Génétique et Philosophie - unige.ch · …le fait de vouloir expliquer l’entier du comportement...

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Génétique et Philosophie

INSTITUT D’ETHIQUE BIOMEDICALE

FACULTE DE MEDECINE

et

DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE

Frédéric Gilbert

Assistant-Doctorant

Plan du cours

1. Intro: Enjeux philosophiques de la génétique...

2. Mystique de l’ADN… Quelles capacités déterministes sont attribuées exactement au gène dans la littérature scientifique et les images diffusés par la culture de masse ?

3. Génétique Comportementale… L'idée d'associer gènes et comportement a-t-il de quoi inquiéter ?

4. Actions déterministes, est-ce pour autant la fin de la responsabilité?

Enjeux philosophiques de la

génétique

• La génétique pose des problèmes

d’éthiques pratiques (diagnostic

génétique/pré-implantatoire, thérapie

génétique…) qui ont été traités en cours

d’année. Aujourd’hui, nous allons

examiner les questions plus

fondamentales de la génétique en

amont des enjeux pratiques…

Pourquoi parler de génétique et finir par des questions philosophiques concernant la responsabilité? Parce que la génétique se prête plus facilement à des interrogations philosophiques qui concernent la responsabilité des actions humaines…(Mais on peut traiter du même genre de questions en les appliquant aux neurosciences)…

Enjeux philosophiques de la

génétique

« Votre Honneur… c’est un gène

mutant qui a poussé mon client… »

« Nous avons identifié le gène

responsable de… »

Enjeux philosophiques de la

génétique

Comment un acte commis par un individu et qui est

déterminé par des causes antérieures (ex: causes

génétiques), autrement dit, par des faits qui ne sont

pas sous le pouvoir de l’individu, comment cet acte

perpétré peut-il se concilier avec la responsabilité, qui

exige que l’acte, au moment même de l’action, soit

sous contrôle et sous pouvoir de l’individu ?

Enjeux philosophiques de la

génétique

Enjeux philosophiques de la

génétique• Est-ce que la prise en compte récente de la notion de

gène, en tant que mécanisme apparemment déterministe, modifie l’analyse des responsabilités ?

• Concrètement, si nous découvrons les bases biologiques d’un comportement x... Est-ce que la responsabilité passe de la personne aux gènes?

• Est-ce que cela change quelque chose par rapport aux notions que nous avons de la responsabilité ? Dans quelle mesure pouvons-nous être dits responsables moralement ou juridiquement si notre comportement est causé?

2. Le Mystère des gènes…

Quelques croyances relatives aux

gènes…

« Le secret de la vie »… « Livre de

l’Homme » … « Saint Graal» … contribuent à

la métaphore du « programme génétique» et

« texte génétique » qui connait son apogée

dans les années 1990…

Métaphysique génomique[1] :

Il s’agit de l’hypothèse selon laquelle le génome constitue le noyau dur ontologique d’un organisme et détermine à la fois son individualité et son identité d’espèce. La métaphysique génomique prend racine dans d’anciens dogmes helléniques.

En effet, il existe une ancienne conception aristotélicienne (l’eidos ) qui suppose qu’à la base de tout organisme vivant se trouve une âme qui est intimement liée à la notion de forme. L’eidos inclut le concept de forma (plan), et implique que la matière prenne une forme spécifique à partir de l’eidos. L’eidos est le processus organisateur inhérent à tout être vivant.

• [1]Voir article de Mauron A., Genomic metaphysics, paru en 2001 dans « Science » 291 :831-832, ou pour une version française, voir Métaphysique génomique, In Science et Avenir, n°136 Octobre-Novembre 2003, page 28-32.

Encore quelques croyances

relatives aux gènes…

• La génétique a très peu à voir avec une quelconque

notion d’inévitabilité, prédétermination, fatalité...

Pourtant cette erreur a des racines très profondes

dans notre culture.

• Même pour des maladies “incontestablement”

génétiques, l’influence de l’environnement peut être

décisive (ex: phénylcétonurie).

Dans chaque cas, on voit que les explications du tout-génétique (« c’est dans mes gènes ») ressemblent beaucoup aux explications superstitieuses et religieuses d’antan (« c’est le diable qui m’a poussé à agir ainsi »)…

En plaçant tous nos espoirs et craintes dans nos gènes, nous nourrissons l’espoir que le génome humain constitue le dernier mot au sujet de la nature humaine, mais…

…le fait de vouloir expliquer l’entier du comportement humain en termes de gènes conduit à confiner la science des gènes au réductionnisme génétique (faux)…

…pousse à la tendance du politiquement correct, qui consiste à dévaloriser l’apport des gènes (faux)…

Conclusions 1

3. Génétique Comportementale…

Génétique comportementale

• Suscite des questions philosophiques autour de

la notion de déterminisme.

• Dans quel sens nos comportements sont-ils

causées?

Malentendu

Si la génétique du comportement est une science

sérieuse, il faut qu’elle donne un compte rendu d’une

action anodine telle que :

« Henriette ira faire ses emplettes à la Migros

aujourd’hui ».

En génétique comportementale

« la théorie de l’action »

concerne davantage des situations telles que :

« chaque fois qu’Henriette passe devant une machine à

sous, un casino, un vendeur de billets de loto, etc., elle

dilapide son salaire ».

Les recherches en génétique comportementale

n’affirment pas que

● l’on a trouvé le gène de « la machine à sous »,

● ni même que l’on peut prédire que « Henriette

ira à la Migros…»

…elle vise plutôt à identifier des dispositions

comportementales.

L’usage des mots « comportement » ou « action »

dans la génétique comportementale

correspond:

● aux propriétés dispositionnelles des individus,

● aux tendances qu’a un individu à avoir tel ou tel

comportement par rapport à tel ou tel paramètre.

La génétique du comportement concerne

les propensions comportementales des individus.

La génétique comportementale ne dit pas que

« Henriette ira à la Migros »…

En somme

mais…

elle affirme que ● si Henriette a une propension à ne pas prendre de risques,

● si elle réalise qu’il ne reste que trois jours de nourriture à la

maison,

● si elle veut s’assurer que le frigo soit plein car peut-être

quelqu’un lui rendra visite, etc.,

il découle que sa propension à ne pas prendre de risques

générera un comportement anodin, tel que

« Henriette ira à la Migros aujourd’hui ».

La question est de

savoir comment les événements anodins tels que

« Henriette ira à la Migros »

sont en « orbite » et s’articulent autour

des propensions comportementales

L’hypothèse du déterminisme génétique est la

théorie selon laquelle il existerait une importante

base génétique aux comportements humains.

Par déterminisme génétique,

il faut entendre la thèse selon laquelle

les propensions comportementales futures d’un

individu sont prédictibles sur la base de sa

composition génétique.

Par extension,

cette hypothèse a parfois pour mission de prédire

les comportements humains en termes de gènes.

• Suivant les hypothèses de la biologie

comportementales, on ne peut plus penser que

“l’humain est au-dessus de cela”. Croire que les

comportements humains soient largement

indépendants des gènes, c’est ignorer une partie de

l’épistémologie qui touche aux comportements…

• Cela n’implique pas que le

“réductionnisme génétique” soit vrai…

Constat de G-C:

C’est toujours et uniquement à travers le phénotype que

peuvent se manifester les comportements et les actions

humaines. Le phénotype est le substrat nécessaire et

suffisant à l’exécution d’une action.

Les contraintes du génotype et de l’environnement articulent

l’éventail des phénotypes

P1

P2

P3

P4

P5

P6

Pi

E1 …

Génotype

E1

E2E3

E4

E5

E6Ei

Génotype Environnement Phénotype

P1

E1

Génotype

3

E1

E2

E3

Ei

Génotype

2

Génotype

1

Génotype

i

Génotype Environnement Phénotype

Les exemples d’ individus monozygotes séparés dès la naissance

et éduqués par des familles différentes illustrent ce que les

généticiens du comportement nomment l’influence de

l’environnement non partagé.

Ces résultats démontrent que les ressemblances familiales sont

davantage dues au partage des mêmes gènes qu’au partage du

même environnement familial.

Ce que la G-C en déduit:

Si certains types de propension phénotypique semblent inscrits

dans la constitution génétique d’un individu, c’est-à-dire qu’elle

serait le fait pour un individu de générer spontanément un certain

comportement avec ou sans l’intervention d’un certain

environnement, alors il y a de fortes probabilités pour qu’il exécute

ce comportement.

Fausse Conclusion

1: « Cum hoc ergo propter hoc », c’est-à-dire

qu’une corrélation probabiliste implique une

causalité…

2: « Post hoc ergo propter hoc », cela signifie

que si les probabilités démontrent qu’un

événement advient après un premier, alors on

tire la conclusion que le premier doit

probablement être l’origine du second…

• G-C dit ce qui est le cas au sein d’une population.

• G-C ne dit pas ce qui pourrait être le cas au sein d’une

population (si l’environnement change, par exemple).

• G-C ne dit pas ce qui devrait être le cas au sein d’une

population.

• On retrouve un thème récurrent dans ce cours: il existe une

différence cruciale entre la description des comportements et

leur légitimation: attention au paralogisme naturaliste!

• La génétique des comportements nous enseigne que de nombreux comportements sont partiellement héritables.

• Ceci n’implique pas qu’ils soient inévitables.

• Les conclusions de la génétique des comportements quant aux différences entre individus ne s’appliquent pas automatiquement aux différences entre groupes.

• La génétique des comportements ne change pas fondamentalement le paysage philosophique quant à la question du déterminisme.

Conclusions 2

Supposons que nous parvenions un jour à expliquer

« mécaniquement » l’ensemble de nos comportements

et de nos choix que nous sentons être libres de faire.

Est-ce pour autant la fin de la responsabilité?

Manipulation génétique…

Manipulation éducationnelle…

Qu’est-ce qui est plus libre? Similaire

pour la responsabilité?

4. Déterminisme, Libre Arbitre,

Responsabilité…

Arbre de Décision

Le sentiment de liberté se

représente par les possibilités

alternatives que je possède lorsque

j’agis.

PA=

Arbre de Décision

b1

b2

a3

b2

b1

b1

b2

a2

a1

c1

c2

c1

c2

c2

c1

b1

b2

(PA) il nous appartient de décider entre plusieurs

possibilités alternatives. Le PA c’est « le pouvoir que

j’ai de faire autrement », parce que:

1) l’origine de cette décision se trouve en moi et dans

aucune autre chose/personne/contrainte extérieure sur

laquelle je n’ai aucun pouvoir. « Je suis l’origine, la

causa sui»,

2) ma décision est conforme à certaines raisons (au sens

téléologique), ma décision est de nature rationnelle,

« J’ai des raisons d’agir ainsi ».

Libre arbitre: Définition

Selon la tradition, c’est ce type de

libre arbitre qui me donne la

responsabilité.

Compatibilisme vs Incompatibilisme

Le libre arbitre est-il conciliable

avec le déterminisme?

Incompatibilistes:

Déterminisme et libre arbitre

ne sont pas conciliables

Libertariens:Le déterminisme est faux,

alors le libre arbitre(PA)

existe.

Déterministes « durs »:Le déterminisme est vrai,

alors le libre arbitre(PA)

n’existe pas.

Compatibilisme vs Incompatibilisme

Compatibilistes:

Déterminisme et libre arbitre

sont conciliables

Compati. classique:Même si le déterminisme

est vrai, j’ai un

libre arbitre(Pa).

Semi-Compati.:Le déterminisme est vrai,

le PA est faux (au

sens classique).

Compatibilisme vs Incompatibilisme

Compatibilisme Classique.

1) PA est vrai si un agent a le « pouvoir » ou la

« capacité » de faire ce qu’il désire ou choisit de

faire,

2) PA est vrai s’il y a une absence de contraintes

qui empêche un agent d’exécuter ce qu’il désir

ou souhaite. Par contraintes, les compatibilistes

traditionnels désignent la présence de coercition

physique, pathologie mentale,…,

3) PA est vrai si « pouvoir » signifie qu’un agent le

fera, si l’agent désire ou veut le faire.

Sans pro-attitudes, les actions résulteraient du

hasard, de l’aléatoire, elles seraient

indéterminées. Les pro-attitudes sont pour les

compatibilistes classiques un critère nécessaire

pour que mon action soit librement mienne car

elles écartent toute forme d’indéterminisme à

son origine.

Compatibilisme Classique.

Pro-attitudes

En effet pour Hume, mes actions, par leur

nature même, doivent provenir d'une cause de

mon caractère et ma disposition à les réaliser,

pour que je puisse être responsable. Si elles ne

proviennent pas de moi, d’où viennent-elles? Il

semble qu’elles arrivent par indétermination,

par accident, par hasard… Comment puis-je

être responsable d’une action hasardeuse?

Compatibilisme Classique.

Cela signifie que j’aurais fait autrement, si les

choses avaient été différentes ; rien de plus. En

d’autres termes, pour les compatibilistes,

« aurait pu agir autrement » signifie « aurait fait

différemment si les conditions avaient été

différentes ».

Compatibilisme Classique.

Pro-attitudes

Les actions sont sans contrainte et non sans

cause pour les compatibilistes. Dans cette

optique, un choix sans pro-attitude n’est pas

possible pour la position compatibiliste : (1.1)

J’avais le pouvoir de choisir d’aller voir

Henriette, (1.2) je n’étais pas contraint et (1.3)

j’ai désiré ou voulu le faire. Selon ces étapes,

les compatibilistes classiques préservent le

PA.

Compatibilisme Classique

Tout comme les classiques, les semi-compatibilistes

concilient déterminisme et libre arbitre, mais à leurs

yeux le PA n’est pas nécessaire pour démontrer la

responsabilité.

La position des semi-compatiblistes se fonde sur deux

types d’arguments. Ces deux arguments sont celui dit

de type personnalité/caractère et celui dit de type

Frankfurt.

Semi-compatibilisme

Lorsque Martin Luther dit « je suis ici, je ne peux pas

faire autrement », il signifie qu’il est présent et qu’il ne

peut pas faire autrement parce que son action est

déterminée par sa personnalité et ses motifs. Dans ce

cas, on ne peut pas soutenir que Luther n’est pas

responsable car il ne pouvait pas faire autrement. En

disant « je ne peux pas faire autrement», Luther ne

renonce pas à sa responsabilité et son libre arbitre,

mais au contraire, il assume totalement son action.

Semi-compatibilisme

L’argument Frankfurt tient en quatre points :

• Un contrôleur (disons Degaldo) peut, en tout temps,

contraindre un agent (moi) à faire ce qu’il veut.

Disons que Degaldo intervient à chaque fois que je

n’exécute pas ce qu’il désire.

• Degaldo n’intervient pas si je fais ce qu’il désire.

• En tout temps, je ne peux jamais faire autrement

que je fais. (¬PA)

• Pas besoin de PA pour être libre et responsable.

Semi-compatibilisme

Le semi-compatibilisme indique qu’il faut

assigner la responsabilité à partir d’une autre

question que celle de se demander si l'agent

pourrait avoir fait autrement.

Power to be moved by reasons (ER, 18-19, 25, 50-51, 98) Dennett

Guidance Control (RC, 33-34)Fischer et Ravizza

Semi-compatibilisme

Libertarisme

1) Le libre arbitre et le déterminisme sont incompatibles.

2) Le libre arbitre existe.

3) Donc, le déterminisme est donc faux ; ce qui équivaut à: l’indéterminisme est vrai.

4) Suivant 1-2-3, le libre arbitre est compatible avec l’indéterminisme.

5) En somme, PA Extrême ou la Condition Indéterministe : J’aurais pu agir autrement avec exactement le même passé et les mêmes lois de la nature.

La position du Déterminisme Dur (DD) consiste en le

rejet absolu du libre arbitre. L’incompatibiliste qui

supporte le DD dit ceci: puisque le libre arbitre est

faux et puisqu’il est inconciliable avec le

déterminisme, alors il ne reste que le déterministe.

L’argument DD classique tient en trois points.

Déterminisme Dur

Déterminisme dur

1) Le libre arbitre est incompatible avec le

déterminisme.

2) Le libre arbitre n’existe pas (PA au sens

libertarien et compatibiliste)

parce que

3) Le déterminisme est vrai.

Malgré l’absence de responsabilité ultime (car il

y aura toujours des facteurs qui nous

échapperont), les lois doivent être appliquées,

pour leurs effets dissuasifs…(Pereboom)

Saul Smilansky : « Illusion du libre arbitre est

nécessaire »…

Déterminisme Dur

Conclusion:

• Bien que nos intuitions communes rencontrent un certain nombre de problèmes face à une éventuelle causalité génétique/neurobiologique, la notion de responsabilité et de liberté semble subsister (au pire sous forme d’illusion nécessaire)…

• Les neurosciences réactivent le même genre d’interrogation philosophique. Toute action humaine délibérée présuppose des états mentaux, dont la cause matérielle est à trouver au sein de nos réseaux neuronaux. D’où même perplexité au niveau du libre arbitre et de la responsabilité.

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