des
idéaux de modes de vie adventistes au sein des Églises chrétiennes ou protestantes. On pourrait
reformuler ainsi : nous ne renions pas en tant que chrétiens que la ville, si elle est instituée par Dieu,
peut être bonne pour l'homme ; mais notre spécificité en tant qu'adventistes consiste à promouvoir
un mode de vie rural. L'illustration 2 page 70 montre également la conception adventiste d'une
nouvelle Terre identique à celle d'avant la chute, rurale voire sauvage, en tout cas d'où l'urbanité est
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Jésus à notre tête, nous quittâmes tous la cité céleste pour la terre. Nous nous posâmes sur une haute et grande montagne, mais elle ne put supporter le poids de Jésus ; elle se partagea en deux et il se forma une immense plaine. Portant nos regards en haut, nous vîmes la grande ville aux douze fondements et aux douze portes — trois de chaque côté et un ange à chacune d'elles. Nous nous écriâmes : « C'est la ville, la grande ville ! Elle descend du ciel, d'auprès de Dieu, sur la terre. » Elle se posa à l'endroit où nous étions. Nous nous mîmes à considérer les magnificences qui se trouvaient dans la ville. Je vis de superbes maisons, ayant l'apparence de l'argent, supportées par quatre colonnes enchâssées de perles du plus bel effet. C'est là qu'étaient les demeures des saints.
Je vis un autre champ rempli de toutes espèces de fleurs. J'en cueillis quelques-unes et je m'écriai : « Elles ne se fâneront jamais. » Je vis encore un champ de hautes herbes du plus bel aspect. Elles étaient d'un vert vif, avec des reflets d'argent et d'or, ondulant fièrement à la gloire du roi Jésus. Puis nous apercûmes toutes sortes d'animaux : le lion, l'agneau, le léopard, le loup. Ils vivaient dans le plus parfait accord. [...] Chemin faisaint, nous rencontrâmes des gens qui s'extasiaient sur les merveilles du lieu. Je remarquai que leurs vêtements étaient bordés de rouge ; leurs couronnes étincelaient ; leurs robes étaient d'une blancheur immaculée. Après les avoir salués, je demandai à Jésus qui ils étaient. Il me répondit que c'étaient des martyrs. [...]
Alors que nous allions pénétrer dans le temple, de sa douce voix, Jésus nous dit : « seuls les 144 000 peuvent entrer ici ».
Ellen G. WHITE, date inconnue, cité dans DELUMEAU Jean (1995)
Texte 5: Le Paradis terrestre selon Ellen White
totalement absente (voir surtout la première et la dernière vignette).
Si tous les adventistes rencontrés insistent sur l'importance de la défense de l'environnement — d'un
point de vue terminologique, il est intéressant de noter que d'autres confessions, notamment le
catholicisme, préfèrent parler de « sauvegarde de la Création » — tous n'invoquent pas des
impératifs bibliques pour expliquer la mise à proximité de la nature dans leur construction
territoriale. Ainsi, Romain dit simplement :
« Si j'aime bien la nature ça vient peut-être du fait que j'ai grandi à la campagne... j'ai grandi dans une ferme, j'ai fait cinq ans de paysagisme après mon expérience de pastorat. »
Inspirée par un passage de l'Apocalypse, Ellen White, dans ce texte, parle aussi des montagnes
comme lieu privilégié de la manifestation du Christ. Si elle est détruite écrasée par le poids de la
cité céleste, il n'en reste pas moins que les adventistes, comme d'autres chrétiens, pensent que les
montagnes seront un lieu de salut aux jours derniers.
3.1.3.2.2. Les adventistes et la vie de montagne
Les montagnes ont souvent été considérées comme un lieu de théophanie, de proximité avec le
divin qu'il soit bon ou malin. En Occident, jusqu'à la période romantique, elles effrayaient bon
nombre de personnes qui y voyaient un repaire pour les démons. Ensuite, les connotations se sont
renversées, et la montagne est devenue un lieu bénéfique, bon pour la santé, et d'effrayant est
devenu beau. Pour ce qui est des adventistes, j'ai d'abord cru que l'attirance pour la montagne que
j'avais constaté chez ceux que je connaissais avant d'avoir mené mon étude était générale et liée
avant tout à une interprétation des textes johanniques. En fait, cette attirance est loin d'être générale
— elle concerne surtout les personnes proches de mouvements adventistes schismatiques qui
considèrent leur Église comme trop compromise avec le monde — mais en plus la justification
biblique n'est jamais première, elle ne vient que se surajouter à une attirance préalable pour la
montagne. Ainsi Noémie, 60 ans, qui rêvait il y a quelques années d'aller fonder une communauté
autarcique en montagne :
« J'ai toujours été attirée par la nature, la montagne... et puis euh tu sais je suis un peu euh associable, j'aime pas quand ya du monde. J'étais déjà comme ça avant de devenir adventiste hein. Pouvoir tout faire soi-même : sa nourriture, son énergie, ses médicaments... c'est vrai que ce serait l'idéal, au moins on est tranquille ! Moi je suis pas trop de la tendance être dans le monde, tout ça...Tu vois ce que j'aimerais vraiment c'est vivre dans un monastère aussi. Maintenant bon, avec l'âge je me dis que la ville pas loin c'est quand même bien... on sait jamais ce qui peut arriver hein !
Donc ça n'a rien à voir avec la Bible?
Ben, euh... au départ non, mais c'est vrai que ça m'avait motivée pour y aller. Je me
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disais que c'était conforme aux Écritures... mais bon c'est plus un idéal qu'autre chose. »
A noter qu'en 2006 Noémie a fait une crise cardiaque : en disant « on ne sait jamais ce qui peut
arriver », elle avait les deux mains sur le cœur. Marguerite et Romain, quant à eux appartiennent à
ceux qui sont de « la tendance être dans le monde, tout ça » et qui appellent ironiquement les
adventistes comme Noémie les « whitistes ». Romain n'a qu'un intérêt très modéré pour la
montagne :
« La montagne, quand j'étais jeune je trouvais ça joli, gigantesque, impressionnant. Bon maintenant en prenant de l'âge c'est vrai que ça me fait pas le même effet. Parce que ya de la pierre, ça peut être aride, ça peut être dangereux, c'est un peu tordu... c'est pas forcément synonyme de beauté mais quand j'étais plus jeune je trouvais que c'était agréable de se promener.
Le style de vie montagnard ne t'a donc jamais attiré?
Non, pas du tout. »
Marguerite évoque directement l'ancien projet de Noémie et le dénonce presque comme une
hérésie :
« Ya eu un certain courant à une certaine époque qui disait il faut quitter les villes il faut quitter euh le monde il faut sortir de toute cette cette cette de toute cette euh ambiance qui qui est pourrie, et nous on a été euh l'autre courant à dire non non on peut pas s'en aller il faut qu'on reste parce qu'on est le sel du monde. Si on s'en va ailleurs et de toute façon euh ailleurs c'est dans le monde quand même et maintenant on peut pas s'isoler on a beau aller euh dans les fins fonds d'une montagne on nous retrouvera quand même enfin bon c'est euh c'est complètement... »
La montagne n'est donc pas nécessairement mise à proximité dans les constructions territoriales
adventistes. En revanche, elle est toujours comprise comme le lieu d'une mise à distance du monde,
ou tout du moins d'une tentative de mise à distance. Pour les adventistes qui considèrent la
montagne comme un lieu propice pour vivre leur foi, elle fait partie de la géographie du nouveau
monde. Ceci m'a paru étrange, car ces mêmes personnes comprennent les montagnes comme trace
du péché originel et provoquées par le déluge. J'ai donc demandé à Noémie ce qu'elle en pensait. Sa
réponse fut un simple : « C'est vrai, je me suis déjà posée la question. Mais bon on sait pas tout. Et
puis ce sera peut-être des petites montagnes ». Comme si l'importance de la solution de continuité
établie par la montagne notamment dans le paysage (voir citation de Romain, p59) était directement
proportionnelle au degré de mal qu'elle manifeste.
3.1.4. La Terre, lieu d'exil en dégénérescence constante
Les deux paragraphes précédents, qui portaient sur le monde actuel comme trace de l'Eden originel
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et indice de la Terre renouvelée, visaient à mettre en évidence la nature identique de ces deux états
parfaits de la Création. Ces alpha et oméga de la Terre et des territoires, parce que parfaits,
deviennent une fois constitués la référence à l'aune de laquelle le monde actuel est compris en
retour. La Terre dans son état actuel, difforme, ne peut être le sol sur lequel se construisent les
territoires des habitants : elle n'est qu'un corps sur lequel les adventistes sont en exil. Cette
dimension d'exil n'est pas propre à l'adventisme. On consultera avec bonheur, sur ce sujet,
l'excellent ouvrage en deux tomes de Patrice CAMBRONNE, Chants d'exil [Cambronne, 1997]. La
Terre, livrée à elle-même, privée de son fondement ontologique qu'est Dieu, ne peut donc en
conséquence que se dégrader progressivement depuis le péché originel.
3.1.4.1. La vie ici bas comme exil
C'est justement par un chant, issu du livret de chant des Jeunesses Adventistes, que j'ai pris
conscience de cette dimension d'exil que pouvait avoir la vie pour ces personnes.
A partir de là et d'une compréhension phénoménologique du terme « habiter », on peut comprendre
différemment le mot « païen » : il ne s'agit plus du paysan (paganus) mais un raccourci de ceux que
Jean l'évangéliste appelle « les habitants de la Terre » ou « les gens de ce monde ». Autrement dit,
on peut comprendre le terme païen comme désignant ceux qui ne se sentent pas en exil sur Terre,
qui comprenne la Terre comme leur sol ou leur foyer. Contrairement à certaines autres de mes
hypothèses de départ, celle portant sur l'exil a été confirmée par les discours des membres, malgré
quelques pondérations. Les propos de Jean-Paul m'ont semblé assez représentatifs de l'ensemble des
enquêtés :
« Effectivement on est en exil ici. Heureusement encore parce que nous aspirons à bien mieux que ça, il suffit de regarder les informations, ce qui se passe autour de soi, on ne peut pas désirer, d'ailleurs [...] comment est-ce qu'on pourrait vivre l'éternité dans un monde pareil? Donc ça ne peut être que... que... provisoire.
Ça veut dire que tu te sens pas chez toi sur Terre?
Si je me sens chez moi mais avec quand même le désir que eh bien que le plan de Dieu se réalise [...] sans y penser tout le temps hein... J'ai ma vie, je fais ma vie... [...] Nous sommes appelés à être joyeux et à profiter de la vie hein. dieu fait pousser de belles choses, des bonnes choses, du raisin des fruits des choses agréables donc il faut profiter
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Tes yeux n'ont jamais vu
Et ton cœur n'a jamais su
Ce lieu que Dieu a préparé pour toi et moi
Le vrai foyer dans l'au-delà
Texte 6: Le vrai foyer est ailleurs
de la vie »
Si la Terre est comprise dans son ensemble comme lieu d'exil, c'est parce qu'elle est là où le mal se
manifeste, là où les hommes sont assignés à résidence, bref un corps-sol. Marguerite résume la
situation en quelques mots : « Nous sommes dans le monde, mais pas du monde ». Le terme de
Terre recouvre chez les adventistes pratiquement la même réalité qu'écoumène, l'ensemble des
terres habitées. J'ai eu une discussion avec Noémie à ce sujet. En voici un compte rendu
approximatif (validé par Noémie) :
« ... depuis le péché originel le mal est sur la Terre.
Mais la Terre? Comment ça la Terre? La planète ou là où vivent les hommes?
Ben la planète, c'est écrit hein.
Ok, parce que tu vois le mal il est là où sont les hommes, je veux dire c'est pas parce qu'on sera sur la Lune qu'on agira différemment... alors imagine on pourrait coloniser tout l'univers et donc dire que la Terre en tant que planète est l'endroit où le mal se trouve n'aurait plus grand sens...
Oui c'est vrai j'y ai déjà pensé. Mais je pense que Dieu nous empêchera de faire ça.
Comment ça?
Oui enfin c'est moi qui dit ça hein, c'est ma façon de voir les choses. Je pense que Dieu nous empêchera de sortir du système solaire.
Tu veux dire qu'il nous contraindrait physiquement?
Alors ça je sais pas, en tout cas je pense qu'il nous en empêcherait. »
Cette discussion laisse entrevoir plusieurs éléments. D'abord, les humains sont assignés à résidence
sur une Terre qui en fin de compte est synonyme de système solaire. Ensuite, on voit que les
adventistes — en tout cas ceux que j'ai interrogés, responsables compris — ne peuvent envisager de
réalité phénoménologique dont la réalité physique ne soit pas la transcription directe. Ceci, que nous
avons déjà noté à propos du créationnisme, est visible aussi par exemple chez Romain, qui déclare :
« est-ce que Dieu va déplacer la planète terre du système solaire pour la mettre ailleurs? Tout est
possible... » alors qu'il expliquait que le monde nouveau aurait des fondements nouveaux. Pour un
adventiste, si des fondements idéologiques sont radicalement nouveaux, centrés sur de nouvelles
valeurs, alors la Terre doit être centrée autour d'un nouveau soleil. Enfin, on peut deviner à travers
cette discussion que les adventistes croient ne pas être les seuls être intelligents dans l'univers, les
seules créatures de Dieu.
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3.1.4.2. La dégénérescence inéluctable du monde
En effet, voici la suite de notre discussion :
« Pourquoi il nous empêcherait de faire ça?
Pour protéger ses autres Créations, les autres planètes habitées.
Parce que tu penses qu'il y a des extra-terrestres?
Oui, c'est ça, c'est écrit dans la Bible, dans la Genèse je crois.
Ok, mais alors comment ça se passe? Si Dieu nous empêche d'aller les voir, on ne pourra pas leur apporter la bonne nouvelle ! Alors il y aurait plusieurs crucifixions, plusieurs résurrections du Christ, une par planète? [NB : je pensais alors à l'hypothèse formulée par l'astronome Giordano Bruno (1548 - 1600), qui avait été brûlé pour avoir soutenu l'infinité de l'univers et la pluralité des mondes habités]
Non, c'est pas ça. Il n'y a que l'Adam de la Terre qui a péché. »
Je n'ai pas pensé sur le coup au pourquoi de ce péché de notre Adam et pas des autres. La réponse
est fournie par Ce que croient les adventistes...
On voit fort bien le degré de conformation de Noémie à l'orthodoxie adventiste. Mais ce qui est
vraiment intéressant dans ce texte 7, c'est que la Terre est considérée comme la probable dernière
création du Christ. J'ai au début de mon étude pensé pousser plus loin cette piste et faire un parallèle
entre cette cosmogonie et l'interprétation valentinienne de la Genèse, qui stipule que c'est le dernier
éon produit (le Dieu de Valentin n'est pas un Créateur), la sagesse concupiscente, qui engendre le
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Que sont les cieux? Certaines personnes sont embarrassées, sans raison, par les versets déclarant que Dieu « créa les cieux et la terre » (Genèse 1:1 ; cf. 2:1 ; Exode 20:11) et qu'il fit le soleil, la lune et les étoiles le quatrième jour d'une semaine de la création il y a six mille ans (Genèse 1:14-19). Les corps célestes font-ils leur apparition à ce moment-là?
La semaine de la création ne mentionne pas le ciel que Dieu habite de toute éternité. Les « cieux » de Genèse 1 et 2 se réfèrent probablement aux planètes et aux étoiles les plus proches de la terre.
En effet, la terre, loin d'être la première création du Christ, était plus vraisemblablement sa dernière. La Bible parle des fils de Dieu, probablement des Adams habitant les mondes qui n'ont pas péché et rencontrant Dieu à l'autre bout de l'univers (Job 1:6-12). A de telles distances, la recherche spatiale n'a découvert aucun autre monde habité. Ils sont apparemment quelque part dans l'immensité de l'espace — hors d'atteinte de notre système solaire contaminé par le péché et donc préservés du mal.
Ce que croient les adventistes..., 1990, pp79-80
Texte 7: Notre terre, ultime création du Christ
péché. Mais tout ce que je retiendrai du parallèle, et on pourrait trouver beaucoup d'autres exemples
que Valentin, est que l'activité créatrice ou productrice s'use plus une hypothétique origine
temporelle ou ontique s'éloigne. Comme si le démiurge se dégradait avec le temps, au lieu de
s'améliorer avec l'expérience. Cette idée que le temps est plus corrupteur que générateur (pour
reprendre la dialectique aristotélicienne de génération et de corruption) est présente de part en part
dans l'eschatologie de l'Histoire adventiste. A l'échelle de la Terre, le désordre écologique instauré
par le péché originel ne fait que s'accroître avec le temps. Cette analyse est unanimement partagée
par les enquêtés. Voici par exemple ce que dit Marguerite :
« Oui de de toute façon après le péché qu'il y a eu dans dans le jardin d'Eden Dieu a dit que l'homme serait obligé de de de travailler d' d' d'avoir du labeur pour pouvoir euh gagner son pain, travailler la terre et ya eu aussi toute la végétation, les animaux qui ont subi aussi les conséquences du mal, les animaux avec les ronces et puis... c'est comme on parlait là au culte samedi matin qu'on a eu ces mouches puantes qui sont tombées dans le parfum c'est vrai que c'est ça aussi, le mal il a fini par envahir la Terre et et petit à petit on voit bien les animaux la végétation la faune et la flore en fait se dégradent, enfin...
Mais ça euh depuis le péché originel ça fait que se dégrader?
Oui oui oui oui, on découvre encore euh scientifiquement euh ils font des découvertes en faisant des carottes dans des calottes glaciaires euh comme quoi ya eu une vie comme quoi ya eu vraiment une végétation beaucoup plus luxuriante, dans le désert aussi ya des endroits on découvre qu'il y a des endroits où il y avait une superbe végétation qu'il n'y a plus aujourd'hui. »
Cette dégénérescence est comprise comme irrémédiable jusqu'au jaillissement de la transcendance
absolue au sein même du monde, c'est-à-dire la Parousie. Toute tentative humaine pour pallier à ce
désordre ne peut donc qu'être vaine, ou au mieux temporaire et locale. Les constructions
territoriales ou les organisations visant à instaurer la paix sont considérées comme « louables mais
vains » (propos du prédicateur le 17 février 2007 à propos des efforts de l'Union Européenne pour
instaurer la paix en Europe). Tout empire est voué à disparaître... mais son successeur ne peut être
que plus faible que lui : la politique, les États, tout est en déliquescence (voir illustration 3 page 71).
La Terre, corps-sol et non sol-corps est donc bien un lieu d'exil en dégénérescence constante, un
espace rejeté à la périphérie de l'univers, clos et reclus, dont l'écoulement du temps ne fait
qu'aggraver la situation jusqu'à ce que, une fois la peine purgée, Dieu puisse réinvestir l'espace.
3.2. Le temps divin et l'espace du mal
Si Dieu doit réinvestir l'espace, c'est qu'il l'a quitté. J'ai été frappé par deux expressions
fréquemment employées par les adventistes : Dieu est le « maître de l'Histoire » tandis que Satan
est « le Seigneur de ce monde ». Je n'aurais pas, pour ma part, interprêté le monde comme
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synonyme d'espace mais comme une totalité toujours en reconstruction, un horizon de sens. Mais
l'emploi du mot monde par les adventistes est équivalente à celle de Terre et implique une notion de
ce-qui-nous-entoure, d'environnement, proprement géographique même si une épaisseur temporelle
demeure. Pour déterminer si on peut qualifier la Terre de non-lieu pour les adventistes, je pense qu'il
faut donc en passer par l'analyse de leurs conceptions du temps et de l'espace. Certes, j'utilise des
mots que la plupart des adventistes n'utiliseraient pas, mais c'est qu'il s'agit ici essentiellement d'un
travail d'explicitation.
3.2.1. Dieu, maître de l'Histoire
Pour les adventistes comme pour beaucoup de chrétiens, Dieu est le maître de l'Histoire, c'est-à-dire
que c'est lui qui décide des événements qui font sens, des étapes de l'Histoire du monde vers son
salut final. C'est ce qu'illustre une frise du fascicule de présentation Des croyants qui s'engagent
[Denéchaud, 1998] intitulée Dieu maîtrise l'Histoire du début à la fin.
On voit bien ici les cinq étapes essentielles à ce que les adventistes nomment « le plan de Dieu ».
Cette idée de plan, soulignée ici par la flèche en pointillés rouges, évoque celle de processus,
d'enchaînement inéluctables d'événements aboutissant à un résultat prévu préalablement à toute
expérience. Dieu est donc le plus grand aménageur du territoire, tandis que nous, coincés dans la
quatrième étape enténébrée du plan, en sommes réduits à entamer des procédures en escomptant des
résultats. Ceci ne veut pas dire que Dieu est dans l'espace, qu'il a son origine, son sol, son foyer
dans l'espace, mais que depuis la temporalité il intervient dans l'Histoire, se spatialise, se manifeste
tout en restant un Dieu caché et lointain vis à vis de ses enfants, qui se sentent donc exilés.
La flèche rouge de l'illustration 2, montrant un processus, montre également que toute l'Histoire du
monde est comprise par les adventiste comme une tension vers le retour de Dieu sur Terre, vers le
moment où la Terre pourra redevenir un foyer, de corps redeviendra vrai sol. Il y a chez les
adventistes une eschatologie de l'Histoire très précise, qui fait correspondre à des dates clés des
événements terrestres ou célestes, 1844 étant probablement le plus spécifique à cette dénomination.
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Illustration 2: Dieu maîtrise l'Histoire du début à la fin
Cette compréhension historique du monde — qui empêche tout historien adventiste en tant
qu'adventiste d'avoir un simple point de vue historial puisqu'il lui faut replacer son propos dans le
développement du plan de Dieu — est centrée, dans la droite ligne du millérisme, sur le livre de
Daniel et notamment sur une interprétation littérale — j'essaie d'éviter ce terme car je ne vois pas
comment une interprétation pourrait être littérale, comme si un texte recelait une vérité totalement
indépendante du lecteur et qui lui serait cependant accessible, mais j'essaie de me concentrer sur
l'essentiel de notre sujet — du songe de Nabuchodonosor (Daniel, 2, 31-36).
L'illustration 3 ci-dessus est tirée d'un séminaire adventiste intitulé Bible et Archéologie et ayant eu
lieu en 2002. J'ai choisi de mettre cette image, mais les représentations de la statue de Daniel dans
l'iconographie adventiste sont monnaie courante. Il montre à la foi la dégénérescence du monde en
reprenant la thématique classique des quatre âges du monde qui chez Daniel comme chez Hésiode,
fournisseurs des versions les plus célèbres, sont cinq — en comptant le temps présent [Cambronne,
2005, p158].
Dans cette Histoire qui est finalement une vaste geste divine contre le mal — l'ouvrage d'Ellen
WHITE présentant la vision adventiste de l'Histoire s'intitule dans sa version française La Grande
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Illustration 3: Un monde en dégradation dont Dieu maîtrise l'Histoire
Tragédie — toute action est produite depuis l'Éden en vue de la nouvelle Terre qui est son double.
Donc, on peut dire pour reprendre le vocabulaire de HUSSERL que l'Éden est l'horizon de rétention de
toute action sensée selon la sagesse de Dieu, tandis que la Terre renouvelée en est l'horizon de
protension. Or, l'épaisseur de l'action, aussi bien temporelle que spatiale, est délimitée par ces deux
horizons : ce qui se trouve à l'intérieur est l'ici et maintenant, le hic et nunc [Husserl, 1932]. Ce qui
fait sens est la totalité, le monde dont le fondement est son propre horizon de sens : ce hic et nunc
qui embrasse la totalité du réel, de l'espace et de l'Histoire, ne saurait donc être « ni relationnel, ni
identitaire, ni historique » [Augé, 1992, p100] puisque'il ne reconnaît face à lui aucune altérité,
devenant lieu sans territoire, espace sacré auquel ne s'oppose aucun espace profane chaotique. Il
devient donc un non-lieu, ou un lieu utopique, un lieu sans lieu.
Je pense que, associée à la thématique de l'exil, la compréhension de Dieu comme maître de
l'Histoire participe d'une théodicée en l'exemptant de la responsabilité des malheurs de ce monde où
tout n'est que relation-de-pouvoir tout en redonnant paradoxalement tout pouvoir à Dieu : Satan
dirige ce monde, mais consolez-vous car tout est sous contrôle.
3.2.2. Satan, Seigneur de ce monde
Comme tous les chrétiens, les adventistes confessent Jésus-Christ comme seul Seigneur. Mais ce
dernier annonçant que son « royaume n'est pas de ce monde » (Jean, 18, 36), les adventistes
considèrent que « ce monde » est gouverné par Satan, d'autant qu'on peut supposer — je n'ai pas
trouvé d'élément de réponse un tant soi peu solide — qu'ils refusent comme les luthériens et les
calvinistes le dogme catholique de l'ubiquité du Fils, qui implique sa présence simultanée et
perpétuelle sur Terre comme au Ciel, dans l'espace comme dans le temps.
En effet, si Dieu, maître de l'Histoire, demeure comme seul Seigneur alors qu'il ne gouverne pas ce
monde, on peut en conclure que ce monde est dominé par l'Histoire, que l'espace géographique
devient insignifiant face à un processus historique qui le dépasse, et finalement poser une
équivalence entre Terre et espace d'une part, Ciel et temps d'autre part.
Satan est tout autour de nous, proche, il est l'environnement, comme l'indique avec verve ce texte,
d'ailleurs souligné par le détenteur de l'ouvrage.
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Ce monde est donc de part en part sous l'empire du péché, et toute action menée de ce monde selon
les lois de ce monde ne peut être que mauvaise « car la Sagesse de ce monde est folie auprès de
Dieu » (1 Corinthiens, 3, 19). D'ailleurs, ceci explique peut-être la sous-représentation de l'espace
dans l'ecclésiologie protestante (voir page 33). Ainsi, selon la vérité du monde, tout est relatif parce
que tout est relation. Toute relation se faisant entre deux efforts pour être qui sont chacun pour
l'autre des résistances, toute relation est relation-de-pouvoir et tout pouvoir n'est pouvoir en acte que
sur une résistance et donc pouvoir-de-relation. Les termes relations-de-pouvoir et pouvoir-de-
relation me sont venus à l'idée en lisant RAFFESTIN car ils me paraissaient rendre compte
efficacement de certaines de ses positions., notamment : « le pouvoir se manifeste [seulement] à
l'occasion de la relation » [Raffestin, 1981, p45]. A l'inverse, l'idéal de la relation pour le
christianisme en général et l'adventisme dans notre cas est une relation qui, par l'amour
inconditionnel des hommes les uns pour les autres, abolit tout pouvoir. Cette relation ne peut se
faire qu'à travers le Christ qui transforme les hommes en Église, en son corps, où selon la théologie
paulinienne tout membre est égal en dignité à un autre, quel qu'il soit.
Cette compréhension du corps n'est pas sans importance sur la conception chrétienne de la
spatialité. En effet, il nous faut dès lors en distinguer deux sortes. La première, la spatialité selon ce
monde (selon RAFFESTIN par exemple) implique des acteurs distincts aux objectifs et aux stratégies
parfois divergentes et dont chaque élément a une construction territoriale qui n'est pas absolument
— et donc absolument pas — réductible à celle d'un autre. PAUL de son côté, par son ecclésiologie
somatique, signifie que la spatialité du corps du Christ n'est pas centrée sur ses éléments, que les
membres du corps ne peuvent pas avoir d'objectifs en désaccord avec ceux du corps, et surtout qu'il
y a une absolue liberté entre les membres. Autrement dit, chaque membre, par l'amour qu'il porte
pour les autres, peut se mettre à la place d'un autre, prendre en charge à titre personnel sa
construction territoriale et donc ses émotions, ses pensées — c'est la compassion que je décris, tout
simplement.
Cette spatialisation utopique — dans les deux sens du terme puisque par elle tout lieu devient bon
mais n'a plus non plus de place assignée, plus de repère puisque le moi n'est plus structurant —
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Le diable fondra sur nous de toutes parts, cherchant une brèche, attaquant tous les points faibles, tout cela dans le but de nous détourner de cette vérité. Et vous pouvez être certains que 1844 sera une de ses premières cibles. Il vous sera suffisamment dur de rester fidèle quand vous perdrez votre travail, votre maison, quand vous ne pourrez pas acheter la nourriture, si vous croyez au message [alors il vous serait impossible de résister si vous ne croyez pas à 1844].
GOLDSTEIN Cliffort, sans date (entre 1981 et 1995), 1844 simplifié, p12
Texte 8: Satan menace toute construction territoriale
figure en bonne place dans l'ecclésiologie adventiste.
Par conséquent, l'Église adventiste est pourvue de nombreux départements aidant des personnes en
difficulté. L'ADRA par exemple s'occupe de l'aide au développement dans les pays du Sud, tandis
que le Secours Adventiste est le strict équivalent du Secours Catholique. Bien entendu, les
bénévoles sont fortement encouragés à en profiter pour glisser un mot sur l'adventisme. Il existe
également un Secours Adventiste Interne dont la fonction est d'aider activement les membres dans
le besoin, à les héberger et les nourrir s'il le faut. Paradoxalement, le corps du Christ ne peut se voir
dans l'espace que par les contacts qu'il a avec le monde qu'il doit détruire — puisque la première
phase de la régénération de la Terre est une purification par le feu —, avec une extériorité qu'il ne
saurait accepter en lui. C'est pourquoi je parle de spatialisation utopique, qui prend ici le sens
d'irréalisable : c'est Satan qui est seigneur de ce monde. Il faut que Dieu, Seigneur de l'Histoire,
surgisse dans l'immanence et le renouvelle radicalement : il ne s'agira plus de ce monde. Certains
adventistes sont ainsi désabusés après plusieurs dizaines années de militantisme. Quand on leur
demande pourquoi ils ne mènent pas plus d'action missionnaire ou humanitaire, ils répondent « à
quoi bon ». Mais d'autres récusent ce fatalisme. Lors d'une École du Sabbat portant sur comment
aider son prochain — où beaucoup ont avoué qu'ils avaient du mal à répondre aux impératifs
évangéliques cités plus haut — , l'un d'eux s'est levé et s'est écrié « Je vois bien là les adventistes.
Ah ça on est très fort pour parler tout ça, mais on fait rien. On connaît la théorie mais on met pas
en pratique. »
3.2.3. La fin des temps : la spatialisation totale de Dieu
Nous avons vu qu'il existe deux types de spatialisation, dont l'une, paradoxalement, est utopique.
C'est pourtant cette dernière qui, pour les adventistes, est vraiment structurante. Cette spatialisation
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Aucun mur de séparation
Le Christ a enseigné, par le précepte et par l’exemple, qu’en Dieu il n’y a aucun mur de séparation entre Israël et les autres nations (Jn 4.4-42 ; 10.16 ; Lc 9.51-56 ; Mt 15.21-28). C’est aussi ce que l’apôtre Paul écrit : «Ce mystère, c’est que les païens ont un même héritage, forment un même corps et participent à la même promesse en Christ Jésus par l’Évangile.» (Ép 3.6.) Il ne doit donc y avoir, parmi les disciples du Christ, aucune préférence de rang social, de nationalité, de race ou de couleur, car tous les hommes sont issus d’un seul sang et, selon les paroles du Christ, quiconque croira en lui ne périra point, mais aura la vie éternelle (Jn 3.16). Les élus de Dieu forment une famille universelle, une nouvelle humanité. Tous sont un en Jésus-Christ (Ga 3.28).
CONFÉRENCE GÉNÉRALE, 2006, Manuel d'Église, p3
Texte 9: Le corps du Christ ouvre une spatialisation utopique
ne peut avoir lieu que sur la nouvelle Terre, après la fin de l'Histoire, autrement dit quand Dieu sera
totalement spatialisé : quand adviendra l'Éternité. Il me semble que l'éternité ne se caractérise pas
par une durée, car l'éternité est ce qui s'oppose à la temporalité, à l'historicité. Elle est une intensité :
un événement si intense qu'il ne saurait se laisser prendre dans les filets de la nécessité et des
relations de pouvoir qu'il en vient à prendre la totalité du temps et de l'espace phénoménologiques,
que les horizons de rétention et de protension qu'il met en jeu sont si vastes que la totalité de l'être-
au-monde s'y trouve engagé, est un événement éternel. C'est dans cet esprit que PAUL dit : « la
légère tribulation d'un instant nous prépare, jusqu'à l'excès, une masse éternelle de gloire » (2
Corinthiens 4, 17). C'est aussi ce qu'écrit Baruch de SPINOZA (1632 - 1677) : « Nous éprouvons
[c'est-à-dire nous sentons et nous jugeons] que nous sommes éternels » [Spinoza, 1677]. Par
ailleurs, la Parousie marque la fin de l'Histoire, que Ce que croient les adventistes... appelle « Le
grand conflit » (Ce que croient les adventistes..., 1990, p106), qui est la traduction littérale du titre
anglais de La Grande Tragédie, à savoir The Great Controversy. Or la fin de tout conflit, c'est bien
la fin de toute relation de pouvoir, et donc de toute possibilité de construction territoriale. Bien que
dans leurs discours, et interrogés spécifiquement sur la question lors des entretiens semi-directifs,
les adventistes charentais ne distinguent pas éternité et perpétuité, la compréhension de la Parousie
— qui pour eux ne peut pas être individuelle mais ne peut être que collective et historique —
comme un événement si intense que tous les autres face à lui deviendront insignifiants est bien
présente : « cet événement là surpassera tous les autres événements qui ont eu lieu dans l'Histoire
de l'humanité.[...] C'est l'unique espérance de l'Église » a dit le pasteur lors de sa prédication du 10
mars 2007.
3.3. Une isotropie des lieux terrestres : l'impossibilité de faire sens?
L'autre spatialité, celle qui donne lieu aux territoires, se trouve quant à elle subordonnée à la
spatialisation utopique. Elle n'a, en définitif, aucun sens. Tous les lieux se voient attribuer la même
valeur, sans aucun solution de continuité véritable, puisqu'il ne doit y avoir aucun mur de séparation
et que Dieu — horizon central de la spatialisation utopique — est omniprésent. Aussi bien,
l'adventisme vise à réduire « toutes sortes de ruptures » [Ce que croient les adventistes, 1990, p94].
Ainsi, Jean-Paul déclare : « Je crois que Dieu est présent partout. C'est quelque chose qui nous
dépasse, qu'on ne peut pas imaginer mais c'est comme ça hein. On dit qu'il y a des lieux où Dieu
n'est pas, mais ça veut juste dire qu'il vaut mieux les éviter, qu'ils ne sont pas... recommandables. »
L'isotropie des lieux terrestres est bien expliquée par VAUCHER : « peu importe que [l'adventisme]
ait vu le jour — en tant qu'organisation — aux États-Unis. Que la lumière vienne de Rome, de
Genève ou de Washington, l'essentiel est de savoir si elle procède vraiment du ciel. Tout le reste
n'est qu'accessoire » [Vaucher, 1951, p11]. Toutes les solutions de continuité sur Terre, qui ne
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peuvent provenir d'un Dieu omniprésent, sont « accessoires » et non structurants. Je suis tenté de
dire que pour un adventiste, toute construction territoriale est vaine, n'est qu'illusion. Cependant, les
adventistes doivent vivre dans le monde. Ils sont donc soumis à ses règles et au principe des
relations-de-pouvoir. Par quels biais tentent-ils de donner du sens au monde? D'une part par le
sabbat, qui le régénère périodiquement, d'autre part par un engagement actif dans le monde,
engagement qui est une façon de rendre gloire à Dieu.
3.3.1. Le sabbat ou la régénération temporaire du monde
L'espace et le temps ne son visibles que par le mouvement, qu'ils manifestent. Le temps n'est visible
que par la modification de la configuration des choses et des territoires, qui eux-mêmes ne se
montrent qu'au travers de cette modification. Tout territoire a donc à la fois une épaisseur
temporelle et une épaisseur spatiale indissociables dont le mouvement est la condition de
possibilité. Espace et temps, souvent opposés, sont donc réversibles l'un dans l'autre. Aussi bien,
Mircea ELIADE a montré que les fonctions des espaces sacrés et des temps sacrés étaient strictement
identiques : dans les deux cas, il s'agit de refonder le monde, de le régénérer en imitant l'acte du
Créateur [Eliade, 1957]. Je n'ai donc pas été surpris quand Jean-Paul, à la fin de notre entretien
semi-directif — qui s'est une fois le micro coupé transformé en entretien libre — , m'a déclaré pour
expliquer l'absence de besoin de lieux saints : « notre lieu saint est un temps saint ». Il parlait bien
entendu du sabbat.
Nous allons donc d'abord regarder de plus près les activités sabbatiques des adventistes charentais
puis comment ces activités structurent leurs pratiques du territoire et de la société selon un rythme
hebdomadaire. Enfin, nous verrons pourquoi, en tant que répétition d'un acte créateur, le sabbat
ouvre sur une possibilité de territorialisation possible, différente de la spatialisation utopique.
3.3.1.1. Une liturgie très souple
Les célébrations du sabbat, chez les adventistes, se découpent en plusieurs parties — l'école du
sabbat, le culte et le repas — séparées par des louanges, c'est-à-dire des chants.
3.3.1.1.1. L'école du sabbat
A l'Église d'Angoulême, les fidèles commencent par chanter pendant environ un quart d'heure,
avant de se répartir par tranches d'âges pour l'étude biblique, l'école du sabbat. Elle dure environ
une heure et quart. Si pendant un petit quart d'heure un témoignage de conversion est lu par un ou
deux membres dans un ouvrage prévu à cet effet, on peut dire que globalement, pendant celle-ci, les
personnes présentes échangent leurs idées ou leurs interprétations bibliques sur un thème précis
choisi par l'Union. l'école du sabbat est animée à tour de rôle par un membre, qui se tient au pupitre
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du bas.
En effet, l'année adventiste est découpée en quatre trimestre de treize semaines chacun, et pour
chaque trimestre un thème d'étude pour adultes assez vaste est choisi par l'Union, dans notre cas
l'Union franco-belge. Chaque 13è sabbat est d'ailleurs particulier pour les adventistes. Les offrandes
récoltées sont destinées à des œuvres missionnaires spécifiques dont les témoignages ont fait
mention tout au long du trimestre; les jeunes montrent aux adultes le résultat de leurs réflexions
durant l'école du sabbat, etc. Le trimestre durant lequel cette étude a été réalisée, il s'agissait de
L'Écclésiaste, mais il peut tout aussi bien s'agir de questions de sociétés impliquant la vie
chrétienne, comme par exemple la place à accorder à la religion dans la vie politique, ou de vie
privée (texte 10 p.77). Chaque membre se voit remettre au début de chaque trimestre un fascicule
contenant les thèmes spécifiques de chacune des treize semaines suivantes, à raison d'un thème par
semaine. Par exemple, ce trimestre, ont été abordées des questions comme « sagesse et vieillesse »,
« la vie peut-elle avoir un sens sans Dieu? », etc. Ce fascicule, qui pour chaque thème propose des
pistes de réflexions fondées sur la Bible et illustrées d'exemples littéraires ou historiques (on trouve
des citations de Tolstoï, de Victor Hugo, d'Auguste, etc.) est censé être consulté chaque semaine par
les membres afin d'avoir quelque chose à dire lors de l'école du sabbat.
Les enfants, et ce quelle que soit leur classe dans l'école du sabbat, étudient quant à eux chaque
semaine un passage clé de la Bible et le commentent.
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Pour le meilleur et pour le pire :
LEÇONS INSPIRÉES PAR LES COUPLES DE L'ANCIEN TESTAMENT
par Gordon et Rosenita Christo
juillet – août – septembre
1. Adam et Eve : l'idéal conçu par Dieu – 7 juille2. Abraham et Sara : une foi éprouvée – 14 juillet3. Isaac et Rebecca : l'éducation de rivaux – 21 juillet4. Jacob et Rachel : travailler par amour – 28 juillet5. Moïse et Sephora : relations familiales – 4 août6. Samson et les femmes : la folie de la passion – 11 août7. Booz et Ruth : des fondements solides – 18 août8. Elqana et Anne : l'accomplissement d'un vœu – 25 août9. Les époux Job : vivre avec ses manques – 1er septembre10. David et Bethsabée : l'adultère, et après? – 8 septembre11. Achab et Jézabel : abuser du pouvoir – 15 septembre12. Osée et Gomer : pardonner à l'infidèle – 22 septembre13. Yahwé et Israël : au-delà des échecs humains – 29 septembre
Guide d'études bibliques : leçons de l'École du sabbat, 2007, p3
Texte 10: L'école du sabbat traite des questions de vie privée
L'école du sabbat peut prendre plusieurs formes selon la taille ou l'habitude de chaque Église locale.
Ainsi, dans les Églises de grande taille (plus de cent membres), les adultes eux-mêmes sont divisés
en petits groupes de réflexion d'une dizaine de personnes, afin que « chacun puisse s'exprimer [...]
et que l'échange soit porteur et intéressant », selon Jean-Paul.
3.3.1.1.2. Le culte
Après l'école du sabbat, les différentes classes se rejoignent dans la salle de culte. Les fidèles
entonnent alors des cantiques issus de recueils adventistes, protestants voire œcuméniques. Ensuite,
un ancien fait une prière, et les fidèles sont appelés à prier eux aussi à voix haute si cela les tente.
Après cela, une collecte des dîmes et offrandes est effectuée. Puis le prédicateur, qui n'est pas
forcément le pasteur, monte au pupitre de la scène et fait sa prédication qui dure environ une heure.
Enfin, un chant d'envoi suivi d'une prière clôt le culte.
Parfois, les Églises organisent des cultes de louanges. La prédication se fait alors très courte voire
absente, et la quasi totalité du culte consiste en des chants.
3.3.1.1.3. Le repas et l'eucharistie
Chaque samedi midi, un repas a lieu dans la salle des tisons (voir carte 8, p.46). Le nombre de
commensaux est très variable, pouvant aller de trois à cinquante, quand une Église locale voisine est
en visite. Ces repas ont une fonction sociale très forte et leur importance dans la vie de l'Église est
marquée par la présence d'une cuisine dans le bâtiment, alors même que cuisiner le sabbat est en
théorie interdit : elle n'est là que pour réchauffer les aliments.
Ce repas ne doit pas être confondu avec l'eucharistie. Les adventistes communient sous les deux
espèces, « au moins une fois par trimestre, plus si besoin est ». La communion est précédée d'un
lavement de pieds et est ouverte « à toute personne qui comprend le sens de nos pratiques », même
aux non baptisés. Cependant, les enfants n'y sont pas acceptés car pour Thierry Matthieu « ils ne
comprennent pas la portée de tout ça ». L'eucharistie adventiste, outre le fait qu'elle soit dépouillée
de presque tout rituel et qu'elle soutienne la position calviniste d'une réalité purement symbolique
de la transformation des espèces, utilise du jus de raisin et non du vin. En effet, l'alcool est proscrit
par l'adventisme : il est donc stipulé que le vin des noces de Cana et de la Cène étaient sans alcool.
Cette liturgie est très souple. En effet, il existe plusieurs modèles mis à disposition des églises, afin
de leur donner des idées, mais chacune est libre de recomposer son sabbat comme elle l'entend,
dans la limite de la doctrine adventiste. Ainsi, à Angoulême, il était question d'intervertir le culte et
l'école du sabbat, afin que plus de personnes soient présentes à cette dernière. De même, les moyens
techniques mis en œuvre pour rendre la cérémonie vivante ressortent de l'entière responsabilité de
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l'Église locale, de ses envies et de ses moyens autrement dit : une personne est chargée
spécifiquement, tout au long des célébrations du samedi matin, de projeter sur un écran des
diapositives réalisées avec un logiciel de conception de présentations en rapport avec ce dont il est
question.
3.3.1.2. Le sabbat est le centre de la semaine adventiste
Le sabbat, commençant le vendredi soir avec la tombée de la nuit et finissant le samedi soir au
coucher du soleil, donne donc lieu à des activités religieuses assez intenses, d'autant que le samedi
après-midi (les adventistes disent le sabbat après-midi) est consacré à des activités profanes en
commun dont l'objectif affiché est de souder les membres. Il s'agit donc d'un événement qui se
prépare tout au long de la semaine — voir par exemple la préparation de l'école du sabbat, p77 — et
qui donne lieu à des pratiques du territoire originales, notamment à des déplacements à l'échelle du
département puisque des adventistes sont présents sur tout le territoire charentais (voir carte 5, p41).
J'ai donc cherché le moyen le plus approprié pour mettre au jour de telles pratiques, et il m'a semblé
que l'entretien semi-directif était ce qui répondait le mieux à mes besoins. Voici donc deux réponses
d'adventistes à la question « Le sabbat et ses interdits ont-ils une influence sur l'organisation de ta
semaine? ». qui me semblent traduire les différentes façons d'appréhender le problème parmi les
adventistes de l'Église d'Angoulême.
« Effectivement ça a une influence puisque pour nous tout est organisé en fonction du sabbat : déjà le lundi on calcule le travail en fonction du samedi. Pour moi c'est plus facile car je suis à mon compte, donc je planifie mon temps comme je veux. En général j'arrête de travailler le vendredi midi pour pourvoir étudier et prendre ma douche avant la tombée de la nuit, histoire d'être prêt spirituellement à rendre gloire au Seigneur. Mais je crois que dans les organismes adventistes... enfin les écoles, Collonges, l'Union, etc. ils arrêtent aussi le vendredi midi. » Jean-Paul
« Non, je m'organise pas par rapport au samedi spécialement même si c'est un point particulier pendant la semaine. Bon si c'est un peu vrai car je fais mes activités en famille et mon jardinage le dimanche. Le samedi je ne fais rien d'autre que l'Église. Mais tu vois, ma vie chrétienne elle est pas centrée sur le samedi, elle est centrée sur, sur Jésus-Christ, le sabbat c'est une activité c'est une croyance c'est une pratique mais euh [...] Si ya pas d'activité spéciale le samedi après-midi je vais me promener avec ma femme, parce que c'est important la vie de couple, j'essaie de garder toujours [...] un samedi après-midi sur deux avec ma femme en moyenne. J'essaie de trouver un équilibre parce qu'il y a la vie spirituelle mais il y a aussi la vie familiale. » Romain
J'ai d'abord cru que ces deux discours traduisaient des opinions opposées. S'il est sûr que les deux
hommes n'ont pas la même façon de voir la religion, je pense qu'ici ils ne parlent pas sur le même
plan. En effet, le mémoire de John GRAZ met en exergue la citation suivante :
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J'ai donc mené, deux samedis de suite, deux mini-questionnaires. Le premier samedi, à la fin du
culte, j'ai demandé à plusieurs membres ce qui était central dans l'adventisme. Le sabbat a certes été
cité, mais par peu de personnes et pas du tout en première position. Le samedi suivant j'ai demandé
ce qui constituait la spécificité de l'adventisme : là j'ai obtenu comme réponses le sabbat et 1844.
On peut donc distinguer deux types de discours : d'une part un discours sur la foi qui met le Christ
au centre, d'autre part un discours identitaire qui se centre sur le sabbat et l'eschatologie de
l'Histoire. Je pense que Romain a tenu le premier genre de discours, et Jean-Paul le deuxième. De
même, Philippe Aurouze, dans un entretien donné à France 3 Aquitaine en 2001, tient ce discours
identitaire, qui vise à distinguer l'adventisme des autres dénominations protestantes sur le sabbat et
les questions d'hygiène : « L'Église adventiste se distingue, elle est protestante, mais elle se
distingue en tout cas sur un message pluriel, déjà le sabbat [...], mais nous allons aussi plus loin
dans tout ce qui est sanitaire, éducatif, humanitaire. » Il finit néanmoins sur une phrase qui interdit
de la séparer totalement de ce dont elle veut se distinguer : « Notre message est ancré sur le texte
biblique, et le texte biblique seul ».
Néanmoins, la pratique du sabbat semble plus centrale chez Jean-Paul que chez Romain, plus
structurante. On peut donc dire que chez les adventistes pour qui le sabbat est important, cette
importance se manifeste par un rôle structurant dans l'organisation des pratiques du territoire sur un
cycle hebdomadaire.
Je voudrais ici parler de l'impact des pratiques adventistes sur le site de leur église (voir carte 7 page
44). Il s'agit d'une zone délabrée — la première fois que j'y suis venu, le paysage m'a évoqué les
images que j'avais d'un Sarajevo aux immeubles croulants — dont les immeubles sont peuplés de
personnes très modestes aux voitures vétustes. Alors qu'on peut supposer que des enfants habitent
ces immeubles, je n'ai jamais eu l'occasion, le samedi ou un autre jour, d'en voir jouer sur le
parking. En revanche, on peut voir de nombreuses personnes — dont des enfants — entrer, sortir,
partir, arriver : bref, des flux constants qui dénotent une certaine vie. Le samedi matin en revanche,
c'est le black-out. Je n'ai jamais croisé personne des immeubles sur le parking ni n'ai pu en
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Demandant à deux amis adventistes si le centre de leur confession état le respect du sabbat et les observances hygiéniques de l'Ancien Testament, j'obtins la réponse de l'un, que c'était « le Christ et le Christ crucifié » de l'autre « le salut par la seule Grâce ». Mais toute la Réforme en est là ! Oui mais les Églises oublient leur message. Il doit être constamment retrouvé par quelque nouveau Réformateur, qui l'adapte à des circonstances ecclésiastiques nouvelles.
EG LÉONARD, Remarques sur les sectes, Annuaire 1955-1956, École pratique des Hautes Études, Paris, p6
Texte 11: Le centre de la confession adventiste
apercevoir aux fenêtres. Les adventistes, eux, occupent le terrain. On voit facilement leur présence :
le parking est bondé (je ne parle pas des sabbats en commun avec La Rochelle ou Périgueux !) et
des voitures plus récentes apparaissent, même si certains adventistes ont eux aussi de vieilles
automobiles. Dès la fin du culte, les enfants se ruent sur le parking où ils s'adonnent à divers jeux...
mais aucun enfant des immeubles ne se joint à eux. Je n'ai pas eu le temps de mener une enquête
auprès des habitants, mais l'hypothèse d'une peur de la part des parents de voir leurs enfants
manipulés me paraît plausible, d'autant que le panneau mural de l'église est régulièrement détruit.
L'occupation du site, selon un cycle hebdomadaire dû au sabbat, change donc radicalement. D'un
lieu de vie sans être lieu de jeu en semaine, le coin — on ne peut pas vraiment parler de quartier tant
c'est petit — devient chaque sabbat le terrain de jeu des jeunes adventistes, ou plutôt des enfants
d'adventistes.
Le pasteur d'Angoulême m'a expliqué un jour qu'aux Antilles il n'était pas question de jouer le
sabbat, puisqu'il s'agissait d'une activité purement profane, qui ne visait pas à louer Dieu. Il faut dire
qu'à Angoulême il n'est pas rare de voir des enfants jouer silencieusement pendant le culte. A la fin
d'un culte, j'ai abordé un enfant pour lui demander s'il ne se sentait pas coupable de profaner le
sabbat. Un membre de La Rochelle, alors en visite, m'a interrompu en me disant à peu près : « le
sabbat est une fête, on doit être heureux, faire ce qu'on veut car être heureux c'est louer le Seigneur.
Je sais bien que les anciens ils disent faut pas faire ci faut pas faire ça mais avec toutes leurs
contraintes ils font de ce jour de fête quelque chose qu'il... qu'il ne devrait pas être. »
Or la fête a toujours été un phénomène social dont l'objectif est de resserrer les liens de la
communauté qui y participe, c'est-à-dire en répétant l'acte créateur de la société. Toute fête est donc
une sorte de sociodicée, un discours qui vise à justifier la structure présente de la sociéte.
3.3.1.3. Le sabbat comme répétition de la création du monde
Le sabbat est donc une sociodicée. Mais ce n'est pas sur ce point qu'insistent les adventistes. Pour
eux, il s'agit plutôt de célébrer la fin de la création par une louange au Créateur.
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Ce texte développe les principales justifications invoquées par les adventistes pour le respect du
sabbat — hors des justifications qui sont en fait des démonstrations de l'errance des autres Églises
sur le sujet, comme par exemple l'argument qui consiste à dire que Jésus a certes aboli la loi de
Moïse mais seulement sa partie cérémonielle et non le décalogue. Ce texte vise à fournir aux
membres un dogme simple et clair, facile à comprendre mais qui peut sembler assez rigide, malgré
l'insistance sur la joie — qui n'est pas sans lien avec la dimension pour certains festive de
l'événement — car il y a toujours quelque chose d'incongru à se voir ordonner d'être heureux. Dans
un CD-Rom qui se veut « de présentation », on peut voir en revanche une vidéo à propos du sabbat
qui au lieu de le présenter comme une nécessité imposée de l'extérieur, en fait la seule façon de
pouvoir affronter le reste de la semaine.
Séquence 1 Séquence 2a Séquence 2b Séquence 3
Chant 1Après tant de peine, de stress et de soucis, quand les fardeaux reviennent, quand frappe l'ennemi, je lève les yeux, vers mon Père dans les Cieux, je sais que je peux me reposer...
Chant 2Louez, louez le nom de DieuLouez, louez son nom à jamaisbis
Les activités mondaines
Le repos du septième jour
Le culte Les merveilles de la création
Tableau 1: La semaine adventiste est structurée par le sabbat
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19. Le sabbat
Au terme des six jours de la création, l’Auteur de tout bien s’est reposé le septième jour et a institué le sabbat comme mémorial de la création pour toute l’humanité. Le quatrième commandement de la loi divine et immuable requiert l’observation de ce septième jour de la semaine comme jour de repos, de culte et de service, en harmonie avec les enseignements et l’exemple de Jésus, le Seigneur du sabbat. Le sabbat est un jour de communion joyeuse avec Dieu et entre les hommes. Il symbolise la rédemption en Christ, signifie notre sanctification et témoigne de notre allégeance. Il nous donne un avant-goût de notre vie future dans le royaume de Dieu. Le sabbat est le signe permanent de l’alliance éternelle de Dieu avec son peuple. L’observation joyeuse de ce temps sacré d’un soir à l’autre, d’un coucher de soleil à l’autre, est une célébration de l’action créatrice et rédemptrice de Dieu. (Gn 2.1-3; Ex 20.8-11; 31.12-17; Lc 4.16; Hb 4.1-11; Dt 5.12-15; És 56.5,6; 58.13,14 ; Mt 12.1-12 ; Éz 20.12,20; Lv 23.32; Mc 1.32.)
CONFÉRENCE GÉNÉRALE, Manuel d'Église, 2006, pp15-16
Texte 12: Le sabbat célèbre la création du monde
La vidéo (présente sur le CD-Rom joint à ce mémoire) commence par montrer les activités
mondaines (séquence 1), essentiellement par des flux rapides et des moyens de transports
(automobiles, métro, piétons), avant de laisser la place à un soleil couchant — il pourrait être levant
mais je pense qu'il symbolise le début du sabbat — sur lequel des images des activités sabbatiques
viennent se greffer. Ensuite, le fond présente de vagues montagnes sur lesquelles des images de la
« nature » défilent (glaciers, sources, plantes, nuages). Deux chants constituent la bande-son : le
premier, plus théologique (« ce n'est plus moi qui dit Jésus en moi, ce n'est plus moi mais c'est toi »)
s'arrête quand la présentation de l'école du sabbat (séquence 2a) est terminée, pour laisser la place à
un chant de louange qui illustre le culte (séquence 2b). Il est intéressant de noter que le repos de
Dieu intervient dans la Genèse après l'œuvre créatrice. Or, ici, ce n'est qu'après le sabbat que les
merveilles de la Création (séquence 3) sont présentées. Il me semble donc que ceci tend à montrer
que le sabbat, en tant que mémorial de la création, est une sorte d'imitation de l'acte créateur.
Cette vidéo met également en scène les deux spatialités dont il a été question plus haut. Dans la
semaine, la spatialité des relations-de-pouvoir et de l'affairement matérialisée par les flux
incessants, pendant le sabbat une spatialité utopique où les relations n'impliquent pas de pouvoir.
« [Le sabbat] nous donne un avant-goût de notre vie future dans le royaume de Dieu » (voir texte
12 page 82). Il est donc tendu à la fois vers la création et vers la régénération de la Terre, vers la fin
et la cause. Il est imitation de ces deux actions vraiment créatrices, et donc régénère si ce n'est le
monde au moins la confiance des fidèles. J'ai aussi remarqué plus haut que le sabbat structurait la
semaine, qu'il en était l'événement le plus intense : il en est donc celui le plus proche de l'éternité.
Fabrice DESPLAN y voit une autre dimension : celle de l'égodicée — même s'il n'emploie pas ce
terme. Selon lui, les récits de conversions lus avant l'École du sabbat, qui « se caractérisent par une
omniprésence de l'individu héros » tendent à « formaliser les discours de conversion » . Il ajoute
qu'il existe « une véritable injonction à la structuration du parcours religieux autour de la rupture »
que constitue la conversion, ce qui fait émerger « des discours mythiques de conversion [dont]
l'exemple le plus manifeste est certainement la conversion de Saul de Tarse » [Desplan, 2000,
p305]. L'explication est séduisante, d'autant plus qu'en effet les récits de conversion lus à l'église
suivent tous un schéma identique où la notion de rupture avec un environnement et des pratiques
non adventistes est centrale. Cette rupture ontologique que constitue la conversion, dans la
problématique des constructions territoriales, est importante car elle est l'accès à la spatialité
utopique. Les récits de conversion contribueraient donc à imiter de manière hebdomadaire la
seconde naissance, la création du monde d'un point de vue phénoménologique, à se remémorer le
premier déploiement pour l'individu d'une spatialité paradoxale vraiment structurante. Je me dois
cependant de pondérer ces affirmations. En effet, Romain, que Fabrice DESPLAN classerait dans sa
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typologie des membres en tant qu'héritier continuel — c'est-à-dire un membre dont au moins un des
deux parents est adventiste et qui n'a jamais quitté l'Église — n'insiste pas sur la rupture qu'aurait dû
constituer son baptême. Or, selon Fabrice DESPLAN, ce sont ces héritiers utopiques qui développent
le plus cette thématique de la rupture, car chez eux la conversion est problématique — puisqu'elle
ne se traduit par aucun changement relationnel ou de pratiques. Romain, lui, met l'accent sur la
continuité : « mon chemin religieux... il s'est pas fait d'un coup. Le baptême, bon, c'est qu'une
première étape, c'est qu'un début. [...] La vie c'est fait de plein de petites évolutions successives qui
ne sont pas forcément visibles euh indépendamment les unes des autres. » Ceci dit, mon entretien
avec Romain a duré vingt minutes et ne portait pas sur sa conversion, tandis que ceux menés par
Fabrice DESPLAN s'étalaient sur plusieurs heures et comportaient des questions spécifiques sur le
baptême.
Le sabbat, en donnant un aperçu du paradis terrestre — l'ancien et le futur à la fois, indiscernables
de nouveau — rapproche les fidèles de leur sol, adoucit leur exil sur notre corps céleste en proie au
mal. Ainsi, il permet au membre de s'engager dans le monde sans s'y perdre, car le lien avec la Terre
d'origine n'est jamais complètement rompu, est toujours collectivement régénéré. Il est donc la
condition nécessaire à toute hypothétique reterritorialisation du monde.
3.3.2. L'engagement dans le monde comme impératif biblique : vers une reterritorialisation du monde?
L'Eden-nouvelle Terre fournit aux adventistes un sol vraiment constitutif qui se déploie dans une
spatialité utopique (puisqu'un lieu absolument lieu ne saurait être composé de plusieurs lieux ni être
délimité au sein d'un territoire) et permet de supporter l'exil sur une Terre-corps dont la spatialité
relationnelle est comprise comme l'empire du mal. Cependant, et malgré leur conviction profonde
que ce ne sont pas leurs actions qui vont provoquer le retour de Jésus, ils œuvrent en faveur de
personnes en difficulté (voir page 74) car tenter d'instaurer dans le monde la spatialité utopique
fondée sur l'amour comme force libératrice, est pour eux un impératif biblique.
3.3.2.1. La volonté d'être au contact de la société englobante
A part quelques personnes comme Noémie, la plupart des adventistes, dans la droite ligne de leurs
directives officielles, estiment que s'isoler du monde est une erreur : le monde pourrit de jour en
jour, mais en tant que trace de la Création, il faut en prendre soin et aider les hommes à y vivre car
cela revient à lutter pour Dieu, à lui rendre gloire. Marguerite s'explique à ce sujet (voir page 65),
tout comme Romain :
« Je mets en avant le principe d'ouverture vers l'autre, donc je vais accepter de boire un peu mais je vais boire qu'un apéritif [parce que] je pense que la sociabilité c'est quand
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même aussi un élément chrétien hein, aime ton prochain comme toi-même, l'ouverture c'est vrai c'est la sociabilité en fin de compte. [...] J'essaie de mettre toutes les valeurs côte à côte et de mettre tout en pratique mais en équilibre. [...] On fait partie du monde, on doit être dans le monde hein. Dieu nous a pas demandé d'être des ermites dans un monastère coupé du monde hein... Vous êtes le sel de la terre, et donc on doit vivre dans le monde [c'est-à-dire que] le chrétien doit être agréable aux autres, utile à quelque chose pour participer à la vie collective en y apportant un plus [d'ailleurs] on retrouve les extrêmes : si yen a pas, ça manque, et si yen a trop c'est pas bon non plus. »
Dans les deux cas, l'image des chrétiens comme sel de la terre est évoquée. C'est-à-dire qu'ils
considèrent qu'ils ont un rôle particulier à jouer.
Cette implication dans le monde avec la volonté d'être des citoyens modèles est exprimée par le
pasteur d'Angoulême en ces mots :
« Parce que je crois, j'agis donc si je rentre dans une pièce où je sais qu'il y a de l'électricité je vais appuyer sur l'interrupteur en attendant que ça s'allume dans l'espoir en tout cas que ça va s'allumer donc j'agis en tout cas par rapport à ce que je crois donc c'est pareil je crois que Jésus m'a sauvé et qu'il me demande de vivre au mieux sur cette planète donc je vis en fonction de cela donc ce n'est pas ce que je fais qui me sauve, je fais les choses parce que je suis sauvé. Comme j'ai accepté Jésus qui me sauve dans ma vie, automatiquement, les actes euh suivent. Quelqu'un qui vous dirait euh je crois euh en tout cas euh je préfère dire en tout cas si je vous dis un jour je crois que Jésus m'a sauvé qu'il est mort pour moi et que... je lui dois mon salut et que demain je me mette à à voler à tuer à faire tout et n'importe quoi, vous avez le droit de remettre en question ma foi parce que à mon avis l'un ne va pas sans l'autre. La foi en Jésus m'aide... m'aide à être euh, un meilleur citoyen. »
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Les rapports avec la société
Tout en étant citoyens des cieux, «d’où nous attendons le Sauveur» (Ph 3.20), nous sommes encore dans le monde et faisons partie intégrante de la société humaine. Aussi devons-nous partager avec nos semblables certaines responsabilités relatives aux problèmes de la vie courante. Partout où ils se trouvent, les adventistes du septième jour devraient, en tant qu’enfants de Dieu, se comporter comme des citoyens modèles, connus pour leur intégrité et leur empressement à contribuer au bien commun. Bien que nous soyons surtout responsables envers l’Église et que notre premier devoir soit de prêcher l’Évangile du royaume au monde entier, nous devrions encourager par tous les moyens à notre disposition tout effort en vue d’un meilleur ordre social. Même si nous devons nous tenir à l’écart de tout conflit social et politique, nous devrions toujours, d’une manière ferme et tranquille, rester du côté du droit et de la justice dans les affaires civiles, tout en restant strictement fidèles à nos convictions religieuses. Nous avons le devoir sacré d’être des citoyens loyaux envers le gouvernement dont nous dépendons, rendant «à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu» (Mt 22.21).
CONFÉRENCE GÉNÉRALE, 2006, Manuel d'Église, p175
Texte 13: Les adventistes doivent être des citoyens modèles
Ceci est loin d'être propre à l'adventisme. Je pense que dans les termes utilisés jusqu'à présent dans
ce mémoire on peut dire que les adventistes acceptent la territorialité relationnelle, mondaine, parce
qu'ils savent qu'elle n'est pas celle qui, en définitive, fait sens. L'organisation adventiste se targue
même d'être une « Église citoyenne » (voir illustration 4 page 88). Mais l'obéissance au
gouvernement s'arrête avec les interdits du décalogue. Ainsi, Marguerite précise :
« Comment est-ce qu'on peut être citoyens du monde en étant chrétiens simplement en participant effectivement à la vie euh citoyenne hein, en étant nous-mêmes des citoyens, et l'idée aussi qu'on doit se soumettre aux autorités hein et euh donc euh on le fait... la seule chose c'est de rester à... aux commandements de Dieu et à ses prescriptions bon dans la mesure où on peut maintenir cet engagement que l'on a vis à vis de Dieu, on peut dire que l'on peut rester dans le monde. Si [le gouvernement] nous demande maintenant euh demain de devenir des voleurs, des tueurs des machins trucs non on peut pas et à ce moment là on est tous euh enfin on devrait tous en fait mais bon c'est chacun qui peut s'engager à dire je suis prêt à donner ma vie pour Dieu. Si un jour on doit m'obliger si un jour demain on me dit ya la guerre et puis faut que tu tues et que c'est contre ma ma ma ma croyance que Dieu nous a dit de pas tuer notre prochain je je j'vais pas le faire hein. Donc moi je pense que... hmm... ma place en tant que chrétienne elle est pas à aller me cacher dans un trou quoi. »
L'expression « citoyen du monde » revient dans la bouche de presque tous les enquêtés (9 sur 10)
quand il s'agit d'exprimer les relations avec la société englobante. Je ne pense donc pas, au final,
qu'il faille y voir le sentiment que les nations, les États doivent disparaître au profit d'une
organisation mondiale politique — lors de la prédication du 20 mars 2007 le pasteur a déclaré :
« En cette période électorale, nous te demandons d'intervenir pour que ta volonté s'accomplisse et
faire en sorte que les futurs dirigeants agissent en conformité avec ta parole et maintiennent la paix
et l'unité de cette nation. ». Je pense que pour eux citoyens du monde signifie plutôt qu'ils sont
malgré tout habitants de la Terre-corps. Citoyen du monde est une expression qui pose deux pôles :
le citoyen et le monde. Pour rendre gloire à Dieu, les deux doivent être dans le meilleur état possible
— ce qui témoigne d'une emprise faible du mal sur eux. Deux dimensions ont donc été développées
par les adventistes, qui ne sont pas sans conséquence sur les constructions territoriales : la santé et la
protection de l'environnement.
3.3.2.2. La nécessité d'une santé irréprochable
Si les adventistes se sentent en exil sur la Terre, qu'ils ne s'y sentent pas chez eux, c'est que rien sur
Terre ne leur appartient : ils ne sont que les économes de Dieu (voir texte 13 page 85). Cette notion
d'économie ou la Terre est comprise comme un jardin (une rémanence de la Terre comme
sanctuaire?) m'amène d'ailleurs à me demander si on ne pourrait pas tenter une étude des
constructions territoriales adventistes à l'échelle planétaire en se fondant sur les principes de la
micro-géographie. Dès lors, je me suis demandé si leur corps leur appartenait. La réponse est non :
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il est à Dieu. L'insistance sur la santé — l'adventisme est né aux États-Unis pendant la révolution
hygiénique — est donc doublement nécessaire : il s'agit de rendre gloire à Dieu et d'être en
meilleure santé pour répandre la bonne parole et développer son Église. Jean-Paul est très clair à ce
sujet :
« La santé pour rester actif ou pour glorifier Dieu? Les deux mais garder corps en bonne santé est déjà glorifier dieu car c'est lui le créateur qui a créé le corps : l'abîmer c'est comme abîmer la voiture de quelqu'un d'autre. Nous ne nous appartenons pas, [...] nous appartenons à Dieu [...], qui est un père aimant. Nous on appartient à Dieu mais Dieu ne nous fait pas de mal. C'est pas une appartenance euh.. on reste libres la preuve c'est que yen a qui abîment leur santé ou qui ne croient pas en Dieu. »
Cette importance sur la santé se manifeste dans le règlement adventiste par plusieurs interdits
(alcool, tabac, café, thé et tout ce qui est interdit dans le livre du Lévitique). Ils ont longtemps
organisé des plans de cinq jours pour arrêter de fumer recommandés par des médecins. Ils y
expliquent le fonctionnement des poumons, les méfaits du tabac, etc. Cependant, ils ont été
abandonnés parce que les responsables estimaient que ce type d'action où il n'était fait nullement
mention de l'adventisme était une dépense d'énergie en pure perte puisqu'elle n'amenait personne à
Dieu [Coffin, 1981]. Néanmoins, c'est par des actions portant sur la santé qu'ils investissent le plus
notoirement l'espace public. C'est ainsi le seul exemple d'action publique de l'adventisme que
WILLAIME cite dans son article de l'Encyclopédie du protestantisme [Willaime, 1995, p16].
Fabrice DESPLAN définit l'adventisme comme une religion de la santé [Desplan, 2006].
Contrairement à une religion de guérison qui, comme la scientologie, la science chrétienne ou
l'antoinisme « ont pris naissance dans la volonté d'apaiser la souffrance et ont placé le traitement
des troubles physiques ou psychologiques au centre de leurs préoccupations » [Dericquebourg,
1988, p8], une religion de la santé met l'accent essentiellement sur la prévention, sur un mieux-être
par rapport à un état normal. C'est ce que souligne l'affiche de quatre mètres sur trois réalisée pour
la Pâques 2001 et exposée sur des panneaux publicitaires dans des grandes villes de la fédération
sud : « La foi en Christ me rend fort dans la vie »(voir illustration 4 page 88 et page 105). Donc,
une religion de guérison amène ses fidèles, dans leur discours, à confondre guérison et conversion,
ce qui n'implique pas de pratiques territoriales particulières car la guérison est pour eux un
événement terminé, passé, que le discours vient éventuellement réactiver périodiquement. Une
religion de la santé, quant à elle, parce que l'entretien du corps est une activité permanente,
nécessite des pratiques régulières spécifiques.
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3.3.2.3. La protection de l'environnement : l'écologisme adventiste
L'importance de la santé et les pratiques spatiales (déplacements de la campagne vers la ville, etc.)
qu'elle implique sont encore expliquées par Jean-Paul :
« C'est très important parce que nous, nous partons du principe que nous sommes donc des créatures et nous n'avons pas le droit d'abimer ce que Dieu a créé donc nous n'avons pas le droit de nous abimer la santé. Nous avons le devoir d'avoir une vie pure saine. D'ailleurs les adventiste étaient écologistes avant qu'on parle d'écologie [...] Ça fait plus de 50 ans que l'Église adventiste organise en France des plans de cinq jours pour arrêter de fumer [...] avant même qu'on sache que le tabac était dangereux pour la santé, mais nous nous le savions déjà parce que bon le tabac c'est pas naturel et donc tout naturellement ça ne pouvait que détruire la santé.[...] Oui, la nourriture biologique c'est la meilleure alimentation Bon après être végétarien[...] c'est mieux dans tous les cas s'ils peuvent le faire de manière correcte [...] compenser par d'autres aliments. Nous on mange très très peu de viande. On a été végétariens à un moment et on ne mangeait que du bio, mais on était en campagne à ce moment là, et il fallait faire régulièrement vingt à trente kilomètres pour trouver un magasin spécialisé parce que yen a qu'à Angoulême... c'était éprouvant. »
Il est étonnant de voir que le seul exemple d'écologisme que donne Jean-Paul sont les plans de cinq
jour. En fait, ce n'est jamais la Terre pour elle-même qui compte pour eux mais toujours la Terre en
tant que créature sur laquelle les hommes doivent vivre en attendant le retour de Jésus. C'est donc
surtout la notion d'environnement qu'ils développent, puisqu'elle implique quelqu'un d'environné.
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Illustration 4: L'adventisme promet d'améliorer le bien-être de ses membres
D'ailleurs, la défense de l'environnement est mise par la doctrine adventiste sur le même plan que
l'amour du prochain : « créés pour la gloire de Dieu, les être humains sont appelés à l'aimer, à
s'aimer les uns les autres et à prendre soin de leur environnement » [Conférence générale, 2006,
p11].
Le texte 14 page 89 montre que si les adventistes prônent la préservation de l'environnement, il ne
s'agit pas pour eux de réduire leur niveau de vie, au contraire. S'il faut agir, c'est parce que le niveau
de vie baisse et parce que, par amour pour les autres habitants de la Terre, on ne peut leur laisser
une Terre plus inhabitable. On retrouve donc doublement les propos de RAFFESTIN. D'une part, il n'y
a jamais de relation dont l'espace ou le territoire soit la finalité. Il n'est toujours qu'un intermédiaire,
une interface relationnelle entre deux acteurs. D'autre part, le géographe suisse distingue trois
modes de gestion de ce qu'il appelle les matières naturelles — puisqu'une matière n'est ressource
que par rapport à une technicité donnée qui est purement anthropique : le mode exploitationniste,
qui vise à maximiser la production sans tenir compte d'autre régulation que celle du marché,
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Responsabilité de l'homme par rapport à son environnement. A la création, Dieu plaça le premier couple dans un jardin (Genèse 2:8). Son rôle consistait à cultiver la terre et à exercer sa domination sur toute vie animale (Genèse 1:28). Dieu nous a ainsi confié la responsabilité de préserver notre environnement.
Ce que croient les adventistes..., 1990, p82
Créé pour gérer son environnement. [...] Ces remarques peuvent nous aider à améliorer nos relations humaines dans un monde marqué par toutes sortes de ruptures. Elles fournissent également une réponse au problème posé par l'utilisation égoïste des ressources naturelles et par la pollution inconsidérée de l'air et de l'eau. Ces nuisances conduisent à une détérioration grandissante de la qualité de la vie. L'adoption des principes bibliques relatifs à la nature humaine fournit la seule assurance valable d'un avenir prospère.
Ce que croient les adventistes..., 1990, pp 93-94
Gestion de la terre. La science moderne a fait de la terre un vaste laboratoire de recherches et d'expérimentations. Ces recherches nous procurent de nombreux bienfaits, mais la révolution industrielle a aussi entraîné la pollution de l'air, de l'eau et de la terre. La technologie a, dans certains cas, manipulé la nature au lieu de la gérer sagement.
Nous sommes les gérants de ce monde, et devons tout faire pour maintenir la vie à tous les niveaux en préservant l'équilibre écologique. Au moment du retour de Jésus viendra le temps « de détruire ceux qui détruisent la terre ». (Apocalypse 11:18) Ainsi les gérants chrétiens sont responsables non seulement de leurs propres possessions, mais aussi du monde qui les entoure.
Ce que croient les adventistes..., 1990, p278
Texte 14: L'environnement et la gestion de la vie chrétienne
favorisant le présent par rapport au futur ; celle préservationniste qui vise à minimiser la production,
mais RAFFESTIN pense qu'il s'agit souvent d'une stratégie attentiste qui vise à maximiser les bénéfices
à l'avenir; enfin, le mode de gestion conservationniste tente d'optimiser la gestion des ressources en
mettant sur un même pied présent et avenir, en vue des besoins d'une communauté [Raffestin, 1981,
pp205-215]. Les termes conservationnistes et préservationnistes me semblent tout à fait discutables
et interchangeables. Les adventistes parlent d'ailleurs de préservation de l'environnement alors que
leurs pratiques manifestent avant tout une optimisation de l'utilisation des ressources visant à
augmenter le niveau de vie de l'humanité dans son ensemble. Leur intérêt pour l'environnement
témoigne d'une conception mondiale, globale, de la vision du monde comme un seul et même
territoire, échelle adéquate pour résoudre des problèmes.
3.3.2.4. Exorcisme et spiritual mapping
Le spiritual mapping « consiste à pointer sur une carte les places fortes d'où il faut déloger les
démons ». L'apparition de cette pratique au sein du charismatisme troisième vague a été permise par
l'hybridation d'une thématique guerrière où chaque ville, chaque nation est un champ de bataille
spirituel avec les « spiritualités animistes et démonologiques ». Le spiritual mapping signe le retour
du territoire « comme élément signifiant de premier plan: il n'est pas neutre, mais l'objet d'un
marquage spirituel, identitaire, entre forces qui s'affrontent et où le chrétien doit "prendre position"
et partir à la conquête » [Fath, 2007].
A une échelle locale, il est donc très lié à l'exorcisme, qui est sa finalité première. Or, en 2006, les
27 vérités bibliques fondamentales des adventistes sont devenues 28 par décision de la Conférence
générale — qui se justifie en disant qu'il ne s'agit que d'une explicitation de thèmes déjà présents
dans les 27 premières vérités. Cette 28e vérité porte justement sur l'existence des mauvais esprits et
l'exorcisme. Dans le cadre d'une proximité avec la théorie du sacerdoce universel, chaque membre
peut être exorciste par la prière. J'ai interrogé les adventistes charentais sur la question. Déjà, à part
le pasteur qui a réalisé son mémoire sur l'exorcisme, aucun n'était au courant de cette innovation
doctrinale. Ensuite, elle a paru à beaucoup quelque peu incongrue, voire problématique — il a
néanmoins suffit que je dise, citant la Conférence générale, que ce n'était qu'une explicitation de
bribes des autres vérités pour que ces membres soient convaincus et rassurés.
A une échelle très petite, on trouve des traces de spiritual mapping dans l'adventisme, mais d'un
spiritual mapping avant la lettre. En effet, dans la vision eschatologique de l'histoire inspirée de
Daniel que défendent les adventistes, l'Europe est le territoire de la bête, un territoire qui doit jouer
un rôle particulier dans les temps de la fin. Spiritual mapping et charismatisme sont très liés. Peut-
être faut-il donc y voir une preuve supplémentaire du charisme personnel d'Ellen White.
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D'une certaine manière, le spiritual mapping est une géographie négative, puisqu'elle vise à
désigner des lieux qui sont mis à une distance extrême car habités par le mal, donc inhabitables et
finalement insignifiants (donc des non-lieux) sans pour autant mettre à proximité des lieux
terrestres. L'introduction d'un dogme exorciste dans l'adventisme peut être le signe d'une évolution
faire ce type de territorialisation. Cependant, il semblerait que ce soit essentiellement en Afrique et
en Amérique Latine que des adventistes se livrent à ces pratiques. Les adventistes du Sud-Ouest,
quant à eux, sont plus proches d'un évangélisme mainstream favorisant une déterritorialisation,
même si les récits de conversion du samedi matin visent à montrer la progression de l'Église dans le
monde entier. En effet, ils témoignent d'une problématique territoriale à l'échelle mondiale.
3.4. Le parasitage des spatialités
La préservation de l'environnement manifeste elle aussi une territorialité mondiale des adventistes,
« citoyens du monde » qui considèrent les ruptures de continuité physiques, politiques,
économiques ou sociales — bref géographiques — comme autant de manifestations du mal au sein
même de l'œuvre divine. Pourtant, nous avons également dit que la Terre constituait un non-lieu, un
lieu sans lieu au sein d'une spatialité utopique vraiment structurante. Quelle réponse donner en
définitive à la question posée tout au long de cette partie? La difficulté principale est que deux types
de spatialités interfèrent perpétuellement dans les discours et pratiques adventistes. D'une part, la
spatialité utopique d'une Terre-sol d'origine et de destination ; d'autre part une spatialité
relationnelle d'une Terre-corps en état de décomposition perpétuelle sous l'effet du péché. Le
parasitage de ces spatialités l'une par l'autre est justement la trace d'une lutte entre des
préoccupations mondaines, des affairements, et d'autres spirituelles : c'est le grand conflit entre
Dieu et Satan. Toute personne invoque des causes ontologiques pour justifier ses constructions
territoriales, mais la difficulté ici est que le monde spirituel — les cieux que les adventistes placent
quelque part dans l'espace intersidéral — est lui-même entièrement mondain et exprimé en termes
spatiaux et territoriaux. Il y a donc volonté de transformer la Terre en lieu. Mais si la totalité devient
lieu, si l'horizon de sens est sans au-delà, alors il ne révèle rien d'autre que lui-même et ne peut être
situé, devient un non-lieu.
Certains lecteurs auront remarqué que je n'ai que très peu évoqué le ciel, où les adventistes pensent
que les 144 000 élus vont passer le millénium avant de retourner sur une Terre purifiée, parmi une
multitude innombrable d'élus de seconde zone — littéralement (voir texte 5 page 63, dernière
phrase). J'ai conscience de cette absence, que je n'ai pas estimée être une lacune. En effet, le retour
des 144 000 sur Terre n'est jamais, pour la Terre, qu'une réintégration dans les cieux, auxquels
appartenait déjà la Terre-sol. Ainsi, donc, alors que les adventistes ne peuvent envisager de localifier
sans localiser — le ciel est quelque part — , la Terre-sol ne peut être prise que dans une dimension
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phénoménologique. Elle désigne la Terre originelle et finale, partie intégrante des cieux, dans une
spatialité qui ne saurait être utopique que dans la mesure où elle occupe la totalité de l'espace... et
du temps. En outre, ceux qui seront au ciel constituent une infime minorité : ce ciel, tant qu'il n'a
pas regagné la Terre, ne peut constituer un sol ferme, une espérance raisonnable sur laquelle fonder
sa spatialisation utopique. Il n'est vraiment sol que terraformé, et ceci ne se produit que pendant
l'éden et après la purification de la Terre : c'est donc bien toujours de la Terre-sol qu'il s'agit. Par
conséquent, je n'ai pas jugé utile d'alourdir mes propos par une distinction constante entre ciel et
Terre-sol, puisque la Terre n'est sol qu'en tant qu'elle est ciel, qu'en tant qu'elle est non-lieu.
On dira donc que la Terre-sol est un non-lieu, tandis que la Terre-corps est un territoire à conquérir,
c'est-à-dire à faire devenir non-lieu. Les territoires sont ainsi intelligibles, mais n'existent qu'en tant
que ce qui n'existe pas, comme le mal : c'est leur intelligible inintelligibilité [Cugno, 2002, p199-
237].
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4. La Terre, une contrée toujours à conquérirLa Terre, en tant que corps, doit être reconquise pour devenir sol : la Terre-sol est au Ciel, pourrait-
on presque dire. Si la préservation de l'environnement est assez central dans l'adventisme, les
activités missionnaires sont ou l'étaient auparavant tout autant. Par ailleurs, se voulant universelle,
L'Église adventiste s'est dotée d'une organisation mondiale territorialement hiérarchisée. On peut
donc se demander si des effets frontières, des ruptures entre organisations peuvent s'observer. Je
prendrai l'exemple des deux fédérations françaises, notamment en comparant ce qui se passe à
l'ouest et à l'est. Ensuite, cette organisation, qui à l'échelle de l'adventisme est conséquente voire
franchement lourde, n'a que très peu de visibilité au sein de la société englobante. Nous verrons
donc comment, par des stratégies d'appropriation de l'espace public, l'Église adventiste tente
d'obtenir une reconnaissance ou de nouveaux membres. Enfin, cette faible visibilité est due en
partie à des effectifs assez réduits, mais aussi à une discrétion et une conception particulière de
l'Église, à savoir celle de reste.
4.1. Frontières dans des territoires adventistes? : la limite entre les fédérations françaises
Dans tous les discours de membres et de responsables adventistes du Sud-Ouest que j'ai rencontrés,
la limite entre les deux fédérations est comprise comme une formidable rupture, une solution de
continuité absolue dont le franchissement est hautement problématique. Ainsi Philippe Aurouze en
dit que c'est une « ligne de démarcation », comme une frontière linéaire dont l'effet aréal est une
rupture dans les réseaux de sociabilités ecclésiales.
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Ce discours vise à légitimer voire à naturaliser l'absence totale de relations entre les Églises du nord
du Grand Sud-Ouest et celles de la Vienne. Il est vrai qu'en théorie, selon Philippe Aurouze, toute
relation entre des Églises de fédérations différentes doit passer par l'union, ce qui implique la mise
en place de dispositifs administratifs lourds. Cependant, on ne saurait accepter un tel discours en
l'état. Non seulement en effet l'existence de problématiques similaires de part et d'autre de la limite,
sans solution de continuité, empêche de parler de « ligne de démarcation », terme extrêmement fort
qui laisse presque imaginer une frontière militarisée. Il est certes vrai que du Limousin au pays de
Gex la limite entre les fédérations suit vaguement la frontière entre l'État Français et la zone
occupée de 1940 à 1942, mais aucune similitude territoriale ne vient soutenir la comparaison.
Mieux, le discours de tous les enquêtés est démenti par les faits. Dans l'est de la France, des
pasteurs sont en charge de deux Églises, chacune d'un côté de la limite (Mâcon et Lyon-ouest pour
l'un, Gex et Saint-Claude pour l'autre). Il est probable, comme me le disait Jean-Luc Rolland
(professeur à Collonges-sous-Salève et directeur du centre de recherches sur Ellen White) que ces
pasteurs ne soient officiellement en charge que d'une Église mais aident activement la deuxième, car
ce sont les fédérations qui rémunèrent les pasteurs : réaliser une rémunération partagée serait trop
compliqué. Il n'en reste pas moins que si dans l'ouest la limite est perçue comme une véritable
rupture, dans l'est en revanche les relations inter-ecclésiales ne semblent pas en pâtir : la fédération
n'y est pas productrice de territoires ni de territorialités. Je reconnais que cette carte (carte 10 page
94 sur 128
Carte 10: Une limite au franchissement variable
94) n'est pas parfaite. Elle ne représente que les pasteurs franchissant régulièrement la limite des
fédérations. Ainsi, peut-être une solution de continuité existe-t-elle dans l'est si les relations entre
églises trans-fédérationnelles sont moins intenses qu'entre Églises de la même fédération. En outre,
les attributions des pasteurs ne sont qu'un indicateur partiel des activités relationnelles. Les
échanges entre Églises partageant un même pasteur ne sont pas une nécessité (voir page 50), et à
l'inverse de nombreuses relations entre Églises ont lieu alors qu'elles ont des pasteurs différents
(entre Angoulême et Périgueux par exemple). Néanmoins, on peut supposer que si des Églises de
fédérations différentes partagent leur pasteur, la probabilité qu'existe dans la région des relations
inter-ecclésiales franchissant la limite est très forte.
Comment donc expliquer ces différences? On aurait pu plus facilement même envisager le
contraire : une rupture nette à l'est, une continuité à l'ouest. En effet, dans un réseau ecclésial plus
dense, les possibilités relationnelles au sein de la fédération sont plus nombreuses, ce qui peut
dissuader de nouer des liens inter-fédérationnels lourds à mettre en place. A l'inverse, dans un
réseau très lâche, si on considère que les relations inter-ecclésiales sont centrales pour l'implication
des laïcs dans la vie d'Église (voir page 49), il devient nécessaire d'aller chercher tous les
partenaires possibles car l'effort administratif engagé peut se traduire par une information — et donc
une conformation — des membres largement accrue.
C'est exactement la situation inverse qui s'offre à nos yeux. Pour ce qui est de Gex et Saint-Claude,
on peut imaginer que la faible distance qui les sépare a favorisé la production de relations, mais
entre Mâcon et Lyon, je n'ai aucune hypothèse à proposer. Il en va de même pour l'absence de
relations à l'ouest entre les deux fédérations. Il est d'ailleurs étonnant que le secrétaire de fédération
lui-même, Philippe Aurouze, naturalise une limite qui n'est pas opérationnelle sur toute sa longueur.
4.2. L' « Église du reste »
Il peut donc exister des limites fortes, malgré l'injonction de faire tomber « tous les murs de
séparation » (texte 9 page 74), entre des Églises adventistes. Cette mise à distance réciproque de
certaines collectivités laisse envisager des rapports variables envers une société englobante
officiellement si néfaste qu'elle manifeste la proximité du retour du Christ. Les adventistes, dans
cette situation, se comprennent comme le « reste » (voir page 20). « Entourés par les dangers des
derniers jours, confrontés au jugement qui aboutira à l’établissement de la justice universelle,
chargés de la responsabilité de porter au monde, le plus rapidement possible, la dernière offre du
salut » [Conférence générale, 2006, p187] les adventistes se comprennent comme une Église mise à
part par Dieu qui devient véritablement une seconde famille (l'un des thèmes pour 13 semaines de
l'École du sabbat fut il y a quelques années : l'Église, une seconde famille). Après avoir détaillé les
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implications repérées par Stefan HÖSCHELE de la notion de reste, nous verrons dans quelle mesure on
peut parler de l'Église comme foyer, avant de montrer en quoi la commensalité dans les repas après
le culte a des impacts sur les constructions territoriales.
4.2.1. Implications théologiques, ecclésiologiques et sociologiques de la notion de reste
L'adventisme distingue « l'Église universelle [qui] englobe tous ceux qui croient vraiment en
Christ » du reste qui « a été suscité pour garder les commandements de Dieu et la foi en Jésus »
[Conférence générale, 2006, p13]. L'Église adventiste, qui s'assimile souvent à celle du reste, fonde
cette notion de reste sur le verset suivant : « Dans sa fureur contre la femme, le dragon porta le
combat contre le reste de sa descendance, ceux qui observent les commandements de Dieu et
gardent le témoignage de Jésus. » (Apocalypse, 12, 17). Ce reste a « la responsabilité de proclamer,
juste avant le retour du Christ, le dernier avertissement de Dieu au monde entier, le message des
trois Anges d'Apocalypse 14 » [Ce que croient les adventistes..., 1990, p169]. Pour Stefan HÖSCHELE,
à cette dimension théologique du reste s'ajoutent une dimension empirique et une autre sociologique
[Höschele, 2005, p9]. En effet, les adventistes, s'ils sont présents presque partout dans le monde,
sont bien souvent en situation de minorité. Et si cet aspect empirique que la notion de reste semble
porter presque étymologiquement n'est pas officielle, elle constitue néanmoins « a stong popular
tradition ». Quant à la dimension sociologique, reprenant STARK & BRAINBRIDGE, HÖSCHELE affirme
qu'une « remnant sect » est « a religious group that has high tension with (ie rejects) its social
environment », ce qui l'amène finalement à dire que sociologiquement l'adventisme n'est pas une
Église du reste, sauf dans certaines de ses branches minoritaires, puisqu'il se caractérise plutôt par
« a medium tension to society » [Höschele, 2005, pXV], à mi-chemin donc entre une remnant sect
et une folk church qui elle est marquée d'un point de vue sociologique par « a low tension with
(accepts) its social environment » et par le fait qu'elle « relates positively to a people's cultural
identity » [Höschele, 2005, p10].
4.2.2. Territorialité du « reste »
Peut-être puis-je ajouter qu'une Église du reste peut se distinguer selon des critères territoriaux,
simplement par déduction à partir des propos de Stefan HÖSCHELE. En effet, si un groupe religieux
est en tension intense avec la société englobante, ses membres — même si leur objectif est de
répandre la bonne parole et de transformer le monde — vont mettre à distance cette société
englobante tandis que le « reste » sera mis à une proximité telle qu'il sera le seul et unique référent
positif, structurant. Ceci peut se traduire dans de simples discours, mais également par des
marqueurs spatiaux tels que des communautés autonomes voire autarciques : l'Église y devient donc
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un foyer.
4.2.3. Forte importance des relations interpersonnelles : l'Église comme foyer
A l'Église d'Angoulême, de telles communautés ont parfois été esquissées. Ainsi, les familles de
Noémie et Jean-Paul ont-elles vécu plusieurs années dans une même bâtisse en milieu rural, dont le
propriétaire était lui aussi membre de l'Église. Si Noémie, arrivée après Jean-Paul, a juste « accepté
la proposition car [elle] cherchait un logement », Jean-Paul et sa famille ont en revanche « prié
pour avoir des voisins adventistes ».
Par ailleurs, les responsables adventistes essaient de faire en sorte que les Églises ne comptent pas
plusieurs centaines de membres car « sinon les relations sont trop lâches, on ne peut pas connaître
tout le monde... et puis c'est très lourd pour le pasteur » dit Philippe Aurouze. Si une Église devient
trop importante, elle est scindée en deux. Ceci dit, quand il existe plusieurs Églises dans un même
département,, « elles se marchent les unes sur les autres » car aucune limite territoriale claire ne
leur est appliquée : l'Église, à l'inverse de la paroisse, n'est pas un territoire mais une assemblée.
L'attention portée à la taille des Églises témoigne d'une volonté de maintenir des relations
interpersonnelles intenses. C'est la dimension sectaire, au sens sociologique, de l'adventisme. En
effet, chacun doit se connaître car c'est la reconnaissance par l'ensemble des membres du charisme
personnel de chacun et de sa qualification religieuse qui rend possible à chacun de se déclarer
adventiste. La cooptation des nouveaux membres avant leur baptême en est une preuve. Ainsi,
l'Église devient une sorte de famille choisie, un réseau de sociabilités intenses où la mise à
proximité des membres les uns par les autres est censée être extrême. La dimension ecclésiale de
l'adventisme réside dans l'existence d'une École du sabbat pour les enfants, ainsi que d'institutions
scolaires spécifiquement adventistes, ou même simplement dans le fait que le respect du sabbat
s'applique aussi aux non-membres. Autrement dit, chaque famille dont les parents sont adventistes
forme une sorte de fidéicommis où les règles du groupe s'appliquent aussi à ceux qui n'ont pas reçu
de formation religieuse.
La famille reproduit donc les règles de l'Église. Entre familiarisation de l'Église et ecclésialisation
de la famille, la limite entre les deux réseaux sociaux s'estompent pour les faire devenir parfois
identiques, d'autant plus que certains adventistes n'ont d'autres amis que des adventistes ou des
sympathisants. Posons tout de même quelques limites à ce raisonnement, visibles dans l'occupation
spatiale de la salle du culte : les membres s'y répartissent par famille, souvent séparées les unes des
autres par quelques sièges, et chaque sabbat au même endroit qui devient une sorte de territoire
familial. Au sein même de l'Église, sorte de famille élargie, les sociabilités familiales demeurent
donc, ne disparaissent pas. Ceci ne traduit pas pour autant un échec de l'Église et de sa spatialisation
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utopique car la famille elle-même a été « instituée par Dieu en Éden ». En outre, « le resserrement
des liens familiaux est l'un des signes distinctifs du dernier message évangélique » [Conférence
générale, 2006, p17].
L'Église est un foyer en ce sens que c'est seulement en elle et à partir d'elle que peut se développer
toute spatialité, mais qu'elle est aussi un refuge. Les repas en commun du samedi midi visent à
resserrer fortement les liens entre les membres afin qu'ils considèrent l'Église comme une seconde
famille.
4.2.4. Composantes territoriales de la commensalité
La Cène, prélude à la Passion, est un moment essentiel dans l'imaginaire chrétien. Elle a rejailli sur
les pratiques adventistes, pour qui elle montre que la commensalité est une dimension centrale dans
la vie religieuse, ce que marque la présence d'une cuisine équipée dans l'église (carte 8 page 46).
Après chaque culte, donc, les adventistes d'Angoulême se réunissent pour un repas commun (voir
page 78). « D'une manière générale, le repas est un facteur, sauf cas pathologique, de ressérement
des liens entre les individus. C'est autour de la table et face aux assiettes qu'une famille se retrouve,
bâtit son identité. Le mot "foyer" ne signifie-t-il pas primitivement le lieu où il y a du feu, c'est-à-
dire le lieu où l'on peut cuisiner, préparer les repas et par extension métonymique famille? »
[Gomez, 1985, p45].
Pour ce paragraphe, je me suis fondé sur l'introduction de l'ouvrage de Florent GOMEZ [Gomez,
1985, pp1-48). Je n'ai pas consulté d'autres livres sur la commensalité, et n'ai donc que très peu de
recul — je n'en ai pas forcément beaucoup plus sur le reste du sujet — sur la question. L'auteur a
plusieurs considérations sur la commensalité qui ne sont pas sans rapport avec les constructions
territoriales. D'abord, il faut remarquer — c'est moi qui souligne — que « Trois règles
fondamentales et constantes au cours des âges régissent le repas :
1. On ne mange pas n'importe où ;
2. On ne mange pas n'importe quoi ;
3. On ne mange pas avec n'importe qui » [Gomez, 1985, p40].
Je pense pouvoir rajouter sans trop prendre de risque : on ne mange pas n'importe quand. Par
ailleurs, « la nourriture est chose de partage, elle joue un rôle irremplaçable pour forger une
relation durable. On ne saurait le partager de manière neutre fût-ce avec un inconnu » [Gomez,
1985, p40]. Dans les repas adventistes, chacun amène un ou plusieurs plats cuisinés chez lui la
veille car il est interdit de cuisiner le sabbat. Une relation de confiance s'instaure donc puisque
« manger est un acte périlleux, rempli de dangers : danger dans la préparation des plats, danger
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dans leur consommation parce que lorsqu'on ouvre la bouche pour manger ou pour boire, un
démon attiré par le vide peut y entrer » [Gomez, 1985, p40]. Je pense que le terme de démon doit
ici être compris dans un sens très large. En effet, les adventistes considèrent la nourriture comme ce
qui doit nourrir le temple de l'esprit. Elle a donc une fonction sacrée centrale. Une nourriture
prohibée ou malsaine, ingurgitée, provoque une véritable souillure, une profanation d'un lieu sacré
mobile — emmené partout avec soi voire auquel on ne peut échapper — et toujours central. Une
telle profanation reviendrait alors à saper la création en son centre phénoménologique absolu, allant
jusqu'à Dieu lui-même. Les adventistes se reconnaissent en effet dans la position augustinienne du
deus interior intimo meo : Dieu est plus intérieur à moi-même que moi-même. Souiller le temple,
c'est refuser gloire à l'esprit et finalement à Dieu : le repas en commun adventiste se fait entre
personnes qui connaissent les nourritures autorisées, les pratiques à suivre pour ne pas offenser
Dieu.
Si Dieu peut être atteint de façon négative par le repas, il peut aussi l'être de façon positive.
« Manger... c'est pouvoir entrer en communication avec le monde, et surtout c'est pouvoir passer :
le repas est le pont qui met en communication le monde avec l'au-delà, c'est la brèche, la porte
étroite dont parlent toutes les mythologies. Tout festin donne à ses participants un peu de cosmos et
d'immortalité » [Lange, 1975, in Gomez, 1985, p39].
De même, une vision d'Ellen White sur le Paradis terrestre met en scène un banquet où sont conviés
les élus. Le repas du sabbat devient lui aussi un avant-goût de la spatialité utopique de la Terre-sol,
peut-être même davantage encore que le culte lui-même.
Vu sous cet angle, le culte adventiste pourrait ne plus sembler qu'une louange préliminaire à un
repas vraiment sacré et festif, régénérateur de la création et porte d'accès à la spatialité utopique. La
salle de culte en deviendrait presque périphérique, simple seuil face à une cuisine et une salle des
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Around the end of 1844 or early in 1845, Ellen had her first vision. She saw the 144,000 saints who were scheduled to be saved enter the temple of the new Jerusalem. Every Adventist got a crown with his name on it. Each saint carried a harp and received tha ability to carry a tune, a gift which had been denied to many in their earthly existence. « Come in to supper, » the Lord said, and they entered to find a banquet of manna, fruits and nuts, laid out on a table of pure silver. Ellen was pleased to recognize among those present two sturdy old Maine « Advents », Brother Fitch and Brother Stockman.
[...]
The dream was about what one would expect of a disturbed Maine farm girl in the early nineteeth century, steeped in the typology of Revelation.
CARSON, 1957, p77
Texte 15: La vie sur la nouvelle Terre comme banquet
tisons centrales, en position de saint des saints. Ce serait oublier qu'en l'absence de membres venant
d'autres Églises locales, les commensaux se comptent souvent sur les doigts d'une main. Cependant,
et malgré le peu de points de comparaison dont je dispose, je pense pouvoir dire que cette perte de
valeur dont souffre le repas est une spécificité des petites Églises occidentales vieillissantes et en
stagnation, qui sentent que leur survie se joue chaque année aux réunions de fédération. Dans ce
type d'Église, les aspects festifs que le sabbat peut prendre semblent atténués, effacés (voir page
53). Stefan HÖSCHELE, par exemple, montre qu'en Tanzanie le repas du sabbat midi est pour les
adventistes le point culminant de ce jour de fête institué divinement. Il y est l'ingestion,
l'intériorisation véritable de la Vie — de la spatialité utopique — après une phase d'extériorisation et
de don à Dieu que constitue le culte [Höschele, 2005]. De mon côté, ce n'est qu'au bout de la
quatrième semaine de présence au culte — et alors que je fréquente des adventistes depuis une
dizaine d'années — que je me suis rendu compte que des repas se tenaient tous les samedis midi ! Je
pensais que la cuisine servait à l'occasion, lors des rencontres inter-ecclésiales ou en semaine pour
les conseils d'Église — une réunion de membres nommés par l'Église chargée de traiter des
questions diverses comme le budget. De même, dans leur description des activités sabbatiques, ni
Philippe Aurouze ni Thierry Matthieu — pasteurs de Bordeaux et d'Angoulême — n'ont évoqué le
repas du samedi midi. Il ne l'a été que parallèlement à l'eucharistie.
4.3. Adresse aux habitants de la Terre : les stratégies de communication avec la société englobante
L'adventisme, en tant que « reste », tente au moins dans sa liturgie officielle, et particulièrement
avec les repas du samedi midi, de développer la notion d'entre-soi parmi les membres, ce qui
pourrait conduire à un isolement. Mais, en plus d'être gardiens de la loi et de la Terre trace de
l'Éden, les adventistes ont un autre impératif : apporter la bonne parole au monde entier. Ils
considèrent en effet devoir apporter le dernier avertissement aux hommes avant la Parousie. La
mission du « reste » est ainsi définie par le Manuel d'Église : « Le reste proclame que l'heure du
jugement est venue, prêche le salut par le Christ et annonce la proximité de sa seconde venue »
[Conférence générale, 2006, p13]. Les adventistes, pour répondre à cet impératif évangélique,
doivent donc mettre en place des stratégies missionnaires, élaborer des constructions territoriales
relationnelles permettant à des individus de se rapprocher de la spatialité utopique. Ces stratégies
sont en partie conditionnées par une tension moyenne avec la société, dans le deux sens.
4.3.1. Une tension moyenne avec la société
D'abord, cette tension moyenne avec une société englobante se traduit par la volonté adventiste de
sortir de la dialectique traditionnelle secte-Église en préférant se faire appeler mouvement. Ensuite,
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nous avons jusqu'ici considéré, à des fins de démonstration, la société comme un tout homogène qui
appelle une considération univoque de la part des adventistes. En réalité, les relations entre
adventisme et société sont beaucoup plus nuancées, car la société elle-même est multiple et
nuancée.
4.3.1.1. Ni secte ni Église : mouvement
L'intitulé officiel ne laisse pas de doute : les adventistes se veulent une Église. Cependant, comme
nous l'avons vu, certains aspects de cette dénomination sont encore ceux d'une secte (voir page 97) :
l'Église adventiste du septième jour est toujours en cours de dénominationalisation, elle passe
sociologiquement du statut de secte à celui d'Église. Toutefois, je pense que des composantes
essentielles de l'adventisme comme la cooptation des nouveaux membres empêcheront une
transformation institutionnelle totale. De fait, cet entre-deux, qui peut ressembler à une errance, fait
insister des membres, des responsables et des chercheurs sur le mouvement de l'Église. Ce n'est pas
une tendance récente : en 1974, John GRAZ a intitulé son mémoire d'histoire Le Mouvement
adventiste du septième jour : origine et développement [Graz, 1974]. La raison de ce choix lexical
n'est pas expliqué par l'auteur. Pour Thierry Matthieu, le terme de mouvement permet d'éviter
l'écueil du fondamentalisme et de ne pas entrer en décalage flagrant avec la société englobante :
« En tout cas moi je ne me considère pas comme fondamentaliste parce que ça ça amène vite à des dérives parce que c'est... moi je crois que l'Église advenstiste est plus un mouvement c'est-à-dire quelque chose qui varie et qui enfin qui varie euh qui qui qui n'est pas statique c'est quelque chose qui... qui a des fondements certes mais qui... c'est un mouvement qui garde l'esprit ouvert en se disant voilà on est comme on est aujourd'hui demain on sera comme on sera demain mais on évolue avec la société et on ne veut pas être dans dans dans la contrainte ou dans dans dans dans l'obligation que les gens puissent sentir qu'on est euh qu'on reste ouverts qu'on veut communiquer avec les autres, qu'on n'est pas fermés. Donc moi pour moi le fondamentalisme ce serait plus comme un bloc quand on dit fondamentaliste je pense à fondement mais dans le sens dans le sens qui qui qui ne bouge pas, et qui est là ya rien à faire c'est comme ça et pas autrement. »
Pour Philippe Aurouze, l'approche est différente. Il s'agit pour lui de ne pas tomber dans les
pesanteurs d'une organisation purement administrative, d'insister sur une dimension assez
démocratique voire participative. Plutôt qu'un rapport avec l'extérieur, c'est un rapport entre
membres qui est ici évoqué. Il a trait selon moi à la spatialité utopique, puisqu'il insiste sur l'idée
paulinienne de l'Église comme corps.
Ces différences de vues, en plus de montrer la diversité de l'adventisme lui-même, montre que si
chacun est d'accord pour dire que l'adventisme n'est ni une Église ni une secte, il existe des
appréhensions variables de la nature du mouvement. Peut-être ceci dénote justement le caractère
assez insaisissable de l'adventisme.
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4.3.1.2. La socialisation utopique aux valeurs
Quand je parle de tension moyenne avec la société, il y a là une simplification peut-être abusive, car
la société est elle-même multiple. Mieux encore, un mouvement religieux peut promouvoir des
valeurs qu'il estime fondateurs de la société qu'il dénonce parce qu'elle les a abandonnés — selon
lui. Jean SÉGUY a, pour expliquer la relation des « groupements volontaires utopiques » [Séguy,
1999] dont l'adventisme fait partie, élaboré le concept de socialisation utopique aux valeurs. Si
sémantiquement je me suis inspiré de cette expression pour parler de spatialisation utopique, les
deux concepts — ou vague ébauche de concept dans mon cas — parlent de deux choses tout à fait
différentes.
Pour l'auteur, il est difficile de jauger le rapport entre les valeurs prônées par une secte chrétienne et
celles dominantes dans la société englobante car beaucoup sont « surannées » — ce qu'il est
difficile de mesurer. Jean SÉGUY estime donc que des sectes chrétiennes comme l'adventisme
« réactivent » ces valeurs. Selon le degré de connivence avec les valeurs dominantes de la société,
on peut dire qu'une secte lui est « syntonique » ou « dystonique ». Mais aucun groupement
volontaire utopique ne peut être absolument syntonique car « si le "compromis"" parvenait à être
total entre l'Église et le "monde", le groupement hiérocratique se priverait, en l'occurrence, d'un
outil essentiel de manipulation individuelle et collective de ses membres; il devrait renoncer à se
donner pour la source obligée de légitimation en matière de valeurs » [Séguy, 1999, p217].
Cependant, dans le cas particulier qui nous concerne, « les adventistes semblent [...] — en pratique
plus qu'en théorie — assez disposés à s'accommoder des idéaux de la société américaine » [Séguy,
1999, p213]. Mais ces idéaux sont peut-être considérés comme abandonnés par les adventistes...
Ce qui est particulièrement intéressant dans l'ouvrage de Jean SÉGUY, c'est qu'il met en évidence un
système de cristallisations successives — il n'emploie pas ces termes — des valeurs et des
représentations de la secte sur elle-même, ses origines et la société englobante, faisant émerger une
nouvelle fois une procédure de compréhension de l'histoire comme dégénérescence. Lorsqu'un
personnage charismatique fonde le groupement, il propose de restaurer un idéal de société présenté
non pas comme révolutionnaire mais comme un retour aux sources de la légitimité. A ce moment là,
il y a en général une très forte dystonie par rapport aux valeurs dominantes pratiquées dans la
société — mais une très forte syntonie par rapport aux valeurs revendiquées. Ensuite, par
routinisation du charisme — dans l'adventisme passage du charisme personnel d'Ellen White au
charisme fonctionnel de la Conférence générale — « la domination charismatique se charge aussi,
et de plus en plus, de traits traditionnels ou légaux rationnels. Dès lors, le mouvement d'origine
charismatique va nécessairement en arriver à légitimer les valeurs dominantes et à y socialiser ses
membres » [Séguy, 1999, p215]. Il y a donc une cristallisation de la génération des fondateurs —
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très visible dans l'adventisme avec des ouvrages comme Nos pionniers parlent, recueil de texte des
fondateurs — qui devient à son tour un modèle, une nouvelle référence en matière de valeurs.
Enfin, « le souvenir que l'on a conservé de la pratique et des représentations en ce domaine chez
les générations immédiatement précédentes censément exemplaires [aboutit à les faire participer]
de l'idéal des "pères", c'est-à-dire des fondateurs et de la communauté apostolique qu'ils ont, croit-
on, parfaitement imitée » [Séguy, 1999, p227] Ceci constitue non pas une troisième mais une
énième moins un (numéro de la génération par rapport aux fondateurs moins un) cristallisation.
Toutes ces générations cristallisées deviennent autant de sources de légitimation possibles pour le
groupement actuel, d'autant plus légitimes qu'elles sont anciennes c'est-à-dire proches
temporellement et spirituellement de la vérité fondatrice, de la spatialité utopique. Mais la société
englobante de l'époque, à travers d'autres réseaux sociaux — ou à travers le même s'il a mythifié le
succès des débuts, montrant une société encore capable de s'amender — se trouvant prise elle aussi
dans une série de cristallisations successives, est idéalisée. Du coup, des pratiques anciennes sont
comprises comme possibles seulement parce que le contexte l'imposait ou le permettait. C'est un
discours répondant à cette logique que le pasteur d'Angoulême m'a tenu quand il m'a expliqué
pourquoi jusque vers 1930 les femmes adventistes ne devaient pas faire de vélo : leur chaste tenue
ne le permettait pas.
Progressivement, des éléments centraux avant inacceptables sont tolérés. Ainsi Romain remet en
cause la prohibition totale de l'alcool et du porc :
« Je suis pas végétarien et je suis pas extrémiste. Il va m'arriver d'être en réunion avec un maire, je vais boire un doigt de pineau euh... je sais que ça fait sursauter certains des membres de mon Église qui eux voudraient ne pas boire du tout d'alcool parce que ceci cela. Bon j'essaie de faire attention, de de pas manger de choses trop grasses, trop riches, quand j'ai la possibilité de choisir, de pas manger de porc ou d'autres viandes mais bon c'est pas spécialement euh seulement biblique, il peut y avoir des viandes qui sont trop cuites au barbecue ou des choses comme ça, d'autres aliments qui sont pas forcément bons pour la santé hein. Mais bon on est dans un monde où si on voulait être en bonne santé et manger sainement, avec les déchets et les radiations atomiques et tout et puis tout ce qu'on met dedans conservateurs et tout ça, on sait pas ce qui est cancérigène ou pas hein. Enfin bon j'essaie de faire quand même attention moyennement à ma santé physique quoi ».
Il ne faudrait pas croire que la dernière phrase de Romain vient contredire ce qui a été dit plus haut
(voir page 86). Pour lui, « la santé totale physique intellectuelle et spirituelle est un des points forts
de l'adventisme, et elle est basée sur le nouveau testament ». Il s'agit en fait de trouver un certain
bien-être, qui passe aussi par des bonnes relations avec la société (voir ses propos page 84). Il est
cependant intéressant de noter qu'il ne justifie pas bibliquement ses pratiques, mais qu'il opte pour
une posture véritablement stratégique : ce serait en pure perte que je dépenserais de l'énergie à faire
très attention à ma santé. Implicitement, cela veut dire qu'elle serait mieux employée ailleurs,
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notamment à « être agréable aux autres, utile à quelque chose pour participer à la vie collective en
y apportant un plus » spécifiquement chrétien ou adventiste.
D'un point de vue des constructions territoriales, cela peut se traduire par une extension de l'Église
comme foyer au protestantisme voire au christianisme dans son ensemble. Ainsi, Marguerite
participe à beaucoup de rencontres œcuméniques. Il faut cependant noter qu'elle et Romain sont
parfois vus par d'autres membres comme n'étant pas de « vrais adventistes » ou encore de « purs
adventistes ». Cette mise à distance montre bien que la vision de l'Église comme famille est un idéal
qui ressort à la spatialisation utopique dans laquelle seule la mise à proximité existe.
4.3.2. L'occupation de l'espace public comme stratégie missionnaire?
Dans une société considérée comme dégénérescente par rapport au reste, à ses propres idéaux
fondateurs et à sa situation lors de la fondation du groupement religieux, on pourrait s'attendre à de
vives campagnes missionnaires de la part des adventistes, d'autant plus qu'ils sont censés dispenser
le dernier avertissement à l'humanité. Je m'attendais à une véritable stratégie conquérante de la part
des adventistes, surtout que j'avais en tête les récits d'après-midi de porte à porte de l'enfance d'un
ami. Mais je n'ai rien vu qui puisse être considéré comme de la mission, de près ou de loin, à
Angoulême. Pour éviter de généraliser, notons l'existence d'un mémoire de master de théologie
adventiste datant de 2002 et intitulé Pour une évangélisation plus efficace ! (le point d'exclamation
fait partie du titre) [Hoareau, 2002]. Qu'il témoigne d'une vigueur missiologique ou d'une crise de
l'évangélisation que de futurs pasteurs cherchent à résoudre, peu importe : il montre que la question
n'est pas oubliée.
Je n'ai réalisé que très tard que la place de la mission pouvait être très importante dans les
constructions territoriales et je n'ai donc pas mené d'enquête spécifique sur la question. Quelques
éléments de réponse concordants ont néanmoins apparu. Étonné par l'absence d'entreprise
missionnaire, j'ai demandé à Noémie après un culte la cause de cette amorphie : pourquoi ni porte-
à-porte ni distribution de tract? Après avoir esquissé un sourire coupable, elle a simplement dit :
« ça ne marche pas ». J'ai poussé plus avant la discussion et j'ai senti un très fort découragement,
presque un défaitisme venant de personnes se sentant dans l'incapacité de communiquer leur foi.
J'ai également posé la question à Philippe Aurouze, qui m'a fait une réponse comparable. Selon lui,
depuis le milieu des années 1980, les adventistes faisant du porte à porte sont de moins en moins
bien reçus, d'une part car les gens ont moins de temps à consacrer, sont plus pressés, d'autre part car
ils prennent les missionnaires pour des représentants de commerce, et enfin parce que la peur des
« sectes » s'est fortement accrue.
Le problème des adventistes n'est donc même plus de développer leur Église, simplement de se
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faire accepter. Plusieurs adventistes m'ont en effet fait part d'un sentiment de mise à l'écart,
d'ostracisme, que la société englobante leur ferait subir. Jean-Paul par exemple affirme que « le
monde nous fait subir une sorte de torture morale. Il n'accepte pas la différence et veut forcer les
gens à être identiques.[...]Tu vois, par exemple, le sabbat devrait être accepté dans les écoles ».
Selon Philippe Aurouze, c'est donc pour « permettre aux gens de reconnaître le nom de l'Église
adventiste comme étant quelque chose de non-problématique » que plusieurs campagnes d'affichage
ont été menées par la fédération de 2000 à 2002, toujours à Pâques.
Menées dans les villes des six plus grandes Églises de la fédération sud, ces campagnes —
premières en leur genre en France parmi les Églises protestantes — sont révélatrices de plusieurs
dimensions ayant trait aux constructions territoriales. D'abord, c'est de la fédération que relèvent les
questions de stratégie missionnaire. Ainsi, en-dessous d'un certain nombre de membres sur son
territoire — que je n'ai pas réussi à me procurer — une fédération s'appelle « mission field », terrain
de mission. Ensuite, l'affichage en quatre mètres par trois n'était pas le souhait original de la
fédération. Elle visait au départ les abris-bus, mais alors que les autorisations nécessaires avaient été
obtenues, les mairies concernées sont toutes revenues sur leur décision quelques jours à peine avant
le début des opérations car, selon Philippe Aurouze, « elles disaient avoir peur de choquer ». Les
grandes affiches de quatre mètres par trois ne nécessitent pas quant à elles d'autorisation
municipale.
Le secrétaire de la fédération a beau s'en défendre, on ne peut s'empêcher d'y voir une stratégie
missionnaire d'occupation de l'espace public, de construction territoriale qui vise à mettre à
proximité cet espace, d'autant plus que dans le même temps des dossiers contenant divers fascicules
de présentation étaient distribués.
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Illustration 5: Affiche de la campagne de 2000 à Nîmes (Photo de Philippe Aurouze, avril 2000)
4.4. Une construction territoriale problématique
De même qu'ils préfèrent s'appeler mouvement plutôt qu'Église, les adventistes ont tendance à
vouloir effacer le peu de verve missionnaire dont ils font preuve dans le Sud-Ouest : « ce n'est pas
du tout ça... on cherche juste à partager la joie que l'on a en Christ » dit Philippe Aurouze. Je
précise que ce que réfute le pasteur de Bordeaux ici est l'existence d'une stratégie missionnaire
adventiste. Peut-être s'agit-il d'un contre-sens, mais j'y vois — parce que ça ne contredit pas mes
observations et va dans le sens de mon analyse — une forme de déni de toute compromission dans
la spatialité relationnelle. Les adventistes semblent en effet dire : « Nous n'avons ni organisation
territorialement hiérarchisée ni stratégie de territorialisation utopique (ie de conversion) ». Il est vrai
qu'il serait paradoxal de vouloir faire accéder des gens à la spatialité utopique en usant de moyens
relevant de la spatialité relationnelle. Mais quels autres moyens existe-t-il? Comme les adventistes
le disent eux-mêmes, ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas du monde qu'ils ne sont pas dans le
monde. Dès lors, leurs constructions territoriales relationnelles, observables au demeurant à travers
certains de leurs discours et plusieurs marqueurs spatiaux, apparaissent sous un jour paradoxal,
problématique. La territorialité adventiste se retrouve prise en étau entre une spatialité utopique
vraiment structurante mais a-territoriale — car utopique — et une territorialité relationnelle déniée
car relevant de l'empire du malin, de ce qui ne saurait être qu'en tant que non-être — et donc en un
certain sens elle aussi utopique. Ce paradoxe peut être, il me semble, expliqué comme suit. La
géographicité est constituée par « les attaches existentielles [d'un homme] avec la Terre » [Dardel,
1952, p42]. La territorialité, quant à elle, est l'ensemble des rapports que des individus appartenant à
une collectivité entretiennent avec leur territoire [Raffestin, 1981, p145]. Habituellement, les deux
notions portent sur un même objet, ou bien la territorialité est une partie de la géographicité. Mais
chez les adventistes, les deux notions sont séparées — et ne sauraient être complémentaires —
puisque la géographicité se forme avec une Terre-sol toujours à venir, tandis que la territorialité ne
se forme que sur une Terre-corps sans avenir.
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5. Proposition de synthèseAprès avoir présenté l'Église d'Angoulême — qui, je l'avoue, était plus un prétexte qu'autre chose
— j'ai tenté de montrer quels étaient les interactions et les constructions territoriales entre les
membres en tant qu'individus, l'Église, l'environnement — tant « naturel » que social —, toute
combinaison étant envisageable. Cette problématique multiple a fait émerger deux types de
spatialités ou de constructions territoriales adventistes : la spatialité utopique et celle relationnelle.
On peut tenter de résumer les différentes interactions dans un schéma de type actanciel.
Pour lire ce schéma, il ne faut pas voir les membres dans la boîte « Membres en tant qu'individus »
mais à la fois dans tout le schéma et nulle part en lui, comme la loi de la série est à la fois partout
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Figure 6: Constructions territoriales des adventistes dans le grand Sud-Ouest
dans la série et nulle part en elle. Ceci explique des flèches de mises à distance ou de mises à
proximité entre, par exemple, la société englobante et la Terre comme empire du mal, car dans la
construction territoriale adventiste, les deux éléments sont très rapprochés. Je reconnais que certains
mises à distance sont discutables, comme celle entre membres et société englobante, car toute mise
à distance dans la spatialisation relationnelle se double d'une volonté de mise à proximité extrême
dans la spatialisation utopique, autrement dit une volonté de sauver. Cependant, ce n'est qu'en tant
qu'ils pourraient participer de cette deuxième spatialité que les objets mis à distance sont mis à
proximité. C'est donc la mise à distance qu'il m'a semblé devoir faire prévaloir.
Un des défauts importants de ce schéma est qu'il présuppose une uniformité à la fois du contenu des
boîtes et des membres — il suppose une même construction territoriale pour tous. Un deuxième
défaut — mais je ne voyais pas comment rendre compte autrement des interactions entre membres,
Église et environnement — est de considérer sur le même plan des éléments qui relèvent de la
spatialité utopique (Éden) et d'autres qui appartiennent à la spatialité relationnelle (Terre comme
empire du mal). Peut-être néanmoins ne s'agit-il que d'un faux problème puisque dans leurs
pratiques, les adventistes saisissent dans le même geste les deux spatialités : celle qui légitime
l'action et celle dans laquelle elle prend place — mais elle ne peut prendre de vraie place que dans
la première. La séparation absolue entre les deux modes de territorialisation n'est pas perçue comme
problématique par les adventistes, elle va de soi. Simplement, comme l'accès à la spatialité utopique
est une question intime, intérieure, il ne peut se faire qu'au travers des individus : il n'y a de mise à
proximité de l'Éden qu'avec les membres en tant qu'individu, ce dont rend bien compte le schéma.
En cela, bien qu'imparfaitement, la rupture entre Terre-sol et Terre-corps est figurée.
Je pense cependant devoir mieux présenter les différences entre ces deux Terres. Pour cela, je pense
qu'une synthèse dressée sous forme de tableau est le moyen le plus efficace. Le bilan est simple : les
adventistes sont pris en étau entre deux spatialités utopiques, quoique ce dernier mot ne saurait
recouvrir le même sens dans les deux cas. Ces deux spatialités recouvrent deux temporalités : le
temps présent et l'éternité, qui peuvent tous deux être qualifiés d'uchroniques, puisque l'éternité ne
saurait être un temps et que le temps présent ne pourra vraiment prendre de sens qu'en vertu de
l'éternité. En termes hégéliens : la temporalité présente sera niée positivement par l'éternité. Une
mise en ordre synthétique de ces deux temporalités a déjà été tentée par Ronald COFFIN — qui lui
non plus quoique pasteur adventiste n'évoque pas le ciel (voir page 91) — dans sa thèse de doctorat
en 1981. J'ai donc essayé — même si ma classification ne porte pas sur une comparaison des types
de légitimisation qui d'ailleurs me paraît dangereuse puisqu'elle suppose une interprétation
authentique du texte biblique et un écart mesurable par rapport à celle-ci — de proposer un tableau
comparable traitant des spatialités. J'aime à croire qu'il synthétise les apports de ce mémoire.
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Tableau 2: Matrice du système de croyances adventistes (d'après Coffin, 1981, p262)
TempsAutorité
Légitimisation biblique Légitimisation charismatique
Temps de la fin
Motif Thème
Royaume de Dieu
Fin de tout mal
Millénium
Jugement finalSanctuaire au Ciel
Résurrection
Parousie Message du 3e ange
Signes des temps de la finMessage du 2e ange
Adoration
Temps présents
1. Dieu le créateur
2. Nature de l'homme
3. Loi de Dieu
4. La chute (péché)
6. Mission du Christ 6. Intercession du Christ se poursuit au Ciel
7. Application de réconciliation 7. L'homme doit se détourner du péché
8. Église
9. Sabbat 9. Sabbat = sceau de Dieu, signe de loyauté
10. Baptême et communion
12. Dons à l'Église
13. Amour du prochain
14. Impératifs de l'évangile
Scénario de la fin des temps
Retour de Jésus-Christ, résurrection,
mille ans, 2e résurrec-tion, éternité
Intercession et juge-ment (persécution)
Culte véritable, contre marque de la bête
Systèmes religieux er-ronés, Église apostate
Message du 1er ange
1. Dieu créa un monde parfait et se reposa le septième jour
2. Immortalité de l'âme — grande déception de la fin des temps
3. Dernier sujet d'importance capitale : obéis-sance à la loi divine
4. Image de Dieu dans l'homme — dégé-nérescence de l'homme
5. Révélation — Écritures saintes
5. Esprit de prophétie agit continuellement dans l'Église
8. Mouvement adventiste = le peuple du « -reste »
10. Symboles — seulement pour croyants
11. Économat (temps, biens, corps)
11. Peuple de Dieu doit faire usage de ses talents sagement
12. Différenciation des rôles : pasteurs, ensei-gnants, prophètes
13. Salut individuel : salut de l'homme dans sa totalité
14. Peuple du « reste » doit prêcher l'évangile « éternel » dans tout le monde avant la fin des
temps
EspaceLégitimisation
Mythification Sens
Terre-sol
Ruralité absolue, absence d'urbanité
Narration purement négative
Descente des Cieux sur la Terre
Vie éternelle ou plutôt perpétuelle
Réunion du sec et de l'humide et des reliefs escarpés (entre autres)
Disparition des cycles lunaires et solaires au profit du seul cycle
hebdomadaire
Le mal est absent
La joie est ineffable et cette spatialité utopique
Négation positive de la territorialité relationnelle
Corps phénoménologique qui occupe la totalité de l'espace
Aucune solution de continuité ne saurait exister sur la Terre-sol
Le sabbat est le seul mode d'accès à cette spatialité depuis ce monde et doit donc
perdurer ensuite pour la maintenir.
Terre-corps
Insistance sur l'urbanité et ses méfaits + peu d'engagement en
politique
Beaucoup d'engagement humanitaire, sanitaire + Écologisme
Pratiques spatiales organisées autour du sabbat
Commensalité
Cette spatialité sera détruite
Il faut permettre l'avènement de la spatialité utopique partout où cela est possible, voire
tenter d'en donner un aperçu.
Le sabbat remplit la même fonction qu'un lieu saint
L'Église est le vrai foyer à partir duquel peut se développer la spatialité relationnelle
Tableau 3: Matrice du système de croyances spatiales des adventistes
Dans ce tableau 3, j'ai voulu utiliser le terme de mythification pour regrouper tout ce qui, en tant
que pratique — discursive, cérémonielle, spatiale, etc. — vise à expliquer un état de ce monde, une
vérité spirituelle. La colonne « sens » présente cet état du monde perçu par les adventistes. Ce
tableau est loin d'être parfait. Comme dans la figure 6 page 107, je feins de croire à une
homogénéité des constructions territoriales entre les adventistes dans le grand Sud-Ouest. Je pense
cependant qu'il met bien en évidence des traits généraux de l'adventisme, car l'intensité de la
croyance ou de la pratique mythifiante n'est pas précisée. Ainsi, un adventiste comme Romain peut
porter moins d'attention que d'autres sur l'hygiène alimentaire, Noémie peut renâcler à participer à
des repas le samedi midi : cela remet juste en cause le sens proposé dans la colonne de droite pour
cette personne.
J'ai tenté dans ce mémoire de comprendre des gens que j'apprécie — certains membres de l'Église
d'Angoulême. Et en effet, j'ai l'impression de mieux saisir certaines de leurs actions, de leurs
pratiques. J'espère avoir réussi à transmettre à mon tour quelque chose d'eux et de leurs
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constructions territoriales. J'ai conscience que ce travail pourrait être remanié, non seulement dans
l'organisation de ses parties, mais aussi plus profondément. En effet, au fur et à mesure de l'écriture,
certaines problématiques nouvelles que j'aurais voulu pouvoir traiter, le manque de pertinence de
certaines autres — la partie 4 a été largement amputée — , des angles d'approche discutables, me
sont apparus. J'aurais pu rectifier le tir au moins en partie si je m'étais mis plus tôt à la rédaction,
même si je suis sûr qu'avec chaque nouvelle phase d'écriture, de mise au clair des idées, de
nouvelles possibilités d'investigation pour accroître la compréhension du groupe auraient vu le jour.
Comme le disait Gaston Bachelard (1884 - 1962), « comprendre, c'est comprendre qu'on n'a pas
compris ».
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Bibliographie
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Annexes
Questions de l'entretien semi-directif :
• Peux-tu m'expliquer comment tu as rencontré les adventistes et ce qui t'a fait adhérer?
• Le sabbat et ses interdits ont-ils une influence sur l'organisation de ta semaine?
• Est-ce que la santé est quelque chose d'important pour toi?
• Pourquoi protéger la nature?
• Te considères-tu en exil sur cette Terre?
• Comment considères-tu ta relation avec les non-adventistes, l'État, etc.?
• Y a-t-il des lieux que tu aimes plus que d'autres? Où tu aimerais vraiment aller?
• A quoi ressemble la Terre renouvelée?
Ces questions ne forment qu'une trame que j'ai essayée de suivre le mieux possible au cours des dix
entretiens semi-directifs. Parfois, l'ordre des questions a été modifié par les sujets que l'enquêté
abordait. Rarement, des questions ont été oubliées.
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Typologie des parcours de convertis
Ce tableau tente de faire le bilan des 80 pages de la thèse de Fabrice DESPLAN sur la question.
J'espère ne pas avoir dévoyé ses propos [Desplan, 2005, pp295-373]. L'auteur y traite de
nombreuses dimensions. Je n'ai quant à moi retenu que le rapport avec la société englobante.
Florilège de citations d'Ellen White
Une réforme plus étendue doit exister parmi le peuple qui attend la venue prochaine du Christ. La réforme sanitaire doit accomplir parmi nous une œuvre qui n'a pas été faite.
Cité dans DELUMEAU, 1995.
L'oreille attentive entend et comprend la voix de Dieu dans la nature. Les prairies verdoyantes, les arbres majestueux, les boutons et les fleurs, le nuage fugitif, la pluie, le murmure du ruisseau, la splendeur du ciel, tout parle à nos coeurs et nous invite à faire connaissance avec celui qui a créé toute chose. (p83)
Ceux qui participent à la grâce et au don céleste seront prêts eux aussi à tous les sacrifices en faveur des âmes pour lesquelles le Christ est mort. Ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour laisser le monde meilleur qu'ils ne l'ont trouvé. (p76)
Il n'est pas nécessaire, si nous voulons travailler pour Jésus-Christ, de nous rendre dans les pays de mission, ni même de quitter le cercle étroit du foyer, si notre devoir nous y retient. Ce travail, nous pouvons l'accomplir dans notre famille, dans notre Église, parmi ceux avec lesquels nous entrons en contact ou en relation commerciale. (p79)
Quand le maître de la maison appela ses serviteurs, il assigna à chacun sa tâche. (p80)
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Tableau 4: Typologie des parcours de convertis adventistes
Les héritiers : membres dont un parent au moins est adventiste.
Les néophytes : membres ayant connu l'adventisme autrement que par leur famille.
Héritiers fidèles ou continuels : n'ont jamais quitté le milieu adventiste et considèrent que rien ne peut venir de bon de la société englobante.
Héritiers prodigues : sont revenus après avoir coupé tout lien avec l'adventisme. Si le monde extérieur les a déçus, ils relativisent néanmoins son caractère néfaste.
Néophytes pèlerins : ne sont présents que le temps d'assimiler le message de l'adventisme, avant de partir vers une autre Église, de quelque religion que ce soit. Appartiennent à la société englobante.
Néophytes stratégiques : après avoir fait le tour des religions, ils estiment que l'adventisme, malgré des défauts, est la plus cohérente. Très ouverts à la société englobante.
Néophytes conquis : convertis à la suite d'une opération prosélyte. Acceptation en bloc de l'adventisme sans aucune distance critique. Rejet total de la société englobante et de leur ancienne vie.
Une personne peut n'être pas à même de décrire le lieu et le temps de sa conversion, ni d'indiquer l'enchaînement exact des circonstances qui l'y ont amenée. (p55)
Les vaines coutumes et les modes du monde sont délaissées. (p56)
WHITE Ellen, 1992 [1892], Le Meilleur Chemin [Steps to Christ],
Editions Vie & Santé, Dammarie-lès-Lys
Le vrai foyer dans l'au-delà
Parfois je voudrais tant te direRefrainTes yeux n'ont jamais vuEt ton cœur n'a jamais suCe lieu que Dieu a préparé pour toi et moi,Le vrai foyer dans l'au-delà.
1. Parfois je voudrais tant te direLe bonheur de l'avoir trouvé ;Jésus m'a appris ce qu'aimer veut direEt puis ma vie a commencé.
2. Si j'avais la sagesse de Salomon
Pour te parler de tout ce que je sens ;Mais je reste sans imagination,Je suis comme un petit enfant.
3. Comment l'aimer mieux chaque jourEt le servir sans me lasser?Que chaque pensée soit pensée d'amour,Que tous mes mots soient vérité.
4. Tu sais la route sera longueEt tu connaîtras la douleur ;Mets en lui cette confiance profonde,Viens, Jésus va sécher tes pleurs.
DÉPARTEMENT JA, 1990, Carnet de chants de la jeunesse adventiste, Union franco-belge, chant 203.
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Le financement de L'Église adventiste
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Figure 7: Mouvements de fonds dans l'Église adventiste (Coffin, 1981, p359)
Organigramme de l'Église adventiste
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Figure 8: Organigramme de l'Église adventiste (Coffin, 1981, p352)
Carte inexploitable de l'adventisme dans le monde
J'avais d'abord pensé exploiter cette carte en disant que l'intensité des couleurs choisies visaient à
exagérer la présence adventiste mondiale. De même, j'ai pensé dire que la discrétisation effectuée
était plus que discutable et empêchait le lecteur d'avoir une véritable idée de la présence adventiste
par État. Je me suis ravisé, considérant que je partais dans des délires interprétatifs qui nuiraient à la
crédibilité de mon travail. Cependant, il est intéressant de noter que les densités sont calculées selon
les États et non selon le maillage territorial propre à l'Église adventiste. Cela implique que, pour les
rédacteurs du fascicule de présentation dont est issue cette carte, c'est le découpage étatique
international qui est pertinent pour appréhender la présence au monde des adventistes. Autrement
dit, je pense que les auteurs cherchaient à montrer les taux de pénétration de l'innovation adventiste
dans la société englobante.
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Carte 11: Présence adventiste dans le monde (Denéchaud, 1998, pp24-25)
Couverture d'un prospectus adventiste
J'ai proposé une interprétation de cette couverture à des adventistes d'Angoulême, qui l'ont jugée
fantaisiste. La voici tout de même car elle ne me semble pas fausse pour autant. Je précise d'abord
que l'église visible sur l'image en haut est bien une église adventiste, pour qui l'architecture
extérieure n'a que peu d'importance et qui dans certains pays rachètent des églises catholiques. Si,
en France, peu voire aucune église adventiste ne ressemble à cela, je pense que cette image a été
choisie pour ne pas heurter une sensibilité française habituée au catholicisme. Cette image, au
centre en haut donc à un endroit cardinal qui attire tout de suite le regard, est la seule image en
extérieur de cette couverture. Je pense que, par procédé métonymique, l'église figure l'Église, et que
les autres images, censées présenter l'engagement dans le monde des adventistes, signifient que cet
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Illustration 6: Des croyants qui s'engagent... à l'intérieur (Denéchaud, 1998, couverture)
engagement n'est possible qu'à l'intérieur de l'Église, qui reste foyer où que le fidèle soit dans le
monde. Chaque image présente ce que les adventistes considèrent comme des domaines d'action
primordiaux (voir propos Aurouze à France 3 page 80) : sabbat, éducation, santé, humanitaire,
communication (les adventistes publient de nombreuses revues depuis leurs origines et possèdent
également des stations de radios et des chaines de télévision).
Contenu du CD-Rom
• Le mémoire ci-présent ;
• les images et graphiques de ce mémoire dans des résolutions meilleures ;
• des images supplémentaires : affiches adventistes à Montpellier et Nîmes entre 2000 et
2002 ; prospectus ;
• la vidéo commentée page 82 ;
• la vidéo de l'interview de Philippe Aurouze par France 3 pour Pâques 2001 ;
• mes notes sur les sabbats auxquels j'ai assisté ;
• des entretiens libres / semi-directifs que j'ai tapés ;
• le fichier PPT expliquant la lecture adventiste de l'Histoire au travers du songe de Daniel
dont est issue l'image page 71 ;
• quelques chants adventistes présentant explicitement des constructions territoriales ;
• mes notes sur les ouvrages que j'ai consultés, utilisées ou non dans le mémoire.
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Table des matièresRésumé.................................................................................................................................................5Avertissements......................................................................................................................................61. Justifications : la foi et les œuvres....................................................................................................8
1.1. Cheminement vers le sujet........................................................................................................91.2. Problèmes méthodologiques et éventuelles solutions...............................................................9
1.2.1. Problèmes généraux concernant l'étude des religions en sciences humaines.................101.2.2. Proximité étroite avec l'objet d'étude..............................................................................111.2.3. Publications scientifiques sur l'adventisme seulement adventistes.................................111.2.4. Une masse de données protéiformes : classification et exploitation...............................12
1.3. Délimitation et description de l'objet de recherche.................................................................131.3.1. L'adventisme du septième jour........................................................................................13
1.3.1.1. Origines et développement......................................................................................141.3.1.1.1. D'une méfiance envers toute forme d'autorité centralisée (1844 - 1863)........141.3.1.1.2. ... à une organisation mondiale hiérarchisée très puissante (1885 - 1890)..... .151.3.1.1.3. ... qui permet une expansion mondiale............................................................17
1.3.1.2. Quelques doctrines adventistes...............................................................................191.3.1.2.1. Le sabbat, spécificité visible de l'adventisme..................................................191.3.1.2.2. Le jugement investigatif et le sanctuaire céleste.............................................201.3.1.2.3. La figure d'Ellen G. White...............................................................................201.3.1.2.4. La notion d' « Église du reste »........................................................................20
1.3.1.3. Une organisation ecclésiale hiérarchisée inspirée du système presbytérien : les quatre niveaux de l'Église adventiste....................................................................................21
1.3.1.3.1. L'Église locale..................................................................................................211.3.1.3.2. La Fédération...................................................................................................221.3.1.3.3. L'Union............................................................................................................221.3.1.3.4. La Conférence générale et ses sièges locaux, les divisions.............................23
1.3.1.4. L'adventisme en France et son inculturation...........................................................241.3.1.4.1. Développement de l'adventisme en France.....................................................241.3.1.4.2. L'inculturation de l'adventisme en France.......................................................29
1.3.2. Délimitations spatiales....................................................................................................301.3.2.1. Le Grand Sud-Ouest, un territoire pour l'adventisme?............................................301.3.2.2. Angoulême, une Église type du Grand Sud-Ouest..................................................31
1.3.3. Les constructions territoriales : spécificités d'approche dans le cadre des phénomènes religieux....................................................................................................................................32
1.3.3.1. Les modes d'appropriation religieuse du territoire..................................................321.3.3.2. Espace sacré, espace profane...................................................................................331.3.3.3. La relation à l'espace, thème peu développé en ecclésiologie protestante..............33
1.4. Objectifs de ce mémoire : mise en évidence des stratégies de territorialisation des Églises..341.5. La Terre, du non-lieu au territoire à conquérir........................................................................35
2. Présentation de l'Église d'Angoulême............................................................................................362.1. Esquisse de la population présente.........................................................................................36
2.1.1. La composition de l'Église adventiste d'Angoulême......................................................372.1.1.1. Une population particulièrement âgée.....................................................................372.1.1.2. Une forte présence antillaise...................................................................................39
2.1.2. Répartition de la population sur le territoire charentais..................................................402.2. Site et situation : une centralité marginale..............................................................................422.3. L'implication des laïcs dans la vie d'église : conséquences sur la territorialisation................472.4. L'inter-ecclésialité comme composante majeure de la vie d'église.........................................492.5. Portrait en contre-point : Bordeaux........................................................................................50
2.5.1. L'absence presque totale de relations entre les Églises de Bordeaux et d'Angoulême. . .51
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2.5.2. Des membres plus jeunes qu'à Angoulême.....................................................................522.5.3. Une situation périurbaine................................................................................................54
2.6. D'Angoulême... à la Terre.......................................................................................................543. La Terre, un non-lieu?....................................................................................................................55
3.1. La terre comme sol et comme corps.......................................................................................553.1.1. Sol, corps, corps-sol, sol-corps.......................................................................................563.1.2. Le jardin d'Eden, vrai sol dont le monde actuel est la trace............................................573.1.3. La Terre régénérée, vrai sol dont le monde actuel est l'indice........................................59
3.1.3.1. Description de la Terre renouvelée : une géographie négative................................593.1.3.2. La ruralité de la Terre renouvelée............................................................................62
3.1.3.2.1. La mise à proximité de la « nature »...............................................................623.1.3.2.2. Les adventistes et la vie de montagne..............................................................64
3.1.4. La Terre, lieu d'exil en dégénérescence constante..........................................................653.1.4.1. La vie ici bas comme exil........................................................................................663.1.4.2. La dégénérescence inéluctable du monde...............................................................68
3.2. Le temps divin et l'espace du mal...........................................................................................693.2.1. Dieu, maître de l'Histoire................................................................................................703.2.2. Satan, Seigneur de ce monde..........................................................................................723.2.3. La fin des temps : la spatialisation totale de Dieu...........................................................74
3.3. Une isotropie des lieux terrestres : l'impossibilité de faire sens?...........................................753.3.1. Le sabbat ou la régénération temporaire du monde........................................................76
3.3.1.1. Une liturgie très souple............................................................................................763.3.1.1.1. L'école du sabbat.............................................................................................763.3.1.1.2. Le culte............................................................................................................783.3.1.1.3. Le repas et l'eucharistie....................................................................................78
3.3.1.2. Le sabbat est le centre de la semaine adventiste.....................................................793.3.1.3. Le sabbat comme répétition de la création du monde.............................................81
3.3.2. L'engagement dans le monde comme impératif biblique : vers une reterritorialisation du monde?......................................................................................................................................84
3.3.2.1. La volonté d'être au contact de la société englobante.............................................843.3.2.2. La nécessité d'une santé irréprochable....................................................................863.3.2.3. La protection de l'environnement : l'écologisme adventiste....................................883.3.2.4. Exorcisme et spiritual mapping...............................................................................90
3.4. Le parasitage des spatialités....................................................................................................914. La Terre, une contrée toujours à conquérir.....................................................................................93
4.1. Frontières dans des territoires adventistes? : la limite entre les fédérations françaises..........934.2. L' « Église du reste »...............................................................................................................95
4.2.1. Implications théologiques, ecclésiologiques et sociologiques de la notion de reste.......964.2.2. Territorialité du « reste ».................................................................................................964.2.3. Forte importance des relations interpersonnelles : l'Église comme foyer.......................974.2.4. Composantes territoriales de la commensalité................................................................98
4.3. Adresse aux habitants de la Terre : les stratégies de communication avec la société englobante....................................................................................................................................100
4.3.1. Une tension moyenne avec la société...........................................................................1004.3.1.1. Ni secte ni Église : mouvement.............................................................................1014.3.1.2. La socialisation utopique aux valeurs...................................................................102
4.3.2. L'occupation de l'espace public comme stratégie missionnaire?..................................1044.4. Une construction territoriale problématique.........................................................................106
5. Proposition de synthèse................................................................................................................107Bibliographie....................................................................................................................................112Annexes............................................................................................................................................116
Questions de l'entretien semi-directif :........................................................................................116
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Typologie des parcours de convertis............................................................................................117Florilège de citations d'Ellen White.............................................................................................117Le vrai foyer dans l'au-delà..........................................................................................................118Le financement de L'Église adventiste........................................................................................119Organigramme de l'Église adventiste..........................................................................................120Carte inexploitable de l'adventisme dans le monde.....................................................................121Couverture d'un prospectus adventiste........................................................................................122Contenu du CD-Rom...................................................................................................................123
Index des figures...............................................................................................................................127
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Index des figures
Index des illustrationsIllustration 1: Logo de l'Église adventiste du septième jour...............................................................21Illustration 2: Dieu maîtrise l'Histoire du début à la fin.....................................................................70Illustration 3: Un monde en dégradation dont Dieu maîtrise l'Histoire..............................................71Illustration 4: L'adventisme promet d'améliorer le bien-être de ses membres...................................88Illustration 5: Affiche de la campagne de 2000 à Nîmes (Photo de Philippe Aurouze, avril 2000).105Illustration 6: Des croyants qui s'engagent... à l'intérieur (Denéchaud, 1998, couverture)..............122
Index des tablesTableau 1: La semaine adventiste est structurée par le sabbat...........................................................82Tableau 2: Matrice du système de croyances adventistes (d'après Coffin, 1981, p262)..................109Tableau 3: Matrice du système de croyances spatiales des adventistes............................................110Tableau 4: Typologie des parcours de convertis adventistes............................................................117
Index des cartesCarte 1: La division eurafricaine (source : Adventist Statistics)........................................................23Carte 2: La Diffusion de l'adventisme en France jusqu'en 1978........................................................26Carte 3: La présence adventiste en France métropolitaine.................................................................28Carte 4: Les églises adventistes du Grand Sud-Ouest........................................................................31Carte 5: Répartition géographique des membres de l'église adventiste d'Angoulême.......................41Carte 6: Les lieux de culte adventistes à Angoulême.........................................................................43Carte 7: Croquis du site de l'église adventiste d'Angoulême..............................................................44Carte 8: Plan de l'église adventiste d'Angoulême...............................................................................46Carte 9: Les six secteurs de la fédération sud.....................................................................................52Carte 10: Une limite au franchissement variable...............................................................................94Carte 11: Présence adventiste dans le monde (Denéchaud, 1998, pp24-25)....................................121
Index des textesTexte 1: Sommaire du chapitre 13 du Manuel d'église.......................................................................30Texte 2: La nature fait signe vers Dieu...............................................................................................58Texte 3: La beauté du monde avant le péché originel........................................................................59Texte 4: Description prosélytiste du Paradis à venir..........................................................................60Texte 5: Le Paradis terrestre selon Ellen White..................................................................................63Texte 6: Le vrai foyer est ailleurs.......................................................................................................66Texte 7: Notre terre, ultime création du Christ...................................................................................68Texte 8: Satan menace toute construction territoriale........................................................................73Texte 9: Le corps du Christ ouvre une spatialisation utopique...........................................................74Texte 10: L'école du sabbat traite des questions de vie privée...........................................................77Texte 11: Le centre de la confession adventiste.................................................................................80Texte 12: Le sabbat célèbre la création du monde..............................................................................82Texte 13: Les adventistes doivent être des citoyens modèles.............................................................85
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Texte 14: L'environnement et la gestion de la vie chrétienne.............................................................89Texte 15: La vie sur la nouvelle Terre comme banquet......................................................................99
Index des figuresFigure 1: Évolution de la population adventiste mondiale (1901 - 2005)..........................................17Figure 2: Population adventiste de l'union franco-belge et de la fédération France-sud (1972 – 2005)............................................................................................................................................................18Figure 3: L'organisation adventiste (Fabrice Desplan, 2005).............................................................21Figure 4: Taux de mortalité dans les fédérations françaises (1970 - 2005)........................................37Figure 5: Pyramide des âges de l'Église adventiste d'Angoulême en 2007........................................38Figure 6: Constructions territoriales des adventistes dans le grand Sud-Ouest................................107Figure 7: Mouvements de fonds dans l'Église adventiste (Coffin, 1981, p359)...............................119Figure 8: Organigramme de l'Église adventiste (Coffin, 1981, p352)..............................................120
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