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FLE, la competence pragmatique
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Importance de la pragmatique dans la didactique du FLE (Étude basée sur la théorie de Paul Grice)
Étude faite par Judith S. RODRIGO
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INTRODCTION
Un apprenant d’une langue étrangère a pour but d’acquérir les compétences permettant de
gérer son discours dans des situations authentiques de communication. Les compétences
grammaticales et lexicales, essentielles pour la maîtrise d’une langue, n’assurent pas pour autant la
bonne gestion du discours. Pour saisir la cohérence propre au langage naturel l’apprenant doit
également développer sa compétence pragmatique. Ceci est confirmé par le CECR1 qui ajoute une
section entière à la description de la compétence pragmatique attendue chez un apprenant d’une
langue étrangère. En fait, dans cette description, le CECR met en avance le principe coopératif de
Grice qui traite du fonctionnement de la communication.
Dans un premier temps cette étude établira brièvement la théorie de Grice pour ensuite
analyser trois extraits d’un dialogue du film La Crise de Colline Serreau. L’analyse traitera du
fonctionnement de ces extraits par rapport aux maximes conversationnelles de Grice. L’intérêt de ce
dialogue pour cette étude est le fait que celui-ci est également exploité dans une fiche pédagogique
destiné au public B1 –B2. Dans un dernier temps, nous analyserons comment les tâches proposées
dans la fiche pédagogique développent la compétence pragmatique chez l’apprenant.
LES CONCEPTS CLÉS DE LA THÉORIE DE GRICE
Le principe coopératif : Les interlocuteurs contribuent à la conversation « de façon rationnelle et
coopérative » pour favoriser l’interprétation des énoncés.2 Pour ce faire, ils respectent les quatre
maximes conversationnelles suivantes :
La maxime de qualité : Les énoncés doivent répondre « aux conditions de véridicité » et chaque
intervenant doit être sincère, c’est-à-dire avoir de bonnes raisons pour énoncer ce qu’il dit.
La maxime de quantité : Chaque intervenant doit donner la quantité d’information nécessaire et pas
plus
La maxime de relation (pertinence) : Les interlocuteurs doivent être pertinents, c’est-à-dire
énoncer des phrases en relation avec leurs propres paroles précédentes ou avec celles des autres
intervenants.
La maxime de modalité : Chaque intervenant doit s’exprimer clairement, sans obscurité ni
ambiguïté, avec concision et en respectant l’ordre propice à la compréhension des informations
fournies.
1 Cadre européen commun de référence pour les langues - Apprendre, Enseigner, Évaluer
2 Introduction à la pragmatique: les théories fondatrices, BRACOPS Martine,
2
Grice suppose que chaque intervenant respecte le principe coopératif et ses maximes, même quand le
sens littéral de l’énoncé ne correspond pas ouvertement à la logique des maximes conversationnelles.
Selon Grice, le respect des maximes dans un sens non-littéral déclenche une implicitation.
Implicitation conversationnelle : L’intention communicationnelle recouvre ce qui est dit plus ce
qui est implicité par le locuteur. Donc, « une implicitation conversationnelle exige un raisonnement
de la part de l'interlocuteur ».
Le dialogue choisi du film La Crise de Colline Serreau, contient plusieurs implicitations
conversationnelles et l’analyse de quelques extraits nous permettra de constater le fonctionnement de
la communication malgré ces implicitations.
ANALYSE DES EXTRAITS
Extrait 01 Isa - Qu'est-ce que tu fais là ?
Didier - J'ai amené toutes mes affaires ! (silence)
Étonnée de voir Didier devant sa porte à trois heures du matin, Isa lui demande ce qu’il y fait.
La réponse de Didier produit de l’humour car c’est complètement insensé de venir chez quelqu’un à
une telle heure surtout pour s’y installer. L’énoncé de Didier brise la maxime conversationnelle de
pertinence parce que celui-ci ne répond pas adéquatement à la question d’Isa; il ne dit pas ce qu’il
fait devant sa porte. Mais cette situation inconvenant est rendue pertinente lorsqu’il montre ses
affaires posées devant l’appartement d’Isa. L’énoncé de Didier déclenche ainsi une implicitation
conversationnelle particulière : « J'ai amené toutes mes affaires pour m’installer chez toi ».
Extrait 02 : Isa - Tu t'installes où ?
Didier - Ben! Chez toi !
Isa - Mais enfin Didier, il est 3h du matin.
La réponse d’Isa, fondée sur l’ellipse d’une étape de raisonnement, n’est pas convenante face
à l’énoncé de Didier. Le manque de pertinence déclenche ainsi une implicitation conversationnelle.
Cette implicitation lui permet de déduire qu’Isa est contre son avis. L’intention communicationnelle
d’Isa est en fait de rejeter la demande de Didier. Elle exploite la maxime de pertinence pour dire « Tu
ne peux pas t’installer chez moi parce qu’il est trois heures du matin ! ». En plus, sa manière de
verbaliser l’énoncé ironise le comportement insensé de Didier.
Extrait 03 Didier- Mais de quoi t'as pas envie ?
Issa – Mais de tout, de rien... je ne sais pas moi... T'as toujours faim quand je fais
un régime... Tu te rases pendant des heures et tu nettoies pas le lavabo... J'ai pas
la place pour une grosse machine à laver... Ton copain Stéphane, je le trouve
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lourd, lourd, je ne veux pas qu'il vienne chez moi regarder le foot en bouffant
toutes mes cacahouètes... Ben voilà, plein de trucs...
La réponse d’Isa « je ne sais pas moi » suppose dans un sens littéral qu’elle ne sait pas
exactement de quoi elle n’a pas envie. Pourtant, l’intention communicationnelle de cette phrase est
d’indiquer sa confusion et sa frustration face à la question de Didier. En utilisant cet énoncé elle veut
plutôt dire « Je ne sais pas ce que je dois dire mais je n’ai pas envie de beaucoup de choses ». Cette
idée est confirmée quand l’énoncé en question est suivi par toute une liste de faits. Ainsi, la réponse
d’Isa, ce qui est non véridique, se convertit en une implicitation conversationnelle qui exploite la
maxime de qualité. Le non-respect de la maxime de qualité n’évite pas le fonctionnement de la
communication.
Il me semble important aussi d’analyser la valeur pragmatique des énoncés qui suivent
l’implicitation traitée ci-dessus. Ces énonciations sont toutes impertinentes par rapport à la question
de Didier « mais de quoi t’as pas envie ? ». Elles transgressent la maxime de pertinence en échappant
à une étape de raisonnement. Cette transgression les transforme toutes en implicitations
conversationnelles. Les implicitations pourraient ainsi recouvrir les significations suivantes :
« T’as toujours faim quand je fais un régime…Tu te rases pendant des heures et tu nettoies pas
le lavabo » : Je n’ai pas envie que tu aies toujours faim quand je fais un régime et que tu te rases
pendant des heures et que tu ne nettoies pas le lavabo.
« J'ai pas la place pour une grosse machine à laver» ce qui veut impliquer : Je n’ai pas envie que
tu viennes chez moi parce que si c’était le cas je devrais acheter une grosse machine à laver pour
laver tes vêtements et je n’ai pas de place pour la machine.
« Ton copain Stéphane, je le trouve lourd, lourd, je ne veux pas qu'il vienne chez moi regarder
le foot en bouffant toutes mes cacahuètes» : Ton copain Stéphane est pénible. Si tu viens t’installer
chez moi, il viendra regarder le foot avec toi et il mangera toutes mes cacahuètes. Alors je ne veux
pas que tu t’installes chez moi.
Malgré ces transgressions de la maxime de pertinence l’interlocuteur arrive à comprendre
l’intention communicationnelle de l’énonciateur : Isa est énervée face au comportement de Didier et
elle émet un jet de raisons qui la contrarient. Cela a pour but de récuser Didier. La voix montante
indique également la tension de la situation.
LA COMPÉTENCE PRAGMATIQUE ABORDÉE PAR LA FICHE PÉDAGOGIQUE
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Nous n’abordons que les trois premières séquences de la fiche pédagogique.
Séquence 01 : L’apprenant lit les interventions d’Isa pour ensuite imaginer et écrire les
réponses de Didier : Dans un premier temps l’apprenant est amené à lire le texte qui ne contient que
les interventions d’Isa. Ces énoncés comportent certains mécanismes propres à la langue française
tels que les expressions suivantes :
« Mais qu'est-ce qui te prend ? » : Cette question indique que Didier a dit quelque chose qu’elle
n’arrive pas à comprendre.
« Comment le grand saut ? » : l’expression « le grand saut » signifie une décision ou un acte
important et l’adverbe d’interrogation comment met en question cet acte important.
« Ça ne va pas la tête ? » : l’équivalent de « Tu es fou ? »
« Je t'aime mais Stéphane il me reste en travers du gosier. » : rester en travers du gosier est une
expression familière qui évoque quelque chose qui déplaît le locuteur.
Sans intelligence de ces mécanismes, qui explicite la tonalité de la communication, l’apprenant
n’aura pas de piste pour entrer dans la logique du dialogue. Ainsi, suite à la lecture, l’enseignant
travaille sur les difficultés lexicales du texte afin de faire comprendre la valeur pragmatique de ces
expressions. Ensuite l’enseignant explicitera la situation de communication (Il est trois heures du
matin et manifestement il a l’intention de s’installer chez Issa qui proteste et n’accepte pas qu’il
vienne chez elle). Cette étape de compréhension permet à l’apprenant de se mettre dans la peau de
Didier et ensuite d’imaginer ses réponses suivant le principe coopératif de Grice.
Séquence 02 : Jeu de rôle du dialogue écrit : La simulation d’acte de parole dans la classe
permettra aux apprenants d’ajouter les actes non verbaux (l’intonation de la voix, les gestes, les
mimiques etc.) qui jouent un rôle primordial dans le fonctionnement de la communication.
Séquence 03 : Lecture du dialogue du film et le visionnage de l’extrait : Cette étape permettra à
l’apprenant de comparer le dialogue écrit avec le dialogue du film. Le dialogue authentique aura
sûrement une logique de pertinence différente de celle du dialogue écrit par l’apprenant. En plus, la
violation du principe coopératif et les maximes conversationnelles (abordé dans la deuxième partie
de cette étude) surprendraient l’apprenant. Pourtant, le support audiovisuel et les explications de
l’enseignant l’amèneraient à comprendre que la communication fonctionne malgré ces implicitations.
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CONCLUSION
Dans l’idéal, le fonctionnement de la communication dépend du respect des maximes
conversationnelles qui regroupe le principe coopératif. Mais, selon Grice, la communication
authentique n’assure pas pour autant un découlement aussi fluide. Ceci était explicité au stade de
l’analyse des extraits de cette étude.
Quand la fiche pédagogique invite les apprenants à imaginer les interventions de Didier à
partir des énoncés d’Isa, les apprenants essaient dans un premier temps d’interpréter la logique d’Isa
pour ensuite écrire des réponses pertinentes. Inconsciemment, l’apprenant est amené à respecter les
maximes conversationnelles et le principe coopératif. Pourtant, il comprendrait également que la
logique d’Isa est parfois peu claire et ceci peut les conduire à créer même des implicitations comme
réponses. Cette tâche exploite ainsi ses compétences grammaticales et lexicales tout en déclenchant
un raisonnement cognitif qui par conséquence développe sa compétence pragmatique. Le visionnage
de l’extrait du film permettra également aux apprenants de découvrir tout une nouvelle façon
d’interpréter le même dialogue.
Cette tâche est essentiellement pragmatique dans le sens où l’apprenant est directement face à
l’usage dynamique du langage. La didactique des langues étrangères doit ainsi accorder une place
importante au développement de la compétence pragmatique vue que l’apprenant d’aujourd’hui
serait demain un locuteur face aux situations de communication authentique.
BIBILIOGRAPHIE
BRACOPS, Martine. L’Introduction à la Pragmatique. 1ère
édition, Bruxelle, de Boeck & Larcier, Pg
67-91.
GRICE, H Paul. « Logique et Conversation »,
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/
comm_0588-8018_1979_num_30_1_1446 [page consulté le 27 décembre 2013]
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ANNEXE 01 :
Transcription de l’extrait du film La Crise de Colline Serreau
Isa - Qu'est-ce que tu fais là ?
Didier - J'ai amené toutes mes affaires (silence).
- J'en ai marre de ne pas dormir avec toi tous les jours, alors voilà : je M'INSTALLE !
Isa - Tu t'installes où ?
Didier - Ben! Chez toi !
Isa - Mais enfin Didier, il est 3h du matin !
Didier - C'est pas grave va vite te coucher. Je rentre tout ça et je te rejoins. Je débarrasserai demain.
Isa - Mais qu'est-ce qui te prend ?
Didier - J'ai été égoïste... j'aimais trop ma liberté. Je ne t'ai jamais proposé le mariage ni de vivre
avec toi, mais ce soir j'ai réfléchi. Je me suis rendu compte que je t'aime vraiment et je ne peux pas
me passer de toi... Je fais le grand saut !
Isa - Comment LE GRAND SAUT ? QUEL GRAND SAUT ? Ça ne va pas la tête ?
Didier- Comment ça, ça ne va pas la tête ?
Isa - Mais j'ai pas du tout envie que tu viennes habiter chez moi, moi !
Didier- Comment ça t'as pas envie ?
Isa - Mais non j'ai pas envie... J'ai pas tellement la place d'abord.
Didier - Tu m'aimes plus...
Isa - Mais si je t'aime, énormément même mais c'est pas pour ça que ...
Didier- Tu veux qu'on se marrie !
Isa - Mais non j'ai pas envie du tout !
Didier- Mais de quoi t'as pas envie ?
Isa - De tout, de rien... je ne sais pas moi... T'as toujours faim quand je fais un régime... Tu te rases
pendant des heures et tu nettoies pas le lavabo... J'ai pas la place pour une grosse machine à laver...
Ton copain Stéphane, je le trouve lourd, lourd, je ne veux pas qu'il vienne chez moi regarder le
match de foot en bouffant toutes mes cacahuètes... je sais pas moi, Ben voilà, plein de trucs...
Didier - Tu n'aimes pas mes amis. Si tu m'aimais, tu aimerais aussi mes amis...
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Isa - Et bien tu vois ! Je t'aime mais Stéphane il me reste en travers du gosier.
En plus je viens juste de me faire construire une nouvelle bibliothèque j’ai enfin réussi à ranger toute
mes affaires... alors.
Didier - Ce que tu peux être égoïste tout de même!
Isa - Non mais tu te crois où là ?
ANNEXE 02 :
La fiche pédagogique trouvée dans le site http://www.cia-france.com/francais-et-
vous/sous_le_platane/58-exploitation-dun-extrait-de-filmla-crise-de-colline-serreau.html
La vidéo de l’extrait sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=IdjsqCjRyBw
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