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La grappe de la Terre promise
ou Josué passe le Jourdain
Après la mort de Moïse, Josué est invité par Yahvé à passer le Jourdain et à prendre
possession de la Terre promise. C’est ce que raconte le livre de Josué dont les faits qu’il relate
remonteraient aux alentours de 1250-1150 avant notre ère, mais qui, lus à la lumière des données de
l’archéologie, s’effondrent. Force est d’admettre que c’est de la pure fiction : « On peut à la rigueur,
écrit William G. Dever, concevoir qu’il ait existé un petit chef guerrier, un héros folklorique nommé
Josué, qui aurait remporté quelques escarmouches locales. Mais la conquête israélite de la presque
totalité du pays de Canaan n’a jamais eu lieu1. » La prise de Jéricho, dont les remparts s’écroulent
après que les combattants aient fait sept fois le tour de la ville au son des cornes de bélier, est l’épisode
le plus fameux de cette campagne militaire qui se poursuit avec la destruction d’Aï, livrée au feu, puis
tombent tour à tour Maqqéda, Libna, Lakish, Églôn, Hébron, Debir, Haçor … que Josué fait passer au
fil de l’épée sans laisser un survivant. Les Israélites se partagent ensuite, tribu par tribu, les terres
conquises et s’engagent à Sichem à servir Yahvé.
La bataille de Jéricho par Julius Schnorr von Carolsfeld (1794-1872)
La promesse de Caleb de donner sa fille Aksa pour femme à qui s’emparera de Debir (Jos 15,
16) a trouvé un développement romanesque chez Haendel qui dans son oratorio Joshua fait du
vainqueur, Otniel, le héros d’une intrigue amoureuse qui débute par les propos bucoliques que le
librettiste, Thomas Morell, prête au guerrier et à sa promise alors que sonne l’appel aux armes contre
Jéricho ordonné par un ange qui, conformément au récit biblique (Jos 5, 13), se présente à Josué une
épée à la main. L’air de Josué (« Haste, Israel… ») invitant Israël à fourbir ses armes et à mener une
guerre sans merci n’a rien à envier au livre de Josué dont la narration de chaque victoire est ponctuée
par : « Il ne laissa pas un survivant. » A l’heure où Jéricho doit tomber, Otniel, sensible aux grâces de
la « douce saison », ne pense qu’à Aksa dont l’air (« Hark ! ' tis the linnet and the thrush… ») nous
entraîne vers des horizons moins belliqueux :
Ecoute ! C’est la linotte et la grive.
De suaves notes
S’épanchent de leurs gorges.
Elles réveillent le matin sur chaque buisson.
Du matin au soir elles chantent leur amour
Et d’un chant mélodieux emplissent le bosquet.
Cette touchante déclaration amoureuse renforce la combativité d’Otniel qui dans Joshua est associé à
la prise de Jéricho :
La trompette sonne. Jéricho maintenant saura
Ce que c’est que d’avoir un homme amoureux pour ennemi.
Au début du deuxième acte de Joshua une marche solennelle rappelle les circonstances de la
prise de Jéricho dont les Israélites, selon la tradition biblique, firent avec l’arche d’alliance une fois le
tour chaque jour pendant six jours et sept fois le septième jour, puis « l’on sonna de la trompe » et « le
rempart s’écroula sur place » (Jos 6, 20). C’est au chœur (« Glory to God ! ») que Haendel confie le
soin de faire entendre le bruit « épouvantable » causé par cet effondrement et à Caleb (« See, the
raging flames arise… ») celui de décrire le spectacle d’une ville incendiée d’où s’élèvent les cris de
ses habitants massacrés. Dans le récitatif qui précède cet air, Caleb, et non pas Josué (Jos 6, 22-25)
demande « d’épargner la vie de l’hospitalière Rahab. » C’est la seule allusion dans Joshua au rôle joué
par cette femme, une prostituée, qui au début de la conquête accueille chez elle des espions envoyés à
Jéricho par Josué et qu’elle cache. Tout un chapitre du livre de Josué, que l’auditeur de Haendel est
censé connaître, est consacré à cette histoire, et lors de la mise à sac de Jéricho, sa maison et sa famille
sont préservés. Pour le lecteur de la Bible, la célébration de la Pâque précède la prise de Jéricho (Jos 5,
10-12), mais dans Joshua, annoncée par Josué, elle suit cet événement, et le chœur reprend les propos
tenus par Josué à Gilgal comparant la traversée du Jourdain à celle de la mer des Roseaux (Jos 4, 19-
24). L’échec des Israélites devant Aï, voulu par Yahvé parce qu’ « Israël a péché » (Jos 7, 11) est dans
Joshua narré par Caleb qui en chef de guerre accuse une erreur dans l’appréciation des forces
ennemies, ce qui est conforme au récit biblique (Jos 7, 2-5), mais Josué (« With redoubled rage
return… ») encourage ses troupes à user de la force de leur « acier vengeur », tandis qu’Otniel aspire
toujours à l’amour. Caleb blâme la passion d’Otniel, « perdu en badinage », mais ce dernier qui se
demande pourquoi, se voit invité par Caleb à laisser son cœur « briller de feu guerrier » pour porter
secours aux gens de Gabaôn menacés par Adoni-Çédeq, roi de Jérusalem. Le livre de Josué raconte
que « le soleil s’arrêta, et la lune se tint immobile jusqu’à ce que le peuple fut vengé de ses ennemis »
(Jos 10, 13). Ce prodige est chanté par le chœur : « Oh ! thou bright orb… ». Il est à noter que Marc-
Antoine Charpentier a dans son histoire sacrée, Josue, représenté les images du soleil et de la lune
immobilisés « par de longues tenues des voix de haut-dessus2 ».
Yahvé avait promis à Josué qu’il serait heureux dans ses entreprises s’il ne s’écartait pas de la
loi prescrite par Moïse (Jos 1, 6-9). Le chœur, au début du troisième acte de Joshua, salue Josué
qu’une gloire impérissable attend, mais l’heure est au partage du pays de Canaan. Josué fait venir le
prêtre Eléazar, qui n’apparaît pas dans l’oratorio, mais conformément au livre de Josué (14, 6-15),
Caleb rappelle le rôle d’espion qu’il joua du temps de Moïse et la promesse que celui-ci lui avait faite
de lui donner la terre qu’il avait foulée de son pied. Et Josué lui donne Hébron. Caleb se joint alors au
chœur pour louer Dieu. C’est à ce moment que Caleb fait la promesse de donner sa fille Aksa pour
femme à qui soumettra Debir. Otniel en devient comme invincible :
Quelle arme pourrait me confondre
Quand Aksa est le prix ?
Et à la fin, dans un beau duo (« O peerless maid… »), « le plus valeureux » des hommes épouse « la
plus vertueuse » des femmes, mais non sans qu’Israël ait été invité par le chœur à chanter à Otniel dont
l’histoire ne s’arrête pas là – Haendel et Morell n’ignoraient pas que leur héros « jugea » Israël – des
chants de triomphe.
Avec La Terre Promise de Jules Massenet, oratorio pour soli, chœur et orchestre créé en 1900,
l’auditeur chemine de Moab en Chanaan en passant par Jéricho, les trois parties d’une œuvre dont le
compositeur a écrit le livret d’après le Deutéronome et le livre de Josué. Il s’agit bien d’un
cheminement, celui du peuple d’Israël, représenté par le chœur, en route pour la Terre promise, et au
fur et à mesure qu’il s’en approche la Voix, à la fois narratrice (« Les Israélites étant au-deçà du
Jourdain… ») et passeuse de la parole de Moïse (« Mettez-vous en chemin, allez dans le pays de
Chanaan… »), change de tessiture, de baryton à soprano en passant par ténor. Ce n’est pas la seule
originalité de cet oratorio dont la spectaculaire « Marche du septième jour » et ses sept sonneries de
trompettes ne doivent pas faire oublier la richesse musicale d’une grande page de la musique sacrée.
« …une grappe de raisin qu’ils emportèrent à deux »
La grappe de la Terre promise
par Matias de Arteaga y Alfaro (1633-1703) Capilla de las Santas Justa y Rufina, Séville
« C’était l’époque des premiers raisins. Ils montèrent reconnaître le pays [Canaan], depuis le désert de Çîn
jusqu’à Rehob, l’Entrée de Hamat. […] Ils parvinrent au val d’Eshkol ; ils y coupèrent un sarment et une grappe
de raisin qu’ils emportèrent à deux sur une perche, ainsi que des grenades et des figues. » (La Bible de
Jérusalem, Nb 13, 20-24)
NOTES : 1. William G. Dever, Aux origines d’Israël, traduit de l’anglais par Patrice Ghirardi, Bayard, 2005. 2.
Catherine Cessac, Marc-Antoine Charpentier, Fayard, p. 321.
© Dominique Hoizey et Le Chat Murr
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