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Soit avenant, soit souriant. Prend la parole, toujours. Ne reste pas dans le silence, va avec les autres. Soit sociable, fond toi dans le groupe. En un terme, soit extraverti. Ces valeurs découlent du modèle de notre société. Bien que le tempérament extraverti soit mis en avant, qu’en est-t-il du tempérament introverti ? Pourtant, c’est un tempérament qu’on acquiert dès la naissance, bien qu’on puisse l’affiner dans une certaine mesure. L’introversion est le fait de se tourner vers son monde intérieur. Être introverti ne signifie pas pourtant s’enfermer dans sa tour d’ivoire. Au contraire, il s’agit de comprendre notre monde et notre environnement en le voyant avec notre prisme, notre opinion. En un terme, notre singularité. Or, c’est la construction d’une vision singulière qui nous permet de faire éclore notre talent. C’est l’observation, la contemplation qui nous amène à la conceptualisation puis enfin la création.
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1Fouillet ArthurFouillet Arthur Design interaction
3Illustrations réalisées en intégralité par l’auteur.
1
Soit avenant, soit souriant. Prend la parole, toujours.
Ne reste pas dans le silence, va avec les autres. Soit sociable,
fond toi dans le groupe. En un terme, soit extraverti. Ces
valeurs découlent du modèle de notre société. Bien que le
tempérament extraverti soit mis en avant, qu’en est-t-il du
tempérament introverti ? Pourtant, c’est un tempérament
qu’on acquiert dès la naissance, bien qu’on puisse l’affiner
dans une certaine mesure. L’introversion est le fait de se
tourner vers son monde intérieur. Être introverti ne signifie
pas pourtant s’enfermer dans sa tour d’ivoire. Au contraire, il
s’agit de comprendre notre monde et notre environnement
en le voyant avec notre prisme, notre opinion. En un terme,
notre singularité. Or, c’est la construction d’une vision
singulière qui nous permet de faire éclore notre talent.
C’est l’observation, la contemplation qui nous amène à la
conceptualisation puis enfin la création. Pourtant, nous
valorisons encore et toujours les valeurs de l’extraversion
dans notre société. Que ce soit dans la façon de travailler
en tant qu’adulte dans des OpenSpace ou même plus jeune
avec les organisations des classes. Le fait que l’on puisse
être sollicité à chaque instant nous dissocie toujours plus
de notre intériorité. Les loisirs dominants sont eux aussi des
jeux d’extravertis. Que ce soit dans sa vie d’adulte avec les
animations de vacances ou les boites de nuit, ou plus jeune
avec les centres aérés, qui visent à trouver la stimulation
par le groupe.
Cependant, c’est en ça que l’extraversion et
l’introversion se différencient : il s’agit de la façon de recevoir
et de ressentir les stimulations du monde extérieur. En plus
de valoriser l’extraversion, nous dévaluons l’introversion.
Dès notre enfance nous associons introversion et déviance.
Timidité, asociabilité, isolement, et d’autres amalgames
prouvent le rejet de ce tempérament. A moins que l’on soit
Bill Gates, ou Mark Zucherberg, il peut être difficile pour un
introverti de se faire entendre au sein d’une organisation,
de par ces mécanismes de l’extraversion intériorisés dès le
plus jeune âge.
Bien que nous valorisions largement les effets
de l’introversion, comme avoir une vision singulière du
monde, la création, la prise de recul, nous en méprisons les
mécanismes, comme la recherche de solitude plus fréquente
que pour d’autres, ou le fait de ne pas communiquer
oralement constamment. Bien que nos références soient
plutôt des personnalités extraverties, comme Steve Jobs
ou Martin Luther King, on n’oublie souvent qu’ils formaient
un duo. Que serait Apple sans Steve Wozniak, talentueux
concepteur de l’Apple I ? Que serait Martin Luther King et
son mouvement sans l’acte de bravoure de Rosa Parks dans
ce bus ? Nous verrons dans ce mémoire que les introvertis
et la part d’introversion de chacun a une grande place
dans la création seule ou à plusieurs, qu’elle soit artistique,
entrepreneuriale, avec les autres. Ainsi, comment peut-on
revaloriser l’introversion dans le processus de création ?
3
Dès la sélection des attendus autour du sujet de
l’introversion, j’ai constaté un fort décalage entre ce que
les gens communément savaient ou pensaient savoir de
l’introversion et la réalité. Progressivement, je me suis
aperçu de nombreuses expressions péjoratives découlaient
des traits de ce tempérament. J’ai découvert aussi que
les études sur l’introversion étaient toutes relativement
récentes, à part celle de Jung qui a servi de support pour
ces autres études. Ainsi, nous avons évolué des dizaines
d’années en fondant des tests de personnalités ou en
« catégorisant » les gens selon des critères qui dataient
d’un peu moins d’un siècle … Ainsi, la méconnaissance et
l’incompréhension se sont figées, et les traits introvertis
toujours plus écartés et jugés déviants face à notre société.
Concernant les ressources mobilisées, je me suis
dans un premier temps appuyé sur mes connaissances.
Etant fils de psychiatre, ces sujets m’ont toujours intéressé
et mon choix pour ce sujet y est clairement pour quelque
chose. Ainsi, j’ai instinctivement associé ce terme et le
monde de la psychologie. Ensuite, je l’ai rapproché de la
création instinctivement aussi. Du sculpteur Baselitz au
peintre Pollock, je me suis intéressé à leur processus de
création, et leurs motivations. Aussi, J’ai pu rencontrer
différents acteurs de la création, ayant une vision différente
de la créativité et de l’introversion.
Ces rencontres m’ont permis de nuancer et d’ouvrir
mon sujet et me rendre compte que les traits de l’introversion
sont déjà exploité dans de nombreux domaines, mais que
d’autres la rejettent tandis que le but de la créativité se
rejoint d’un domaine à un autre.
Dans une première partie, nous définirons les
différents types de tempérament, les attitudes associées et
les mécanismes à l’œuvre permettant de faire émerger une
vision personnelle. : Nous apprendrons que le tempérament
est une part innée et indissociable de nous, qui se modèle
dans notre environnement familial et culturel.. Plus en détail,
nous verrons que penser le monde s’appuie sur le monde
intérieur que chacun se construit. Enfin, nous étudierons
le rapport entre intériorité et création. Dans une seconde
partie, nous nuancerons le modèle actuel dominant de
l’extraversion pour donner une vraie place à la création.
Au sein de cette partie, nous comprendrons comment
notre modèle culturel et social impose l’extraversion. Nous
verrons ensuite que les mécanismes de ce modèle sont
intériorisés dès la naissance, mais que l’acceptation de
ces deux types de tempéraments introvertis et extravertis
est essentielle pour une stimulation réciproque. Dans une
troisième partie, nous explorerons l’intérêt d’écouter et de
prendre en considération sa part d’introversion pour qu’elle
nourrisse la création. A partir des méthodes d’expression
artistiques, de nouvelles formes de travail, ou de méthodes
pédagogiques novatrices nous verrons aussi que le modèle
prédominant de l’extraversion tend a perdre de l’influence
aux profits des tempéraments plus introvertis et créatifs.
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Notre façon de voir le monde et nos réactions face aux
événements sont définis par notre tempérament. Plutôt
introverti ou davantage extraverti, notre approche de notre
environnement sera différente. Bien qu’elle soit centrée
sur nous-mêmes, nous verrons que la connaissance de soi
est un pas vers l’accueil du monde extérieur. Ainsi, nous
pouvons nous demander en quoi notre part d’introversion
et notre intériorité sont intimement reliées.
Le tempérament, part innée et indissociable de nous.
Qu’est-ce que l’introversion ?
De nombreuses façons de définir l’introversion
existent. Dans le langage courant, l’introversion est la
propension à se tourner vers son monde intérieur, à vivre
centré sur ses pensées, ses émotions. La psychologie et la
psychanalyse ont défini progressivement plus précisément
ces termes au vingtième siècle. Retraçons l’histoire du terme
d’introversion. Ce terme apparaît en 1910, dans l’ouvrage de
Carl Jung intitulé « Sur les conflits de l’âme infantile ». Il est
le fondateur de la psychologie analytique1 , créée dans le but
de se différencier de la psychanalyse de Freud. Le courant de Carl
Jung est basé sur l’investigation de l’inconscient, avec notamment
l’interprétation des rêves, et un processus d’individualisation qui
permet d’accéder au « soi »2.
En substance, le soi est la partie inconsciente d’un
individu, et le moi, la partie consciente.
Cependant, Carl Jung décrit le soi comme le centre
de la personnalité. Comparé à un cercle pour son caractère
unificateur, le soi a pour but de préserver l’unité de la
conscience et éviter des dysfonctionnements psychiques.
Il constitue une espèce de bulle protectrice.
Que les personnalités soient plutôt introverties ou
plutôt extraverties, l’impact est direct sur le tempérament et
les traits de caractère, et donc notre façon d’interagir avec
notre environnement. Selon l’auteur, ces différences sont
déterminées par la façon dont ces personnalités gèrent leur
énergie personnelle. Bien que les travaux de Jung aient plus
de cent ans, de nombreuses études actuelles s’en inspirent
encore. Une des plus intéressantes dans l’exploration des
termes d’introversion et d’extraversion est celle de Jerome
Kagan.
1. PSYCHOLOGIES. Dico psycho [en ligne]. http://www.psychologies.com/Dico-Psycho/Psychologie-analytique (consulté le 05.06.2015)
2. CNRTL. Définitions [en ligne]. http://www.cnrtl.fr/definition/soi (consulté le 13.03.2015).
11
Ce psychologue a fait de nombreuses études sur les
nourrissons basée sur la réaction aux stimulis extérieurs3.
En les mettant dans diverses situations pour observer
leurs réactions comme l’expérience de la nouveauté, avec
par l’enregistrement de voix ou le rapprochement de cotons
imbibés d’alcool, il a observé qu’il y avait plusieurs groupes :
les individus à faible réactivité, qui restent relativement
placides face à ces expériences, soit 40% d’entre eux.
Les individus à haute réactivité, qui se manifestent
en pleurant ou s’agitant, soit 20% d’entre eux. Les individus
qui se situent entre ces deux extrêmes soit 40% d’entre
eux. Kagan est parti du postulat que les enfants à hautes
réactivités seraient plutôt introvertis et ceux à faible
réactivité seraient plutôt extravertis. Son hypothèse s’est
vérifiée lors des rencontres régulières avec ces enfants,
il s’avère qu’ils avaient en grande majorité évolué comme
Kagan l’avait prédit.
Ainsi, le fait d’être introverti ou extraverti s’explique
aussi biologiquement. L’amygdale est l’organe qui contrôle
le système nerveux central. C’est dans cette partie de notre
cerveau que se décident les réactions à adopter selon la
situation et leur danger. Toujours selon l’étude de Jerome
Kagan, les enfants ayant eu des réactions vives étaient aussi
dotés d’une amygdale très réactive.
3. CAIN Susan. La force des discrets, Paris, Librairie Générale Fran-çaise, 2014, pages 131 à 133.
13
D’où leurs réactions vives face à des situations
induisant des sensations nouvelles et inconnues. En effet,
plus cette amygdale est réactive, plus le rythme cardiaque
sera rapide, et donc plus l’enfant sera bousculé par cette
nouveauté.
Bien que l’on puisse supposer qu’être introverti ou
extraverti soit entre autre une question de tempérament, la
personnalité s’affine selon notre influence culturelle. Aussi,
notre expérience personnelle impacte et modèle notre
rapport au monde. Comme l’écrit Susan Cain dans La force
des discrets, « Certains affirment que le tempérament est les
fondations, et la personnalité la maison »4. L’introversion et
l’extraversion sont souvent mises en rivalité. L’extraversion
se définit par un comportement orienté vers le monde
extérieur, la sociabilité, la recherche d’échanges affectifs et
intellectuels avec les autres. Notre personnalité ne peut que
s’approcher davantage vers un comportement ou un autre,
un peu comme une jauge. Ainsi, on peut se définir comme
davantage introverti, ou plutôt extraverti.
4. CAIN Susan, La force des discrets, Paris, Libraire Générale Française, 2014, page 25.
Les traits de l’introversion
De manière globale
De manière globale, l’introversion et l’extraversion se
différencient par la façon de réagir aux situations et aux
stimulations extérieures. L’introversion revêt des traits
spécifiques bien identifiables. Cependant, puisque l’on tend
vers un tempérament ou un autre, il est impossible de définir
la personnalité d’une personne selon ces seuls critères.
Concernant les traits les plus communs aux personnalités
introverties, on peut identifier l’attrait à la solitude dans le
travail ou la vie de manière générale. Le fait d’approfondir
les réflexions, et la propension à s’entourer de peu de
personnes. Les introvertis sont aussi davantage à l’écoute
que leurs congénères extravertis. Agir avec précautions
est aussi un des traits des personnalités introverties. Les
personnalités plus extraverties seront plus enclines à désirer
être entourées. Les extravertis sont aussi plus multitâches
que les introvertis. Ils sont plus performants dans la gestion
de conflits et plus impulsifs dans la prise de décisions.
Comme nous l’illustrerons plus tard dans ce mémoire, ces
deux personnalités ont des qualités qui peuvent s’avérer
être des défauts dans certaines situations. Ainsi, être plutôt
introverti ou davantage extraverti impacte le tempérament
15
et ses traits de caractère5.
Le tempérament est la disposition générale de l’humeur et
de la sensibilité d’un sujet dans sa relation avec lui-même
et le milieu extérieur. Bien que l’on tende plus vers l’un ou
l’autre, l’introversion possède des traits identifiables, avec
des démarches spécifiques.
L’attrait à la solitude
Le plus identifiable est l’attrait à l’état de solitude. Cet
état permet à une personnalité introvertie de se retrouver
au centre de ses émotions et de ses pensées. Marcelin
Pleynet, qui a été titulaire de la chaire d’esthétique à l’Ecole
nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, est aussi
écrivain, poète, diariste, historien d’art. Il nous raconte son
rapport à la solitude.
« Dès l’âge de 6 ou 7 ans, j’écrivais des poèmes – très mauvais, bien sûr. J’ai donc tout de suite écrit de la poésie, tout simplement parce que j’ai vécu d’une façon poétique. Lorsque j’étais en pension, j’allais me promener dans les bois. J’ai passé beaucoup de temps tout seul, et je continue à le faire. Je crois que
5. CNRTL. Définitions [en ligne]. http://www.cnrtl.fr/lexicographie/in-trospection (consulté le 14.03.2015).
la solitude a un lien absolument indissociable avec
la création. Lorsque je suis à Venise, je suis seul.
Lorsque je suis à Paris, j’essaie de l’être autant que
possible. Lorsque je suis au bureau, cela change :
je suis avec Sollers, mais c’est une autre façon
d’être seul. »6
Comme on peut le lire, la solitude est un état qui l’a
toujours accompagné, qu’il l’ait choisi ou non. Bien que ces
discours soient basés sur un ressenti et non sur des données
scientifiques mesurables, il est intéressant de constater
que nombre de créateurs, d’artiste ou de penseurs qui ont
marqué leur époque ont ce même ressenti face à la solitude.
Kafka nous explique aussi son rapport à la solitude.
« Vous m’avez dit un jour que vous voudriez vous asseoir près de moi pendant que j’écris. Mais voyez-vous, dans ce cas, je ne pourrais plus écrire du tout. Car l’écriture signifie se révéler à soi-même dans l’excès ; ce plus haut point de la révélation et de l’abandon de soi dans lequel un être humain, au contact des autres, croirait se perdre et, par conséquent, duquel il se protégera toujours, aussi longtemps qu’il sera sain d’esprit … »7
6. SALON-LITTERAIRE. Interviews [en ligne]. http://salon-litteraire.com/fr/interviews/content/1798037-inteview-marcelin-pleynet-la-solitude-a-un-lien-indissociable-avec-la-creation (consulté le 15.04.2015).
7. CAIN Susan, La force des discrets, Paris, Libraire Générale Française, 2014, page 113.
17
Là encore, on voit que la solitude peut être un élément
clé pour se connecter à son intériorité.
Mais aussi, presque arrogante cette fois, la solitude
peut constituer la « situation morale, intellectuelle ou
matérielle d’une personne dont les préoccupations sont
éloignées de celles du plus grand nombre. Elle se singularise
par ses choix, ses idées, ses actes, sa manière d’être. Dans
cette perspective, le solitaire est adulé et mystifié. Ce profil
a été largement cultivé dans les personnages de Western.
Prenons pour exemple les plus connus de Sergio Leone,
célèbre réalisateur de ce type de films. « Il était une fois
dans l’Ouest » et le mystérieux Harmonica, joué par Charles
Bronson. « Pour une poignée de dollars », avec « L’homme
sans nom » interprété par Eli Wallach.8 Dans ce cas-là, il s’agit
du personnage de cow-boy solitaire solitaire, peu bavard,
qui respecte son propre code éthique. Ces personnages
peu influençables, agissant selon leur unique volonté sans
se laisser emporter par les flots de pensée conformistes ou
par la pression sociale.
8. ALLOCINE. Filmographie [en ligne] http://www.allocine.com/ser-gioleone (consulté le 14.05.2015).
Mais au-delà du mythe, revenons à cet attrait à la
solitude ? Il semble qu’il soit aussi d’ordre biologique. Il
s’explique par la façon de gérer la stimulation extérieure. Une
personnalité introvertie va puiser dans son énergie interne
lorsqu’il sera dans un cadre sur-stimulant où tous les sens
sont sollicités. Une personnalité plus extravertie verra son
énergie interne rechargée et non vidée. Les expériences de
Jerome Kagan décrites précédemment tendent à démontrer
le caractère inné de ces tendances. Donc pour un être
introverti, il s’avère difficile de prendre conscience de soi
en étant constamment avec les autres. La citation de Saint-
Augustin l’illustre parfaitement. « Retourne à toi-même, car
c›est dans l›homme intérieur qu›habite la vérité ». Ainsi,
une personnalité introvertie aura plus aisément accès à des
démarches intérieures, telles que l’introspection.
L’introspection
L’introspection peut se définir de différentes manières.
Ce terme trouve ses origines dans la philosophie, où elle
désigne un mode d’appréhension des états de conscience
par accès direct et retour sur soi du sujet. Le terme sujet
vient de l’origine latine subjectum : ce qui est dessous9.
9. CNRTL. Définitions [en ligne] http://www.cnrtl.fr/definition/introver-sion (consulté le 04.03.2015).
19
Déjà présent dans les textes philosophiques du
Moyen-Âge, il se modernise vers la fin de la Renaissance.
Descartes et son ouvrage Méditations métaphysiques
sont à l’origine de cette évolution10. Il établit le principe
de la conscience réfléchie. En d’autres termes, il suppose
l’existence d’une subjectivité caractérisant chaque individu.
Ainsi, être sujet revient à se considérer comme libre et
responsable, capable de rendre compte du monde et de
soi-même.
Néanmoins, La définition de ce terme est
controversée. Certains penseurs remettent en question
la totale indépendance lors de l’élaboration de cette
subjectivité propre à chacun. Selon Marx, le sujet est le
produit de son milieu social et des conditions de vies
jumelées. Comme il le cite dans Introduction générale à la
Critique de l’économie politique, en 1859 : «Ce n’est pas
la conscience des hommes qui détermine leur existence,
c’est au contraire leur existence sociale qui détermine
leur conscience»11. Ainsi, selon Marx, cette autonomie est
déterminée par notre milieu social.
10. DESCARTES René, Méditations métaphysiques, Paris, 1641. PUF 2010
11. MARX Karl, Introduction générale à la critique de l’économie politique, 1859. L’ALTIPLANO 2008.
Selon Nietzsche, la subjectivité véritable se trouve
dans l’approbation de ce qui nous invite à nous dépasser en
permanence. Le sujet ne trouve pas sa vérité en le rendant
conscient, car la conscience induit l’intervention du langage
et autre concepts collectifs, et donc amène à banaliser le
singulier.12
Selon Freud, cette subjectivité ne dépend pas
uniquement du sujet, et affirme que certains processus
propres à chacun pour atteindre cette subjectivité ne
parviendront pas à notre conscience. Bien qu’il considère
l’autonomie indéniable de l’homme, il prend aussi en
compte les pulsions et leurs impacts sur son agissement.
Il considère aussi dans cette notion de sujet l’importance
de l’inconscient, avec les rêves et l’imaginaire de chacun.
Freud marque le passage de la dimension philosophique de
l’introspection en s’intéressant à l’homme dans sa globalité
vers une dimension psychanalytique davantage centré sur
notre histoire, propre à chacun de nous en incluant la notion
d’inconscience.13
12. JACOB Odile. Le portail francophone de la philosophie sur Inter-net [en ligne]. http://www.philo.fr/?c=document&uid=L01 (consulté le 26.10.2015).
13. KARTABLE. Le sujet : introduction [en ligne]. https://www.kartable.fr/terminale-s/philosophie/specifique/chapitres-90/le-sujet-introduction-2/cours/le-sujet-introduction/11199 (consulté le 26.10.2015).
21
Ces débats autour de la notion de sujet ont
fait évoluer la notion d’introspection. Philosophique
d’abord, l’introspection a progressivement englobé une
dimension psychologique vers la fin du XIXème siècle
avec le béhaviorisme. Ce courant a pour but d’établir
une vision objective de l’individu en le détachant de son
conditionnement. Aujourd’hui, l’introspection est définie
comme une observation méthodique, par le sujet lui-même,
de ses états de sa conscience et de sa vie intérieure. Ces
débats autour de la notion de sujet a fait évoluer la notion
d’introspection. Philosophique d’abord, l’introspection a
progressivement englobé une dimension psychologique
vers la fin du XIXème siècle avec le béhaviorisme et plus
globalement, l’étude du comportement14. Ce courant a
pour but d’établir une vision objective de l’individu en le
détachant de son conditionnement.
Comme le dit Jung lui-même, « Si un introverti pur ou
un extraverti pur existait, il serait bon à mettre à l’asile »15.
En effet, une personnalité plus extravertie s’oriente vers le
monde extérieur et une personnalité introvertie s’oriente
vers son monde intérieur. Pourtant, monde intérieur et
monde extérieur sont en échange constant. Pour que l’un
nourrisse l’autre et inversement, la prise de recul sur son
environnement est décisive.
14. CARNETS2PSYCHO. Behaviorisme : la science du comportement [en ligne]. http://carnets2psycho.net/theorie/histoire1.html
15. DE MISSOLZ Jérôme. Drogue et création – Une histoire des para-dis artificiels (2/2), France, Arte, 2014, 58 minutes, couleur, télévision (diffusé le 07.01.2015).
La prise de recul
L’introversion incite à la recherche de solitude qui
favorise les démarches d’introspection. Ces démarches
introspectives où l’on est centré sur nos pensées et nos
émotions amènent naturellement à un détachement de
notre environnement. Ces moments d’immersion dans son
monde intérieur favorisent la prise de recul, car ils suivent
des phases d’ouverture au monde et d’observations de notre
environnement. En effet, prendre du recul signifie mettre de
la distance pour juger une situation, et par la suite trouver des
solutions, des concepts, et créer. Bien que nous détaillions
ces mécanismes plus tard, il est important de survoler dès
lors leurs conséquences positives sur nous et notre apport
au monde. Ainsi, les traits de l’introversion favorisent le
recul sur notre environnement et sa compréhension, et donc
la création. Malgré les apports vertueux de l’introversion
sur nous-mêmes et notre environnement, de nombreux
amalgames existent favorisant l’incompréhension de ce
terme et ses enjeux, associant les traits de l’introversion à
la déviance.
23
Amalgames autour de l’introversion
Beaucoup d’amalgames existent autour de la notion
d’introversion. Par exemple, les introvertis sont souvent
associés à des personnalités anxieuses, asociales ou
timides. Ces amalgames trahissent une vision occidentale
peu valorisante de l’introversion et tout ce qui s’y rattache :
le calme, le silence, ou l’écoute par exemple sont dévalorisés
à l’inverse de certains pays d’Asie comme nous l’étudierons
plus tard. De la même façon, introversion et timidité sont
deux termes souvent reliées dans l’imaginaire commun.
Or, prenons l’exemple de Bill Gates qui s’autoproclame
introverti16, sans être pour autant timide. Bien que réservé,
il n’accorde pas une grande attention à ce que les gens
pensent de lui17 selon ses propres dires.
Les personnalités introverties seront plus enclines à la
solitude, dans le travail ou dans la vie de manière générale,
et à parler en profondeur des choses entourés de peu de
personnes. Les introvertis sont aussi davantage à l’écoute
que leurs congénères extravertis. Agir avec précautions
est aussi un des traits des personnalités introverties. Les
personnalités plus extraverties seront plus enclines à
désirer être entourées.
16. HUFFINGTONPOST. 6 idées reçues sur les introvertis. http://www.huffingtonpost.fr/2013/08/01/idees-recues-introvertis_n_3685211.html (consulté le 02.08.2013).
17. CAIN Susan, La force des discrets, Paris, Libraire Générale Fran-çaise, 2014, page 185.
Les extravertis sont aussi plus multitâches que
les introvertis. Ils sont plus performants dans la gestion
de conflits et sont plus aptes à prendre des décisions
rapidement. Comme nous l’illustrerons plus tard dans
ce mémoire, ces deux personnalités ont des qualités qui
peuvent s’avérer être des défauts dans certaines situations.
Bien que les amalgames autour de l’introversion
soient nombreux, notre société a une position parfois am-
bivalente face à eux, entre admiration et rejet. Un des plus
récurrents est celui de la solitude. Trait de caractère im-
portant dans l’introversion, il n’est pas toujours admis dans
notre société bien que solitude et génie soient deux termes
souvent associés dans l’imaginaire commun.
Le mythe du solitaire
Notre société éprouve une certaine fascination
envers le solitaire génie. Stephan Hawking en est un des
plus beaux exemples. Dans notre société, il est l’incarnation
du génie solitaire, puisant son génie dans lui-même18. Le
génie solitaire n’ayant besoin d’aucune interaction avec le
monde extérieure fascine.
18. RICARD Mathieu, LUTZ Antoine, DAVIDSON Richard, Revue Pour la science, n°448, Février 2015, page 28.
25
Steve Wozniak fait partie de ceux qui sont devenus
des icônes aussi grâce à cette image du génie solitaire. Il
est un des fondateurs d’Apple et surtout grand introverti. Il
explique qu’il commence à concevoir le premier ordinateur
personnel, l’Apple 1 avec son acolyte Steve Jobs, en allant à
des réunions de passionnés d’informatique.19 Bien que sans
participer oralement aux réunions, il s’inspire grandement
de ce qu’il voit et de ce qu’il entend. Il n’est pas resté « dans
sa bulle » pour inventer le premier ordinateur. En revanche, il
a eu besoin de centaines d’heures de solitude dans son box
chez Hewlett Packard et de concentration afin d’élaborer
cet ordinateur.20
Aussi, nous mélangeons souvent solitude, qui est
une démarche choisie, et isolement, qui est une démarche
subie. L’isolement est la séparation d’un individu ou d’un
groupe d’individus des autres membres de la société.
L’isolement peut aussi être l’état de quelqu’un qui vit isolé
ou qui est moralement seul. L’image de l’artiste aussi génial
qu’isolé est encore bien ancrée dans l’imaginaire commun.
Van Gogh illustre à merveille ce mythe, ayant vécu dans la
misère et mort à 37 ans, en ayant vendu (selon la légende)
un seul tableau de son vivant.
19. BIOGRAPHY. People [en ligne] http://www.biography.com/people/steve-wozniak-9537334 (consulté le 28.06.2015).
20. CLUBIC. Steve Wozniak casse le mythe des débuts d’Apple dans un garage [en ligne]. http://www.clubic.com/mag/culture/actualite-743281-steve-wozniak-casse-mythe-debuts-apple-garage.html (consul-té le 28.06.2015).
L’image de l’artiste maudit réside encore lui aussi
dans l’imaginaire commun, et ce depuis longtemps !
Musset, écrivain de l’Histoire d’un merle blanc, ou L’Albatros
de Baudelaire, écrit ci-dessous, ont participé à l’ancrage de
ce mythe.
« Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. A peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d’eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid ! L’un agace son bec avec un brûle-gueule, L’autre mime en boitant, l’infirme qui volait ! Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l’archer ; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »21
21. BAUDELAIRE Charles, Les fleurs du mal, Paris, LGF, 1972.
27
Pourtant, quand on entend le discours d’Agnès
Thurnauer, cette vision de l’artiste isolé et coupé du monde
peut s’avérer tout simplement illusoire :
« C’est Lascaux où je suis lorsqu’à l’atelier,
dans cette pièce en retrait du monde, tous les si-
lences et les mots me parviennent amplifiés à l’ex-
trême, plus nus et plus lisibles qu’ils ne le sont sur
le lieu même de l’émission. Tout peut être entendu
alors et tout peut se dire en peinture. »22
Dans cette démarche, on comprend bien que la
démarche de solitude est voulue et maitrisée, plutôt que
subie et angoissante. L’artiste Marie Denis vise elle aussi à
détruire ce mythe de l’artiste incapable de sortir de sa tour
d’Ivoire :
« C’est quelqu’un qui extrapole, exacerbe et
cultive les sensations qu’il a en lui et les fait éclore, il
joue de toutes ces strates perceptives qu’il possède,
comme un pianiste développe ses gammes. Cette
théorie du millefeuille tient pour toute la vie. » 23
22. CRITIQUE D’ART. Portraits. Agnès Thurnaeur [en ligne] https://cri-tiquedart.revues.org/632 (consulté le 13.04.2015)
23. SLASH-PARIS. Marie Denis – Les curiosités [En ligne]. http://slash-paris.com/evenements/marie-denis (consulté le 13.04.2015).
Mieux encore que de simplement casser le mythe
du rejet du monde et des autres par l’artiste, le plasticien
Bernard Pras insiste lui sur la volonté de créer le dialogue.
« Ce qui le pousse à le faire ? C’est cet
espoir de communiquer, de créer un dialogue
avec quelqu’un, car l’artiste n’existe que s’il se
trouve quelqu’un pour regarder. C’est sur cette
bipolarité artiste-regardeur que repose l’essentiel
de sa démarche. » 24
A travers tous ces profils, nous avons vu que
la solitude, élément indispensable de l’introversion,
correspond simplement à des moments précis dont tout
créateur a besoin pour faire émerger ses idées, du peintre
à l’informaticien. Il est donc paradoxal que nous associons
la solitude à la fois au génie et à l’isolement. Comme nous
l’avons vu, la solitude est plutôt une attitude désirée et
est vectrice de l’élaboration d’une intériorité qui nous est
propre.
24. ARTEFAKE. Bernard Pras, maniériste de la récupération [En ligne]. http://www.artefake.com/Bernard-PRAS.html (consulté le 13.04.2015).
29
Penser le monde s’appuie sur le monde
intérieur que chacun se construit.
Notre intériorité nous est propre en tant qu’individu. Elle
est le fruit de nos attitudes engendrées par notre part
d’introversion, comme la solitude, qui amène les démarches
d’observation, puis d’introspection … Au travers des siècles,
l’exploration de notre intériorité n’a eu cesse de susciter de
vives interrogations pour l’homme, au point d’avoir recours
à des aides extérieures pour y accéder.
Accéder à son intériorité par l’extérieur
Thomas de Quincey a initié l’intérêt pour le lien
entre création et drogue, notamment l’Opium. Avec ses
Confessions d’un mangeur d’opium anglais25, mélange de
fiction et de réel, de Quincey fait entrevoir l’exploration
d’une réalité aussi réelle que parallèle.
25. DE QUINCEY Thomas, Confessions d’un mangeur d’opium anglais, Paris, P.-V Stock, 1903.
Durant le Romantisme, l’Opium a commencé à se
répandre plus communément dans les milieux artistiques, des
écrivains notamment. Baudelaire s’y est essayé également.
Un club a même été créé : Le club des Haschischins. Ce
club crée au XIXème siècle avait pour objectif l’étude et
l’expérience des drogues, notamment le haschisch.26 C’est
le médecin Moreau de Tours qui a créé ce club suite à ses
voyages en Egypte, Syrie et en Asie Mineure. Il se trouve
que cet ouvrage est le premier récit au sujet d’une drogue
écrit par un scientifique. C’est à la suite de l’ouvrage de
Quincey, publié en 1821 que ce club a émergé. Il ne dura
que quelques années.
En effet, il n’est pas forcément légitime d’associer la
prise de substances à la création, comme s’en sont rendu
compte de nombreux artistes membres de ce club. Comme
le déclare lui-même Théophile Gautier, ami de Baudelaire
et écrivain de la préface des fleurs du Mal, Après une
dizaine d’expériences, nous renonçâmes pour toujours
à cette drogue enivrante, non qu’elle nous eût fait mal
physiquement, mais le vrai littérateur n’a besoin que de
ses rêves naturels, et il n’aime pas que sa pensée subisse
l’influence d’un agent quelconque. Baudelaire aussi, dans
son ouvrage Les Paradis artificiels interroge les liens entre
drogue et inspiration.
26. LE MANGEUR D’OPIUM, L’alcool et la drogue dans la litté-rature [En ligne] http://lemangeurdopium.canalblog.com/ar-chives/2008/04/11/8772096.html (Consulté le 28.07.2015).
31
Pourtant, il existe un fantasme fort entre drogues (au
sens large du terme) et inspiration.27 Par exemple, Sir Conan
Doyle était envahi par son addiction pour la drogue au point
de rendre Sherlock Holmes lui aussi dépendant à sa façon,
même si c’est une addiction aux enquêtes policières.
« Je dois par contre vous corriger sur un
point. Sherlock Holmes ne prend pas de drogue
pour maintenir sa grande faculté de déduction.
Au contraire, il fait cela pour la remplacer. Son
esprit fonctionne au maximum durant une en-
quête. Voilà sa véritable drogue. Selon lui, la mor-
phine permet à son esprit de se plonger dans un état
semblable à ce qu’il serait durant une enquête et il
y a recours seulement durant de longues périodes
d’inaction où personne ne sollicite ses services. »28
Pourtant, certains psychologues et médecins
affirment que la prise de drogue nuit à l’inspiration. André
Breton, initiateur du mouvement surréaliste rejettera la
drogue (paradoxalement, car il fut consommateur) surement
en raison de la mort par overdose de certains de ses amis.
27. LECTURE-ECRITURE, Les paradis artificiels – Charles Baudelaire [En ligne] http://www.lecture-ecriture.com/806-Les-paradis-artifi-ciels-Charles-Baudelaire (Consulté le 15.09.2015).
28. DROGUES ET ARTISTES, La drogue un élément de plus en plus présent dans la création artistique [En ligne] http://droguesetartistes.unblog.fr/ii-la-drogue-un-element-de-plus-en-plus-present-dans-la-creation-artistique/ (Consulté le 15.09.2015).
L’écrivain Philip K. Dick ayant dénoncé les méfaits de
la drogue sur l’inspiration et l’écriture, a pourtant écrit ses
textes les plus influents sous prise de médicament, comme
Coulez mes larmes ou Substance Mort.
« Je suis allé droit en enfer […]. Le décor
s’est gelé, il y avait d’énormes blocs rocheux, un
martèlement sourd quelque part, c’était le jour
de colère et Dieu me jugeait pour mes péchés.
Et ça durait, ça durait, des milliers d’années, et ça
n’allait pas mieux, ça ne faisait qu’empirer. J’étais
en proie à une atroce douleur physique et les
seules paroles que je pouvais prononcer étaient
en latin. »29
Dans ce témoignage de Philip K. Dick, nous assistons
au récit de son immersion profonde vers son intériorité et
ses sentiments. Si le rapport entre drogue et exploration est
connu, le rapport entre état de conscience et connaissance
de soi est lui aussi très fort. Jan Kounen dans son film
« D’autres mondes », s’interroge sur notre perception du réel.
Au travers de ce reportage, il nous relate son expérience
après la prise d’Ayahuasca, une plante hallucinogène
répandue en Amazonie péruvienne.
29. DICKIEN, Dickien : qui rappelle les univers de Phillip K. Dick [En ligne] http://www.dickien.fr/ (Consulté le 18.10.2015).
33
A travers ce reportage, il nous explique sa propre
démarche et nous montre d’autres témoignages de
personnes faisant appel à des shamans régulièrement, et
même des médecins occidentaux30 spécialisés sur le sujet.
Qu’ils soient peintres ou chercheurs, leurs
témoignages suite à ces expériences sont frappants. Sans
ces voyages hallucinatoires leur ayant permis d’explorer
une réalité parallèle, ils n’auraient peut-être pas pu capter
ce moment de génie. Comme nous l’explique Docteur Kary
Mullis, prix Nobel de chimie en 1993 avec sa découverte
de la PCR, découverte majeure autour de l’ADN, il accorde
une partie de cette découverte au fait de ses visions
moléculaires, dus aux voyages hallucinatoires provoqués
par le LSD. Les voyages hallucinatoires ont permis depuis
des milliers d’années en Asie d’entrevoir le « double
serpent », à savoir la forme de l’ADN, quand en Occident,
nous l’avons découvert il y a moins d’un siècle. On retrouve
cette forme sur plusieurs dessins et représentations.
30. VAN EERSEL Patrice, La nature est intelligente : et nous ? [En ligne] http://www.cles.com/debats-entretiens/article/la-nature-est-intelli-gente-et-nous (Consulté le 19.11.2015).
Ces témoignages variés, sans aller jusqu’à accorder
leurs découvertes aux voyages hallucinatoires, soulignent
le fait que ce sont des expériences intenses, dans lesquelles
nous trouvons des réponses à nous-mêmes. Jan Kounen
nous explique qu’il a dû aller au fond de lui-même, ses
visions ayant matérialisées ses angoisses.
« C’est un chemin dangereux avec lequel il
faut avancer avec prudence […] J’ai dû retourner dans
la jungle qu’il (le shaman) m’aide à reconstruire la
partie psychologique de mon esprit. Les visions sont
trop fortes, je tente en me convulsant d’échapper à
toute pensée, pour ne pas devenir fou, pour être à
l’instant. [..] J’ai des pensées que je n’ai jamais eu,
l’impression d’accéder à des désirs cachés, à des
pulsions secrètes, les vérités se transforment en
mensonge dès que je les attrape, une cascade sans
fin sur ma mécanique psychique, sur ce que je suis
ou crois être, je ne peux que sentir le sang dans mes
veines et mes muscles, tandis que les visions se dé-
ploient au rythme des chants. Mon identité se dis-
sout dans ces images perçues comme des concepts
cognitifs insaisissables par la pensée. »31
31.KOUNEN Jan, D’autres mondes, France, Ariel Zeitoun et Jan Kounen, 2004, 73 minutes, couleur, reportage (consulté le 15.09.2015).
35
Dans cette démarche, l’important est que les sujets
vont au fond d’eux-mêmes pour comprendre leur relation à
la nature, pour comprendre que tout cela forme un tout et
surtout qu’on en fait intégralement partie. Plutôt que de dis-
socier vie intérieure et vie extérieure, cette démarche vise à
harmoniser les deux. L’accès à cette vie intérieure profonde
ont permis à Jan Kounen, ou Kary Mullis entre autres d’aller à
l’essence d’eux-mêmes, et par là de résoudre des énigmes
universelles par un affrontement d’eux-mêmes. L’affron-
tement de soi est une majeure invariable dans la connais-
sance de soi. Rien que le fait de mener un projet du début à
la fin est un affrontement de soi, par le fait de surmonter la
peur de l’échec, les efforts et sacrifices nécessaires.
Les états modifiés de conscience et compréhension
de son environnement
Les états modifiés de conscience permettent un
affrontement de soi. Quand un patient recourt à l’hypnose
pour arrêter de fumer, ou quand quelqu’un surmonte ses
angoisses dans ses rêves.32 J’ai un ami qui durant des
années faisait un rêve ou un clown courait vers lui puis le
démangeait.
32. VINCENT Jérôme, Le Point, n°2152, novembre 2014, page 18.
Des années plus tard, ce rêve persistait, jusqu’au jour
où il décida que ce serait lui qui allait courir vers le Clown,
et le dévorer. Il ne fit plus jamais ce cauchemar.
Comme nous l’avons vu, la conquête de son for
intérieur est une problématique qui a toujours habité
l’homme. Le but des états de conscience n’étant pas de
s’enfermer définitivement, mais de s’affronter pour s’ouvrir
au monde, percevoir ses apports sur nous, et se nourrir
de notre environnement pour créer, que ce soit au service
des autres ou non. Sans aller jusqu’à ces démarches, qui
peuvent paraître extrêmes pour des cultures comme la
nôtre davantage basés sur la science et qui tend à rendre
explicable le maximum des éléments qui nous entourent,
nous voyons que ce processus tend à une intériorisation aux
limites de la folie parfois dans un premier temps, pour ensuite
accéder à cette réalité parallèle pour comprendre notre
environnement. Intérioriser pour par la suite comprendre
notre environnement, et surtout s’en inspirer pour favoriser
la création et nous offrir au monde. Ainsi, l’exploration de
son monde intérieur fait écho à notre environnement.
37
Notre monde intérieur nous est propre et fait notre
singularité. Nous avons aussi évoqué les mécanismes de
l’introversion. Plus précisément, nous avons évoqué le fait
que l’introversion, qui entraîne solitude et introspection, nous
permettait de conceptualiser le fruit de nos observations.
Par le biais de cette conceptualisation, nous pouvons arriver
à une création, et donc une réelle interaction tangible avec
le monde. Pour interagir avec le monde, il faut participer et
échanger, physiquement ou mentalement. Avant d’interagir
avec, il faut le comprendre, et pour le comprendre, il est
nécessaire de l’observer. L’observation est une démarche
incluse dans la compréhension de l’univers dans lequel
nous évoluons. L’observation est l’action de considérer avec
attention des choses, des êtres, des événements. Mais cela
peut aussi être l’action de se conformer à une règle, une loi
ou un règlement. L’observation amène vers une démarche
intellectuelle, la conceptualisation. La contemplation se
définit par un regard ou considération assidue qui met en
œuvre les sens (visuel, auditif) ou l’intelligence et concerne
un objet souvent digne d’admiration.33
33. CNRTL. Définitions [en ligne]. http://www.cnrtl.fr/definition/contemplation (consulté le 13.03.2015)
L’observation est une démarche complémentaire
de la contemplation. Dans les rêveries du promeneur
solitaire, Jean Jacques Rousseau nous apporte une vision
philosophique de la contemplation au travers des récits
de plusieurs de ses nombreuses promenades. Au cours de
ses rêveries, il décrit précisément ses émotions et ce qu’il
ressent au fond de lui-même. Jean Jacques Rousseau prend le
parti d’écrire sur lui et ses idées, sans s’expliquer auprès de
quiconque. En écrivant de cette manière, c’est-à-dire au plus
près de lui-même, l’auteur vise à créer un sentiment d’empathie
auprès du lecteur qui sera plus enclin à son exploration intérieure.
Ionesco, avec Le Solitaire34 décrit la vie d’un personnage
angoissé et seul qui tend à toujours plus d’isolement et de
réflexions profondes et lointaines qu’il appelle « Cosmos »,
qui tendent à séparer dangereusement le personnage du
monde l’environnant. Ainsi, la contemplation est une part
indéniable de la création, car elle induit des sensations et
nous permet d’aller au-delà de l’intellectualisation de notre
environnement pour réellement le sentir. Observation et
contemplation fonctionnent en cycle, et l’effet sur nous-
mêmes de l’un sans l’autre est amoindri. Ainsi, la possibilité
de comprendre et sentir le monde, que l’on soit introverti
ou non, nous permet d’accueillir ce que la nature cherche à
nous montrer.
34. IONESCO Eugène, Le Solitaire, Paris, Gallimard, 1976.
39
Lorsque Newton a fondé la théorie de la gravité35 en
constatant la chute de cette pomme, il s’est appuyé sur sa
connaissance de la physique qu’il a accumulé durant des
centaines d’heures d’études pour analyser un événement
tout à fait extérieur qui a paru anodin pendant des cen-
taines d’années. Cependant, sans sa connaissance due à un
apprentissage isolé, il n’aurait pas pu interpréter cet évè-
nement. Sans la contemplation de cet évènement extérieur,
aurait-il été capable de théoriser ? D’un point de vue plus
artistique, Pollock a découvert la technique des tâches par
erreur, lorsqu’il entreprenait la réalisation d’un tableau36.
Par erreur, il renversa des gouttes de peintures sur la toile.
Par la suite, il en mit d’autres, puis d’autres, jusqu’à arriver
aux célèbres tableaux présents dans l’imaginaire commun
et dans tous les grands musées du monde. La sérendipité
peut aussi être un élément décisif dans la création, comme
le montre les exemples ci-dessus et d’autres très nombreux.
35. NEWTON Isaac, motu corporum in gyrum, 1684 in The mathemati-cal papers of Isaac Newton – volume VI , Cambridge at the University Press 1974.
36. MOREEUW, Biographie Jackson Pollock [En ligne] http://www.mo-reeuw.com/histoire-art/jackson-pollock.htm (Consulté le 18.11.2015).
Ainsi, nous pouvons dire que l’observation et la
contemplation favorise notre compréhension du monde.
Plus nous le comprenons, plus nous sommes en mesure
d’interagir avec lui. Cette compréhension du monde se fait
aussi par une exploration de soi-même. Que la conquête
de notre monde intérieur soit aidée par des supports exté-
rieurs ou non, l’objectif est de parvenir à une connaissance
de soi suffisante pour comprendre notre environnement, et
ainsi parvenir à conceptualiser par les voies de l’observa-
tion ou la contemplation pour acquérir une singularité de
notre monde intérieur. Ainsi, ces aller-retours entre monde
intérieur et monde extérieur permettent la prise de recul sur
son environnement, pour ensuite conceptualiser afin d’inte-
ragir par le biais de la création.
Intériorité et création.
Comme nous avons pu le voir, la finalité de l’intériorité est
bel et bien la création. En effet, la création est le fruit de
notre observation et de notre interaction avec le monde.
Elle se situe au carrefour de la perception des stimulis ex-
térieurs et des sensations internes. Bien que le mythe du
créateur solitaire soit encré, cette vision de la création n’a
pas toujours été aussi centrée autour du créateur.
41
Dans l’Antiquité, les grecs pensaient que la création au sens
large se compose d’idées présentes dans l’air. Le rôle du
créateur n’est alors pas d’injecter des idées, mais justement
de les saisir. L’important est qu’elles soient en perpétuel
mouvement, permettant à un créateur de s’en emparer, et à
un autre de la compléter, sans jamais se l’accaparer.
Les Open Sources fonctionnent en partie de cette façon,
à la différence que cette atmosphère créatrice est aussi
générée par les créateurs eux-mêmes. Un créateur ouvre
son œuvre afin de l’ouvrir au maximum, et puiser dans
chaque créateur intéressé.
Ingrédients de la création
Cependant, quelle que soit l’époque, créer est la
démarche d’aboutir à la production d’une création, pour
répondre à une capacité : la créativité. Bien qu’il existe
une définition établie de la création et de la créativité, les
processus peuvent être très étrangers les uns des autres
selon les domaines. Prenons l’exemple de la création
musicale. Selon Chilly Gonzales37, la musique était pour lui
sa façon la plus sincère et la plus unique de toucher les
autres.
37. MUSIC-STORY, Biographie : Chilly Gonzales [En ligne] http://www.music-story.com/chilly-gonzales/biographie (Consulté le 18.12.2015).
Pour parvenir à cette fin, Chilly Gonzales commence
son exploration par une improvisation au piano. Ensuite, il
recherche une linéarité, un fil directeur. Enfin, il a besoin de
prendre du recul avec le matériau crée, trouver l’essence
de ce morceau. La mélodie est en sorte un habillage pour
amener l’essence d’un morceau, celle qui nous touchera.
Pour un morceau, la mélodie est donc le matériel
pour nous amener l’essence. L’essence, elle, provient de
l’histoire personnelle ou de notre environnement, ou d’un
évènement qui nous a touchés par rapport à notre histoire,
qu’elle soit personnelle ou nous situant dans un contexte.
Polanski, réalisateur qui a marqué le cinéma international
avec de nombreuses œuvres, comme Répulsion ou plus ré-
cemment Ghost Writer38, a montré le nazisme en Pologne,
son pays d’origine. Le sculpteur Baselitz, d’un point de vue
personnel, qui réalise des sculptures en bois taillées de ma-
nière brut faisant apparaître des troubles du genre.39 Bien
que comme expliquée ci-dessus, la recette semble être
établie, n’oublions pas l’importance de la sérendipité et du
hasard.
38. POLANSKI Roman, Ghost Writer, Pologne, France 2 Cinema, Run-team, 2010, 128 minutes, couleur, DVD.
39. GAGOSIAN, Georg Baselitz [En ligne] http://www.gagosian.com/artists/georg-baselitz (Consulté le 21.06.2015)
43
L’artiste ne trouve pas sa singularité en appliquant
une formule. Pourtant, de nombreux scientifiques essaient
de démontrer que création musicale et algorithmes sont
intimement liés. François Pachet par exemple, qui travaille
chez Sony, a mis au point des Flow Machines, qui permettent,
lorsque l’artiste est en panne d’inspiration, de proposer des
alternatives possibles en respectant le style de l’artiste.
Malgré tout, les processus de création restent variés, et
trouvent leurs bases dans des origines aussi inattendues
que nombreuses.
Prenons Brahms, qui a créé un morceau en s’inspirant
de la prononciation des lettres d’un musicien qui l’inspirait :
« B », « A », « C », et « H ». Yaron Herman, pianiste multi
récompensé (Talent Jazz Adami en 2007, Révélation Instru-
mentale de l’année aux Victoires du Jazz en 2008), explique
qu’il a pu s’inspirer en se basant sur le bruit désagréable et
redondant d’une climatisation d’avion qui lui est peu à peu
apparue mélodique.40
L’art est un ensemble de moyens, de procédés
conscients par lesquels l’homme tend à une certaine fin,
cherche à atteindre un certain résultat.
40. HERMAN Yaron, Improvised piano loveliness : Yaron Herman at TEDGlobal 2013, TED, 2013, Speech [En ligne] http://blog.ted.com/im-provised-piano-loveliness-yaron-herman-at-tedglobal-2013/ (Consulté le 22.06.2015).
On peut parler de plusieurs notions avec ce seul
mot. Tout d’abord, nous trouvons sept qualifications d’art.
La sculpture et l’architecture, le dessin ou arabesque, la
peinture, qu’elle soit représentative ou pure, la musique
dramatique ou descriptive, la littérature et la poésie, le
cinéma et la photographie. Parmi ces sept qualifications,
certaines sont d’une origine qui peut être plus technique.
Par exemple, la peinture à l’ère préhistorique avait pour but
d’expliquer et d’illustrer un fait.
Prenons l’exemple de la peinture. Les visées de la
création en peinture sont très différentes selon les époques.
Bien que des peintures du Moyen-Âge soient considérées
comme œuvre d’art, certaines n’avaient pour fin que d’être
compréhensible pour le peuple, qui ne savait pas lire. A
l’ère de la Renaissance, plutôt que de se vouer à Dieu, les
peintres et penseurs se sont mis à mettre l’Homme au centre
de leur réflexion et de leurs représentations. On redécouvre
d’anciennes techniques permettant d’accéder à un haut
niveau de réalisme. En effet, la technique est précise, on
s’inspire de la connaissance pour créer. La perspective est
scrupuleusement respectée.
45
Pendant l’impressionnisme, on s’intéresse davantage
aux maux de la société, avec Munch, ou Picasso. Pendant
l’expressionisme, il s’agit de représenter un idéal basé
autour de la nature et de la vie sauvage. Dans l’art moderne et
contemporain il s’agit de s’exprimer grâce à son expérience
personnelle, avec les sculptures de Baselitz ou de Chris
Mars.41
Ainsi, l’acte de créer réside dans notre expérience
personnelle, et dans le contexte dans lequel nous avons
évolué. Sans intériorité, la création est impossible. Dans un
contexte artistique, le but de la création n’est pas unique.
Thérapie pour certains, comme pour Bacon et tant d’autres,
exploration, comme Dali et son inconscient, exutoire, avec
Pollock, moyen de se repentir pour d’autres, ou encore
interroger son passé, son histoire … Créer signifie donner
une forme palpable aux fruits de son intériorité, qu’il s’agisse
de musique, ou de peinture. La création est finalement le
support de communication de son monde intérieur au
monde extérieur.
41. CHRIS MARS PUBLISHING, End times of the Armageddonist [En ligne] http://www.chrismarspublishing.com/home.htm (Consulté le 21.06.2015).
L’introversion et l’extraversion sont deux
tempéraments distincts. Bien que nous l’affinions selon notre
expérience, notre tempérament est en partie déterminé à la
naissance. Beaucoup d’amalgames autour de l’introversion
visent à la rendre déviante, malgré ses vertus enviées. La
solitude favorise l’observation et la contemplation, qui
favorise l’introspection et la compréhension du monde.
Ensuite, la prise de recul nous permet de conceptualiser,
pour enfin créer selon notre vision singulière. Bien que créer
soit différent pour chacun, le but reste le même : à savoir
communiquer notre monde intérieur au monde extérieur.
47
49
51
Un modèle culturel et social qui impose
l’extraversion.
Une norme actuelle encrée
Ainsi, nous voyons que notre société a tendance à
rejeter les traits de l’introversion tout en valorisant leurs
effets profitables. Pourtant, être introverti ou extraverti
est une question de tempérament, et découle de nos
expériences propres qui forgent aussi notre personnalité.
Dans la sphère professionnelle, privée et même dans nos
références culturelles, les valeurs autour de l’extraversion
sont souvent bien davantage mises en avant que celles
autour de l’introversion. Bien que nous ne soyons pas
pleinement décideur de notre tempérament, notre société
préfère souvent valoriser l’extraversion. Nous sommes ainsi
jugés en fonction de celles-ci, quitte à pousser beaucoup
d’entre nous à forcer notre nature. Mais en quoi et pourquoi
valorise-t-on les valeurs de l’extraversion ?
Aujourd’hui, selon l’historien Warren Susman, nous
nous situons dans une société basée sur le « culte de la
personnalité »42, et ce depuis la première moitié du XXème
siècle. Aujourd’hui, l’être idéalisé est celui qui est sociable,
prend la parole et donne son avis. Il est à l’aise dans les
groupes et agit avec prestance. Il a davantage d’attrait pour
l’action que la contemplation, est plus fonceur, donc plus
enclin aux décisions hâtives. Il sait bien sûr se mettre en
avant et s’intégrer dans n’importe quel groupe, car il est
totalement tourné vers son environnement. Pour résumer
en un seul terme, il est foncièrement extraverti.
En effet, pour ceux qui sont davantage extravertis,
cette norme n’a rien d’étrange. Mais qu’en est-il des
individus se considérant comme davantage introvertis ?
Sont-t-ils si peu comparé à l’écrasante majorité d’individus
plus extravertis ? Bien que les individus considérés comme
davantage extravertis soient en effet majoritaires, on compte
par exemple 40% de gens s’autoproclamant introvertis (avec
un chiffre en hausse chaque année) aux Etats-Unis43, pays
vecteur du basculement de la « société de valeur » vers une
« société de personnalité »44 comme nous le détaillerons
plus tard.
42. CAIN Susan. La force des discrets, Paris, Librairie Générale Fran-çaise, 2014, page 43.
43. CAIN Susan. La force des discrets, Paris, Librairie Générale Fran-çaise, 2014, page 34.
44. SUSMAN Warren. The transformation of American Society in the twentieth Century, États-Unis, Smithonian Books, 2003, page 196.
53
Ainsi, malgré des profils se voulant de plus en plus
introvertis, notre société occidentale continue de valoriser
largement l’extraversion dans la transmission de ses
modèles.
Comme nous le détaillerons plus tard, ce modèle
est inculqué dès la petite enfance dans les organisations
des classes, et dans la façon dont nous déterminons
« L’interaction avec autrui ». Nous pensons l’interaction avec
autrui comme un échange direct, oral. Pourtant, la définition
de l’interaction se veut plus complète. Il s’agit d’une action
réciproque, action de deux ou plusieurs objets l’un sur
l’autre. Ainsi, ce terme prend en compte d’autres dimensions
que celles que nous lui accordons généralement. Pourtant,
nous valorisons toujours l’échange direct et oral.
Notre modèle de société est basé sur cette
règle. Illustrons ce fait en s’intéressant à la sphère
professionnelle. Aujourd’hui, les structures sont faites pour
favoriser l’échange direct et mettent en avant le fait d’être
« sollicitable » à chaque instant. Bien que dans un processus
de travail il est parfois indispensable et bénéfique de partager
et d’échanger lors de certaines phases, axer la production de
création sur un modèle de collaboration constante n’est peut-
être pas la bonne solution pour tous les profils.
55
Dans le monde de l’entreprise aujourd’hui, l’Open Space
est désormais la référence et apparait comme la solution
aux problèmes de productivité. Bien qu’en France un tiers
des bureaux soient organisés en Open Space, trois quarts
le sont en Angleterre45. Le fait d’avoir un bureau ouvert vers
les autres, ou dans certains cas même pas de bureau attitré,
nous incite à accentuer nos qualités d’extravertis, quitte à
forcer notre nature. Bien que cela puisse être bénéfique pour
certains, cette démarche peut aussi s’avérer exténuante
pour d’autres. Ainsi, il devient plus difficile de se couper du
monde pour réfléchir à une solution et ainsi conceptualiser.
Nous étudierons plus tard pourquoi certaines entreprises
très influentes se tournent vers des organisations permettant
plus d’espace personnel à ses collaborateurs en remettant
en question l’efficacité des Open Spaces.
Extraversion et milieu professionnel
Interrogeons-nous sur l’origine de cet engouement
autour du travail collaboratif. Les open space ont vu le
jour dans les années 1970 aux Etats-Unis et aux Pays-
Bas46. L’objectif était de permettre gain de place, meilleure
communication et un suivi de l’activité de l’entreprise.
45. ABBL. Open Space, paradis de travail ? [En ligne] http://www.abbl.lu/fr/blog/article/2015/05/xxx (Consulté le 15.07.2015).
46. LE TROISIÈME ŒUVRE. L’Open Space, les origines [En ligne] http://letroisiemeoeuvre.com/lopen-space-les-origines/ (Consulté le 14.09.2015).
Ensuite, la volonté de communication s’est largement
accrue dans les années 2000 avec l’explosion d’internet et
ses nombreuses sociétés de la nouvelle technologie et leur
croissance très rapide. Ensuite, ce modèle a été directement
calqué sur des entreprises à la logique très différente. De
nombreux succès tels que Linux47, et Wikipédia sont le fruit
de travail collaboratif. C’est pourquoi nous avons associé
« Collaboration » et « succès », en sortant la recette du
contexte. Bien que collaboratives, les contributions et
remarques se faisaient à distance, à écrans interposés.
Les contributeurs et créateurs, en dialoguant à distance et
de manière immatérielles, abattaient les frontières certes,
mais pas à la manière d’un Open Space. En fait, il n’y a pas
eu de distinction entre interaction en ligne et interaction
physique. Ces interactions en ligne ont permis à de
nombreux introvertis de s’exprimer, en leur laissant le temps
de cibler et lister l’essentiel dans leurs échanges. Ainsi, ils
s’affranchissaient du jugement des autres sur leur façon de
se tenir, leur intonation, leur regard, et d’autres angoisses
liées à la pression du groupe.
47. AGORAVOX. L’histoire de Linux, un système d’exploitation libre qui a 20 ans [En ligne] http://www.agoravox.tv/actualites/technologies/ar-ticle/l-histoire-de-linux-un-systeme-d-43486 (Consulté le 14.09.2015)
57
Ainsi, l’organisation d’une entreprise se veut
foncièrement « pour les extravertis ». Au-delà de l’organisation
spatiale, le modèle de production d’idées favorise aussi les
qualités d’extravertis. Ainsi, le brainstorming est désormais
devenu une méthode classique dans la production. Comme
nous le détaillerons plus tard, le fait d’être au milieu des
autres pour créer peut fausser le jugement et le libre-arbitre
d’une personne.
Extraversion et sphère privée
Ce modèle valorisant l’extraversion ne se limite pas
à la sphère professionnelle. Les célébrités jouent aussi la
carte de l’extraversion avec du partage incessant et des
réactions rapides. De Vincent Cassel à François Hollande,
tous se sont mis « à la mode du Tweet’ ». En effet, la
pression du partage de notre vie via les réseaux-sociaux
nous amène à nous forger une « identité digitale », parfois
loin de la réalité. En effet, certains ont créé leur carrière sur
ces réseaux sociaux.
Prenons l’exemple d’Essena O’Neil, agée de dix huit
ans, qui cumula plusieurs centaines de milliers d’abonnés
sur les réseaux sociaux48. Cette star éphémère s’est retirée
des réseaux car elle prit conscience qu’elle vivait à travers
son image virtuelle et biaisée, idéalisée d’elle-même. En
effet, pour les générations étant né avec cette dépendance
aux réseaux, l’image que l’on donne peut s’avérer plus
impactante dans notre vie que ce que nous sommes
réellement. En effet, de nombreuses « célébrités » plus
ou moins éphémère voient le jour grâce au culte de leur
propre personnalité, allant souvent jusqu’au fantasme de sa
propre image. Ainsi, notre réputation est basée davantage
sur notre capacité à paraître. Cependant, ce culte de la
célébrité et de la réputation prouve que notre société est
à son paroxysme en termes de diktat de l’extraversion. Ce
modèle autour des valeurs de l’extraversion est aussi un
héritage de notre histoire.
48. O’NEIL Essema. Let’s be game changers [En ligne] http://www.lets-begamechangers.com/ (Consulté le 18.11.2015).
59
Origines historiques de l’extraversion
Aussi, pendant l’âge d’or d’Athènes, au Vème siècle
avant J.C, les vertus étaient aussi portées sur des valeurs
d’extraversion et l’art oratoire, avec l’importance des débats
et des discussions publiques constituant les activités
majeures et reconnues. L’exercice de la démocratie était
indispensable pour notre intégration dans la vie de la Cité.
Les Romains aussi accordaient à la vie publique une très
grande importance.
On peut rapprocher mythologie grecque et
extraversion. Jung compare notre posture de l’extraversion
à l’attrait pour le mythe d’Epithémée.49 Prométhée et son
frère Epiméthée sont deux des Titans, fils de Japet et de
Clymène. Ils sont aussi les frères d’Atlas, puni par Zeus et
contraint de porter la voute céleste, ainsi que de Ménoïstos
qui finira foudroyé par les dieux pour le punir de son
arrogance. Etymologiquement Prométhée signifie « celui
qui pense en avance ». Il est doté de ruse et d’intelligence.
Epiméthée signifie « celui qui pense après ». Epiméthée est
en revanche qualifié d’imbécile.
49. LE FIGARO. Santé : la revanche des introvertis [En ligne] http://sante.lefigaro.fr/actualite/2014/01/31/21925-revanche-introvertis (Consulté le 10.10.2015).
Pour les remercier de leur aide dans le combat des
Titans, Zeus leur confère une mission : créer les êtres
vivants et les mortels. Ainsi Prométhée se charge de la
conception de l’homme et Epiméthée celle des animaux.
Ce dernier donne tous les attributs vitaux aux animaux, en
délaissant ceux des hommes. Les animaux ont tout pour
être autonomes : ils peuvent combattre, voler, affronter et
se nourrir. Ainsi, les hommes se sont retrouvés nus et en
position de faiblesse face aux animaux. Bien que Prométhée
conçoive l’homme de manière robuste, les attributs légués
étaient trop faible pour leur assurer la survie. Face à
cette situation, Prométhée, pour rattraper l’erreur de son
frère, décida de voler les arts et le feu aux dieux. Zeus le
découvrant, il enchaîna Prométhée éternellement à un
rocher où chaque jour l’Aigle du Caucase lui dévore le foie.50
Ainsi, nous voyons ici et de manière imagée les méfaits que
peuvent engendrer des réactions impulsives et hâtives.
Dans un contexte plus récent, intéressons-nous à
la crise de Wall Street de 2008. Selon Curry, trader à Wall
Street51, c’est ce qu’il s’est passé durant la crise de 2008 à
Wall Street.
50. PHILOBLOG. Le mythe de Prométhée [En ligne] http://www.philo-log.fr/le-mythe-de-promethee/ (Consulté le 15.11.2015)
51. CAIN Susan. La force des discrets, Paris, Librairie Générale Fran-çaise, 2014, page 145.
61
Les décisions étaient prises par des éléments plus
extravertis, mais le problème est surtout que les individus
« non-extravertis », c’est-à-dire davantage enclin aux
décisions plus posées, plus réfléchies, mais qui prennent
aussi plus de temps à émerger, étaient écartées.
Bien que les valeurs de l’extraversion soient partie
intégrante de notre culture et ce depuis des siècles, la
société évolue selon des modes. La mode actuelle étant
à l’extraversion, de nombreux psychologues ou penseurs
vantent les vertus de l’extraversion. De nombreuses
techniques de développement personnel valorisant
l’extériorisation de ses émotions et l’affirmation de soi ont
vu le jour. Bien que les personnalités extraverties aient fait
leur preuve dans la façon de diriger une entreprise, aucune
étude ne prouve les liens entre extraversion et aptitudes
à diriger. Les deux profils peuvent être très efficaces dans
des postes de direction, selon l’équipe. Prenons pour
exemple l’étude d’Adam Grant, professeur de management
à Wharton. Lui et son équipe étudièrent les résultats d’une
chaîne de pizzeria. Ils ont constaté que lorsque les dirigeants
étaient plus extravertis, les profits hebdomadaires étaient
16% plus élevés … A condition que l’équipe soit passive et
se contente de suivre les ordres stricts de la hiérarchie52.
52. GRANT Adam. Donnant donnant, quand générosité et entreprise font bon ménage, Paris, Village Mondial, 2013, page 46.
Quand l’équipe essayait d’améliorer les procédures
de travail sous la direction d’un patron introverti, la prise
d’initiative accordée à l’équipe a donné des résultats 14%
plus élevés que ceux des patrons extravertis. Bien que notre
culture valorise les qualités de l’extraversion, cela n’a pas
été toujours le cas.
D’une société de valeur à une société de personnalité
En effet, notre société a basculé à un moment
précis de l’histoire. Selon l’historien Warren Susman,
« l’Amérique est passée d’une culture du caractère à une
culture de la personnalité53. » Warren Susman est l’auteur
de Culture as History: The Transformation of American
Society in the Twentieth Century, qu’il écrit dans les
années 1960. Cet historien est un spécialiste de l’histoire
et la culture américaine. Bien que l’essai cité ci-dessus soit
incontestablement le plus connu, il est auteur de nombreux
autres essais traitant de l’évolution de l’Amérique, dont
un sur le libéralisme d’après-guerre. Une personne dans
une culture de caractère endossait des valeurs telles que
le sérieux, la discipline, le respect, le devoir, le travail,
l’honneur, etc.
53. CAIN Susan. La force des discrets, Paris, Librairie Générale Fran-çaise, 2014, page 78.
63
Notre valeur en tant qu’individu était basée sur la
manière dont on se comporte dans la sphère privée que sur
l’image sociale que nous donnions. L’Amérique a basculé
dans une culture de la personnalité avec l’essor du secteur
industriel et l’exode rural massif qui l’a accompagné.
Ainsi, les travailleurs sont passés d’une société basée
sur l’agriculture organisée en villages à un vaste réseau
industriel central urbain.
L’explosion de l’urbanisation allant de pair avec les
offres d’emplois dans les usines situées plus en ville, les
habitants ont progressivement quitté leur village natal et leur
entourage limité au profit de la ville et sa jungle d’inconnus
et de travailleurs. Ainsi, l’Amérique est passée d’un taux
d’occupation des villes de 3% en 1790 à plus d’un tiers en
1920. Les ex-habitants des villages se sont ainsi retrouvés
ainsi en concurrence avec des foules d’inconnus en quête
d’une vie moderne et urbaine. L’explosion urbaine et le faible
taux d’éducation a mené naturellement beaucoup d’anciens
travailleurs du monde rural vers des secteurs ne nécessitant
pas un niveau d’études élevés, à savoir le commerce. Ainsi,
faire bonne impression et se vendre parmi les inconnus est
devenu primordial.
65
C’est au XXème siècle que le terme « personnalité » a
réellement prit son sens. D’autres qualités ont vite habillé
le terme de personnalité ; époustoufler, dominer, attirer,
convaincre, etc. Avec cette culture en plein changement,
les acteurs sont devenus des stars de cinéma, des idoles
véhiculant le nouvel être idéal de la société. Les publicités
ont tout naturellement commencé à axer leurs publicités
sur des valeurs autour de l’image de soi, et en soulignant
l’importance du regard des autres, en mettant en garde
contre leur mauvais jugement, la peur de l’échec social, etc.
Aujourd’hui, les dynamiques sont les mêmes et les angoisses
sociales ancrées. Ces dynamiques sont pleinement encrées
à une façon extravertie de voir le monde, c’est-à-dire en
étant préoccupé que de son environnement et de comment
cet environnement nous caractérise en tant qu’individu.
Ce modèle étant établi aujourd’hui, ses mécanismes sont
transmis et intériorisés dès la petite enfance.
Les mécanismes de l’extraversion
intériorisés dès le plus jeune âge.
Dès le plus jeune âge nous sommes focalisés sur
les valeurs de l’extraversion. Dès la crèche, nous sommes
confrontés à un modèle d’éducation et de vie avec les autres
qui peut être vécu de manière violente. Tous les enfants sont
mis au milieu d’autres et forcés à se mêler aux accepter d’être
stimulés par les autres et leur environnement extérieur.
Cette stimulation, de temps en temps indispensable pour
stimuler l’éveil, peut engendrer une sur-stimulation menant
à l’épuisement chez certains sujets. Les centres aérés
fonctionnent de la même façon. Plus tard, les colonies de
vacances fonctionnent sur ce principe avec les activités de
groupe obligatoires. Et dans un cadre plus studieux, dès
le primaire, de nouveaux types de classes collaboratives
voient le jour. Ces classes tendent à être organisées en
Open Space et selon l’organisation du monde des affaires.
67
Organisation des écoles basées sur l’extraversion
Les traits de l’extraversion commencent à être perçus
comme valorisés contrairement à ceux de l’introversion,
que cela convienne à votre tempérament ou non. Dans de
nombreuses écoles primaires américaines, les rangées
ont données place à des ilots. Ces méthodes s’appliquent
même à des disciplines qui devraient dépendre d’une
réflexion individuelle telles que les mathématiques ou la
composition. Le but dans cette pédagogie est d’apprendre
par le groupe. Il peut-être même parfois interdit dans
certaines écoles de poser une question au professeur si
le groupe n’est pas unanimement d’accord pour la poser.
Dans beaucoup d’universités, ce modèle d’organisation
par groupe s’y applique aussi. Prenons le cas de la Harvard
Business School. Cette école est prise en exemple car 20%
des dirigeants de Fortune 50054 en sont issus, ainsi, on peut
dire qu’une partie de la future gestion du monde dépend
de cette école. Les organisations se veulent axés autour
des travaux de groupe, en niant les effets néfastes que
peuvent avoir le groupe sur notre libre arbitre, comme nous
le verrons plus tard. Les étudiants valorisés sont ceux qui
ont la vie étudiante la plus active.
54. FORTUNE. Fortune 500 [En ligne] http://fortune.com/fortune500/ (Consulté le 14.11.2015).
69
Les mécanismes de l’extraversion sont ainsi
intériorisés par le biais de l’éducation qu’on nous inculque
dans un cadre scolaire, mais aussi par nos références
culturelles et nos modèles que l’on nous propose durant
notre enfance et notre adolescence. Penchons-nous sur
les modèles de série américaine pour adolescents. Avant
l’émergence des « geeks » dans la strate des gens « à qui
ressembler », on y montrait des groupes d’adolescents
entourés d’autres, portés par leur popularité, et donc l’image
qu’ils véhiculaient. Ainsi, nos sphères privées calquent
également ces mécanismes. Par exemple, un enfant ayant
de l’attrait à la solitude en occident aura plus de chances
d’être perçu comme « timide » ou « déviant », qu’un enfant
en Chine, où les qualités de l’introversion sont davantage
valorisées. Outre notre éducation au sens scolaire du terme,
nos modèles culturels et de réussites favorisent l’adoption
de ces mécanismes dans la sphère privée. Dans certains
villages en Chine, on arbore encore des statues d’étudiants
ayant remporté le Jinshi, distinction récompensant les
étudiants les plus assidus. Comme le résume parfaitement
Michael Harris Bond55, « Les américains mettent l’accent sur
la sociabilité et favorisent les caractères permettant une
relation facile et joyeuse. Les Chinois, quant à eux mettent
l’accent sur des qualités plus profondes, sur les vertus et
l’accomplissement moral. »
55. HARRIS BOND Michael. The psychology of Chinese People, Oxford library of psychology, Angleterre, 2010.
En effet, il peut être problématique pour un étudiant
chinois venant en occident ou aux Etats Unis de s’intégrer,
tant les valeurs sont différentes. Pourtant, comme on nous
l’avons vu précédemment, même dans nos cultures de
nombreux talents ont émergés à partir de l’exploitation de
leur timidité, leur doutes, leur réflexion, leur perception du
monde … En un terme, leur introversion. Bien que le rapport
entre introversion et extraversion soit parfois ambigu
comme nous le verrons dans quelques lignes, toujours est-
il que de nombreux talents voient leur tempérament et les
caractéristiques qui y sont liées comme un réel élément de
création.
Mutations en cours
Ainsi, nous assistons à une mutation de la société. En
effet, de nombreuses start-up voient le jour, avec le désir
d’agir selon leur vision propre. Elles mettent en place des
conditions de travail moins conventionnelles et laissant
place aux tempéraments moins extravertis. Une autre
mutation est observable, et en plein essor, plus centrée sur
les travailleurs indépendants, les créateurs et ceux aspirant
à créer une entreprises, consiste en la mise en place
d’espace de coworking, ou de travail collaboratif.
71
Ces espaces qui fleurissent partout dans le monde,
rassemblent des travailleurs indépendants dans un même
endroit. Ainsi, ces travailleurs et entrepreneurs peuvent
échanger sur leurs idées. Plus que l’image sociale, ces
individus peuvent se regrouper leurs valeurs, par choix. Bien
que la création soit favorisée par la solitude et l’intériorité
de chacun, il peut en être autrement pour sa concrétisation.
En effet, de nombreux entrepreneurs subissent des
échecs en raison de la solitude. Le fait de ne pas être
épaulé peut-être décisif dans l’échec de l’entreprise. Il
est souvent recommandé de commencer avec un associé
complémentaire en termes de compétence, mais c’est
surtout quelqu’un qui saura être là pour nous aider à pallier
les nombreuses difficultés rencontrées. Bien que la création
soit favorisée par la solitude et l’intériorité de chacun, il
peut en est autrement pour sa concrétisation.
Ainsi, bien que nous soyons toujours dans une
société de la personnalité, ce modèle pourrait être amené
à changer à terme. Grâce à ces possibilités, de nouveaux
types de travailleurs émergent. Ceux qui sont motivés par
leurs convictions, par leur envie d’indépendance sans se
marginaliser, leur envie de contribuer à la communauté. Ce
modèle tend à casser notre modèle actuel basé autour de
la conformité et de l’image sociale.
L’aide à la création des start-up, les possibilités de
prototypages à bas-coûts, la mise en place d’évènements
pour rencontrer des associés, collaborateurs ou
investisseurs se démultiplient également. En effet, cette
démarche est rendue possible par la découverte de nos
talents propres. La découverte de ces talents elle, est
possible grâce à un accès de notre intériorité. Ainsi, on
peut apercevoir une revalorisation de l’introversion et ses
valeurs dans la création, la production, et sa contribution
au monde. Prenons en exemple la femme entrepreneur,
Charlotte de Vilmorin. Elle s’est inspirée de sa propre
expérience d’handicapée pour mettre au point Wheeliz56,
service de location de véhicules spécialisés. Ainsi, grâce à
son recul sur son expérience personnelle, elle a pu faciliter
la vie de nombreux handicapés.
La chute des masques pour une stimulation
réciproque.
Comme nous l’avons vu, les modèles tendent à
changer. L’essor de l’entrepreneuriat et l’aspiration à suivre
ses propres convictions tendent à briser ce modèle instauré.
56. DE VILMORIN Charlotte. TEDx IESEG Paris Talks : Broaden your mind, La Défense [Conférence], 05.11.2015.
73
Les gens accordent de plus en plus d’importance à
leurs idéaux, et leurs aspirations profondes. Bien que nos
modèles de réussite jouent sur les valeurs de l’extraversion,
comme l’art oratoire, ils s’appuient parfois sur des
partenaires plus introvertis. Prenons l’exemple de Martin
Luther King, un des meilleurs modèles de communication
orale et d’extraversion. Impossible de nier sa capacité
incroyable à animer les foules. Pourtant, le tournant de sa
carrière politique fut permis par Rosa Parks, lorsqu’elle se révolta
dans le bus. Malgré ses apparences douces, elle a pris la décision
d’attaquer aux tribunaux la compagnie de bus qui lui interdisait
de s’asseoir à cette place de « blanche ». Cette décision n’est
pas sans conséquence pour Rosa Parks, en attaquant, elle a
conscience qu’elle perd son mari et son travail, même sa vie est
menacée. Pourtant aux antipodes du héros social de l’imaginaire
commun, ses proches et ceux qui la connaisse n’ont de cesse de
la définir comme quelqu’un de « doux, calme et réservée », soit
aux antipodes du schéma du « héros social », elle prit fermement
cette décision d’attaquer cette compagnie. C’est à partir de
ce moment que le mouvement Montgomery Improvement
Association dirigé par Martin Luther King57 prit un tournant
décisif, et permis un remaniement de la loi en faveur des
noirs, et donc la victoire58.
57. KINGENCYCLOPEDIA. Martin Luther King JR. and the global freedom struggle [En ligne] http://kingencyclopedia.stanford.edu/encyclope-dia/encyclopedia/enc_montgomery_improvement_association.1.html (Consulté le 15.10.2015).
58. BRINKLEY Douglas. A life : Rosa Parks, Penguin Editions, Etats-Unis, 2005.
Penchons-nous désormais sur un autre exemple.
La marque Apple rime avec Steve Jobs dans l’imaginaire
commun. Pourtant, bien que sa contribution et ses
aptitudes oratoires aient indéniablement conduit cette
marque « créée dans un garage » à devenir l’une des plus
puissantes du monde, on oublie souvent de citer l’apport
de Steve Wozniak. Ce dernier, collègue de Steve Jobs,
travaillait chez Helwett Packard et a conçu en grande partie
l’Apple I. Wozniak, grand introverti et timide de nature, allait
tôt le matin à son travail pour lire des revues électroniques.
Sa journée de travail passant, il se remettait à la tâche de
son œuvre : L’Apple I. Après plusieurs mois de travail, il finit
le prototype, seul dans son bureau. Ainsi, que serait devenu
Apple aujourd’hui sans Steve Wozniak ? Sans Martin Luther
King, l’acte de bravoure de Rosa Parks aurait-t-il eu les mêmes
retombées sociales ?
Plaçons-nous désormais dans un autre contexte :
celui de l’essor d’Internet dans les années 1990 et 2000 aux
Etats-Unis. Warren Buffett, un des hommes d’affaires les plus
influents au monde néanmoins réputé pour s’enfermer des
heures seul dans son bureau, prédit l’explosion de la bulle
internet des années 2000. Comme il le stipule lui-même, il a
survécu grâce au fait qu’il a toujours suivi « sa propre feuille
de route ».
75
Quand il parle de sa vie d’investisseur, Warren
Buffett la décrit d’une façon pour le moins atypique : « J’ai
l’impression d’être allongé sur le dos. Au-dessus, il y a
le plafond de la chapelle Sixtine, et moi je peins. J’aime
bien qu’on me dise que c’est une chouette fresque, mais
c’est mon tableau à moi. Alors quand quelqu’un vient me
dire : « J’aurais mis du rouge à la place du bleu », je réponds
« Au revoir ». C’est mon tableau, et je me moque de savoir
combien il se vendra car il ne sera jamais terminé. C’est ça
qui est magnifique.59 »
Notre société valorise l’extraversion et ses valeurs.
Nous pouvons aujourd’hui considérer que nous vivons
dans une société de la personnalité. On juge quelqu’un
à son discours, sa façon de s’exprimer. Organisation qui
se répercute jusque dans nos sphères privées. Avec une
intériorisation du modèle dès le plus jeune âge, de par les
organisations de travail, les loisirs, les critères de jugement
au sein de la sphère familiales. Pourtant, on assiste à
un changement important, des entreprises créent des
conditions de travail différentes, des espaces collaboratifs
ouvrent... Introversion et extraversion sont deux types de
personnalité vers lesquelles on aspire. Chacun ont leurs
forces et leurs faiblesses.
59. Tiré de la biographie de Warren Buffet, L’effet boule de neige : la biographie officielle de Warren Buffet – Alice SCHROEDER Valor 2010
La cohabitation de ces deux tempéraments est
nécessaire à la créativité. Disposant tous d’une part
d’introversion, pourquoi ne pas la reconnaître comme un
élément de la création ?
Notre part d’introversion nous donne des aptitudes telles
que l’observation, la contemplation et la prise de recul
pour une conceptualisation personnelle, emprunte de nos
valeurs, de notre personnalité et de notre vision du monde.
Ainsi, l’introversion favorise l’accès à notre créativité et son
exploration. Partant du principe que nous sommes tous
dotés d’une part d’introversion, pourquoi ne pas lui donner
une réelle place dans le processus de création en général ?
Bien que nous ayons vu que le but de la créativité est
identique d’un domaine à un autre, à savoir proposer une
vision du monde, ses processus pour parvenir à cette
création peuvent être abordés de façon très différente.
Intéressons-nous d’abord à différents processus de création
artistique et essayons d’en tirer les enseignements pour
créer dans d’autres domaines.
77
79
81
L’art et la méthode.
Nous allons nous intéresser à différents processus de
création artistique, afin d’identifier leurs forces. Par la suite,
nous verrons en quoi nous pouvons nous en inspirer pour
créer dans d’autres domaines.
De nombreuses méthodes pour générer de la création
artistique existent. Il s’agit avant tout d’un processus mental,
variant d’un artiste ou groupe d’artiste à un autre. Selon les
mouvements et les époques, les méthodes évoluent et ne
sont pas basées sur les mêmes critères.
Certaines méthodes privilégient la technique. Durant la
Renaissance, les artistes ont redécouvert des techniques
de production alors délaissées pendant le Moyen-Âge.
Nous recentrons l’homme au centre des interrogations
fondamentales, nous redécouvrons les mythes grecs60. Bien
que nombre de peintures correspondent à des commandes,
le souci du détail vient transcender les codes du Moyen-Âge.
Pendant la Renaissance, le réalisme plastique fait surface.
60. GOMBRICH Ernst Hans. Histoire de l’art, Paris, Phaidon, 2006, pages 346-347.
Bien que les Egyptiens utilisent des méthodes de réalisation
de sculpture pointue, avec un souci de réalisme, nous en
retenons souvent ces fameuses figures représentant des
divinités, de profil. Pourtant, il serait une erreur d’associer
ce genre de représentation à une limite de la maîtrise des
techniques artistiques. Ces représentations étaient alors
réalisées pour être compréhensible au plus grand nombre,
tout comme beaucoup de représentations du Moyen-Âge.61
Ainsi, les motivations n’étaient de l’ordre du réalisme du
visuel, mais axées sur une communication efficace.
Pendant la Renaissance, nous redécouvrons ainsi ces
méthodes, et les peintres et artistes se concentrent sur le
réalisme de leur production. En effet, on accorde beaucoup
d’importance au réalisme des textures, des lumières,
ainsi que des dimensions de la scène. L’exploitation de la
connaissance faisant partie de la Renaissance, on s’intéresse
à la géométrie et à la perspective.
61. Musée des Beaux-Arts de Dijon. Les collections Moyen Âge – Re-naissance du musée des Beaux-Arts de Dijon [En ligne] http://mba.di-jon.fr/sites/default/files/doc-pedagogique-moyenage-renaissance600.pdf (Consulté le 10.10.2015).
83
Cette quête de réalisme ne se limite pas à l’ère de la
Renaissance bien sûr. Aujourd’hui, de nombreux artistes
sont guidés par un souci de réalisme. Ainsi, des artistes
tels que Jeff Koons basent leur processus sur la précision
de la réalisation. Détaillons le processus de réalisation de
la peinture Jeff Koons intitulée Tulips62. Jeff Koons élabore
l’idée et le concept de la peinture, selon sa volonté. Ensuite,
il réalise une esquisse détaillée. Une fois cette esquisse
réalisée, il la fait exécuter, à la taille qu’il souhaite, par des
membres de son atelier. Avant de se lancer dans la réalisation
formelle de la toile, les peintres de l’atelier doivent s’assurer
quasi scientifiquement que les tons correspondent à la
volonté de l’artiste et soient quasi photo réaliste. Pour cela,
ils sont aussi assistés de moyens informatiques.
Aussi, d’autres artistes suivent le mouvement du
photoréalisme. Ce mouvement émerge dans le début des
années 1970 aux Etats-Unis63. Se situant en opposition au
mouvement du Pop Art toujours en vogue dans ces années,
les artistes se basent sur des photographies pour rassembler
le maximum de détails et d’informations nécessaires.
62. GUGGENHEIM. Tulips Jeff Koons [En ligne] http://www.guggen-heim-bilbao.es/en/works/tulips/, Bilbao, 2015 (Consulté le 25.11.2015).
63. HYPERREALISME. Définition du mouvement photoréaliste [En ligne] http://www.hyperrealisme.net/photorealisme.html (Consulté le 10.10.2015).
Le terme « photoréalisme » est inventé par Louis K. Meisel
en 1969. Il établit même une définition pour différencier
« photoréalisme » de « réalisme » car ces deux mouvements
partagent quelques aspects, notamment celui de l’inspiration
par le réel et l’environnement. Ainsi, selon Louis K. Meisel,
le photoréalisme comporte cinq points clés64.
Pour accumuler détails et information, l’utilisation de la
photographie est de rigueur.
Un moyen mécanique ou semi-mécanique doit être utili-
ser pour communiquer les informations sur la toile.
Une qualité photographique du travail fini est requise pour
qu’une œuvre s’inscrive dans le mouvement photoréaliste.
L’artiste doit avoir exposé des œuvres en tant que pho-
toréaliste avant 1972, pour être considéré comme un des
principaux photoréalistes.
L’artiste doit avoir consacré au moins 5 ans au développe-
ment et à l’exposition d’œuvres photoréalistes.
Ces processus de création non-exhaustifs sont basés
sur le réalisme de la production.
64. MEISEL Louis K. Photorealism in the digital age, Abrams, Etats-Unis, 2013.
85
Bien que ces processus soient scrupuleusement
planifiés, l’artiste fait néanmoins appelle à sa
singularité et sa personnalité pour concevoir la
composition et le concept. D’autres processus de
création incluent une part plus grand au hasard, et à
l’exploration.
La quête dans la démarche artistique n’est pas
toujours évidente. Il peut être difficile parfois de comprendre
ce qu’on recherche, et où on veut aller.
Ces incertitudes peuvent empêcher l’artiste de
ressentir l’élan créatif pour se lancer et donc aboutir à la
production d’une création. Pour pallier ce phénomène subit
par les artistes depuis des siècles, David Bowie établit une
aide à la créativité basée sur le hasard. Cette méthode a
été créée dans le but de générer des idées. En découpant
des mots dans des articles ou des mots qui lui venaient à
l’esprit, Bowie piochait un papier pour créer ses paroles ou
trouver un thème. Cette technique a donné lieu à la création
d’un logiciel, le Verbazier65.
65. BUCKLEY David. David Bowie, Flammarion, France, 2015.
Plus loin encore, Bach aussi créa un système pour
générer des idées de composition à l’aide d’un dé. La notion
de découverte par le hasard à plusieurs est aussi exploitée
dans l’art66.
Intéressons-nous à une autre technique, celle du
cadavre exquis. Il s’agit d’un exercice de créativité collectif
et ludique mit au point par les surréalistes en 1925. Parmi les
artistes s’étant essayé à cet exercice figurent André Breton,
Frida Kahlo, Paul Eluard et beaucoup d’autres influents de la
scène de l’art de cette époque. Le principe est de créer un
poème ou un dessin en groupe. Chaque participant écrit,
esquisse ou dessine un élément qu’il passe au suivant en
cachant le papier de sorte que le suivant ne puisse pas
s’inspirer du précédent. Une fois le jeu terminé, une histoire
est créée. D’ailleurs, « cadavre exquis » vient de la première
phrase créée par ce procédé : « Le cadavre exquis boira le
vin nouveau. »67
66. SAURISSE Pierre. La mécanique de l’imprévisible, Harmattan, Paris, 2007.
67. NADEAU Maurice, Histoire du surréalisme, Points, Paris, 1970.
87
En terme de création partagée, la méthode « DEMO
or Die » voit le jour en 1985 grâce à Nicholas Negroponte68,
informaticien américain, professeur et chercheur au MIT.
Egalement créateur du Media Lab du MIT lors de la même
année, il s’intéresse à l’usage des supports d’expressions
du futurs. Aujourd’hui dans de nombreux processus créatifs,
cette méthode s’axe sur le partage des savoirs, et est très
fécond dans le domaine des arts.
« DEMO » désigne « une production qui implique différents
médias dans un but esthétique, tout en confirmant un savoir-faire
technique »69. Comparable à la maquette en architecture
ou le storyboard au cinéma, l’objectif de cette méthode
n’est pas d’obtenir un résultat définitif, mais d’explorer le
potentiel et le champ d’action d’une hypothèse ou d’une
proposition. Pouvant être aussi bien utilisée de la phase de
conception jusqu’à la diffusion de l’œuvre, cette méthode
joue un rôle d’historique sur chaque étape. Ainsi, cette
méthode a pour fonction de structurer le processus créatif
tout en accordant une place au hasard, et surtout en laissant
l’artiste ses aptitudes à explorer.
68. SLICE OF MIT. Deploy or Die – Media Lab director’s New Motto [En ligne] https://slice.mit.edu/2014/07/29/deploy-or-die-media-lab-direc-tors-new-motto/ (Consulté le 25.11.2015).
69. TRUDEL Gisèle. La recherche-création : territoire d’innovation mé-thodologique, 2014, Québec [En ligne] http://www.methodologiesre-cherchecreation.uqam.ca/?page_id=571 (Consulté le 25.11.2015).
Comme nous l’avons vu avec Pollock plus tôt dans
le déroulé de ce mémoire, celui-ci a trouvé son réel style
par la sérendipité70. Ainsi, il a laissé agir l’incertitude, et
a accordé une part au hasard pour servir la création. Le
hasard ayant favorisé de nombreuses créations artistiques,
certains artistes intègrent dans leur processus des aspects
hasardeux. Par exemple, l’artiste contemporain Pierre
Soulages inclut une part du hasard dans la réalisation de
ses tableaux, et agit par la suite en fonction de ces résultats
volontairement inattendus71.
Inclus dans un processus, c’est en cela que le hasard
se différencie du chaos. En le structurant et en le laissant
agir lors de moments clés dans le processus, il peut s’avérer
bénéfique. En impliquant du hasard dans le processus
créatif, nous parvenons à explorer sa créativité en accordant
aussi un espace à son instinct.
Bien que d’aspects les processus de création
artistiques peuvent paraître différents, les aptitudes
investies comme explorer sa créativité et suivre son instinct
sont bénéfiques dans l’avènement de la production d’une
création seul ou à plusieurs.
70. HARRIS Ed, Pollock, New-York, Ed Harris, 2000, 123 minutes, couleur, DVD.
71. ADLER Laure. Hors champ : Pierre Soulages, diffusée le 28 mars 2011, France Culture.
89
Pour explorer sa propre créativité et son intériorité,
beaucoup d’artistes ont fait le choix d’incorporer une part
de hasard dans leur processus de création. Paradoxalement,
on cherche souvent à suivre scrupuleusement des
méthodes de création dans d’autres domaines de notre vie
professionnelle. En quoi cette rationalisation impacte-t-elle
la création ? Intéressons-nous désormais aux démarches
créatives dans le milieu professionnel.
L’entrepreneur versus le créateur.
La plus célèbre, le fameux Brainstorming, imaginée
par Alex Osborn72. Cette technique consiste en la génération
d’un maximum d’idées. Elle est basée sur le jugement
différé, qui consiste à énoncer un maximum d’idées sans
évaluer leur faisabilité ou les juger dans un premier temps.
Cette étape est communément nommée la pensée créative,
ou pensée divergente. On énonce des idées et on rebondit
sur celles des autres pour en faire émaner des nouvelles. La
deuxième étape est la pensée critique. Cette fois, on trouve
des idées qui sont susceptibles de répondre au mieux à la
problématique, et ainsi de fournir les meilleures solutions.
72. OSBORN Alex. L’imagination constructive : Principes et processus de la pensée créative et du brainstorming, Dunod, Paris, 1948.
Ensuite, la méthode du Mind-Mapping, de Tony Buzan.
Le principe consiste à cartographier des idées et concepts
abstraits pour ensuite les mettre en relation. Cette méthode
requiert une approche heuristique. Cette dernière se base
sur des règles empiriques, c’est-à-dire en se fondant sur
l’expérience, l’analogie et l’association. Cette approche
s’émancipe de principes scientifiques permettant une
approche plus intuitive des acteurs73.
Puis, la technique SCAMMPERR, d’Alex Osborn et
revisitée par Bob Elberne. Cette technique a pour but
d’examiner une idée sous plusieurs angles en le soumettant
à une liste d’opérations à effectuer. L’idée est de générer
de nouvelles idées ou transformer les idées ou produits
déjà existants. Chaque lettre de l’acronyme « SCAMPERR »
correspond donc à une opération. S pour substituer, C pour
combiner, A pour adapter, M pour magnifier, M pour modifier,
P pour produire, E pour éliminer, R pour réorganiser et enfin
R pour renverser74.
Appelons ces opérations des étapes. L’étape
« substituer » consiste à mettre un élément à la place d’un
autre.
73. CREATIVITE. Techniques de créativité [En ligne] http://www.creati-vite.net/techniques-de-creativite/ (Consulté le 25.11.2015).
74. Ibid.
91
L’idée est de comprendre ce qui peut être remplacé, et
par qui ou par quoi. L’étape « combiner » revient à fusionner
deux concepts ou idées afin de tester la possibilité de
multiplication d’usage ou la fusion de deux activités. L’étape
« adapter » consiste à positionner son concept dans un
autre contexte, dans l’objectif d’éventuellement s’inspirer
des productions passées. L’étape « magnifier » consiste
à réfléchir à ce qui peut être ajouté à un produit ou un
concept, comme du temps, de la force, de la hauteur, etc.
L’étape « modifier » invite à réfléchir sur le changement de
la signification, la couleur, la forme ou autre aspec t variant
selon le produit ou le concept. L’étape « produire » vise à
proposer de nouveaux usages ou modifications. L’étape
« éliminer » consiste à éradiquer ce qui n’est pas nécessaire
dans un concept ou produit. Ensuite, l’étape « réorganiser »
consiste à définir un nouvel ordre des étapes. Enfin, l’étape
« renverser » consiste à éventuellement tromper les attentes,
en proposant de nouvelles séquences d’usages75.
La technique analogique, ou technique des six
chapeaux, a été établie par Edward de Bono. Il s’agit d’une
technique de créativité qui est valable à plusieurs, mais
aussi seul.
75. Ibid.
Cette technique a émergé suite au constat que
les réunions de groupes puissent être frustrantes et peu
fructueuses. Cette technique a pour vocation d’éviter
censure et critiques hâtives. Ces six chapeaux correspondent
à six modes de pensée76.
Le chapeau blanc correspond à la neutralité. Lors de
cette étape, on évoque les chiffres, les faits, et les choses
tangibles et objectives. Le chapeau jaune représente la
critique positive. C’est le moment où on fait des commentaires
constructifs et positifs. On peut rebondir sur les idées des
autres, même aller dans l’utopie. Pendant cette étape,
on se projette selon son imagination et on est optimiste.
Ensuite, le chapeau rouge. Celui-là symbolise la critique
émotionnelle. Cette étape permet d’exprimer son avis, ses
sentiments et son intuition. Cette étape est intéressante car
même si la méthode est réalisée en groupe, elle s’intéresse
à l’individualité de chacun. Le chapeau vert renvoie à la
créativité. L’objectif est d’émettre de nouvelles idées, des
solutions et de penser « outside the box ». Le chapeau bleu
correspond à l’organisation. Il s’agit de l’ultime étape, ou
l’animateur de la réunion (si cette méthode est réalisée en
groupe) joue le rôle de l’arbitre en canalisant les idées et
créer les échanges entre les différents chapeaux.
76. Ibid.
93
Cette technique permet ainsi de parler d’un sujet
étape par étape, guidant ainsi les différents acteurs
suffisamment pour favoriser la créativité. En tout cas, c’est
certainement ce que penserait Thomas Stearns Eliot, poète,
dramaturge et critique littéraire américain qui reçu le prix
Nobel de littérature en 1948. Selon lui, un minimum de cadre
est nécessaire à la créativité.
« Forcée à fonctionner dans un cadre strict,
l’imagination tourne à plein régime, et produit ainsi
ses idées les plus riches. Sans aucune contrainte, le
travail risque de s’éparpiller. »77
Parmi ces méthodes, la plus célèbre est la technique
du Brainstorming. Depuis quelques années, toutes les
entreprises en quête d’innovation l’adaptent, parfois
brutalement, en formant parfois très rapidement leurs
employés à cette méthode qui se trouvent déroutés.
Pourtant, l’efficacité de cette méthode est contestée, ainsi
que la mise en collaboration permanente. Entrepreneur
prolifique de la première moitié du XXème siècle, Osborn mit
au point cette méthode à la suite du constat que ses propres
équipes manquaient de créativité.
77. OUT-THE-BOX. 9 citations sur la créativité à lire absolument [En ligne] http://www.out-the-box.fr/9-citations-sur-la-creativite-a-lire-ab-solument/ (Consulté le 25.11.2015).
Cette technique perçue comme efficace aux yeux
de nombreuses entreprises, fut appliquée rapidement. Or,
quelques années plus tard, des études commencent déjà
à prouver l’inefficacité de cette technique. Le professeur
de psychologie Marvin Dunnette organisa une séance de
brainstorming avec des profils plus introvertis78, à savoir des
scientifiques, et moins habitués à ce genre de processus. En
effet, dans vingt-trois des vingt-quatre groupes qu’il avait
constitué, les membres eurent plus d’idées en travaillant
seuls qu’en groupe. Les études plus récentes ont prouvé
que les résultats sont moins significatifs à mesure que la
taille du groupe augmente. Bien que le brainstorming soit
indéniablement un vecteur de lien entre les gens, il n’en
reste pas moins un échec concernant l’émergence d’idées.
On trouve trois explications à ce phénomène. Le premier
est la paresse sociale, en d’autres termes certains laissent
les autres travailler.
Ensuite, la deuxième explication est la production
bloquée. Les autres attendent tandis qu’un individu
s’exprime. Et enfin, la plus évidente est celle de la peur du
jugement.
78. DUNNETTE Marvin, CAMPBELL Marvin. The effect of group participa-tion on brainstorming effectiveness for 2 industrial samples, Journal of Applied Psychology, Vol 47, février 1963, pages 30-37.
95
En effet, l’influence du groupe est la plus évidente
cause d’inefficacité de cette méthode. Dans le cadre d’une
étude, le psychologue Solomon Ash réunit des groupes
étudiants et leur fit passer un test visuel. En silence, laissant
à chaque étudiant leur propre jugement, 95% d’entre eux
ont obtenu les résultats justes. Dans la deuxième partie
de cette étude, il introduit des acteurs, qui ont donné
ensemble et avec assurance la mauvaise réponse. Les
étudiants n’étaient plus que 25% à répondre juste à ce
test simple. Le neurologue Gregory Berns79 tente en 2005
d’apporter une explication à ce comportement. Il réunit une
trentaine de volontaires de sexes confondus, agés de dix-
neuf à quarante ans. Lui et son équipe ont montré à chacun
d’entre eux deux objets distincts en trois dimensions sur
un écran en leur demandant si le premier objet pouvait
pivoter pour s’accoler au second. Par le biais de l’IRM, ils
ont découvert que lorsque les volontaires effectuaient le
test seul, l’activité du cerveau se répartissait entre le cortex
occipital, le cortex pariétal, et le cortex frontal. Ces zones
du cerveau sont respectivement associées à la perception
visuelle, spatiale, et la prise de décision consciente. Lors de
ce test en groupe, il s’est avéré que les régions du cerveau
liées à la perception ont été plus sollicitées que les zones
liées à la prise de décision.
79. BERNS Gregory. Iconoclast : A neuroscientist reveals how to think different, Harvard Business Review Press, Cambridge, 2009.
En d’autre termes, la pression du groupe modifie la
perception que l’on a d’un problème : si le groupe décide
que la réponse A est la bonne, on a donc tendance à aller
dans ce sens. Pourtant, le groupe pensait que cette réponse
s’était imposée au groupe grâce au bon sens et le libre
arbitre de chacun.
Les organisations actuelles des entreprises axées
sur la collaboration et l’ouverture constante aux autres
est remise en cause. Certains avantages sont décisifs
pour les entrepreneurs dans l’application de ce modèle,
comme le gain de place et une meilleure circulation de
l’information. Aussi, deux tiers des employés estiment
que leur environnement de travail répond à leurs besoins
professionnels essentiels, et sur dix employés, six estiment
qu’une disposition en Open Space favorise le sentiment
d’appartenance à une communauté. Malgré ces points
importants à la pérennité d’une entreprise, la productivité
en Open Space interpelle.
En effet, 47% des employés jugent que leur
environnement de travail ne leur permet pas d’être
productifs, quand seulement 50% pensent que leur
environnement favorise la créativité80.
80. CBRE. Work+Place : nouvelles statistiques sur l’openspace [En ligne] http://www.cartonspleins.fr/workplace-nouvelles-statis-tiques-sur-lopenspace/ (Consulté le 21.11.2015).
97
Sur 100 employés, 39 déclarent qu’ils manquent
d’espaces pour s’isoler et faire des pauses. Le défaut
majoritaire pour les organisations en Open-Space reste le
niveau sonore81. 73% déclarent être perturbés à cause des
nuisances sonores. Le sentiment d’être espionné, de pouvoir
être dérangé à tout moment et du coup devoir constamment
exagérer ses traits extravertis favorisent l’hypertension et le
stress, et ainsi le phénomène du burn-out. Environ 12% de la
population active francaise serait sous la menace d’un burn-
out, les cadres représentant 19%82. Selon Christina Maslach,
psychologue reconnue spécialisée dans les domaines de
l’épuisement et du stress au travail, le burnout s’articule
autour de trois symptômes fondamentaux.
« Le premier est un épuisement physique et
mental: les gens sont vidés, au bout du rouleau. Le
deuxième, c’est l’atteinte massive émotionnelle,
quand les individus sont comme carbonisés, sans
émotions. Vient enfin le sentiment d’inaptitude. Il faut
que les trois soient réunis pour que l’on puisse parler
de burn out. Autrement, on est dans une autre forme
de souffrance, comme la dépression. »83
81. BFMTV. Salariés en open space : l’enfer c’est les autres [En ligne] http://rmc.bfmtv.com/emission/salaries-en-open-space-l-enfer-c-est-les-autres-927942.html (Consulté le 21.11.2015).
82. LE FIGARO. L’explosion des cas de « burn-out » inquiète les médecins du travail [En ligne] http://www.lefigaro.fr/em-ploi/2014/12/05/09005-20141205ARTFIG00095-l-explosion-des-cas-de-burn-out-inquiete-les-medecins-du-travail.php (Consulté le 21.11.2015).
83. MASLACH Christina. Burn-Out : Le syndrome d’épuisement professionnel, Les Arenes Eds, Paris, 2011.
99
Bien sûr, ces effets ont un coût. Les dépenses
publiques occasionnées par le stress au travail représentent
environ deux à trois milliards d’euros84. Un des problèmes
majeurs est surtout l’espace vital. Ainsi, de plusieurs
entreprises changent leurs organisations. Bien sûr, le stress
au travail n’est pas dû uniquement à ce type d’organisation,
il est aussi dû à la peur du chômage et les objectifs de
productivité. Matthew Crawford, docteur en philosophie,
passa six mois dans un think-tank politique. Il démissionna et
décida d’ouvrir un atelier de réparation de motos. Il explique
ce changement par une perte de sens dans son travail :
«j’ai touché une nouvelle forme d’aliénation, exécuter des
tâches qui n’avaient, littéralement, aucun sens.» Pour tenter
de retrouver du sens à sa tâche et à soi-même, la méditation
est de plus en plus répandue dans les entreprises. Aux Etats-
Unis, la pratique de la méditation « de pleine conscience »,
expression traduite de l’anglais « mindfulness », vise à nous
reconcentrer sur l’instant. Selon la psychologue Sibylle von
de Fenn, « La méditation passe par l›attention portée à son
corps, et notamment à la respiration et à nos sensations
corporelles »85.
84. L’EXPRESS. Burn-Out : Sait-on vraiment de quoi on parle ? [En ligne] http://www.lexpress.fr/emploi/gestion-carriere/burn-out-sait-on-vrai-ment-de-quoi-l-on-parle_1638873.html (Consulté le 25.11.2015).
85. L’EXPRESS. La méditation au travail, nouvelle arme anti-stress ? [En ligne] http://www.lexpress.fr/emploi/gestion-carriere/meditation-com-ment-la-pratiquer-au-travail_1572555.html (Consulté le 25.11.2015).
Ainsi, il semblerait que les dynamiques tendent à
remettre l’homme et son intériorité au centre.
Sans aller jusqu’à une remise en question
fondamentale sur soi, certains dirigeants, comme Jason
Fried, cofondateur de la société d’applications web
37Signals86 a choisi une organisation tout à fait opposée avec
les standards actuels : l’organisation passive. Ses employés
ne sont pas tenus de venir au bureau, et ont surtout la liberté
de choisir leur lieu de prédilection pour créer. Dans un autre
pays, dans un café, ou chez eux. Pour beaucoup d’écrivains,
designers, artistes et autres professions créatrices, il s’avère
qu’ils apprécient être à de multiples endroits … Tant que ce
n’est pas leur bureau. Ainsi, leur bien-être est favorisé. Des
entreprises très influentes se voient remettre à jour leurs
standards en termes d’organisations de travail. Parmi elles,
nous trouvons Google, et Facebook. Ainsi, sur le campus
du Menlo Park en Californie, Facebook a mis en place des
espaces plus intimistes pour favoriser concentration et
isolement temporaire. Chez Google, à Tel Aviv, des espaces
plus restreints ont aussi vu le jour.
86. 37SIGNALS. Two big announcements [En ligne] https://37signals.com/ (Consulté le 26.11.2015).
101
Sans changer leur organisation, certaines entreprises
acceptent de nouveaux modèles de travail. Cependant, pour
pallier cela, de plus en plus d’employés ont recours à des
formes de travail différentes. Le télétravail est la plus répandue
parmi ces formes de travail particulières. Aujourd’hui, pas
loin de 12% des employés des multinationales travaillent
sous cette forme, soit deux millions de travailleurs87. Cela
dit, ce chiffre reste largement inférieur aux pays anglo-
saxons et scandinaves, qui comptent entre 20 et 35% de
leurs employés sous cette forme88. En effet, le fait de pouvoir
jongler plus aisément entre vie familiale et professionnelle
séduit.
Tout comme le fait d’être plus indépendant. Ce
modèle est apparu dans les années 1950 grâce aux
travaux du scientifique Norbert Wiener89. Pourtant, c’est
seulement dans les années 1990 que les pouvoirs publics
commencent à s’intéresser à ce mode d’organisation. Le
télétravail gris est une part majoritaire de ces travailleurs.
Il désigne le télétravail occasionnel, ne recourant à aucune
contractualisation spécifique et officielle.
87. ANACT. Le télétravail : où en est-on en 2014 ? [En ligne] http://www.anact.fr/web/actualite/essentiel?p_thingIdToShow=35021612 (Consulté le 25.11.2015).
88. GUEMMI Stéphanie. Quand open space tue productivité [En ligne] http://www.atlantico.fr/decryptage/quand-open-space-tue-producti-vite-stephanie-guemmi-770456.html (Consulté le 22.11.2015).
89. WIEMER Norbert. Cybernétique et société : l’usage humain des êtres humains, Points, Paris, 1971.
En effet, pour certains chefs d’entreprises la notion
de télétravail est largement acquise et est appliquée pour
des employés plus nomades tels que les commerciaux ou
les techniciens. Bien que cette pratique augmente, elle
reste encore très minoritaire, et parfois méconnue aux yeux
des chefs d’entreprise.
Les espaces de coworking permettent aussi à des
travailleurs seuls de se regrouper pour pallier aux effets
néfastes que peuvent avoir la solitude dans la concrétisation
de l’idée. La méditation au travail et aussi en plein essor.
Aux Etats-Unis en Allemagne ou en Suède, les employés
peuvent méditer. L’objectif est de favoriser la prise de recul
et faire baisser son niveau de tension. Retrouver du sens
dans son travail est aussi la quête de la méditation. Selon
Sebastien Henry, ancien entrepreneur s’étant converti à la
méditation explique sa démarche par le fait que selon lui, le
« capitalisme contemporain, [s’est] coupé du monde de la
sagesse qui existe depuis des milliers d’années »90.
90 HUFFINGTONPOST. Méditation au travail : pourquoi les diri-geants, chefs d’entreprise et entrepreneurs doivent s’y mettre ? [En ligne] http://www.huffingtonpost.fr/2014/11/17/meditation-travail-di-rigeants-chefs-entreprise-entrepreneurs_n_6133290.html (Consulté le 23.11.2015).
103
L’intériorité de chacun semble prendre de plus en
plus de place dans le processus de création. Pourtant, en
cherchant à rationaliser les démarches créatives, nous
amenuisons notre apport personnel dans la création. Nous
commençons à nous rendre compte que les méthodes de
travail s’axant sur du collaboratif constant peuvent s’avérer
pas aussi productives qu’on le pensait. Les modèles et
les usages tendent à changer. En plus de s’affranchir d’un
jugement basé sur le comportement, l’art oratoire ou d’autres
traits de l’extraversion, notre intériorité, notre singularité et
donc notre bien-être se veulent de plus en plus valorisée.
Ainsi, l’éducation devrait encourager les futurs membres
actifs à s’inscrire dans ce changement structurel, en ayant
pour objectif le développement de la créativité. Pourtant,
cela n’est pas toujours le cas.
L’éducation façonne la créativité .
En effet, si la créativité est innée, son exploitation ne l’est
pas forcément. Etant donné que la créativité est un pilier
indispensable à notre évolution, on pourrait croire que la
recherche de ses talents est primordiale pour l’éducation.
Dans les modèles les plus répandus, il n’en est rien. Nos
modèles d’éducation actuels visent finalement à former
de futurs éléments d’entreprise, négligeant la capacité de
créativité. En effet, nous sommes dans une société où seule
l’intelligence académique est valorisée. En effet, cette façon
de penser visent à promouvoir les matières scientifiques,
tels que les mathématiques et les sciences au profit des
matières plus artistiques visant à développer la créativité
et la personnalité. De plus, la mise au profit de ce type
d’intelligence ignore le fait que le talent, propre à chacun,
est vecteur de création. Mais aussi, ce système fournit de
plus en plus de personnes diplômées, nous menant à une
« inflation académique », comme dirait Ken Robinson91.
91. ROBINSON Ken, Trouver son élément, Play Bacs Eds, Paris, 2013.
105
Ken Robinson est auteur, orateur et expert en
éducation. Il est reconnu aux yeux du monde entier pour
ses idées en faveur de la créativité, notamment dans
l’éducation. Il fut professeur d’art à l’Université de Warwick
puis fut fait chevalier par la reine d’Angleterre en 2003 pour
« services rendus à l’éducation ». Beaucoup de gens créatifs
ignorent l’être, ou pire pensent ne pas l’être du tout, visant à
séparer les « gens créatifs » des « non-créatifs ». Selon Ken
Robinson, ce phénomène est dû au fait que l’éducation soit
focalisée sur les résultats et l’évaluation.
Or, cette notion d’évaluation paralyse la création, et
focalise les élèves sur l’apprentissage pur plutôt que sur la
curiosité et l’envie de découverte. En basant l’éducation sur
un modèle dictant que le plus important sont les capacités
académiques et oratoires, elle valorise certains aspects
d’uniquement trois types d’intelligences. L’intelligence
logico-mathématique et l’intelligence interpersonnelle.
La première désigne des capacités intellectuelles
telles que la logique, l’analyse, et la résolution de problème.
Cette forme d’intelligence permet d’analyser les causes
et les conséquences d’un phénomène. La seconde est
l’aptitude à agir et réagir avec les autres de façon correcte.
Elle permet l’empathie, la coopération et la tolérance.
Or, il en existe cinq autres. L’intelligence linguistique
consiste à utiliser le langage pour comprendre les autres et
s’exprimer. L’intelligence musicale est la capacité à penser
en rythme et en mélodie, de créer et de mémoriser et la
sensibilité au langage musical. L’intelligence visuelle spatiale
est celle qui permet d’élaborer une représentation spatiale
du monde. Par exemple, les Amérindiens ont développé cette
intelligence en vivant dans la forêt. Ensuite, l’intelligence
kinesthésique est l’aptitude à se servir de son corps pour
communiquer dans la vie quotidienne, dans un contexte
artistique, faire des exercices physiques ou pratiquer des
sports. L’intelligence naturaliste est la capacité de classifier
et d’utiliser ses connaissances sur l’environnement naturel.
En plus de ne pas vraiment valoriser ces autres types
d’intelligence, le système d’éducation bride clairement la
capacité de création, car elle ne favorise pas l’exploration
de soi-même et par là empêche l’émergence de talent92.
92. SIAUD FACCHIN Jeanne. Trop intelligent pour être heureux ?, Odile Jacob, Paris, 2013.
107
De plus, En multipliant les organisations axées sur la
collaboration permanente dans les classes, le processus
pour trouver son talent et ainsi créer tend à s’éloigner
et devenir toujours plus flou. Pourtant, il a été prouvé
que l’excellence, soit son talent et son individualité, est
difficilement accessible dans une organisation de groupe
permanente. Comme en témoignent les travaux d’Anders
Ericsson93, chercheur en psychologie. Constatant de sa
propre expérience qu’aptitudes scolaires et talents n’étaient
pas liés lorsque le pire élève de sa classe au lycée se mit à
le battre subitement, au fur et à mesure des années il vint à
se demander comment certains parviennent à l’excellence
dans un domaine. Il fit son expérience sur plusieurs groupes
de violonistes de la prestigieuse Académie de Musique de
Berlin.
Il en tira trois groupes. Les meilleurs violonistes,
ceux qui étaient voués à une véritable carrière, les bons
violonistes et enfin un troisième groupe se destinant à
l’enseignement. En les interrogeant, il conclut que les trois
groupes passaient pourtant autant à jouer, à savoir une
cinquantaine d’heures par semaine.
93. ERICSSON K.A. The role of deliberate practice in the acquisition of expert performance, The American Psychological Association [En ligne] http://projects.ict.usc.edu/itw/gel/EricssonDeliberatePractice-PR93.pdf Etats-Unis, 1993.
Les deux meilleurs groupes passaient en revanche
plus du double du temps à s’entraîner dans la solitude,
plus exactement trois heures et demie par jour contre un
peu moins d’une heure et demie pour le troisième groupe.
Les plus talentueux estimaient l’entrainement seul comme
l’activité la plus importante dans leur pratique musicale,
associant la pratique en groupe à du loisir. Pour comparer
au domaine du jeu des échecs, les grands maîtres passent
près de cinq milles heures à pratiquer, soit cinq fois plus que
les joueurs de niveau intermédiaire. Ce constat est aussi
applicable aux sportifs de haut niveau, même s’ils jouent en
équipe. La solitude permet de se plonger dans ce genre de
discipline stricte et de puiser au fond de soi cette volonté
permettant d’atteindre cette excellence.
Tout comme la méditation au travail, la méditation à
l’école remporte de plus en plus les suffrages. Pour pallier
au problème de la fatigue des élèves ou les difficultés
d’apprentissage rencontrées par un grand nombre
d’enfants, quelques pédagogues et spécialistes se sont
intéressés au sujet.
109
Selon le magazine Cerveau & Psycho,
« La méditation de pleine conscience
est une pratique faite d’exercices consistant
à préciser, en silence et dans l’inaction, sa
conscience de différentes perceptions,
sensations ou pensées94. »
En d’autres termes selon Christophe André, médecin
psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne à Paris et professeur à
l’Université Paris Ouest,
« la pleine conscience est la qualité
de conscience qui émerge lorsqu’on
tourne intentionnellement son esprit vers le
moment présent95.»
94. CERVEAU&PSYCHO. La méditation de pleine conscience [En ligne] http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages/a/article-la-meditation-de-pleine-conscience-25784.php (Consulté le 19.11.2015).
95. ANDRE Christophe. La méditation de pleine conscience, Cer-veau&Psycho, n°41, septembre 2010.
Il existe peu d’ouvrages recueillant les
expérimentations menées en matière de méditation de
pleine conscience dans les écoles. On évoque fréquemment
l’étude de Schonert-Reichl & Hymel datant de 200796 et
celle de Schonert-Reichl & Lawlor datant de 201097 et
celle publiée dans les Comptes rendus de l’Académie des
sciences américaine (PNAS) coécrit par Matthieu Ricard98.
Dans le cadre de ces études, des expérimentations ont été
réalisées auprès de différentes classes, de professeurs ou
d’enfants hyperactifs.
Les premières expérimentations de méditation dans
les écoles ont eu lieu aux Etats-Unis, plus précisément dans
des quartiers sensibles, à partir des années 1950.
96. HYMEL Shelley, SCHONERT-REICHL Kimberly. Educating the heart as well as the mind [En ligne] http://www.cea-ace.ca/sites/default/files/EdCan-2007-v47-n2-Schonert-Reichl.pdf, Education Canada, Vol.47, 2010.
97. SCHONERT-REICHL Kimberly, LAWLOR Molly Stewart. The Effects of a Mindfulness-Based Education Program on Pre- and Early Adoles-cents’Well-Being and Social and Emotional Competence [En ligne] http://thehawnfoundation.org/wp-content/uploads/2012/12/KSR-MSL_Mindfulness_2010-copy.pdf, Springer Science + Business Media, Etats-Unis, 2010.
98. RICARD Matthieu, Long-term meditators self-induce high-amplitude gamma synchrony during mental practice [En ligne] http://www.pnas.org/content/101/46/16369.full, PNAS, Etats-Unis, 2004.
111
De manière assez disparate, nous trouvons sur
différents sites internet des exemples d’enseignants
américains ou canadiens ayant employé la méditation,
depuis les années 199099. Signalons que cette pratique
a d’abord été le fruit d’initiatives individuelles, dans des
classes considérées comme extrêmement difficiles. Il s’agit
donc de rendre les enfants disponibles pour l’apprentissage
en essayant de les détourner un moment de leur agitation
ou leurs problèmes sociaux envahissants, ne permettant
pas de formes d’expression ou de collaboration apaisée.
Le biologiste américain Jon Kabat-Zinn, à l’origine de
la médecine corps-esprit, aurait participé à une forme de
démocratisation de cette pratique aux Etats-Unis et ailleurs.
Aujourd’hui, les Etats-Unis, la Belgique, les Pays-Bas ou
encore la Suède sont des pays ou la pleine conscience
est pratiquée dans certains établissements scolaires ou
structures hospitalières. « Aux Etats-Unis, la méditation est
quotidiennement utilisée dans 200 hôpitaux pour la gestion
du stress. Par exemple, dans les phases terminales du
cancer »100, indique le Dr Lutz.
99. LE MONDE. La méditation comme outil pédagogique [En ligne] http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2015/03/16/la-medita-tion-comme-outil-pedagogique_4592039_4497916.html (Consulté le 23.11.2015).
100. COURRIER INTERNATIONAL. Méditer pour mieux agir [En ligne] http://www.courrierinternational.com/chronique/2004/12/20/mediter-pour-mieux-agir, 2004.
Ces nouvelles pratiques permettront peut-être, dans
l’avenir, de favoriser de nouvelles formes de travail moins
axées sur l’extraversion mais sur la reconnaissance des
différentes formes d’intelligence et de tempéraments.
Comme le dit Ken Robinson « Nous créons nos vies en
découvrant nos talents101. » Ainsi, il est paradoxal de constater
que le système éducatif nous forme plus à la conformité
qu’à la remise en question de notre environnement. Au fur
et à mesure que nous grandissons, nous avons tendance à
oublier nos talents, ou à les sous-estimer tant l’intelligence
académique est survalorisée. La peur de se tromper prend le
dessus sur la capacité créatrice, s’il existe une réponse juste
et une autre fausse, l’espace de liberté de création n’existe
plus. Ainsi, si l’école elle-même adapte son organisation
au monde professionnel actuel comment atteindre son
individualité et ses talents pour faire émerger la création ?
L’éducation inculque encore un modèle très acadé-
mique, valorisant et imposant un type d’intelligence sans
prendre en considération les autres.
101. ROBINSON Ken. Do school kill creativity ? Ted Talks, United States, 20 minutes, 2010.
113
Ce modèle tend donc à ne pas encourager ces futurs
membres actifs à exploiter leur intériorité et leur singularité
dans la production, mais au contraire à les conformer dans
un schéma qui ne leur correspondra pas forcément. Ainsi, la
détection de nos propres talents et donc leur exploitation
est rendue plus difficile, leur singularité moins accessible,
et la création biaisée. Pourquoi ne pas exploiter davantage
les types d’intelligence afin de permettre à notre singulari-
té d’évoluer selon nos talents ? Pourquoi conservons-nous
notre modèle d’éducation en niant ou minimisant les mo-
dèles d’éducation permettant un éveil supérieur ?
115
L’introversion et l’extraversion sont deux
tempéraments distincts. Ce tempérament se définit à la
naissance, de manière biologique, et pourra évoluer selon
le parcours et les expériences de chacun. Il détermine notre
façon d’interagir avec le monde et les autres, ainsi que nos
réactions face aux stimulations extérieurs. Bien que l’on
tende chacun à l’un de ces deux tempéraments, l’un ou
l’autre n’existe pas. Il existe des critères pour reconnaître
une personnalité plus introvertie d’une personnalité plus
extravertie. En somme, quelqu’un d’introverti sera davantage
tourné vers son monde intérieur qu’un extraverti.
Ainsi, un introverti aura plus facilement accès à
l’observation et la contemplation, indispensables à la
compréhension du monde et donc à l’établissement d’une
vision singulière du monde pour aboutir à la création. En
effet, Malgré ses vertus, il existe de nombreux amalgames
autour de l’introversion. On compte parmi les plus
populaires la timidité, la peur, la fragilité, l’isolement, et
le renfermement sur son monde intérieur. Ces amalgames
nous font voir l’introversion comme une déviance, ou un
manque d’extraversion dans notre société, davantage basé
sur un culte de la personnalité. En effet, on juge davantage
quelqu’un par rapport à son discours ou sa façon de
s’exprimer que de sa profondeur et sa réflexion.
En d’autres termes, on accorde moins d’importance
au fond qu’à la forme. Ainsi, notre modèle culturel et social
est basé autour des valeurs de l’extraversion.
Ces mécanismes se répercutent jusque dans nos
sphères privées, avec une intériorisation de ce modèle
dès le plus jeune âge, de par les organisations de travail
à l’école qui se veulent de plus en plus en groupe, ou les
loisirs se basant toujours sur la stimulation directe par
le collectif, comme on peut le voir dans les activités des
écoles, ou les centres aérés. Cependant, on assiste à un
changement de ces modes de vies. Bien que les stars de
notre époque soient attirés par la scène et les projecteurs,
on voit néanmoins de nouvelles personnalités aux attitudes
bien différentes, comme Mark Zucherberg, Steve Jobs ou
autres créateurs géniaux de notre siècle bien loin de la « cool
attitude » dictés par notre système de valeur. L’engouement
pour les filières plus créatives est aussi un marqueur de ce
changement. Lorsque l’on parle de figures qui ont marqué
notre époque, comme Martin Luther King, on les retient par
leur capacité à toucher les foules. Cependant, que serait
devenu Martin Luther King et son parti sans Rosa Parks et
ses convictions profondes et sa force discrète ? Que serait
devenu Apple sans Steve Wozniak, développeur aussi
discret que talentueux, créateur de l’Apple I ?
117
Ainsi, l’idée n’est pas de savoir si être extraverti
est mieux qu’être introverti, mais que chacun de ces
tempéraments ont leurs forces avec lesquelles il faut jongler
pour pallier aux faiblesses et faire émerger la création.
De plus, possédant tous des traits appartenant
à l’introversion, il s’agit de reconnaître son introversion
comme un élément à part entière du processus de création.
Dans l’art, on se base parfois sur l’instinct et l’exploration.
Bien qu’il existe des méthodes efficaces pour créer en
entreprise, nous avons souvent tendance à se cantonner
scrupuleusement à la méthode pour créer plutôt qu’à
l’objectif de création, en occultant notre partie instinctive et
exploratrice. Dans l’éducation, les techniques pédagogiques
se basent encore dans la grande majorité des cas sur des
critères d’évaluations anciens valorisant l’intelligence
académique, sans prendre véritablement en compte les
autres formes d’intelligence. Paradoxalement, on étouffe
les possibilités de découvrir son talent, sa singularité et de
faire éclore son potentiel dans une société prônant toujours
plus de compétition.
Au XXème siècle, progrès signifiait technologie, la société
se prosternant devant la puissance des sciences. Cette
attitude induisait mépris et défiance envers la manifestation
de la sensibilité, de l’irrationnel et rejetait l’introversion et
la créativité synonyme d’inaptitude à générer l’évolution
technologique.
Cependant, les organisations sociétales montrent que
cette mouvance s’inverse. De nouvelles façons d’enseigner
naissent, et on assiste à un intérêt accru pour les activités
entrepreneuriales, qui comme pour l’art accordent une
grande place à l’instinct et l’exploration. Aujourd’hui, de
nombreuses créations ont pour objectif de disrupter
l’organisation actuelle de notre société dans l’objectif
de répondre à l’évolution de nos besoins. De plus, de
nombreuses plateformes rendant possible la création de
projets ambitieux voient le jour, comme le Crowdfunding,
les micro-crédits, les formes de dons, s’axant sur des
valeurs telles que la confiance, la volonté d’entreprendre, et
la réflexion sur une problématique.
119
Dans le cadre de l’enfance et de l’adolescence, je
m’interroge sur l’acceptation de notre caractère introverti
le plus tôt possible, en soulignant ses vertus plutôt que
de l’interpréter comme un mal-être. L’objectif de cette
acceptation personnelle et par son environnement est de
tirer profit des forces de l’introversion pour faire émerger
une vision singulière, et s’en servir comme un facteur
d’épanouissement. Ainsi, en tant que designer, comment
voir l’introversion comme un outil de développement et
d’épanouissement pendant l’enfance et l’adolescence ?
Dans le cadre de la concentration, je m’interroge sur
la façon de faciliter l’accès à notre intériorité lorsqu’on
effectue une tâche, pour favoriser notre concentration,
notre esprit critique et notre recul sur les objectifs d’une
tâche. Comment en tant que designer puis-je favoriser
l’accès à notre intériorité pour un accomplissement efficace
d’une tâche ?
Dans le cadre de l’entrepreneuriat, je m’interroge sur ces
nouveaux modèles permettant à tous les types d’individus
de contribuer à la communauté par le biais de la création.
Ainsi, en tant que designer, comment puis-je favoriser la
créativité dans l’entrepreneuriat par le biais de ces nouveaux
modes de créativité ?
121
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Illustrations réalisées en intégralité par Arthur Fouillet, soit l’auteur de ce mémoire.
133
Interview avec Simon BARON, Business Psychologist chez AssesFirst.
Arthur : Bonjour Simon, en quoi consiste votre profession chez AssessFirst ?
Simon : Je travaille pour des grands groupes généralement. Je travaille pour les cabinets de recrutement. Mon but est de guider l’humain dans ses choix professionnels.
Arthur : Qu’est-ce que tu analyses chez les clients ?
Simon : Tout d’abord, les traits. J’observe s’il va vers les autres, s’il parle de lui. Ensuite, je l’oriente selon mes observations, bien qu’il reste le dernier décisionnaire.
Arthur : Ainsi, le fait d’être introverti ou extraverti à un impact sur ton analyse j’imagine ?
Simon : Oui en effet. En fait, je n’analyse pas les profils selon qu’ils soient introvertis ou extravertis, mais par rapport à leurs traits. Cela nous évite de ranger les gens dans des cases trop étroites.
Arthur : Comment arrives-tu à les convaincre ?
Simon : J’essaye de faire prendre en compte la notion de combat. Si quelqu’un est mené par un combat, il sera beaucoup plus impliqué. Après, mon rôle est bien-sûr d’identifier un combat positif. Peu importe la profession, d’un artiste à un comptable, il faut qu’il soit motivé par un combat, qu’il soit interne ou par des convictions.
Arthur : Comprennent-ils cette notion de combat ?
135
Simon : Oui, en revanche, mon rôle est aussi de les mener vers un combat motivant et réalisable. Prenons quelqu’un d’extrêmement timide, même s’il veut percer en politique, cela s’avèrera plus difficile car il part avec de grandes difficultés dans ce milieu où l’éloquence est une qualité indispensable.
Arthur : Oui c’est vrai ! Regarde David Bowie explique bien que la musique est sa thérapie … Tu penses que peu de gens y réfléchissent avant de s’engager dans une voie ?
Simon : Bien sûr ! Ce qu’on demande à l’école c’est « Qu’est-ce que tu aimes faire ? » Or, toi comme moi avons plein d’activités qu’on aime faire, sans pour autant qu’elles soient suffisamment motivante et en nous pour construire un avenir dessus.
Arthur : Et toi, si ce n’est pas indiscret, qu’est-ce qui t’a motivé à exercer ta fonction aujourd’hui ?
Simon : En fait, ma décision est partie d’un échec. Au lycée, je voulais être vétérinaire, mais étant un élève très moyen, j’ai décidé de redoubler pour poursuivre mon « rêve ». Puis l’année de mon redoublement s’est avéré très décontractante, car j’étais au niveau. Ainsi, moins stressé j’ai davantage parlé aux gens, et me suis rendu compte que leur vie m’intéressait.
Arthur : Et à quel moment de tes études t’es tu orienté vers la psychologie du travail ?
Simon : Après ma licence, je voulais concrétiser mon apprentissage, et j’avais en tête une personne avec qui je voulais absolument travailler. Nous avons échangés, je l’ai convaincu de m’engager pour mon stage de master 2 puis j’ai fini par travailler avec lui.
Interview avec Olivier SELLES,Ingénieur au pôle innovation chez Bouygues Immobilier.
Arthur : Bonjour Olivier, et merci de m’accorder cette interview. Tout d’abord, que penses-tu de la vision de la créativité en entreprise ?
Olivier : Selon mon expérience personnelle, les collaborateurs déclarent que c’est quelque chose de positif mais en pratique, estiment pour la grande majorité que ce n’est pas une compétence faite pour eux. Le créatif est perçu comme qqn qui a le temps de se permettre d’être créatif, quand les autres ont un vrai travail opérationnel, eux. La créativité est alors l’outil du créatif, un truc distrayant mais pas indispensable.
Arthur : Comment les entreprises abordent la créativité selon toi ?
Olivier : Mal. Les entreprises voient souvent la créativité comme une compétence dont on attend qu’elle trouve des solutions en 1h30, ou bien comme un outil de team building. Elle n’est Jamais considérée comme un outil pour les processus de longue durée.
Arthur : As-tu observé une évolution de la créativité (et la façon de l’aborder ou de l’amener) en entreprise ?
Olivier : Absolument pas, si ce n’est quelques modes du moment. Le design thinking a supplanté l’Océan Bleu.
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Arthur : Que penses-tu des processus de création en entreprise ?
Olivier : Ils se heurtent contre le mur du réalisme. Ils prennent trop de temps pour la vie au jour le jour des collaborateurs. Ils ne fonctionnent selon moi que s’ils sont portés par le top management (la C-Suite comme on dit en anglais).
Arthur : Que pensez-vous des conditions de travail par rapport à la créativité ? Les stimulent t-elles ? Les freinent t-elles ?
Olivier : Elle les freinent : le découpage en tâches / le reporting de ses activités empêche de consacrer les 5% de son temps qu’il faudrait pour des processus de longue durée comme la créativité ou l’exploration de projets personnels. Le bâclage de séances de créativité engendre un cercle vicieux sur la vision qu’ont les gens de l’utilité de cette compétence / de cet outil, par ailleurs.
Arthur : Avez vous remarqué des évolutions dans la façon de créer en entreprise ?
Olivier : Pas encore, mais il y a un signal faible que je perçois, autour du fast prototyping et aidé par les fab labs.
Arthur : Comment se déroule le partage d’idées dans les entreprises ? Est-ce fructueux selon vous ?
Olivier : C’est un vrai sujet. Il est difficile à mettre en œuvre. Certains outils sont décevants (réseaux d’entreprise), d’autres ont l’air de bien prendre (base de Knowledge Management). Et la discussion autour de la machine à café reste une technique malgré tout efficace !
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Soit avenant, soit souriant. Prend la parole, toujours. Ne reste pas dans le silence, va avec les autres. Soit sociable, fond toi dans le groupe. En un terme, soit extraverti. Ces valeurs découlent du modèle de notre société. Bien que le tempérament extraverti soit mis en avant, qu’en est-t-il du tempérament introverti ? Pourtant, c’est un tempérament qu’on acquiert dès la naissance, bien qu’on puisse l’affiner dans une certaine mesure. L’introversion est le fait de se tourner vers son monde intérieur. Être introverti ne signifie pas pourtant s’enfermer dans sa tour d’ivoire. Au contraire, il s’agit de comprendre notre monde et notre environnement en le voyant avec notre prisme, notre opinion. En un terme, notre singularité. Or, c’est la construction d’une vision singulière qui nous permet de faire éclore notre talent. C’est l’observation, la contemplation qui nous amène à la conceptualisation puis enfin la création.
Introversion et création.ArthurFOUILLET
Diplômes 2016
Établissement privéd’enseignementsupérieur techniquewww.stratecollege.frEcole de Design
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