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La cosmologie de lAntre des Nymphes. Ses sources et ses traditions.
thse de Matrise s arts en tudes anciennes
par
Patrick St-Amour
sous la direction de Dominique Ct
prsente la Facult des tudes Suprieures
du Dpartement dtudes Anciennes et de Sciences des Religions
Universit dOttawa
Aot 2015
Patrick St-Amour, Ottawa, Canada, 2016
ii
L'Antre des Nymphes, un texte datant de la fin du troisime sicle de notre re crit par Porphyre
de Tyr, nous transmet une exgse propos d'un passage de l'Odysse (XIII, 102-112) d'Homre.
Cette thse couvre spcifiquement la cosmologie du texte de Porphyre et discute de ses sources
pythagoriciennes, no-platoniciennes, et mithriaques. En premire partie, cette thse aborde
larrire-plan philosophique de lauteur de lAntre des Nymphes et discute de la cosmologie
pythagoricienne de ses origines jusquaux no-platonicien. Au deuxime chapitre, le texte de
Porphyre fait lobjet dune tude directe et approfondie. Les diffrentes notions cosmologiques
sont analyses afin dtablir limaginaire cosmogonique et cosmologique du texte. En tierce partie,
les notions mithriaques sont mises en relation, autant avec la tradition philosophique grco-
romaine quavec les apports du chercheur Roger Beck.
iii
Rsum -------------------------------------------------------------------------------------------------------- ii
Table des matires ------------------------------------------------------------------------------------------ iii
Listes dabrviations ---------------------------------------------------------------------------------------- iv
Introduction -------------------------------------------------------------------------------------------------- vi
1. Origines et rception de cosmologie pythagoricienne --------------------------------------- 1
1.1. Philolaos, les lments et les astres ---------------------------------------------------- 4
1.1.1. Lillimit et le limit chez Philolaos ------------------------------------------- 4
1.1.2. Les lments ---------------------------------------------------------------------- 7
1.1.3. La doctrine des nombres ------------------------------------------------------- 11
1.1.4. Lordre de la cration et des plantes ----------------------------------------- 15
1.2. LHarmonia ------------------------------------------------------------------------------- 19
1.2.1. Pythagore et Apollon ----------------------------------------------------------- 20
1.2.2. La musique des sphres -------------------------------------------------------- 22
1.3. Conclusion -------------------------------------------------------------------------------- 25
2. LAntre des Nymphes ----------------------------------------------------------------------------- 27
2.1. Homre le thologien -------------------------------------------------------------------- 30
2.2. La grotte en tant que microcosme ----------------------------------------------------- 36
2.2.1. Un sanctuaire des Nymphes Naades ----------------------------------------- 41
2.2.2. Les mes abeilles ---------------------------------------------------------------- 47
2.3. Le cycle de lme dans la matire ------------------------------------------------------ 50
2.3.1. Les deux portes de la grotte ---------------------------------------------------- 56
2.3.2. Le voyage cleste ---------------------------------------------------------------- 58
2.4. Conclusion -------------------------------------------------------------------------------- 61
3. Le culte de Mitra --------------------------------------------------------------------------------- 62
3.1. Le Star Talk: une interprtation conforme au langage astronomique ------------- 63
3.1.1. Les mystres de Mithra en six propositions --------------------------------- 63
3.2. Le mithriacisme dans lAntre des Nypmhes, selon Beck ---------------------------- 65
3.2.1. Le mithraeum -------------------------------------------------------------------- 66
3.2.1. Mithra Tauroctone -------------------------------------------------------------- 70
iv
3.2.2. Cauts et Cautopats ------------------------------------------------------------ 75
3.2.3. Le Zodiaque de Ponza ---------------------------------------------------------- 78
3.3. Conclusion -------------------------------------------------------------------------------- 80
Conclusion -------------------------------------------------------------------------------------------------- 82
Annexe et liste de figures --------------------------------------------------------------------------------- 85
Bibliographie ------------------------------------------------------------------------------------------------ 89
Listes dabrviations:
Textes:
Met. Aristote. Mtaphysique.
Phys. ----------. Physique.
Poet. Lyr. Gr. Bergk. Poetae Lyrici Graeci.
N.D. Cicron. De Natura Deorum.
Rep. ----------. De Republica.
De Hippocrat. Galien. De Hippocratis et Platonis.
DK. Diels, H. et Kranz, W. Die Fragmente der Vorsokratiker.
Il. Homre. Iliade.
Od. ----------. Odysse.
Vita Pyth. Jamblique. De Vita Pythagorica.
Myst. -------------. De Mysteriis.
In Som. Scip. Macrobe. In Somnium Scipionis.
Pyth. Pindar. Pythiques.
Quaest. in Gen. Philon. Quaestiones et Solutiones in Genesim.
V. Ap. Philostrate. Vie dApollonios de Tyane.
Tim. Platon. Time.
Rep. --------. Le Rpublique.
Nat. Pline lAncien. Naturalis Historia.
AdN. Porphyre. lAntre des Nymphes.
v
Abst. -----------. De Abstinentia.
Vita Pyth. -----------. Vie de Pythagore.
Quaest. Conv. Plutarque. Quaestiones Convivales.
In Remp. Proclus. In Rem pulicam.
In Tim. ---------. In Timaeum.
Tetr. Ptolme. Tetrabiblos.
Ant. Stobe. Anthologium.
Gor. Virgile, Gorgiques.
tudes:
AJP. American Journal of Philology.
CNRS. Centre National de la Recherche Scientifique.
CP. Classical Philology.
CQ. Classical Quarterly.
HSCP. Havard Studies in Classical Philology.
JMS. Journal of Mithraic Studies.
JRS. Journal of Roman Studies.
RE. Realencyclopdie der Classischen Altertumswissenschaft
vi
Introduction:
LAntre des Nymphes de Porphyre est un texte tout fait sublime. Il a fait rver nos anctres
autant quil nous grandit en tant qutre humain. Il nous raconte le moment o, jadis, notre me
devint matire, o elle prit la porte des mortels vers lunivers des dsirs et des motions. Un univers
o lme partage ses caractristiques avec un corps mortel qui lui, en retour, lui permet desprer
revenir un jour son point dorigine. Guide par les astres et la philosophie, lme vogue sur les
eaux matrielles. Comme un marin, elle observe les astres en vue de trouver bon port. La
destination tant claire et prcise, cest le voyage qui la forme, un peu comme pour Ulysse, du
moins, cest ce que nous dit Porphyre. Cest lui, Porphyre, qui nous dcrit un univers gouvern par
des forces lmentaires maintenues en ordre par une force unique, un intellect infini, lillimit
oppos au limitatif.
Les caractristiques de cet univers trouvent un cho dans lensemble du bagage spirituel
grco-romain. Mme encore aujourdhui, la conceptualisation de lme et du zodiaque dpend de
ces grands penseurs antiques qui ont cogit sur lorigine de lunivers et de lintellect qui nous
habite. Porphyre se prsente comme le premier avoir crit de faon mthodique sur ltendue
historique de lme et du divin. LAntre des Nymphes est le texte dexgse le plus ancien qui nous
a t transmis. Il nous propose une interprtation allgorique du chant XIII (102-122) de lOdysse.
Selon Porphyre, les allgories quil propose dans lAntre des Nymphes sont trs anciennes.
Utilises de faon initiatique, elles intgrent le texte homrique dans une tradition qui remonte aux
raisonnements ontologiques de prsocratiques comme Pythagore, Philolaos et Empdocle. Ces
grands philosophes, que Porphyre nomme thologiens, ont tous particip llaboration
intellectuelle dune cosmologie unique, une cosmologie entrelace dun imaginaire spirituel
profond. Le divin de Porphyre est de nature notique et tout fait en lien avec le courant
noplatonicien, mais il peut aussi sinterprter sous un angle pythagoricien. Lapproche
pythagoricienne est dailleurs celle que lon doit prendre afin dapprofondir notre comprhension
de lAntre des Nymphes. Cest en tout cas lapproche que Porphyre prconise, lui qui est le premier
discuter des allgories homriques en prenant pour sources les Pythagoriciens Numnius et
Cronius.
vii
Tous deux membres de lcole de Plotin, Porphyre intgre leurs textes et les cite comme
une source fiable sur le sujet des allgories homriques. Si Porphyre dit vrai, linterprtation que
nous avons du mouvement pythagoricien ainsi que notre comprhension dHomre doit en tenir
compte. Lobjectif de cette thse nest pas de proposer une nouvelle interprtation des pomes
dHomre. Nous nous concentrerons plutt sur lAntre des Nymphes de Porphyre pour en tudier
de plus prs la cosmologie. Cette cosmologie tait dune importance primordiale pour tout disciple
du mouvement noplatonicien au troisime sicle de notre re. Son tude nous permettra
dapprofondir notre comprhension du divin selon Porphyre et peut-tre aussi de lappliquer
dautres textes porphyriens comme le De Abstinentia. LAntre des Nymphes, pour sa part, se
distingue des autres ouvrages de Porphyre par le nombre considrable de citations qui sy retrouve.
Cette abondance de citations laisse deviner une tradition dexgse antrieure Porphyre et
nourrie de textes qui ont disparu pour la plupart. Les sources cites par lauteur nous incitent
croire quil y avait, avant mme lAntre des Nymphes, une tradition dexgse propre lOdysse,
prserve sous forme fragmentaire dans le texte de Porphyre. Les noms et les sources cits par
Porphyre nous permettent ainsi dtudier cette tradition exgtique qui va du mythique Pythagore
au noplatonisme.
Dans le but de dfinir larrire-plan cosmologique de lAntre des Nymphes, nous
aborderons premirement les notions attribues aux prsocratiques. Le premier chapitre de cette
thse discutera de faon systmatique la cosmologie de Philolaos, le premier pythagoricien
historique. Les questionnements de Philolaos ont donn naissance des concepts cosmogoniques
complexes qui ont autant influenc le dveloppement de la cosmologie pythagoricienne, que celle
labore par Platon. Il prsente lunivers comme une opposition entre le tout illimit et ses parties
limites, donc observable. Lillimit ne pouvant tre observ que par la division, ces sous-divisions
nous seront utiles pour tablir la cosmologie la source des crits de Porphyre. La division
propose par Philolaos ne se situe pas dans lunivers matriel, mais dans lunivers notique. Cest
pourquoi nous discuterons du quadrivium ainsi que des caractristiques dune cosmologie
comprise et perue par lintellect humain.
La division de Philolaos est prsente selon des prceptes mathmatiques. Cette
numrisation du cosmos entrane une mise en nombres des lments, des astres et de la relation
entre lme humaine et le divin. En fait, la progression numrique va du simple point aux solides.
viii
Chez certains prsocratiques, ces premiers solides, dont le ttradre qui est le tout premier,
reprsentent les premier pas vers lunivers matriel. Cette premire matrialisation est aborde
dans les textes dEmpdocle et dHraclite qui se distinguent tous deux par leur discussion propos
des lments qui constituent les bases du cosmos matriel, le feu, la terre, lair et leau, dont nous
tudierons les proprits numriques. Nous nous poserons alors la question de savoir comment
lunivers maintient ces lments en ordre? Quelle est la fonction du rajout de lther par Platon et
quelle est limportance des apports de Speusippe pour la transmission des ides? Do vient cette
mise en nombre cosmologique?
Cette numrisation est le produit dune doctrine des nombres qui prend sa source dans le
pythagorisme. La doctrine des nombres, autant ancre dans le monde mathmatique que dans le
monde spirituel, propose un ordre de cration qui slabore partir du nombre notique et qui
stend jusqu la matire. Un regard sur le quadrivium nous permettra de mieux comprendre les
diffrentes dynamiques de ce qui sera dcrit plus tard par Nicomaque de Grase comme la
thologie des nombres. En fait, il ne semble pas y avoir de dmarcation entre la cosmogonie du
monde matriel et celle du divin. Ces deux mondes coexistent et partagent le mme univers. Le
philosophe observant le cosmos par les voies du quadrivium pythagoricien peut bel et bien
observer directement le divin autant que le monde matriel. Il y observe, par exemple, les dieux
traditionnels, mais qui se trouvent reprsents par les astres. Il sera aussi question des plantes et
de leur rle dans cette cosmologie, cest--dire leurs attributs, leur place dans le cadre du divin ,
leurs interactions avec le monde mortel.
Nous discuterons aussi de leffet des astres sur lunivers matriel. En fait, les astres ont non
seulement une fonction dordre et de mesure, ils ont aussi une fonction musicale. Cette musique
cosmique, qui porte le nom dharmonia, joue un rle important dans la vie du philosophe
pythagoricien. Les plantes mettent des tonalits qui peuvent tre entendues par le pratiquant.
Cest ce qui nous amnera aborder le sujet de la musique des sphres et de la relation entre
Pythagore et Apollon. Nous verrons comment le philosophe, par une coute attentive de cette
musique cosmique, la musique des sphres, peut en fait sharmoniser avec le divin qui lui est
suprieur..
Nous aborderons cette matire avec laide des textes de Philolaos, Empdocle, Anaxagore
et Diogne Larce. En raison de leur contribution importante lvolution de ces ides, nous ferons
ix
abondamment rfrence Aristote, Platon, Speusippe et dautres figures importantes de la tradition
platonicienne. Nous aurons galement recours aux ouvrages de Christiane Joost-Gaugier, Charles
H. Kahn et Christoph Riedweg. Prcisons dailleurs que les fragments des prsocratiques utiliss
dans cette thse et surtout au chapitre premier proviennent essentiellement de ldition des
fragments tablie par Hermann Diels et Walther Kranz (Die Fragmente der Vorsokratiker),
lexception des fragments de Philolaos recueillis par Carl A. Hauffman.
La deuxime partie de notre thse proposera une analyse cosmologique de lAntre des
Nymphes de Porphyre. Nous tenterons den situer la cosmologie en rapport avec les traditions que
nous avons tudies au chapitre premier. Toute grande tradition a sa part de mystre. Cest sans
doute pour cela quaussi peu dtudes ont t consacres spcifiquement la tradition rapporte
par Porphyre dans lAntre des Nymphes. Robert Lamberton, et Flix Buffire, avec son ouvrage
Les Mythes dHomre, de nous seront notamment dune grande utilit. Buffire se dmarque tout
particulirement par la richesse de sa documentation et des thories quil propose. Cest lui qui
nous servira de point dappui et de guide tout au long de ce chapitre. La recherche a progress sur
certains points, mais sur le fond du sujet la contribution de Buffire demeure importante.
Nous passerons premirement en revue certaines des sources cites par Porphyre, en vue
de crer un arrire-plan rfrentiel, puis nous aborderons directement le texte de Porphyre.
Porphyre fait tat dune exgse transmise par les thologiens dautres fois, thologiens qui
portent des noms connus comme Pythagore, Zoroastre et, bien entendu, Homre. Porphyre propose
de dchiffrer un message dont Homre est lauteur. Ce message concerne le voyage de lme dans
lunivers matriel, il raconte comment ce souffle divin devient humide et pntre dans la grotte
microcosmique. La cosmologie que nous tenterons de dcrire en est une cosmologie en
mouvement. Ce mouvement continu reflte celui des flots de la mer parcourue par Ulysse et qui
baignent la caverne dIthaque.
Afin de ne pas nous garer, nous nous en tiendrons aux ides dordre cosmologique. Nous
chercherons comprendre le fonctionnement de la grotte, son mode dopration, comment elle se
maintient en ordre et quelle est sa place par rapport au divin. Au centre de cette cosmologie se
trouve lme. Il ne sera pas question de la vracit de lme ou de lide de lme en gnral, mais
bien de lme selon Porphyre. Sa contribution lide de lme nest pas des moindres et cest
pour cette raison que nous nous servirons aussi du De Abstinentia. Dans lAntre des Nymphes,
x
Porphyre ne dcrit pas prcisment la nature de lme mais plutt son mouvement. Le De
Abstinentia nous donnera donc une description plus exhaustive de lme et de son fonctionnement
dans le cosmos tel que conu par Porphyre. LAntre des Nymphes sintresse ainsi au mouvement
de lme et aussi lastronomie. Le voyage de lme se droule en effet travers les astres et
rappelle le parcours annuel du soleil entre les solstices du Cancer et Capricorne. tant donn que
ces portes sont imagines en fonction du zodiaque, nous allons linclure dans notre discussion.
Nous nous servirons aussi des textes de Platon et des Noplatoniciens Plotin, Proclus et
Jamblique. Il sagira de bien situer les ides de Porphyre et dvaluer loriginalit de ses concepts
dans le contexte de la tradition noplatonicienne. Il deviendra vite vident que Porphyre avait un
intrt marqu pour la doctrine de lme. Sans mettre de ct toute considration mathmatique,
Porphyre se concentre sur le mouvement de lme qui reprsente ses yeux un moteur
cosmologique entrelac lunivers illimit tel que dcrit par Platon. Quand nous aurons mieux
cern la nature et les mouvements de lme dans lunivers de Porphyre, nous serons en mesure
dtablir le degr doriginalit de Porphyre et ce quil doit lexgse de ses prdcesseurs
Numnius et Cronius. Nous nous pencherons galement sur la thorie voulant que le mouvement
de lme corresponde au mouvement annuel du soleil. Nous chercherons aussi a savoir si les mes
sont uniques aux mortels ou si elles sont rparties de faon quilibre dans lunivers matriel.
Nous tenterons de rpondre toutes ces questions dans le cadre du deuxime chapitre de notre
thse.
Le troisime chapitre sera consacr une approche compltement diffrente lAntre des
Nymphes, celle dfendue par Roger Beck qui, partir dune brve allusion dans le texte la grotte
dIthaque comme image dun mithraeum, a labor une interprtation mithriacisante. En fait,
Porphyre mentionne que la grotte est un lieu de culte ddi aux Nymphes Naades, mais quelle
est aussi limage dun mithraeum. Cette brve mention a incit Roger Beck voir dans le texte
de Porphyre un point dentre dans les mystres mithriaques. Le culte de Mithra, dorigine perse,
tait en vogue dans lEmpire romain entre le 2e et 5e sicle de notre re. Il est raisonnable de croire
que Porphyre connaissait les croyances et les pratiques relies au culte de Mithra. On sentend
gnralement pour dire que les croyances mithriaques faisaient parties dun certain bagage
spirituel grco-romain. Roger Beck, comme nous le verrons, suppose toutefois que les notions
mithriaques de lAntre des Nymphes tmoignent en fait dun message initiatique plus profond.
xi
Les recherches de Roger Beck couvrent lensemble du culte de Mithra. Il plaide en faveur
dune interprtation sotrique des rituels mithriaques et insiste sur la correspondance entre le lieu
de culte, le mithraeum, et les croyances associes au culte de Mithra. Cette relation entre lieu de
culte et croyance cre une comprhension symbolique unique. Selon Beck, liniti doit avoir des
connaissances en matire dastronomie et dastrologie. Il interprte le cosmos suivant
lenseignement qui lui a t transmis lors de son initiation aux mystres mithriaques. La structure
du mithraeum tmoigne de ce enseignement et lAntre des Nymphes tmoigne de cette structure
qui est limage du cosmos. Le fonctionnement du mithraeum qui y est dcrit reprsente pour
Beck le point dentre vers les mystres. De l, il met de lavant ce quil appelle le Star Talk, cest-
-dire le langage astronomique quexpriment les symboles des monuments mithriaques. Il sagit
dune mthode mise au point par Beck, le rsultat de ses annes de recherche sur le culte de
Mithra, mais qui ne fait pas lunanimit. Nous en ferons usage mais en suivant de prs la structure
du mithraeum, telle que dcrite dans lAntre des Nymphes et dans les sources archologiques. Nous
tudierons aussi limaginaire sotrique mithriaque dans le but de dterminer si cet univers
correspond ou non celui de Porphyre. Enfin, nous chercherons savoir si les sources de Porphyre
sur le mithriacisme font partie intgrante des croyances grco-romaines en gnral ou si elles sont
plutt dordre initiatique.
1
1. Origines et rception de la cosmologie pythagoricienne
Donner une dfinition claire nette et prcise de la cosmologie nopythagoricienne durant
lantiquit tardive nest pas une chose simple, cest mme quasiment impossible. En raison de
limportance de la tradition orale et des mystres initiatiques, nous commencerons par identifier
certains concepts cls de la tradition pythagoricienne antrieure. Dans le but de cerner limaginaire
cosmologique des Pythagoriciens, nous identifierons d'abord les auteurs principaux qui ont
contribu lvolution dun systme cosmologique qui tente dexpliquer lunivers et tout ce qui
sy rattache par une harmonie pseudonumrique. Le travail que nous prsentons ici ne prtend pas
tre de nature purement philosophique. Il se contentera des grandes lignes du systme
cosmologique telles quon les retrouve chez Philolaos (470-390 av. J.-C.), conserv chez Diogne
Larce, Aristote (384-322 av. J.-C.), Platon (427-346 av. J.-C.) et quelques autres. Il est, en effet,
vident quAristote et Platon ont tous les deux jou un rle important dans la transition et
lappropriation des doctrines pythagoriciennes. Cette remarque vaut moins pour Aristote que pour
Platon. Il est vrai galement que les preuves historiques des apports de Pythagore sont beaucoup
plus tardives et souffrent de lincertitude entourant la survie du mouvement pythagoricien. Il y a
donc le risque que des conceptions anachroniques lui soient attribues. La deuxime embche est
que nos sources sur Pythagore lui-mme ne proviennent pas des doxographes du Lyce, mais
dauteurs noplatoniciens comme Jamblique (240-325 apr. J.-C.) et Porphyre (234-305 apr. J.-C.)1.
Ceci tant dit, Atius, un doxographe du premier sicle de notre re, rapporte que Pythagore
fut le premier employer le mot pour dsigner lunivers en raison de lordre qui lui est
immanent2. Malgr ce fait, lattribution du mot Pythagore, signifiant ici les cieux, tait
pratique commune3. Il nest donc pas surprenant de constater que la cosmologie est devenue la
pierre angulaire de la philosophie pythagoricienne. Certes, le cosmos ou lunivers tant une ide
qui est la base englobante et totalisante, tous les aspects de la ralit humaine y sont intgrs.
Cette totalit potentielle sexprime dune faon ordonne et rythmique. Liniti atteint la vision
objective de lunivers avec les nombres, qui sexpriment dans le matriel (nombres
1 La vision de Pythagore a beaucoup voir avec comment il tait peru par les auteurs plus tardifs. Barnes 1972: 78.
2 Atius, 2.1.1.
3 Finkelberg 1998: 105.
2
mathmatiques) et limmatriel (nombres notiques). La comprhension philosophique de
lunivers passait ainsi par lapprofondissement du quadrivium cest--dire lenseignement de
larithmtique, la gomtrie, la musique et lastronomie. Chacun de ces enseignements reposait
sur une base mathmatique et reprsentait une interprtation et une application diffrente des
nombres. Larithmtique, ce sont les nombres travers lintellect, la gomtrie, les nombres dans
lespace, la musique, les nombres dans le temps et lastronomie, les nombres dans le temps et dans
lespace. Il nest donc pas tonnant quil y ait eu une association entre la musique et les plantes,
crant ainsi la musique des sphres. Cest premirement par ltude des nombres que lon peroit
lunivers et cest par leur application que lon peut obtenir un savoir cleste et musical.
Cest pour cette raison quil est primordial de souligner limportance des nombres dans la
philosophie pythagoricienne. Lorigine mme de cette notion, souvent rsume par la maxime
tout est nombre , est parfois dbattue4. Il est toutefois admis que cette doctrine fait partie du
bagage pythagoricien, du moins depuis Aristote. Pour linstant, nous tenterons de nous limiter aux
notions mathmatiques se rapportant la cosmologie, mme si lapplication des nombres peut se
transposer tous les sujets, allant de la dittique jusqu lthique, en passant par la justice et
mme la botanique. Alors, do vient cette importance des nombres dans lunivers pythagoricien?
Quels sont leurs pouvoirs et comment fonctionnent-ils? La comprhension des nombres est
centrale la comprhension de lunivers selon les Pythagoriciens. Pour Platon, celui qui ne cherche
pas les nombres dans toutes choses ne sera jamais sage5.
Platon concevait le mythe comme un instrument de pdagogie, ce que les noplatoniciens
prserveront. Les mythes de Platon sont simples et accessibles. Ils impliquent une valeur de
relation qui suppose que derrire lhistoire matrielle se cache la leon morale ou la donne
mtaphysique6. Faire la distinction entre lajout personnel de Platon et ce qui pourrait tre
proprement pythagoricien est problmatique, voire mme impossible. Il est donc plus prudent
de distinguer le pythagorisme de Platon de celui plus ancien remontant Philolaos. Malgr cela,
plusieurs auteurs, de lAntiquit jusqu la Renaissance, ont considr Platon comme tant un
4 Finkelberg fait valoir que louvrage de Philolaos est une cration beaucoup plus tardive. Voir Finkelberg, A. 1998.
On the History of the Greek Kosmos, HSCP 98: 103-136. 5 Platon, Rep. 10. 617b.
6 Buffire 1956: 33-34.
3
Pythagoricien. Mme Aristote considrait que ses ides avaient une ressemblance avec celles des
Pythagoriciens. Aristote aussi considrait les Pythagoriciens comme une source importante de
savoir pour ltude des comtes et de la Voie Lacte. Malgr la perte de louvrage dAristote sur
les Pythagoriciens, Diogne Larce, Porphyre et Jamblique7 le citent comme une de leurs sources
sur le sujet. Ces citations ont probablement t transmises travers les ouvrages dAristoxne, un
disciple dAristote8.
En deuxime lieu, nous devons tablir comment les astres taient perus chez les
Pythagoriciens. Quelles taient leurs places dans cette cosmologie mathmatique? Pouvons-nous
tablir un ordre cleste, et si oui, comment est-il reprsent, de la contre-terre aux toiles fixes ?
Bien tablir cet ordre plantaire sera important lorsque nous voudrons dterminer si la cosmologie
de lAntre des Nymphes est pythagoricienne, en partie ou totalement. Troisimement, la
conjonction des nombres et des astres nous emmne discuter de lharmonie musicale. La relation
quentretiennent les Pythagoriciens avec la musique commence avec Pythagore lui-mme et
sexprime par sa relation avec Apollon. Elle culmine dans la notion de la musique des sphres. Il
sera donc important de noter quel est le lien entre Apollon et Pythagore. Cest dans le but de dcrire
larrire-plan des notions pythagoriciennes que ce chapitre abordera les notions de lillimit, du
rle des nombres, des astres et de la musique. Une fois cette base tablie et clairement prsente,
nous pourrons mieux comprendre les analogies employes par Porphyre dans lAntre des Nymphes.
Il deviendra vite vident que ces notions sont complmentaires et font partie dun systme
globalisant, dune philosophie totale, propre aux philosophes de lAntiquit tardive.
7 Pour une discussion de ces citations dans les oeuvres plus tardives, voir Guthrie 1962: 199-210.
8 Gaugier 2006: 95.
4
1.1. Philolaos, les lments et les astres
The world-order is one. It began to some to be right up at the middle and from the middle
upwards in the same way as downwards and the things above the middle are
symmetrical with those below. For, in the lower the lowest part is like the highest and similarly for the rest. For both have
the same relationship to the middle, except that their positions are reversed9.
La cosmogonie de Philolaos est trs particulire et reflte, selon Huffman, les traditions
cosmologiques ioniennes que lon trouve chez plusieurs prsocratiques comme Anaximandre
(610-546 av. J.-C.) et Parmnide. Ils ont tous les deux mis laccent sur un cosmos structur partir
dun point central10. Comme le dit le fragment de Philolaos cit plus haut, nous sommes en
prsence dun univers qui a clos dune faon centrifuge, en parfaite cohsion avec chacune de ses
parties. Celles-ci sont mises en relation harmonieusement et prservent en tout temps leur nature
symtrique. En ce qui nous concerne, afin de ne pas sy perdre infiniment, nous nous contenterons
daborder le point de dpart de la cosmologie pythagoricienne de Philolaos: lillimit.
1.1.1. Lillimit et le limit chez Philolaos
Les ouvrages de Philolaos seraient les premiers ouvrages que lon pourrait qualifier de
pythagoriciens. Ils dateraient de la fin du cinquime sicle avant notre re11. Bien que le dbat12
persiste savoir si Philolaos tait vritablement un Pythagoricien, la majorit des auteurs anciens
lappelle Philolaos le Pythagoricien13. Nous nous en tiendrons cela. Philolaos propose une
cosmologie, qui pourrait tre dorigine milsienne, qui a comme point de dpart lillimit ()
9 Philolaos, fr. 17 dans Huffman, 1993: 215.
10 Huffman 1993: 202.
11 Kahn 2001: 23 ; Gaugier 2006: 87.
12 ce sujet, voir Huffman 1993.
13 Gaugier 2006: 86.
5
et la limite (), deux notions centrales la cosmogonie dAnaximandre14 et cites par
Parmnide (fr. 8.30 ; 42) comme tant la marque de la perfection de ltre15. Les deux principes
de Philolaos seraient une combinaison de la philosophie naturelle ionienne et de lontologie
latique16. Ils sont relis par lharmonia, la consonance. Lharmonia est un principe dunion
cosmique que lon retrouve chez Empdocle17 et aussi chez Hraclite18. Porphyre prcisera
dailleurs que lharmonie est une opposition de tensions19, une notion potentiellement
mithriaque20. Nous en discuterons plus loin. Cest chez Philolaos que ce principe dunion est
dvelopp en termes de ratios numriques et musicaux spcifiquement pythagoriciens21.
Lillimit est considr comme tant parfait, car il est la somme de toutes choses.
L, tel que dcrit par Aristote en Physique 203b11: [lillimit] est divin parce quil est
immortel et indestructible. Par la suite, latteinte de cette perfection deviendra un des prceptes
cls de la philosophie noplatonicienne et nopythagoricienne. Cette totalit cosmique est
consquemment un principe potentiel illimit qui renferme en lui-mme la totalit de lunivers.
Les fragments dAnaxagore nous permettent didentifier dautres illimits qui sont seconds. Ces
illimits ont une double identit dans le sens quils sont aussi des limits, cest--dire limitatifs.
Ce sont des principes illimits, mais issus du premier illimit, donc limits. Anaxagore donne
comme exemple lair et l'ther comme tant des principes illimits22. Il mentionne aussi le sec,
lhumide, le chaud, le froid, lillumin et lobscur23, le dense et le rare24. Il ne serait donc pas
improbable que la mention des illimits de Philolaos suggre une liste semblable, un point que
14
Lillimit est le premier lment de la cosmologie dAnaximandre, alors que cest leau dans celle de Thals. Ce
principe est ternel et reprsente en soi, non seulement la totalit de lunivers, mais la source de la cration; voir
Drozdek 2007: 8-12. 15
Pour une analyse et une mise en contexte des concepts de lillimit et de la limite, voir Huffman 1993: ch 1. 16
Sur la relation entre les Pythagoriciens et lcole latique, voir Hussey 1997. 17
Empdocle, fr. 27 DK. ; fr. 96 DK. 18
Hraclite, fr. 51 DK. ; fr. 54 DK. 19
Porphyre, lAntre des Nymphes, 29. 20
Beck 2006: 81-85 ; Beck tablit, avec raison, lharmonie comme tant le deuxime axiome des croyances
mithriaques. Nous en discuterons davantage dans la troisime partie de cette thse. 21
Kahn 2001: 24. 22
Anaxagore, fr. 1 DK. 23
Anaxagore, fr. 4 DK. 24
Anaxagore, fr. 12 DK.
6
Huffman concde en y rajoutant le vide, la tonalit musicale et le temps25. Aristote prsente aussi
les Pythagoriciens comme ceux qui associaient toutes choses aux nombres et parlaient de lillimit
comme du premier principe26. Il en discute plusieurs endroits dans sa Mtaphysique, de mme
que dans le De Caelo (2.13) lorsquil parle de la contre-terre (nous en discuterons plus loin). Il
mentionne galement lillimit dans la Physique en 3.4, 204a1 et en 4.6, 213b22. Il serait quand
mme important de noter quAristote parle des Pythagoriciens dans un contexte plus gnral et qui
met en scne les apports de Platon et de lAcadmie sur le sujet. Platon suggre de voir le principe
du limit et le principe de lillimit en tant que forces cratrices et non comme des concepts
purement mathmatiques27. Il y a aussi la tradition orale au sujet de Platon, les agrapha dogmata28,
qui a influenc la tradition platonicienne plus tardive et quAristote identifie comme des
enseignements pythagoriciens29.
Dans une forme non fragmentaire, cest Diogne Larce qui nous apprend que Philolaos
croyait que la nature dans lordre du monde, dans le cosmos, tait compose harmonieusement de
choses illimites et de choses limites, autant dans le cosmos en entier que dans ses parties
intrieures30. tant entendu que le premier principe cratif de la cosmogonie de Philolaos est
lillimit et que ses parties internes sont observes travers les nombres, ce sont des auteurs
comme Euclide qui nous instruisent sur la nature des nombres eux-mmes. La thorie des nombres
est discute dans les livres VII-X des lments. Considre comme tant pythagoricienne, elle met
de lavant 23 principes au sujet des nombres. Pour notre propos, certains principes savrent plus
importants que dautres comme par exemple, le premier, qui affirme que toute chose est compose
dunits et quun nombre est une multitude dunits. Un nombre fait partie dun autre nombre
lorsque celui-ci est employ dans une opration mathmatique, cest--dire lorsquil dtient en lui-
25
Huffman 1993: 50. 26
Huffman 1933: 203. 27
Huffman 1993: 38 ; Voir aussi Platon, pinomis. 900 c-991. Dans ce passage, Platon indique que ltude la plus
importante est celle des nombres notiques, et non celle des nombres corporels. Laccent est mis chez Platon sur
ltude de la gnration des nombres pairs et impairs, dcrits comme des nombres nuptiaux. 28
Aristote, Phys., 209b15. Pour un survol de ces textes, voir Ross 1951: 142-224 ; Krmer 1990. 29
Kahn 2001: 65. 30
Kahn 2001: 24.
7
mme sa formule mathmatique, e.g. cinq a en lui-mme 2 et 3 (2+3=5). Par ailleurs, un nombre
fait aussi partie dun autre que lorsquil le mesure31.
Il est vrai que lorigine vritable de la thorie des nombres chez les Pythagoriciens est
quasiment impossible dterminer. Le dbat persiste encore aujourdhui. Malgr tout,
limportance de Philolaos est souvent souligne par des auteurs qui lont suivi tels que Platon et
Aristote ou encore Nicomaque et Jamblique pour nen nommer que quelques-uns. On peut
supposer que les concepts de Philolaos ont pris des couleurs platoniciennes lors de leur
appropriation par Platon, un fait qui nous est soulign par Aristote. En ce qui nous concerne, il
semble vident que les enseignements de Philolaos propos de lillimit et du limit se sont
transmis surtout travers les interprtations dAristote et de Platon. Ces deux principes sont la
base de la numrisation cosmologique et permettent liniti de contempler lunivers. Si lillimit
reprsente un continuum infini, les limitatifs dfinissent les bornes de ce continuum et le rendent
perceptible32. Nous discuterons plus loin dune cosmologie arithmtique agence et maintenue par
le pouvoir des nombres33.
1.1.2. Les lments
Au-dessus du firmament, hors de la sphre du matriel, se trouve le Dmiurge. De nature
masculine et distinguer du nous34, le Dmiurge est parfait, inaltrable, immuable et vivant. Il est
31
Ces quatre premiers principes dEuclide au sujet des nombres ont un caractre que lon pourrait qualifier
dsotrique. Il serait toutefois maladroit de leur reconnatre une dimension religieuse. Cest lorsque ces principes sont
mis en action dans le cadre plus gnral dun systme de croyances pythagoricien quils prennent des couleurs
spirituelles. Les 23 principes des nombres dEuclide dcrivent les nombres dans leurs fonctions de base, allant de
lunit aux solides et se terminant avec le nombre parfait quil dcrit comme tant un nombre compos de la totalit
des parties. Dix est le nombre parfait qui sera le plus cit par les auteurs pythagoriciens. Voir Euclide, lments, 8 ;
voir aussi Thomas 1991: 67-71 n.b.p. a-c, pour une description plus approfondie des apports et corrections des
premiers principes dEuclide par Nicomaque et Jamblique. 32
Huffman 1993: 47. 33
Platon crit dans la Rpublique (VIII, 546 b-d) que le cycle de la race divine (les dieux) est gouverne par un nombre
parfait et que le nombre de la race des hommes est le premier avoir un volume. 34
Le est lintelligence suprme. Porphyre nous prcise quil y a trois niveaux de divin: lUn, lintelligence, et
lme. De plus, Porphyre note aussi que l'intellect est tourn vers lui-mme, mme si nous ne sommes pas tourns
vers lui Voir: Nauck A. fr. 16. dans Guthrie 1962, vol. 2. ; Porphyre. De Abstinentia, 1, 39.2.
https://en.wiktionary.org/wiki/%CE%BD%CE%BF%CF%85%CF%82
8
aussi identifi au dieu ternel35, dsign comme la cause suprieure36 et le premier de tous les tres
intelligents et ternels37. Il est par contre impossible quun tre humain puisse le connatre ou
encore quil puisse en parler, dans les rares cas o un tre humain y parviendrait38. Cela le placerait
au mme niveau que lillimit pythagoricien. Consquemment, le Dmiurge ne peut tre connu
que par la voie notique et mme l, le disciple ne peut jamais contempler directement le
Dmiurge. Seule lharmonie peut donner un sentiment de communion. Lharmonie sera discute
plus loin. Nous verrons alors, par notre lecture de lAntre des Nymphes, que la voie vers le
Dmiurge est dfinie dune faon potique par Porphyre. Poursuivons. La cration de lunivers par
le Dmiurge, qui est lintellect le plus pur, sest faite en manipulant les lments primaires qui ont
leurs propres caractristiques39. Autrement dit, cest en manipulant les lments et surtout, en les
sparant, que le Dmiurge a mis de lordre dans lunivers. Les lments ont une nature
dsordonne et ont tendance vouloir se mlanger. Maintenir lordre ncessite donc une
intervention constante du Dmiurge, mais, tant donn que celui-ci est une cause sans cause et par
ce fait immuable, les dieux clestes ont t crs afin de maintenir lordre du monde40. Autrement
dit, lide que les quatre lments qui constituent le cosmos ne peuvent coexister en mme temps,
car ils sopposent, entrane la notion dillimit () qui devient synonyme dun infiniment
grand qui englobe et ordonne lunivers.
Cest chez Empdocle (493-432 av. J.-C.) que lon retrouve un des premiers discours
concernant les quatre lments41 qui gouvernent le cosmos. Les lments composent lunivers,
mais, chez plusieurs auteurs, llment principal nest pas toujours le mme. Par exemple, pour
Thals, leau est llment principal42. Son disciple, Anaximandre, croit plutt que la source de
35
Platon, Tim. 34a. 36
Platon, Tim. 29a. 37
Platon, Tim. 37a. 38
Platon, Tim. 28c the father and the maker of all cannot be known and even if we knew him, we could not tell
others trad. dans Drozdek 2007: 157. 39
Platon, Tim. 47e-48a the things which take place out of necessity - for the creation of this world is the combined
work of necessity and mind. Mind, the ruling power, persuaded to bring the greater part of created things to perfection
trad. dans Drozdek, 2007: 159. 40
Drozdek 2007: 162. 41
Le feu, leau, lair et la terre. 42
Aetius, 1.3.
9
toutes choses est lillimit43. Pour Anaximne (546 av. J.-C.), cest lair qui est llment principal.
La physique dAnaximne sera dailleurs reprise pas Diogne dApollonie (500 av. J.-C.) pour qui
lair est lintelligence et par consquent, lme44. Hraclite (500 av. J.-C.), quant lui, propose le
feu comme llment principal. Selon lui, tout repose sur une interaction avec le feu45. Nous
verrons plus loin, lors de notre lecture de lAntre des Nymphes, linfluence dHraclite et de son
importance pour mieux comprendre le rle de leau et de ses exaltations menant vers le haut et
vers le bas. Il serait aussi pertinent de mentionner Anaxagore (460 av. J.-C.) qui divise lunivers
en deux infinis: lair, plus bas, et lther, au-dessus du firmament46. La comprhension des
lments est donc particulirement importante pour le dveloppement des concepts
cosmologiques. Ces ides culminent chez Empdocle qui propose que la source de toute chose soit
lunit ou plus prcisment lUn, qui est illimit par nature : [...] et de lUn sortit le multiple: le
feu, leau, la terre et limmense profondeur de lair 47. Les lments dEmpdocle sont donc des
concepts illimits qui par leurs interactions causent des vnements limits. Il est intressant de
noter quEmpdocle associe les lments aux dieux48, une ide dj prsente chez Philolaos49 et
qui se perptue dans lcole pythagoricienne50. Empdocle est particulirement important pour
notre sujet, car ses ides se sont retrouves au centre des lments pythagoriciens et seront plus
tard la base des lments tels que prsents par Platon avec ses cinq solides.
Le feu est llment le plus important et est reprsent par le ttradre, le solide le plus
simple. Il compose tous les autres solides et est le premier sexprimer. Il doit donc y avoir un feu
au centre du cosmos, un point central. La nature de ce feu central peut tre difficile interprter et
doit tre approche avec prudence. Empdocle est un des premiers auteurs discuter de ce feu
central, quil situe lintrieur de la Terre. Pour lui, ce feu reprsente le sous-monde de lHads.
43
Buffire 1956: 88. 44
Buffire 1956: 89. 45
Buffire 1956: 94. 46
Buffire 1956: 94. 47
Buffire 1956: 96 et n.b.p. 53. 48
Chez Empdocle, cit par Atius et receuillit par Diels (1879: 90), les associations sont les suivantes: Zeus = feu,
Hra = air, Nestis = leau, Adne = terre. Adne est souvent prsent comme une variante dHads. Voir Buffire,
1956: 97. 49
Philolaos consacrait langle du triangle 4 divinits, soit disant: leau Chronos, le feu Ars, la terre Hads.
Voir Proclus, in Euclidem. 1. 402,21 dans Buffire 1956: 99. 50
Buffire 1956: 100.
10
Dailleurs, Diogne Larce rapporte, cinq sicles plus tard, que Pythagore aurait visit lHads et
en serait revenu, ce qui constituerait une preuve de limmortalit de lme51. Ceci tant dit, dun
point de vue purement pythagoricien, le feu central nest pas au centre de la terre, mais en premire
position au centre du systme solaire, suivi de la Contre-Terre et ensuite de la plante Terre. Notons
que la Contre-Terre, ainsi que le feu central, sont imperceptibles pour les tres humains.
Quoi quil en soit, la premire vritable mention du feu central vient dAristote et est
vaguement attribue aux Pythagoriciens52. Cependant, des tmoignages plus tardifs associent
lide spcifiquement Philolaos53. Poursuivons. Mme sil a t suggr par J. Zhmud que la
cosmologie mathmatique des Pythagoriciens a t introduite par Aristote et non par Philolaos54,
Kahn accepte la cosmologie dAristote comme tant pythagoricienne55. Aristote prtend que les
Pythagoriciens plaaient le numro sept la mme place que le soleil, qui occupe la septime
position partir du feu central56.
La terre elle-mme tourne autour de ce feu central. La nuit et le jour sont crs par leur
position par rapport au feu central57. Le corps cleste le plus prs du feu central est la Contre-Terre
ou . Celle-ci, tout comme le feu central, est imperceptible par les habitants de la Terre.
Le troisime corps cleste est la Terre. Elle est en orbite autour du feu central et la est
toujours entre nous et le feu central58. Il a aussi t suggr que le feu central proviendrait de
lobservation des phnomnes volcaniques en Sicile et que dautres cosmologies plus anciennes,
ayant un feu central lintrieur de la Terre, auraient t remanies et projetes sur lchelle
cosmique par Philolaos59.
Les quatre lments peuvent donc tre interprts daprs leur nature numrique et la
relation entre Empdocle et Pythagore est souligne par Diogne Larce60. Cette mise en nombre
51
Gaugier 2006: 86 ; Diogne Larce, Vita Pyth. 8. 4-6. 52
Aristote, De Caelo. 293a 20-21 ; Met. 985b 23, 986a 8-12. 53
Kingsley 1995: 172. 54
Lorigine prcise de la construction mathmatique du monde nest pas controverse, mais elle nest pas parfaite.
Pour une discussion plus approfondie sur la maxime et la doctrine tout est nombres, voir Loenid J. Zhmud. 1989. 55
Kahn 2001: 27 ; Voir aussi Schibi, 1996. 56
Aristote, Fr. 203 dans Huffman, 1993: 234. 57
Kahn 2001: 26. 58
Aristote, De Caelo. 293a 23-4, 293b 19-21 ; Kingsley 1995: 173. 59
Kingsley 1995: 181 ; Voir aussi Kingsley 1994. 60
Gaugier 2006: 86 ; Diogne Larce. Vita. Pyth. 8. 50.
11
des lments pourrait cependant sexpliquer par lappropriation de ces concepts par Platon61, ce
qui en rendrait lorigine pythagoricienne moins probable. Comme nous lavons indiqu plus haut,
Philolaos attribuait les lments quatre dieux, comme Empdocle, mais pas aux mmes dieux
quEmpdocle62. Ce point important sera approfondi lors de notre lecture de lAntre des Nymphes.
Revenons la numrisation des lments. Dans lcole de Platon, chaque lment est symbolis
par lun des cinq solides gomtriques63. La base de ces solides, ce sont des triangles. Platon
affirme que toutes les formes gomtriques sont composes, la base, de triangles. Cest pour
cette raison quil argumente que toute forme parfaite peut tre dcompose jusqu sa base
triangulaire64.
1.1.3. La doctrine des nombres
La doctrine des nombres est entirement relie la cosmogonie, car si les nombres sont
premiers dans tout ce qui existe, largument voulant que leurs lments et leur origine
soient aussi lorigine du monde et tout ce qui sy trouve va de soi65. Larithmtique, la gomtrie,
la musique et lastronomie sont insparables des nombres. Cest par leurs actions que lunivers est
cr et cest par les nombres quil se maintient66. Lon trouve chez Archytas de Tarente (plus ou
moins 435 av. J.-C.), dit le Pythagoricien, la premire vritable mention du quadrivium lorsquil
discute de la vitesse des toiles. Il rapporte que ce genre de savoir est obtenu travers ltude de
larithmtique, de la gomtrie, de la musique et de lastronomie. Il est cit par Nicomaque de
61
Il y aurait ici beaucoup dire propos des lments et de leur association aux cinq solides de Platon (Fig. 1.). De
faon brve, Euclide mentionne que de ces cinq solides, trois sont pythagoriciens soit le ttradre, le cube et
dodcadre (4, 6 et 12 cts). Les deux autres, loctadre et licosadre (8 et 20 cts), seraient attribus Thtte,
un disciple de Socrate. Les solides ont reu la connotation de platonicienne suite au discours leur sujet par Platon
dans le Time. Voir Euclide, lments, XIII dans Greek Mathematical Works, trand. par I. Thomas. 62
Buffire 1956: 100. 63
Speusippe, fr.122. dans Isnardi-Parente, 1980. Les associations sont simples et progressives: le ttradre est le Feu
(4), le cube est la terre (6), loctadre est lair (8), le dodcadre est lther (12), licosadre est leau (20). Il est quand
mme intressant de noter que la progression des lments place leau au-del de lther. Peut-tre y a-t-il une relation
avec leau situe au-dessus de lther dans lAntre des Nymphes. 64
Gaugier 2006: 91. 65
Riedweg 2005: 84 ; Aristote, Met. 985b 25-986a 2. 66
Gaugier 2006: 91.
12
Grase, au premier sicle de notre re, dans son ouvrage sur larithmtique67 et par Porphyre68. En
plus dArchytas, Platon mentionne aussi ces quatre sciences comme tant indispensables69. Cest
donc par la comprhension approfondie du quadrivium que le disciple pythagoricien peut
contempler lunivers.
Chez les Pythagoriciens dAristote, lon ne retrouve pas la notion de principes incorporels
notiques. C'est--dire quil affirme que les cieux sont littralement des chiffres et quaucun
nombre ne se distingue des choses sensibles70. Aristote fait valoir que cest Platon qui a spar
lincorporel et que cest Platon qui a remplac lillimit pythagoricien par la Dyade71, qui est issue
de la Monade. Sans trop insister, gardons en tte que le multiple est issu du singulier. En ce sens,
lide que la Dyade est issue de la Monade nest pas en contradiction avec le sentiment
pythagoricien.
Speusippe72 (408 -339 av. J.-C.), le neveu de Platon et son successeur lAcadmie, avait
des contacts directs avec des Pythagoriciens. Il a crit un trait sur la numrologie pythagoricienne,
se plaant ainsi continuit avec Philolaos73. Il croit que la dcade74 est la base de lordre
cosmologique et quelle contient aussi tous les multiples et les ratios possibles crant ainsi le
modle le plus parfait75. Il sagit dune reprsentation de la . Malgr la perte des ouvrages
de Speusippe, ses notions se sont retrouves dans la Thologie des Nombres qui est vaguement
attribue Jamblique76. Les disciples de Jamblique devaient dailleurs lire une slection des
ouvrages de Platon, dAristote et les Oracles Chaldens77. Il considrait les enseignements de
67
Gaugier 2006: 89. 68
Archytas est cit par Porphyre dans son Commentaire sur les Harmoniques de Ptolme, dans Greek Mathematical
Works, Vol. 1: 5. 69
Platon, Rp, 7. 525.a - 530.d. 70
Aristote, Met. 986a 21 ; 987b 27. 71
Kahn 2001: 63. 72
Pour une approfondie sur Speusippe, voir Isnardi-Parente 1980 ; Burkert 1972. 73
Voir Fritz 1973 pour linfluence purement mathmatique de Philolaos sur lAcadmie. 74
Le chiffre dix reprsent gomtriquement. Voir Guthrie 1988: 322-24 ; Thomas 1951. 75
Gaugier 2006: 93. 76
Jamblique mentionne que Speusippe avait beaucoup de zle pour les concepts pythagoricien et surtout ceux de
Philolaos. Jamblique nous apprend aussi que Speusippe a crit Sur les Nombres Pythagoriciens. Malgr la perte de
louvrage en question, son contenu est prserv en partie dans la Thologie des Nombres. Voir: Jamblique,
Theologumena Arithmeticae. dans Thomas 1991: 75-76. 77
Riedweg 2005: 128.
13
Pythagore comme un don des dieux pour les hommes. Il croyait aussi que cest travers les
mathmatiques que lon peut percevoir lintellect suprme, le nous ou encore lUn.
Jamblique est en grande partie responsable de la synthse entre les ides platoniciennes et
pythagoriciennes dans lAcadmie de Platon. Il est aussi responsable de la mise en nombres des
lments en employant les cinq solides de Platon78. Speusippe est mentionn quelques reprises
par Aristote et l o Platon distinguait trois substances ternelles des nombres (formes,
mathmatiques, sensibles), Speusippe y rajouta une quatrime substance pour les nombres et pour
lme79. De plus, Aristote distingue deux niveaux de nombres, des nombres soi-disant formels, qui
seraient des ides et des nombres mathmatiques80. Ces derniers diffrent des nombres formels en
ce quils sont des variantes dun mme nombre81. En fait, Aristote souligne que Platon est davis
qu ct de la forme observe, il y a la forme mathmatique, qui est immortelle et immuable
linverse de la forme observe qui est changeante82.
Cette faon de prsenter la cration du rel partir des nombres, et seulement partir des
nombres, nest pas tout fait en accord avec Aristote : elle est propre Speusippe qui place les
nombres comme tant seulement notiques. Les formes sont le rsultat des nombres intellectuels
qui en sont la premire cause83, do la rfrence au pouvoir de cration de la .
Autrement dit, sil y a selon Speusippe cinq substances (les nombres, les volumes, lme, la
mathmatique, le sensible) et que chacune de ces substances a deux principes opposs (i.e. lunique
et le multiple, pair impair, etc.), nous avons donc dix principes de crations regroupant la totalit
de la cration84.
78
Kingsley 1995: 177. 79
Aristote, Met. 1028b21-24. 80
Aristote, Met. 1086a 4-5, 1099b 34, 1090b 35, 987b 14-18, 991a 4, 1079a 35 ; Platon fait aussi mention des nombres
notiques dans la Rpublique (5, 510 c-e) prcisant que les nombres servent percevoir lobjet vritable qui est
autrement imperceptible. Sur lacquisition dun savoir, Platon donne quatre tapes dans son ptre en VII. 342 a-343
b. Il avance que premirement, il y a un nom ou un mot, ensuite vient la description, limage et quatrimement, la
connaissance de lobjet. 81
Drozdek 2007: 185. 82
Aristote, Mt. 5, 987 b 14-18. 83
Drozdek 2007: 185-186. 84
Drozdek 2007: 187.
14
Revenons lAcadmie. Bien que les Pythagoriciens du sixime et cinquime sicle av. J.-
C. aient t perscuts et malgr le dclin de cette cole de pense85, les ides pythagoriciennes
ont grandement influenc la philosophie mathmatique de lAcadmie partir de Speusippe.
Ceci eut comme effet de revigorer les ides pythagoriciennes travers le prestige de lAcadmie.
Certains Platoniciens, comme Speusippe et son successeur Xnocrate, ont adopt les ides
pythagoriciennes un point tel que certains chercheurs argumentent que dj lpoque de
lAcadmie, les concepts platoniciens avaient commenc se confondre avec ceux des
Pythagoriciens86. propos de Xnocrate, il est intressant de noter qui ce dernier considrait la
Monade et la Dyade comme tant des dieux, daprs lenseignement de Platon87.
Cette notion de dieu numrique revient plus tard, durant le premier sicle de notre re, dans
les ouvrages de Philon dAlexandrie88 (30 av. J.-C.- 44 apr. J.-C..). Ayant un intrt particulier
pour les philosophies platonicienne et pythagoricienne, il cite un passage de la Bible selon lequel
Dieu ordonna toute chose selon les nombres, les peses et les mesures89. Il se sert dun
symbolisme bas sur les nombres et sen sert afin de dcrire plusieurs composantes de lunivers.
De plus, poursuivant les travaux de ses prdcesseurs, il labore le concept des contraires en
employant des nombres pairs et impairs, symbolisant ainsi les nombres mles et femelles90.
Il qualifie aussi de parfait les nombres quatre, six et sept, quatre tant la source de ce qui est
physique dans le monde, six, autant mle que femelle, symbolise la productivit et finalement sept,
le nombre le plus digne de rvrence, rfre aux plantes et la sphre des toiles fixes. De l, le
nombre sept influence tout ce qui est visible dans lunivers et plus particulirement la science,
lastronomie et la musique91. La variante pythagoricienne de Philon marque un moment de
85
Date selon Aristoxne aux alentours du quatrime sicle avant notre re. 86
Gaugier 2006: 99. 87
the one [monad] as a male [principle] has the role of a father that rules in heaven, and calls it Zeus, the odd, and
nous, that is for him the first god; the other [the dyad] as a female [principle] in the manner of the mother of gods rules
over the region below the heaven, and she is for him the soul of the all. Also heaven is a god and so fiery stars are
Olympian gods and other sublunary are invisible daimones Aetius 1.7.30 = fr. 15 attribu Xnocrate dans Drozdek
2007: 193. 88
Pour un compte-rendu des tudes sur Philon, voir Radice & Runia 1992. 89
Ce passage se retrouve dans le Livre de la Sagesse, II:21. 90
Un cho de la table dlments opposs chez Aristote (Met. 986a 22). ; Il y a ici une ide originale voulant que les
nombres impairs aient une essence gnratif (i.e. 1 et 3) et que les nombres pairs aient une essence rceptive (i.e. ils
peuvent tre diviss en nombres entiers). Voir aussi les premiers principes dEuclide dans Thomas 1991: 437-439. 91
Gaugier 2006: 102.
15
transition vers les doctrines nopythagoriciennes tout en prservant une place de choix pour le
monade quil associe directement Dieu.
Les nombres ont donc tous une fonction cratrice et reprsentent tous une facette du
cosmos. Les nombres les plus importants sont ceux du ttradre, un quatre92. Pour les
Pythagoriciens, la est bel et bien un symbole complet de lordre numrique et musical
du cosmos93. Elle exprime autant la musique cosmique que lordre de la cration. Malgr tout, la
cosmologie pythagoricienne ne nous donne pas une thorie de la nature des nombres et ne dcrit
pas comment ils se rattachent ce que lon peut compter, mais explique plutt comment les quatre
premiers nombres ont t crs ainsi que leur fonction.
Aprs avoir discut de limportance des nombres et de leur rle dans la cosmologie, on
peut maintenant mettre tout cela en relation avec le schma plus gnral dune cosmologie
proprement arithmtique. Prcisons toutefois que les drivations mathmatiques voulant que tout
soit cr partir des nombres seraient plus vraisemblablement de nature acadmique et ne
reprsenteraient pas la cosmogonie pythagoricienne ancienne qui plaait la Monade dans une
position centrale, soufflant dans le vide cosmique94. En fait, cette reprsentation de la monade
pointe en direction des nopythagoriciens.
1.1.4. Lordre de la cration et des plantes
Lorsque lon tente dtablir une cosmologie purement pythagoricienne, il est important
dtudier le Time de Platon. Cette oeuvre est centrale la conception du cosmos selon les
Platoniciens, mais plusieurs lments pythagoriciens sy seraient glisss. Platon y met le Dmiurge
en tant que crateur dun univers mathmatique95. Il nous donne une description de la cration
92
Les nombres entiers, 1, 2, 3 et 4 sont les plus importants et reprsentent le point, la ligne, la figure plane et le solide.
Le solide le plus simple est le ttradre, qui est compos des figures planes les plus proches du triangle. La notion
que tous les solides rguliers sont forms, la base de triangles, semble faire lunanimit. De plus, ces quatre nombres
ont un cumulatif de dix et composent la . Fig. 2. 93
Kahn 2001: 32. 94
Kahn 2001: 80. 95
Kahn 2001: 57 ; Le Dmiurge organise le cosmos et cre les quatre lments partir de triangles (Tim. 53c-56c).
Une des difficults avec la connotation pythagoricienne du Time est que Platon nemploie ni le nom de Pythagore,
ni celui des Pythagoriciens. La raison pourrait tre lie aux perscutions contre le mouvement de Pythagore au
cinquime et quatrime sicle av. J.-C.
16
dun cosmos sphrique incorporant les cinq solides rguliers dcrits par Philolaos et les quatre
lments dcrits par Empdocle96 avec la Monade en premire position.
Lorigine de la Monade ou de lUn concide avec celle du feu central et du monde. Le rle
de larithmtique y est central. Lillimit est lextrieur des cieux et constitue le vide97. LUn
et le Multiple sont les fondements principaux qui gouvernent la pense rationnelle, correspondant
ainsi aux principes du limit et de lillimit, cits plus haut, qui forment le cosmos98. partir de
lUn ou de la Monade procde la Dyade, le grand et le petit, qui est un domaine potentiellement
quantitatif, mais indtermin. Le numro deux est form par laction de lUn sur la Dyade,
transformant ainsi la quantit indtermine en nombre dfini99. Une fois les nombres rguliers de
la forms, ils servent de structure afin dorganiser la Dyade en principe gomtrique.
Le numro deux dtermine donc le grand et le petit autant que le long et le court, une ligne. Le
numro trois est le grand et le petit incluant le large et ltroit, une figure plane trois cts: le
triangle. Quatre est le triangle en profondeur, crant ainsi le solide le plus simple: le ttradre100.
Dans le Time, le ttradre101 est le feu et les autres solides primaires sont construits partir de
triangles lmentaires. Autrement dit, ceci place les nombres entre la forme et le principe102.
Sortant ensuite de la Monade et de la Dyade, viennent les nombres. Issus des nombres,
viennent les points, des points, les lignes, des lignes, les figures planes et ensuite les solides. Ce
sont ensuite les solides qui forment les quatre lments: le feu, leau, lair et la terre. Comme cit
plus haut, cest par la transformation et par linteraction des lments entre eux que ressort un
cosmos qui est anim, intelligent, sphrique et a la terre au centre103. Cest pourquoi le chiffre dix
est considr comme tant parfait, car il contient un, deux, trois et quatre (1+2+3+4=10)104; le
96
Gaugier 2006: 90. Pour une discussion plus approfondie sur les lments dEmpdocle dans ce contexte, voir aussi
OBrien 1969: 146-156. 97
Riedweg 2005: 88. 98
Kahn 2001: 58. 99
Kahn 2001: 59. 100
Aristote, Met. 1090b 20-4. 101
Pour une explication encore plus approfondie du ttradre, voir Ross 1951: 208-112. 102
Kahn 2001: 61. 103
Diogne Larce, 8, 25. 104
Kahn, 2001: 64. Dix est un nombre parfait selon les principes dEuclide. Linformation prcise quant
lassociation divine du chiffre dix proviendrait probablement de Speusippe, selon Kahn. Jamblique mentionne que
les Pythagoriciens croient que un est une unit, mais quils conoivent aussi dix comme une unit de 2e cycle, cent,
17
point, la ligne, la plane et le solide. Refltant cinq essences et dix principes dopposition ainsi que
lordre de cration, la , qui reprsente le chiffre dix est un microcosme en soi.
Cet ordre de cration est souvent peru comme purement platonicien105, car larithmologie
pythagoricienne ninclut pas directement les dieux (mme si Philolaos avait mis les dieux dans son
triangle), mais se sert deux comme des analogies afin de personnaliser les plantes et les forces
mathmatiques. Donc, certaines notions qui nous ont t transmises par Platon ont une essence
pythagoricienne, mais elles sont lgrement adaptes sa pense. Cest peut-tre pourquoi le
Dmiurge de Platon, tant construit sur un modle de concordance musicale, prserve lesprit
essentiellement mathmatique du cosmos pythagoricien106. Lon voit ds lors que la transmission
des ides pythagoriciennes a t grandement influence par Platon, comme mentionn par Aristote
cit plus haut.
Poursuivons. La construction mathmatique du corps et de lme cosmique dans le Time
reprsente un mlange typiquement pythagoricien de la thorie des nombres, de la gomtrie et de
lharmonie musicale107. Les ratios numriques, les progressions gomtriques et les solides
rguliers reprsentent lordre cosmique en tant que structure systmatique en harmonie. Un point
intressant est la mention que 5040108 est le nombre idal de citoyens dans la Rpublique. Ce
nombre, 5040, est associ la cosmologie de Pythagore par plusieurs auteurs comme Cicron et
Aristobule109. Aristote mentionne lui aussi les connotations pythagoriciennes des nombres pairs et
impairs avancs par Philolaos et se montre daccord avec Platon sur limportance du chiffre dix,
en faisant rfrence la . Il devrait donc y avoir dix corps clestes110.
Il semble, en effet, que largumentation soit inverse dans le sens o la conclusion sur les
dix corps clestes devrait tre le point de dpart et sappuyer ensuite sur des lments invisibles.
Cest pourquoi mme sil ny a que sept astres visibles, le feu central et lAnti-Terre devraient tre
une unit de 3e cycle, et mille, une unit de 4e cycle (Jamblique, Sur lArithmtique de Nicomaque, dans Thomas 1991:
107). 105
Lexpression Dieu gomtre est dailleurs cite par Plutarque comme tant typiquement platonicienne (Quaest.
Conviv. 718b-c). 106
Kahn 2001: 30. 107
Platon, Tim., 36b ; Kahn 2001: 57. 108
Ce nombre est obtenu par la multiplication des nombres entiers composant le chiffre sept, donc 1x2x3x4x5x6x7
= 5040. 109
Gaugier 2006: 92. 110
Kahn 2001: 25.
18
inclus, afin darriver neuf, de mme que la Terre, afin darriver dix. Lunivers est une sphre
ayant les toiles, le firmament, comme limite entre ce monde et celui du divin. En dessous des
toiles fixes111 viennent les cinq plantes, le soleil, la lune et la terre. De plus, il doit aussi y avoir
un feu au-del de la sphre extrme des toiles fixes112. On a parfois suppos que les notions
plantaires de Philolaos provenaient de Babylone113, mais les concepts du feu central et de la
Contre-Terre peuvent sans doute lui tre attribus114. Il est toutefois difficile daccorder une valeur
scientifique (dans le sens dune logique de cause effet) au systme de Philolaos en raison du
feu central, de l et de leur nature invisible. Cest pour arriver au chiffre dix que la Contre-
terre, aussi invisible que le feu central, aurait t ajoute. Le systme nest donc pas gocentrique,
mais pas forcment hliocentrique non plus. Cest peut-tre pour cette raison que les chercheurs
ont class cette thorie cosmologique au rang de mythe et de mystre, contrairement des
observateurs plus modrs comme Ptolme.
Pour ce qui est de la Terre, elle est sphrique. Cette notion est attribue Pythagore et
Parmnide115, mais il semble quAristote ait t le premier plaider en faveur de cette
hypothse116. Chez Empdocle et Platon, encore une fois, on retrouve la conception
pythagoricienne voulant que la terre respire117. Elle inspire par des conduits souterrains et expire
par des volcans. Cette analogie rfre lide du macrocosme et du microcosme118. Autrement dit,
la terre est une crature vivante munie dun souffle119. Cependant, bien que cette notion soit cite
par Empdocle et Platon, ce ne sont pas eux qui lont invente120.
111
Juste au-dessus des toiles fixes sigent les mes immatrielles. Macrobe associe cette notion aux Pythagoriciens,
mais il est difficile den cerner lorigine historique. Voir, Lamberton 1986: 73-76. 112
Kahn 2001: 25. 113
Lordre plantaire babylonien commence avec la Terre, viennent ensuite Mercure, Vnus, Mars, le Soleil, Jupiter
et Saturne. Lordre pythagoricien suit le mme modle, mais ajoute le feu central et la Contre-terre. Voir Evans 1998:
317-320. 114
Kingsley 1995: 173. 115
Diogne Larce, 8.48. 116
Aristote, Cael. 297a 8-298a 20 ; Volk 2009: 25. 117
ce sujet, voir aussi Zaslavsky 1981: 206 ; Dorter 1982: 165-6. 118
Voir Orelud 1951. 119
Kinsgley 1995: 142. 120
Orelud 1951: 43-57 ; Guthrie 1962 (vol. 1): 200 ; Philip 1966: 68-70.
19
1.2. LHarmonia
La musique joue un rle important dans le cosmos que nous tentons de dcrire. La tradition
ancienne nous renvoie trois lments importants: la nature mathmatique de la musique, les effets
de la musique sur le comportement humain, et lharmonie des sphres cre par le mouvement des
plantes. Le lien avec les ides pythagoriciennes serait la base de linclusion de la musique dans
le quadrivium selon Zhmud121. Jamblique mentionne surtout le rle dArchytias, lui attribuant
linclusion des harmoniques dans le quadrivium pythagoricien qui navait peut-tre pas encore
inclu lastronomie cette poque122. Il nest donc pas surprenant, selon lui, que les travaux sur la
thorie musicale aient t crits par des mathmaticiens comme Euclide ou Ptolme. Nous
voulons cependant nous concentrer sur le ct mystique de la musique et les associations
mystiques entre Pythagore et la musique afin de mieux comprendre lharmonie divine.
Il semblerait que cest dans les textes de Philolaos que lon retrouve les premires
vritables attributions cosmologiques des nombres et de la musique. Malgr lincertitude entourant
ds le dpart leur caractre pythagoricien123, ces concepts sont tout de mme discuts en
profondeur et attribus Pythagore par le nopythagoricien Nicomaque de Grase124 plusieurs
sicles plus tard. Nous navons aussi que trs peu dinformation sur la transmission des
enseignements musicaux entre la priode de Pythagore et celle de Philolaos, mais le peu que nous
savons nous indique que les enseignements musicaux en dehors de lcole pythagoricienne taient
quasi inexistants125. Il reste que Philolaos a dcrit lharmonia comme tant lquilibre entre des
121
Zhmud 2012: 286. Voir aussi les fragments de Xnocrate (fr. 87. DK) ; Aristoxne (fr. 90. DK) ; Philolaos (fr. B.
6. Huffman) ; Archytias (fr. B. 1-2. DK). 122
Jamblique, Sur lIntroduction lArithmtique de Nicomaque. dans Thomas 1991: 111. 123
Zhmud attribue un des premiers ouvrages sur la musique un certain Lasus dHermione, un contemporain de
Pythagore. Il note quand mme, avec raison, que lethos de la musique, cette partie divine, est difficilement attribuable
Philolaos. Zhmud 2012: 285-314. 124
Louvrage perdu de Nicomaque nous est parvenu en partie travers le De Institutione Musica de Boce. Voir
Bower, C. 1978 Boethius and Nicomachus: An Essay Concerning the Source of the De Institutione Musica Vivarium
16: 1-45. 125
Zhmud 2012: 290. Pour une tude empirique sur le sujet des harmoniques, voir Barker, A. 2007. The Science of
Harmonics in Classical Greece. Cambridge. Archytias rapporte que les Pythagoriciens avaient trois sciences
musicales : larithmtique, la gomtrie, et les harmoniques, attribues plus tard Archytias par Jamblique. Voir
Archityas cit par Porphyre, Commentaire sur les Harmoniques de Ptolme, dans Thomas 1991: 113
20
lments opposs126. Voil pourquoi lhomme sage qui vit selon lharmonie se met dans une
position centrale sur lchiquier cosmique127.
Selon Philolaos, tout ce qui existe dans lunivers a un nombre prcis sans lequel rien ne
pourrait tre observ ou encore connu128. Cest travers ltude des nombres que lunivers peut
tre observ. Philolaos mentionne limportance du cube (la terre et non pas le feu qui est le
ttradre) qui, en raison de lharmonie129 de chacun de ses cts, est le plus parfait des cinq solides
rguliers130. Comme nous lavons mentionn plus haut, les nombres ont une double identit, cest-
-dire quils sont universels tout en tant particuliers. Par exemple, un est le feu central, il est
illimit et limitant, pair et impair. Deux est aussi bien la plus haute limite de loctave que la limite
infrieure de la quinte et trois est lharmonie, la concorde entre deux opposs131. Nous aimerions
maintenant aborder la question de lharmonia qui est le point dattache travers lequel le monde
se maintient de faon ordonne.
1.2.1. Pythagore et Apollon
Une des plus anciennes rfrences la relation entre Pythagore et la musique se trouve
dans une srie de pomes provenant dune le non loin de Samos, Lesbos. Dans louvrage de
Diogne Larce, lon apprend que Pythagore aurait tudi Lesbos avec Phrcyde. Certains
chercheurs, comme Gaugier et Carcopino, estiment quil pourrait y avoir un lien entre la pense
musicale de Pythagore et la posie de Sappho (VIIe-VIe sicles av. J.-C.). Plutarque lui attribue
linvention du mode daccompagnement mixolydien ou tragique , qui tait une faon
126
Gaugier 2006: 88. 127
Aristoxne mentionne dans son lments Harmoniques que lharmonie ouvre la voie vers lUn et permet liniti
de voir le chemin qui mne au Bien ultime. Voir Aristoxne, lments Harmoniques, 122. 3-16 dans Thomas 1991:
389. 128
Fr. 4. dans Barnes 1987: 218. 129
Lharmonie est surtout associe au chiffre trois. 130
Gaugier 2006: 88. Thon souligne la particularit du carr qui peut tre divis par 3, 4, ou 4-1. Dans ce cas-ci, 3
et 4 sont des mesures dordre gomtrique agences de faon toujours obtenir un nombre entier. Nicomaque
mentionne que lorsque les nombres impairs, partir de 1 sont agencs successivement (1=13, 3+5=23, 7+9+11=33,
13+15+17+19=43, etc.) ils donnent des cubes ad infinitum. Bref, une succession stable et ordonne. Voir Thon de
Smyrne et Nicomaque, Introduction lArithmtique dans Thomas 1991: 103. 131
Kahn 2001: 28.
21
daccompagner les pomes avec la lyre132. Elle aurait dvelopp ses harmonies partir de la lyre,
tout comme Pythagore. La tradition antique associe dailleurs Sappho et Apollon. La mme chose
est vraie pour Pythagore. Carcopino133 avance que Sappho et Pythagore se sont probablement
ctoys en raison de leur intrt commun pour la musique. Gaugier, non sans rserve, fait valoir
que Sappho pourrait trs bien tre la premire Pythagoricienne. Pline lui-mme134, au premier
sicle de notre re, associe Sappho aux Pythagoriciens135. Notons aussi qu la fin de lantiquit,
Boce fait de Pythagore un grand thoricien de la musique136.
Pindare (518-438 av. J.-C.) aurait grandement influenc la perception du dieu Apollon, le
transformant dun dieu violent et haineux en un dieu pratiquant une musique capable de gurir
tous les maux et dapaiser lme humaine. Rien de surprenant donc ce que Pythagore fut
initialement associ au dieu Apollon et plus tard dcrit comme tant Apollon lui-mme. La
premire Pythique de Pindare dcrit la paix, lharmonie, lordre et la rgularit voqus par la lyre
dore dApollon137. Cest avec cette lyre sept cordes quApollon exprimait lharmonie de
lunivers. Pindare est donc le premier exprimer cette ide, qui sera plus tard considre comme
pythagoricienne par Platon, Cicron et Macrobe dans le Somnus Scipionis. La conviction de
Pindare savoir que le don de la musique par Apollon inclut lharmonie sur Terre, la paix et le
respect des lois, lui a valu dtre associ Pythagore. Cette association sera plus tard souligne
par Clment dAlexandrie et Plutarque138.
Dailleurs, le chiffre sept est particulirement important parce quil fait non seulement
rfrence au soleil, mais aussi Apollon. Il sagit dune ide intressante si lon garde lesprit la
lyre sept cordes dApollon telle que dcrite par Pindare139. De plus, la tradition littraire rapporte
quApollon est n le septime jour du mois et que le septime jour de chaque mois lui est consacr.
Ajoutons cela quEschyle parlait dApollon comme de celui qui commande les sept et que
132
Plutarque, Sur la Musique, 1132-33 ; 1136. 133
Carcopino 1956: 9-81. 134
Pline lAncien, Hist. Natu. 12.11. 20-21. 135
Gaugier 2006: 81-83. 136
Zhmud 2012: 289. 137
Pindare, Pyth. 1, 1-13. 138
Gaugier 2006: 84-85. 139
Sur limportance du chiffre sept dans la mythologie dApollon, voir Anastase 1975: surtout 258-9.
22
Plutarque affirmera plus tard que le chiffre sept est effectivement associ Apollon. Pindare lui-
mme souligne que mourir le septime jour du mois est spcialement honorifique, un honneur que
Platon eut la chance de vivre140.
Selon Porphyre, Pythagore tait parfois peru comme tant Apollon rincarn ou encore
comme tant son fils141. On a suggr que pour Platon, Apollon voulait dire sans-multiplicit,
littralement pas nombreux142. Cette notion nous rappelle celle de la Monade, de lUn totalisant.
Il semblerait, en effet, que cest dans les textes de Philolaos que lon retrouve les premires
attributions cosmologiques des nombres et de la musique. Malgr lincertitude entourant ds le
dpart leur origine pythagoricienne, ces concepts sont discuts en profondeur et attribus
Pythagore par Nicomaque de Grase quelques sicles plus tard. Il reste que Philolaos dcrit
lharmonie comme tant lquilibre entre des lments opposs143.
1.2.2. La musique des sphres
Chez Philolaos, le mouvement priodique des corps clestes, en orbite autour du feu
central, est bas sur des ratios de concorde musicale144. De fait, leurs rvolutions produisent une
musique cosmique145. Lharmonia, qui unit lunivers, peut tre arrange en trois consonances de
base ayant comme source larithmtique et le gomtrique146: loctave (2:1), la quinte (3:2) et la
quarte (4:3). Si lon additionne ces nombres (1+2+3+4), lon obtient dix, non seulement un nombre
parfait, mais le nombre parfait pour les Pythagoriciens147. Les ratios harmoniques, pouvant tre
140
Gaugier 2006: 85. 141
Porphyre, Vita Pyth. 28. 142
Rutherford 2013: 416. ; Buffire 1956: 195 n.b.p.44. 143
Gaugier 2006: 88. 144
Mme si lharmonie des sphres nest pas dcrite de faon explicite chez Philolaos, Huffman la considre comme
a natural consequence of his broader philosophical outlook Huffman 1993: 283. Pour les doctrines musicales, voir
aussi Barker 1989: 33. 145
Kahn 2001: 26. 146
Nicomaque, Introduction lArithmtique. dans Thomas 1991: 117. 147
Kahn 2001: 25 ; Aristote, Met. A.5.986a 8.
23
construits avec les quatre premiers nombres, gouvernent autant la musique matrielle que le
cosmos immatriel 148. Cette notion est aussi atteste chez Platon149 et Cicron150.
Cette musique cosmique entre en jeu lorsque lon apprend de Porphyre que Pythagore
faisait des miracles. Par exemple, Porphyre raconte comment Pythagore aurait souffl des mots
loreille dun boeuf, le dissuadant ainsi des manger des fves, quun autre jour il avait tabli le
nombre exact de poissons dans le filet dun pcheur, ou encore quil avait trouv un enfant pouvant
regarder le soleil sans cligner des yeux et dautres comportements divins comme bannir la peste et
contrler la temprature151. Les actions miraculeuses de Pythagore taient possibles, nous dit
Porphyre, en grande partie grce sa capacit sexprimer de faon rythmique en harmonie avec la
musique cleste152. La source de ce don serait sa capacit dentendre la musique des sphres et par
le fait mme, les secrets de lharmonie divine. Lhomme sage qui vit selon lharmonie partage le
savoir infini de lUn universel. Cette musique est compose des tonalits concordantes des sept
plantes153, ce qui tmoigne de lintrt de Pythagore pour les neuf Muses154. Sept dentre elles
sont dailleurs associes aux plantes155. Jamblique aussi mentionne ce pouvoir unique156 et
comment ce pouvoir tait similaire celui qui tait attribu Orphe157.
Cest dans louvrage de Nicomaque de Grase que lon trouve des renseignements plus
prcis sur la nature musicale des plantes elles-mmes. Les plantes sont directement relies la
musique des sphres et composent, selon Nicomaque et Cicron, lharmonie divine. Les sept
plantes reprsentent les sept cordes de la lyre et la distance approximative des plantes dun point
148
Aristote, Caelo. 290b 12-291a 28. 149
Sur la possibilit dune influence orientale sur la relation entre lastronomie et la musique chez Platon, voir Des
Places, E. 1936. 150
Platon, Rep. 10.617b 4-7 ; Cicron. Rep. 6.18-19. 151
Porphyre, Vit. Pyth. 10 ; 20 ; 23-29. 152
Vivre selon lcoute est en fait un appel, selon Porphyre, vivre purement selon lintellect, car cest lintellect
qui voit ; cest lintellect qui entend De Abstinentia 1. 41,1. Vivre selon lintellect est donc vivre selon le divin
immanent peru travers la musique cosmique. 153
Les sept plantes tant Mercure, Venus, Mars, Jupiter, Saturne, le Soleil et la Lune. 154
Sur les Muses et lharmonie, voir Boyanc 1936. ; Platon aussi mentionne les Muses en pinomis. 991. Il affirme
que les progressions numriques ont donn aux hommes un sentiment de concorde et symtrie harmonieuse, un don
des Muses. 155
Porphyre, Vit. Pyth. 33 ; 39 ; 46-47 ; 49. ; Gaugier 2006: 50. 156
Jamblique, Vit. Pyth. 64-67. 157
Jamblique, Vita Pyth. 62.
24
de vue gocentrique. La plus lointaine, Saturne (Cronos), est la plus lente et gnre une tonalit
imperceptible aux oreilles humaines. Cest la plus basse note de la gamme cosmique. Plus prs, se
trouve Jupiter (Zeus), suivi de Mars (Ars), le Soleil (Hlios), Mercure (Herms), Vnus
(Aphrodite) et la Lune (Sln), qui est la plus rapide et correspond la plus haute note158. Ce
serait dailleurs, selon Nicomaque, en raison de leurs mouvements constants que les plantes sont
nommes astres, des mots theos et aither159.
Selon Pline lAncien, dans son Histoire Naturelle, Pythagore aurait propos une distance
de 126 000 stades entre la Terre et la Lune, de la Lune au Soleil, deux fois ce nombre et trois fois
ce nombre pour la distance entre le Soleil et les douze signes du zodiaque. En vertu de ses thories
musicales, Pythagore appelait la distance entre la Terre et la Lune un ton et la distance entre la
Lune et Mercure, un demi-ton. Suivant le mme principe, la distance entre Mercure et Vnus donne
un demi-ton, entre Vnus et le Soleil, une ton et demie, entre le Soleil et Mars, un ton, entre Mars
et Jupiter, un demi-ton, entre Jupiter et Saturne, un demi-ton et un ton et demie entre Saturne et le
zodiaque. Cela constitue sept tons complets, ce que lon appelle lharmonie universelle160. Platon
et Cicron attribuaient aux plantes une gamme de sept notes. Chez Pline lon retrouve les notes
suivantes : la Terre (Do), la Lune (R), Mercure (Mi bmol), Vnus (Mi), le Soleil (Sol), Mars
(La), Jupiter (Si bmol), Saturne (Si) et les toiles (R dise)161.
Dans le Time de Platon, il est dit que lastronomie dpend des yeux et que lharmonie
dpend des oreilles. Ces deux sciences sont prsentes comme semblables et leur relation rappelle
lharmonie des sphres voque par Philolaos162. Limportance de la relation entre la musique et
lastronomie tait une notion cl chez les Pythagoriciens de mme que chez Platon. Pour Platon
dailleurs, la position de lhomme dans le cosmos est conforme lordre mme du cosmos, car la
substance de son me est la mme que celle des toiles. Suivant cette conception, le savoir, lordre
et lharmonie sont dtermins par lordre divin du cosmos, un ordre qui se manifeste par
limmortalit de lme ou encore par la vertu163.
158
Gaugier 2006: 35. 159
Godwin 1993: 14. 160
Godwin 1993: 8. 161
Ferguson 2008: 194. 162
Gaugier 2006: 90. 163
Gaugier 2006: 92.
25
1.3. Conclusion
La conceptualisation du cosmos chez les Pythagoriciens est un de ces sujets qui a marqu
limaginaire occidental pendant prs de 2500 ans. Le sujet est difficile et parsem d'embches
mthodologiques. Malheureusement pour nous, les notions proprement pythagoriciennes ont
t remanies et repeintes maintes fois travers lhistoire. La raret et le manque de crdibilit de
certaines sources font en sorte quil est quasiment impossible de distinguer les contributions de
Pythagore lui-mme de celles de la tradition pythagoricienne plus tardive. Il est en effet difficile
de rpertorier limpact de ces Pythagoriciens plus tardifs comme Philolaos ou encore de savoir
quel point Platon y a introduit ses propres ides en les faisant passer comme tant de Pythagore
lui-mme164. Mme si lauthenticit de certains fragments de Philolaos a t remise en question
par Finkelberg et Huffman, le personnage doit quand mme faire partie de la tradition. Lorigine
de la philosophie mathmatique de Pythagore demeure incertaine, mais les Pythagoriciens
deviennent incontournables partir de Platon et dAristote. Il faut aussi reconnatre que les
doctrines des premiers Pythagoriciens ont une couleur mystique qui nest pas loin du religieux.
En rsum, nous sommes en prsence dun cosmos issu dun illimit immatriel, ordonn
et divis par une intelligence immanente. Lillimit tant
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