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Faculteit Letteren en Wijsbegeerte
L’écologie dans la littérature française de
l’extrême contemporain
Mémoire de maîtrise
Masterproef ingediend tot het behalen van de academische graad van Master of Arts in de taal- en letterkunde: Frans-Engels
Louise Isselé 2011-2012
Promotor: Prof. Dr. Pierre Schoentjes Franse Letterkunde
Faculté de Philosophie et Lettres
L’écologie dans la littérature française de
l’extrême contemporain
Mémoire de maîtrise
Louise Isselé 2011-2012
Sous la direction du Prof. Dr. Pierre Schoentjes
4
Remerciements Je souhaite exprimer toute ma gratitude au Prof. Dr. Pierre Schoentjes pour ses
conseils et ses directives, et bien évidemment pour m’avoir initiée à une littérature
vraiment passionnante. Un grand merci aussi à André Bucher pour m’avoir accueillie
dans sa ferme à Montfroc pour discuter de son travail d’écriture. Enfin, je tiens ici à
remercier Bart, Els et mes parents, qui m’ont beaucoup soutenue pendant mon périple
littéraire.
5
Glossaire Pour simplifier nos notes en bas de page, nous utiliserons un certain nombre
d’acronymes pour nous référer aux ouvrages que nous utiliserons le plus.
EEBDCM Iegor Gran, L’écologie en bas de chez
moi
FDLA Pascal Bruckner, Le fanatisme de
l’Apocalypse
MPTH Pierre Rabhi, Manifeste pour la Terre et
l’Humanisme
NOE Luc Ferry, Le Nouvel Ordre écologique
PDA Jean-Christophe Rufin, Le Parfum
d’Adam
RVES Hubert Mingarelli, Une rivière verte et
silencieuse
TEI Lawrence Buell, The Environmental
Imagination: Thoreau, Nature Writing
and the Formation of American Culture
6
Introduction
Depuis la parution du livre Silent Spring de Rachel Carson, généralement
considéré comme la première étape de l’écologie moderne 1 , les questions de
l’environnement n’ont pas cessé de gagner de l’importance, aussi bien dans la
littérature que dans notre société. Des films à thème écologique comme Home de
Yann Arthus-Bertrand, An Inconvenient Truth de Al Gore ou même des dessins
animés comme Wall-e ou le tout récent Le Lorax ont touché des millions de
spectateurs. Dans l’actualité également, les défis des problèmes environnementaux
sont au centre de l’actualité : le flop de la Conférence de Copenhague, la fuite de
pétrole de Deepwater Horizon et l’accident nucléaire de Fukushima sont des exemples
récents.
Dans la littérature américaine, il existe une longue tradition d’écriture de la
nature qui a donné lieu à l’édition de classiques : Walden de Thoreau, A Sand County
Almanac d’Aldo Leopold, The Monkey Wrench Gang d’Edward Abbey en sont
quelques exemples célèbres. Même si l’écriture de la nature française n’est pas ancrée
dans une tradition aussi profonde qu’en Etats-Unis, elle n’en est pas moins riche ou
intéressante. Dans la littérature d’aujourd’hui, des auteurs comme André Bucher et
Hubert Mingarelli publient des oeuvres denotant une grande sensibilité aux sujets
environnementaux. De plus, l’écologie est un sujet de discussion populaire en France
: dans la littérature, à la télévision, dans les journaux, on voit partout que le débat est
vivant. De ce fait, il existe également une littérature non-fictionnelle fleurissante sur
l’écologie et la nature.
Dans notre étude, nous essaierons de présenter une vue d’ensemble du paysage
littéraire écologique en France. Du côté de l’écriture de la nature, nous examinerons
des oeuvres de fiction de Bucher et Mingarelli. Nous nous arrêterons également à des
oeuvres de non-fiction de deux auteurs engagés, Pierre Rabhi et Hervé Kempf.
Evidemment, il existe aussi des auteurs qui mettent en doute les philosophies et les
idéologies attachées à certains mouvements de l’écologie. Dans ce genre, nous avons
choisi d’examiner de plus près l’oeuvre de Jean-Christophe Rufin, Luc Ferry, Pascal
1 Greg Garrard, Ecocriticism, New York, Routledge, coll. The New Critical Idiom, 2004, p.1.
7
Bruckner et Iegor Gran, qui s’inscrivent chacun de leur manière propre dans cette
écriture de mise en doute de l’écologie.
Notre étude s’ouvrira par une section introductive consacrée à l’écologie
profonde, où nous chercherons à expliquer les principes du mouvement et son
importance en France. Dans une deuxième partie, nous regarderons comment deux
auteurs, Gran et Bruckner, s’en prennent à l’écologisme, un des courants de pensée
les plus actifs en la matière. Dans la partie la plus importante de notre étude, nous
examinerons un corpus de textes environnementaux en prenant comme prise de départ
un ouvrage de Lawrence Buell, The Environmental Imagination. Un chapitre sera
dédié aux différents motifs de l’écocentrisme, principe central de l’écologie profonde.
Nous concluerons notre étude sur une analyse des différents genres littéraires
employés dans notre corpus divers.
Pour l’analyse de notre corpus, nous nous appuyerons sur les théories et
méthodes de l’écocritique. Dans l’introduction de The Ecocriticism Reader, Cheryll
Glotfelty tente d’expliquer ce que veut dire le terme :
[E]cocriticism is the study of the relationship between literature and the physical environment. Just as feminist criticism examines language and literature from a gender-conscious perspective, and Marxist criticism brings an awareness of modes of production and economic class to its reading of texts, ecocriticsm takes an earth-centered approach to literary studies1.
L’écocritique étudie donc les oeuvres littéraires selon une approche écocentrique.
Nous pouvons nous demander alors si cette perspective est pertinente, puisque
l’écologie est souvent associée à la science et à la politique plutôt qu’à la littérature.
Lawrence Buell en dit ceci :
Although the creative and critical arts may seem remote from the arenas of scientific investigation and public policy, clearly they are exercising, however unconsciously, an influence upon the emerging culture of environmental concern, just as they played a part in shaping as well as merely expressing every other aspect of human culture2.
1 Cheryll Glotfelty, « Introduction: Literary Studies in an Age of Environmental Crisis », The Ecocriticism Reader: Landmarks in Literary Ecology (Athens), 1996, p. xviii. 2 Lawrence Buell, The Environmental Imagination: Thoreau, Nature Writing and the Formation of American Culture, Cambridge/Londres, Harvard University Press, 1995, p. 3.
8
A première vue, la littérature est donc sans grande influence sur le mouvement
écologique en général, mais en fait, elle a une double fonction. D’une part, elle forme
l’expression de tous les aspects de la culture humaine et, d’autre part, elle constitue
une source d’influence sur cette même culture. Lawrence Buell est l’auteur d’une
série importante de trois ouvrages de critique écologique, à savoir : The
Environmental Imagination (1995), Writing for an Endangered World (2001) et The
Future of Environmental Criticism (2005). Dans notre étude, nous utiliserons surtout
le premier ouvrage, dans lequel il établit les quatre caractéristiques principales d’un
texte environmental et les motifs de l’écocentrisme les plus importants. Pour l’analyse
de notre corpus, nous prendrons comme base les recherches que nous avons déjà
effectuées pour notre mémoire de bachelor1.
1 Louise Isselé, « L’écriture de la nature d’André Bucher : trouver un équilibre entre le naturel et le culturel », Mémoire de bachelor, Gand, Université de Gand, 2011.
9
1. L’écologie profonde
1.1 L’écologie profonde : généralités Aldo Leopold, considéré comme le père de l’écologie profonde1, explique
l’essentiel du problème écologique dans la préface de son ouvrage A Sand County
Almanac. La citation qui suit est devenue célèbre :
When god-like Odysseus returned from the wars in Troy, he hanged all on one rope a dozen slave-girls of his house-hold, whom he suspected of misbehavior during his absence.
This hanging involved no question of propriety. The girls were property. The disposal of property was then, as now, a matter of expediency, not of right and wrong.
Concepts of right and wrong were not lacking from Odysseus' Greece: witness the fidelity of his wife through the long years before at last his black-prowed galleys clove the wine-dark seas for home. The ethical structure of that day covered wives, but had not yet been extended to human chattels. During the three thousand years which have since elapsed, ethical criteria have been extended to many fields of conduct, with corresponding shrinkages in those judged by expediency only2.
Les critères éthiques ont donc permis l’abolition de l’esclavage, et leur évolution
devrait conduire à « libérer » la nature et à lui reconnaître des « droits »3. Le
philosophe Arne Naess définit huit principes généraux de l’écologie profonde dans un
ouvrage important, Deep Ecology for the 21st Century, édité par George Sessions4. Il
est utile de les reproduire dans leur entièreté parce qu’ils constituent la base de
l’idéologie du mouvement écologiste. Nous les reprenons ici dans la traduction qu’en
a faite Luc Ferry :
1. Le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non humaine sur la terre sont des valeurs en soi (synonymes : valeurs intrinsèques, valeurs inhérentes). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité du monde non humain pour les fins de l’homme.
2. La richesse et la diversité des formes de vie contribuent à la réalisation de ces valeurs et sont par conséquent aussi des valeurs en soi.
1 Luc Ferry, Le Nouvel Ordre écologique, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 1992, p.107. Ci-après NOE. 2 Aldo Leopold, A Sand County Almanac, Oxford, Oxford University Press, 1949, p.165. 3NOE, p.108. 4 Arne Naess, « The Deep Ecology ‘Eight Points’ Revisited », in: Deep Ecology for the 21st century: Readings on the Philosophy and Practice of the New Environmentalism, éd. George Sessions, Boston, Shambala Publications, 1995, p. 213 et suiv.
10
3. Les humains n’ont aucun droit à réduire cette richesse et cette diversité, si ce n’est pour satifsfaire des besoins vitaux.
4. L’épanouissement de la vie et de la culture humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non humaine requiert une telle diminution.
5. L’intervention humaine dans le monde non humain est actuellement excessive et la situation se dégrade rapidement.
6. Il faut donc changer nos orientations politiques de façon drastique sur le plan des structures économiques, technologiques et idéologiques. Le résultat de l’opération sera profondément différent de l’état actuel.
7. Le changement idéologique consiste principalement dans le fait de valoriser la qualité de la vie (d’habiter dans des situations de valeur intrinsèques1) plutôt que de viser sans cesse un niveau de vie plus élevé. Il faudra qu’il y ait une prise de conscience profonde de la différence entre gros (big) et grand (great).
8. Ceux qui souscrivent aux points qu’on vient d’énoncer ont une obligation directe ou indirecte à travailler à ces changements nécessaires2.
Ces huit principes montrent que l’écologie profonde valorise beaucoup le monde non
humain et veut réduire l’influence néfaste que l’homme a sur elle. Dans Ecocriticism3,
Garrard choisit de souligner le premier et le quatrième point parce qu’ils expriment
deux idées fondamentales du mouvement. Les écologistes profonds considèrent le
premier point comme l’élément principal qui les distingue de l’écologie «
superficielle » ou « environnementaliste », que nous traiterons en détail dans une
prochaine section de cette étude. L’écologie profonde accorde une valeur intrinsèque
au monde naturel, indépendamment de l’utilité de ce monde pour l’homme. De leur
côté, les environnementalistes ne lui accordent pas cette valeur ; ils voient la Terre à
travers des lunettes fondamentalement humanistes et capitalistes, même s’ils se
rendent compte des problèmes environnementaux4. En d’autres termes, il voudraient
sauver la Terre pour sauver l’homme. L’écologie profonde rejette cette attitude, selon
eux égoïste, qui n’accorderait pas de valeur intrinsèque au monde naturel. Le
deuxième point met l’accent sur la nécessité d’une diminution de la population
humaine. Selon les écologistes profonds, la vie non humaine ne peut s’épanouir sans
ce changement. En effet, l’expansion de la population serait à la base de nombreux
problèmes écologiques :
1 L’expression entre parenthèses pourrait plutôt être rendue comme suit : « s’attacher à des situations ayant une valeur intrinsèque » (« dwelling in situations of inherent worth »). 2 Arne Naess, « The Deep Ecological Movement: some philosophical aspects », Philosophical Inquiry (Thessaloniki), 8, 1986, p. 23-31. Traduit par Luc Ferry. 3 Greg Garrard, Ecocriticism, New York, Routledge, coll. The New Critical Idiom, 2004, p. 21. 4 Ibid., p. 21.
11
The lethal combination is that of rapid population growth in developing, which exacerbates environmental problems associated with poverty such as land pressure and deforestation, accompanied by rapid economic growth in developed countries, which exacerbates problems associated with wealth, such as domestic waste disposal and greenhouse gas emissions1.
Le problème est donc double: nous avons, d’une part, la croissance de la population
pauvre, dans les pays en voie de développement, qui causerait un envahissement de
l’espace libre dans ces pays, et, d’autre part, l’essor économique dans les pays
occidentaux, qui constituerait une évolution néfaste pour le futur de la planète parce
qu’elle détruirait la couche d’ozone et produirait de plus en plus de déchets. Les
adeptes de l’écologie profonde envisagent une reduction de la population mondiale à
long terme comme une des grandes solutions pour les problèmes écologiques
auxquels nous faisons face aujourd’hui. Cette position semble logique si, comme les
écologistes profonds, nous considérons que le monde humain ne vaut pas plus que le
monde non humain. Mais ces opinions ne sont pas sans risque. En exigeant la
reconnaissance de la valeur intrinsèque du monde naturel, l’es écologistes profonds
s’opposent à l’entièreté de la culture occidentale actuelle : cette culture accorde une
position supérieure à l’homme, et le sépare du monde primitif. Cette valorisation
extensive de la nature est la source de l’objection principale formulée à l’encontre des
écologistes profonds: l’écocentrisme qu’ils promouvoient serait misanthrope. La
problématique de la surpopulation en particulier suscite la discussion. Iegor Gran, par
exemple, dit que chaque être humain est une richesse pour la civilisation2. Il n’est pas
d’accord avec le quatrième point du manifeste de l’écologie profonde : « Si on est
autant sur cette Terre, c’est que cette terre supporte. On est un animal comme un
autre, donc si on n’a plus de ressources pour nous alimenter, logiquement notre
présence se réduit3 ». Evidemment, Une question délicate surgit alors: comment
réduire la surpopulation.
Les idées véritablement misanthropes sont surtout exprimées par les
écologistes les plus radicaux. Luc Ferry cite quelques exemples français :
Jean Brière, ancien membre des Verts, […] suggère de « tarir à la source la surproduction d’enfants dans le tiers monde » tandis que Jean Fréchaut, qui lui
1 Ibid., p. 21. 2 Iegor Gran. « L’écologie en bas de chez moi », entretien vidéo; 18 janvier 2011. YouTube. Consulté le 1er mai 2012. 3 Ibid.
12
aussi fut un temps membre des Verts, rêve d’un « gouvernement mondial qui puisse oppresser les populations afin de réduire toutes les pollutions et changer les désirs comme les comportements par des manipulations psychologiques »1.
La plupart des écologistes profonds ne sont pas aussi extrêmes dans leurs propos que
Brière ou Fréchaut, mais le quatrième point du manifeste est certainement source de
polémique. Nous verrons plus tard que cette problématique a inspiré bien des auteurs,
notamment Jean-Christophe Rufin.
Une grande majorité des écologistes s’inspirent de l’écologie profonde, mais
ne mènent pas l’écocentrisme aussi loin que des penseurs plus radicaux comme
Christopher Manes ou Dave Foreman, qui proposent pour leur part des mesures
extrêmes s’agissant du contrôle de la surpopulation. Naess, le gourou philosophique
de l’écologie profonde, est lui-même disposé à relativiser l’idéologie écocentrique : «
Humans have no right to reduce this richness [of nonhuman life] and diversity [of life
forms] except to satisfy vital needs »2. Selon Naess, l’anthropocentrisme peut
l’emporter sur l’écocentrisme si les besoins vitaux de l’homme le demandent. Garrard
explique que cette flexibilité permet d’éviter quelques problèmes philosophiques
compliqués. Un exemple frappant est la discussion dans laquelle on se demande si la
valeur de vie d’un homme est équivalent à celle de la vie d’un virus meurtrier ou d’un
tigre affamé3.
L’écologie profonde s’inspire de croyances primitives comme les religions
amérindiennes ou le chamanisme4. Cette approche intuitive de la nature s’oppose très
souvent à l’approche écologique scientifique. Pour certains fidèles de l’écologie
profonde, les tentatives des scientifiques pour résoudre les problèmes
environnementaux font partie du problème. Leur raisonnement est basé sur le fait que
la science manipulerait la nature de façon anthropocentrique. La philosophie de la
Deep Ecology est à la fois très influente et, sur quelques points, très radicale. Elle
attire un grand nombre d’adeptes, qui pratiquent les principes philosophiques de
l’écologie profonde à des degrés très variables. 1 NOE, p.127. 2 Arne Naess, « The Deep Ecology ‘Eight Points’ revisited », Deep Ecology for the 21st century, (Boston), 1995, p. 49. 3 Greg Garrard, op. cit., p. 22. 4 Ibid., p. 23.
13
1.2 Luc Ferry et l’écologie profonde en France
Mais l’écologie profonde dépasse-t-elle les frontières anglo-américaines?
Selon Luc Ferry, la réponse est affirmative. Ferry est un homme politique français,
ancien ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, et
professeur de philosophie. Il a écrit de nombreux essais sur des sujets variés comme
l’amour, la jeunesse, la famille et la spiritualité. Le Nouvel Ordre écologique est un
essai sur l’écologie qu’il a publié en 1992 aux éditions Grasset. L’auteur s’empare de
ce sujet et en examine les aspects philosophiques et idéologiques. C’est un livre qui a
connu un certain succès et qui a établi la thématique dans les débats en France. Il a
inspiré de nombreux auteurs. D’autres auteurs que nous mentionnerons s’y réfèrent,
notamment Pascal Bruckner et Jean-Christophe Rufin, lequel, dans la postface de son
ouvrage Le Parfum d’Adam, observe que « l’ouvrage de Luc Ferry Le Nouvel Ordre
écologique a été le premier à attirer l’attention sur l’ampleur des travaux consacrés à
ce que l’on appelle l’écologie profonde »1. Le livre de Ferry a eu une infliuence
certaine et sa parution a marqué le début d’une période de discussions dans les médias
et a suscité de nombreuses réactions dans la littérature populaire aussi bien
qu’académique.
Notre entretien avec André Bucher constitue un premier indice que l’écologie
profonde n’est pas un concept très connu en France : Bucher, écrivain, écologiste,
observateur attentif de l’actualité et grand connaisseur de la littérature dite écologique
en France, n’use pas de ce terme. Néanmoins, il reconnaît, à sa manière, les principes
de l’écologie profonde et se déclare d’accord avec l’idée, si centrale à l’écologie
profonde, de l’écocentrisme. Luc Ferry souligne que la littérature de l’écologie
profonde est devenue très importante :
L’écologie profonde rencontre un véritable écho hors du milieu académique ainsi qu’à l’étranger : elle inspire, par exemple, […] une fraction importante des partis Verts ainsi que, dans une large mesure, les travaux de philosophes populaires comme Michel Serres2.
Ferry laisse donc à penser que le mouvement connaît une certaine popularité, même
en France. Cependant, tout en soulignant l’influence que le mouvement a eu sur
1 Jean-Christophe Rufin, Le Parfum d’Adam, Paris, Flammarion, 2007, p. 534. Ci-après PDA. 2 NOE, p. 110.
14
Serres, auteur français très lu dans son pays, il note aussi qu’en France justement
l’influence de l’écologie profonde reste en général limitée :
Depuis plus de vingt ans maintenant, sans en rencontrer le moindre écho significatif en France avant la publication du livre de Serres (lequel demeure d’une grande discrétion sur ses sources), une abondante littérature s’est efforcée de construire une doctrine cohérente de la nature comme nouveau sujet de droit1.
C’est donc principalement en dehors de la France, notamment aux Etats-Unis où le
mouvement est né, que l’écologie profonde est largement répandue dans la culture.
Néanmoins, Ferry, en tant qu’auteur français, a senti la nécessité de s’exprimer sur
l’écologie profonde pour susciter le débat dans son pays. Il estime pouvoir reconnaître
les caractéristiques de cette philosophie dans la totalité des partis politiques Verts
européens :
Il ne faut pas croire, pour autant, que les thèses « inhumanistes » de l’écologie fondamentale n’apparaissaient que dans les hautes sphères de la philosophie professionnelle. On les retrouve, plus ou moins nettement formulées, dans tous les mouvements Verts en Europe[…]2.
Ensuite, Ferry, à l’appui de son affirmation, cite Antoine Waechter, homme politique
Vert, qui explique ainsi sa vision sur l’environnement :
Le mot « nature » est expurgé de tous les discours comme s’il était indécent, tout au moins puéril, d’évoquer ce qu’il désigne. Le terme d’environnement s’est imposé […] Le choix n’est pas neutre. Étymologiquement, le mot « environnement » désigne ce qui environne, et dans le contexte, plus précisément, ce qui environne l’espèce humaine. […] toutes les formes de vie ont un droit à une existence autonome3.
Dans ce propos de Waechter, nous retrouvons un certain écho des idées écocentriques
de l’écologie profonde. Donc, même si on ne l’appelle pas par son nom, cette
philosophie semble bel et bien présente dans la politique française. Dans la littérature
également, le terme même n’est peut-être pas très connu, mais les principes du
mouvement le sont, comme le prouve l’oeuvre d’André Bucher. Jean-Christophe
Rufin, pour sa part, construit même tout un roman autour de ce sujet.
1 NOE, p. 28. 2 NOE, p. 126. 3 Antoine Waechter, Dessine-moi une planète. L’écologie maintenant ou jamais, Paris, Albin Michel, 1990, p. 151.
15
Ferry a conçu une partie de son essai autour de la philosophie de l’écologie
profonde, pour ensuite la critiquer violemment. L’intitulé de cette partie en indique la
tonalité : Les ombres de la Terre. Laissons l’auteur s’exprimer :
L’amour du terroir, la nostalgie de la pureté perdue, la haine du cosmopolitisme, du déracinement moderne, de l’universalisme et des droits de l’homme d’un côté ; mais de l’autre, le rêve autogestionnaire, le mythe de la croissance zéro (ou, comme on dit maintenant, « tenable »), la lutte contre le capitalisme, pour les pouvoirs locaux, les référendums d’initiative populaire, contre le racisme, le néo-colonialisme, pour le droit à la différence… Le point commun entre ces thèmes, en apparence éclatés, parfois à la limite de l’inconciliable, ne manque pourtant pas de profondeur. Dès qu’on en saisit le principe, le type idéal retrouve la cohérence (sinon la vérité, ce qui est une autre affaire) que nous aurions pu être enclins à lui refuser : c’est que dans tout les cas de figure, l’écologiste profond est guidé par la haine de la modernité, l’hostilité au temps présent1.
Cette dernière affirmation montre bien quel est l’objectif de Ferry : décréditer
l’écologie profonde. Il n’est pas d’accord avec l’idée que l’homme et son progrès ne
sont pas au centre du monde. Un autre aspect qu’il trouve difficilement acceptable est
l’idée d’avoir un « contrat naturel »2 qui établit la nature comme sujet de droit. Il
résume les deux aspects problématiques de ce contrat. Premièrement, la nature ne
peut agir en tant que personne juridique, parce qu’elle n’est pas susceptible de se voir
reconnaître des droits. Le second problème se trouve dans la valeur intrinsèque que
les écologistes profonds accordent à la nature. Ferry se demande comment ceux-ci
justifieraient que les virus du sida ou du choléra pourraient être « sujets de droit », au
même niveau que l’homme, et pourraient être traités sur un pied d’égalité avec ce
dernier. Il conclut en proposant une approche moins radicale :
Il faut ainsi faire justice au sentiment que la nature n’est pas de nulle valeur, que nous avons des devoirs envers elle qui n’est pas, pourtant, sujet de droit. C’est aussi dans cette voie qu’on pourrait tenter de définir ce qui dans la nature elle-même doit être respecté et ce qui, en revanche, doit être combattu au nom d’un interventionnisme bien compris. Faute d’une telle distinction, l’idée de devoirs envers « LA » nature perdrait son sens, tant il est évident que tout, en elle, ne mérite pas également d’être protégé3.
Ferry critique aussi d’autres aspects de l’écologie profonde. Il se pose des
questions sur le quatrième point formulé comme suit par Naess dans sa liste de
principes de l’écologie profonde : « L’épanouissement de la vie et de la culture 1 NOE, p. 146. 2 A lire sur ce sujet : Michel Serres, Le Contrat Naturel, Paris, François Bourin, 1990. 3 NOE, p. 209-210.
16
humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine.
L’épanouissement de la vie non humaine requiert une telle diminution1 ». Ferry, lui,
aimerait « qu’on nous explique au juste comment on entend mettre en oeuvre cet
objectif hautement philanthropique »2. Selon lui, les déclarations misanthropes de
Brière et Fréchaut ne sont pas qu’un « délire de marginaux qui n’expriment pas le
sentiment général, pacifiste, des écologistes radicaux »3, au contraire, ils disent « tout
haut ce que beaucoup pensent tout bas »4 . Il partage donc les soucis de Jean-
Christophe Rufin, qui voit le même danger dans cette doctrine de l’écologie profonde.
Un autre auteur français, Iegor Gran, s’exprime également contre l’idée que la Terre
est surpeuplée dans L’écologie en bas de chez moi5.
Un chapitre du Nouvel Ordre écologique a suscité la polémique à un degré
élevé, et ceci pour une bonne raison : Ferry y décrit comment le droit de l’animal
trouve ses origines dans le nazisme. Il s’aventure là sur un terrain glissant, puisqu’
une comparaison au nazisme est une technique argumentative qui est souvent difficile
à manier. Ferry dit que les écologistes profonds ont « la même hantise d’en finir avec
l’humanisme »6 et que cette obsession « s’affirme de façon parfois névrotique, au
point que l’on peut dire de l’écologie profonde qu’elle plonge certaines de ses racines
dans le nazisme et pousse ses branches jusque dans les sphères les plus extrêmes du
gauchisme culturel »7. Ce sont là des déclarations très dures attaquant une philosophie
qui jouit quand-même d’un grand respect et d’une grande popularité en dehors de la
France.
Ferry se demande finalement quelle est la bonne alternative pour l’écologie
profonde qu’il dénonce. Pour lui, la réponse se trouve dans ce qu’il appelle l’écologie
démocratique. Notons que Ferry croit très fort dans les capacités de notre société :
Que ce soit par un surcroît de science et de technique que nous parvenions un jour à résoudre les questions qu’aborde l’éthique de l’environnement est plus que probable8.
1 Arne Naess, « The Deep Ecological Movement: some philosophical aspects », Philosophical Inquiry (Thessaloniki), 8, 1986, p. 23-31. Traduit par Luc Ferry. 2 NOE, p. 127. 3 NOE p. 127. 4 NOE, p. 127. 5 Iegor Gran, L’écologie en bas de chez moi, Paris, P.O.L, 2011. Ci-après EEBDCM. 6 NOE, p. 180. 7 NOE, p. 180. 8 NOE, p. 191.
17
Il avoue cependant que les défis écologiques sont réels et importants et qu’ils méritent
d’être pris au sérieux. De ce fait, il trouve nécessaire que l’écologisme soit intégré «
dans un cadre démocratique »1. Pour lui, c’est « une affaire trop sérieuse »2 pour en
laisser la monopolie aux écologistes profonds. Il conclut que l’écologie profonde n’a
pas de place dans la politique française et qu’elle doit se réaliser qu’elle ne saurait au
mieux que constituer un simple groupe de pression3.
Le livre de Luc Ferry a évidemment donné lieu a des discussions dans les
médias. Une chercheuse qui a critiqué Ferry est Catherine Larrère, philosophe
française. Dans Philosophies de l’environnement, Larrère porte une attention
particulière à l’écologie profonde. Elle aussi a décidé de traiter le sujet, pour que
l’image négative qu’en a donne Ferry ne soit pas la seule référence en France4. Dans
Les deux âmes de l’écologie, Romain Felli, géographe et docteur en sciences
politiques, a relevé quelques points contestables dans Le Nouvel Ordre écologique.
Selon lui, Ferry ne mène pas une discussion pertinente. Au lieu de l’opposition entre
écologie profonde et écologie humaniste ou démocratique, Felli propose de se
concentrer sur le contraste entre ce qu’il nomme « écologie par en bas » et « écologie
par en haut »5.
Felli explique ainsi cette distinction : l’écologie par en bas est caractérisee par
« des idées d’autonomie, d’autogestion, de décentralisation, de critique de la
technique, de dépassement du capitalisme »6 alors que l’écologie par en haut l’est par
« des idées de centralisation, de planification, de technique, d’expertise »7. Ces deux
termes sont grosso modo comparables aux concepts de l’écologie profonde d’une part
et de « cornucopia » et d’écologisme d’autre part. Les cornucopiens et les écologistes
supportent le système capitaliste et ont confiance en la capacité de l’humanité de
résoudre les problèmes écologiques par la science. Les écologistes profonds mettent
1 NOE, p. 191. 2 NOE, p. 191. 3 NOE, p. 216. 4 Catherine Larrère, Les Philosophies de l’environnement, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, p. 19. 5 Romain Felli, Les deux âmes de l’écologie, Paris, Harmattan, 2008, p. 13. 6 Ibid., p. 13. 7 Ibid., p. 14.
18
en question le capitalisme et la croyance aveugle dans le progrès et la science. Nous
pouvons placer Luc Ferry dans le premier camp, puisqu’il croît à la force illimitée de
la science et s’oppose à l’écologie profonde.
Felli se concentre dans son livre sur les dangers de l’écologie d’en haut qui a
pris un énorme essor durant les vingt dernières années. Il s’en méfie parce qu’elle
donne lieu au greenwashing et à des mesures selon lui superficielles. C’est sur ce
problème qu’il veut attirer l’attention plutôt que sur le soi-disant danger de l’écologie
profonde. Selon lui, cette problématique est beaucoup plus importante que celle que
souligne Ferry. Felli trouve que Ferry se concentre trop sur la dénonciation de
l’écologie profonde, qui, selon lui, n’est pas une discussion pertinente en France,
puisqu’il s’agit d’un mouvement majoritairement anglo-saxon. On peut présumer que
Felli se trouve plutôt du côté de l’écologie profonde parce que lui aussi ne croît pas à
la capacité illimitée de la science, et parce qu’il a des doutes sur l’éfficacité du
système capitaliste en ce qui concerne la résolution des problèmes scientifiques.
Elisabeth Hardouin-Fugier a pour sa part concentré son attention sur l’écologie
« nazie » à laquelle Ferry dédie un chapitre. Elle accuse l’auteur d’avoir créé un
mythe trompeur qui dépeint Hitler et les nazis comme étant à l’origine de l’écologie
radicale, et ceci en abusant des sources documentaires allemandes qu’il ne référencie
même pas correctement. En citant et les lois allemandes mentionnés par Ferry et en
les replaçant dans leur contexte, elle prouve que les assertions de Ferry sont sans
fondement et n’ont pour objectif que de renforcer son argument contre l’écologie dite
radicale1. Elle insiste sur le fait qu’en tout état de cause l’éthique nazie en matière de
protection de l’animal et de reconnaissance de droits au bénéfice de celui-ci, qui fait
l’objet de ces lois, n’a en fait pas grand chose à voir avec la thématique centrale de
l’essai : l’écologie profonde. L’association entre les deux questions n’aurait dès lors
aucun sens.
Hervé Kempf est un autre des opposants de Ferry. Kempf est un journaliste et
auteur de nombreux oeuvres de non-fiction sur des thèmes actuels comme le
réchauffement climatique, les OGM, le capitalisme et les crises économiques. Comme 1 Elisabeth Hardouin-Fugier, « La Protection législative de l’animal sous le nazisme », Luc Ferry ou le rétablissement de l’ordre (Paris), Editions Tahin Party, 2002, p. 137.
19
Ferry, Kempf ne craint pas la caméra : il se montre souvent dans des débats télévisés
où il est étiquetté comme l’écologiste par excellence, face à avec des auteurs comme
Pascal Bruckner.
Dans son essai La Baleine qui cache la forêt, enquêtes sur les pièges de
l’écologie, paru en 1994, deux ans après Le Nouvel Ordre Ecologique, il réagit
directement aux propos de Ferry avec un chapitre très détaillé intitulé Sous l’écologie,
le fascisme. Il s’efforce de décortiquer les arguments de Ferry et relève de nombreux
défauts : manque de références, fautes de noms, citations tirées abusivement de leur
contexte. Comme Hardouin-Fugier, il s’en prend au chapitre sur le nazisme et au lien
que Ferry établit entre cette idéologie et l’écologie profonde1. Il conclut son chapitre
en déclarant que Ferry n’écrit pas réellement contre l’écologie profonde, mais défend
plutôt un point de vue conservateur qui est partagé par une bonne partie de la
population française.
Le livre de Luc Ferry a connu une grande popularité et a suscité une
multitudes de réactions. Ce fait prouve déjà que le sujet de l’écologie en géneral, et de
l’écologie profonde en particulier, ne laisse pas froid le public français. L’influence
de Ferry est grande, comme nous le verrons dans l’oeuvre de Pascal Bruckner et de
Jean-Christophe Rufin. Le Nouvel Ordre écologique constitue donc, qu’on le regrette
ou non, un livre fondateur pour les discussions sur l’écologie en France.
1.3 Les enjeux de l’écologie profonde dans Le Parfum d’Adam
Jean-Christophe Rufin est un auteur français populaire. Il est à la fois écrivain,
historien, diplomate et médecin. En 2001, il a obtenu le Prix Goncourt pour son
roman Rouge Brésil. Dans le roman qui suit, Globalia, nous pouvons déjà distinguer
un thème écologique, puisque la globalisation dont parle le livre est fortement liée à la
thématique environnementale.
1 Hervé Kempf, La Baleine qui cache la forêt : enquêtes sur les pièges de l’écologie, Paris, Cahiers Libres, 1994. En ligne.
20
Mais c’est dans Le Parfum d’Adam, roman paru en 2007, qu’il s’attache
vraiment à la thématique écologique. Rufin mélange ses connaissances de la
médecine, des services secrets et de l’écologie. Ce dernier thème est au cœur du
roman ; toute l’intrigue tourne autour de l’écologie. Les personnages principaux, Paul
et Kerry, découvrent qu’un groupe d’écologistes radicaux envisagent d’éliminer une
grande partie de la population pauvre du monde. Ceux-ci veulent parvenir à leurs fins
en provoquant une épidémie de choléra. Le thème de la réduction de la population
mondiale fait immédiatement penser à un des principes de l’écologie profonde prôné
par Arne Naess, même avec certaines nuances : « L’épanouissement de la vie et de la
culture humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population
humaine. L’épanouissement de la vie non humaine requiert une telle diminution1 ».
Rufin a un point de vue sur l’écologie similaire à celui de Luc Ferry. Il
s’exprime contre l’écologie dite radicale, qui repousse l’anthropocentrisme et met la
nature au centre des considérations. Les deux auteurs préfèrent une autre approche :
une écologie qui place l’homme au-dessus du monde naturel et qui lui accorde plus de
valeur que les animaux, les paysages et les arbres. Dans Le Parfum d’Adam, Kerry,
pendant une réunion d’agents secrets, explique la différence entre ces deux types
d’écologie :
- Il y a toujours eu deux courants dans l’écologie américaine. L’un, qu’on peut appeler humaniste, considère qu’il faut protéger la nature pour faire le bonheur de l’homme. C’est une perspective morale dans laquelle l’essentiel reste l’être humain et son avenir. - C’est la version modérée, « raisonnable » si l’on veut, de l’écologie, précisa Kerry, qui tenait à montrer qu’elle considérait ce débat comme essentiel. - L’autre courant, au contraire, est anti-humaniste. Il a toujours existé et il revient périodiquement au premier plan. Pour les tenants de cette conception, l’être humain n’est qu’une espèce parmi d’autres. Il s’est approprié indûment tous les pouvoirs et tous les droits. Il faut le remettre à sa place. Défendre la nature suppose de donner des droits à toutes les espèces et même aux végétaux, aux roches, aux rivières. La nature est un tout en elle-même et pour elle-même. Elle peut vivre sans l’homme tandis que l’inverse n’est pas vrai2.
On ressent on ne peut plus clairement qu’il y a là une préférence pour le premier
courant décrit, qui est montré comme étant le plus sensible, le plus raisonnable. Cette
1 Arne Naess, « The Deep Ecological Movement: some philosophical aspects », Philosophical Inquiry (Thessaloniki), 8, 1986, p. 23-31. Traduit par Luc Ferry. 2 PDA, p. 182-183.
21
écologie humaniste n’est plus vraiment mentionnée explicitement dans le reste du
roman, mais elle demeure diamétralement opposée à l’écologie anti-humaniste, qui
elle est décrite en long et en large. Le roman semble parfois être l’histoire d’un long
combat contre l’écologie profonde, ou comme une défense de la philosophie
humaniste. Le courant anti-humaniste est traité comme l’ennemi du genre humain. Le
monologue de Kerry est completé par quelques pages d’explications théoriques sur
cette écologie radicale, dont on peut citer l’extrait suivant :
Empêcher le ruissellement de l’espèce humaine, […] cela veut dire tuer. - Pas nécessairement, objecta Kerry. Il y a longtemps que l’écologie résonne de déclarations de ce genre. J’en ai trouvé une chez le grand philosophe Ehrenfeld, qui n’a rien d’un criminel, et dont les écrits sont au programme des meilleures facultés. Je le cite : « L’humanisme doit être protégé contre ses propres excès. » Ils sont hostiles aux programmes humanitaires d’urgence car ils diminuent la mortalité dans des zones où la natalité reste très élvée. Ce faisant, ils aggravent encore le deséquilibre dont souffrent ces régions. […] La pandémie du sida, qui était alors à son apogée, est citée par eux comme une contribution utile à la prédation de l’espèce humaine. - C’est absolument ignoble. - Oui1.
A nouveau, nous ressentons bien que l’auteur fait la critique de cette idéologie dite
radicale. L’ensemble du roman est d’ailleurs construit autour de deux personnages
sympathiques, Paul et Kerry, qui livrent combat contre ce courant écologique. Kerry
essaie d’illustrer la gravité du problème en citant des exemples extrêmes :
Alors, les conséquences sont énormes. Pour les anti-humanistes, l’écologie doit se faire contre les hommes. On trouve cette tendance dès les débuts du 19ème siècle. John Muir, le fondateur du Sierra Club, l’inventeur de l’écologie moderne, a écrit par exemple : « Si une guerre des races devait survenir entre les bêtes sauvages et sa majesté l’Homme, je serais tenté de sympathiser avec les ours. » Et John Howard Moore surenchérit : « L’Homme est la plus débauchée, ivrogne, égoïste, la plus hypocrite, misérable, assoifée de sang de toutes les créatures. » - Il dit l’Homme, plaisanta Kerry. Je ne me sens pas concernée2.
Rufin utilise une même technique que Luc Ferry : il se réfère à des auteurs qui ont
mené la philosophie à l’extrême et il en tire des conclusions sur le mouvement en
général. Mais Rufin met également en relief la vie et les pensées de Juliette, une fille
qui adhère à l’écologie profonde. Elle est dépeinte comme quelqu’un de sympathique,
quoique un peu déphasé et fanatique. Mais à la fin du livre, Juliette décide de 1 PDA, p. 186. 2 PDA, p. 183.
22
dénoncer l’écologie radicale et elle se joint à l’équipe idéale de Paul et Kerry ; ils
conjuguent leurs efforts pour mettre fin aux plans sinistres des Nouveaux Prédateurs,
les écologistes profonds. Nous pouvons donc conclure que tous les personnages qui
sont du « bon côté » s’expriment contre l’écologie radicale. Ce sont aussi les seuls
personnages dont le caractère est réellement développé psychologiquement dans le
roman : on a accès à leurs pensées et leurs émotions.
Notons aussi que certaines de ces citations paraissent presque sorties d’une
conférence ou d’un cours : elles ont un clair but didactique. Les personnages de Rufin
citent des philosophes et ils ont lu les romans fondateurs de l’écologie. Ils donnent
l’impression de savoir de quoi ils parlent, et s’efforcent d’expliquer de manière
convaincante les dangers de l’écologie radicale à leur public. L’auteur lui-même
confirme ses motifs éducatifs dans la postface du roman en disant qu’il veut « faire
découvrir de manière simple la complexité de ce sujet et l’importance capitale des
enjeux qui s’y attachent »1. Dans cette postface, Rufin explique comment l’écologie
profonde constitue un danger réel. De nouveau, Rufin emploit des citations très
extrêmes pour illustrer ce que c’est l’écologie profonde :
Les citations de ce livre sont toutes exactes, y compris les plus ahurissantes , comme celle de William Aiken : « une mortalité humaine massive serait une bonne chose. Il est de notre devoir de la provoquer. C’est le devoir de notre espèce, vis-à-vis de notre milieu, d’éliminer 90% de nos effectifs » (Earthbound : Essays in Environmental Ethics)2.
Une technique dangereuse, puisque Rufin fait en quelque sorte mentir les écologistes
profonds qui n’ont rien à voir avec ces déclarations. Il se penche aussi sur le fait qu’en
France on parle très peu de l’écologie profonde :
Pour des lecteurs français, ce type de déclaration [comme celle de William Aiken] ne peut être le fait que d’extrémistes minoritaires et irrésponsables. L’écologie, dans notre pays, emporte la sympathie de nombreuses personnes sincères qui ne partagent en rien de telles idées. […] Du coup, on en oublie le visage que peut prendre l’écologie dans d’autres pays, aux Etats-Unis ou en Angleterre par exemple. […] Il reste que l’existence d’une écologie violente est incontestable3.
1 PDA, p. 535. 2 PDA, p. 534. 3 PDA, p. 534.
23
Cette citation semble impliquer que les Français auraient tort de ne pas se méfier de
l’écologie, et une déclaration du type de celle de Aiken ne représenterait pas
simplement l’opinion d’une personne ou d’un groupe minoritaire. Nous pouvons nous
demander si ceci est vraiment le cas, puisque la grande majorité des écologistes
profonds n’expriment jamais un quelconque accord avec de telles déclarations. Rufin
utilise des citations pour renforcer son propos et il conclut son livre par une liste des
sources qu’il a consultées et exploitées pendant la rédaction de son texte. Il est peu
commun d’avoir une postface si informative à la fin d’un roman d’espionnage, même
bien documenté. Nous pourrions présumer que Rufin veut être absolument sûr d’avoir
fait passer son message dans le roman lui-même, et qu’il veut une dernière fois
souligner le risque que pose l’écologie profonde, en France comme aux Etats-Unis.
24
2. L’écologisme : pour et contre
2.1 Généralités
Greg Garrard distingue deux types d’écologisme : l’approche modérée et les
visions plus radicales. Dans le premier groupe, il identifie deux types : la cornucopia,
que nous ne pouvons pas vraiment appeler un type d’écologie, et l’«
environmentalism » ou écologisme. Le premier type, cornucopia, un nom qui veut
dire ‘corne d’abondance’, comprend les voix de ceux qui considèrent que les dangers
environnementaux sont en réalité exagerés ou illusoire. Des économistes capitalistes
en particulier mettent en avant ces idées. Ils pensent que les économies capitalistes
créeront automatiquement des solutions pour les problèmes écologiques. Pour eux, la
rareté des ressources est un phénomène économique et non écologique. La réponse à
cette rareté sera selon eux apportée par les entrepreneurs capitalistes. Ils ne poussent
donc pas la population à consommer moins, contrairement aux écologistes. Le
capitalisme apportera toujours des solutions pour les problèmes écologiques ; ce
mouvement met donc en avant l’idée que les ressources sont illimitées. Leur position
n’est en fait pas soucieuse de l’environnement du tout : la nature n’a de la valeur que
dans son utilité pour l’homme. Elle n’a à leurs yeux pas de valeur intrinsèque.
Le second type, que Garrard appelle l’« environmentalism » et qui relève
toujours de l’approche dite modérée, est défini comme suit dans son livre : les «
environmentalists » ou écologistes comme ceux qui s’inquiètent au sujet du
changement climatique et de la pollution, mais qui veulent néanmoins garder ou
améliorer leur standard de vie. Leurs activités vertes sont très diversifiées : aller se
promener dans la nature, acheter des produits biologiques, recycler ses déchets, ou
même participer à des actions pour la conservation d’un espace vert. Les écologistes,
si l’on s’en tient à cette définition, constituent une partie énorme de la population.
Leurs idées vertes sont largement répandues et ont une grande influence. Garrard
décrit ainsi les conséquences de la popularité de l’écologisme, néfastes ou pas : «
Political parties must at least pay lip service to it [environmentalism], and industries
respond in ways that range from costly modifications to production processes to
merely cosmetic ‘greenwashing’ to appeal to or appease it1 ».
1 Greg Garrard, op. cit., p. 19.
25
L’écologisme ne mène donc pas toujours à des changements durables, mais
plutôt à des mesures superficielles prises par les grandes entreprises ou promises par
des hommes politiques voulant teinter en vert leur image. Malgré cette superficialité,
l’écologisme a une influence considérable sur le plan politique et économique, et peut
parfois inciter à des changements à long terme. Les critiques plus radicaux se méfient
du mouvement de l’écologisme à cause justement de sa superficialité : « At the same
time, environmentalism, or ‘shallow environmentalism’ as it has been called, has been
attacked by radical critics for the compromises it makes with the ruling socio-
economic order1 ». Cet écologisme modéré n’a pas beaucoup de défenseurs dans la
critique, la philosophie ou la littérature. Il s’agit en revanche d’un mouvement très
large, diffus idéologiquement et sans fondations réelles dans la philosophie,
contrairement à l’écologie profonde.
L’écologisme a déjà marqué des points quant à la diffusion des habitudes de
recyclage, à l’adoption du protocole de Kyoto, à l’idée du développement durable et à
la prise de conscience générale sur les problèmes écologiques. Mais toutes ces
réalisations ne semblent pas suffire pour déclencher un vrai changement pouvant
sauver la planète : la destruction de plus en plus rapide de l’environnement en est le
témoin. Selon la philosophie plus radicale de l’écologie profonde, le terme même
d’environnementalisme montre la grande faiblesse de ce mouvement :
l’environnement dans cette expression fait référence à ce qui entoure l’homme, et
resterait donc coincé dans une vision anthropocentrique. Cette nuance est perdue dans
le mot français « écologisme », plus souvent utilisé en France, mais cette expression
montre bien la différence entre les groupes plus modérés et les groupes plus radicaux :
les uns gardent l’homme au centre de leur propos, les autres considèrent le système
écologique entier comme le centre du monde et de leur philosophie.
1 Ibid., p. 19.
26
2.2 Iegor Gran et l’écologisme en bas de chez lui
Iegor Gran est un auteur français qui n’hésite pas à mélanger des thématiques
actuelles à la fiction, avec une bonne dose d’ironie et d’humour noir. C’est avec
O.N.G !, un roman qui a obtenu le Grand Prix de l’humour noir en 2003, qu’il se met
pour la première fois sur la voie de l’écologie comme thème. Dans ce roman, il décrit
la guerre entre deux ONG, une écologique et une humanitaire, qui habitent le même
immeuble et qui défendent passionnément leurs bonnes causes respectives. Gran se
moque de l’écologisme de La Foulée Verte, l’ONG verte du roman et du monde des
ONG en général. L’image au vitriol qu’il donne de La Foulée verte sera renforcée
quelques années plus tard dans L’écologie en bas de chez moi, paru chez P.O.L.
Le titre même annonce le sujet de ce dernier ouvrage : la place qu’occupe
l’écologie dans notre société actuelle et dans la vie quotidienne de l’auteur même. La
couverture du livre identifie le genre comme étant un récit, mais la maison d’édition
P.O.L elle-même, dans son résumé du livre, indique que cette étiquette recouvre une
thematique plus large : « il s'agit d'un récit tout autant qu'un essai, d'une autofiction
tout autant qu'un roman1 ». Le récit débute par un chapitre sur le film Home de Yann
Arthus-Bertrand. Pour Gran, l’omniprésence de ce film est la goutte qui fait déborder
le vase :
Je pose le tract [un papier qui annonce la diffusion du film à la télé] sur le bureau. Je le relis. « Ensemble, nous pouvons faire la différence. » On y entend le brouhaha de la populace. La dynamique de la meute. La collectivité grogne. Elle est venue me chercher. Elle me demande des comptes, réclame un engagement. Je pourrais les ignorer, mais pour combien de temps ?... Le tic-tac du monde a changé d’intonation2.
Il est agacé par une nouvelle force, qu’il définit comme étant idéologique, qui veut le
forcer à prendre de bonnes habitudes écologiques. Le tract qu’il trouve en bas de chez
lui le pousse à écrire un article pour le quotidien Libération : cet article est décrit dans
le récit autofictionnel, mais a effectivement paru dans Libération le 4 juin 2009. Gran
mélange donc autobiographie et fiction. Dans l’article, Gran critique Home parce que
le film, pour transmettre son message écologique, valorise les indigènes et leur mode
1 P.O.L, « L’Ecologie en bas de chez moi », site web des Editions P.O.L, www.pol-editeur.com, consulté le 1er mai 2012. 2 EEBDCM, p. 11.
27
de vie primitif, et dénonce les villes modernes qui sont trop polluantes. Yann Arthus-
Bertrand utiliserait ces images de primitifs et de villes occidentales pour illustrer
l’abîme entre la nature et la culture et arriver à la conclusion que notre civilisation
moderne a perdu le lien précieux qui l’unissait à son environnement. Gran, avec son
ironie caractéristique, dénonce ces images négatives de notre modernité dans son
article :
Blattes des pays pauvres, votre mode de vie est tellement tendance ! Il en va autrement de la blatte occidentale. Franchement, on a envie de l’écraser, cette blatte-là ! Lui faire bouffer les stations de pompage, les plates-formes off-shore, les usines qui puent, les aérodromes ! […] Quand il entend le mot culture, Yann sort son hélicoptère. Produit par Luc Besson, grand pourvoyeur de finesse devant l’Eternel, il nous assène quelques vérités grosses comme Las Vegas. Imagine-t-on combien il a fallu gaspiller de ressources fossiles pour construire cette ville inutile ? Terrifiantes images de mégalopoles : la bande-son devient angoissante, tendue. Los Angeles - quelle horreur ! New York, Dubaï - monstrueux ! Ne dirait-on pas des monolithes extraterrestres, de vilaines colonies venues de l’espace1 ?
Il est clair que Gran, lui, n’apprécie pas que Arthus-Bertrand dénonce la civilisation
occidentale. Son article a suscité beaucoup de discussion dans la presse française. La
plupart des critiques de Home étaient très positives, parce qu’au fond ce film montre
la beauté du monde naturel et incite le spectateur à réfléchir sur une thématique très
actuelle. Gran quant à lui met en doute le sentiment, si naturel pour le grand public,
que le film d’Arthus-Bertrand constituerait une belle contribution au mouvement
écologique.
Dans L’écologie en bas de chez moi, Gran critique Home encore plus que dans
son article. Il y rétablit une comparaison qui avait été supprimé par l’éditeur de
Libération. Gran fait un certain lien entre Home et Le Triomphe de la volonté de Leni
Riefenstahl, célèbre film de propagande des nazis : « Alors moi : Quand la forme
choisie est celle de Leni Riefenstahl, avec sa statuaire d’images trop belles, de
musique émouvante, d’enfants qui tendent leurs bras vers l’avenir, etc., on peut avoir
de sérieux doutes sur le fond2 ». Il compare Arthus-Bertrand à Riefenstahl, parce
qu’elle aussi a photographié les tribus noires et la nature3. Il met donc l’emphase sur
1 Iegor Gran, « « Home » ou l’opportunisme vu du ciel », Libération (Paris), 4 juin 2009. En ligne. Consulté le 4 mai 2012. 2 EEBDCM, p. 21. 3 EEBDCM, p. 21.
28
l’aspect idéologique de l’écologisme, avec un lien explicite au nazisme. Les
arguments contre l’écologie profonde de Luc Ferry viennent à l’esprit : lui aussi
n’évite pas les références au nazisme pour faire passer son message. La différence est
que Gran s’en prend pas à l’écologie profonde mais à l’écologisme, un mouvement
très répandu qui est peu critiqué, du fait de ses prises de position modéré. Les seuls
vrais critiques de l’écologisme sont en réalité les écologistes profonds, qui trouvent
que l’écologisme ne va pas assez loin. Gran rejoint donc les critiques du mouvement,
mais il le fait évidemment dans une toute autre optique. Il remarque que les gestes
écologiques pénètrent dans sa vie quotidienne :
Soyons honnêtes, je n’ai pas été pris au dépourvu, pas entièrement. Depuis quelques années j’avais remarqué la pandémie, l’encombrement de vélos en bas de chez moi, les poubelles de tri sélectifs et leurs mollahs, la dame du 3, escalier C, et le généraliste crétin, toujours aux avant-postes de la surveillance, du contrôle, et, bientôt, de la rééducation forcée des récalcitrants – nous y viendrons1.
Après ces constations, il s’exprime contre tout les gestes verts que les français
entreprennent au quotidien :
Bah, la mode finira par passer, me disais-je. Le vélo, à Paris, c’est dangereux et pénible. Trier les déchets est lassant et ingrat. Le prurit se calmera, on ne le trouvera plus qu’à la marge chez quelques illuminés. N’a-t-on pas vu retomber le hula hoop et le ska punk? Pour se sentir vivre, le bobo passera à autre chose. On laissera le vert aux martiens2.
Malheureusement pour lui, la « mode » qu’il décrit ne passe pas : « [J]e me suis
trompé. Le phénomène s’est amplifié sans que je m’en rende compte. Pendant que je
rêvassais il est devenu planétaire. Home…3 ». Gran construit son récit autour de la
constation que son monde est en cours d’invasion par l’écologisme. Graduellement,
ses accusations deviennent plus graves. Après avoir suggéré un premier lien avec le
nazisme, il se lance dans la comparaison entre la cause Verte et les régimes totalitaires
:
Vincent (dans un rire) : Ce n’est pas la révolution culturelle, tout de même. Moi (contrarié) : Il y a de troublantes similitudes. Il me paraît incroyable qu’un garçon cultivé, avec un excellent sens de l’humour, un regard critique sur ses contemporains, un type que je connais depuis mes longues étudiantes, […] un esthète dont le mode de vie est à des années-lumière de l’intégrisme
1 EEBDCM, p. 11-12. 2 EEBDCM, p. 13. 3 EEBDCM, p. 13.
29
écolo, ne sente pas les gros filets de pêche d’un Arthus-Bertrand. Et quand il les voit, il hausse les épaules : « C’est pour la bonne cause. » Il faudrait commencer par définir ce que c’est une « bonne cause », tout de même. On en a connu au vingtième siècle des bonnes causes, des causes excellentes ! En Russie, en Chine, au Vietnam…1
Après s’avoir réalisé l’importance croissante de l’écologisme, Gran essaie donc de
faire comprendre à son ami que cette évolution est une révolution culturelle
importante qu’il déteste. Il propose un grand contraste au lecteur : tout le monde se
fait infliger un lavage de cerveau écologique, et lui seul n’a pas perdu le nord.
Gran aime comparer l’écologisme à la religion, comme le font d’autres auteurs
comme Pascal Bruckner, dont nous discuterons plus tard dans cette étude. Quand
Vincent, l’ami du personnage principal de L’écologie en bas de chez moi, essaie de le
convaincre de l’existence du changement climatique, Gran décrit la scène en disant
que Vincent à tenté « un processus d’évangélisation, comme le plus abruti des
témoins de Jehova »2. Il décrit son ami comme un adepte des « prophètes de sa
religion »3, c’est-à-dire Hulot et Yann Arthus-Bertrand. Gran développe davantage
encore l’argumentation de la religiosité quand il met en avant le sentiment de
culpabilité qui joue un rôle tant dans la religion chrétienne que dans l’écologisme :
Les catholiques utilisent l’eucharistie pour se purifier des péchés passés et se préserver des tentations futures. Vincent, lui, va au salon « Planète durable » à la porte de Versailles. […] Vincent aussi se sent fautif. Il observe les agressions innombrables de l’espèce humaine contre la nature et il sait qu’une part de la responsabilité collective est sur ses épaules. Si Adam et Eve, en poursuivant le mythe du progrès, ont mis en danger la planète, c’est Vincent qui en supporte le remords. Une mauvaise conscience le travaille4.
Dans un entretien accordé en 2011, Gran exprime encore plus explicitement sa
frustration quant à la mauvaise conscience qui lui est imposée. Il compare quelques
phénomènes culturels Verts aux indulgences du Moyen-Âge, par lesquelles on
pouvait acheter la rémission ses péchés : ainsi, « l’achat d’une compensation carbone
1 EEBDCM, p. 15. 2 EEBDCM, p. 43. 3 EEBDCM, p. 49. 4 EEBDCM, p. 45-47.
30
si on prend l’avion et les contributions aux ONG »1 sont, selon lui, « les symptômes
de la foi » 2.
L’ argument religieux de Gran trouve son apogée dans l’idée d’Apocalypse. Il
cite Hulot et Al Gore qui annoncent « la fin du monde » si nous ne changeons pas nos
habitudes3. Il en déduit que l’écologisme est comme une secte4, puisque l’Apocalypse
en est une des premiers caractéristiques. Gran a de grands doutes sur la légitimité des
déclarations concernant la fin du monde et le réchauffement climatique :
Combien de fois nous l’a-t-on faite ?... hein ?... dites-le-moi… sans parler de sectes… depuis le livre d’Enoch…le livre de Daniel…depuis les visions de Jean… la grande peur de l’An Mil… Nostradamus … le bug de l’an 2000… Nous aurions dû disparaître… Aujourd’hui comme hier, l’Apocalypse est à nos portes, à nos trousses, à notre hymen, c’est un miracle que l’on soit encore là, insubmersibles, malgré ce déchaînement de forces prophétiques, malgré cette pluie de malédictions5.
Le livre de Gran constitue un rejet violent du mouvement et de la pensée écologistes.
Le côté positif de cette approche « libertaire » c’est peut-être bien de chercher à faire
réfléchir les lecteurs sur leurs habitudes quotidiennes, qu’ils exécutent souvent sans
s’arrêter sur les raisons qui les poussent à agir6.
2.3 Pascal Bruckner contre le fanatisme de l’écologie
Pascal Bruckner est l’auteur de nombreux essais publiés chez Grasset, toujours
jouant sur l’actualité de la société occidentale : la reconciliation difficile entre l’amour
et la liberté dans Le Paradoxe amoureux ; la chasse au bonheur dans L’Euphorie
perpetuelle ; et, dernièrement, les dangers de l’écologisme dans Le fanatisme de
l’Apocalypse. Avec ce dernier titre, contenant deux mots à connotation religieuse,
fanatisme et Apocalypse, il insiste sur le fait que, selon lui, l’écologie prend des
dimensions religieuses dans notre société. Sur la quatrième de couverture de
l’ouvrage, le thème de religiosité est brossé comme suit : « La planète est malade.
L’homme est coupable de l’avoir dévastée. Il doit payer. Telle est la vulgate répandue 1 Iegor Gran. « L’écologie en bas de chez moi », entretien vidéo, 18 janvier 2011, YouTube. Consulté le 1er mai 2012. 2 Ibid. 3 EEBDCM, p. 36. 4 Iegor Gran. « L’écologie en bas de chez moi », entretien vidéo, 18 janvier 2011, YouTube. Consulté le 1er mai 2012. 5 EEBDCM, p. 38. 6 Iegor Gran. « L’écologie en bas de chez moi », entretien vidéo, 18 janvier 2011, YouTube. Consulté le 1er mai 2012.
31
aujourd’hui dans le monde occidental1 ». Il partage donc l’opinion de Iegor Gran, qui
établit le même parallèle entre l’écologisme et la foi dans L’écologie en bas de chez
moi. Nous regarderons comment Bruckner traite le sujet de l’écocentrisme et
comment il essaie de convaincre ses lecteurs de partager son opinion.
Les trois parties du livre déclinent chacune l'un des trois grands points qu'il a
choisi de discuter : la séduction du désastre ; les progressistes anti-progrès ; et la
grande régression ascétique. Dans la première partie, La séduction du désastre,
Bruckner cherche à expliquer comment l’écologie culpabilise l’homme et prédit une
grande Apocalypse : la fin du monde causée par le réchauffement climatique. Il décrit
comment, selon lui, le réchauffement climatique est devenu l’ennemi commun de
l’humanité2. C’est l’Homme qui a causé ce désastre écologique, et nous sommes en
quelque sorte devenus notre propre ennemi :
Qui prétendra comme le communisme substituer un autre système à nos valeurs ? Qui nous lancera un défi de cette ampleur ? L’islam intégriste ? […] Le terrorisme ? Difficile de reconstruire un adversaire crédible, dispersé aux quatre coins du globe et qui peut prendre tous les visages. Il faut aller plus loin jusqu’aux racines du mal. Et le mal, c’est notre agressivité, notre acharnement sur la nature3.
Selon Bruckner, les écologistes culpabilisent l'Homme, en l'accusant d'être
responsable du réchauffement climatique. Chaque individu serait donc pour lui
coupable, l'auteur allant jusqu'à laisser entendre qu'un voyage ou un repas pourrait,
aux yeux d'un écologiste, constituer un meurtre :
Notre vie quotidienne provoque chaque jour par son simple mécanisme d’effroyables dégâts. Se soucier de son confort égoïste peut tuer autant qu’un meurtre prémédité. Manger, se loger, voyager fait de nous des assassins en puissance dont les actes les plus anodins ont des répercussions incalculables4.
Nous voyons que Bruckner voit beaucoup d’aspects négatifs dans le mouvement
écologiste. Selon Bruckner, les écologistes nous culpabilisent et nous prédisent une
apocalypse irréversible à cause du réchauffement de la terre. A la fin du chapitre il
conclut son discours avec une comparaison entre l’Apocalypse au sens de la Bible et
l’apocalypse et écologique :
1 Pascal Bruckner, Le fanatisme de l’apocalypse, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 2011. Ci-après FDLA. 2 FLDA, p. 39. 3 FDLA, p. 23. 4 FDLA, p. 48.
32
L’apocalypse chrétienne se voulait une révélation, le passage dans un autre ordre du temps, celle-ci [l’apocalypse qu’annoncent les écologistes] est sans dévoilement, elle énonce la sentence finale : apocalypse sèche. Nulle promesse de rachat, juste un idéal de survivants, une « épidémie de remords », l’agrégation de centaines de millions d’hommes qui se repentent et tentent d’échapper au chaos. Comment s’étonner, quand tant d’esprits élevés dérapent, que fleurissent les prévisions les plus aberrantes, telle celle du calendrier maya, prévoyant la fin de la planète en décembre 20121.
Cette idée de l’apocalypse est central à l’essai de Bruckner, comme l’indique son titre.
C’est un motif très populaire dans l’écriture de la nature, sur lequel Garrard, dans
Ecocriticism, et Buell, dans The Environmental Imagination, consacrent chacun un
chapitre. Nous examinerons ce motif plus tard. Après les avoir accusé de culpabiliser
le monde entier, Bruckner mène sa campagne contre les écologistes encore plus loin.
Il distingue deux pessimismes différents dans notre société, « un pessimisme culturel
qui tend aux sociétés leur propre miroir et pointe leur abaissement moral quand elles
se montrent inférieures aux valeurs qu’elles affichent » 2 et « un pessimisme
anthropologique qui condamne la créature humaine, déchue à jamais » 3 . Les
écologistes se retrouvent alors dans la deuxième catégorie. Il décrit même l’écologiste
type comme un « vilain petit monsieur qui nous souhaite beaucoup de malheurs si
nous avons l’outrecuidance de ne pas l’écouter »4, et qui semble aimer la catastrophe5.
Dans la deuxième partie du livre, Les progressistes anti-progrès, Bruckner
discute de la vision de l’écologie sur le progrès. Il débute le premier chapitre en
montrant que les écologistes font des prédictions sur l’avenir sans fondements
scientifiques, selon lui6. Nous pouvons voir que Bruckner a de forts doutes sur la
véracité des assertions sur le changement climatique :
La responsabilité humaine est bien sûr engagée face aux phénomènes naturels, prévisibles et récurrents. Mais l’étendre à l’ensemble de la planète […] est aussi déraisonnable que la volonté scientiste de soumettre la matière. Nous n’avons pas les moyens de commander à la Création, de provoquer à volonté neige, soleil ou pluie7.
1 FDLA, p. 103. 2 FDLA, p. 96. 3 FDLA, p. 96. 4 FDLA, p. 96. 5 FDLA, p. 96. 6 FDLA, p. 119. 7 FDLA, p. 127.
33
Comme nous n’avons pas les moyens de commander la Terre, Bruckner décide que
nous ferions mieux de ne pas s’occuper trop du soi-disant changement climatique. Il
utilise parfois d’autres arguments, stéréotypés et pas très convaincants : « Après tout,
le climat de la Riviera en Bretagne, des vignes au bord de la Tamise, des palmiers en
Suède, qui s’en plaindrait1 » ? Il se moque aussi des écologistes qui veulent donner un
statut de sujet de droit à la nature, par exemple en s’imaginant qu’il faudra « assigner
[la nature] en justice chaque fois qu’une avalanche, un glissement de terrain, un
typhon détruisent non seulement des communautés humaines mais des espaces
naturels protégés ». Pour Bruckner, « étendre la sphère des existants bénéficiant de
droits, c’est simplement étendre la responsabilité humaine et multiplier ses devoirs »2
et cela revient à « plaider pour un anthropocentrisme élargi et non un écosphérisme
utopique »3, ainsi que le proposent les écologistes profonds. Bruckner s’inspire de ce
qu’il appelle une « démonstration lumineuse »4 de Luc Ferry, qui traite de cette
problématique dans Le Nouvel Ordre écologique. Dans le dernier chapitre de cette
deuxième partie de son ouvrage, Bruckner esquisse un portrait de l’écologiste qui
s’oppose à tout progrès scientifique dans notre société moderne :
A quoi reconnaît-on un écologiste ? A ce qu’il est contre tout, le charbon, même avec séquestration du CO2, le gaz naturel, le gaz de schiste, l’éthanol, le fuel lourd, le nucléaire, le pétrole, les barrages, les camions, le TGV, la voiture, l’avion. Comme la poupée de la chanson de Polnareff, il dit toujours non et non5.
Bruckner conclut cette partie par un dernier portrait de l’écologie qui résume la
position de l’auteur : « Le vrai désir de cette mouvance n’est pas la sauvegarde de la
nature mais le châtiment de l’homme6 ».
Dans la partie finale, intitulée La grande régression ascétique, Bruckner
consacre trois chapitres à la dénonciation de la vie simple et sobre que certains
écologistes appuient. Son premier chapitre décrit le mode vie que l’écologiste est
censé défendre : « Puisque notre mode de production détruit les ressources de la
planète, ce sont nos désirs en premier lieu qu’il faut borner, c’est le sens de la
1 FDLA, p. 121. 2 FDLA, p. 134. 3 FDLA, p. 134. 4 FDLA, p. 134. 5 FDLA, p. 194. 6 FDLA, p. 194.
34
restriction qu’il faut inculquer à tous1 ». Puis, Bruckner dédie même un paragraphe à
ce qu’il appelle la « sacralité du fumier », ou le mouvement qui encourage les gens à
créer des jardins potagers. De nouveau, Bruckner réussit à trouver une métaphore
religieuse. Tout à la fin de cette dernière partie, Bruckner, par analogie avec Ferry,
ose également suggérer, de manière allusive, un parallèle avec le nazisme :
Que ces derniers [les écologistes totalitaires] l’emportent, à la faveur d’une crise, d’un chantage, que les extrémistes submergent les modérés et la nouvelle sobriété aura le goût amer des camps et des prisons. La meilleure des causes, entre de mauvaises mains, peut dégénérer en abomination. Cela reste la grande leçon du XXe siècle2.
Bruckner semble être sur la même voie que Luc Ferry la plupart du temps ; les deux
auteurs s’expriment contre l’écocentrisme, contre les dimensions idéologiques que
prend l’écologie et pour le progrès sans limites. On trouve également dans leurs
œuvres des similarités avec Gran, qui lui aussi dénonce la « régression ascétique »3.
1 FDLA, p. 203. 2 FDLA, p. 238. 3 FDLA, p. 199.
35
3. L’écriture de la nature : admiration et défense de
l’environnement
3.1 L’écriture de la nature aux Etats-Unis et en France
L’écriture de la nature est un genre bien répandu aux Etats-Unis, sous le terme
de « Nature Writing ». Dans d’autres pays du monde, cette littérature occupe
également un certain espace dans le paysage littéraire, quoique de manière moins
importante. Aux Etats-Unis, la Nature Writing fait plus ou moins partie de la culture
générale. Un des textes fondateurs de la littérature américaine est Walden; or, Life in
the Woods, d’Henry David Thoreau. Ce texte ne constitue donc pas seulement le
premier texte « canonique » de la Nature Writing, mais également un classique
littéraire important dans un sens plus général. Cette œuvre nous indique déjà
l’importance de la nature dans la culture américaine. La nature est fortement ancrée
dans la vie quotidienne des Américains, actuelle ou passée : il suffira d’évoquer ici la
chasse, l’idée du « great outdoors », les parcs nationaux qui sont la fierté du pays, les
« camping trips » en famille. Dans la littérature américaine, la nature constitue un
thème central, aussi bien dans les ouvrages classiques de Thoreau ou d’Emerson que
dans la littérature contemporaine de Rick Bass, Edward Abbey, Annie Dillard, Aldo
Leopold, que nous avons évoqué plus haut, et Jim Harrison. L’écriture de la nature
constitue un véritable genre aux Etats-Unis, qui a gagné encore plus de popularité
grâce à la sensibilité élevée aux problèmes environnementaux durant les dernières
années. Elle est également très présente dans les départements de littérature des
universités aux Etats-Unis; les étudiants peuvent même suivre des masters en Nature
Writing, et des cours d’écocritique sont disponibles dans un grand nombre
d’universités. En France, l’attention pour l’écriture de la nature est limité, les auteurs
francophones étant délaissés au profit des américains. Alain Suberchicot peut être
cité en exemple en tant que chercheur français accordant beaucoup d’attention aux
auteurs américains du Nature Writing, par exemple en publiant un ouvrage en français
sur la Nature Writing intitulé Littérature américaine et écologie.
En France, la situation est bien différente pour l’écriture environnementale. La
nature sauvage et incommensurable que l’on rencontre aux Etats-Unis et les habitudes
attachées à la place occupée par cette nature n’ont jamais fait partie de la culture des
36
Français. L’importance de l’agriculture et surtout de la ville est de ce point de vue
significative : la campagne et la ville se sont développées tôt en France. A cause de ce
fait, les artistes, écrivains inclus, se sont plutôt tournés vers la vie urbaine. La ville
joue aussi un rôle important dans l’œuvre des mouvements d’avant-garde qui ont une
grande influence sur la culture française1. L’écriture de la nature n’a donc pas de
racines culturelles profondes en France, ce qui explique qu’il est difficile de trouver
un vrai courant d’écriture de la nature dans la littérature contemporaine française. Au
milieu du vingtième siècle, c’est Jean Giono qui vient immédiatement à l’esprit
comme figure proéminente, sans cependant permettre de conclure que la culture
française a donné naissance à une littérature de la nature ou de l’environnement.
Pourtant, un nombre croissant d’auteurs comme Mingarelli, Trassard, Bucher et Leys
se tournent maintenant vers la nature dans leurs œuvres, au moins partiellement, à
cause des menaces écologiques pesant de nos jours sur la planète. De plus, les
ouvrages relevant pas de la fiction et qui prennent pour thème l’environnement
connaissent également une grande croissance en France. La Nature Writing des Etats-
Unis commence à être de plus en plus traduite en français, la maison d’édition
Gallmeister en particulier faisant des efforts importants sur ce plan-là. André Bucher,
grand amateur de ces écrivains américains, espère que de telles traductions aideront la
propagation de l’écriture de la nature en général, qu’elle soit anglophone ou
francophone2.
Les médias accordent de plus en plus d’attention aux questions de
l’environnement. Les auteurs sont souvent invités pour discuter de leurs œuvres sur
les plateaux de télévision. Ce sont souvent les œuvres ne relevant pas de la fiction qui
forment la base de débat lors de ces émissions, parce qu’ils sont souvent plus
sensationnels et suscitent la polémique. Des auteurs dont nous avons parlé
s’aventurent de temps en temps dans ces débats, comme Pascal Bruckner, Hervé
Kempf et Iegor Gran. La presse écrite, pour sa part, notamment Le Monde des livres
et Le Matricule des anges, ouvrent de plus en plus leur tribune à des écrivains de la
nature, aussi bien américains que français. Le Prix Nobel pour J.M.G. Le Clézio a
1 Pierre Schoentjes, « Texte de la nature et nature du texte », Poétique (Paris), 164, novembre 2010, p. 477. 2 André Bucher, entretien personnel réalisé le 17 avril 2012 à Montfroc.
37
aussi attiré l’attention sur une littérature qui est sensible au monde naturel, même si ce
sont principalement les paysages lointains qui jouent un rôle dans son œuvre.
Nous examinerons dans la suite de cette étude comment différents auteurs
français de fiction et de non-fiction traitent le sujet de la nature dans leur œuvre. Pour
ce qui est de la fiction, nous nous pencherons sur les œuvres d’André Bucher et
d’Hubert Mingarelli. Il s’agit là d’un beau corpus édifié par deux auteurs marquants
de l’écriture de la nature contemporaine en France, qui accordent une attention
particulière au monde sauvage ; selon Bucher, lui et Mingarelli sont les deux auteurs
principaux qui s’intéressent à cette nature sauvage française1. Le Manifeste pour la
Terre et l’Humanisme de Pierre Rabhi est l’œuvre de non-fiction qui complète ce
corpus.
3.2 Présentation du corpus
Il est important de présenter rapidement les trois auteurs dont les ouvrages
constituera notre corpus. André Bucher est l’auteur à qui nous accorderons le plus
d’attention. Sa biographie peut nous apprendre beaucoup sur son point de vue sur
l’écologie et la nature. Il a pratiqué une multitude de professions, souvent en pleine
nature : berger, bûcheron, ouvrier agricole. Il y a plus de quarante ans, il a commencé
à travailler comme agriculteur biologique, au bord du petit village de Montfroc. C’est
dans ce lieu, au milieu des Alpes, qu’il écrit ses romans2. Il n’est donc pas un écrivain
à temps plein, même si, en hiver, quand il y a moins de travail dans les champs, il a
presque toute la journée à consacrer à son écriture. Son exploitation agricole se trouve
dans une vallée qui joue souvent un rôle prépondérant dans ses romans. La vallée du
Jabron est située dans le Midi, sur la frontière des départements des Alpes-de-Haute-
Provence et de la Drôme. Bucher esquisse une image de sa vallée dans son premièr
roman publié, Pays à vendre :
La vallée du Jabron se tient encaissée sous les coups de boutoir de la montagne de Lure et de différents monts de moindre altitude en aldret. Elle s’effeuille, s’essouffle, parralèle à la vallée de Durance, et resiste encore un peu au déferlement touristique –bientôt propulsé à grands coups d’autoroute, Marseille-Sisteron, Sisteron-Grenoble. C’est une belle vallée[.]3
1 André Bucher, entretien personnel réalisé le 17 avril 2012 à Montfroc. 2 Pascale Arguedas, « André Bucher », http://calounet.pagesperso-orange.fr/, 3 mai 2012. 3 André Bucher, Pays à vendre, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2005, p. 17-18.
38
Dans les années 70, Bucher était un des premiers agriculteurs à choisir l’agriculture
biologique ; il a travaillé dur avec ses collègues pour lancer le bio. Il continue à
promouvoir ce type d’agriculture aujourd’hui. Chaque année, il organise une foire
biologique dans le petit village de Montfroc qui attire un grand public. Il y organise
aussi un petit festival littéraire avec son épouse. Les éditeurs de Bucher aiment aussi
mentionner le défi qu’il a relevé dans les années 80 : à cette époque, il a planté plus
que 20 000 arbres pour créer une énorme forêt riche en biodiversité1. Un des
personnages de Bucher, David dans Déneiger le ciel, a une même passion pour les
arbres : « Il réalisa qu’il préférait planter les arbres plutôt que de les couper2 ». Nous
verrons que l’engagement poussé de l’auteur s’infiltre dans ses romans, où on
retrouve une même passion pour tout ce qui est nature.
Hubert Mingarelli accorde également une attention particulière à la nature
dans son œuvre. Il a connu une jeunesse turbulente et a voyagé partout en Europe.
Tout comme Bucher, il a eu plusieurs occupations différentes : peintre, dessinateur,
ouvrier d’usine, éclairagiste, pompiste,…3 Dans ses livres, la thématique de la relation
père-fils joue presque toujours un rôle au sein de l’histoire. Ses personnages sont des
gens simples, qui travaillent avec leurs mains pour gagner leur vie. L’intimité et la
nature forment la base de ses histoires : « On apprécie […]cette qualité du regard posé
sur la nature, la précision des détails qui désigne la cristallisation d'une expérience
intime4 ». Mingarelli habite en montagne, en Isère ; pas loin de la vallée de Bucher.
Ils se voient de temps en temps5.
Dans ce courant littéraire particulier, nous pouvons également placer une
œuvre de non-fiction de Pierre Rabhi, le Manifeste pour la Terre et l’Humanisme.
Rabhi est un écrivain français d’origine algérienne qui habite aujourd’hui dans les
Cévennes. Il est également agriculteur, ce qui l’a poussé à s’intéresser de près à l’état
alimentaire du monde. Il prône une vie plus simple et sobre, plus proche de la nature,
afin d’améliorer l’état de notre Terre : 1 André Bucher, entretien personnel réalisé le 17 avril 2012 à Montfroc. 2 André Bucher, Déneiger le ciel, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2007, p. 34. 3 Hubert Mingarelli, Auteurs en Rhône-Alpes, http://auteurs.arald.org/, consulté le 2 mai 2012. 4 Thierry Guichard, « La Promesse », Le matricule des anges (Montpellier), 105, juillet-août 2009, p. 12-23. 5 André Bucher, entretien personnel réalisé le 17 avril 2012 à Montfroc.
39
Le meilleur et le pire sont à l’évidence déterminés par notre façon d’être au
monde que nous avons construit, et ce monde peut être sauvé par ce que nous
recelons de plus beau : la compassion, le partage, la modération, l’équité, la
générosité le respect de la vie sous toutes ses formes. Cette beauté-là est la
seule capable à sauver le monde1.
Rabhi s’engage à apporter de vrais changements dans la mentalité de ses
lecteurs et dans la vie quotidienne des français. Il est à la base d’Oasis en tout lieux,
une association qui promeut la fondation d’écovillages où les habitants vivent et
travaillent ensemble avec beaucoup de respect pour la nature et l’humain. Outre son
travail pour Oasis en tout lieux, Rabhi trouve aussi du temps pour se consacrer à la
critique politique. Dans ses livres et ses entretiens, il critique souvent la politique
française et même les Verts :
On doit beaucoup aux écologistes, et j’estime leur travail. Mais je pense que l’écologie politique a trop matérialisé l’écologie, en ne prenant en compte que l’aspect pondérable. Il y a une dimension d’admiration qui a été oublié2.
Rabhi est donc un écrivain très engagé qui se mêle volontiers des discussions
politiques.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages de non-fiction, dont quelques titres
importants parmi lesquels La Sobriété heureuse, Graines de possibles - regards
croisés sur l'écologie, un livre écrit en collaboration avec Nicolas Hulot et l’essai
Conscience et environnement. Son but principal est de convaincre ses lecteurs qu’il
existe des modes de société meilleurs pour l’homme et pour l’environnement.
3.3 Les quatre caractéristiques du texte environnemental
Nous examinerons cet ensemble d’ouvrages en partant d’un outil de lecture de
Lawrence Buell. Ce professeur américain a décrit les caractéristiques du texte
1 Pierre Rabhi, Manifeste pour la Terre et l’Humanisme, Paris, Actes Sud, 2008, p. 101. Ci-après MPTH. 2 « Vers la sobriété heureuse : interview exclusive de Pierre Rabhi pour la sortie de son livre », Femininbio.com, www.femininbio.com/gestes-ecolos-au-quotidien/conomie-humaine/la-sobriete-heureuse-interview-exclusive-de-pierre-rabhi-pour-la-sortie-de-son.html, consulté le 10 mai 2012.
40
environnemental dans The Environmental Imagination, livre clé de l’écocritique.
Notre corpus comprendra toute l’œuvre d’André Bucher, Une rivière verte et
silencieuse et La Dernière neige de Mingarelli ainsi qu’une œuvre de non-fiction, le
Manifeste pour la Terre et l’Humanisme de Pierre Rabhi. Buell définit quatre
caractéristiques aux fins de définir le texte environnemental. Il les décrit comme étant
« a rough checklist of some of the ingredients that might be said to comprise an
environmentally oriented work » 1 . La liste de caractéristiques n’est donc pas
exhaustive et chaque ouvrage peut contenir ces éléments en différents degrés. Voici la
liste, que nous expliquerons ensuite en plus de détail :
1) L’environnement naturel ne constitue pas qu’un cadre de l’histoire humaine, il est également une réalité physique qui rappelle que l’histoire humaine fait partie de l’histoire naturelle2.
2) L’interêt humain n’est pas le seul interêt légitime3. 3) La responsabilité de l’homme envers l’environnement fait partie de
l’orientation éthique du texte4. 4) L’environnement est dépeint, au moins implicitement, comme étant un
processus plutôt qu’une constante5.
Cette liste d’éléments distinctifs qu’a établi Buell nous servira d’outil de travail pour
étudier notre corpus et elle structurera notre analyse. Nous appliquerons chacune de
ces caractéristiques aux textes retenus pour voir à quel dégré et comment ceux-ci
répondent aux exigences de Buell.
3.3.1 L’environnement en avant-scène 1) L’environnement naturel ne constitue pas qu’un cadre de l’histoire
humaine, il est également une réalité physique qui rappelle que l’histoire humaine fait
partie de l’histoire naturelle6. Cette première caractéristique est très claire : un texte
environnemental doit sortir l’environnement de sa position stéréotypée de lieu dans
lequel s’inscrit la vie des individus. Il s’ensuit que l’histoire humaine et l’histoire
naturelle se rapprochent ou s’entremêlent.
1 Lawrence Buell, The Environmental Imagination: Thoreau, Nature Writing and the Formation of American Culture, Cambridge/Londres, Harvard University Press, 1995, p. 6-8. Ci-après TEI. 2 TEI, p. 6-8. 3 TEI, p. 6-8. 4 TEI, p. 6-8. 5 TEI, p. 6-8. 6 TEI, p. 6-8.
41
Le plus souvent, la nature constitue chez Bucher un personnage principal de
l’histoire et non pas un cadre ou un simple arrière-plan. Une première indication sont
les éléments naturels comme la saisonnalité et le lieu, qui jouent un rôle non-
négligeable dans ses romans. Les saisons et le temps ont une grande influence dans la
vie des personnages. L’approche à la nature des protagonistes de Bucher semble être
très humble : les personnages respectent la nature et ressentent une harmonie avec
leurs environs. L’homme n’est pas considéré comme l’espèce dominante par Bucher,
mais plutôt comme un des nombreux participants de l’écosystème, ensemble avec les
(autres) animaux, les plantes et le lieu. L’auteur exprime cette idée comme suit dans
un entretien accordé en 2008 :
L’homme dans l’univers n’est jamais qu’un élément parmi tant d’autres et on ne lui donne pas une suprématie. Or nous occidentaux, nous sommes partis de l’idée que, parce qu’on avait une intelligence supérieure, nous pourrions dominer la nature et le règne animal. C’est là une erreur historique qui fait qu’on est dans « le merdier » actuellement. Si on avait eu une attitude de respect on n’aurait jamais pensé qu’on pourrait indéfiniment, sous prétexte que nous étions intelligents et que nous avions du génie, avoir toujours le pas sur les possibilités de réaction d’un univers que finalement on ne contrôle pas1.
Nous pouvons dire que Bucher s’exprime ici contre l’anthropocentrisme de notre
société. A l’exemple des écologistes profonds, Bucher se range du côté de
l’écocentrisme : l’homme n’est pas au milieu des choses, mais fait partie d’un
système plus grand. Le terme d’écocentrisme, comme nous l’avons vu plus haut,
trouve ses racines dans l’ouvrage de référence A Sand County Almanac d’Aldo
Leopold. Nous pouvons bien constater que Bucher ne positionne pas ses personnages
comme l’espèce dominante dans le monde. Dans Le Pays qui vient de loin, l’un des
personnages principaux, Jérémie, imagine même que son grand-père est devenu un
chêne :
Peut-être que Samuel a pris la place ou le rôle d’un chêne, qu’il nous envisage en ce moment, que ses véritables desseins s’expriment en rampant sous la terre à l’aide des racines et qu’ils remontent nous démanger les pieds. Supposons que ces racines te poussent, papa. Moi, elles me retiennent2.
Par petites touches très sensibles dans l’écriture Bucher laisse entendre que l’homme
est fondamentalement en harmonie avec la nature. Elise, personnage dans La Cascade
1 Rencontre avec André Bucher, http://www.littera05.com, 2008, consulté le 28 mai 2012. 2 André Bucher, Le Pays qui vient de loin, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p. 181.
42
aux miroirs, « saluait le monde, [...] se mettait en mouvement, de concert avec les
montagnes »1. Ces citations montrent que le respect du personnage pour la nature est
très grand, et qu’il n’y a aucun sentiment de superiorité de l’homme envers la nature
dans cette fiction.
Chez Mingarelli, nous retrouvons beaucoup de caractéristiques similaires à
celles que nous avons relevées chez Bucher. Dans Une rivière verte et silencieuse,
Mingarelli nous montre comment la nature peut jouer un rôle capital dans la vie d’un
personnage. Pour Primo, jeune garçon, la nature constitue d’abord son lieu
d’habitation. Mais, même dans la maison, la nature reste une présence physique
importante : « On mangeait avant qu’il fasse nuit et, de la table, j’avais un œil sur les
rosiers. Les deux miens étaient sur le premier rang, à gauche du côté de mon lit2 ». La
nature pénètre dans tous les bâtiments que Primo visite avec son père. Dans le café où
ils passent une soirée, les quatre photos d’une crique sont au centre de la scène : «
Devant chacune d’elles, je prononçais mentalement sa saison. Devant l’hiver, je
m’étonnais toujours que la neige blanchisse tout sauf l’eau sur laquelle elle tombait3
». La nature n’est donc jamais très loin. Pour Primo, la nature constitue également un
lieu de refuge, quand il se rend dans le tunnel que forment pour lui les herbes hautes :
C’était une herbe mystérieuse. Je pouvais marcher une heure sans rencontrer autre chose que ces herbes qui me dépassaient d’un demi-mètre en hauteur, mais laissaient entrer la lumière du soleil, de sorte qu’il n’y avait rien d’effrayant à y marcher, même sur un kilomètre à l’intérieur4.
La nature fait intégralement partie de la vie de Primo. Le tunnel est un aspect
important dans sa vie, très présent le long de l’histoire. Les rêves et la vision du futur
du garçon sont également parsemés d’images naturelles :
Alors, un matin, je m’amusai à acheter mon tunnel ainsi qu’une vingtaine de mètres d’herbe haute de part et d’autre. Pendant un jour ou deux, j’en fus le propriétaire. Je m’aperçus que je le remontais et le descendais avec davantage d’assurance. Je prenais mon temps. Je m’arrêtais parfois et j’étudiais les herbes. Elles me semblaient plus intéressantes que lorsque je n’étais pas propriétaire du tunnel. Ensuite j’eus une meilleure idée. Je revendis mon tunnel, et j’achetai le bras d’une rivière5.
1 André Bucher, La Cascade aux miroirs, Paris, Éditions Denoël, 2009, p. 133. 2 Hubert Mingarelli, Une rivière verte et silencieuse, Paris, Éditions du Seuil, 1999, p.61. Ci-après RVES. 3 RVES, p. 92. 4 RVES, p. 7. 5 RVES, p. 58.
43
De plus, la nature ne constitue pas seulement le lieu ou vit Primo, la matière de de ses
rêves, et une présence constante, mais aussi une simple réalité économique pour lui et
son père. Le père travaille dans des jardins et chez un agriculteur pour gagner de
l’argent, et il essaie de cultiver des rosiers avec son fils pour les vendre :
On fit des calculs dans le noir. Même en envisageant le pire, c’est-à-dire qu’un rosier sur dix seulement sorte de terre, cela faisait quand même beaucoup d’argent.
- Maintenant il y a les lierres en plus, fis-je remarquer. - - Oui, et j’ai pensé qu’on pourrait peut-être en offrir un pour deux rosiers
achetés. Je l’approuvai1.
Ces exemples montrent les différents aspects du monde naturel dans Une rivière verte
et silencieuse. La nature est donc loin d’être un simple cadre pour l’histoire, elle se
glisse dans tous les coins de l’intrigue et joue un rôle très important dans la vie des
personnages.
Dans Le Manifeste pour la Terre et l’Humanisme, Pierre Rabhi, comme
Bucher et Mingarelli, met en avant l’importance du monde naturel. Evidemment, on
sort de l’atmosphère poétique qui caractérise l’œuvre de ces deux derniers auteurs, et
on entre dans argumentaire. La citation qui accompagne le titre de la première partie,
intitulée La Terre, indique déjà le point de vue de Rabhi : « La planète ne nous
appartient pas, c’est nous qui lui appartenons. Nous passons, elle demeure2 ». Rabhi
explore cette idée dans cette partie du livre. Il est donc d’accord avec Buell que «
l’environnement naturel […] est également une réalité physique qui rappelle que
l’histoire humaine fait partie de l’histoire naturelle3 ». Si l’homme appartient à la
Terre et non l’inverse, c’est en effet l’histoire humaine qui s’insère dans l’histoire
plus grande de l’environnement. Rabhi décrit comment il ressent sa position dans le
monde :
Lorsque je vibre à la beauté de la création, c’est probablement cette symphonie [de la Terre] qui me touche au cœur et à l’âme, symphonie où je suis moi-même un petit instrument révélant par mon enchantement, mon
1 RVES, p. 38-39. 2 MPTH, p. 13. 3 TEI, p. 6-8.
44
admiration, l’existence d’un ordre suprême que rien ne peut atteindre ni altérer1.
Rabhi décrit l’homme comme étant ainsi un petit instrument dans la symphonie de la
Terre ; une belle métaphore qui montre bien l’attitude humble qu’il prend vis-à-vis de
sa position dans le monde naturel. Il n’apprécie pas que notre société considère
comme un fait acquis la fracture entre le monde humain et le monde naturel. Selon
lui, l’homme fait partie du système naturel ; il n’y a donc pas de séparation entre les
deux.
Cette première caractéristique retenue par Buell est peut-être la plus
pertinente, puisque, dans le cas où la nature reste simplement à l’arrière-plan, il ne
peut pas être vraiment question d’un texte environnemental. Les ouvrages que nous
venons de commenter répondent tous à ce critère essentiel.
3.3.2 L’interêt naturel
2) L’interêt humain n’est pas le seul interêt légitime2. Pour mieux comprendre
ce critère, nous pouvons nous référer à l’exemple que donne Buell. Dans le
poème Out of the Cradle Endlessly Rocking de Walt Whitman, un garçon montre de
l’empathie pour un oiseau qui a perdu sa compagne. C’est un bon exemple de cette
caractéristique, selon Buell, en particulier parce que Whitman, dans son texte, a doté
cet oiseau d’un habitat, d’un passé et d’une histoire. Il n’est pas toujours aisé de
donner ainsi une voix à la nature. Christopher Manes constate que seul les humains
ont voix au chapitre dans notre société et qu’une écocritique fiable devrait trouver une
solution à ce silence de la nature3. Sur le plan philosophique et politique, le
mouvement de l’écologie profonde essaie de donner la parole à la nature, en la plaçant
au centre de leurs préoccupations, et en proposant des lois reconnaissant des droits à
la nature en général4. Il existe aussi l’éthique animale, qui essaie de donner la parole
et des droits aux animaux. Ce sont là des mouvements importants, et par exemple
1 MPTH, p. 53. 2 TEI, p. 6-8. 3 Christopher Manes, « Nature and Silence », The Ecocriticism Reader: Landmarks in Literary Ecology, Athens, University of Georgia Press, 1996, p. 15-29. 4 Greg Garrard, op. cit., p. 22.
45
l’éthique animale est un sujet populaire dans la culture française. On trouve le reflet
de cette évolution dans la littérature.
La faune et la flore et la nature en général occupent une position primordiale
dans l’œuvre de Bucher. Elles ne sont pas décrites en fonction de l’homme mais
plutôt comme des entités ayant une valeur intrinsèque. A sa manière, Bucher donne
ainsi une voix à quelque chose qui ne peut pas se défendre ; comme nous l’avons vu,
il milite pour la protection de la nature dans la vallée du Jabron et son œuvre constitue
à bien des égards un outil au service de cette cause. Souvent, des éléments naturels
sont personifiés, comme dans cette description tirée de Fée d’hiver :
Il existe un site étrange dans le col quand le vent s’énerve où, d’une plate forme taillée dans la roche, on peut écouter la montagne chanter. […] Elle frémit de ses vocalises, s’élève, se perd entre les corniches et les parois avant de défaillir, à l’image de la pluie ruisselante le long de la roche meuble, de redescendre, apaisée, pour se taire1.
Ou encore, dans La Cascade aux miroirs :
La lune […] venait déposer à la cime son croissant encore chaud dans l’empreinte de soulier du col, en hiver, constamment enneigé. Elise aimait arpenter ces sommets, leur sonder le corps, observer leurs réactions. De grandes carcasses inanimées qui soudain s’agitent, contre toute attente se réveillent2.
Ces belles images ne sont pas que des descriptions poétiques. Elles contribuent à
l’histoire et à l’atmosphère mystérieuse du livre. La beauté de la nature vivante est
mise en valeur. Il n’est pas du tout difficile de trouver des exemples de ces images
dans les histoires d’André Bucher, on en trouve en réalité presque à chaque page.
En revanche, dans l’œuvre de Mingarelli, il est plus difficile de trouver des
exemples de personnification aussi explicites. Son style est encore plus épuré que
celui de Bucher, et la description des lieux est presque toujours réduite au strict
nécessaire. Cela ne veut pas dire pour autant que le lieu devient un arrière-plan
insignifiant, loin de là. La nature fait partie de l’histoire et de la vie des personnages,
comme nous l’avons déjà vu dans Une rivière verte et silencieuse. Mais elle n’est
donc pas personifié, tout en revêtant une énorme importance pour les personnages. 1 André Bucher, Fée d’hiver, Marseille, Le mot et le reste, 2012, p. 117. 2 André Bucher, La Cascade aux miroirs, Paris, Éditions Denoël, 2009, p. 132.
46
Pour Primo et son père, la nature est la source de leurs revenues, leur lieu de vie, et
pour le fils un lieu de refuge. En montrant l’importance qu’elle a pour les
personnages, et en décrivant sa beauté, la nature est mise en valeur par l’auteur.
Néanmoins, nous ne pouvons pas dire que Mingarelli donne réellement la parole aux
choses naturelles dans ses romans, bien qu’il les mette en valeur en décrivant leur
beauté et leur importance dans la vie des humains.
Pierre Rabhi, dans son Manifeste pour la Terre et l’Humanisme, relativise
pour sa part l’importance de l’interêt humain. Le titre de son essai montre très bien
qu’il est sensible aux interêts de la planète. Il n’écrit pas un manifeste seulement pour
l’Humanisme, mais aussi pour la Terre. Il proclame le besoin d’une nouvelle humilité
qui permet de donner toute sa place à l’interêt du monde naturel :
Et nous voilà délivrés des tourments incessants par l’admiration et la gratitude, enfin au cœur de notre vocation, à savoir aimer et prendre soin de nous-mêmes, de nos semblables, des créatures compagnes et de notre planète mère qui ne nous appartient pas mais à laquelle nous appartenons. Indubitablement, nous passons, elle demeure…1
Dans cette citation, l’importance de l’interêt humain semble même occuper une place
mineure par rapport à l’interêt naturel, puisque la Terre demeurera toujours et que
l’homme est qu’un habitant passager. Soulignons à nouveau son affirmation selon
laquelle « La planète ne nous appartient pas, c’est nous qui lui appartenons »2 et que «
[n]ous passons, elle demeure »3. Il relativise ainsi l’importance de la vie humaine, en
la décrivant, souvenons-nous en, comme un petit instrument dans une grande
symphonie4. Selon Rabhi, le monde humain et le monde naturel ne peuvent de même
être séparés :
L’écologie met en évidence la cohésion, l’intéraction, l’interdépendance et la cohérence du vivant sous toutes ses formes et dans son intégralité. Le champ de l’écologie n’est pas réductible à la seule planète Terre, il est à l’échelle du cosmos, voire de l’univers. L’interactivité inclut les influences solaires, lunaires, planétaires…, en un sorte de « bain énergétique et vibratoire » infini. Dans ce bain, la planète Terre est immergée, à la fois réceptrice et émettrice. Tout est dans tout et rien n’est séparé de rien.
1 MPTH, p. 96. 2 MPTH, p. 13. 3 MPTH, p. 13. 4 MPTH, p. 53.
47
Rabhi ne fait ici pas de distinction entre l’homme et « le vivant sous toutes ses formes
», ce qui veut dire que l’homme constitue tout simplement l’une de ces formes. En
plaçant l’homme au le même niveau que les autres éléments naturels, Rabhi confirme
que pour lui l’interêt humain n’est pas le seul interêt légitime.
3.3.3 L’Homme prend sa responsabilité
3) La responsabilité de l’homme envers l’environnement fait partie de
l’orientation éthique du texte1. Un exemple anglais est Nutting, un poème de William
Wordsworth. Selon Buell, c’est un texte environnemental parce que le poème répond
au critère de la responsabilité humaine vis-à-vis de la nature. En effet, dans ce texte,
le paysage incite le narrateur à raconter, en s’accusant lui-même, comment il a détruit
un fourré de noisetiers2. Nous retrouvons un même conscience de responsabilité dans
l’œuvre d’André Bucher.
Les personnages de Bucher montrent souvent un grand engagement
écologique. Dans Pays à vendre, par exemple, les personnages se battent,
figurativement et littéralement, pour protéger une forêt. Nils Baker, le personnage
principal, prend toutes ses responsabilités en allant au conseil municipal pour essayer
de sauver le bois communal à côté de chez lui, qui est menacé par le développement
d’un complexe touristique. Il essaie de défendre « l’univers environnant »3 :
Elle [le maire que a pris la mauvaise décision] venait délibérément de me jouer un sale tour. Seulement, le tour en question appartenait à l’univers environnant. Que ce soit elle plutôt qu’un autre importait peu4.
Puis, Nils marque sa colère et entre en conflit ouvert avec le maire et le conseil, et est
même conduit à défendre la forêt physiquement, lorsqu les développeurs agressifs
adoptent un comportement criminel et s’en prennent à Nils et ses amis avec un
pistolet-mitrailleur5. Nils sent la nécessité de prendre sa responsabilité envers cette
fôret, ces arbres sans voix. Pour lui, l’écologie consiste à « verdir des champs de
pierres, maintenir l’élévage, boiser, refuser de vendre pour les uns et d’acheter
1 TEI, p. 7. 2 TEI, p. 8. 3 André Bucher, Pays à vendre, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2005, p. 89. 4 Ibid., p. 89. 5 Ibid., p. 136.
48
n’importe quoi pour les autres »1. Des actes simples donc, qui montrent le respect
qu’ont les personnages envers leur environnement.
Dans les autres romans de Bucher, la thématique des problèmes écologiques
n’est pas aussi explicite. Le Pays qui vient de loin met en scène les retrouvailles de
Jérémie, garçon de dix-huit ans, et de Daniel, son père, après le décès de Samuel, le
grand-père. Peu à peu, Jérémie commence à beaucoup apprécier le travail de
bûcheron qui était celui de Samuel dans la fôret. Pour Jérémie, la conclusion de sa
quête identitaire sera sa décision de vivre dans la nature et de continuer le projet de
son grand-père : « La première fois que je me sens libre. Parmi les arbres, les
montagnes, libre !2 ». Jérémie prend ses responsabilités, pas seulement envers son
grand-père et sa grand-mère et envers leur passé, mais aussi envers la forêt dans
laquelle il va travailler avec beaucoup de respect pour la nature. Cela ne semble pas
toujours évident pour le lecteur non averti, mais, pour Bucher, le boisement et
l’entretien durable des fôrets sont primordiaux pour l’écologie de sa vallée ; il ne
s’agit donc pas là d’une nature « sauvage » dans le sens stricte du mot, vierge
d’activité humaine3. Pour Jérémie, dans Le Pays qui vient de loin, le boisement de la
fôret est sa manière d’assumer sa responsabilité envers la nature.
Dans Le Cabaret des oiseaux, Tristan considère qu’il est nécessaire de
protéger et de nourrir ses deux amis oiseaux. Il se sent responsable d’eux, la merle et
la corneille, qui se trouvent entre l’univers sauvage et le monde domestique. Ces
exemples, tirés des deux derniers romans cités, ne montrent peut-être pas une défense
de la nature aussi explicite que dans Pays à Vendre, mais la mise en valeur de la
nature qu’ils illustrent revient au même : ils appuient l’idée que l’homme doit être à la
hauteur de ses responsabilités, résoudre les problèmes environnementaux et apprendre
à respecter de nouveau la nature. Les personnages ressentent une liaison forte avec la
nature, qui est accompagnée d’une prise de responsabilité considérable.
Hubert Mingarelli a quant à lui une démarche moins explicite, même si la
nature est au centre de son texte et que, de se fait, c’est la simple mise en valeur de
1 Ibid., p. 97. 2 André Bucher, Le Pays qui vient de loin, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p. 180. 3 André Bucher, entretien personnel réalisé le 17 avril 2012 à Montfroc.
49
l’environnement qui incite l’homme à réfléchir et à assumer ses responsabilités. Dans
Une Rivière verte et silencieuse, on peut deviner une critique du système économique
qui commence à envahir le monde naturel, si on lit entre les lignes. L’auteur ne met
donc pas les problèmes écologiques à l’avant-plan de son histoire, mais incite plutôt
son lecteur à réfléchir de lui-même sur la position de la nature dans notre monde.
Dans l’imagination de Primo, les rosiers qu’il a cultivés avec son père,
deviennent un véritable moyen de paiement. Quand l’électricité est coupée, Primo
exprime l’idée naïve de payer les sommes dues avec des rosiers :
Mais à cet instant deux hommes apparurent à la porte. […] Ils disent qu’ils venaient couper l’électricité parce qu’on ne l’avait pas payée. […] Je n’entendis pas ce qu’il leur dit dehors, mais je savais qu’il leur montrait notre rosier grimpant. Qu’il leur proposait une sorte d’option sur les futurs rosiers, en échange de la facture d’électricité. Pourquoi pas ? J’attendis qu’ils reviennent en me demandant à combien de rosiers ils allaient estimer notre facture. Je n’en avais aucune idée1.
Il n’y a pas de limite à son imagination, quand Primo songe acheter le tunnel où il va
se promener chaque jour, ou même un bras de rivière, avec les deux rosiers grimpants
que lui a confiés son père :
Alors, un matin, je m’amusai à acheter mon tunnel ainsi qu’une vingtaine de mètres d’herbe haute de part et d’autre. Pendant un jour ou deux, j’en fus le propriétaire. Je m’aperçus que je le remontais et le descendais avec davantage d’assurance. Je prenais mon temps. Je m’arrêtais parfois et j’étudiais les herbes. Elles me semblaient plus intéressantes que lorsque je n’étais pas propriétaire du tunnel. Ensuite j’eus une meilleure idée. Je revendis mon tunnel, et j’achetai le bras d’une rivière2.
Il y a là un mélange intéressant, voire équivoque, entre le monde de la nature
et le monde humain dans l’histoire. Le système capitaliste qui a causé la pauvreté de
Primo et de son père s’immisce dans le monde naturel. L’image du monde capitaliste
est certes plutôt négative ; celui-ci a causé la pauvreté de la famille. Mais les rosiers
grimpants doivent sauver Primo et son père de ce système capitaliste, alors même que
le bénéfice qu’ils imaginent pouvoir tirer de la vente de leur culture relève
précisément de ce système. Dieu même est au côté de la nature :
Son plus grand résultat avec Dieu, c’était le rosier grimpant. Il avait commencé à fleurir le lendemain de la plus longue prière que mon père eût
1 RVES, p. 40-41. 2 RVES, p. 58.
50
jamais faite. Bien que ce ne fût pour le rosier qu’il avait prié, mais pour une place dans un magasin en ville. Il n’avait pas eu cette place. Mais le rosier avait fleuri ce jour-là1.
La nature occupe donc une position très ambiguë dans ces exemples. D’une
part, elle fait bien sûr partie du monde naturel, d’autre part, pour Primo, elle devient
une commodité de la vie, comme dans le système capitaliste. Mingarelli nous montre
une image de la nature en tension constante entre le monde humain et le capitalisme.
Il fait réfléchir à la question de la commercialisation de la nature. Bien plus encore,
les paysages sont devenus des biens économiques dans l’imagination innocente de
Primo : il essaie d’acheter les paysages qu’il aime bien, et semble les apprécier
d’autant plus quand il en est « propriétaire ». A la fin de l’histoire, Primo perd les
rosiers et l’argent que lui et son père avaient épargnés. Il ne peut plus être consolé par
quoi que ce soit, même par une promenade dans son tunnel :
[M]ême s’il avait plu pendant la nuit, ça ne m’aurait pas consolé davantage de marcher avec des bruits d’eau autour de moi, en imaginant que je possédais un bras de rivière qu’un pont enjambait2.
Avec ses rêves et son espoir, qui étaient nourris par les possibilités qu’offraient les
rosiers, meurent aussi les images naturelles qui en étaient les symboles. Primo et son
père dépensent toute leur épargne dans un bar et les rosiers se révèlent finalement ne
pas être de vrais rosiers. Ils ont perdu l’argent qu’ils avaient imaginé gagner. Primo
perd la confiance en son père, qui l’oblige à voler des cierges à l’église et de les
cacher sous sa chemise. Nous pourrions interpréter ce traitement de la nature comme
un avertissement. Il vaudrait mieux laisser la nature tranquille, et ne pas essayer d’en
faire un rouage du système capitaliste : Primo et son père l’ont fait, et les résultats
sont désastreux. En montrant ces difficultés, Mingarelli fait réfléchir son lecteur à la
manière dont il traite la nature. C’est de cette façon que l’auteur incite l’homme à
prendre sa responsabilité et de ne pas traiter la nature comme un simple bien
économique.
Pierre Rabhi enfin essaie de convaincre son lecteur qu’il doit prendre sa
responsabilité envers la nature de manière évidemment beaucoup plus explicite que
Bucher ou Mingarelli : la non-fiction se prête bien normalement mieux que la fiction
1 RVES, p. 15. 2 RVES, p. 108.
51
à cette approche directe du sujet. L’homme doit agir contre la destruction
environnementale qu’il a mis lui-même en marche :
Ce n’est pas l’univers qui va par une sorte de dérogation spéciale s’adapter aux desiderata de l’être humain, c’est à celui-ci de le faire. L’humain proclamant sa souveraineté absolue sur la réalité est un non-sens1.
Rabhi nous demande donc de retrouver une certaine humilité et notre capacité à
apprécier le monde autour de nous tel qu’il est. Nous devons « respecter et prendre
soin de la terre à laquelle nous devons notre vie et notre survie […] »2 parce que, « en
remettant les pieds sur terre et en nous reconnectant à la nature, nous pouvons
retrouver le goût de ce lien si vital et le sentir en nous »3. Rabhi ajoute qu’il est
également nécessaire de prendre conscience de la responsabilite de l’homme envers
l’humanité en général, qui, pour lui, fait aussi partie de l’écosystème4. Rabhi est en
outre très conscient que les problèmes écologiques sont extrêmement pressants et
doivent être résolus, dans l’interêt de l’homme et de l’environnement5.
3.3.4 L’environnement comme processus
4) L’environnement est dépeint, au moins implicitement, comme étant un
processus plutôt qu’une constante 6 . Buell reste assez vague sur cette dernière
caractéristique. A partir de l’exemple de James Fenimore Cooper qu’il donne, il
s’agirait de prendre en considération aux fins de l’analyse du texte, l’histoire naturelle
et sociale de l’environnement dans le texte. Nous pourrions aussi décrire ce
critère ainsi : l’environnement n’est pas pris pour acquis7. Une grande partie des
auteurs qui utilisent les critères de Buell semblent néanmoins interpréter ce quatrième
point très littéralement et ne mettent pas l’accent sur l’aspect historique que Buell
envisage. Eux mettent plutôt en avant le passage des saisons et la météo comme des
exemples de processus naturels. Nous prendrons ici en compte l’interprétation plus
large et plus vague que Buell donne de ce principe, mais nous examinerons le motif
de la saisonnalité par la suite.
1 MPTH, p. 54. 2 MPTH, p. 89. 3 MPTH, p. 89. 4 MPTH, p. 90. 5 MPTH, p. 28. 6 TEI, p. 7. 7 TEI, p. 7.
52
Selon nous, c’est Bucher qui semble me mieux répondre dans ses romans à
remplir ce critère final de Buell. Dans un texte non-environnemental, où le lieu est
parfois de peu d’importance, la nature fait souvent partie simplement de l’arrière-plan
de l’histoire. Dans ce cas, elle constitue une constante et non un processus, parce
qu’elle est statique et pris pour acquise. Elle est comme le décor d’un théâtre. C’est là
une approche qui est très loin de ce que nous trouvons chez Bucher. En mettant en
avant la nature comme un aspect important du roman, Bucher indique déjà que dans
sa conception de la nature une position prépondérante est occupée par le lieu dans
lequel s’insère la vie de l’homme. Le lieu constitue beaucoup plus qu’un simple
arrière-plan pour une histoire humaine. Il fait partie intégrante de l’intrigue et semble
souvent le moteur de l’histoire ou la colle qui relie l’homme à soi-même et à ses
proches. Plus concrètement, dans Déneiger le ciel, Bucher ne dépeint pas la montagne
comme une entité statique, qui sera toujours là. Il met en scène la tension entre la
nature et l’homme pour montrer qu’un écosystème est fragile et peut être influencé
par chaque pas de l’homme. Toujours en mouvement, la nature doit être respectée et
ne peut constituer une certitude absolue pour l’homme. Dans Le Pays qui vient de
loin, le protagoniste Jérémie décrit comment il s‘est adapté à la nature :
Jérémie savait d’instinct – si l’on voulait survivre en ces lieux – qu’il importait d’avancer, de se focaliser sur le mouvement pénible, néanmoins vital, de la progression. On finissait par apprendre, par s’entourer de réflexes, de combines ou d’astuces1.
Ce mouvement de la progression, aussi bien naturel que humain, est central dans les
histoires de Bucher, et montre très bien l’idée de processus que Buell décrit comme
étant un critère de l’écriture de la nature.
Dans les romans de Mingarelli compris dans notre corpus, il est plus difficile
de trouver confirmation de cette caractéristique de Buell. Tout au plus pourrions-nous
dire que, dans l’œuvre de Mingarelli, et cela de façon implicite, la nature n’est pas
pris pour acquise et qu’elle est vue comme un processus et non une constante, au seul
motif que la nature joue un rôle si important dans ces histoires. Elle serait donc mise
en valeur et ne constituerait pas une constante ou un acquis ayant une fonction
d’arrière-plan de l’intrigue.
1 André Bucher, Le Pays qui vient de loin, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p. 75.
53
Par opposition à Mingarelli, Pierre Rabhi écrit plus explicitement sur
l’environnement comme processus. Il décrit l’univers comme étant « une sorte de «
bain énergétique et vibratoire » infini »1 dans lequel « la planète Terre est immergée,
à la fois réceptrice et émettrice »2. Cette description révèle une dynamique de la
Terre. Nous voyons aussi que Rabhi ne considère pas notre Terre comme un acquis de
l’homme, bien au contraire :
La beauté existerait par elle-même et pour elle-même ; de même, l’extinction du genre humain ne changerait-elle rien à cette réalité et la planète Terre poursuivrait-elle son évolution soulagée d’un bipède bien « turbulent »3.
Rabhi insiste sur la notion d’une planète qui n’a pas besoin de l’homme pour
continuer son évolution, mot que nous soulignons ici parce qu’il indique l’idée d’un
processus et non d’une constante. Chez lui, il est donc possible d’identifier des
exemples plus explicites de la dernière caractéristique de Buell.
En somme, il apparaît que cette caractéristique se retrouve plus difficilement
dans notre corpus. Mais Buell lui-même concède que l’idée de processus doit être
présente « au moins implicitement »4, ce qui laisse entendre que cette caractéristique
est plus difficile à identifier dans les textes. Nous concluerons que les textes que nous
avons retenus répondent à ce critère, pour certains d’entre eux, qu’à un certain degré,
mais que les autres caractéristiques sont plus facilement identifiables.
Ainsi, pour Bucher et Mingarelli, la nature n’est ni un arrière-plan, ni un
élément statique, et joue un rôle important et dynamique dans la narration. Les quatre
caractéristiques énoncées par Buell se retrouvent clairement, quoique à des degrés
divers, dans l’ensemble de notre corpus. L’analyse nous a aussi permis de voir
comment chacun des trois auteurs choisis aux fins de cette analyse traitent de mêmes
thèmes d’une manière qui leur est propre, selon son talent. Les résultats confirment
que, en se fondant sur les critères de Buell, les ouvrages de Bucher, Mingarelli et
Rabhi peuvent être considérés comme d’ excellents exemples d’écriture de la nature.
1 MPTH, p. 55. 2 MPTH, p. 55. 3 MPTH, p. 98. 4 TEI, p. 8.
54
3.4 L’écocentrisme : motifs littéraires
Dans la deuxième partie de The Environmental Imagination, Buell passe en
revue « une série de structures imaginatives »1 qui montrent comment des écrivains
peuvent percevoir la structure et le mouvement de la nature. Cette série correspond à
cinq chapitres, chacun dédié à un motif différent lié à l’écocentrisme : la sobriété, la
personnification de la nature, la saisonnalité, le lieu et l’apocalypse. Buell souligne
que cette séléction pourrait être élargie encore plus2. Nous regarderons comment ces
motifs, essentiels selon Buell, sont présents dans l’écriture de la nature française, en
particulier dans les romans d’André Bucher. Nous accorderons également une
attention particulière au motif de la saisonnalité, parce qu’elle est une des structures
imaginatives les plus visibles dans les fictions de notre corpus d’oeuvres.
3.4.1 La beauté de la sobriété
Le premier motif en est la sobriété volontaire. L’exemple par excellence est
Walden de Henry David Thoreau, lequel se retire dans une cabine toute simple en
pleine forêt3. Cette œuvre marque le début d’une longue tradition littéraire qui a pour
thème la retraite dans la nature. Nous en retrouvons des exemples en anglais, comme
Sand County Almanac d’Aldo Leopold, mais également en français, notamment un
essai paru en 2011, Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson, dans lequel l’auteur
décrit comment il s’est enfermé dans une cabane au lac Baïkal pendant six mois4.
Cette littérature veut donc rétablir un lien avec la nature par la renonciation aux biens
matériels : « In avowing the relinquishment of goods, the literature of voluntary
simplicity promises to restore the attenuated bond with nature5 ». La simplicité
volontaire provoque un sentiment de plaisir, causé par des événements triviaux du
qoutidien qui se chargent de signification grâce à ce mode de vie simplifié.
Buell n’évoque pas seulement une sobriété matérielle mais aussi une sobriété «
personnelle » : l’homme peut sacrifier son orgueil et échanger l’anthropocentrisme
pour une vision de l’humain plus sobre et plus écocentriste. Buell décrit l’effet d’une
telle sobriété :
1 TEI, p. 143. 2 TEI, p. 144. 3 TEI, p. 145. 4 Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, Paris, Editions Gallimard, 2011. 5 TEI, p.156.
55
The effect is most fundamentally to raise the question of the validity of the self as the primary focalizing device for both writer and reader: to make one wonder, for instance, whether the self is as interesting an object of study as we supposed, whether the world would become more interesting if we could see it from the perspective of a wolf, a sparrow, a river, a stone1.
Nous discuterons de ces deux types de « relinquishment » dans notre corpus.
Dans Déneiger le Ciel, David, personnage principal, vit seul dans une maison
en bois relativement isolée, aux abords d’un village. Nous pourrions y voir une
parenté avec Walden de Thoreau, mais la situation de David est quand-même bien
différente : il a une vie sociale, il travaille comme déneigeur et il fait des rencontres
tout au long du roman. Néanmoins, le personnage a quand-même quelques traits de
l’hermite, tout comme chez Thoreau2, parce qu’il vit et travaille seul et qu’il aime le
silence et la solitude. Dans le cas de David, et d’autres personnages de Bucher
également, la sobriété matérielle se relie fortement au concept de l’écocentrisme.
David mène une vie simple dans sa maison et dans les bois, avec tout ce qu’il faut, ni
plus ni moins. Son point de vue peu matérialiste s’exprime dans le fait qu’il apprécie
les choses simples et naturelles autour de lui et aboutit à une vision écocentrique qui
met en valeur chaque être vivant.
3.4.2 La personnification de la nature
La personnification de la nature est un motif qui relève d’une longue tradition
dans la littérature : par exemple, au quatorzième siècle, Dante décrit des arbres qui
saignent quand on leur arrache un rameau3. La personnification implique donc une
représentation de la nature sous les traits d’une personne. Buell s’arrête sur un type de
personnification qui s’appelle « l’hypothèse Gaia », conçu par le scientifique James
Lovelock :
The hypothesis that the entire range of living matter on Earth, from whales to viruses, and from oaks to algae, could be regarded as constituting a single living entity, capable of manipulating the Earth’s atmosphere to suit its overall needs and endowed with faculties and powers far beyond those of its constituent parts4.
1 TEI, p.179. 2 TEI, p. 331. 3 TEI, p.183. 4 James Lovelock, Gaia: A New Look at Life on Earth, New York, Oxford University Press, 1987, p. 9.
56
Selon cette hypothèse, toute la matière vivante sur Terre pourrait être considérée
comme une seule entité de vie. De plus, il personifie cette entité, l’appelle Gaia, et la
décrit comme une « créature vivante »1. Thoreau aussi personnifiait certains éléments
naturels, notamment l’étang de Walden, qu’il décrivait comme étant doté d’yeux,
d’une peau et de mâchoires2. Notons que la personnification s’inscrit parfaitement
dans l’idée de l’écocentrisme : l’auteur met en valeur la nature en lui donnant une
voix.
Buell souligne qu’il y a une certaine dimension féminine dans la technique de
la personnification : il y a l’image de Gaia et de la « Terre mère ». Un lien avec le
féminisme est établi. Les écoféministes voient un parallèle entre la Terre mère et la
femme parce qu’elles sont toutes les deux exploitées, la Terre par l’Homme, et la
femme par l’homme3. Selon les féministes, la personnification de la nature engendre
une éthique du soin, « an ethics of care ». Cette éthique susciterait du respect pour la
Terre et inciterait à prendre soin de la nature. Pour finir, la personnification serait
donc un motif qui rapproche l’homme de la Terre.
Dans les romans de Bucher, nous pouvons retrouver beaucoup d’exemples de
personnification. Dans Le Pays qui vient de loin, Bucher montre à son lecteur que la
nature doit évidemment être protégée, mais que l’homme aussi en fait partie et doit
donc être pris en compte :
Les bergers n’en peuvent plus. Le problème n’est pas ce prédateur [le loup] mais la conception de l’aménagement du territoire. Si la chaîne n’est pas reconstituée, il prélève là où il peut. Et puis, on est si peu nombreux dans ces montagnes. L’espèce en voie de disparition, c’est nous et pas le loup4.
Bucher montre, avec cet exemple, que la réintroduction d’une espèce en voie de
disparition n’est pas nécessairement la meilleure solution écologique, et que la nature
ne peut pas être si simplement manipulée. Elle est présentée dans cet exemple comme
un système compliqué dans lequel toutes les espèces interagissent et s’influencent, par
analogie avec l’« hypothèse Gaia ».
1 Ibid., p. 36. 2 Henry David Thoreau, The writings of Henry D. Thoreau: Walden, Princeton, Princeton University Press, 1971, p. 282, 294, 181. 3 Greg Garrard, op. cit., p 23. 4 André Bucher, Le Pays qui vient de loin, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p. 42.
57
Nous retrouvons aussi des examples de personnification plus classiques dans
les romans de Bucher. Pour illustrer la fréquence de ce motif dans son œuvre,
considérons cet extrait :
Je restais à écouter son eau [de la rivière] soupirer, clapoter de sa langue claire contre les galets. Les étoiles couraient se baigner parmi les flots et s’y miraient comme dans une glace. J’en repérais deux, plus brilliantes, ensemble attachées. Je me changeais en statue pour ne pas les effrayer1.
Les romans de Bucher sont parsemés par des passages comme celui-ci : de la poésie
riche en images naturelles vivantes.
3.4.3 La saisonnalité
Buell consacre un chapitre, intitulé Nature’s Face, Mind’s Eye : Realizing the
Seasons dans The Environmental Imagination 2 , au motif de la saisonnalité. Il
l’identifie comme un motif récurrent dans la littérature environnementale. Puis il
examine comment les cycles naturels sont utilisés comme un mécanisme
organisationnel commun à un grand nombre de textes. La ronde des saisons est l’une
des manifestations les plus tangibles du fonctionnement de la nature mais est en
même temps chargée de mystères. En outre, les saisons sont très souvent employées
dans les arts et représentent traditionellement les différentes étapes de la vie de
l’homme3. Les saisons sont donc omniprésentes dans notre culture, et Buell conclut
qu’elles sont alors une référence majeure pour l’auteur qui essaie de sensibiliser son
lecteur à la problématique environnementale :
The sheer obviousness of seasonality, and its janus-faced epistemological status as both a plastic mental construct and an environmental imperative, make it the most accessible path for luring nature novices into thinking about the environment as a holism involving many intricate interrelations4.
Selon Buell, les saisons sont donc le moyen idéal pour faire réfléchir le lecteur sur la
fragilité des équilibres environnementaux et des écosystèmes, parce qu’elles sont
présentes dans la vie quotidienne de chaque homme5.
1 André Bucher, Le Cabaret des oiseaux, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2004, p. 50. 2 TEI, p. 143-179. 3 TEI, p. 219-251. 4 TEI, p. 250. 5 TEI, p. 250.
58
Le motif de la saisonnalité est facilement identifiable dans l’œuvre d’André
Bucher, et surtout joue un rôle important dans ces livres. C’est pourquoi nous
consacrerons une analyse plus élaborée à ce motif plutôt qu’aux autres. Dans les
premiers chapitres des livres de Bucher, la saison et le climat dans lesquels
s’inscrivent les événements sont immédiatement indiqués. Voici un exemple tiré du
premier paragraphe de Déneiger le ciel : « De la pluie fin novembre. Encore de la
pluie virant en neige les quinze premiers jours de décembre. Puis le froid brutal d’un
hiver en avance, sans prévenir1 ». Le Pays qui vient de loin débute également sur une
esquisse de l’hiver et de la neige : « Au-dessus de Sisteron, vallée du Jabron, les
montagnes les attendent. Blanches. Le monde entier vire au blanc. Ne reste qu’une
odeur de neige2 ». Suite à la référence que nous venons de faire aux idées de Buell en
début d’analyse, l’invocation des saisons au commencement du roman pourrait être
considérée comme la manière de Bucher d’introduire son lecteur à l’atmosphère de
ses textes et de lui signifier l’importance de la saisonnalité et des phénomènes naturels
dans son œuvre.
Les deux citations ci-dessus l’indiquent déjà : La saison préférée de Bucher
semble être l’hiver. En effet, ses quatre romans se déroulent presque exclusivement
dans le froid. L’auteur esquisse une image brute et sauvage des Alpes-de-Haute-
Provence, tout à fait différente des images ensoleillées stéréotypées que l’on a souvent
de cette région. Cet intérêt pour l’hiver à l’état brut permet à l’auteur de mieux
montrer la symbiose intime qui peut exister entre l’homme et la nature. On retrouve
une telle relation dans Déneiger le ciel. En hiver, il est plus difficile pour l’homme de
se positionner au-dessus de son environnement. David entreprend une longue
promenade dans le noir, subissant le froid et la neige. Dans ces circonstances
rigoureuses, il a de la peine à continuer sa route :
David traversa lentement cet espace borgne pendant que de menus poinçons de glace, projetés par le vent, lui criblaient le visage. La nature reprenait ses droits, secouant son vieux ventre de neige3.
1 André Bucher, Déneiger le ciel, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2007, p. 11. 2 André Bucher, Le Pays qui vient de loin, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p. 9. 3 André Bucher, Déneiger le ciel, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2007, p. 45.
59
Bucher montre la nature inhospitalière et l’hiver, et place David en plein milieu. Le
protagoniste illustre lui-même le caractère impitoyable de la nature pendant sa
marche :
Il se rappela une année, en 1976, il lui semblait, avec moins trente pendant deux jours, où le seul fait de respirer représentait une grave imprudence. […] Ensuite la sécheresse, d’avril à septembre, avait mis les éleveurs et les fermiers à genoux1.
David adopte une position respectueuse envers la force de la nature sauvage et
ne lui résiste pas. Le froid fait apparaître à l’esprit de David des images obsédantes et
des souvenirs cruciaux de sa vie qui l’incitent à une réflexion profonde. A la fin du
roman, David semble satisfait par cette nuit : « David eut le sentiment du devoir
accompli. Il avait, l’espace d’un songe, au hasard d’une nuit, tenté de le [le ciel]
déneiger2 ». L’hiver permet à Bucher de montrer des personnages qui vivent au fil des
saisons et se laissent mener par le rythme de celles-ci dans leur vie quotidienne. La
saison la plus froide est la plus apte à montrer cette symbiose avec la nature, puisque
l’hiver dresse le plus d’obstacles devant l’homme. Malgré ces obstacles, David
parvient à entretenir une relation solide et harmonieuse avec la nature qui l’entoure.
L’histoire de Déneiger le ciel constitue également une critique de la relation
que la plupart des hommes entretient avec la nature, comme le montre un exemple tiré
du roman. David n’a pas la disposition de sa voiture et de son téléphone mais
parvient, malgré ces revers dus à la technique, à aider ses amis en comptant
uniquement sur son corps et sur la nature. Par exemple, il assiste des gens coincés
dans la neige avec leur voiture. Bucher montre que notre société est très éloignée de la
nature : sans la technologie nous ne savons souvent pas quoi faire. David est le
contre-exemple. Il semble être en harmonie avec la forêt sauvage, et peut s’en sortir
même s’il ne peut compter que sur lui-même.
Les saisons peuvent illustrer comment la nature régule et influence fortement
la vie de l’homme. Nils Baker, le personnage central de Pays à vendre, le montre
clairement dans la description de son bureau :
1 Ibid., p. 35. 2 Ibid., p. 146.
60
Mon bureau de privé. J’y viens en automne et en hiver assez régulièrement, deux fois par semaine, en coup de vent. En été, je n’y suis pratiquement jamais. Reste le printemps où je n’y vais guère1.
Ce rythme naturel dans ses occupations de détective privé découle de ses activités
paysannes, régulées par les saisons :
On était presque en hiver, je n’avais pas terminé de labourer. L’hiver prend date lorsque la terre est gelée ; on finit par poser les pieds par terre. Arrive le moment de faire son bois. Les terres sont prêtes, coiffées, labourées pour le printemps. On se souvient d’être un homme lent, de remercier les femmes d’exister. Elles nous sauvent le paysage2.
Nous constatons à partir de toutes ces citations que, pour Bucher, les saisons
constituent une force propulsive dans la vie de l’homme. Dans la vie de l’auteur lui-
même, la saisonnalité joue un grand rôle. Comme le montre la dernière citation,
l’agriculteur doit se laisser guider par le temps et les saisons dans son travail. Bucher
dit que ce rythme influence aussi son écriture : « J’écrivais l’hiver et la nuit, en dehors
de mon travail3 ». Les saisons représentent ainsi pour Bucher, d’une part, une
composante importante de sa description de la nature et, d’autre part, un moyen idéal
pour introduire son lecteur au monde naturel.
Dans l’œuvre de Mingarelli, le quatrième critère de Buell semble être rempli
au même titre que chez André Bucher. Mingarelli accorde lui aussi une attention
particulière à la nature – qui n’est pas considérée comme un simple arrière-plan, mais
comme une force propulsive dans l’histoire et dans la vie des personnages. L’écriture
de Mingarelli est épurée, simple et minimaliste. Il le confirme dans un entretien avec
Thierry Guichard :
Guichard : Mais pourquoi éliminez-vous les détails du décor? Pour un effet d'optique? Mingarelli : Je ne dis que ce qui est utile, que ce qui va servir. Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne réponse, comme à chaque fois je n'ai pas tout le temps les réponses. Je veux retirer la décoration, ne pas mettre du volume de phrase pour en mettre, si ça ne sert pas, je ne le marque pas. C'est un effet de loupe peut-être.
1 André Bucher, Pays à vendre, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2005, p. 18. 2 Ibid., p. 19. 3 Rencontre avec André Bucher, http://www.littera05.com, 2008, consulté le 28 mai 2012.
61
Il élimine peut-être les détails du décor, mais comme la nature n’est pas qu’un simple
décor pour lui, elle reste une présence forte dans son œuvre.La nature est donc loin
d’être statique, elle est dynamique est fait évoluer l’histoire par sa force progressive.
La saisonnalité que nous avons relevé dans les romans de Bucher se retrouve
également dans les romans de Mingarelli. Dans Une rivière verte et silencieuse en
particulier, les saisons jouent un rôle primordial. Le jeune personnage principal,
Primo, s’arrête sur le passage des saisons lorqu’il se rend le soir dans un bar avec son
père. Quatre photos d’une crique pendant les différentes saisons, attachées au mur,
constituent le fil rouge dans cette scène :
Il s’alluma une cigarette et on regarda tous les deux les photographies. - Tu vois les criques ? lui demandai-je.
Il les chercha parmi les autres séries et dit : - Oui, je les vois. - Celle de l’hiver, précisai-je. - Oui, jolie coin.
Il avança son visage et plissa des yeux. - Il neige, non1 ?
Pendant cette scène dans le café, Primo pose son regard plusieurs fois sur les photos
des criques au mur : « Alors j’observai la série des criques, m’attardant sur l’hiver où
la neige tombait sur l’eau. Elle blanchissait tout le fond des arbres, des rochers, et du
ciel, mais, étrangement, pas l’eau sur laquelle elle tombait2 ». Il revient même une
troisième fois à ces images, qui ont une grande attraction sur lui. Les photos l’incitent
à réfléchir :
Devant chacune d’elles, je prononçais mentalement sa saison. Devant l’hiver,
je m’étonnais toujours que la neige blanchisse tout sauf l’eau sur laquelle elle
tombait. Soudain, et tristement, je songeai que si nos plantations avaient donné
ce qu’on espérait, c’est une crique que j’aurai achetée en imagination, au lieu
du bras de rivière3.
La qualité mystérieuse du passage des saisons, tel que définie par Buell, est visible ici.
On voit que la saisonnalité est liée au changements dans la vie de Primo et son père.
1 RVES, p. 84. 2 RVES, p. 90. 3 RVES, p. 92.
62
Les deux essayent de faire pousser des rosiers pour ensuite les vendre au marché,
mais malheureusement ils ne réussissent pas. De nouveau, un processus de la nature,
dans ce cas-ci la croissance d’une petite graine qui doit devenir un beau rosier,
influence la vie des personnages. Ces processus naturels sont instables – à la fin, les
rosiers ne sont que de mauvaises herbes – et loin d’être statiques. Ils ne sont donc
jamais pris pour acquis par Primo et son père, puisque, dans le cas des rosiers, ils
peuvent constituer le seul moyen de survie pour eux.
Nous avons remarqué que, dans les romans de Bucher, l’hiver joue un rôle
particulier. Bucher exprime un amour fort pour cette saison, qu’il associe avec la
beauté de la neige, le silence et la réflexion. Pour lui personnellement, c’est également
la saison où les touristes quittent sa vallée ; seuls les quelques habitants permanents,
les agriculteurs et les bûcherons, demeurent. Ces aspects de l’hiver font qu’elle est la
saison de préférée de l’écrivain. Mingarelli ressent lui aussi une forte attirance pour
cette saison. Une similarité se dévoile entre deux romans de ces auteurs : Déneiger le
ciel et La dernière neige. Les titres l’indiquent déjà bien, ces romans mettent au
premier plan l’hiver et la neige. Dans Déneiger le ciel, la saison et le temps sont le
véritable moteur de l’intrigue : la neige, la météo, le travail de dégagement des routes
de David forment le fondement de l’histoire. Il en va de même de la narration de
Mingarelli. Dans La dernière neige, le personnage principal veut acheter un milan
pour son père malade. Pour faire ceci, il a besoin d’argent. Il s’aventure dans les
collines enneigées pour essayer de perdre, contre rémunération, une vieille chienne
que personne n’ose tuer. Comme dans Déneiger le ciel, le personnage principal
entreprend une longue marche dans la neige, qui l’incite à réfléchir et à philosopher,
et qui l’entraîne presque dans un état d’hallucination. Les deux auteurs mettent en
scène un personnage qui doit se confronter à lui-même au milieu d’une nuit froide,
dans la neige. Voici un passage de La Dernière Neige dans lequel le personnage
principal, frappé d’un sentiment d’exaltation, semble devenir fou, vers la fin de sa
promenade nocturne :
Très rapidement j’ai été tout blanc de neige. J’ai secoué la tête et j’ai frotté mon manteau, les manches et les épaules. Soudain j’ai dit tout haut : - Regarde un peu toute cette neige ! Je l’ai répété : - Mais regarde un peu toute cette neige ! J’ai allongé le pas. – Regarde cette neige ! Je courais et je criais de
63
regarder la neige, comme si quelqu’un loin devant moi avait le besoin impérieux d’entendre ça1.
Dans La Dernière Neige, le protagoniste décrit aussi comment la vie des
pensionnaires pour qui il travaille est fortement influencée par le temps :
Il faisait beau, et à l'hospice le travail ne manquait pas. Les vieux avaient très envie en ce moment de se promener dans le parc. L'été leur faisait du bien. Ils souriaient, ils tenaient mieux sur leurs jambes que pendant l'hiver. Ils arboraient des écharpes en couleur et des chapeaux antiques. Ils me payaient bien mieux que les jours où il faisait mauvais.
C’est de nouveau la nature qui conditionne la quantité d’argent que récaltent les
personnages, même si c’est indirectement. Le temps s’avère être un processus central
à la vie de tous.
3.4.4 Le lieu
Dans le chapitre Place, Buell examine le motif que constitue le lieu. Pour la
majorité des auteurs, le lieu est un simple arrière-plan de l’intrigue. Souvent, une
courte description pour esquisser le lieu de l’action suffit2. Dans l’écriture de la
nature, le lieu sort de l’arrière-plan et devient un élément important de l’histoire. La
nature est mise en valeur et l’attention portée au lieu peut exprimer une vision
écocentrique. Mais, même si un écrivain s’efforce de prêter attention au lieu, cela ne
veut pas nécessairement dire que nous pouvons parler d’écocentrisme :
Yet grounding in place patently does not guarantee ecocentrism, place being by definition perceived or felt space, space humanized, rather than the material world taken on its own terms3.
Il n’est donc pas facile en tant qu’écrivain, de faire jouer au lieu un rôle central, parce
qu’une des exigences plus ou moins constante de la fiction est qu’elle traite d’affaires
humaines4. La littérature de la nature veut porter l’attention sur l’importance de nos
lieux. Cette littérature présuppose que nous réfléchissons trop peu sur notre
environnement et la relation que nous entretons avec ces lieux5. En d’autres termes,
comme l’exprime l’auteur américain Rick Bass, le lieu forme l’intermédiaire entre la
1 Hubert Mingarelli, La dernière neige, Paris, Éditions du Seuil, 2000, p. 80. 2 TEI, p. 254. 3 TEI, p. 253. 4 TEI, p. 255. 5 TEI, p. 261.
64
nature et les sentiments humains1. Buell achève son chapitre en disant ceci : « the
experience of place may be the commonest avenue toward experiencing
relinquishment as ecocentrism2 ». Nous pouvons remarquer ici que les motifs de
l’écocentrisme apparcissent liés étroitement les uns aux autres. En l’espèce, Buell
rapproche le lieu et la sobriété3 parce que ce sont les deux éléments principaux
exprimant le concept de l’écocentrisme.
Dans l’œuvre de Bucher, nous pouvons retrouver le rapport au lieu le plus traditionnel
que décrit Buell : une vision concentrique du lieu, dans laquelle on ne peut que
s’éloigner ou s’approcher du centre 4 , impliqué par la vie agricole. Pour les
personnages de Bucher, la vallée du Jabron constitue le lieu central. Le Jabron
symbolise un sentiment d’appartenance. Selon cette vision concentrique, plus les
personnages s’éloignent du lieu, plus ils ressentent un sentiment de détachement.
Dans Le Pays qui vient de loin, il est tout d’abord indiqué que les deux protagonistes,
Daniel et Jérémie, quittent leurs villes respectives, qui sont esquissées comme des
lieux insatisfaisants pour chacun. Jérémie, lui, laisse derrière lui des études
décevantes. Daniel, pour sa part, a encore moins à perdre en quittant Valence : il est
au chômage et vit seul. La vallée du Jabron devient un lieu de refuge où tout ces
problèmes ne comptent plus vraiment, surtout pour Jérémie :
La première fois que je me sens libre ! Jusqu'à maintenant, je me devinais, encombré de souvenirs qui n’étaient pas les miens, de non-dits, de questions mal-posées ou d’ignorance5.
Les habitants de la vallée ressentent une même affection pour leur lieu d’habtation,
visible, par exemple, quand Jeanne décrit une scène où Samuel, le grand-père décédé,
retourne de la ville :
Il délassait la nationale avant de débouler dans la vallée avec son pick-up et la musique à fond, chaque fois, ça ne loupait pas, il s’écriait : « Ca y est, je reviens en pays civilisé »6.
1 Thierry Guichard, « L’appel de la forêt », Le matricule des anges (Montpellier), 88, novembre-décembre 2007, p. 21. 2 TEI, p. 279. 3 Le mot « relinquishment » n’est pas facile à traduire en français. Il signifie le processus de détachement ou de sacrifice et dans le contexte de l’écologie, une évolution vers la sobriété. 4 TEI, p. 264-273. 5 André Bucher, Le Pays qui vient de loin, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p. 180. 6 André Bucher, Le Pays qui vient de loin, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p. 28.
65
Samuel aussi se sentait donc à l’aise et « chez lui » en montagne. Pour les
personnages de Bucher, le lieu a donc plusieurs fonctions, mais celle de simple
arrière-plan n’en fait certainement pas partie.
Dans l’œuvre d’Hubert Mingarelli, il est également facile de voir que le lieu ne
constitue pas la toile de fond inanimée de l’histoire. Dans Une rivière verte et
siliencieuse, les lieux constituent des points d’accroche pour le jeune protagoniste : le
tunnel d’herbe où il se refugie pour échapper à la vie, parfois difficile à cause de la
pauvreté de son père et l’absence d’une mère, la chambre où il s’endort en regardant
les rosiers et les photos d’une crique dans le café, qui l’aident à se sentir moins mal à
l’aise. Il est facile de voir que le jeune garçon entretient une relation intime avec tout
ces lieux, qui signifient pour lui souvent un refuge où il peut, même si c’est en secret,
exprimer ses émotions.
3.4.5 L’apocalyptisme environnemental
Les deux motifs précédents, le lieu et la saisonnalité, sont plus ou moins
stables ou universels : les saisons sont un processus constant qui n’a pas encore été
affecté par l’homme, et le lieu aussi fait toujours partie de l’expérience humaine. Ce
sont donc deux motifs qui pourraient faire croire que le monde est un environnement
stable est constant1. Le motif de l’apocalypse est d’un tout autre genre. Il dépeint le
futur de notre civilisation si nous ne résolvons pas les problèmes environnementaux.
Les auteurs qui emploient l’apocalypse veulent le plus souvent montrer à leur public
que nous devons prendre au sérieux les défis écologiques.
Buell discute de l’apocalyptisme à partir de deux livres célèbres : Ceremony
de Leslie Marmon Silko et Silent Spring de Rachel Carson. Ce dernier essai est à la
base du mouvement environnemental moderne et dépeint l’évolution d’une nature
harmonieuse à un paysage détruit par la pollution. André Bucher indique que les
romans de Leslie Marmon Silko ont été d’une grande influence sur son écriture2.
Néanmoins, dans les romans de Bucher dont nous avons discuté, le motif de
l’apocalypse n’est pas vraiment présent. Dans Pays à Vendre, nous l’approchons le
1 TEI, p. 281. 2 André Bucher, entretien personnel réalisé le 17 avril 2012 à Montfroc.
66
plus, puisque là, la menace de l’installation d’une décharge constitue un désastre
écologique, quoique sur une échelle beaucoup plus locale.
Hubert Mingarelli n’utilise pas non plus vraiment ce motif dans ses romans,
mais on le retrouve dans le Manifeste pour la Terre et l’Humanisme de Pierre Rabhi.
Celui-ci commence la première partie de son manifeste par un chapitre intitulé Vers
un tsunami alimentaire mondial, dans lequel il avertit son lecteur que la situation
devient de plus en plus grave, que « la crise alimentaire est à nos portes »1, et que «
les changements climatiques ajoutent à tous ces paramètres [perte de biodiversité,
élimination des paysans, manipulations génétiques, surconsommation de viande …],
pour la plupart réformables si nous en avons la volonté, des facteurs imprévisibles sur
lesquels les humains n’ont aucune maîtrise »2. Ces changements pourraient atteindre
des « amplitudes cataclysmiques » et donc « faire que nos projets n’aient pas de
lendemains »3. Décidément, Rabhi veut convaincre son lecteur de prendre au sérieux
les menaces écologiques qui sont devant nous, et emploit pour ce faire des images
apocalyptiques.
3.5 L’influence de la littérature américaine chez André Bucher
Dans notre étude, nous avons souvent évoqués des penseurs et des écrivains
américains. La grande tradition de la « Nature Writing » est non sans influence sur les
auteurs français. Chez André Bucher, l’influence des auteurs américains est bien
apparente. Nous examinerons comment Bucher, dans ses romans, manifeste le lien
qu’il cultive avec l’écriture de la nature américaine.
En lisant Bucher, le lecteur sera immédiatement frappé par les mentions
explicites de la littérature anglophone et de la musique américaine. Dans Déneiger le
ciel, les musiques blues et rock accompagnent David pendant sa longue promenade
dans la neige :
Et là, […] des arbres se délestant en vrac d’un bruit sec, en autant de décibels, de pans de neige molle et de glace, là il se figurait être en plein concert. Un air en particulier, intitulé Magic Carpet Ride, lui accaparait l’esprit4.
1 MPTH, p. 15. 2 MPTH, p. 18. 3 MPTH, p. 18. 4 André Bucher, Déneiger le ciel, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2007, p. 57.
67
Bucher s’intéresse beaucoup à une région particulière de l’ouest des Etats-Unis : le
Montana. Dans Pays à Vendre, le personnage principal fait une comparaison entre la
vallée du Jabron et le Montana :
C’est une belle vallée, lorsqu’on la regarde, qu’on la silonne, on ne peut s’empêcher de penser au Montana en un peu moins haut, les neiges éternelles en moins. […] Mais la ressemblance tient surtout au ciel immensément bleu, lumineux, et à l’aridité de cette zone des Préalpes sèches. Je ne suis jamais allé dans le Montana mais j’imagine les montagnes aussi changeantes que les nôtres, les gars rudes et fiers, avec une sacrée descente, un peu comme certains types d’ici1.
Bucher, bien que n’ayant jamais été au Montana, ressent une parenté avec les auteurs
qui écrivent sur cet état comme Rick Bass et Jim Harrison2. Ces écrivains sont appelés
parfois « l’école du Montana » et forment une mouvance remarquable :
Un coup d'Etat a eu lieu dans le monde littéraire américain sans que personne y prenne garde. Oubliez New York, Los Angeles ou Chicago, la nouvelle capitale littéraire des Etats-Unis s'appelle désormais Missoula [ville au Montana]3.
Rick Bass est un des auteurs les plus en vue de cette école. Nous examinerons
comment Bass et Bucher se ressemblent sur bien des points.
En 1987, Bass découvre la vallée du Yaak au Montana, et y reste avec sa
femme. Cette vallée jouera un rôle central dans son œuvre, particulièrement dans The
Book of Yaak, son livre le plus célèbre. Il a donc, comme Bucher, sa propre vallée sur
sur laquelle il écrit. Bucher et Bass partagent quelques thèmes principaux dans leurs
livres : la nature sauvage, le bûcheronnage, le silence et la solitude. La nature
sauvage est un concept ainsi défini par Garrard : « nature in a state uncontaminated by
civilisation », « a construction mobilised to protect particular habits and species » et «
a place for the reinvigoration of those tired of the moral and material pollution of the
city »4. Les deux auteurs ressentent une forte attraction pour ce type d’environnement.
Pour Bass, la nature sauvage est une nécessité pour échapper aux excès de notre
société moderne : 1 André Bucher, Pays à vendre, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2005, p. 18. 2 André Bucher, entretien personnel réalisé le 17 avril 2012 à Montfroc. 3 Jean-Sébastien Stehli, « Missoula la Mecque des écrivains américains », Le Point, 1995, consulté le 2 août 2012. 4 Greg Garrard, op. cit., p. 59.
68
We need wildness to protect us from ourselves. We need wilderness to buffer this dark lost-gyroscopic tumble that democracy, top-heavy with big business and leaning precariously over rot, has entered1 .
Alors que l’état de la nature sauvage au Montana pourrait être considéré comme
encore plus ou moins immaculé, l’environnement d’André Bucher est beaucoup plus
atteint par la civilisation. Dans les romans de Bucher, la nature sauvage est différente
et moins brute qu’au Montana ; ce sont des forêts, des montagnes qui côtoient les
champs. Ce qui frappe aussi est la saison sur laquelle écrivent les deux auteurs : ils
ont tous les deux une préférence marquée pour l’hiver. Bass a même écrit un ouvrage
intitulé Winter, dans lequel il décrit un long hiver dans la vallée du Yaak.
Bucher et Bass partagent également un même engagement pour la nature. Rick
Bass est un auteur très engagé qui se dévoue à la sauvegarde de la nature sauvage
dans sa vallée. Son objectif de sensibilisation du lecteur est parfois très flagrant. Dans
cette citation, il demande au lecteur de prendre position et d’écrire aux hommes
politiques pour changer la situation :
I know you’re not going to travel this far to catch an eight-inch rainbow. But maybe you can travel over to your desk and pick up a pen. Sort through the papers until you find a stray postcard and write the three congressmen2.
André Bucher ne mène certes pas son engagement aussi loin ; peut-être aussi parce
que la situation n’est pas aussi pressante que celle à laquelle Bass doit faire face, le
déboisement agressif de sa vallée.
Il est clair que la littérature de la nature américaine, sur laquelle nous n’avons
évoquée ici que très brièvement, peut être une source riche d’inspiration pour les
écrivains français. Le nombre croissant d’ouvrages qui s’accumulent sur les étagères
de la bibliothèque d’André Bucher le prouve3 : cette littérature américaine est de plus
en plus disponible en traduction française, ce qui est une évolution positive.
1 Rick Bass, The Book of Yaak, New York, Houghton Mifflin Company, 1996, p. xv. 2 Ibid., p. 130. 3 André Bucher, entretien personnel réalisé le 17 avril 2012 à Montfroc.
69
4. La littérature qui convainc : l’essai et la fiction Dans notre étude, nous avons pu constater que la littérature française nous
offre une selection très variée d’auteurs qui essaient de nous convaincre de leurs
points de vue sur l’écologie, les uns plus explicitement que les autres. Dans ce
chapitre nous examinerons les deux genres principaux, l’essai et la fiction, que
choisissent les auteurs pour aboutir à cette fin.
L’essai est le genre par excellence pour l’écrivain qui veut convaincre son
lecteur. Une définition univoque n’existe pas, mais le Rober nous décrit l’essai
comme un « ouvrage littéraire en prose, de facture très libre, traitant d’un sujet qu’il
n’épuise pas ou réunissant des articles divers »1. De manière autre que le discours
narratif, l’essai est un texte argumentatif et analytique. Dans les œuvres que nous
avons utilisées dans cette étude, Luc Ferry et Pascal Bruckner sont les essayistes par
excellence. La forme de l’essai se prête bien au projet de Bruckner parce qu’elle lui
permet de construire une argumentation structurée mais concise pour convaincre le
lecteur de son opinion : que l’écologie est punitive et anti-progressive. La structure en
trois parties du Fanatisme de l’Apocalypse reflète ce projet. Avec ses notes en bas de
page, sa multitude de citations et son épilogue le texte donne une impression d’être le
fruit d’une recherche attentive et presque scientifique. De ce fait, le lecteur non averti
pourrait peut-être oublier qu’un essai est avant tout un texte subjectif qui exprime
avant tout l’avis personnel de l’auteur. Bruckner et Ferry écrivent contre l’écologie,
mais la forme de l’essai se prête évidemment aussi bien à la défense de
l’environnement, comme le prouve Hervé Kempf avec ses nombreux essais sur le
sujet. Dans La Baleine qui cache la forêt : enquêtes sur les pièges de l’écologie,
Kempf consacre un chapitre entier à Ferry, dans lequel il relève toutes les fautes que
Ferry commet dans son ouvrage Le Nouvel Ordre écologique en fournissant toutes les
preuves contraires. L’essai constitue donc pour Kempf l’outil idéal par lequel il
répond aux opposants de l’écologie.
Nous pouvons brièvement mentionner ici la polémique autour des livres de
Claude Allègre. Allègre, en 2007, sort un livre qui s’appelle Ma vérité sur la planète, 1 Paul Robert, « essai », in : Le Nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, texte remanié et amplifié sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, Le Robert, 2003, p 949.
70
et en 2010, L’imposture climatique ou La fausse écologie. Allègre tente d’y réfuter les
preuves scientifiques du réchauffement de la planète. Ces livres ont connu un certain
succès de librairie, mais ils ont surtout reçu une énorme quantité d’attention
médiatique. En réponse à L’imposture climatique, Sylvestre Huet a sorti, également
en 2010, L’imposteur, c’est lui : Réponse à Claude Allègre, un livre dont l’objectif est
de réfuter les arguments de Claude Allègre. De toute évidence, il existe un
dynamisme important dans la culture française en ce qui concerne la thématique
écologique : les médias y accordent beaucoup d’attention et legrand public tente de
s’informer. Savoir Si l’interêt que manifestent les médias pour des figures comme
Allègre, Bruckner et Gran est une bonne chose est une autre question. André Bucher
trouve dommage que ces auteurs, qui font des déclarations plus sensationnelles que
les auteurs qui défendent l’écologie, reçoivent tant d’attention1.
Loin des débats à la télévision, Mingarelli et Bucher écrivent dans un tout
autre genre, le discours narratif. C’est l’œuvre de Bucher sur laquelle nous avons
choisi de nous concentrer pour illustrer comment la fiction peut aussi transmettre des
messages.
Greg Garrard, dans Ecocriticism, décrit une théorie de Scott Slovic2, un
professeur de littérature environnementale aux Etats-Unis. Slovic distingue deux
catégories d’écriture de la nature. Premièrement, les textes « rhapsodiques », qui
célèbrent la beauté de la nature pour la mettre en valeur. Deuxièmement, les textes «
jérémiadiques » ou persuasifs, qui contiennent plutôt des avertissements et des
critiques poussant le lecteur à prendre position, politiquement et/ou personnellement3.
Si nous regardons les textes d’André Bucher, nous retrouvons des éléments des deux
types. Généralement, Bucher ne mentionne pas explicitement les problèmes
écologiques qui menacent l’environnement. C’est seulement dans Pays à Vendre que
la menace de l’installation d’une décharge constitue un problème concrétisé4. Bucher
préfère montrer la beauté de la nature et son importance dans la vie des personnages.
1 André Bucher, entretien personnel réalisé le 17 avril 2012 à Montfroc. 2 Greg Garrard, Ecocriticism, New York, Routledge, 2004, p. 81. 3 Scott Slovic, « Epistemology and politics in American Nature Writing: Embedded Rhetoric and Discrete Rhetoric », Green culture:environmental rhetoric in contemporary America (London), p. 82-110. 4 André Bucher, Pays à vendre, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2005, p. 111.
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Il esquisse des images poétiques, souvent légères, qui valorisent la beauté de la vallée
du Jabron :
de retour dans la cour, gravissant les marches du perron, il s’immobilisa. […] Jérémie patienta. Très vite, l’astre orangé émergea dans sa plénitude en se détachant de la nébuleuse tel un œuf éclos. – Une lune en bibi sur un cintre et une cape blanche avec des sabots, s’exclama un Jérémie émerveillé1. Le ciel étamé : un plat en laiton posé sur un brouillard blanc. La lumière soufrée, qui donne des coups de fourchette. Les voix des nuages sont légèrement blanches. Le soleil est gros mais frileux, comme un maître d’hôtel déguisé2.
Ainsi, d’une part, Bucher célèbre la beauté de la nature avec ses belles tournures de
phrases ; ces passages pourraient donc être considérés comme « rhapsodiques ».
D’autre part, en lisant ces phrases, le lecteur ressentira que la beauté naturelle est mise
en valeur par Bucher parce qu’elle est précieuse et doit en conséquence être protégée.
Interprétées de cette manière, ces belles descriptions pourraient pratiquement fonder
un texte dit « jérémiadique ». En effet, ces passages pourraient par exemple mener,
tout en délicatesse, à une prise de position du lecteur en ce qui concerne une question
écologique, sans que Bucher ait à utiliser une langue ouvertement persuasive. Au
début de Déneiger le ciel, nous trouvons un autre exemple de ce type, qui montre que,
même dans une simple description de la rivière, un texte peut inciter à la réflexion : «
L’eau en était fraîche, parfumée et certainement non polluée, car David y pêchait
régulierement des truites et même quelques écrevisses3 ». Dans cette citation, Bucher
décrit la rivière comme étant « non polluée » et ce petit détail suggère au lecteur
qu’un danger de pollution existe quand-même.
Comme le prouvent les quelques extraits que nous avons cités, le travail sur la
langue est très important pour Bucher. En habillant le monde naturel des mots qu’il
mérite selon lui, l’auteur met en valeur l’environnement dans son entièreté. Pour leur
part, si les essayistes travaillent sur la langue, c’est surtout pour rendre leur texte plus
convaincant. L’argument de la beauté, que ce soit sur le fond ou sur la forme, est le
plus souvent secondaire face à l’argumentation. la grande différence entre l’écriture
de Bucher et celle de Bruckner ou Ferry est que les essais sont rédigés pour faire
1 André Bucher, Le Pays qui vient de loin, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p. 54-55. 2 André Bucher, Fée d’hiver, Marseille, Le mot et le reste, 2012. 3 André Bucher, Déneiger le ciel, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2007, p. 45.
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réfléchir le public, et pour convaincre le public de l’opinion de l’auteur. Bucher, lui,
ne veut pas faire réfléchir son lecteur, mais veut le faire ressentir1.
1 André Bucher, entretien personnel réalisé le 17 avril 2012 à Montfroc.
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Conclusion
Nous avons passé en revue un certain nombre d’auteurs très différents :
Bruckner, Bucher, Mingarelli, Rabhi, Ferry, … Les uns écrivent contre l’écologie
profonde ou l’écologisme, les autres essaient de convaincre le lecteur de l’importance
des défis qui se présentent devant nous, et d’autres encore mettent tout simplement en
scène la splendide beauté de la nature. Nous pouvons en conclure que le paysage
littéraire écologique en France est d’une très grande diversité. N’est-il donc pas
dommage que la popularité des sujets écologiques n’ait pas encore abouti à un réel
genre d’écriture de la nature en France ? Les uvres d’André Bucher et Hubert
Mingarelli mériteraient plus d’attention des éditeurs, des médias, des universités et du
grand public.
De nos jours, comme le dit Gran, il est impossible d’éviter l’écologie dans la
vie quotidienne : dans les journaux, dans les supermarchés, dans les publicités, à la
télévision, … Partout, la thématique environnementale est présente d’une manière ou
d’une autre. Gran a raison. Mais est-ce que cette présence « verte » influence
réellement la pensées de l’homme dans la rue? Ne continue-t-il pas d’acheter son
morceau de viande, ses haricots importés du Kenya, et son eau minérale en bouteilles
en plastique?
Peut-être bien que, pour réellement toucher l’esprit de l’homme, la littérature
est le moyen plus adapté. Le but des essais d’Hervé Kempf ou de Pierre Rabhi, mais
aussi de Pascal Bruckner et de Luc Ferry, est de faire réfléchir le lecteur et de le
convaincre du point de vue de l’auteur sur l’écologie. Le lecteur lit, il comprend, il est
peut-être même d’accord. Mais, son point de vue sur le monde a réellement changé ?
Selon Bucher, la grande différence entre son écriture et celle de Bruckner ou Ferry,
c’est que les essais sont écrits pour faire réfléchir le public et pour convaincre le
lecteur de l’opinion de l’auteur. Bucher, lui, ne veut pas faire réfléchir son lecteur,
mais veut le faire ressentir1. Pour aboutir à des changements d’habitudes durables et
renouer le lien entre l’homme et son environnement, peut-être convient-il pour nous
de parvenir à nouveau à ouvrir notre cœur à la beauté poétique de la nature. Une
1 André Bucher, entretien personnel réalisé le 17 avril 2012 à Montfroc.
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chose est pour l'intellect de l'Homme, comme être « raisonnable », de comprendre ce
qui lui serait bénéfique. Autre chose est de faire de cette compréhension une évidence
de tous les jours ancrée dans son être intime.
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Bibliographie 1. Sources primaires André Bucher, Le Cabaret des oiseaux, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2004. André Bucher, Déneiger le ciel, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2007. André Bucher, Fée d’hiver, Marseille, Le mot et le reste, 2012. André Bucher, La Cascade aux miroirs, Paris, Éditions Denoël, 2009. André Bucher, Le Pays qui vient de loin, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003. André Bucher, Pays à vendre, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2005. Pascal Bruckner, Le fanatisme de l’apocalypse, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 2011. Iegor Gran, L’écologie en bas de chez moi, Paris, P.O.L, 2011. Hubert Mingarelli, La dernière neige, Paris, Éditions du Seuil, 2000. Hubert Mingarelli, Une rivière verte et silencieuse, Paris, Éditions du Seuil, 1999. Pierre Rabhi, Manifeste pour la Terre et l’Humanisme, Paris, Actes Sud, 2008. Jean-Christophe Rufin, Le Parfum d’Adam, Paris, Flammarion, 2007.
2. Ouvrages consultés
2.3 Sur les écrivains
2.3.1 Entretiens Pascale Arguedas, « André Bucher », http://calounet.pagesperso-orange.fr/, 22 mai 2011. André Bucher, entretien personnel réalisé le 17 avril 2012 à Montfroc. Sidney Dobrin, Christopher Keller, « Writing Activism: An interview with Rick Bass », Writing Environments (New York), 2005, p. 55-68. Anne Ghesquière, « Vers la sobriété heureuse : interview exclusive de Pierre Rabhi pour la sortie de son livre », Femininbio.com, www.femininbio.com/gestes-ecolos-au-quotidien/conomie-humaine/la-sobriete-heureuse-interview-exclusive-de-pierre-rabhi-pour-la-sortie-de-son.html, consulté le 10 mai 2012.
76
Iegor Gran. « L’écologie en bas de chez moi », entretien vidéo, 18 janvier 2011, YouTube. Consulté le 1er mai 2012. Littera 05, « Rencontre avec André Bucher », http://www.littera05.com, 2008, consulté le 28 mai 2012.
2.3.2 Articles Iegor Gran, « « Home » ou l’opportunisme vu du ciel », Libération (Paris), 4 juin 2009. En ligne. Consulté le 4 mai 2012. Thierry Guichard, « Rick Bass : L’appel de la forêt », Le matricule des anges (Montpellier), 88, novembre-décembre 2007, p. 12-23. Jean-Sébastien Stehli, « Missoula la Mecque des écrivains américains », Le Point, 1995, consulté le 2 août 2012.
2.2 Ecriture de la nature Lawrence Buell, The Environmental Imagination: Thoreau, Nature Writing and the Formation of American Culture, Cambridge/Londres, Harvard University Press, 1995. Greg Garrard, Ecocriticism, New York, Routledge, coll. The New Critical Idiom, 2004. Cheryll Glotfelty, « Introduction: Literary Studies in an Age of Environmental Crisis », The Ecocriticism Reader: Landmarks in Literary Ecology (Athens), 1996, p. xv-xxxvii. Louise Isselé, « L’écriture de la nature d’André Bucher : trouver un équilibre entre le naturel et le culturel », Mémoire de bachelor, Gand, Université de Gand, 2011. Catherine Larrère, Les Philosophies de l’environnement, Paris, Presses Universitaires de France, 1997. James Lovelock, Gaia: A New Look at Life on Earth, New York, Oxford University Press, 1987. Christopher Manes, « Nature and Silence », The Ecocriticism Reader: Landmarks in Literary Ecology, Athens, University of Georgia Press, 1996, p. 15-29. Arne Naess, « The Deep Ecological Movement: some philosophical aspects », Philosophical Inquiry (Thessaloniki), 8, 1986, p. 23-31. Arne Naess, « The Deep Ecology ‘Eight Points’ Revisited », in: Deep Ecology for the 21st century: Readings on the Philosophy and Practice of the New Environmentalism, Boston, Shambala Publications, 1995, p. 213-221. Pierre Schoentjes, « Texte de la nature et nature du texte », Poétique (Paris), 164, novembre 2010, p. 477-494.
77
Scott Slovic, « Epistemology and politics in American Nature Writing: Embedded Rhetoric and Discrete Rhetoric », in: Green culture:environmental rhetoric in contemporary America, London, University of Wisconsin Press, 1996, p. 82-110.
2.4 Autres ouvrages
2.4.1 Fiction Rick Bass, The Book of Yaak, New York, Houghton Mifflin Company, 1996. Aldo Leopold, A Sand County Almanac, Oxford, Oxford University Press, 1949. Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, Paris, Editions Gallimard, 2011. Henry David Thoreau, The writings of Henry D. Thoreau: Walden, Princeton, Princeton University Press, 1971.
2.4.2 Non-fiction Romain Felli, Les deux âmes de l’écologie, Paris, Harmattan, 2008. Luc Ferry, Le Nouvel Ordre écologique, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 1992. Hervé Kempf, La Baleine qui cache la forêt : enquêtes sur les pièges de l’écologie, Paris, Cahiers Libres, 1994. Hervé Kempf, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, 2009. Bart Keunen, Verhaal en verbeelding: chronotopen in de westerse verhaalcultuur, Gent, Academia Press, 2007. Antoine Waechter, Dessine-moi une planète. L’écologie maintenant ou jamais, Paris, Albin Michel, 1990.
2.4.3 Dictionnaires Paul Robert, Le Nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, texte remanié et amplifié sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, Le Robert, 2003.
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Table
Remerciements ............................................................................................................ 4 Glossaire ....................................................................................................................... 5 Introduction ................................................................................................................. 6 1. L’écologie profonde ................................................................................................. 9
1.1 L’écologie profonde : généralités ................................................................................. 9 1.2 Luc Ferry et l’écologie profonde en France .............................................................. 13 1.3 Les enjeux de l’écologie profonde dans Le Parfum d’Adam .................................... 19
2. L’écologisme : pour et contre ............................................................................... 24 2.1 Généralités .................................................................................................................... 24 2.2 Iegor Gran et l’écologisme en bas de chez lui ........................................................... 26 2.3 Pascal Bruckner contre le fanatisme de l’écologie .................................................... 30
3. L’écriture de la nature : admiration et défense de l’environnement ............... 35 3.1 L’écriture de la nature aux Etats-Unis et en France ................................................ 35 3.2 Présentation du corpus ................................................................................................ 37 3.3 Les quatre caractéristiques du texte environnemental ............................................ 39
3.3.2 L’interêt naturel ...................................................................................................... 44 3.3.3 L’Homme prend sa responsabilité .......................................................................... 47 3.3.4 L’environnement comme processus ....................................................................... 51
3.4 L’écocentrisme : motifs littéraires ............................................................................. 54 3.4.1 La beauté de la sobriété .......................................................................................... 54 3.4.2 La personnification de la nature ............................................................................. 55 3.4.3 La saisonnalité ........................................................................................................ 57 3.4.4 Le lieu ..................................................................................................................... 63 3.4.5 L’apocalyptisme environnemental ......................................................................... 65
3.5 L’influence de la littérature américaine chez André Bucher .................................. 66 4. La littérature qui convainc : l’essai et la fiction ................................................. 69 Conclusion .................................................................................................................. 73 Bibliographie .............................................................................................................. 75
1. Sources primaires .......................................................................................................... 75 2. Ouvrages consultés ........................................................................................................ 75
2.3 Sur les écrivains ........................................................................................................ 75 2.2 Ecriture de la nature .................................................................................................. 76 2.4 Autres ouvrages ......................................................................................................... 77
Table ........................................................................................................................... 78
Recommended