View
109
Download
2
Category
Preview:
Citation preview
Émile VerhaerenLe chant de l'eau
Par Nanou et Stan
Les photos des gouttes de pluie ont été
prises avec une caméra numérique spéciale.
juste après la pluie.
L'entendez-vous, l'entendez-vous Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse Et doucement dédie aux branches,
Qui sur son cours se penchent, Sa chanson lisse.
Là-bas,Le petit bois de cornouillers Où l'on disait que Mélusine
Jadis, sur un tapis de perles fines, Au clair de lune, en blancs souliers,
Dansa ;
Le petit bois de cornouillers Et tous ses hôtes familiers Et les putois et les fouines Et les souris et les mulots
Écoutent Loin des sentes et loin des routes
Le bruit de l'eau.
Aubes voilées,Vous étendez en vain,
Dans les vallées,Vos tissus blêmes,
La rivière,Sous vos duvets épais, dès le prime
matin,Coule de pierre en pierre
Et murmure quand même.
Si quelquefois, pendant l'été,Elle tarit sa volupté
D'être sonore et frémissante et fraîche,
C'est que le dur juilletLa hait
Et l'accable et l'assèche.
Mais néanmoins, oui, même alorsEn ses anses, sous les
broussaillesElle tressaille
Et se ranime encore,Quand la belle gardeuse d'oies
Lui livre ingénument la joie Brusque et rouge de tout son
corps.
Oh ! Les belles épousaillesDe l'eau lucide et de la chair,
Dans le vent et dans l'air,Sur un lit transparent de mousse et de
rocailles ;Et les baisers multipliés du flot
Sur la nuque et le dos,
Et les courbes et les anneaux
De l'onduleuse chevelureOrnant les deux seins
triomphauxD'une ample et flexible
parure ;Et les vagues violettes ou
rosesQui se brisent ou tout à
coup se juxtaposentAutour des flancs, autour
des reins ;
Et tout là-haut le ciel divinQui rit à la santé lumineuse des
choses !La belle fille aux cheveux roux
Pose un pied clair sur les cailloux. Elle allonge le bras et la hanche et
s'inclina Pour recueillir au bord,
Parmi les lotiers d'or, La menthe fine ; Ou bien encore
S'amuse à soulever les pierres
Et provoque la fuite Droite et subite
Des truites Au fil luisant de la
rivière.
Avec des fleurs de pourpre aux deux
coins de sa bouche,Elle s'étend ensuite et rit et se recouche,Les pieds dans l'eau, mais le torse au soleil
; Et les oiseaux vifs et
vermeils Volent et volent,
Et l'ombre de leurs ailes
Passe sur elle.
Ainsi fait-elle encore À l'entour de son corps Même aux mois chauds
Chanter les flots. Et ce n'est qu'en septembre Que sous les branches d'or
et d'ambre,
Sa nudité Ne mire plus dans l'eau sa mobile
clarté, Mais c'est qu'alors sont revenues Vers notre ciel les lourdes nues Avec l'averse entre leurs plis
Et que déjà la brume Du fond des prés et des taillis
S'exhume.
Pluie aux gouttes rondes et claires,
Bulles de joie et de lumière,
Le sinueux ruisseau gaiement vous fait
accueil,Car tout l'automne en
deuilLe jonche en vain de mousse et de feuilles
tombées.Son flot rechante au
long des berges recourbées,
Parmi les prés, parmi les bois ;
Chaque caillou que le courant remueFait entendre sa voix menue
Comme autrefois ;Et peut-être que Mélusine,
Quand la lune, à minuit, répand comme à foison
Sur les gazons ses perles fines,
S'éveille et lentement décroise ses pieds d'or,
Et, suivant que le flot anime sa cadence,
Danse encore Et danse.
Émile Verhaeren (1855-1916)Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d'Anvers, Belgique, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d'expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, sa conscience sociale lui fait évoquer les grandes villes dont il parle avec lyrisme sur un ton d'une grande musicalité. Il a su traduire dans son œuvre la beauté de l'effort humain.En 1883, il publia son premier recueil de poèmes réalistes-naturalistes, Les Flamandes, consacré à son pays natal. Accueilli avec enthousiasme par l'avant-garde, l'ouvrage fit scandale au pays natal. Ses parents essayèrent même avec l'aide du curé du village d'acheter la totalité du tirage et de le détruire. Le scandale avait été un but inavoué du poète, afin de devenir connu plus rapidement. Il n'en continua pas moins par la suite à publier d'autres livres de poésies. Des poèmes symbolistes au ton lugubre caractérisent ces recueils, Les Moines, Les Soirs, Les Débâcles et Les Flambeaux noirs.En 1891, il épousa Marthe Massin, peintre connue pour ses aquarelles, dont il avait fait la connaissance deux ans plus tôt, et s'installa à Bruxelles. Son amour pour elle s'exprime dans trois recueils de poèmes d'amour : Les Heures claires, Les Heures d'après-midi et Les Heures du soir.Dans les années 1890, Verhaeren s'intéressa aux questions sociales et aux théories anarchistes et travailla à rendre dans ses poèmes l'atmosphère de la grande ville et son opposé, la vie à la campagne. Il exprima ses visions d'un temps nouveau dans des recueils comme Les Campagnes hallucinées, Les Villes tentaculaires, Les Villages illusoires et dans sa pièce de théâtre Les Aubes. Ces poèmes le rendirent célèbre, et son œuvre fut traduite et commentée dans le monde entier. Il voyagea pour faire des lectures et des conférences dans une grande partie de l'Europe. Beaucoup d'artistes, de poètes et d'écrivains comme Georges Seurat, Paul Signac, Auguste Rodin, Edgar Degas, August Vermeylen, Henry van de Velde, Maurice Maeterlinck, Stéphane Mallarmé, André Gide, Rainer Maria Rilke, Gostan Zarian et Stefan Zweig l'admiraient, correspondaient avec lui, cherchaient à le fréquenter et le traduisaient. Les artistes liés au futurisme subissaient son influence. Émile Verhaeren était aussi un ami personnel du roi Albert et de la reine Élisabeth ; il fréquentait régulièrement toutes les demeures de la famille royale.Quand en 1914 la Première Guerre mondiale éclata et que, malgré sa neutralité, la Belgique fut occupée par les troupes allemandes, Verhaeren se trouvait en Allemagne et était au sommet de sa gloire. Réfugié en Angleterre, il écrivit des poèmes pacifistes et lutta contre la folie de la guerre dans les anthologies lyriques : La Belgique sanglante, Parmi les Cendres et Les Ailes rouges de la Guerre. Sa foi en un avenir meilleur se teinta pendant le conflit d'une résignation croissante. Il n'en publia pas moins dans des revues de propagande anti-allemandes et tenta dans ses conférences de renforcer l'amitié entre la France, la Belgique et le Royaume-Uni. Après l'une de ces conférences à Rouen, il mourut accidentellement, ayant été poussé par la foule, nombreuse, sous les roues d'un train qui partait.Le gouvernement français voulut l'honorer en l'ensevelissant au Panthéon, mais la famille refusa et le fit enterrer au cimetière militaire d'Adinkerke. En raison du danger que représentait l'avancée des troupes, ses restes furent encore transférés pendant la guerre à Wulveringem avant d'être en 1927 définitivement enterrés dans son village natal de Saint-Amand où depuis 1955 un musée, le musée provincial Émile Verhaeren, rappelle son souvenir.
Nanou et Stan le 11/04/23
Recommended