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UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS – PARIS II
DROIT – ECONOMIE – GESTION
Le Droit face au défi de l’économie collaborative
La nécessaire prise en compte de l’intérêt des « start-up », facteur d’innovation
Présenté et soutenu par
Madame Marine Travaillot
16 octobre 2016
Mémoire réalisé dans le cadre de
Executive MBA Stratégie économique internationale /
Master 2 professionnel de Commerce et Management International
Directeur de recherche
Monsieur Oliver Debat
Jury
Monsieur Olivier Debat
Monsieur Fabrice Perbost
2
L’université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises
dans les mémoires ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs
auteurs.
Ce mémoire a obtenu la note de 17/20 ; une note supérieure à 14/20 manifeste qu’il peut
éventuellement être diffusé.
3
Remerciements
Je tiens à adresser mes remerciements à mon directeur de mémoire, Monsieur Debat, pour
avoir accepté de m’encadrer, m’orienter et me conseiller dans le cadre de mon travail de
recherche.
Je remercie mes parents pour m’avoir transmis « quelques » valeurs de travail et de
persévérance.
Je remercie également Cloé qui a courageusement accepté - contrainte et forcée - de visiter à
ma place les cours d’appel de France la grande majorité des vendredis de l’année 2016.
Enfin, je remercie l’ensemble des intervenants composant l’équipe pédagogique pour
l’ensemble des cours et conseils dispensés durant cette année universitaire ainsi que le jury
qui a accepté d’étudier et d’évaluer ce travail.
4
Résumé
L’économie collaborative est partout. Elle bouleverse les marchés et agit comme un révélateur
de l’évolution du monde du travail. Elle impose aux professionnels de s’adapter, pousse les
individus à rompre avec les habitudes établies et place les pouvoirs publics face à des
problématiques qu’il est urgent d’intégrer dans la réglementation. Les frontières entre
producteur et consommateur sont gommées. Pourtant et malgré la nécessité d’accompagner le
développement de ce modèle innovant dans lequel les « start-up » françaises occupent une
place de précurseur, les réformes sont timides et l’encadrement juridique encore flou. Cette
insécurité juridique met en péril la compétitivité du marché français. Toutefois, le
gouvernement français et les instances communautaires semblent s’être saisis de la question et
nous sommes entrés dans une période de construction du cadre juridique de l’économie
collaborative. Dans cette régulation, s’il faut certes protéger les consommateurs et les
travailleurs, il semble également essentiel de protéger les intérêts des « start-up » qui sont un
important vecteur de croissance économique.
Mots-clés : économie collaborative / disruptif / innovation / régulation / « start-up »
Abstract
The collaborative economy is everywhere. It disrupts the markets and acts as an indicator for
the changing of work environment. It requires professionals to adapt, pushes individuals to
break with the established habits and face the authorities to deal with urgent issues which
need to be incorporated in regulation. The boundaries between producer and consumer are
erased. However and despite the need to support the development of this innovative model in
which the French « start-up » are precursors, reforms are still timid and the legal framework is
blurred. This legal insecurity puts the competitiveness of the French market at risk. Yet, the
French Government and the Community bodies appear to have seized the matter and we
entered a construction period of the legal framework of the collaborative economy. In this
regulation, if consumers and workers should indeed be protected, it also seems essential to
protect the interests of « start-up » that are an important economic growth driver.
Key words: collaborative economy / disruptive / innovation / regulation / « start-up »
5
Sommaire
Introduction
I. L’économie collaborative : restructuration du modèle économique reflet de l’évolution
sociétale
A. L’« ubérisation » des rapports, contre-courant du modèle individualiste des années
1980 ?
B. La crise du modèle traditionnel du travail
C. L’émergence d’un nouveau modèle économique durable
II. La clarification nécessaire de l’environnement juridique de l’économie collaborative
A. Un manque prégnant de sécurité juridique
B. Les insuffisances du régime issu des réformes législatives récentes
III. La nécessaire prise en compte de la spécificité des acteurs du secteur
A. La régulation des problématiques spécifiques des acteurs de l’économie
collaborative
B. La création indispensable d’un cadre juridique cohérent
Conclusion
6
Introduction
Que ce soit à la radio (France Inter1, France Culture
2, France Info
3, Europe 1
4…), à la
télévision ou dans la presse qui multiplie les numéros spéciaux5, difficile de passer à côté du
phénomène de l’économie collaborative. Elle fait peur6 autant qu’elle suscite l’intérêt et les
espoirs7. Les lobbies en appellent aux pouvoirs publics pour réguler l’activité des plateformes
(Uber, Airbnb). Le gouvernement lui-même s’est saisi de la question et les rapports sur le
sujet se multiplient8. Toutefois, si un consensus semble pouvoir être dégagé concernant le
caractère indispensable d’un encadrement juridique de ce nouveau secteur d’activité, la
définition des contours de l’économie collaborative comme la méthode de régulation qui
devrait être adoptée font l’objet de débats doctrinaux et sont loin d’être tranchées.
L’avènement de ce nouveau modèle fait écho à une tendance plus large de prise de conscience
des consommateurs. Des idéologies qui auraient été qualifiées il y a encore quelques années
d’altermondialistes ont un écho important auprès du public. C’est le cas notamment du
mouvement Colibris de Monsieur Pierre Rabhi9. Des synergies peuvent même se mettre en
place entre ces idéologies nouvelles centrées sur la préservation des richesses et l’importance
de recréer du lien social et les acteurs de l’économie collaborative. C’est le cas notamment du
film Respire, primé aux Césars 2016, qui tente de présenter des solutions qui permettraient de
résoudre les crises écologiques, économiques et sociales, que traversent les pays
industrialisés, financé par les internautes par le biais d’une plateforme de financement
participatif (appelée également « crowfunding »)10
. L’omniprésence dans les médias de
1http://www.franceinter.fr/emission-le-telephone-sonne-economie-collaborative-alternative-ou-mutation-du-
capitalisme ; http://www.franceinter.fr/emission-ca-va-mieux-en-le-faisant-l-economie-collaborative-est-elle-
solidaire 2 http://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-moudre/leconomie-collaborative-nest-elle-quun-sous-produit-
du-capitalisme 3 http://www.franceinfo.fr/emission/question-de-choix/2014-2015/l-economie-collaborative-un-nouveau-modele-
07-03-2015-05-55 4 http://www.europe1.fr/emissions/l-interview-verite/terrasse-leconomie-collaborative-est-une-sobriete-heureuse-
2664567 5 Les dossiers d’économies alternatives, L’économie collaborative, le nouvel eldorado ?, n° 4, novembre 2015 ;
Problèmes économiques, Economie collaborative, une révolution ?, mars 2016. 6 Bourdain, Maude, La mascarade de l’économie collaborative, 4 janvier 2016 : http://www.lesechos.fr/idees-
debats/cercle/cercle-146232-economie-collaborative-un-partage-qui-peut-couter-cher-1189272.php 7 De Saint Marie, Gaëtan et Pivot, Antoine, Ensemble on va plus loin, Paris : Alisio, 2016.
8 Enjeux et perspectives de l’économie collaborative, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des
Mutations économiques (Pipame), juin 2015 ; Travail Emploi Numérique : Les nouvelles trajectoires
numériques, Rapport remis à la Ministre du Travail, de la Formation Professionnelle et du Dialogue social,
janvier 2016 ; Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse,
Février 2016. 9 https://www.colibris-lemouvement.org/colibris/pierre-rabhi
10 Dion, Cyril et Laurent, Mélanie, Respire, Mars distribution, décembre 2015.
7
l’économie collaborative ne doit toutefois pas masquer la révolution sociale, économique et
juridique qu’elle pourrait constituer et qui est bien plus profonde que la seule question de la
place et de la protection de chaque acteur. En effet, l’analyse est souvent réductrice et ne tend
qu’à évoquer une prétendue menace qui pèserait sur la protection des travailleurs et des
entreprises dites « de l’économie traditionnelle ».
La définition plurielle de l’économie collaborative
L’expression « économie collaborative » englobe des initiatives très différentes qui reposent
sur l’idée que l’accès aux biens ou services est plus important que la propriété. La
mutualisation des ressources tend à optimiser les moyens privés et peut générer des revenus,
marginaux ou substantiels, ou être à but non lucratif. La production de valeur est alors
déplacée au niveau de la mise en relation de l’offre et de la demande. L'existence de ces biens
qui deviennent communs peut ainsi permettre de répondre à des besoins sociaux et crée du
lien entre les différents intervenants11
. L’économie collaborative recouvre également
l’avènement d’un système économique innovant qui repose sur l’émergence de plateformes
d’échange et de mise en relation utilisant trois technologies complémentaires : les bases de
données, les moteurs de recherche et la connectivité12
. Ces plateformes « collaboratives »
peuvent être définies comme « un système informatique qui met à disposition de ses
utilisateurs des ressources et des outils pour faciliter le travail collaboratif », étant précisé que
le travail collaboratif est alors entendu comme « une forme d’organisation du travail, où des
individus concourent ensemble à la réalisation d’objectifs communs, en dehors de toute forme
de hiérarchie »13
. Enfin, l’économie collaborative révèle un changement de paradigme de
l’innovation technologique qui n’est plus simplement considérée comme un outil au service
de la compétitivité mais qui devient l’élément clé du modèle des « start-up » du numérique14
afin de limiter le recours aux intermédiaires et de réduire les coûts et donc les prix.
11
Berlingen, Flore, « Défense et illustration de l’économie collaborative », Humanitaire, n° 41, 2015, pp. 36-41. 12
Seux, Dominique, « La révolution numérique vue par un Prix Nobel et le patron de BlaBlaCar », 8 décembre
2015 : http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/021543497047-la-revolution-numerique-vue-par-un-
prix-nobel-et-le-patron-de-blablacar-1182800.php# 13
Chambart, Jérôme, « Plate-forme collaborative », Dictionnaire du Web, mis à jour le 30 août 2015 :
http://www.dictionnaireduweb.com/plateforme-collaborative/ 14
La notion de « start-up », qui est désormais passée dans le langage courant, désigne une entreprise émergente
et innovante dont l’activité s’appuie sur les nouvelles technologies.
8
Le terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978
aux Etats-Unis pour désigner les « événements dans lesquels une ou plusieurs personnes
consomment des biens ou des services économiques dans un processus qui consiste à se livrer
à des activités communes »15
. Le milieu des années 90 voit l’émergence du terme de
« nouvelle économie » pour évoquer l’apparition du e-commerce et des services
dématérialisés, issus du développement exponentiel du Web et des réseaux. A cette période, si
les moyens évoluent, l’économie s’inscrit toujours dans un système de marché. Au début des
années 2000, les pratiques commencent à se transformer et à sortir du modèle strict de
l’économie de marché. De nombreuses locutions apparaissent pour évoquer cette nouvelle
économie. On parle d’économie participative, contributive16
, horizontale, quaternaire17
,
positive18
, circulaire19
, latérale20
, sociale21
, open source, open hardware, symbiotique,
plateformisation... Le concept de « sharing economy » ou « mesh economy » apparaît au
Etats-Unis et va plus loin. Il repose d’une part sur le développement des technologies de
réseau et d’autre part sur une prise de conscience de ses acteurs concernant l’épuisement des
ressources naturelles et l’accroissement de la population mondiale, décrites dès 1968 par
Monsieur Garret Hardin22
. La définition de Monsieur Yochai Benkler23
du terme « commons-
based peer production » (production en réseau à partir d’un espace commun de possession) se
rapproche du concept d’économie collaborative tel qu’il est analysé aujourd’hui. Il évoque
ainsi « un système de production, de distribution et de consommation de l’information
caractérisée par une action individuelle décentralisée, qui ne s’appuie pas sur des logiques de
marché ». Il faudra toutefois attendre 2010 pour que le concept s’impose réellement,
notamment en France, sans toutefois qu’un consensus ne soit trouvé ni sur ses contours ni sur
sa définition.
15
Felson, Marcus and Spaeth, Joe L., « Community structure and collaborative consumption: a routine activity
approach », American Behavioral Scientist, n° 4, 1978, pp. 614-624. 16
Stiegler, Bernard, Mécréance et Discrédit. Tome 3 : L'Esprit perdu du capitalisme, Paris : Galilée, 2006. 17
Debonnieul, Michèle, L’économie quaternaire, une croissance durable à construire, Rapport remis en janvier
2010 à Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat chargée de la Prospective et du développement de
l’économie collaborative. 18
Rouer, Maximilien, Gouyon, Anne, Réparer la planète, la révolution de l'économie positive, Paris : J.C.
Lattès, 2005 ; Groupe de réflexion présidé par Jacques Attali, Pour une économie positive, Paris : La
documentation française, 2013. 19
Ellen MacArthur Foundation, Toward the circular economy, Rapport publié en 2013. 20
Rifkin, Jeremy, La troisième révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l'énergie,
l'économie et le monde, Arles : Les Liens qui libèrent, 2012. 21
Casaux-Labrunée, Lise et Francoual, Pierre, « L'entreprise sociale », in Écrits de droit de
l'entreprise : mélanges en l'honneur de Patrick Serlooten, Debat, Olivier et De Bissy, Arnaud (eds.), Paris :
Dalloz, 2015 22
Hardin Garret, « The Tragedy of the Commons », Science, n° 3859, december 1968, pp. 1243-1248. 23
Benkler, Yochai, The Wealth of Networks, New Haven and London: Yale University Press, 2006.
9
De façon objective, presque fonctionnelle, l’économie collaborative peut être présentée
comme la mise en relation numérique de demandeurs avec des offreurs et suppose un partage
de biens et de services ainsi que la mise en commun de ceux-ci24
. Elle s'appuie sur une
structure horizontale, une mutualisation des espaces, des outils, des biens (matériels ou
immatériels), des services et une volonté des intervenants, notamment non-professionnels de
s’organiser en réseaux ou en communautés. C’est un système économique de réseaux ou de
plateformes décentralisées qui utilisent les actifs sous-exploités en permettant la rencontre
entre offre et demande, en contournant l’intermédiaire25
. Toutefois, un aspect subjectif, quant
aux finalités des acteurs de l’économie collaborative, est souvent mis en avant afin d’étendre
ou de réduire son champ d’intervention. Pour certains auteurs, la qualification d’économie
collaborative est ainsi subordonnée non pas à l’existence d’une plateforme numérique qui, si
elle constitue indéniablement une évolution technologique peut aussi agir à l’instar d’une
entreprise capitaliste, mais aux motivations qui sous-tendent l’action de ses acteurs26
. Enfin, le
champ de l’économie collaborative est parfois artificiellement minoré en fonction de la
qualité de ses parties prenantes. Ainsi, seules les relations entre particuliers seraient
concernées et toute intervention d’un professionnel exclurait de facto l’activité.
Afin d’étudier l’environnement notamment juridique de l’économie collaborative, il convient
en réalité de la distinguer de notions proches telles que l’économie du partage (qui suppose un
aspect moral), l’économie des services à la demande (qui organise une rencontre directe entre
les besoins des consommateurs et les multiples fournisseurs de biens ou de services
recensés),27
la digitalisation (numérisation de l'économie) ou l’« ubérisation »28
(évolution du
modèle économique d'un secteur). Il convient également d’en préciser les fondements actuels.
En effet, le business model de l’économie collaborative a largement évolué au fil de son
développement. L’économie collaborative version 1.0 reposait sur une dynamique
essentiellement non professionnelle et non lucrative. La version 2.0 fondée sur l’innovation
numérique voit l’arrivée de plateformes permettant une mise en relation des offreurs et des
24
Bardin, Pierre, « Ubérisation, crowdfunding... Que signifient ces expressions et d'où viennent-elles ? », 10
novembre 2015, Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/11/10/32001-
20151110ARTFIG00010-uberisation-crowdfundingque-signifient-ces-expressions-et-d-o-viennent-elles.php 10
Botsman, Rachel, What’s mine is yours: How collaborative consumption is changing the way we live, New-
York : Harper Collins, 2010. 26
Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse, février 2016,
op.cit. 27
Jourdain, Loic, Leclerc, Michel, Millerand, Arthur, Economie collaborative et droit, Limoges : FYP, 2016. 28
Terme inventé par Maurice Levy, PDG de Publicis, lors d’une interview au Financial Times : Thomson,
Adam, « Maurice Lévy tries to pick up Publicis after failed deal with Omnicom », Financial Times, décembre
2014.
10
demandeurs. La version 3.0 de l’économie collaborative, celle qui nous intéresse, est
l’économie collaborative intégrée, dans laquelle les entreprises proposent des services facturés
au consommateur, afin d’assister ou de protéger son expérience collaborative, et cherchent la
fidélisation des prestataires indépendants qui offrent leurs prestations29
.
Si l’on se place du point de vue des plateformes, l’économie collaborative est
incontestablement à but lucratif. De même, les prestataires indépendants intervenant par le
biais des plateformes exercent une activité professionnelle et ne sont donc pas motivés (ou a
minima pas exclusivement) par une volonté de partage ou de développement durable. Comme
il sera détaillé ultérieurement, les particuliers intervenant sur les plateformes collaboratives
sont eux-mêmes mus par des aspects financiers. Il serait dès lors très réducteur de ne
s’attacher qu’à l’aspect moral pour identifier les activités de l’économie collaborative. Un
critère d’identification plus large et plus objectif serait la modification par ses acteurs des
règles de fixation des prix. La détermination des prix deviendrait plus individuelle et ne serait
plus régie par l’offre et la demande au sens macro-économique du terme30
. Les prix évoluent
en temps réel selon des algorithmes mis en place par les plateformes et proposés aux
fournisseurs de biens et de services. L’offreur est par ailleurs libre de modifier son prix au cas
par cas, en fonction de la demande et de ses éventuelles interactions avec le consommateur.
Ainsi, l’économie collaborative marque un retour aux fondements des accords intuitu
personae, c’est-à-dire conclus en considération de la personne de son cocontractant.
L’économie collaborative se caractérise donc par plusieurs éléments fondamentaux : la
mutation structurelle (disruption), l’innovation, le soutien du numérique, l’échange, l’usage
(qui est prééminent sur la possession d’un bien ou d’un service), l’interdépendance et la
dynamique (du prix ajusté en temps réel et de l’accès au bien ou service qui se fait à la
demande, au moment et à l’endroit fixés par l’utilisateur)31
.
Le contexte de l’émergence de l’économie collaborative
29
Thiebart, Patrick, « Pour une réglementation a minima de l’économie collaborative », Semaine sociale Lamy,
n° 1706, 2016. 30
Cuvelliez, Charles, « Économie collaborative ou économie du partage : cherchez l’erreur », Les Echos, 27
janvier 2016 : http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-147380-economie-collaborative-ou-economie-
du-partage-cherchez-lerreur-1195670.php 31
Tchéhouali, Destiny, « Culture, commerce et numérique : Economie collaborative, culture du partage et guerre
des brevets : nouveaux regards sur l’innovation numérique », Organisation internationale de la francophonie, n°
7, septembre 2015.
11
L’avènement de l’économie collaborative s’inscrit dans un contexte de rupture – on parle d’un
phénomène disruptif. Cette véritable évolution systémique est une transformation du modèle
existant et non son adaptation à une simple situation de crise. Cela a une répercussion sur les
conditions d’analyse des données. En effet, alors qu’une situation de crise pousse les
différents acteurs à s’adapter, la métamorphose impose de modifier les références d’analyse
des enjeux mis en lumière. Il s’agit de « mettre en place des formes résilientes de gestion de
l’incertitude et des outils nécessaires pour vivre dans un monde fondamentalement
incertain »32
.
Le phénomène collaboratif est apparu dans ce contexte de triple mutation : révolution d’usage
des biens et services, innovation numérique et explosion de la « gig economy » (ou
l’économie à la tâche, s’opposant au modèle du salariat)33
. Plusieurs facteurs
macroéconomiques peuvent expliquer la rupture observée. La prise de conscience collective
concernant la transformation énergétique et écologique a poussé les individus à se tourner
vers des systèmes qu’ils estiment plus respectueux de la préservation des ressources
naturelles. S’ajoute à cela la crise économique et financière, débutée dans les années
2007/2008, et la pérennisation d’un fort taux de chômage qui ont cristallisé le processus en
poussant les consommateurs à se tourner vers un modèle alternatif qui leur permettrait de
maintenir leur pouvoir d’achat. Parallèlement, la transformation du marché de l’emploi,
marqué par une hyperspécialisation des profils, a poussé certains professionnels à s’exprimer
en dehors du système classique, afin de valoriser des compétences laissées de côté par leurs
employeurs34
. Synthétiquement, cette nouvelle économie s’appuie sur des facteurs
économiques (par la mutualisation des moyens et le partage des dépenses), sociaux (par le
partage et l’échange) et environnementaux (par la circulation des biens et la préservation des
ressources naturelles et énergétiques)35
.
Actuellement, environ 9000 « start-up » composent le marché mondial de la consommation
collaborative et le chiffre d’affaires du secteur est estimé à 20 milliards de dollars. Il devrait
32
Travail Emploi Numérique : Les nouvelles trajectoires numériques, Rapport remis à la Ministre du Travail, de
la Formation Professionnelle et du Dialogue social, janvier 2016. 33
Leclercq, Grégoire, « Ubérisation ou économie collaborative ? Ne confondez plus, voilà les différences »,
BFM Business, 26 janvier 2016 : http://bfmbusiness.bfmtv.com/01-business-forum/uberisation-ou-economie-
collaborative-ne-confondez-plus-voila-les-differences-946625.html 34
Enjeux et perspectives de l’économie collaborative, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des
Mutations économiques (Pipame), juin 2015. 35
« Economie collaborative, Vie pratique », Fiches pratiques DGCCRF, 18 juin 2015.
12
atteindre 335 milliards de dollars en 202536
. Le secteur est encore jeune puisque 79% des
acteurs ont été créés après 2008, et près de la moitié des entreprises (48%) ont moins de trois
ans et bénéficie de fortes perspectives de croissance. La consommation collaborative ne peut
être définie comme un marché spécifique en ce qu’elle est composée d’activité diverses et de
sociétés très différentes les unes des autres. On regroupe néanmoins les acteurs de l’économie
collaborative en neuf secteurs distincts que sont se déplacer, se nourrir, s’habiller, se loger,
transporter et stocker des objets, s’équiper, se divertir, se financer et se faire aider.
Source : Etudes économiques du PIPAME, juillet 2015
Dans ce contexte, la France s’inscrit comme un précurseur en matière d’économie
collaborative tant au niveau du chiffre d’affaires généré qu’au niveau de la diversité des
acteurs et des offres proposés, et a encouragé le phénomène en créant un régime unique de
l’entreprise individuelle bénéficiant d’un régime fiscal avantageux (loi du 18 juin 2014 sur le
commerce, l'artisanat et les très petites entreprises). Toutefois, cette tendance favorable est à
tempérer et les réformes les plus récentes s’inscrivent au contraire dans une protection de
l’économie traditionnelle (à titre d’exemple, la loi Thévenoud dans le secteur des transports).
Les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience de la nécessité d’agir afin de conforter
cette position et, le 8 octobre 2015, Manuel Valls a officiellement missionné le député Pascal
36
Liduena, Jean-Marc, Ubérisation : Partager ou mourir ? Monitor Deloitte, 2015
http://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/fr/Documents/strategy/deloitte_etude-economie-on-
demand_juillet-15.pdf
13
Terrasse sur l’économie collaborative : « Le phénomène d’« uberisation » de notre économie
a mis en lumière la nécessité pour les acteurs de l’économie traditionnelle de faire évoluer
leur modèle et leurs pratiques pour prendre le tournant de l’économie numérique, écrit le
Premier ministre Valls. L’émergence rapide de ces nouveaux modèles d’affaires doit aussi
conduire les pouvoirs publics à repenser une partie des règles économiques, fiscales et
sociales »37
. Il convient en effet d’encadrer et de structurer le secteur de l’économie
collaborative et de soutenir et accompagner le développement des « start-up » françaises en
accompagnant l’innovation et en créant un environnement susceptible de rassurer les
investisseurs, qui demeurent réticents à injecter des fonds sur le marché français.
Comment le Droit peut-il accompagner et aider le développement des « start-up » de
l’économie collaborative ? Nous ferons l’hypothèse que les réflexions actuelles, visant
principalement à sécuriser la « partie faible » (le particulier non professionnel, le
professionnel indépendant) sont encore insuffisantes.
Un sondage effectué par l’Organisation de Coopération et de Développement Economique
(OCDE)38
a clairement mis en lumière le souhait de clarification du régime émanant des
différents acteurs. Ainsi, une large majorité des professionnels comme des consommateurs
s’accordent pour dire que certaines réglementations actuelles ralentissent le développement de
l’économie collaborative en Europe. De même, l’incertitude quant aux droits et obligations de
chacun est ressentie, quel que soit le type de sondé, comme l’obstacle principal au
développement de l’économie collaborative. Toutefois, une majorité des consommateurs
interrogés estiment que l’information mise à leur disposition par les plateformes et relative au
droit de la consommation, aux caractéristiques et modalités des offres proposées et de leurs
droits et obligations est suffisante. Les travaux de l’OCDE ont également permis de mettre en
lumière la différence d’approche normative sollicitée par les acteurs de l’économie
traditionnelle. Ainsi, alors que les acteurs de l’économie collaborative militent pour une
application des règles existantes et une meilleure information des différentes parties prenantes
comme réponse réglementaire au développement des plateformes, les acteurs de l’économie
37
« Pascal Terrasse veut booster l’économie collaborative », L’Opinion, 30 octobre 2015 :
http://www.lopinion.fr/30-octobre-2015/pascal-terrasse-veut-booster-l-economie-collaborative-29660 38
« First brief results of the public consultation on the regulatory environment for platforms, online
intermediaries, data and cloud computing and the collaborative economy », 26 janvier 2016 :
https://ec.europa.eu/digital-agenda/en/news/first-brief-results-public-consultation-regulatory-environment-
platforms-online-intermediaries
14
traditionnelle sont favorables à l’instauration d’un corpus de règles totalement spécifiques à
l’économie collaborative.
Aucun des Etats confrontés à l’économie collaborative n’a encore adopté de position
cohérente claire sur le sujet et les réformes isolées prises laissent pour le moment une
impression d’avancer à tâtons, sans vision globale. Le droit doit pourtant jouer un rôle crucial
dans l’accompagnement du phénomène puisqu’il est le reflet des choix de société. En outre, la
faisabilité comme la pérennité du secteur dépend largement du traitement et de l’appréhension
que les Etats présenteront des questions juridiques39
. Assez logiquement, les premières
préoccupations concernant l’encadrement de l’économie collaborative sont, d’une part, la
protection des emplois de l’économie traditionnelle, la lutte contre toute forme de concurrence
déloyale ou d’inégalité devant les charges fiscales et sociales des acteurs traditionnels et
disruptifs et, d’autre part, la protection des collaborateurs indépendants des plateformes
technologiques contre la précarisation sociale40
. Toutefois, si ces questions sont nécessaires,
les travaux actuels semblent exclusivement tournés vers le prestataire. Le Conseil du
Numérique soulignait ainsi que « les effets bénéfiques de la libération de l’initiative
individuelle et de la diversification des formes d’emplois ne peuvent occulter leurs effets
négatifs, et en premier lieu celui de la destruction des protections et des collectifs. Il est donc
nécessaire de soutenir les nouveaux moyens du « faire-ensemble », à savoir le dialogue social
étendu, la refonte des systèmes de droits sociaux et la constitution de nouveaux types de
communautés agissantes comme supports des nouvelles formes de travail » 41
. Les discussions
en cours ne s’intéressent que peu à la situation des « start-up » et à la nécessité d’appuyer
l’innovation et de sécuriser l’environnement juridique dans lequel les plateformes évoluent.
Afin d’étudier la situation des « start-up » de l’économie collaborative et de s’interroger sur
l’environnement juridique dans lequel elles évoluent, nous restreindrons volontairement notre
étude d’une part aux sociétés à but lucratif et d’autres part aux plateformes de mise en relation
d’un demandeur avec des offreurs. Seront ainsi exclues les plateformes purement associatives
ou bénévoles, s’inscrivant certes le plus purement possible dans l’esprit initial de l’économie
collaborative mais dont le rôle demeure négligeable pour l’économie en raison de leur
39
Jourdain, Loic, Leclerc, Michel, Millerand, Arthur, 2015, op. cit. 40
Patrick Thiebart, 2016, op. cit. 41
Travail Emploi Numérique : Les nouvelles trajectoires numériques, Rapport remis à la Ministre du Travail, de
la Formation Professionnelle et du Dialogue social, janvier 2016.
15
« dynamique non professionnelle, non concurrentielle et non lucrative, qui [les] inscrit dans le
périmètre non marchand de l’économie domestique »42
. Au contraire, une plateforme qui
permet à deux acteurs, simultanément offreur et demandeur, d’échanger des services ou de
troquer des biens, entrera dans le cadre de l’étude, nonobstant la nature non-lucrative de
l’échange lui-même, si la société mettant à disposition du public la plateforme de mise en
relation est mue par une volonté mercantile.
I. L’économie collaborative : restructuration du modèle économique reflet de
l’évolution sociétale
L’économie collaborative, si elle est avant tout un nouveau modèle économique trouvant ses
fondements dans l’innovation et les nouvelles technologies de l’information et de la
communication, s’inscrit dans un contexte plus global de mutation de la société. Par les liens
qu’elle crée entre les individus et l’explosion du travail indépendant qu’elle accompagne, elle
s’apparente à un prolongement de la crise de l’individualisme et une nouvelle modalité
d’expression de la volonté accrue des individus de prendre en main leur vie professionnelle
(A.). Ce faisant, elle dévoile un rapport au salariat qui évolue et révèle le profond changement
qui est en train de faire évoluer le monde du travail (B.). Ainsi, plus qu’un phénomène de
mode, elle doit être analysée comme l’avènement d’un nouveau modèle qui dispose de toutes
les caractéristiques de la pérennité et qui tend à inscrire son empreinte dans
l’économie mondiale (C.).
A. L’« ubérisation » des rapports, contre-courant du modèle individualiste des
années 1980 ?
Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, nous avons assisté à un phénomène de montée
de l’individualisme marqué notamment par un repli sur soi et par le développement de
l’entreprenariat (a.). L’économie collaborative, si elle recrée du lien et s’inscrit, en première
analyse, en contradiction avec cette tendance, est également révélatrice d’une volonté accrue
de créer des activités personnelles, hors du cadre classique du salariat. Plus qu’une rupture,
42
Portier, Philippe, « Le législateur est obligé de distinguer économie collaborative et ubérisation », Le Monde, 7
novembre 2015.
16
l’économie collaborative peut être qualifiée de courant alternatif à l’individualisme (b.). En
effet, elle en est plutôt le prolongement dont les revendications altruistes doivent être
largement modérées (c.).
a. La montée de l’individualisme et ses conséquences à compter des années 1980
Du milieu du XIXe siècle aux années 1960, certains auteurs évoquent une « première
modernité », au cours de laquelle s’impose la vision d’un individu doué de raison, qui n’est
plus seulement mu par le collectif. Toutefois, les comportements demeurent marqués par les
normes établies et les rôles sociaux sont encore très définis. Les piliers qui fondent le socle de
la société française et qui sont unanimement reconnues (la famille, l’école, l’armée, la
religion, le travail) jouent un rôle prédominant dans la construction individuelle. Les
interdépendances y sont fortes et chacun est tenu de faire ce qu’autrui attend de lui. Les
collectifs s’imposent donc encore aux individus qui s’y attachent et s’en revendiquent. Le
sociologue François De Singly résume cette phase avec la notion d’« individualisme
citoyen »43
, chacun ayant intériorisé les normes sociétales basées sur l’ordre, l’autorité et le
sens du devoir.
A partir des années 1960 et plus encore au cours des années 1980, on entre dans une
« deuxième modernité » caractérisée par ce que beaucoup ont appelé la montée de
l’individualisme et qu’il est sans aucun doute préférable d’appeler une phase
d’individualisation44 : l’individu change alors progressivement de définition et revendique son
originalité, son authenticité, son indépendance. Il pense progressivement sa vie comme une
aventure individuelle, comme une trajectoire personnelle qu’il doit prendre en charge, tout
particulièrement au niveau professionnel. Permis par les réformes scolaires entreprises sous la
présidence du général De Gaulle et qui visent à donner sa chance à tous45
, ce phénomène est
particulièrement perceptible dans les années qui entourent les événements de mai 68. La
libération de l’individu, leitmotiv de cette période, passe alors par la contestation des routines,
des traditions, des normes et des modèles sociétaux. Changer la société, « vivre autrement »46
,
43
De Singly, François, L’individualisme est un humanisme, La Tour-d'Aigues : Ed. de l’Aube, 2005. 44
Le Bart, Christian, L’individualisation, Paris : Po Presses de Sciences Po, 2008.
Certains parlent de post-modernité (Maffesoli, Michel et Perrier, Brice, l’Homme postmoderne, Paris : François
Bourin, 2012) ou d’hyper-modernité (Aubert, Nicole (dir.), L’individu hypermoderne, Toulouse : Erès, 2004). 45
Réformes Berthoin (1959) et Fouchet (1963). 46
Le Goff, Jean-Pierre, Mai 68, l'héritage impossible, Paris : La découverte, 1998.
17
c’est remettre en cause les idéaux dominants, critiquer la société de consommation47 et
revendiquer une plus grande liberté individuelle dans un but de bien-être et d’épanouissement
personnel.
Cette centration sur soi, cette recherche de soi48
, encore accentuée par les effets de la crise
économique et l’émergence d’un néo-capitalisme qui tend à individualiser la gestion des
personnels49
, ne fait que s’accroitre à partir des années 1980. Tandis que les valeurs libérales
bénéficient d’une audience accrue, la société se convertit au « culte de la performance »50
.
L'action individuelle devient une valeur de référence : il faut se construire par soi-même, se
réaliser par son action personnelle, avoir un projet personnel afin de devenir quelqu'un et se
singulariser51. « Battants, leaders, aventuriers et autres figures conquérantes ont envahi
l'imagination française. Ils symbolisent une version entrepreneuriale et athlétique de la vie en
société »52
. L’individu, libéré des ancrages identitaires traditionnels, doit de plus en plus et
avant tout ne compter que sur lui-même pour réussir et devenir l’entrepreneur de sa propre vie
afin de s’insérer dans une société en perpétuel renouvellement53
.
Cependant, à partir de la fin de cette décennie, tandis que le chômage progresse dans
l’ensemble des catégories sociales, s’amorce la fin du règne de cette « mythologie
entrepreneuriale ». Le culte de la performance, qui semblait promettre une ascension sociale
pour tous, se révèle générateur d’exclusion54. Comme le mettent en exergue les informations
quotidiennes mais aussi le cinéma dans quelques films (Une époque formidable de Gérard
Jugnot en 1991 et La Crise de Coline Serreau en 1992), la descente vers l’exclusion, la
déchéance et/ou la dépression semble pouvoir toucher une partie croissante de la population.
A tous les niveaux et tous les jours (dans la rue, dans les entreprises, à la télévision…), la
47
Baudrillard, Jean, La société de consommation, Paris : Gallimard, 1970. 48
Senett, Richard, Les tyrannies de l’intimité, Paris : Seuil, 1974. 49
Boltanski, Luc et Chiapello, Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris : Gallimard, 1999. 50
Ehrenberg, Alain, Le culte de la performance, Paris : Calmann-Lévy, 1991. Voir également : Heilbrunn,
Benoit (dir.), La performance, une nouvelle idéologie ?, Paris : La Découverte, 2004 ; Duret, Pascal, Sociologie
de la compétition, Paris : A. Colin, 2009. 51
Martuccelli, Danilo, La société singulariste, Paris : A. Colin, 2010. Voir également : De Gaulejac, Vincent,
Qui est « je » ? Sociologie clinique du sujet, Paris : Seuil, 2009. 52
Ehrenberg, Alain, 1991, op. cit. 53
Bauman, Zygmunt, La vie liquide, Arles : Le Rouergue/Chambon, 2006 ; De Rosnay, Joël, Surfer la vie.
Comment sur-vivre dans la société fluide, Arles : Ed. Les Liens qui Libèrent, 2012. 54
Ehrenberg, Alain, L’individu incertain, Paris : Calmann-Lévy, 1995 ; Aubert, Nicole (dir.), L’individu
hypermoderne, Toulouse : Erès, 2004 ; Castel, Robert, La montée des incertitudes. Travail, protections, statut de
l’individu, Paris : Seuil, 2009.
18
souffrance est visible55. « L’individu souffrant semble avoir supplanté l’individu
conquérant »56. Cette évolution peut être mise en relation avec l’épuisement de l’Etat-
providence ainsi qu’avec l’affaiblissement des grandes institutions intégratrices57. Comme
l’explique le sociologue Lucien Karpik, « les Français ont perdu les cadres collectifs
traditionnels de leur action, et, avec eux, les principaux mécanismes qui avait jusqu’ici
façonné leur identité individuelle et collective »58. Tandis que les valeurs et les normes
collectives tendent à s’effriter, l’individualisme conquérant laisse la place à un individualisme
désocialisé59 et désorienté60. Toute une série de « révolutions invisibles », qui se produisent
dans de multiples secteurs au tournant du XXe et du XXIe siècles, participent « à la
désintégration des anciens liens sociaux, à la destitution de tout ce qui s’apparente de près ou
de loin à un ascendant injustifié sur soi »61. On peut parler de « crise de l’individu institué »62.
Pour le philosophe Marcel Gauchet, « nous avons basculé dans la période récente vers un
individualisme de déliaison ou de désengagement »63 : l’être-en-société, c’est-à-dire
l’appartenance à la société, l’inscription dans le social, ne semble plus aller de soi.
b. L’avènement d’un courant alternatif
Face à cette conjoncture sombre dans laquelle chacun est confronté à l’incertain64, il faut plus
que jamais ne pas compter sur le « destin collectif » mais au contraire prendre en charge ses
problèmes et s’appuyer sur soi-même « pour inventer sa vie, lui donner un sens et s’engager
dans l’action »65. Tandis que la prise en charge collective des destins individuels a longtemps
été attribuée à des institutions et à des acteurs organisés (l’individu était en grande partie
55
Bourdieu, Pierre (dir.), La misère du monde, Paris : Seuil, 1993 ; Erner, Guillaume, La société des victimes,
Paris : La Découverte, 2006. 56
Ehrenberg, Alain, 1995, op. cit. 57
Lipovetsky, Gilles, L'ère du vide : Essais sur l'individualisme contemporain, Paris : Gallimard, 1983.
Dubet parle du « déclin du programme institutionnel » (Dubet, François, Le déclin de l’institution, Paris : Seuil,
2002). 58
Karpic, Lucien, « L’avancée politique de la justice », Le Débat, n° 97, novembre-décembre 1997, pp. 90-107. 59
Mongin, Olivier, « L’individu entre stratégies électives et sélectives », in Cohen, Daniel, et coll, France : les
révolutions invisibles, Paris : Calmann-Lévy, 1998, pp. 65-73. 60
Karpic, Lucien, 1997, op. cit. 61
Cohen, Daniel et coll. « Introduction », in Cohen, Daniel, et coll., France : les révolutions invisibles, Paris :
Calmann-Lévy, 1998, pp. 7-13. 62
Théry, Irène, « Il n’y a pas de Je sans Nous », in Cohen, Daniel, et coll., France : les révolutions invisibles,
Paris : Calmann-Lévy, 1998, pp. 17-31. 63
Gauchet, Marcel, « Essai de psychologie contemporaine. I. Un nouvel âge de la personnalité », Le débat, n°
99, mars-avril 1998, pp. 164-181. 64
Kokoreff, Michel, Rodriguez, Jacques, La France en mutations. Quand l’incertitude fait société, Paris : Payot,
2004. 65
Ehrenberg, Alain, 1995, op. cit.
19
contraint par un ordre extérieur), la responsabilité de ces mêmes destins est de plus en plus
reportée sur l’individu lui-même. Confronté à l’indétermination ambiante, il est incité à être
responsable de lui-même, à un point jamais égalé dans l’histoire des sociétés modernes. Qu’il
s’agisse de recherche d’emploi, de vie de couple, d’éducation ou de se conserver en bonne
santé, la vie est devenue une histoire personnelle 66, un parcours individuel67. Cette
individualisation de l’existence, qui passe par une autonomie accrue et la gestion des libertés,
des contraintes et des inquiétudes qui en découlent, demande expressément « d’accroître la
capacité de chacun à agir à partir de son autorité privée et de son jugement personnel sans
lesquels on bascule dans l’impuissance et la souffrance psychique »68. La multiplication des
repères, qui émanent de secteurs toujours plus variés, entraîne une grande confusion et oblige
à construire ses propres repères. L’individu est contraint de s’auto-définir et d’effectuer un
véritable travail identitaire69
.
Les thématiques très en vogue de l’autonomie, de la responsabilité et du projet, mais aussi
plus récemment de l’estime de soi, trouvent ici leur fondement. « La responsabilisation est la
pierre angulaire de l’avenir de nos démocraties »70
. Chacun doit être capable de « manager »
sa vie : la rationalité managériale est devenue omniprésente71
. Tandis que la socialisation
consistait traditionnellement à préparer à des rôles institutionnels prédéterminés et à
discipliner pour se conformer, les enjeux évoluent dans une société de plus en plus complexe
au sein de laquelle l’avenir incertain nécessitera de constantes adaptations : la capacité
d’initiative l’emporte sur la docilité. L’insécurité identitaire qui en résulte est génératrice de
stress, de fatigue psychique, de dépression, cette dernière pouvant être interprétée comme une
« maladie de la responsabilité dans laquelle domine le sentiment d’insuffisance. Le déprimé
n’est pas à la hauteur, il est fatigué d’avoir à devenir lui-même »72
.
66
Ehrenberg, Alain, 1995, op. cit. 67
Mongin, Olivier, 1998, op. cit. Voir également : Touraine, Alain, Khosrokhavar, Farhad, La Recherche de soi.
Dialogue sur le Sujet, Paris : Fayard, 2000. 68
Ehrenberg, Alain, « Santé mentale : l’autonomie est-elle un malheur collectif ? », Esprit, février 2012, pp. 99-
108. 69
Kaufmann, Jean-Claude, Ego. Pour une sociologie de l’individu, Paris : Nathan, 2001 ; Kaufmann, Jean-
Claude, L’invention de soi. Une théorie de l’identité, Paris : A. Colin, 2004. 70
Lipovetsky, Gilles, Charles, Sébastien, Les temps hypermodernes, Paris : Grasset, 2004. 71
Le Texier, Thibault, Le maniement des hommes. Essai sur la rationalité managériale, Paris : La découverte,
2016. 72
Ehrenberg, Alain, La fatigue d’être soi. Dépression et société, Paris : O. Jacob, 1998.
Le Breton parle de tentation de « disparaître de soi » (Le Breton, David, Disparaître de soi : une tentation
contemporaine, Paris : Métaillé, 2015).
20
Tenter de trouver des solutions à ce mal-être en voie de généralisation, dû tout à la fois aux
difficultés économiques et à la valorisation du « chacun pour soi », semble devoir passer par
le retour à un « vivre ensemble »73
, les uns avec les autres74
, qui ne va plus de soi. Sans
attache institutionnelle structurante, beaucoup s’inscrivent dans de multiples réseaux75
. Le
phénomène associatif connait un succès exponentiel. Parallèlement, le sociologue Michel
Maffesoli parle du « temps des tribus » pour évoquer la multiplication de groupes informels
fondés sur le partage de goûts, d’émotions ou d’intérêts communs76
. On y observe l’essor de
nouvelles formes de partage et de pratiques participatives77
. C’est dans ce contexte que les
services collaboratifs jouent, selon les cas, une fonction intégratrice ou agrégatrice78
. On peut
parler de réseau maillé, en référence au réseau informatique, basé sur des nœuds connectés
sans hiérarchie centrale79
. La volonté mise en avant par les initiateurs de ces services est de
gommer la compétition au profit de la coopération, qui permet l’émergence de projets
innovants.
L’apparition de ce nouveau modèle économique s’inscrit donc dans un contexte historique, en
réponse à des évolutions et de nouvelles attentes sociétales. Pour Monsieur Michel Bauwens,
c’est le développement d’une « véritable contre-économie éthique et coopérative » dont il
s’agit. Celle-ci n’est pas focalisée sur l’accumulation du capital mais sur un marché
essentiellement basé sur la réciprocité. L’économie collaborative apparait ainsi tout à la fois
comme un moyen de recréer du lien social et de lutter contre les inégalités croissantes dans la
répartition des richesses. Elle semble constituer un levier de relance de la croissance par ses
principes de gouvernance plus ouverts, plus coopératifs et respectueux de l’intérêt commun.
En outre, ce phénomène s’accompagne d’une prise de conscience quant à la nécessité de
préserver l’environnement et de promouvoir le développement durable à partir de la remise en
73
Touraine, Alain, Pourrons-nous vivre ensemble ? Egaux et différents, Paris : Fayard, 1997 ; Paugam, Serge,
Vivre ensemble dans un monde incertain, La Tour-d'Aigues : Ed. de l’Aube, 2015. 74
De Singly, François, Les uns avec les autres. Quand l’individualisme crée du lien, Paris : A. Colin, 2003. 75
Castells, Manuel, La société en réseaux, Paris : Fayard, 1998. 76
Maffesoli, Michel, Le temps des tribus, Paris : Méridiens-Klincksieck, 1988 ; Maffesoli, Michel, Homo
eroticus. Des communions émotionnelles, Paris : CNRS Ed., 2012. 77
Rifkin, Jeremy, La nouvelle société du coût marginal zéro, Arles : Les liens qui libèrent, 2014. 78
De Malleray, Anne, « Les communautés collaboratives, objet sociologique non identifié »,
magazine.ouishare.net, 11 mars 2014 : http://magazine.ouishare.net/fr/2014/03/les-communautes-collaboratives-
objet-sociologique-non-identifie/ 79
Rifkin, Jeremy, 2014, op. cit.
21
cause de l’hyperconsommation et de l’obsolescence programmée, deux déviances du
capitalisme classique80
.
c. Des motivations « altruistes » des acteurs de l’économie collaborative à tempérer
Si la crise économique a fait émerger de nouvelles pratiques que certains qualifient de
déconsommation ou de consommation alternative, celles-ci ne traduisent pas forcément un
rejet du système mais opèrent plutôt une distanciation de ce type de société81
. Il n’y a pas
fondamentalement de rejet. On assiste plutôt à une volonté d’optimisation des dépenses et
d’accession à des produits de qualité. Cela peut être couplé, de façon secondaire, à la
satisfaction d’accomplir un geste citoyen, sur le plan environnemental et sociétal82
. Les
valeurs revendiquées par les pionniers de l’économie collaborative (redonner un sens à l'acte
de consommation via une densification des interactions humaines, préserver l'écosystème en
partageant et en allongeant le cycle de vie des biens de consommation) ne sont pas forcément
celles qui conduisent le grand public à adopter la consommation collaborative. En 2013, seul
un tiers des utilisateurs de plateformes collaboratives se déclarait ainsi mué par la volonté de
recréer du lien social, d'aider son prochain ou de participer à la sauvegarde de
l'environnement. L’altruisme n’est pas le principal vecteur de ce mouvement : les pratiques
collaboratives se développent avant tout parce qu’elles répondent à un intérêt ou à un besoin.
Les motivations varient ainsi entre motivations individuelles et leviers collectifs, qui sont
minoritaires83
.
L’économie collaborative n’hésite donc pas à condamner, en façade, les excès de la société de
consommation tout en agissant dans un cadre capitaliste ordinaire : les « start-up » qui se
créent dans ce domaine sont des entreprises à but lucratif84
. L’économiste Rachel Botsman
souligne justement la nature purement capitaliste de ce nouveau modèle dont « les logiques de
profits, tout comme le fait que certains ne possèdent rien à partager, sont deux écueils
80
Veroux, Anne Florence, Jacquemin, Marion, De Montque, Quitterie, Rodet, Florence, Thocquenne, Barbara,
« L’économie collaborative : nouveau vecteur d’influence et la reconquête du pouvoir », Ecole de guerre
économique, avril 2014. 81
Enjeux et perspectives de l’économie collaborative, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des
Mutations économiques (Pipame), juin 2015 82
Léonard, Antonin, « La consommation émergente n’est pas militante », magazine.ouishare.net, 12 novembre
2012 : http://magazine.ouishare.net/fr/2012/11/etude-obsoco-consommation-collaborative-emergente/ 83
Les Français et les pratiques collaboratives, qui fait quoi ? et pourquoi ?, IPSOS Public Affairs, janvier 2013. 84
Veroux, Anne Florence, Jacquemin, Marion, De Montque, Quitterie, Rodet, Florence, Thocquenne, Barbara,
2014, op. cit.
22
auxquels nous devons être attentifs : la frontière est mince entre ce qui renforce notre pouvoir
d'agir et ce qui nous enferme dans une logique d'exploitation »85
. Ces nouveaux réseaux
collaboratifs redistribuent et décentralisent le travail et font peser sur les individus une grande
responsabilité.
Cette ambivalence entre valeurs affirmées et réalité économique de l’économie collaborative
est de plus en plus décriée par les médias qui évoquent « la fin de l’utopie »86
, le système
ayant révélé sa véritable nature, peu encline finalement à favoriser l’émergence d’une
« société collaborative ». On ne serait ainsi en présence que d’un « sous-produit du
capitalisme »87
, au sein duquel des sociétés commerciales et leurs dirigeants se présentent
artificiellement en « naïfs altruistes » ou « scouts numériques »88
dans le seul but de réaliser
du profit. Madame Flore Berlinger souligne que « souvent, les créateurs de « start-up »
collaboratives se voient comme des entrepreneurs sociaux » alors même que leur structure
n’en a aucun code, ni en matière de gouvernance ni quant à l’impact social89
. Alors même
qu’une idéologie égalitaire est mise en avant, chacun étant producteur et consommateur, le
développement des plateformes a souvent l’effet inverse : les travailleurs se trouvent en
situation de dépendance vis-à-vis du référencement, des « start-up », de la notation par les
clients90
. Dans ce scénario, les travailleurs risquent de devenir paradoxalement plus isolés.
Selon Monsieur Nicolas Colin, le collaboratif est « un puissant levier industriel consistant à se
reposer sur les utilisateurs »91
plus qu’une démarche désintéressée, proche des pratiques
marginales anticapitalistes mises en avant dans la communication des « start-up » du secteur.
Alors même qu’elle était encensée, l’économie collaborative se trouve dans une crise
d’image. En effet, plus qu’un impact sur les modes de consommation, elle est en passe de
provoquer une mutation du modèle même du travail. Ce faisant, elle est analysée comme
« l’aboutissement d’un capitalisme qui cherche méthodiquement de nouveaux gisements de
création de valeurs, casse les acquis sociaux du salariat et conduit à faire baisser les prix des
85
Novel, Anne-Sophie, regards croisés sur le future de l’économie collaborative, 14 mai 2014;
http://alternatives.blog.lemonde.fr/2014/05/14/regards-croises-sur-le-futur-de-leconomie-collaborative/ 86
Segond, Valérie, « Economie collaborative, la fin d’une utopie », Le Monsieur, 11 avril 2016. 87
Gardette, Hervé, « Du grain à moudre », France Culture : http://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-
moudre/leconomie-collaborative-nest-elle-quun-sous-produit-du-capitalisme 88
Cassely, Jean-Laurent, « Ne prenons pas (tous) les scouts numériques de l’économie collaborative pour de
naïfs altruistes », Slate, 30 juillet 2014 : http://www.slate.fr/story/90333/economie-collaborative-partage 89
Pialot, Dominique, « L’économie collaborative est-elle solidaire ? », La Tribune, 29 novembre 2013. 90
Georges, Benoit, « Economie du partage : les limites d'une utopie », Les Echos, 20 mai 2014 :
http://www.lesechos.fr/20/05/2014/lesechos.fr/0203508632953_economie-du-partage---les-limites-d-une-
utopie.htm#ETk1ALiSldmPxFs4.99 91
Colin, Nicolas, Verdier, Henry, L’âge de la multitude, Paris : A. Colin, 2011.
23
services »92
. Pourtant, l’économie collaborative n’est pas l’objet disruptif qui modifie la
nature intrinsèque de la relation de travail mais un courant émergent qui ne fait que s’appuyer
sur une crise préexistante du salariat pour proposer une solution alternative.
B. La crise du modèle traditionnel du travail
Si l’économie collaborative a connu un tel essor, notamment en France, c’est parce qu’elle a
offert de nouvelles méthodes et modalités de travail. En effet, le contrat à durée indéterminée
longtemps posé en modèle absolu est de plus en plus difficile à obtenir et se révèle finalement
peu adapté aux évolutions sociales et économiques actuelles (a.). Le travail indépendant est
notamment de plus en plus plébiscité et ce, quel que soit le secteur ou le pays (b). En
proposant une des plateformes d’intermédiations simples à utiliser et mettant à la disposition
des professionnels un brand nombre de demandeurs, les « start-up » de l’économie
collaborative ont accompagné cet essor de l’entreprenariat (c).
a. La remise en cause du modèle du salariat
Le travail stable et à temps plein, exercé par le biais d’un contrat de travail à durée
indéterminée, est la norme depuis les Trente Glorieuses93
. Mais, avec la crise économique et
afin de survivre dans un contexte difficile, les entreprises ont été contraintes de faire appel à
des formes alternatives d’emploi, plus précaires, s’éloignant ainsi du modèle du CDI. Depuis
les années 1980, la question de la précarité devient centrale avec l’accroissement du taux de
chômage et du recours au contrat à durée déterminée94
.
92
Menasce, David, « Le succès de l’économie collaborative, miroir de la crise des emplois peu qualifiés »,
L’Opinion, 2 septembre 2015. 93
Fourastié, Jean, Les Trente Glorieuses ou la Révolution invisible de 1946 à 1975, Paris : Fayard, 1979. 94
Chauvin, Sandrine, « Les CDD, toujours plus nombreux et de plus en plus courts », Capital, 17 septembre
2014 : http://www.capital.fr/carriere-management/actualites/les-cdd-toujours-plus-nombreux-et-de-plus-en-plus-
courts-962349
24
Ce recours aux contrats précaires a nécessairement eu pour conséquence une transformation
du modèle même du salariat : alors que le contrat de travail était unanimement analysé et vécu
par le quasi-prisme du fonctionnariat, les employés ont été confrontés à l’insécurité dans leur
relation de travail. Le sociologue Patrick Cingolani évoque les nouvelles formes de lutte et
explore les micro-résistances qui viennent s’exprimer dans ce contexte de précarité
généralisée. La société du CDI pour tous95
, anciennement espérée et érigée en idéal, fait
aujourd’hui débat. « Les revendications qui ont caractérisé le mouvement ouvrier et les
appareils syndicaux leur paraissent obsolètes. Ils revendiquent moins l’augmentation du
pouvoir d’achat que l’augmentation d’un pouvoir de vivre et de réalisation que ne satisfait pas
la consommation »96
. Le mythe de l’épanouissement dans l’entreprise s’effrite. Une partie de
la jeunesse, davantage diplômée, aspire à se réaliser, à innover et se sent à l’étroit dans un
cadre formaté au sein duquel elle doit subir contrôle et relations de subordination. Si la
précarité est subie par un grand nombre de salariés, elle est au contraire vécue par certains
comme l’opportunité de lutter contre l’aliénation du travail et de créer un nouveau référentiel.
On parle de job out pour évoquer le renoncement à un emploi stable au profit de projets
individuels et personnels97
. C’est hors du schéma classique du CDI à temps plein que
95
L’article L. 1221-2 du code du travail dispose que « Le contrat de travail à durée indéterminée est la forme
normale et générale de la relation de travail ». 96
Cingolani, Patrick, Révolutions précaires. Essai sur l’avenir de l’émancipation, Paris : La découverte, 2014. 97
Gauthey, Marc-Arthur, « Ces jeunes qui partent en courant », magazine.ouishare.net, février 2015 :
http://magazine.ouishare.net/fr/2015/02ces-jeunes-talents-qui-partent-en-courant
25
pourraient s’exprimer les talents, à l’aide des nouveaux outils, notamment numériques, mis à
leur disposition, la « customisation de masse » ayant remplacée la « production de masse »98
.
Le salariat peut ne plus être ressenti comme un vecteur d’émancipation mais au contraire
comme une forme moderne et adoucie d’esclavage99
. Il est d’ailleurs, selon la définition
même consacrée par la Cour de cassation, « une convention par laquelle une personne
s'engage à travailler pour le compte d'une autre et sous sa subordination moyennant une
rémunération »100
.
Le salariat connait ainsi une véritable crise structurelle101
qui semble irréversible selon de
nombreux observateurs102
en raison, d’une part de l’émergence de la robotisation et de
l’automatisation, et d’autre part des aspirations des nouvelles générations, attirées par des
nouvelles formes d’emploi plus autonomes. Toutefois, il convient de relativiser l’analyse afin
de ne pas confondre crise du salariat et crise du travail. En effet, le travail ne peut être réduit à
la seule forme historique récente, c’est-à-dire l’emploi salarié à temps plein. La forme salariée
doit au contraire être analysée comme une modalité d’exercice du travail, privilégiée dans les
sociétés industrielles depuis le XIXe siècle mais qui peut être supplantée si elle n’est plus en
cohérence avec le contexte économique103
. Dès lors que le cadre institutionnel opère une
assimilation - voire une confusion - entre l’emploi et le travail salarié, toutes les autres formes
d’emploi sont exclues de la régulation et viennent concurrencer, par leur souplesse
notamment, le salariat, qui perd en attractivité tant pour les employeurs que pour les
travailleurs104
. Pour certains, c’est par une mauvaise analyse que les commentateurs ont
diagnostiqué une crise du travail. L’économiste Thomas Philippon relève ainsi que les
tentatives de démonstration d’une crise du travail sont souvent infondées. Si l’accent est
souvent placé sur les contraintes posées par le droit du travail ou le montant des charges
sociales, ces facteurs de blocage ne sont en réalité que marginaux et ne peuvent, seuls,
98
Mathieu, Béatrice, « Un monde du travail en mutation », L’expansion, novembre 2015. 99
En ce sens voir : Graeber, David, Dette, 5000 ans d’histoire, Arles : Les liens qui libèrent, 2013 ; Scholtz,
Trebor, « Platform cooperativism vs the Sharing Economy », décembre 2014 :
https://medium.com/@trebors/platform-cooperativism-vs-the-sharing-economy-2ea737f1b5ad#.qzz8xrd41 100
Cass. 22 juillet 1954, Bull. civ. IV n°576, voir aussi Cass. soc., 10 juill. 2002, n°00-42.734 ; Cass. soc., 6 oct.
2010, n°08-44.987. 101
Filippova, Diana, « La crise du Salariat aura-t-elle lieu ? », magazine.ouishare.net, 15 octobre 2015 :
http://magazine.ouishare.net/fr/la-crise-du-salariat-aura-t-elle-lieu 102
Voir notamment : Filippova, Diana, Société collaborative, la fin des hiérarchies, Paris : Rue de l’échiquier,
2016. 103
Supiot, Alain, Critique du droit du travail, Paris : PUF, 2007. 104
Travail Emploi Numérique : Les nouvelles trajectoires numériques, Rapport remis à la Ministre du Travail,
de la Formation Professionnelle et du Dialogue social, janvier 2016.
26
expliquer des taux d’emplois des vingt pays les plus industrialisés variant de 25 à 30%. De
même, la prétendue crise de la valeur-travail au profit d’une société de loisirs composée
d’individus peu enclins à d’adapter au changement et à la flexibilité est réfutée par une
enquête du World Value Survey (WVS)105
qui ne place pas la France dans la catégorie des
pays réfractaires au travail. En réalité, la transformation de l’emploi dont nous sommes
témoins est une crise des valeurs collectives : il s’agit d’une crise non pas du désir individuel
de travailler, mais de la capacité à travailler ensemble106
. Les salariés, n’acceptant plus le
« compromis fordiste »107
des Trente Glorieuses, se détachent de l’entreprise qui les emploie
et qui ne leur garantie plus les acquis sociaux et se tournent vers d’autres modèles d’emploi.
b. Le développement exponentiel du travail indépendant
L'essor des nouvelles formes de travail se généralise au sein de l’ensemble des pays
européens108
qui voient l’émergence d’une multiplicité de statuts. Un travailleur sur six en
Europe est indépendant. Dans la multitude de modèles qui coexistent, quatre statuts se
distinguent : les personnes physiques qui créent leur entreprise et offrent des services à
d'autres entités économiques, les personnes physiques qui utilisent des formules de partenariat
civil entre elles en vue de conduire une activité économique mais sans que ce partenariat ne
crée de lien de subordination, les professions libérales et, enfin, les personnes physiques qui
conduisent des activités au profit exclusif d'une autre entité109
. Le développement des
systèmes d’information et plus largement du numérique ont radicalement transformé
l’économie et la structure du travail. De nouveaux métiers émergent, qui peuvent être
effectués en autonomie et à distance, depuis n’importe quel ordinateur connecté et sont
réalisés par des individus autodidactes. On assiste à un phénomène d’externalisation de la
production et à une nouvelle manière de créer de la valeur ajoutée, non subordonnée à
l’existence d’une structure formelle et hiérarchisée. Cette évolution du mode de production,
105
Bigot, Régis, Daudey, Emilie, Hoibian, Sandra, « Les Français veulent vivre plus intensément »,
Consommation et modes de vie, CREDOC, n° 268, juillet 2014. 106
Philippon, Thomas, Le Capitalisme d'héritiers. La crise française du travail, Paris : Seuil, 2007. 107
Bigard, Philippe, « Nous sommes à l’apogée de la crise du salariat », Usinenouvelle.com, 15 mars 2011 :
http://www.usinenouvelle.com/article/nous-sommes-a-l-apogee-de-la-crise-du-salariat.N153773 108
Etude effectuée pour le Parlement Européen par l’Université Européenne du travail et Labour Asociados :
http://www.europarl.europa.eu/activities/delegations/studies/download.do?file=23224 109
Triomphe, Claude Emmanuel, « L’essor du travail indépendant en Europe – un défi pour le droit du travail »,
Retranscription d’une présentation orale faite à la DRTEFP Ile de France le 23 septembre 2008.
27
combinée à la défiance croissante envers l’entreprise traditionnelle, pousse de nombreux
travailleurs à oser l’aventure du travail indépendant et de la création d’un projet individuel.
En France, cet attrait pour le travail indépendant a été encouragé par la création du statut
d’autoentrepreneur en 2008110
, bénéficiant de formalités allégées et d’un régime fiscal et
social avantageux, améliorant également la protection de l’entrepreneur individuel. Ce régime
devait corriger les freins administratifs à l’entreprenariat en accordant aux personnes
souhaitant se mettre « à leur compte » divers avantages en termes de création, de gestion et de
cessation d'une activité en nom propre. Un an après l’entrée en vigueur du régime, l’Agence
Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS) dénombrait déjà 338 000
bénéficiaires, pour un chiffre d’affaires global approchant un milliard d’euros en 2009111
. Ce
statut, quoique large dans son champ d’application puisqu’il vise tant les ventes de biens que
les prestations de service, ne bénéficie qu’aux entrepreneurs respectant des seuils de chiffre
d’affaires hors taxes strictement définis : 82 200 € pour les activités de vente de
marchandises, d'objets, de fournitures de denrées à emporter ou à consommer sur place et les
prestations d'hébergement (hôtels, chambres d'hôtes, meublés de tourisme) et 32 900 € pour
les autres prestataires de services relevant des bénéfices industriels et commerciaux et les
professionnels libéraux relevant des bénéfices non commerciaux. Ce régime, par son cadre
juridique, ne vise donc que les travailleurs individuels, exerçant hors de toute société et
débutant leur activité ou s’inscrivant dans une démarche de multi-activités, les seuils étant
relativement bas.
Face à l’engouement pour ce statut et afin de continuer à stimuler l’entreprenariat, les
gouvernements successifs ont modifié le régime pour tenter de le rendre toujours plus attractif
et pour lutter contre les accusations notamment de concurrence déloyale de ces entrepreneurs
individuels à l’égard des sociétés commerciales supportant des charges sociales, fiscales et
administratives plus lourdes. Ainsi la loi du 18 juin 2014 dite loi Pinel112
élargit le bénéfice du
dispositif de prélèvement libératoire auquel avaient accès les autoentrepreneurs à l’ensemble
des « microentreprises », regroupées sous le terme d’« entreprise individuelle », afin de mettre
fin aux distorsions de traitement en matière de cotisations. Toujours dans une perspective
d’élargissement du champ d’application du régime, le projet de loi Sapin 2 relatif à la
110
Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, chapitre premier. 111
Communiqué de presse ACOSS, « La mise en place de l’auto-entrepreneur, bilan au 31 octobre 2010 ». 112
Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.
28
transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
envisage d’assouplir les règles en cas de franchissement des seuils par les microentreprises en
phase de croissance. Ainsi, l’article 37 du projet permettrait de bénéficier du régime de la
microentreprise pendant l’année de dépassement et les deux années suivantes à condition de
ne pas dépasser le double des seuils de chiffre d’affaires chaque année (le ministre de
l’économie Emmanuel Macron, dans ce qui devait être le projet de loi dite Noé113
, souhaitait
aller jusqu’au triple des seuils fixés).
c. Le rôle de l’économie collaborative dans l’accélération de la transformation du travail
Plus encore que l’explosion du travail indépendant, le phénomène de la pluriactivité marque
le monde du travail contemporain. Elle concerne 2,3 millions d’actifs en France contre un
million il y a dix ans114
. Au cours de cette dernière décennie, l’apparition des plateformes est
venue à la fois amplifier et transformer le développement du travail indépendant. Elles
réduisent encore davantage le recours aux structures de marché classique en simplifiant la
communication et l’interaction entre l’entrepreneur individuel ou le particulier offreur et le
demandeur du bien ou service. Elles offrent aux utilisateurs et aux travailleurs indépendants
une relation horizontale, non hiérarchique, qui réduit au minimum le nombre d’intermédiaires
entre les parties, soit exactement ce dont ils sont privés dans une relation fondée sur un contrat
de travail. Conjuguées aux règles relatives aux microentreprises, elles réduisent de façon
drastique les barrières à l’entrée et à la sortie. En effet, le travailleur indépendant peut décider
quasi-instantanément de pénétrer sur le marché pour y proposer ses biens ou services. De
même, s’il n’y obtient pas le succès escompté, il peut cesser son activité sans engager de
frais : les désinscriptions sont en principe gratuites et aucune taxe ou charge n’est due en
microentreprise en l’absence de réalisation de chiffre d’affaires. Cette facilité offerte par la
plateforme pousse les individus dotés d’un goût pour l’entreprenariat ou souhaitant
simplement bénéficier de revenus complémentaires à diversifier et multiplier leurs activités
professionnelles. Le statut de travailleur indépendant et l’économie de plateformes semblent
dès lors extrinsèquement liés. Si la France dispose d’une place de leader en matière
d’économie collaborative, c’est notamment grâce à l’existence du statut dérogatoire
d’entreprise individuelle.
113
Projet de loi pour favoriser les nouvelles opportunités économiques. 114
Carrère-Gée, Marie-Claire, « L’Uberisation du travail est déjà partout », Le Monde Economie, 5 novembre
2015.
29
Ainsi et comme soulevé dans le rapport du Conseil d’analyse économique sur l’économie
numérique115
, « l’avantage organisationnel du salariat est affaibli par le passage à une
économie de plateformes où l’accès aux données, leur circulation, la réputation, et le poids
des actifs immatériels sont des ressources cruciales justement polarisées par des plateformes
qui occupent des positions dominantes, en se plaçant au sommet des chaînes de valeur, c’est à
dire entre les producteurs et leurs consommateurs ». L’économie collaborative s’inscrit ainsi
parfaitement dans la crise que connait le salariat et profite de cette période de transition, de
restructuration du travail pour imposer son modèle. Elle n’est ainsi qu’une conséquence,
certes opportuniste, d’un mouvement sociétal de fond et non à l’origine de la transformation
des pratiques. Elle se positionne en accélérateur de la tendance et non en initiateur du
bouleversement. Pourtant, elle demeure contestée en ce qu’elle constituerait une menace sur
le salariat. Sans cadre légal et de par la structure horizontale qu’elle propose, l’économie
collaborative pourrait permettre à l’apporteur de services d’exercer son activité sans
immatriculation et sans déclarer les sommes perçues dans le cadre de son activité. Les
plateformes seraient ainsi réfractaires à tout cadre juridique116
. Cette analyse ne saurait
perdurer lorsque l’on replace l’émergence des « start-up » de l’économie collaborative dans
un cadre plus large. Les plateformes sont elles-mêmes des sociétés commerciales qui ont
besoin, dans des perspectives de croissance (levées de fonds, rachat…) d’un cadre
juridiquement rassurant pour les investisseurs. En outre, lorsqu’elles mettent en relation un
professionnel avec un demandeur, le statut de la microentreprise permet à cet entrepreneur
individuel d’obtenir rapidement un statut adéquat et de déclarer ses revenus. Ainsi, les
plateformes comme les professionnels y exerçant ont tout intérêt à régulariser leur activité et
disposent de tous les outils pour offrir un cadre légal cohérent aux demandeurs de biens et
services. C’est d’ailleurs aux acteurs de l’économie collaborative de confirmer, dans les mois
et années à venir, qu’ils sont des vecteurs de bonne conduite en matière d’entreprenariat
individuel.
C. L’émergence d’un nouveau modèle économique durable
115
Rapport remis à la Ministre de l’Emploi, de la Solidarité et du Dialogue social, janvier 2016 : http://travail-
emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_cnnum_travail_version_finale.pdf 116
Thiébart, Patrick (Jeantet Associés), Propos recueillis par Gradt, Jean Michel, « Ubérisation de l’économie :
le cadre juridique doit évoluer pour s’adapter », Les Echos, 8 juillet 2015.
30
Plus qu’un secteur d’activité, l’économie collaborative peut être qualifiée de nouveau modèle.
En effet, elle marque le passage d’une économie basée sur la propriété à un système dans
lequel l’utilisation du bien prévaut (a.). Ainsi, elle intervient dans différents marchés au sein
desquels elle est plus ou moins développée (b.). En cela et si elle apparaît aujourd’hui comme
incontournable au sein de l’économie mondiale, elle n’a pourtant pas encore atteint un niveau
de viabilité certaine et son développement pourrait être ralentie si les « start-up » n’atteignent
pas rapidement un niveau de rentabilité satisfaisante et si les pouvoirs publics ne mettent pas
en place un encadrement satisfaisant (c.).
a. Un modèle marqué par la diversification des sources de rendement, complémentaire à
l’économie traditionnelle
L’économie collaborative s’appuie sur une mutualisation des biens, des espaces et des outils
et encourage l’usage plutôt que la possession, dans la logique de l’économie du partage117
afin
d’optimiser les ressources disponibles. L’accès aux biens et services devient plus important
que leur possession. L’économie devient « intrinsèquement tournée vers le partage »118
.
L’émergence de l’économie collaborative a donc profondément modifié le rapport à la
possession. Cette prédominance de la valeur de l’usage existait avant l’essor de l’économie
collaborative. Aristote énonçait déjà, il y a 2500 ans, que « la richesse consiste bien plus dans
l’usage qu’on en fait que dans la possession »119
. Toutefois, au sein des sociétés modernes, le
partage de ressources était largement limité à une « économie de la fonctionnalité » observée
dans les rapports entre professionnels. Les particuliers étaient alors trop attachés à la propriété
et la possession de biens matériels, facteur de différenciation et révélateur de statut social120
.
L’objectif économique devient, avec l’avènement des plateformes numériques de mise en
relation, la création d’une valeur d’usage maximale pendant le plus longtemps possible.
Toutefois, ce changement de paradigme ne vient pas en opposition avec le modèle
économique classique. En effet, de façon traditionnelle, la motivation de tout individu
acquérant un bien est de pouvoir en user, personnellement ou par autrui. Ainsi, la possession,
117
Portier, Philippe, « Economie collaborative : la solution n’est pas un excès de réglementation », Le Monde, 3
novembre 2015 : http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/11/03/economie-collaborative-la-solution-n-est-pas-
dans-un-exces-de-reglementation_4802471_3232.html 118
Duthoit, Aurélie, Petit manuel d’économie collaborative à l’usage des entreprises, Paris : Eyrolles, 2015. 119
Aristote, L’éthique de Nicomaque, 350 av. JC. 120
Lenoir, Rémi, « Espace social et classes sociales chez Pierre Bourdieu », Sociétés & Représentations, n° 17,
2004.
31
qui permet par définition l’accès, ne s’oppose pas à l’usage121
. Le changement vient en réalité
plutôt de la facilité avec laquelle sont mis en relation les offreurs et les demandeurs.
L’économie numérique se distingue par l’importance des phénomènes de rendements
croissants qui sont accentués par les effets de réseau : la qualité du service offert dépend du
nombre d’utilisateurs122
.
Les synergies entre économie collaborative et économie classique devraient s’accentuer afin
de créer un maillage cohérent au bénéfice des utilisateurs. L’arrivée à maturité des nouveaux
acteurs devrait les conduire à conclure des partenariats avec les entreprises traditionnelles et à
s’appuyer sur plusieurs services d’appui transverses. En effet, malgré les actuelles oppositions
entre les modèles, il existe une véritable complémentarité entre économie traditionnelle et
économie collaborative dès lors que les plateformes interviennent sur des marchés non
couverts par les entreprises classiques123
. En effet, si les « start-up » de l’économie
collaborative se sont développées dans un premier temps selon une stratégie dite « Océan
Bleu », du nom de l’étude de Monsieur Chan Kim et Madame Mauborgne124
, en créant une
nouvelle demande dans un espace stratégique non contesté, les affrontements récents avec des
fournisseurs existants au sein de marchés proches rendent leur environnement plus
concurrentiel et les obligent à s’adapter125
. En effet, si les « start-up » ont réussi à largement
réduire la valeur de l’offre concurrente, elles n’ont pu l’éliminer. Ainsi, la seule innovation
qui crée de la valeur pour le client en présentant une offre disruptive ne suffit plus et doit
désormais s’accompagner de services empruntés à l’économie traditionnelle. C’est
notamment le cas dans le secteur des transports, au sein duquel les partenariats entre les
sociétés d’assurance et les plateformes ne cessent de se développer.
Contrairement aux scénarios pessimistes qui prédisent une « ubérisation » globale de
l’économie et de la société, cette complémentarité entre les modèles devrait en réalité
bénéficier aux deux systèmes par capillarité des valeurs ajoutées de chacun.
121
http://www.mutinerie.org/usages-et-possessions/#.VxjRcDCLSUk 122
Colin, Nicolas, Mohnen, Pierre, Perrot, Anne, « Economie numérique », Les notes du conseil d’analyse
économique, n° 26, Octobre 2015. 123
Masse David, Borel, Simon, Demailly, Damien, « Comprendre l’économie collaborative et ses promesses à
travers ses fondements théoriques », Nouvelles prospérité, n° 5, juillet 2015. 124
Kim, W. Chan et Mauborgne, Renée, « Blue Ocean Strategy », Harvard Business Review, 2005. 125
C’est par exemple le cas des conflits entre Uber et taxis et entre les syndicats hôteliers et AirBnb.
32
b. Un secteur économique composé de marchés très différents selon leur niveau de
maturité
Le marché de l’économie collaborative n’est pas uniforme et est au contraire composé de
secteurs aux degrés de maturité divers. Toutefois, il est possible de regrouper les différentes
activités en quatre groupes homogènes ayant des caractéristiques communes en termes de
structuration et de dimensionnement de marché, d’intensité concurrentielle et de
positionnement des acteurs126
.
Le premier groupe, composé des activités « se financer », « se loger » et « se déplacer » est
composé de marchés matures, à forte intensité concurrentielle. Le nombre d’acteurs est très
élevé (la moitié des « start-up » du secteur collaboratif) et chaque société doit se différencier
par rapport à ses concurrents afin de conserver sa position sur le marché. Les efforts consacrés
à l'innovation sont essentiels en ce qu’ils doivent permettre à chaque acteur de ne pas se
laisser distancer par ses concurrents. Pour les consommateurs, la démarche d’achat de biens
ou services est devenue une pratique courante et n’est plus ressentie comme novatrice. Si la
concurrence y est très forte, le potentiel du marché demeure important et la demande élevée.
126
DGE, PICOM (Nomadéis, TNS Sofres), « Consommation collaborative : perceptions, motivations et
pratiques des Français », novembre 2014.
33
On assiste dès lors à une véritable course à la spécialisation et à la différenciation menée par
les « start-up » qui contribue à l'équilibre dynamique du marché127
. On y observe des
stratégies de développement très différentes avec d’une part les sociétés cherchant à investir
les secteurs de niche à forte valeur ajoutée et d’autre part des acteurs misant sur le volume
d’activité.
Les secteurs « s'équiper » et « se nourrir » sont composés de marchés à tendance
oligopolistique voire monopolistique, dominés par des acteurs incontournables détenant une
part de marché très importante. Ceux-ci proposent une offre diversifiée répondant à un panel
de demandes variées, émanant d’une clientèle hétérogène. Toutefois et même si la
concurrence y demeure imparfaite, ces marchés voient l’arrivée de nouveaux acteurs, très
spécialisés, qui viennent proposer des produits et services de niche et contrent ainsi les
stratégies des majeurs du secteur. Dans le secteur « s’équiper », on voit notamment
l’émergence de Zilok, spécialisé dans la location de matériel, qui vient contrarier la position
de leader de ParuVendu et de Leboncoin sur ce segment. De même et concernant le secteur
« se nourrir », Colunching organise non pas un approvisionnement en produits alimentaires
mais permet l’organisation de repas collectifs par les particuliers. On observe ainsi une
autorégulation des marchés au sein desquels la concurrence s’accroît.
Le groupe composé des secteurs « se faire aider » et « s’habiller » est en phase de croissance.
Les marchés y sont encore atomisés et les acteurs ont pour premier objectif de pousser les
consommateurs à s’intéresser à leur modèle d’activité et leurs offres. Pour cela, les
plateformes multiplient les services pour rassurer les acheteurs. C’est par exemple le cas de
Collector Square, plateforme de vente de montres et maroquinerie de luxe, qui propose
notamment un service d’expertise aux vendeurs afin d’assurer aux acheteurs l’authenticité des
produits. Par ailleurs, les « start-up » de ce secteur doivent supporter la concurrence des
acteurs « généralistes » d’autres secteurs d’activités, intervenant à titre principal sur le marché
« s’équiper » (notamment Leboncoin, qui devient de plus en plus une plateforme d’offre de
prestations de services, souvent non déclarées et donc très bon marché). Afin de se
développer et devenir rentables, ces acteurs devront non plus viser seulement les
« précurseurs enthousiastes » attirés par l’innovation, mais également les « imitateurs
127
Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations économiques (PIPAME), Prospective,
Enjeux et perspectives de la consommation collaborative, juin 2015.
34
pragmatiques » qui ne se lancent dans le processus d’achat que s’ils sont assurés de la fiabilité
du produit ou du service vendu128
.
Enfin, les secteurs « se divertir », « transporter » et « stocker des objets » sont en phase de
démarrage et les marchés sont encore à la recherche d’une masse critique de consommateurs
et d’un modèle économique pertinent. Si l’innovation technique a créé un embryon de
marché, les ventes qui y interviennent ne permettent pas encore d’assurer une rentabilité
financière suffisante à assurer la viabilité et la pérennité de l’ensemble des acteurs. L’absence
de cohérence entre les offres proposées par les acteurs a pour effet d’induire une confusion
dans l’esprit des acheteurs et de freiner le développement des marchés.
Malgré ces différences, les marchés encore jeunes de l’économie collaborative sont tous en
phase de structuration et on y observe différentes stratégies de croissance interne et externe
telles que la spécialisation, la diversification, l’internationalisation et la concentration, qui
devraient assurer la pérennité du secteur.
c. Une viabilité encore en question des marchés en cause
Si le secteur de l’économie collaborative voit l’émergence de « start-up » emblématiques
attirant de nombreux investisseurs, aucune d’entre elles ne revendiquait l’équilibre en mars
2015. La pérennité des marchés en cause dépend donc encore de la capacité de ses acteurs à
atteindre la rentabilité. A défaut, les investisseurs sur lesquels est actuellement basée la
croissance des marchés pourraient se lasser. Leur désengagement avant l’atteinte de la taille
critique mettrait en danger le secteur. D’après les travaux du PIPAME129
, le secteur devrait se
labelliser et se diriger vers une normalisation progressive de l’offre. L’amélioration de la
transparence des acteurs et la conformité des pratiques à des normes de sécurité et de qualité
sont en effet des éléments essentiels pour rassurer les utilisateurs sur le long terme et passer
d’une phase de développement à une phase de maturité. Toutefois, l’évolution du secteur
dépend largement de facteurs macroéconomiques, de l’évolution des habitudes de
consommation et de la variation de l’offre.
128
Floricel, Serghei, « Comprendre la dynamique des marchés », Stratégie comme levier dynamique. Description
du projet de recherche, ESG-UQAM : http://gpi.uqam.ca/upload/files/PDF_fr/Theme_8_Comprendre_la_dynamique_des_march_s.pdf 129
Pôle interministériel de prospective et d'anticipation des mutations économiques.
35
Dans un premier scenario tendanciel dit « transition », la crise économique se poursuit et
modifie en profondeur le modèle économique traditionnel. Les individus sont demandeurs de
sources de revenus complémentaires et d’alternatives de consommation moins couteuses. Le
nombre d’acteurs de l’économie collaborative croit rapidement, tant du côté de l’offre que de
la demande. Les pouvoirs publics n’ont d’autre choix que de prendre en considération cette
mutation et régulent le secteur pour apaiser les nombreux rapports de force. Les marchés
deviennent de plus en plus concurrentiels, ce qui entraîne l’impossibilité de se maintenir pour
tout offreur non performant. Les « start-up » se concentrent pour s’assurer des parts de
marché confortables permettant leur survie.
Le deuxième scénario dit « synergie », quoique basé sur des perspectives macroéconomiques
similaires, diffère en ce que la mutation du contexte économique ne crée par un
bouleversement des habitudes de consommation. Des rapprochements entre acteurs
conventionnels et alternatifs s’effectuent alors, accompagnés par les pouvoirs publics qui
encouragent ces convergences, associations voire fusions. L’économie collaborative s’intègre
alors à l’offre traditionnelle existante.
Enfin, au contraire, le schéma « bulle » pose le postulat d’une amélioration de la conjoncture
économique. Les consommateurs retrouvant un pouvoir d’achat plus important, ils se
détachent des plateformes et renouent avec la propriété. Ce désaveu résulte notamment du
manque d’application des plateformes quant à la qualité des services proposés. Parallèlement,
les pouvoirs publics mettent en place des mesures strictes pour encadrer et contrôler les
nouveaux entrants.
Malgré ces modèles théoriques - notamment celui du schéma « bulle » - et au vu des
perspectives macroéconomiques à court terme, l’économie collaborative ne tend donc pas à
disparaître et ses acteurs apparaissent comme les principaux moteurs du développement du
marché. En effet, ce n’est qu’en garantissant des prestations de qualité, dans un secteur
structuré et régulé, que ces sociétés innovantes pourront s’épanouir et atteindre un niveau de
viabilité et de rentabilité satisfaisant. Pour cela, la mise en place d’un cadre juridique cohérent
pourrait être un vecteur de développement pour les « start-up » du secteur. Des normes
efficaces pourraient ainsi rassurer les consommateurs quant à la qualité de l’offre et la
36
transparence des acteurs. Corrélativement, un encadrement dynamique mais non équivoque
permettrait aux « start-up » et aux investisseurs d’opérer en connaissance de cause et de faire
des choix stratégiques à long terme, chose aujourd’hui impossible tant les réglementations
sont changeantes.
II. La clarification nécessaire de l’environnement juridique de l’économie
collaborative
Pour accompagner le développement de l’économie collaborative, il est essentiel de proposer
aux « start-up » un cadre juridique clair et cohérent qui fait défaut aujourd’hui. En effet, en
l’absence tant de textes spécifiques que de jurisprudences suffisantes, celles-ci sont placées
dans une incertitude réglementaire, vecteur d’insécurité juridique (A.). Par ailleurs et s’il faut
saluer les réformes récentes qui démontrent une prise de conscience des pouvoirs publics, ces
dernières ne constituent que les prémices d’un régime qui doivent encore être complétés et
précisés (B.).
A. Un manque prégnant de sécurité juridique
La réglementation de l’économie traditionnelle s’adapte mal aux spécificités des plateformes.
Le droit du travail notamment ne permet pas de qualifier de façon satisfaisante les relations
entre les acteurs et le contrat liant la plateforme aux offreurs professionnels (a.). De même, si
les acteurs traditionnels sollicitent l’application du droit de la concurrence pour faire cesser
une prétendue concurrence déloyale, les textes applicables en la matière ne sont ni réellement
suffisants pour protéger le bon exercice de la concurrence ni pour assez clairs pour garantir
aux « start-up » que les éventuelles actions n’aboutiront pas (b.). Enfin, malgré sa qualité de
tiers au contrat principal de vente ou de prestation de service, les intervenants pourraient être
tentés de chercher la responsabilité de la plateforme en cas de difficultés dans son
exécution (c.).
a. Le risque de requalification des contrats de prestation de service
Si, comme précédemment développé, le statut de travailleur indépendant est de plus en plus
attractif notamment pour les professionnels exerçant leur activité par le biais de plateformes,
37
il est toujours tentant, lors de la rupture de la relation commerciale, d’invoquer le statut du
salarié pour prétendre au bénéfice des conséquences financières d’un licenciement. En effet,
le juge n’est pas tenu par la qualification donnée par les parties au contrat et peut requalifier la
relation s’il estime que le contrat cache une réalité différente de celle affichée. Le code du
travail prévoit expressément la possibilité de requalification pour les prestataires inscrits au
registre du commerce et des sociétés ou au registre des métiers130
. Dès 2010, la question de
l’utilisation abusive du statut d’autoentrepreneur était soumise au gouvernement qui rappelait
que le statut nouvellement créé « n’a nullement été conçu pour couvrir l’externalisation
abusive de salariés ou le recrutement de faux indépendants » et que « le contrat entre
l’autoentrepreneur et son donneur d’ordre peut, sous réserve de l’interprétation souveraine du
juge civil ou pénal, être requalifié en contrat de travail »131
. En 2013, le gouvernement avait
de nouveau l’opportunité de rappeler qu’« une activité indépendante se caractérise
essentiellement par le fait que son auteur a pris librement l'initiative de la créer ou de la
reprendre, qu'il conserve, pour son exercice, la maîtrise de l'organisation des tâches à effectuer
et du matériel nécessaire, ainsi que de la recherche de la clientèle et des fournisseurs »132
.
Ainsi, dès lors que le travailleur indépendant démontrera que la relation qui l’unit à la « start-
up » mettant à sa disposition la plateforme par lequel il propose ses biens ou services remplit
les critères jurisprudentiels du contrat de travail, il pourra prétendre à la requalification de son
contrat. Pour cela, il devra présenter au juge un faisceau d’indices suffisant à établir
l’existence d’un lien de subordination permanent, impliquant un travail sous l’autorité et le
contrôle d’un cocontractant à même de sanctionner tout manquement éventuel133
.
130
Article L. 8221-6 du code du travail : « Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat
de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription es personnes physiques
immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents
commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales
pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales […].L'existence d'un contrat de travail peut
toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne
interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination
juridique permanente à l'égard de celui-ci ». 131
Question écrite n°76 823 de M. Liegbott ; Réponse ministérielle publiée au JO le 12/10/2010 page 11146. 132
Question écrite N°7103 de M. Christian Estrosi ; Réponse ministérielle publiée au JO le 06/08/2013 page
8534. 133
Cass. Soc., 19 mars 2009, n°07-44.760 : « Mais attendu que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni
de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des
conditions de fait, dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ; que le lien de subordination est
caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des
directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements et que l'intégration dans un service
organisé constitue un indice du lien de subordination lorsque les conditions de travail sont unilatéralement
déterminées par le cocontractant ».
38
Les « start-up » de l’économie collaborative doivent dès lors se montrer extrêmement
prudentes quant à la définition de leurs relations avec les prestataires professionnels. Pour
éviter toute requalification, la plateforme devrait ainsi s’assurer que le prestataire est libre
d’accepter ou non une prestation et s’interdira de lui donner toute instruction précise. De
même, elle évitera soigneusement d’exercer tout pouvoir de sanction à l’encontre du
prestataire134
. Cette exigence est d’autant plus délicate à mettre en œuvre que le contrôle de
l’offre proposée par le biais de sa plateforme est la clé même du succès de ces « start-up ».
Sans prestation de qualité et environnement cohérent proposé au client, la plateforme risque
de renier son business modèle, notamment au sein des secteurs de niche dans lesquels la
demande est exigeante. Il y a donc une véritable tentation d’encadrer l’activité des
prestataires.
C’est sur ce contrôle de la qualité de la prestation de services délivrée par le
travailleur indépendant que se fondent actuellement les recours engagés contre la société
Uber. En juin 2015, une première décision reconnait, aux Etats-Unis, le statut de salarié à un
chauffeur au motif que la société décide seule du montant des courses, peut facturer des frais
en cas de refus des courses et suspendre et désactiver les comptes des chauffeurs en cas
d’évaluation négative des clients135
. Suite à cette décision et pour mettre fin aux deux actions
de groupe (« class action ») menées par 385 000 chauffeurs qui y succèdent, la société accepte
de signer un protocole transactionnel de plus de 100 millions de dollars136
. Suite à ces
décisions, le conseil de prud’hommes de Paris a été saisi de la question et un appel a été lancé,
soutenu par le barreau de Paris, pour l’organisation d’une action de groupe contre la société
Uber pour que soient requalifiés les contrats de ses prestataires en France137
.
Ainsi, il existe actuellement une réelle insécurité sur la qualification juridique de la relation
entre la plateforme et les prestataires de services. Il n’est pas ici contesté que les « start-up »
doivent préserver l’autonomie et l’indépendance des différents acteurs, essence même de
l’économie collaborative. Toutefois, il semble également essentiel que la loi évolue pour
134
Thiébard, Patrick, Follorou, Jean-Guillaume, Georges, Pascale, « L’économie collaborative rattrapée par la
loi », Le Monde, 8 juillet 2015. 135
Labor Commission of the State of California, 17 juin 2015, Barbara Ann Berwick vs Uber Technologies Inc
et Raiser – CA LLC. 136
Guichard, Catherine, « Travail. Uber : 100 millions de dollars pour clôturer des ennuis judiciaires », Courrier
International, 22 avril 2016. 137
http://www.avocats-actions-conjointes.com/chauffeurs-uber-la-reconnaissance-du-statut-de-salarie
39
prendre en considération les nouvelles caractéristiques d’une économie en pleine mutation138
.
Interdire à une « start-up » de contrôler les prestations commercialisées sous sa marque et par
son biais revient en effet d’une part à refuser de protéger le consommateur contre des
pratiques déceptives et d’autre part à mettre gravement en péril un modèle innovant et
répondant à une demande tant des offreurs que des acheteurs. Sans cadre juridique stable et
prédéfini, le risque de requalification massive des travailleurs indépendants pourrait tuer le
modèle économique des plateformes139
.
b. Le risque de concurrence déloyale pesant sur la plateforme
Par ailleurs, s’il y a bien une idée qui revient dans l’argumentaire des opposants aux
plateformes, c’est celle de la concurrence déloyale. Ainsi, « le succès d'Uber [serait]
davantage dû au dumping fiscal et social qu'il exerce qu'aux innovations technologiques qu'il
apporte sur le marché du transport de particuliers »140
. Les différents syndicats professionnels
sont d’ailleurs entrés en campagne contre ces nouveaux concurrents qui mettraient en relation
des professionnels opérant de manière occulte et des consommateurs141
. Le modèle horizontal
disruptif de l’économie collaborative, tenant à la mobilisation de prestataires indépendants
sans en assumer la charge fiscale et sociale, s’affranchit tant des monopoles que des
régulations sectorielles classiques142
. Ce faisant, elle aurait ses fondements dans la création
de conditions de concurrence inégales entre les nouveaux agents économiques dont elle
facilite l’entrée sur le marché et les professionnels soumis à des règles strictes (droit de la
consommation, fiscalité, charges sociales, qualifications professionnelles...) 143
. Elles
suppriment les barrières à l’entrée au profit de ces nouveaux acteurs économiques qui n’ont
pas à effectuer les coûteux investissements engagés par les agents traditionnels (licence de
taxi, bien immobilier…) et peuvent en conséquence proposer des prix très en-deçà des prix du
138
Pussilieux, Claire, « Economie collaborative et contrat de travail : quoi de neuf sous le soleil ? », 22
décembre 2015 : http://www.lemondedudroit.fr/decryptages-profession-avocat/212600-economie-collaborative-
et-contrat-de-travail-quoi-de-neuf-sous-le-soleil-.html 139
Benz, Stéphanie et Dedieu, Franck, « L’Etat providence à l’épreuve du post-salariat », L’expansion, novembre
2015. 140
Renier, Romain, « Uber, l’innovation et la concurrence déloyale », Les Dossiers d'Alternatives
Economiques, n° 4, novembre 2015. 141
Lamon, Bernard, « Economie collaborative : où commence la concurrence déloyale », Le Monde, 3 mai
2012 : http://archives.lesclesdedemain.lemonde.fr/villes/economie-collaborative-ou-demarre-la-concurrence-
deloyale-_a-13-2352.html 142
Portier, Philippe, « Le législateur est obligé de distinguer économie collaborative et "ubérisation" », Le
Monde, 7 novembre 2015. 143
Travail Emploi Numérique : Les nouvelles trajectoires numériques, Rapport remis à la Ministre du Travail, de
la Formation Professionnelle et du Dialogue social, janvier 2016.
40
marché. La différence de statut serait également de nature à créer une iniquité notamment
sociale et fiscale au détriment des professionnels.
La notion de concurrence déloyale découle du principe de liberté du commerce et de
l’industrie posé par les décrets d’Allarde de 1791144
et consacré par le Conseil constitutionnel
comme ayant valeur constitutionnelle dans sa décision du 16 janvier 1982145
. Elle interdit
l’usage de procédés contraires aux usages loyaux du commerce dans le but de détourner la
clientèle d’un concurrent. L’action en concurrence déloyale est une action civile de droit
commun, qui trouve son fondement dans les 1382 et 1383 du code civil146
. Elle suppose dès
lors la preuve par le demandeur qui s’estime lésé d’actes fautifs, d’un préjudice et d’un lien de
causalité entre ces éléments. Il n’existe aucune définition d’un acte constitutif de concurrence
déloyale et les juges étudient in concreto les faits qui leur sont soumis147
. L’intention de nuire
n’est pas nécessaire et l’acte peut être intentionnel ou non, fautif ou résultant d’une simple
maladresse. Certains comportements déloyaux n’ont pas pour effet d’affecter l’activité d’un
concurrent déterminée mais d’impacter l'ensemble d’un marché ou secteur d’activité. Une
situation de concurrence déloyale peut alors être caractérisée dès lors que le non-respect de la
réglementation conduit à « une rupture dans l'égalité des moyens de la lutte concurrentielle et
met celui qui a enfreint cette réglementation dans une situation anormalement favorable par
rapport à ses concurrents »148
. Certaines jurisprudences pourraient être transposées à l’activité
des plateformes. Ont ainsi été condamnés l’absence d’identification claire du référencement
prioritaire d’un site de comparateur d’offres en ligne149
, le non-respect par une société
144
« A compter du 1er avril prochain, il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle
profession, art ou métier qu’elle trouvera bon, mais elle sera tenue de se pourvoir auparavant d’une patente, d’en
acquitter le prix d’après les taux ci-après déterminés et de se conformer aux règlements de police qui sont ou
pourront être faits. Il s'agit d'un principe fondamental du droit ». 145
Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 relative aux lois de nationalisation consacrant la liberté
d'entreprendre. 146
Recodifiés sous les numéros 1240 et 1241 par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 entrant en vigueur
le 1er
octobre 2016. 147
« Tous les abus et agissements contraires aux principes du commerce peuvent être ainsi visés et notamment
l'entretien d'une confusion dans l’esprit du consommateur, l'appropriation illicite d'un investissement
économique, le fait d'utiliser les recherches d'autrui, de s'approprier le travail d'autrui, ses efforts, son savoir-
faire, l'embauche d'un salarié au mépris d'un engagement de non-concurrence auquel ce dernier était tenu et que
le nouvel employeur ne pouvait ignorer, le détournement de clientèle… » (Costes, Lionel, Marcelin, Sabine,
Auraoux, Jean-Baptiste, Perray, Romain et Salen, Pierrick, le Lamy du droit numérique, Paris : Wolters Kluwer,
2015). 148
Coursière-Pluntz, Virginie, Flaicher-Maneval, Elisabeth, Le Bourdon, Amaury, Petrignet, Nathalie et Redon,
Denis, (avec la collaboration de) Mémento Concurrence – consommation 2016, Paris : Editions Francis
Lefebvre, 2016. 149
Cass. com., 4 décembre 2012, 11-27.729, Publié au bulletin.
41
commercialisant des bicyclettes d'exigences de sécurité posées par un décret150
ou l’absence
d’application du taux de TVA en vigueur151. Dès lors que les particuliers se comportant sur
les plateformes à l’instar de professionnels ne rempliront pas les obligations sociales et
fiscales correspondant à leur pratique et que les consommateurs ne pourront distinguer les
garanties apportées par chacune des prestations, un risque de concurrence déloyale pèsera sur
les plateformes comme sur leurs utilisateurs152
. En effet, sauf à considérer que les « start-up »
de l’économie collaborative proposent une offre complémentaire et non concurrentielle à
l’offre existante, en répondant à des besoins traditionnellement non satisfaits par les acteurs
traditionnels, le statut d’intermédiaire des plateformes, permettant une implication limitée,
peut être de nature à entraîner une distorsion de concurrence153
.
Le risque pour les plateformes est double. En effet, leur responsabilité pourrait d’une part être
retenue en cas d’acte de concurrence déloyale afférent à leur activité d’intermédiaire de mise
en relation numérique. Ce fut notamment le cas d’Uber et de son service Uberpop qui a été
interdit par le Tribunal de Grande Instance de Paris en ce qu’il constituait une pratique
commerciale trompeuse. D’autre part, en cas d’activités commerciales déloyales ou
anticoncurrentielles des utilisateurs, les concurrents pourraient être tentés d’appeler également
la « start-up » dans la cause, aux côtés de l’utilisateur. Le secteur étant encore jeune, peu de
décisions permettent aux plateformes d’analyser le cadre juridique qui leur est applicable en la
matière, celui-ci étant essentiellement prétorien, c’est-à-dire construit par les décisions des
juges. Si quelques décisions favorables aux plateformes ont été rendues en matière de
véhicule de tourisme avec chauffeur (VTC), il n’est pas possible de tirer une consécration
générale de l’absence de responsabilité des plateformes en la matière154
. En effet, la portée de
ces décisions doit être d’autant plus relativisée qu’elles ont été rendues par la formation des
référés, juge de l’urgence et de l’évidence. La Confédération Générale des Petites et
150
Cass. com., 28 sept. 2010, JurisData n° 2010-017133, Contrats, conc. consom. 2011, comm. 69, obs. M.
Malaurie-Vignal. 151
Cass. com., 9 mars 2010, JurisData n° 2010-001523 ; Propr. industr. 2010, comm. 44, obs. J. Larrieu. 152
Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse, février 2016,
op.cit. 153
Enjeux et perspectives de l’économie collaborative, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des
Mutations économiques (Pipame), juin 2015. 154
Tribunal de commerce de Paris, ordonnance du 1 août 2014, n°2014031828 : « Uber n’est pas elle-même
prestataire de transport mais agit comme intermédiaire mettant en relation des exploitant de VTC avec des
particulier via une application informatique qu’elle a développé, en sorte que la réglementation précitée ne lui est
pas directement applicable » ; Tribunal de commerce de Paris, ordonnance du 3 novembre 2015, le plaignant est
débouté de sa demande de condamnation sur le fondement de la concurrence déloyale en ce qu’il n’a pas
« démontré l’existence d’un trouble qui l’affecte personnellement ».
42
Moyennes Entreprises (CGPME) préconise, afin de mettre fin à l’inégalité de traitement qui
peut résulter de la proposition de biens et services par des particuliers, d’imposer aux
plateformes de vérifier auprès du particulier offreur qu’il possède les qualifications et
formations requises par la règlementation155
. Cette recommandation nous semble faire peser
sur les « start-up » une obligation de contrôle et d’appréciation qui n’entrent pas dans leur
objet social. Ces sociétés ne se revendiquent pas spécialistes du secteur dans lesquels les
utilisateurs évoluent. Ils sont tiers au contrat conclu entre l’offreur et le demandeur et, en leur
qualité d’hébergeur et d’intermédiaire, ne disposent d’aucun pouvoir de contrôle sur le contrat
de service ou de vente conclu par leur biais. Au contraire et comme proposé également par la
CGPME, un allègement de la réglementation applicable aux entreprises et la mise en place
d’un « socle de règles » applicable à tout acteur du secteur quelle que soit sa qualité
(particulier ou professionnel) permettrait, d’une part, de garantir un niveau de prestation
minimal pour les consommateurs et, d’autres part, de protéger les « start-up » d’éventuelles
actions en concurrence déloyale.
c. La responsabilité potentielle de la plateforme
La directive sur le commerce électronique156
transposée en droit interne par la Loi pour la
confiance dans l’économie numérique (LCEN)157
a été adoptée afin de favoriser le
développement des services de la société de l’information qui était freiné par les divergences
entre les législations nationales et l’insécurité juridique des régimes, de nature à rendre moins
attrayant l’établissement au sein du territoire de l’Union Européenne des sociétés de
commerce électronique. Elle consacre, en ses articles 14 et 15, un principe de responsabilité
raisonnée des hébergeurs quant aux données stockées par leur intermédiaire, l’hébergement
étant défini par la directive sur le commerce électronique comme « la fourniture d’un service
de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un
destinataire du service ». Il est précisé que les Etats-membres ne peuvent imposer aux
hébergeurs une obligation générale de contrôle des données qu’ils transmettent ou stockent158
.
155
CGPME, Economie collaborative : la CGPME formule 12 propositions, 5 janvier 2015 :
http://www.cgpme.fr/communiques/voir/1987/economie-collaborative-la-cgpme-formule-12-propositions 156
Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects
juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché
intérieur. 157
Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. 158
Transposé par l’article 6-I-2 de la LCEN : « Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre
gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de
43
Leur rôle sur les données est donc purement passif. La responsabilité des hébergeurs peut être
retenue seulement s’ils ont connaissance du caractère illicite du contenu hébergé ou si le
caractère illicite d’un contenu est porté à leur connaissance et qu’ils n’agissent pas
promptement pour le retirer ou en empêcher l’accès. La doctrine parle d’un triptyque
« pouvoir – savoir – inertie » pour qualifier la responsabilité des hébergeurs159
. Au contraire
des hébergeurs, les éditeurs, qui ne sont pas définis par la LCEN mais dont la jurisprudence a
fixé les contours, sont les intermédiaires qui ont un rôle actif sur le contenu mis en ligne. Ils
sont pleinement responsables du contenu mis en ligne par leur intermédiaire et se voient
imposer une obligation de contrôle sur celui-ci. Cette distinction a été reprise dans le rapport
du 23 janvier 2008 sur la mise en application de la LCEN qui souligne que « la frontière entre
le statut d’hébergeur et celui d’éditeur doit donc bien rester, comme l’a voulu la loi […] la
capacité d’action sur les contenus »160
.
La question s’est posée de la qualification juridique des sites d’intermédiation proposés par
les « start-up » de l’économie collaborative. C’est le juge communautaire qui le premier a fixé
la limite entre éditeur et hébergeur dans le célèbre arrêt Google161
. Il a ainsi estimé que les
juges du fond devaient examiner si le rôle exercé par ledit prestataire était neutre, en ce que
son comportement est purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de
connaissance ou de contrôle des données qu’il stocke. Il a ensuite expressément qualifié
d’hébergeur les plateformes, sous réserve que celles-ci ne jouent un rôle actif, notamment en
procédant à un traitement des données introduites par ses clients vendeurs et en fournissant
une assistance visant à optimiser ou à promouvoir certaines offres à la vente162
. Cette
signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services
ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la
demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère
illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette
connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ». 159
Trinôme avancé par la Commission européenne dans sa communication sur le « contenu illégal et
préjudiciable sur Internet » du 16 octobre 1996 (COM (96) 487) ; défendu par le rapport du Conseil d'État
sur Internet et les réseaux numériques (La documentation française, 1998, p.185 ; et repris notamment par
Vivant Michel, Rapport de synthèse au colloque de l’Union des avocats européens, sur Télécommunication,
autoroutes de l’information et multimédia, 1997, Monaco : Annonces de la Seine, 26 mai 1997, p. 5. 160
Rapport d’information n°627 déposé par la commission des affaires économiques, de l’environnement et du
territoire sur la mise en application de la LCEN, p. 23. 161
CJUE, 23 mars 2010, Google France et Inc. c/ Louis Vuitton Malletier SA, C-236/08. 162
CJUE, 12 juillet 2011, L’Oréal et a. c/ eBay et a., C-324/09 : « un service sur Internet consistant à faciliter les
relations entre les vendeurs et les acheteurs de produits est, en principe, un service au sens de la directive
2000/31. […] Il ressort de la définition, citée aux points 8 et 9 du présent arrêt, de la notion de « service de la
société de l’information » que celle-ci englobe les services qui sont prestés à distance au moyen d’équipements
électroniques de traitement et de stockage de données, à la demande individuelle d’un destinataire de services et,
44
distinction a été reprise par le Tribunal de Grande Instance de Paris qui, sur ce fondement, a
retenu l’application du régime de responsabilité atténuée à la plateforme Leboncoin163
.
Toutefois, la jurisprudence n’est pas constante quant aux critères de détermination du régime
applicable aux plateformes164
. En outre, un courant doctrinal tend à militer en faveur d’un
cumul des qualifications, estimant qu’un hébergeur peut, parallèlement, opérer comme éditeur
de contenus165
, cumul qui a déjà été retenu dans des arrêts d’espèces dont il ne faut pas
négliger l’impact théorique166
. Ainsi, si les « start-up » de l’économie collaborative sont plutôt
protégées par la LCEN, la jurisprudence ne peut être considérée comme assez constante et
suffisante pour considérer que des règles prétoriennes stables encadrent la responsabilité des
plateformes.
En outre, la volonté actuelle, notamment en France, est d’accroitre les possibilités de
recherche de responsabilité des plateformes, ce qui fait peser un risque de réforme législative
défavorable sur les « start-up ». En effet, il est souvent déploré l’absence d’application du
droit de la consommation sur les plateformes alors même que de nombreux prestataires sont
des professionnels. Il existerait ainsi une distorsion entre le niveau de protection accordé aux
consommateurs traditionnels et aux consommateurs collaboratifs. Dès lors, le gouvernement
envisage de modifier le régime applicable aux plateformes numériques, estimant que celles-ci
« sont des intermédiaires actifs, dont le rôle n’est pas neutre »167
. Ce faisant, il se dissocie
totalement de la vision européenne. Pourtant, outre les difficultés pratiques que poseraient
l’accroissement des obligations des plateformes, l’applicabilité d’un régime de responsabilité
nationale renforcée serait nécessairement soumise au principe de territorialité et n’aurait
vocation qu’à régir l’activité des sociétés françaises ou ayant une activité tournée vers la
normalement, contre rémunération. À l’évidence, l’exploitation d’une place de marché en ligne peut réunir
l’ensemble de ces éléments ». 163
TGI Paris, 3ème chambre - 2ème section, jugement du 4 décembre 2015, Goyard St-Honoré / LBC France :
« Ces options, qui ne caractérisent pas une assistance à la rédaction […] n’induisent pas un rôle éditorial de la
part de la société LBC, le contenu des annonces restant le seul fait de l’annonceur […]. De même la mise en
place par la société LBC d’un logiciel de filtrage, dispositif automatique tendant à partir de mots clés à la
préservation des droits des tiers, n’induit en rien un rôle éditorial et n’est pas exclusif de la qualification
d’hébergeur de sorte que la société LBC relève du régime de responsabilité atténuée prévu par l’article 6-I-2 de
la LCN susvisé ». 164
Jacob, Benjamin, « Responsabilité des sites de partage : le jeu des chaises musicales », Revue Lamy Droit de
l'Immatériel, n° 1327, juillet 2008, p. 22. 165
Costes, Lionel, « Hebergeurs, prestataires internet…entre responsabilité de droit commun et irresponsabilité
conditionnelle ? », Revue Lamy Droit de l'Immatériel, n° 1558, mars 2009, pp. 77-80. 166
TGI Troyes, 4 juin 2008, Société Hermès International c/ Mme Cindy F, S.A Ebay France, Ebay International
AG. 167
Projet de Loi pour une République numérique, NOR : EINI1524250L/Bleue, Etude d’impact, 9 décembre
2015.
45
France. Cela pourrait d‘une part avoir pour conséquence de faire perdre au régime
communautaire la cohérence qu’il a acquis suite à l’adoption de la directive sur le commerce
électronique. D’autre part, le régime envisagé étant plus strict que le référentiel
communautaire, les « start-up » françaises perdrait en compétitivité lors de leur
développement à l’international. Enfin, ce projet semble omettre l’existence en droit positif de
voies de recours des consommateurs contre les plateformes elles-mêmes. En effet, si la LCEN
accorde le bénéfice d’un régime de faveur aux plateformes en matière civile, elles sont
soumises aux dispositions du code pénal à l’instar des acteurs traditionnels. En cas de
transaction effectuée entre deux particuliers par l’intermédiaire d’une plateforme portant sur
un objet volé, la « start-up » pourra ainsi se voir appliquer les dispositions relatives au
recel168
. De même, le code de la consommation s’applique aux plateformes dans leur relation
contractuelle avec les consommateurs puisque leurs conditions générales d’utilisation sont
régies par le droit commun. Les obligations d’informations supplémentaires introduites
récemment par la loi Hamon leur sont ainsi applicables169
. Ces obligations ont été enrichies
par la loi Macron170
et la loi de finances pour 2016171
, qui sont venus ajouter des obligations
d’information spécifiques aux plateformes, notamment un dispositif d’information des
particuliers sur leurs obligations sociales et fiscales. Le régime pourrait être encore complété
afin de mettre à disposition du consommateur une information claire sur la qualité de ses
interlocuteurs (professionnel ou particulier) et les garanties qui en découlent, notamment
quant au droit et assurances applicables172
. Cet axe d’action est en outre privilégié par la
commission européenne qui l’a identifié comme domaine d’action prioritaire173
. Enfin, en cas
de requalification du contrat de travail, on peut parfaitement concevoir que la responsabilité
civile des plateformes soit retenue sur le fondement de la responsabilité du commettant du fait
du préposé, c’est-à-dire de l’employeur pour les actes de son salarié174
.
168
Article 321-1 du code pénal : « Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de
faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit.
Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un
crime ou d'un délit. Le recel est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende ». 169
Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. 170
Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. 171
Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016. 172
Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse, Février 2016,
op. cit. 173
Enjeux et perspectives de l’économie collaborative, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des
Mutations économiques (Pipame), juin 2015. 174
Article 1384 du code civil : « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre
fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a
sous sa garde […]. Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans
les fonctions auxquelles ils les ont employés ».
46
Les assureurs pourraient enfin jouer un rôle dans la sensibilisation des consommateurs aux
risques inhérents aux opérations réalisées par le biais des plateformes. Des prestations de
protection complémentaires pourraient notamment être proposées aux particuliers opérants sur
les plateformes. Une obligation de conseil pourrait être imposée à l’assureur lors de la
démarche assurantiel de son client. Ainsi, lors de l’assurance d’un bien immobilier, l’assureur
serait contraint de demander à son interlocuteur s’il entend proposer ce bien à la location
temporaire sur une plateforme.
B. Les insuffisances du régime issu des réformes législatives récentes
Afin de protéger les consommateurs intervenant sur les plateformes, les pouvoirs publics ont
récemment renforcé les obligations à la charge des « start-up ». Celles-ci posent des
difficultés d’application, d’une part, parce qu’elles sont éloignées des compétences des
plateformes qui ne sont que des intermédiaires entre offreurs et demandeurs et dont le conseil
est en principe loin de leur modèle et, d’autre part, en raison de l’imprécision de ces
obligations. Ainsi, les plateformes sont tenues d’accompagner le particulier dans ses
obligations fiscales et notamment la détermination de ses revenus imposables tirés de son
activité sur la plateforme (a.). Elles sont également soumises à une obligation d’information
renforcée (b.). Dès lors et en raison de ces obligations, dans l’hypothèse de fraudes réalisées
par le biais des outils mis à la disposition des professionnels, la « start-up » pourrait voir sa
responsabilité retenue, notamment quant à la dissimulation d’activité (c.).
a. Le rôle incertain de la plateforme quant à la déclaration des revenus des différents
acteurs
Avec le développement des plateformes collaboratives s’est posée la question de la taxation
des revenus générés par les échanges de biens et services des non-professionnels. En effet, ces
nouveaux outils permettent aux particuliers de bénéficier d’un complément de revenu, voire
d’exercer une activité commerciale. En théorie et en l’état du droit, ces sommes perçues par
les prestataires sont imposables au premier euro, que l’activité soit exercée dans un cadre
professionnel et un but lucratif ou non. Toutefois et d’un point de vue fiscal, deux difficultés
complémentaires compliquent l’application du droit. La question de la déductibilité des
47
charges afférentes à ces revenus se posent. Outre l’amortissement des actifs utilisés, les
dépenses permettant la réalisation du bénéfice devraient en principe être déductibles de la
base imposable. Toutefois et pour définir les règles de déductibilité, il convient alors de
déterminer de façon certaine la qualification des revenus imposables, ceux-ci relevant de
régimes différents. Ainsi, sans caractérisation des revenus, il est d’une part délicat de déclarer
les revenus mais aussi d’en déterminer le mode de calcul et donc l’assiette. Par exemple, en
matière de partage de véhicule automobile, le gouvernement estimait en 2013 que les revenus
générés qui ne dépassaient pas le barème fiscal automobile devaient être qualifiés de
remboursement de frais et n’entraient pas dans le champ d’application de l’impôt sur le
revenu175
. Cette solution, si elle est séduisante par sa simplicité, se heurte toutefois à un
manque prégnant de fondement légal et est difficilement transposable aux autres secteurs de
l’économie collaborative.
Les mêmes difficultés de mise en œuvre des règles légales se posent en matière de TVA.
Ainsi, l’application du régime est subordonnée à la qualité d’assujetti du prestataire176
, celui-
ci étant défini comme toute personne qui effectue de manière indépendante une activité
économique177
. L’activité économique se caractérise par la réalisation à titre habituel de
livraisons de biens et de prestations de services à titre onéreux. La personne qui réalise à titre
occasionnel une opération économique n'a en principe pas la qualité d'assujetti178
. Toutefois,
un assujetti pour une activité donnée doit être considéré comme un assujetti pour toute autre
activité économique, même exercée de manière occasionnelle179
. Lorsqu’un actif est utilisé
tant à des fins économiques que privées, il convient d'analyser l'ensemble des conditions de
175
ADETEC, réalisé par ADETEC avec le financement de la Direction Générale des Infrastructures, des
Transports et de la Mer (DGITM) et du Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, Le
guide pratique de l’autopartage entre particuliers, 2013. Disponible : http://www.developpement-
durable.gouv.fr/IMG/pdf/guide-autopartage-entre-particuliers_28_02.pdf 176
Article 256-I du Code général des impôts : « Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de
biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ». 177
Article 256A du Code général des impôts : « Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui
effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que
soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de
leur intervention […].Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les
activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives,
agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique
une opération comportant l'exploitation d'un bien meuble corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes
ayant un caractère de permanence » (nous soulignons). 178
BOI-TVA-CHAMP-10-10-20 n° 330 ; en ce sens également CJUE 26 septembre 1996 aff. 230/94 : RJF
11/96 n° 1370. 179
CJUE 13 juin 2013 aff. 62/12 : RJF 10/13 n° 992.
48
son exploitation pour déterminer s'il est utilisé en vue d'en retirer des recettes habituelles180
.
Sur ce point, nous pouvons regretter qu’aucune doctrine administrative précise ne soit mise à
la disposition des contribuables pour définir ce qu’il convient d’entendre par « activité
habituelle ». L’Administration complexifie au contraire le régime applicable en estimant que
si l’activité économique revêt en principe un caractère de permanence, celui-ci peut être
qualifié dans l’hypothèse où l’exploitation d’un bien se concrétiserait par la réalisation d’une
seule opération (par exemple la location d’un bien meuble ou immeuble)181
. De même, aucun
seuil de chiffre d’affaires ou de nombre d’opération commerciale n’est défini par la
jurisprudence. Afin d’éviter tout redressement et en raison de l’exonération applicable dès lors
que le chiffre d’affaires généré ne dépasse pas certains seuils, les opérateurs concernés
auraient intérêt à se déclarer assujetti, nonobstant une éventuelle incertitude quant à leur
qualité... et à appliquer l’exonération182
.
Ces difficultés d’interprétation, si elles ne sont pas de nature à justifier le comportement des
particuliers qui ne s’acquittent que rarement des taxes dues, peut expliquer que les revenus
générés par l’économie collaborative soient si peu déclarés. Selon un rapport du Sénat, le
manque à gagner en matière de recettes fiscales, s’il est difficile à estimer, est néanmoins
important183
. Selon ce même rapport, seuls 15% des utilisateurs de plateformes déclarent «ou
ont l'intention de déclarer» leurs revenus issus de l'économie collaborative. Pourtant, les
utilisateurs ne sont pas nécessairement de mauvaise foi et se trouve en conséquence malgré
eux dans une situation d’insécurité juridique. Les deux parties en présence sont ainsi
pénalisées : l’Administration fiscale qui perd des ressources non négligeables et le particulier
qui se retrouve malgré lui dans une situation de fraude.
Si un abattement de 5000 euros, comme seuil au-delà duquel l'activité aurait été jugée
économique et donc taxable a été défendu par le Sénat, celui-ci a été rejeté en ce qu’il n’était
180
Collectif Francis Lefebvre, Mémento TVA 2016, collection Mémento Expert, Edition Francis Lefebvre, 2016 :
Paris ; en ce sens CJUE 26 septembre 1996 aff. 230/94 : RJF 11/96 n° 1370 à propos de la location d'un
camping-car ; CJUE 19 juillet 2012 aff. 263/11 : RJF 12/12 n° 1176 à propos de l'exploitation d'une forêt par
une personne physique ; CJUE 20 juin 2013 aff. 219/12 : RJF 10/13 n° 993 à propos de l'exploitation d'une
installation photovoltaïque d'une maison d'habitation. 181
BOI-TVA-CHAMP-10-10-30 n° 400 182
Thiébard, Patrick, Follorou, Jean-Guillaume, Georges, Pascale, « L’économie collaborative rattrapée par la
loi », Le Monde, 8 juillet 2015. 183
Rapport d'information n° 690 (2014-2015) de MM. Michel Bouvard, Thierry Carcenac, Jacques Chiron,
Philippe Dallier, Jacques Genest, Bernard Lalande et Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des
finances, Sur l'économie collaborative : propositions pour une fiscalité simple, juste et efficace, déposé le 17
septembre 2015.
49
pas constitutionnel et présentait un risque de rupture d’égalité devant l’impôt184
. Cet
abattement, dans un but de rapprochement des économies traditionnelle et collaborative,
auraient en réalité accentué les divergences de régimes en entérinant un régime plus favorable
aux acteurs collaboratifs par rapport aux acteurs traditionnels, prenant ainsi le risque
d’accentuer les frondes contre les « start-up » qui favoriseraient une rupture de concurrence.
Si la réforme a été modeste, un premier pas vers une clarification du régime a tout de même
été effectué par l’article 83 de la Loi de Finances pour 2016185
. A compter du 1er
juillet 2016,
les « start-up » mettant à disposition des particuliers une plateforme numérique leur
permettant d’échanger des biens ou services auront désormais l’obligation d’informer leurs
utilisateurs des conséquences fiscales et sociales186
de leurs activités ainsi que du montant des
recettes générées par ces activités par le biais de leur plateforme187
. Ces informations seront
également communiquées à l’administration fiscale188
. Cet article a vocation à s’appliquer
qu’elle que soit le lieu d’établissement de la « start-up », dès lors que des utilisateurs résidant
en France ou qui effectuent des ventes ou des prestations de services en France réalisent des
opérations par leur biais. Le non-respect de ces textes est passible d’une amende fiscale de
10.000 euros pour la « start-up ».
Si la démarche est à saluer en ce qu’elle tend à améliorer la connaissance par les utilisateurs
de leurs obligations, on ne peut que regretter que la loi ne fasse que déplacer le risque
juridique de l’utilisateur à la « start-up ». En effet et de façon étonnante, le champ
184 Feuersteil, Ingrid, « Les revenus de l’économie collaborative taxés au premier euro », Les Echos, 14
décembre 2015. 185
L. fin. 2016, no 2015-1785, 29 déc. 2015, art. 87, JO 30 déc, comm. « Économie collaborative :
communication obligatoire sur les conséquences fiscales et le montant des transactions commerciales », La
Revue Lamy Droit des affaires, no 112, février 2016.
186 Article L. 114-19-1 nouveau du code de la sécurité sociale : « Toute entreprise mentionnée au I de l'article
242 bis du code général des impôts est tenue d'informer les personnes qui réalisent des transactions
commerciales par son intermédiaire des obligations sociales qui en résultent, dans les conditions fixées au même
article ». 187
Article 242 bis nouveau du Code général des impôts : « Les entreprises, quel que soit leur lieu
d'établissement, qui mettent en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d'un
bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service sont tenues de fournir,
à l'occasion de chaque transaction, une information loyale, claire et transparente sur les obligations fiscales et
sociales qui incombent aux personnes qui réalisent des transactions commerciales par leur intermédiaire […].
II.- Les entreprises mentionnées au I adressent, en outre, à leurs utilisateurs, en janvier de chaque année, un
document récapitulant le montant brut des transactions dont elles ont connaissance et qu'ils ont perçu, par leur
intermédiaire, au cours de l'année précédente. III.- Les obligations définies aux I et II s'appliquent à l'égard des
utilisateurs résidant en France ou qui réalisent des ventes ou des prestations de services en France ». 188
Art. 102 AD nouveau du Livre des procédures fiscales : « Les entreprises mentionnées au I de l'article 242 bis
du code général des impôts doivent communiquer à l'administration fiscale, chaque année avant le 15 mars et par
voie électronique, le certificat mentionné au IV du même article ».
50
d’application des obligations imposées aux « start-up » dépend exclusivement des utilisateurs
et non de l’activité de la « start-up » elle-même. Pour mémoire, la plateforme est qualifiée
d’hébergeur et n’a donc aucun droit de regard sur le contenu des annonces et par extension la
territorialité des échanges de biens ou services réalisés. Ainsi, une plateforme n’ayant aucune
activité tournée vers la France (site en langue étrangère, échanges en devises étrangères,
contrat liant l’utilisateur soumis à un droit étranger…) devrait en principe respecter
l’obligation d’information mais également celle de transmission des données liées au chiffre
d’affaire réalisé dès lors qu’un de ses utilisateurs est résident fiscal français. La règle est
d’autant plus délicate à respecter que la notion même de résidence fiscale est imprécise et sa
détermination dépend de critères multiples. On conçoit mal qu’une « start-up » soit
condamnée au paiement d’une amende fiscale en ce qu’elle a omis de transmettre à
l’Administration fiscale française le résultat d’un utilisateur professionnel ou non, dont
l’activité est réalisée par le biais d’une structure immatriculée à l’étranger ou dont le domicile
personnel renseigné est situé hors de France, pour des biens et services réalisés ou livrés à
l’étranger, au prétexte que l’épouse et les enfants de cet utilisateur sont domiciliés en France
et que celui-ci est donc résident fiscal français. D’une prétendue concurrence déloyale au
profit des plateformes, on pourrait alors passer à une situation défavorable aux « start-up »,
celles-ci supportant des charges réglementaires plus contraignantes que les acteurs
traditionnels. Pire, c’est également le marché français et plus largement les « start-up »
françaises qui pourraient être impactées quant à leur compétitivité. Alors que les acteurs
disruptifs français, à l’instar de Monsieur Paulin Dementhon, Président Fondateur de Drivy,
plaidaient pour « une fiscalité simple et juste [qui constituerait] un avantage compétitif
supplémentaire pour les places de marché françaises, dont plusieurs sont déjà championnes du
monde sur leur marché », ils ont finalement obtenu un système d’autant plus contraignant
prenant en compte exclusivement les problématiques des utilisateurs189
.
b. Les contours trop flous de l’obligation d’information
Outre l’information sociale et fiscale imposée par l’article 242 bis du code général des impôts,
l'article 134 de la loi Macron oblige les plateformes numériques à informer les utilisateurs sur
les conditions générales d'utilisation du service d'intermédiation et sur les modalités de
189
Dementhon, Paulin, « Economie collaborative : la clarification fiscale reste à faire », LeMonde.fr, 16
décembre 2015 : http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/16/non-a-la-fiscalisation-des-plate-forme-
numeriques_4833236_3232.html
51
référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne190
ainsi qu’à
mettre à la disposition des intervenants professionnels un espace dédié leur permettant de
communiquer aux consommateurs les informations légales. Le non-respect de ces règles
expose la plateforme à une amende administrative maximale de 375.000 euros191
. Alors que le
contenu et les modalités des informations portées à la connaissance des utilisateurs doivent
être précisés par décret d’application, ce texte risque de devenir rapidement obsolète en ce que
la Loi pour une République Numérique, en cours de discussion, s’est saisie de la question. Le
texte du projet de loi précise, dans une section 3 intitulée « Loyauté des plateformes et
informations du consommateurs » les obligations des « start-up » de l’économie collaborative
en matière d’information192
. Si le projet était adopté en l’état, l’article L. 111-5-1 serait
remplacé et le régime complété par une obligation d’information des utilisateurs sur
l’existence :
- D’une relation contractuelle, dès lors que le contrat sous-jacent contient des
stipulations relatives au classement des contenus, des biens ou des services proposés
par la personne morale référencée ;
- D’un lien capitalistique, dès lors qu’il influence le classement des contenus, des
biens ou des services proposés par la personne morale référencée ;
- D’une rémunération directe par les personnes morales référencées et, le cas échéant,
l’impact de celle-ci sur le classement des contenus, biens ou services proposés.
Si le caractère initial d’ordre public de ces dispositions est maintenu, c’est-à-dire que leur
application ne peut pas être contournée de quelque façon que ce soit, notamment par
190
Article L. 111-5-1 du code de la consommation : « Sans préjudice des obligations d'information prévues à
l'article 19 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, toute personne
dont l'activité consiste à mettre en relation, par voie électronique, plusieurs parties en vue de la vente d'un bien,
de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service est tenue de délivrer une
information loyale, claire et transparente sur les conditions générales d'utilisation du service d'intermédiation et
sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne. Lorsque seuls
des consommateurs ou des non-professionnels sont mis en relation, la personne mentionnée au premier alinéa du
présent article est également tenu de fournir une information loyale, claire et transparente sur la qualité de
l'annonceur et les droits et obligations des parties en matière civile et fiscale. Lorsque des professionnels,
vendeurs ou prestataires de services sont mis en relation avec des consommateurs, la personne mentionnée au
premier alinéa du présent article est également tenu de mettre à leur disposition un espace leur permettant de
communiquer aux consommateurs les informations prévues à l'article L. 121-17 ». 191
Article L. 111-6-1 du code de la consommation : « Tout manquement aux articles L. 111-5 et L. 111-5-1 est
passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et
375 000 € pour une personne morale. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 141-1-
2 ». 192
Projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale après engagement de la procédure accélérée pour une
République numérique dite « Loi Lemaire ».
52
l’insertion d’une clause dérogatoire dans les conditions générales, le champ d’application de
l’obligation d’information est restreint. Ainsi, il est précisé qu’elles ne sont applicables
qu’aux professionnels établis sur le territoire français ou sur le territoire d'un État membre de
l'Union européenne ou qui dirigent par tout moyen leur activité vers le territoire français sur
lequel le consommateur a sa résidence habituelle ou qui causent un dommage à un
consommateur sur le territoire français. Cette nouvelle rédaction du champ d’application de
l’obligation d’information soulève une question de cohérence avec les obligations
d’information définies par le code général des impôts et le code de la sécurité sociale. En
effet, il sera d’autant plus délicat pour les « start-up » non établies en France de définir le
niveau d’information qui leur est demandé dès lors que chaque obligation d’information,
selon son domaine, a un champ d’application différent. En outre, cette nouvelle rédaction ne
lève pas les incertitudes concernant le niveau d’information requis. Sans une définition
précise des informations attendues et eu égard à la diversité tant des activités en question que
des opérateurs mis en relation, les « start-up » auront du mal à définir les obligations civiles et
fiscales auxquelles les intervenants sont soumis. Dès lors, il semble illusoire que
les plateformes soient en mesure d’informer précisément leurs utilisateurs sur les obligations
qui leur incombent193
. En effet, les réformes législatives semblent omettre la nature même de
l’activité des « start-up » en question qui est l’intermédiation numérique. Leur activité se
limite ainsi la plupart du temps à la mise en ligne d’un service de mise en relation d’offreurs
et de demandeurs. Elles ne sont tenues à aucune obligation de conseil qui renierait
parfaitement leur objet social et emporterait un risque de requalification en qualité d’éditeur
de contenus. Il est dès lors essentiel que l’obligation générale d’information de l’opérateur par
le biais des conditions générales d’utilisation ne se transforme pas en une obligation de
conseil personnalisé à la charge des plateformes194
. Une confusion quant à l’activité des
plateformes avait d’ores et déjà effectuée par le rapport Terrasse195
lorsque celui-ci proposait
de simplifier les démarches liées à la création d’entreprise en permettant aux plateformes
d’agir en tant que « tiers de confiance » auprès des pouvoirs publics pour procéder, à la
demande de leurs utilisateurs, à leur enregistrement en tant que microentrepreneurs.
193
Jourdain, Loïc, « PLF 2016 – Pas de clarification pour les utilisateurs », Droit du partage, 16 décembre
2015 : http://droitdupartage.com/2015/12/16/plf-2016-toujours-pas-de-clarification-pour-les-utilisateurs/ 194
Defoort, Mélanie, Economie de partage et loi Macron : nouvelles obligations pour les plateformes
collaboratives, 17 août 2015 : http://www.village-justice.com/articles/Economie-partage-loi-Macron,20242.html 195
Rapport au premier ministre sur l’économie collaborative, 2016, op. cit.
53
De nouveau, le texte s’impose davantage comme une déclaration de principe, consacrant une
volonté d’accroitre la transparence envers les consommateurs et de protéger une concurrence
équilibrée entre les acteurs économiques, que comme un texte pratique, une feuille de route à
destination des « start-up » collaboratives. Juridiquement, le concept est d’autant moins clair
qu’il est à la croisée de divers pans du droit répondant à des règles distinctes : le droit de la
concurrence, le droit commercial, le droit fiscal et le droit de la consommation. En l’absence
de décrets d’application efficaces, qui pourraient par exemple proposer des listes
énumératives des informations à mettre à disposition des intervenants selon les situations, les
plateformes les moins développées, ne pouvant recourir à des experts juridiques dans la mise
en œuvre des nouvelles règles, pourraient être exposées aux sanctions administratives
évoquées, qui aux termes du projet de loi, devraient être maintenues.
c. L’absence de prise en compte du risque de complicité de dissimulation d’activité
Le travail dissimulé, communément nommé « travail au noir », consiste pour un professionnel
à dissimuler l’exercice d’une activité196
ou l’emploi d’un salarié197
. Si le délit de travail
dissimulé ne s’applique qu’aux activités à but lucratif, celui-ci est présumé dès lors que
l’activité est réalisée par le biais d’un recours à la publicité, sous une forme quelconque, en
vue de la recherche de la clientèle198
. Les outils à la disposition de l’Administration afin de
lutter contre le travail dissimulé, et plus largement l’ensemble du travail illégal, se sont
fortement renforcés en 2011 avec l’adoption d’une loi ayant pour objectif de durcir les
196
Article L. 8221-3 du code du travail : « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'activité, l'exercice à
but lucratif d'une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou
l'accomplissement d'actes de commerce par toute personne qui, se soustrayant intentionnellement à ses
obligations : 1° Soit n'a pas demandé son immatriculation au répertoire des métiers ou, dans les départements de
la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, au registre des entreprises ou au registre du commerce et des sociétés,
lorsque celle-ci est obligatoire, ou a poursuivi son activité après refus d'immatriculation, ou postérieurement à
une radiation ; 2° Soit n'a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection
sociale ou à l'administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur. Cette situation peut notamment
résulter de la non-déclaration d'une partie de son chiffre d'affaires ou de ses revenus ou de la continuation
d'activité après avoir été radié par les organismes de protection sociale en application de l'article L. 133-6-7-1 du
code de la sécurité sociale ». 197
Article L. 8221-5 du code du travail : « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait
pour tout employeur : 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à
l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ; 2° Soit de se soustraire intentionnellement à
l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de
mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne
résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du
titre II du livre Ier de la troisième partie ; 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives
aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des
contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales ». 198
Article L. 8221-4-1° du code du travail.
54
sanctions à l’encontre des auteurs d’infractions199
, qui peuvent désormais se voir infliger des
sanctions financières, pénales mais aussi administratives. Cet arsenal législatif répressif a été
complété par la loi de finances de la sécurité sociale pour 2012200
et le décret du 30 mars
2015201
qui contiennent également des dispositions destinées à renforcer la lutte contre le
travail dissimulé. Ainsi, une entreprise condamnée au titre du travail dissimulé devra
s’acquitter, concomitamment, du paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi
que des pénalités et majorations dus au Trésor ou aux organismes de protection sociale, du
paiement des rémunérations, indemnités et charges dues à raison de l'emploi de salariés mais
également, le cas échéant, du remboursement des sommes correspondant au montant des aides
publiques dont il a bénéficié. Son dirigeant sera également passible d’une peine
d’emprisonnement de trois ans et d'une amende de 45 000 euros202
.
Le travail dissimulé étant une infraction pénale, la complicité prévue à l’article 121-7 du Code
pénal et définie comme toute aide ou assistance, fournie en connaissance de cause à une
personne coupable d’agissements constitutifs de travail dissimulé, s’applique203
. A ce titre,
une personne morale peut voir sa responsabilité pénale engagée204
.
Le délit de travail dissimulé recouvre deux situations présentant des risques non négligeables
pour les « start-up » de l’économie collaborative. D’une part, dans l’hypothèse d’une
requalification du contrat des intervenants professionnels en contrat de travail, la « start-up »,
qualifiée d’employeur de ses prestataires professionnels, serait tenue, outre les indemnités de
licenciement dues en cas de rupture des relations, au paiement de l’ensemble des cotisations
sociales qui auraient dû être payées au titre de leur emploi dans un délai maximum de cinq
années outre l’année en cours205
. Parallèlement, et si le prestataire n’a pas bénéficié des
minimums légaux ou conventionnels en matière de salaire, la « start-up » pourrait être tenue
au paiement d’un rappel de salaire dans la limite de trois ans à compter du jour de la
199
Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité. 200
Loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012. 201
Décret n° 2015-364 du 30 mars 2015 relatif à la lutte contre les fraudes au détachement de travailleurs et à la
lutte contre le travail illégal. 202
Article L. 8224-1 du code du travail. 203
Cass. crim. 20 janvier 2009 n° 08-83.933 : RJS 4/09 n° 390. 204
Article 131-37 du code pénal. 205
Article L244-3 du code de la sécurité sociale : « En cas de constatation d'une infraction de travail illégal par
procès-verbal établi par un agent verbalisateur, l'avertissement ou la mise en demeure peut concerner les
cotisations exigibles au cours des cinq années civiles qui précèdent l'année de leur envoi ainsi que les cotisations
exigibles au cours de l'année de leur envoi ».
55
demande206
. L’enjeu financier peut donc très vite devenir une question de viabilité des
plateformes.
Parallèlement, les « start-up » pourraient voir leur responsabilité mise en cause quant au délit
de dissimulation d’activité à deux titres : d’une part, elle pourrait se voir reprocher de
proposer à un professionnel non immatriculé ou ne déclarant pas ses revenus un outil de
communication et donc de publicité de son activité illicite. D’autre part, la plateforme pourrait
être qualifiée de complice du professionnel en ce qu’elle met à sa disposition les moyens
matériels de réaliser son activité illicite. Afin de se protéger, la « start-up » serait ainsi tenue
de vérifier la qualité des personnes (en allant au-delà du statut renseigné à l’inscription) et de
vérifier l’ensemble des documents sociaux et fiscaux de leurs prestataires professionnels.
Elles se verraient ainsi soumises, en dehors de tout texte en ce sens et sans seuil quant au
montant du contrat en cause, à une obligation de vigilance à l’instar de celle qui pèse sur les
donneurs d’ordre en matière de prestation de service207
. Cela aurait alors pour conséquence de
transférer cette obligation du demandeur réel à la plateforme en parfaite contrariété avec sa
qualité de tiers au contrat. Si peu de jurisprudences permettent aujourd’hui d’avoir une vision
claire sur cette question, l’existence d’un risque pénal et financier pesant sur les plateformes
ne peut être nié et il est urgent de clarifier le régime sur ce point qui est de nature à remettre
en cause le modèle économique même de l’économie collaborative.
III. La nécessaire prise en compte de la spécificité des acteurs du secteur
Le développement de l’économie collaborative semble subordonné à la sécurisation de son
environnement juridique. En effet, le marché français ne conservera sa compétitivité et son
attractivité que si les pouvoirs publics sont capables de rassurer les « start-up » du secteur.
Pour cela, il est nécessaire de prendre en compte les particularités des acteurs pour leur
proposer des réformes adaptées (A.). Cette compréhension de l’économie collaborative
206
Article L. 3245-1 du code du travail : « L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois
ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La
demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le
contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ». 207
Article L8222-2 du code du travail : « Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1,
ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de
celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour
délit de travail dissimulé ».
56
permettra ainsi de mettre en place un régime juridique cohérent et de consacrer notamment un
socle de règles communes de nature à accompagner les sociétés (B.).
A. La régulation des problématiques spécifiques des acteurs de l’économie
collaborative
Les pouvoirs publics semblent avoir concentré leurs efforts sur la sécurisation de l’activité des
consommateurs sur les plateformes, oubliant le rôle joué par les « start-up » elles-mêmes. Ce
n’est pourtant qu’un encadrement efficace des plateformes qui pourra mettre fin aux critiques
dont elles font l’objet. Ainsi, il apparaît que les plateformes jouent un rôle essentiel dans la
réputation des acteurs, notamment par leur rôle dans la gestion des avis et notations. Sans
transparence sur l’algorithme utilisé, les « start-up » se voient reprocher une situation
d’ascendance sur les professionnels de nature à créer une situation de dépendance
économique (a.). Celle-ci est alors susceptible d’entraîner une requalification de la relation de
travail en raison de l’inadaptation du critère du salariat aux évolutions du monde du travail.
Des réflexions devraient en conséquence être engagées sur la modification de ce critère (b.).
Enfin, les « start-up » sont accusées de mettre en place une politique d’optimisation fiscale
trop agressive. Les pouvoirs publics pourraient dès lors modifier les règles de territorialité des
revenus du numérique afin de réduire l’érosion de la base d’imposition et le transfert des
bénéfices vers des pays à fiscalité privilégiée (c.).
a. L’encadrement de la gestion de l’e-réputation par les plateformes
La notion de partage des biens et services, mais également des opinions et retours
d’expérience, est le fondement conceptuel de l'économie collaborative. Chaque membre de la
communauté partage ainsi ses expériences et propose une notation des biens et services
proposés par les autres utilisateurs, voire même les membres de la communauté, qu’il soit
offreur ou demandeur. Ainsi, et à titre d’exemple, le chauffeur Uber est certes noté par la
personne transportée, mais celui-ci propose également une notation qui sera vue par les autres
chauffeurs lors des requêtes ultérieures du même demandeur. Chacun peut ainsi se forger un
avis en se basant sur l'opinion de l’ensemble de la communauté. Le partage permet d'instaurer
un climat de confiance entre les utilisateurs. Le consommateur n'est plus seulement un
spectateur subissant la relation et n’intervenant que peu, et le plus généralement par la voix
57
d’associations représentatives, mais un prescripteur reconnu pour son pouvoir de
recommandation208
. Cette confiance devient un élément essentiel de la réussite commerciale
des professionnels intervenant sur les plateformes. L’intuitu personae, c’est-à-dire la prise en
considération de la personne de son cocontractant, devient la règle, alors même que les
plateformes interviennent dans des secteurs au sein desquels le critère de choix n’est
traditionnellement porté que sur la qualité du bien ou service proposé et la confiance accordée
à l’entreprise qui le propose (sur la marque) : le demandeur ne choisit plus une nuitée parce
que la chambre fait partie d’une chaine hôtelière reconnue mais parce que la personne avec
laquelle il est entré en relation a été approuvée par la communauté. La considération de la
personne avec laquelle le demandeur entre en relation devient la clé. L’économie
collaborative est ainsi également une « économie de réputation »209
.
Les systèmes d’évaluation proposés par les plateformes, les modalités de notation et
l’encadrement ou non des commentaires, exercent donc un fort pouvoir de prescription dans
l’acte de consommation. Les plateformes deviennent à ce titre des intermédiaires essentiels
pour atteindre les consommateurs finaux. La question de la neutralité de l’intervention de la
plateforme se pose alors. En effet, celle-ci pourrait, contre rémunération et par le biais d’un
système d’évaluation à deux vitesses, favoriser certains offreurs au détriment de leurs
concurrents. La transparence sur les plateformes est essentielle en ce qu’elle est un gage de
confiance pour le consommateur et d’équité entre les offreurs. Alors que se développent les
sociétés proposant de rédiger des faux avis sur les sites de référencement et notamment Trip
Advisor, il est indispensable d’encadrer les systèmes d’évaluations des plateformes afin
d’éviter que l’économie collaborative ne soit touchée par cette même déviance. Amazon s’est
à ce titre positionné en tant que pionnière dans la lutte contre cette pratique210
. Les
plateformes pourraient s’engager afin de fiabiliser les avis et notations des utilisateurs.
Toutefois, s’il est tentant de faire peser sur la plateforme la charge du contrôle de la sincérité
de la notation et des avis, cela ne doit pas avoir pour conséquence de modifier l’ensemble du
régime de responsabilité qui leur est applicable. En effet, si une information claire de
208
Oufqa, Joffrey, « Economie collaborative : du peer-to-peer au people to people », Huffingtonpost, 28 août
2015 : http://www.huffingtonpost.fr/joffrey-ouafqa/economie-collaborative-et-service-a-la-
personne_b_8049506.html 209
Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse, Février 2016,
op. cit. 210
Lausson, Julien, « Amazon traîne en justice d’autres sites de faux avis », Numerama, 26 avril 2016 :
http://www.numerama.com/business/166240-amazon-continue-de-faire-chasse-aux-faux-avis.html
58
l’utilisateur quant aux modalités d’évaluation et de classement et aux méthodes de
sécurisation des notations mises en place est souhaitable, en l’état du droit, un contrôle poussé
des avis ferait perdre à la plateforme sa qualité d’hébergeur et le bénéfice du régime de
responsabilité limité. Le rapport Terrasse et le projet de loi pour une République numérique
auraient dès lors pu aller plus loin et imposer aux plateformes une véritable obligation de
vérification des avis. En contrepartie, il aurait alors été possible de protéger les « start-up »
contre le risque de requalification en tant qu’éditeur de contenus. En effet, le travail de
garantie de la fiabilité des avis, s’il imposait nécessairement une charge supplémentaire aux
plateformes, s’inscrirait naturellement dans l’objet social et l’activité des « start-up » de
l’économie collaborative. Celles-ci doivent mettre à disposition des utilisateurs un outil fiable
de mise en relation. Il n’est donc pas anormal qu’elle supporte la responsabilité d’assurer la
transparence de leur offre. Toutefois, une vérification poussée des avis place les plateformes
dans une situation d’insécurité juridique et face à un risque de requalification de leur statut et
celles-ci y sont donc réticentes. Dissocier la qualification juridique au sens de la LCEN de la
vérification des contenus, pour les « start-up » de l’économie collaborative, pourrait permettre
d’améliorer le travail effectué au niveau de l’évaluation des utilisateurs. Un comportement de
mauvaise foi de la plateforme lui ferait alors perdre le bénéfice de cette exception.
L’encadrement de la gestion de l’e-réputation par les plateformes doit également passer par
une fiabilisation des conditions de référencement des offres. Seule une information claire des
consommateurs sur les éléments constitutifs du prix et les modalités de référencement permet
d’assurer une concurrence loyale entre les offreurs. A l’instar de l’encadrement du
référencement de Google qui est désormais tenu de distinguer les liens sponsorisés du
référencement naturel, les plateformes devraient informer clairement les utilisateurs,
notamment demandeurs, des critères de référencement des contenus proposés. Cette
information est d’autant plus primordiale qu’une « start-up » ou sa filiale développe une
activité qu’elle peut proposer par le biais de sa propre plateforme211
.
b. La modification de la définition d’une relation de salariat
211
Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse, Février 2016,
op. cit.
59
Comme nous l’avons vu auparavant, les plateformes sont soumises à un risque accru de
requalification des relations contractuelles qui les lient à leurs prestataires professionnels.
Nous avons ainsi pu constater l’existence d’un défaut important de sécurité juridique en
matière de qualification du contrat des prestataires professionnels. Ce risque résulte d’une
définition du contrat de travail peu adaptée à l’économie collaborative et plus largement à
l’évolution du contexte économique. Dès lors, il convient d’analyser le régime existant et de
le confronter aux spécificités des « start-up » pour l’adapter à ce modèle disruptif. Ainsi, s’il
est à notre sens indispensable de proposer aux « start-up » un cadre juridique précis, il est
malgré tout essentiel de protéger les prestataires professionnels qui peuvent se trouver dans
une situation de dépendance économique vis-à-vis de la plateforme. Une adaptation du régime
existant permettrait de prendre en compte les nouvelles carrières, moins linéaires, afin
d’assurer aux professionnels une continuité de leurs droits.
Le risque évoqué repose sur le critère de qualification contrat du travail - subordination
juridique ou dépendance économique – qui a été tranché en France au début du XXe siècle en
faveur de la subordination juridique. Les Etats-Unis, au contraire, ont retenu une approche
économique puisqu’en l’absence d’indépendance économique réelle, le travailleur sera
présumé salarié. Or, la conception française est de moins en moins pertinente en raison du
développement de nouvelles formes de travail et l’augmentation du nombre de travailleurs
juridiquement indépendants mais économiquement dépendants. Comme le soulignent Maître
Paul-Henri Antonmattei et Monsieur Jean-Christophe Sciberras, ces professionnels sont
« privés deux fois de protection : n’étant pas salariés, ils ne peuvent prétendre à la protection
juridique qu’offre le code du travail ; n’étant pas réellement indépendants, ils ne bénéficient
pas de la protection économique que donne la multiplicité des donneurs d’ordre, la rupture
de commande d’un seul étant d’effet limité »212
. Alors même que le droit du travail surprotège
les salariés, il laisse de côté un ensemble de travailleurs de plus en plus large qui ne se
trouvent pas strictement en situation de subordination juridique. De plus en plus de voix
s’élèvent alors en faveur d’un droit du travail qui s’appliquerait à toutes les formes d’activité
professionnelle, salariée ou indépendante. La relation de travail serait ainsi analysée non plus
en fonction de la subordination mais de la personne qui supporte les risques économiques.
Pour cela, il serait possible de s’inspirer de la jurisprudence de la Cour de cassation relative au
212
Antonmattéi, Paul-Henri et Sciberras, Jean-Christophe, Le travailleur économiquement dépendant : quelle
protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité,
novembre 2008.
60
co-emploi qui lie subordination juridique (« confusion de direction ») et subordination
économique (« confusion d’intérêt et d’activité »)213
. Ce « droit de l’actif » 214
, selon
l’expression consacrée par le spécialiste du marché du travail Denis Pennel, serait constitué
d’un socle de droits fondamentaux applicable à tous les travailleurs indépendamment de la
forme juridique de leur activité professionnelle.
Les difficultés rencontrées par les professionnels de l’économie collaborative en matière de
protection sociale ne sont pas spécifiques et s’inscrivent dans les revendications
traditionnelles des travailleurs indépendants. Toutefois, ces travailleurs exerçant par le biais
de plateformes sont d’autant plus dépendants qu’ils supportent une double subordination :
d’une part ils sont économiquement dépendants des décisions de la plateforme, quant au prix
ou aux critères de référencement (les revenus des chauffeurs Uber dépendent ainsi
directement des décisions de la plateforme, qui peut unilatéralement, comme elle l’a fait,
opérer une baisse des prix) et d’autre part ils sont soumis aux avis des clients dont est fonction
leur e-réputation. Le rapport Terrasse préconise d’opérer une convergence entre la protection
sociale des indépendants et celle des salariés et d’instaurer une portabilité des droits, qui fait
encore largement défaut, et d’imposer aux plateformes de définir clairement les conditions de
rupture des partenariats, la gestion des notations et leur incidence sur une éventuelle
suspension voire suppression de leur compte utilisateur. Les règles encadrant la rupture
brutale des relations commerciales pourraient également trouver à s’appliquer aux relations
entre les plateformes et les offreurs professionnels et pourraient protéger ceux-ci contre un
déréférencement brutal, à l’instar de la jurisprudence applicable aux marketplaces215
.
Certains pays européens ont d’ores et déjà fait évoluer leurs législations. Les pionniers en
matière de reconnaissance d’un statut de travailleur économiquement dépendants ont été les
allemands qui, dès 1974, ont créé le statut de « arbeitnehmerähnliche Personen », accordant à
ces professionnels le bénéfice d’un niveau de protection sociale équivalent à celui des
salariés. Le Royaume-Uni distingue également les situations d’indépendance et de
213
Thiebart, Patrick, « Pour une réglementation a minima de l’économie collaborative », Semaine sociale Lamy
2016, n° 1706. 214
Pennel, Denis, « Pour un statut de l’Actif – Quel droit du travail dans une société post-salariale ? »,
Génération Libre, Septembre 2015. 215
Voir notamment dans le cas d’une place de marché (marketplace) Tribunal de commerce de Paris, 13
septembre 2011 : le jugement condamne la société Pixmania à payer à l’un des distributeurs commercialisant ses
produits par le biais de sa marketplace PixPlace la somme de 1.000.000 € à titre de dommages et intérêts, en
réparation de la perte de chance subie suite à la rupture abusive de ses relations commerciales.
61
subordination économique et différencie deux types de prestataires : les workers, qui sont des
salariés ou des personnes travaillant pour un employeur sans toutefois être placés sous son
autorité, et les self-employed workers, qui détiennent leur propre équipement, sont
responsables de l’organisation et de la réalisation du travail, et assument une partie du risque
financier216
. L’Italie quant à elle, prend en compte, depuis 1996, la spécificité des relations
entre un collaborateur non salarié et un donneur d’ordre217
par les contrats dits « de
collaboration coordonnée et continue ». Elle a complété ce régime en 2003 par les « contrats
de collaboration de projet », qui régissent la réalisation d’une prestation globale. Ce type de
contrat est soumis à un taux de cotisation sociale proche de celui des contrats de travail
subordonné mais conserve néanmoins un régime juridique spécifique (il échappe notamment
aux dispositions sur le licenciement)218
. L’Espagne a été plus loin encore en créant, en 2007,
un statut de travailleur autonome économiquement dépendant219
, comprenant un socle de
droits communs à l’ensemble des travailleurs autonomes et des droits collectifs. La
dépendance économique est par ailleurs définie précisément, se caractérisant lorsque 75% des
revenus de l’activité professionnelle sont réalisé auprès d’une entreprise cliente220
.
La France, en retard sur ses partenaires européens, semble dès lors étonnamment réticente à
intégrer en droit une réalité sociale et économique incontestable et à renoncer à la vision
traditionnelle du salariat qui, pourtant, entraîne des inégalités de traitement entre salariés et
indépendants.
c. La question de la fiscalité des plateformes elles-mêmes
L’économie collaborative, à l’instar des autres pans de l’économie numérique, présente
certaines spécificités par rapport à l’économie traditionnelle qui rendent délicates
l’application du régime fiscal actuel reposant sur la territorialité des revenus : la non-
localisation des activités, l’importance des effets de réseau et l’exploitation des données. Les
216
Perrulli, Adalberto, Travail économiquement dépendant/parasubordination : les aspects juridiques, sociaux et
économiques, Commission Européenne, 2003. 217
Boutillier, Sophie et Uzunidis, Dimitri (sous la direction de), Travailler au XXIe siècle : Nouveaux modes
d'organisation du travail, Collection de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique
(IWEPS), Bruxelles : De Boeck, 2006. 218
Prouet, Emmanuelle, « Contrats de travail : les réformes italiennes », La note d’analyse, n° 30, mai 2015. 219
Martin, Philippe, « Le droit du travail en Espagne et en Italie, Convergences, divergences, singularités », Les
cahiers Irice, n° 11, 2014/1, pp. 37-52. 220
Triomphe, Claude Emmanuel, L’essor du travail indépendant en Europe – un défi pour le droit du travail,
2008, op. cit.
62
plateformes y jouent un rôle central créateur de valeur et doivent, à ce titre, être soumises à
l’impôt221
. Pourtant, la stratégie d’optimisation fiscale agressive menée par les plateformes
leur permet d’échapper largement à la charge fiscale. En effet, du fait du caractère immatériel
de leurs activités, l’Administration fiscale française peine à définir le territoire concerné par
les opérations de production. Ainsi, la filiale française d’Uber, structurellement déficitaire,
n’a jamais acquitté d’impôt sur les sociétés en France222
.
Henni, Jamal, « Comment Uber échappe à l’impôt », BFM Business, 30 juin 2015
De même, pour Airbnb, l'entreprise n’aurait payé que 97 000 euros d'impôts en France en
2013 alors que 40 000 logements sont proposés sur la plateforme, simplement en Île-de-
221
Charrier, Julia et Janin, Lionel, « Fiscalité du numérique », La note d’analyse, n° 16, mars 2015. 222
Henni, Jamal, « Comment Uber échappe à l’impôt », BFM Business, 30 juin 2015 :
http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/comment-uber-echappe-a-l-impot-898140.html ; schéma extrait de Van
de Casteele, Mounia, « Où va l’argent d’Uber », La Tribune, 23 octobre 2015 :
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/ou-va-l-argent-d-uber-516391.html
63
France, et que son chiffre d'affaires dépasse largement les 100 millions d'euros223
. Cette
situation crée une distorsion de concurrence au profit des « start-up » de l’économie
collaborative qui pousse tant le Fisc interne que la Commission européenne à s’interroger sur
une adaptation du régime.
Cette optimisation est rendue possible par le dispositif d’imposition des bénéfices d’une
société multinationale ou ayant une activité internationale qui est fondé sur l’application du
régime des prix de transfert et la localisation géographique des activités. La prise en compte
du nombre d’utilisateurs au sein d’un territoire fiscal donné serait pourtant plus adapté aux
sociétés du numérique. Une taxe unitaire mesurée sur le nombre d’utilisateurs de la
plateforme est parfois évoquée comme permettant d’assurer le maintien d’une base taxable au
sein du territoire national224
. Toutefois, cette méthode d’imposition des bénéfices serait
parfaitement contraire au principe d’imposition proportionnelle de l’impôt sur les bénéfices et
créerait nécessairement une inégalité entre les plateformes, l’impact de la taxe étant d’autant
plus important que le montant de chaque transaction réalisée par l’utilisateur est faible.
L’OCDE a pris la mesure de cette érosion des recettes fiscales et s’est saisie de la question.
Elle a identifié des pistes de réflexion qui pourraient être appliquées à l’économie
collaborative225
. Elle relève justement que l’économie numérique est partie intégrante de
l’économie et qu’il serait inefficace d’essayer d’en isoler les revenus dans un but purement
fiscal. Il convient donc d’adapter les règles existantes et non de créer un régime spécifique ex
nihilo. Il est ainsi proposé d’élargir la notion d’établissement stable. Ainsi, un tel
établissement pourrait être caractérisé dans l’hypothèse d’une présence physique d’une
entreprise étrangère dans un pays mais également par une « présence numérique
significative » au sein de celui-ci. Cela permettrait d’imposer localement les revenus tirés de
cette « présence numérique ». Un faisceau d’indices serait utilisé comprenant notamment
l’existence d’une succursale proposant des fonctions secondaires dans le pays, la conclusion à
distance de l’ensemble des contrats signés avec les utilisateurs, une large utilisation des e-
biens et e-services dans le pays ou une utilisation du bien qui ne nécessite aucune présence
223
« Economie collaborative : les dérives d’un modèle non régulé », Agoravox, 7 septembre 2015 :
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/economie-collaborative-les-derives-171541 224
Charrier, Julia et Janin, Lionel, 2015, op. cit. 225
OECD, Relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique, Action 1 – Rappel final 2015, Projet
OCDE/G20 sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, Paris : OECD Publishing, 2015.
64
physique. Une retenue à la source pourrait alors être appliquée sur les transactions effectuées
entre la plateforme et les utilisateurs.
Un tel régime, qui permettrait une soumission effective des « start-up » de l’économie
collaborative à l’impôt sur les bénéfices, semble être une condition essentielle à leur
acceptation par les acteurs traditionnels et au maintien d’un environnement concurrentiel
satisfaisant. Pour les recettes publiques également l’enjeu est très important puisqu’une
imposition juste permettrait de compenser les pertes de recettes dues au développement de
l’économie numérique. En effet, en Espagne, les plateformes d'hébergement touristique
seraient à l’origine d’un manque à gagner fiscal de 2,5 milliards d'euros par an du fait du non-
paiement de la taxe de séjour. Les plates-formes de covoiturage feraient de leur côté déjà
perdre aux États-Unis 3,4 % de leurs revenus fiscaux annuels, du fait de l'absence de taxe à
l'achat de véhicules226
. Si la taxation des revenus de l’économie collaborative occupe les
débats, elle ne doit donc pas masquer l’importance de mettre en place une fiscalité juste au
niveau des plateformes elles-mêmes.
B. La création indispensable d’un cadre juridique cohérent
Les pouvoirs publics, dans leur politique d’encadrement de l’économie collaborative,
semblent opter pour une réglementation sectorielle. Celle-ci, si elle répond temporairement
aux critiques et peurs des acteurs traditionnels, ne permet pas de mettre en place un régime
global et cohérent (a.). Pourtant et malgré l’absence d’uniformité de l’activité des « start-up »
du secteur, il semble qu’un socle commun soit essentiel pour assurer une sécurité juridique et
définir les principes fondamentaux qui leur sont applicables (b.). L’Union européenne devrait
s’impliquer dans la définition de ce régime afin d’éviter toute distorsion entre les Etats-
membres (c.). En effet et en application du principe de la hiérarchie des normes, la France est
limitée dans son action de régulation en raison de la prise en charge par l’Union européenne
de la règlementation des activités numériques et plus largement du e-commerce. Ainsi, la
France est contrainte par les barrières qui ont été posées par les directives européennes et
notamment celle sur le commerce électronique. La mise en place d’un régime spécifique
226
Enjeux et perspectives de l’économie collaborative, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des
Mutations économiques (Pipame), juin 2015.
65
complet est dès lors subordonnée à une action commune de l’Union Européenne et des Etats-
membres.
a. Le danger de la régulation sectorielle
Malgré la multiplication des rapports gouvernementaux sur l’économie collaborative
martelant qu’il est urgent de poser un cadre juridique clair au secteur, les réformes envisagées
sont encore très timides et ne posent aucun cadre global. Dans l’urgence et face à l’insistance
des lobbys de l’économie traditionnelle, le gouvernement ne fait qu’adopter des mesures
sectorielles dans le seul but de rassurer les acteurs traditionnels et mettre fin aux accusations
de concurrence déloyale. Ainsi, la loi Thevenoud227
, réservant aux taxis le bénéfice de la
maraude et du stationnement sur la voie publique dans l’attente de clients, avaient pour objet
de rassurer ceux-ci et de mettre fin au conflit qui les opposait aux VTC. De même, le
financement participatif mettant en péril le monopole bancaire228
, il a fait l’objet d’un
encadrement spécifique229
comprenant notamment la création d’un statut de « conseil en
investissement participatif » imposant aux « start-up » du secteur d’obtenir une habilitation
réglementaire pour pouvoir intervenir en qualité d’intermédiaire entre des investisseurs et des
émetteurs d’actions ou obligations. Concernant la location meublée, c’est une loi ancienne,
longtemps tombée en désuétude et remise au goût du jour en 2014230
qui est utilisée par les
mairies pour encadrer l’activité, notamment d’Airbnb. L’article L. 631-7 du code de la
construction et de l’habitation issu de la loi de 2004 impose ainsi, dans les communes de plus
de 200.000 habitants et dans les départements franciliens, de solliciter une autorisation
communale avant de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de
courtes durées.
Si les pouvoirs publics semblent engager des réflexions sur les enjeux de la régulation de
l’activité des plateformes d’intermédiation, ils ne semblent pas adopter une démarche
cohérente de nature à poser un cadre juridique global à la matière. Cette réticence à accepter
et prendre en compte ce « capitalisme de plateforme » d’inspiration néolibérale, s’inscrivant
227
Loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur. 228
Article L. 511-5 du code monétaire et financier : « Il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de
crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel. Il est, en outre, interdit à
toute personne autre qu'un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public
ou de fournir des services bancaires de paiement ». 229
Ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif. 230
Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.
66
logiquement dans le cadre de défiance française face aux ruptures schumpetériennes, va
contre le « droit à l’expérimentation de nouveaux modèles » préconisé par le conseil
d’analyse économique231
. La réglementation sectorielle ad hoc qui apparaît ne peut être
qu’inefficace à long terme puisqu’elle ne répond qu’aux inquiétudes des concurrents
traditionnels qui sont amenées à évoluer avec le temps et le développement des acteurs
disruptifs. L’adoption de mesures éparses n’est en outre pas de nature à s’adapter aux
évolutions technologiques et pourraient très vite devenir obsolètes et inefficaces. Pire, elle
pourrait, par le « patchwork » réglementaire qu’elle crée et les interdictions qu’elle pose,
affecter négativement l’attractivité de la France et dès lors le dynamisme même de
l’innovation numérique232
.
Si le droit est objectivement en retard par rapport à la rapidité d’évolution de l’économie et
dans l’attente de la création d’un cadre légal, la jurisprudence pourrait jouer un rôle
temporaire dans la définition de la réglementation de l’économie collaborative233
. En effet, de
plus en plus de dossiers relatifs à des plateformes sont soumis au jugement des tribunaux. Dès
lors, la jurisprudence est amenée à se prononcer sur l’interprétation et l’application des textes
existants au secteur collaboratif. Elle peut également être contrainte de juger praeter legem,
c’est-à-dire dans le silence de la loi. Ce faisant, elle est créatrice de droit et pourrait par une
approche générale dresser les prémices d’un cadre cohérent.
Si le projet de loi pour une République numérique semble amorcer une régulation globale,
notamment par la définition de la plateforme et la consécration de principes directeurs, il
conviendra d’aller plus loin pour permettre à la France de garder son attractivité et mettre fin
aux accusations des acteurs traditionnels. Cette position est d’ailleurs celle de l'Association
Française des Editeurs de Logiciels et de Solutions Internet (AFDEL) qui milite pour la
création d’un cadre réglementaire qui permette un épanouissement des « start-up » de
l'économie collaborative234
.
231
Portier, Philippe, « Le législateur est obligé de distinguer économie collaborative et « ubérisation », Le
Monde, 7 novembre 2015. 232
Tchéhouali, Destiny, Culture, commerce et numérique : Economie collaborative, culture du partage et guerre
des brevets : nouveaux regards sur l’innovation numérique, Organisation internationale de la francophonie,
Volume 10, n° 7, septembre 2015. 233
« L’avocat et l’entrepreneur face aux enjeux juridiques de l’économie collaborative, conseils d’experts »,
Maddyness, 27 février 2015. 234
Rolland, Sylvain, « Economie collaborative : le casse-tête de la législation », La Tribune, 16 juillet 2015 :
http://www.latribune.fr/technos-medias/internet/economie-collaborative-le-casse-tete-de-la-legislation-
492604.html
67
b. La nécessaire mise en place d’un « droit des plateformes », à l’instar du droit du
commerce électronique
Comme démontré ci-avant, l’économie collaborative n’est pas constitutive d’un secteur
spécifique nécessitant une régulation propre autonome. En revanche, ses apports à
l’innovation sont non négligeables et initient le renouveau du monde du travail, mettant en
lumière les problématiques qu’il soulève et notamment un manque de protection des
travailleurs, une dérégulation du marché et un contournement des règles de l’impôt. Si le
secteur n’est pas uniforme, les « start-up » ont en commun qu’elles proposent aux utilisateurs
une plateforme numérique d’intermédiation, les tiers étant à l’origine de la création de valeur
et la « start-up » elle-même n’offrant que des services supports. Il semble dès lors qu’un socle
de règles communes devraient être posé afin d’encadrer l’activité des plateformes. Celui-ci
aurait pour objet de protéger les parties prenantes et de mettre fin aux critiques actuelles.
L’enjeu à court terme est d’assurer l’application des règles existantes au secteur de
l’économie collaborative et d’encadrer ses aspects spécifiques. En matière de droit du travail,
l’économie collaborative pourrait être précurseur dans la protection du travailleur
indépendant, notamment par la création d’une représentation sociale des professionnels du
secteur. Les obligations encore trop générales de transparence, d’information et de non-
discrimination pourraient également être plus spécifiquement définies afin de créer un
véritable droit des plateformes et de créer un référentiel de valeur commun de nature à
rassurer le consommateur et accompagner le développement de l’économie collaborative.
Afin d’encourager la loyauté et la responsabilisation des plateformes, le rapport Terrasse
propose pour sa part d’appliquer aux « start-up » elles-mêmes un des éléments clés de leur
modèle : le système de notation. Ainsi, un espace de notation des plateformes ouvert aux
utilisateurs, s’appuyant sur les compétences du régulateur public, l’Autorité de Régulation des
Communications Electroniques et des Postes (« ARCEP »), pourrait recueillir auprès de
contributeurs un avis concernant les pratiques des « start-up » du secteur et notamment les
engagements pris en matière de responsabilité sociale, la loyauté du référencement des offres,
la pratique d’exploitation en matière de traitement des données personnelles, la fiabilité du
68
système de notation, la clarté des conditions générales d’utilisation et le comportement fiscal
de la plateforme235
.
Une régulation de l’économie collaborative au niveau national ne devrait toutefois pas
s’inscrire en contrariété avec les règles européennes et notamment la directive du 8 juin 2000
sur le commerce électronique. Or, si celle-ci n’interdit pas de mettre en place des obligations
proportionnées à la charge des plateformes dans un but de protection du consommateur, elle
interdit l’extension de ces obligations aux professionnels. Pourtant, la plateforme intervenant
en tant qu’intermédiaire entre les consommateurs et les professionnels, il est indispensable
que sa réglementation prenne en compte les deux aspects de son activité et propose un régime
global. L’adoption d’un cadre contraignant au seul niveau national poserait en outre des
difficultés de mise en œuvre à l’égard des « start-up » étrangères et mettrait en péril la
compétitivité des acteurs établis en France. Dès lors, une régulation au niveau communautaire
semble préférable.
c. Le rôle possible du droit européen dans l’harmonisation des règles
Le droit applicable aux plateformes numériques résulte essentiellement de la transposition de
la directive sur le commerce électronique qui interdit notamment d’imposer aux plateformes
de vérifier la réalité ou la licéité des offres, informations ou avis mis en ligne. La création
d’un statut spécifique aux plateformes nécessiterait donc une renégociation et une adaptation
de ce texte, comme l’a justement rappelé le Conseil d’Etat dans son rapport annuel de 2014236
.
En outre, l’Europe peine à la réalisation du marché commun digital en raison des grandes
disparités de développement entre les Etats en matière de numérique. Un cadre
communautaire efficace pourrait permettre de lutter contre la segmentation communautaire et
la discrimination dans le développement des biens et services. Parallèlement, les institutions
européennes devront encourager le succès des sociétés européennes dans l’économie
numérique mondiale. Le Comité Economique et Social Européen (CESE), dans un rapport du
21 janvier 2014, va dans ce sens et encourage la Commission européenne à se saisir de la
question afin d’opérer une harmonisation des législations. Les débats devraient notamment
porter sur la responsabilité juridique, les assurances, les droits d’usage, les taxes sur la
235
Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse, Février 2016,
op. cit. 236
« Economie collaborative, Vie pratique », Fiches pratiques DGCCRF, 18 juin 2015, op. cit.
69
propriété, les normes de qualité, la détermination des droits et des devoirs de chaque
intervenant237
. Le système actuel, fondé notamment sur la différenciation stricte du
professionnel et du consommateur apparaît comme inadapté à l’économie collaborative et une
adaptation de la matière ne peut passer que par une réforme communautaire. Toutefois, la
communauté européenne semble encore avoir des difficultés à appréhender le rôle émergent
des « prosumers » (le producteur est aussi consommateur) au sein de l’économie
numérique238
.
La Commission européenne semble avoir pris conscience du rôle qu’elle doit jouer en matière
de régularisation et a placé le numérique dans ses dix priorités. En effet, les nouvelles
technologies de l’information constituent à ses yeux non plus un secteur économique à part
mais le fondement de tout système économique novateur. Elle a adopté le 6 mai 2015, la
Stratégie pour le Marché numérique unique qui prévoit que seize initiatives seront présentées
avant fin 2016239
. Concernant plus précisément l’économie collaborative, la Commission
prévoit une vaste évaluation du rôle joué par les plateformes et place dans ses impératifs la
transparence sur Internet. Parallèlement, une consultation publique sur l’environnement
réglementaire concernant les plateformes, les intermédiaires en ligne, les données,
l’informatique en nuage et l’économie collaborative a été lancée en septembre 2015. Le 28
octobre 2015, la Commission a réaffirmé sa volonté de se saisir du secteur de la
consommation collaborative et de mettre en place un système clair et équilibré protégeant les
intérêts des parties en présence, notamment les consommateurs et les professionnels tout en
accompagnant son développement en évitant les entraves réglementaires inutiles240
. Sur la
base des travaux en cours, des lignes directrices sur l’application du droit communautaire à
l’économie collaborative relatives aux Directives services et commerce électronique devraient
être publiées afin d’aider les opérateurs à mieux appréhender le cadre juridique régulant leur
activité. Par ailleurs, elles poseront les bases d’une action coercitive de la Commission qui
237
Acedo, Sébastien, « L’économie collaborative en quête d’un cadre réglementaire », L’argus de l’assurance,
10 novembre 2014. 238
Foresight services to support strategic programming within Horizon 2020, Foresight Report, October 2014,
Rand Europe. 239
European Commission, Priority, Digital Single Market, Bringing down barriers to unlock online
opportunities http://ec.europa.eu/priorities/digital-single-market_en 240
COM (2015) 550 final, Communication de la Commission au Parlement européen, au conseil, au comité
économique et social européen et au comité des régions, Améliorer le marché unique : de nouvelles opportunités
pour les citoyens et les entreprises.
70
aura la charge de s’assurer que les législations nationales n’entravent pas l’essor de
l’économie collaborative.
Conclusion
L’économie collaborative est une opportunité pour l’innovation française. Les « start-up »
françaises les plus matures du secteur, Blablacar en tête qui a rejoint le club très fermé des
licornes, c’est-à-dire des « start-up » valorisées à plus d’un milliard de dollars, emportent avec
elle les nouveaux entrants et font naître des vocations. La Halle Freyssinet, inaugurée à Paris
en avril dernier lors du sommet des « start-up », devrait devenir le plus gros incubateur au
monde en accueillant mille « start-up » et agir comme une locomotive pour l’entreprenariat
français. Alors que l’attractivité et la compétitivité de la France ne cessent d’être remises en
cause, les nouvelles technologies et notamment l’économie collaborative sont une chance
pour l’économie française. Pourtant et de façon étonnante, les « start-up » du secteur semblent
être les grandes oubliées des débats concernant les activités qu’elles ont développées. Aucun
des nombreux rapports sollicités par le gouvernement n’est tourné vers les sociétés de
l’économie collaborative. Les discussions en cours sont centrées sur le consommateur et le
travailleur indépendant, les « start-up » étant analysée comme la partie « forte » de la relation
tripartite qui se crée par le biais de la plateforme numérique. Partant de ce postulat, seuls les
utilisateurs devraient être protégés.
C’est ce constat qui nous a poussé à nous intéresser à la situation des « start-up » du secteur et
à établir un état des lieux de l’environnement juridique dans lequel elles évoluent. Nous avons
pu alors prendre conscience que celles-ci sont confrontées à de nombreuses difficultés. Le
manque de règlementation claire de leur activité les place dans une situation de risque
permanent. Si c’est dans le silence des textes que les « start-up » ont pu dans un premier
temps éclore, il faut désormais prendre en considération l’existence de ces nouveaux acteurs
et leurs spécificités. Le cadre juridique est tellement incertain que le modèle même de ces
sociétés est susceptible d’être remise en cause à chaque nouvelle décision rendue par une
juridiction. Cette situation, si elle perdurait, aurait certainement pour conséquence de freiner
les investisseurs et donc le développement des « start-up » françaises. L’absence de
positionnement de l’Union européenne sur la question de la règlementation de l’économie
71
collaborative ne facilite pas les réformes et il devient urgent de modifier la directive
« commerce électronique » afin de permettre aux Etats-membres de réguler le secteur.
Si les « start-up » doivent être parties prenantes des débats et protéger leurs intérêts, elles ne
sont toutefois pas exemptes de reproches. En effet, elles ont fait de l’optimisation fiscale l’une
des clés de leur succès et profitent des failles juridiques pour exercer une concurrence féroce
sur les acteurs traditionnels. Leur stratégie est de plus en plus critiquée et elles souffrent d’une
image largement altérée qui pourrait, à moyen terme, freiner leur développement. La mise en
place d’un cadre juridique clair, protégeant certes les consommateurs et les professionnels
exerçant par le biais des plateformes, mais également plus largement les marchés en cause,
l’assiette fiscale et les acteurs traditionnels permettrait de mettre fin aux soupçons pesant sur
les « start-up ». Face à un cadre juridique plus strict, celles-ci devront s’adapter et revoir leur
modèle afin de le rendre plus vertueux. La pérennité même de l’économie collaborative
dépend de la capacité qu’elles auront à maintenir leur compétitivité malgré cette
réglementation.
La réglementation mise en place devra réguler l’économie collaborative sans transformer
l’activité des « start-up » qui n’ont qu’un rôle d’intermédiaire. En effet, même s’il est tentant
d’opérer un transfert de responsabilité à la charge des plateformes, modifier en profondeur
leur cœur de métier pourrait les pousser à transférer leurs activités à l’étranger. Ainsi, il ne
nous semble pas qu’imposer aux « start-up » de devenir des conseils en matière de création
d’entreprise ou de fiscalité ne protège l’attractivité du marché français. Si ces préconisations,
reprises notamment par le rapport Terrasse, devaient être retenues, il serait indispensable que
les pouvoirs publics mettent à disposition des « start-up » des modèles et formulaires afin de
leur permettre de ne jouer qu’un rôle d’intermédiaire entre l’Administration et les utilisateurs.
Par ailleurs et si les utilisateurs ne se conformaient pas aux conseils de la plateforme, ils
devraient seuls en porter la responsabilité.
Le travail à effectuer est donc complexe et les enjeux sont importants. Si, suite à nos
recherches, il nous semble difficilement contestable que des adaptations du régime français
doivent être opérées, celles-ci devront respecter l’esprit de l’économie collaborative et
protéger les nombreuses parties prenantes. Si le projet de loi pour une République numérique
est finalement très décevant quant à sa partie relative à l’économie collaborative, la
72
Commission européenne pourrait aller plus loin dans la règlementation. Les prochains mois
seront donc décisifs pour le secteur et nos reproches pourraient – nous l’espérons – devenir
rapidement obsolètes.
73
Table des matières
Résumé ....................................................................................................................................... 4
Sommaire ................................................................................................................................... 5
Introduction ................................................................................................................................ 6
La définition plurielle de l’économie collaborative ................................................................... 7
Le contexte de l’émergence de l’économie collaborative ........................................................ 10
L’économie collaborative : restructuration du modèle économique reflet de l’évolution
sociétale .................................................................................................................................... 15
A. L’"ubérisation" des rapports, contre-courant du modèle individualiste des années 1980 ? 15
a. La montée de l’individualisme et ses conséquences à compter des années 1980 ................ 16
b. L’avènement d’un courant alternatif .................................................................................... 18
c. Des motivations « altruistes » des acteurs de l’économie collaborative à tempérer ............ 21
B. La crise du modèle traditionnel du travail ........................................................................... 23
a. La remise en cause du modèle du salariat ............................................................................ 23
b. Le développement exponentiel du travail indépendant ........................................................ 26
c. Le rôle de l’économie collaborative dans l’accélération de la transformation du travail..... 28
C. L’émergence d’un nouveau modèle économique durable ................................................... 29
a. Un modèle marqué par la diversification des sources de rendement, complémentaire à
l’économie traditionnelle .......................................................................................................... 30
b. Un secteur économique composé de marchés très différents selon leur niveau de maturité 32
c. Une viabilité encore en question des marchés en cause ....................................................... 34
La clarification nécessaire de l’environnement juridique de l’économie collaborative ........... 36
A. Un manque prégnant de sécurité juridique .......................................................................... 36
a. Le risque de requalification des contrats de prestation de service ....................................... 36
b. Le risque de concurrence déloyale pesant sur la plateforme ................................................ 39
c. La responsabilité potentielle de la plateforme ...................................................................... 42
B. Les insuffisances du régime issu des réformes législatives récentes ................................... 46
74
a. Le rôle incertain de la plateforme quant à la déclaration des revenus des différents acteurs
.................................................................................................................................................. 46
b. Les contours trop flous de l’obligation d’information ......................................................... 50
c. L’absence de prise en compte du risque de complicité de dissimulation d’activité ............. 53
II. La nécessaire prise en compte de la spécificité des acteurs du secteur ............................... 55
A. La régulation des problématiques spécifiques des acteurs de l’économie collaborative .... 56
a. L’encadrement de la gestion de l’e-réputation par les plateformes ...................................... 56
b. La modification de la définition d’une relation de salariat .................................................. 58
c. La question de la fiscalité des plateformes elles-mêmes ...................................................... 61
B. La création indispensable d’un cadre juridique cohérent .................................................... 64
a. Le danger de la régulation sectorielle ................................................................................... 65
b. La nécessaire mise en place d’un « droit des plateformes », à l’instar du droit du commerce
électronique .............................................................................................................................. 67
c. Le rôle possible du droit européen dans l’harmonisation des règles ................................... 68
Bibliographie ............................................................................................................................ 75
75
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Filmographie
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Retranscription d’une intervention orale
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droit du travail », Retranscription d’une présentation orale faite à la DRTEFP Ile de France le
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