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et maintenant si je faisais de la musique plastique...
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Mathevet Frédéric
Manuel d’arts plastiques
Tome II
Le cas particulier de la musique
3 Introduction
Introduction
1. Crin de cheval sur boyau de chat ». Marcel Duchamp, qui
excelle dans les aphorismes, exprime ici son point de vue à
propos de la musique. La formule est lapidaire, mais personnelle. Tous
les artistes du siècle ne vont pas nécessairement partager cette sentence.
Pourtant, elle illustre parfaitement les relations ambiguës que vont
entretenir les arts plastiques et la musique à l’aube de notre modernité1.
Les avant-gardes du 20ème siècle ont témoigné d’un intérêt mitigé
concernant les arts du son, jugeant la musique − pour beaucoup d’entre
eux − pétrie de bons sentiments, subjective, utile à la seule expression
«
1 Si les plasticiens assument tout à fait dans leur histoire les multiples passages qui ont eu lieu entre
eux et la musique, nous pouvons constater que les musiciens restent au contraire hermétiques aux
différentes traversées des arts plastiques dans leur discipline. La pensée de la musique, qui pourrait
4 Manuel d'arts plastiques tome II
d’états d’âme et donc inadaptée à rendre compte de la réalité objective.
Quant aux plasticiens, ils se montrèrent plutôt provocateurs. Tous ceux
qui l’approchèrent voulurent jouer les éléments perturbateurs dans la
très « sage » pensée musicale qui sortait lentement du romantisme.
Certains se risquèrent à incorporer des sons plus « concrets » à la
composition musicale, rêvant d’une musique qui pourrait rivaliser avec
la société industrielle et les sons nouveaux qu’elle engendrait. Ce fut le
cas des futuristes. Puis Dubuffet, plus tard, s’interrogea sur les bruits
d’une chaise et sur leur impossible notation2. Nous pourrions multiplier
les exemples mais le but de cette introduction n’est pourtant pas de
retracer le parcours historique des connexions entre arts plastiques et
musique durant ce XXème siècle. Vous allez d’ailleurs voir à quel point
ces quelques liaisons sont résumées dans ce qui va suivre.
pourtant se trouver dans ces passages, est qualifiée de pratique dilettante et évacuée au profit d’une
histoire qui privilégie la forme et l’algèbre.
5 Introduction
Cependant, il paraît nécessaire de révéler que chez les artistes qui
tentèrent ces rencontres multimédias (dirait-on aujourd’hui) se dessinent deux
parcours différents. L’un, directement lié à la plasticité, telle que nous l’avons
défendue dans le tome I de ce manuel, l’autre, fantasmagorique, subjectif,...
créatif certes, mais insuffisamment rigoureux.
C’est Marcel Duchamp qui va une fois de plus nous conduire sur le
chemin qui nous intéresse : il envisage une possibilité « plastique#3 » de
composer la musique, sur laquelle nous allons particulièrement insister
puisqu’elle constitue le sujet de ce second tome. En effet, nous trouvons dans
2 « Qui notera sur nos portées le bruit d’une chaise traînée sur les planches, celui d’un ascenceur qui se
met en mouvement ou d’un robinet d’eau qui s’ouvre ?...Il me semblait plausible que la vraie musique
chère à l’homme soit celle qui mettrait en œuvre tout ces bruits et toutes ces intonations et timbres
6 Manuel d'arts plastiques tome II
ses écrits les possibilités d’un processus de composition musicale
« plastique# » mais seulement en germes, car il réalisa très peu d’œuvres
sonores. Il faut chercher les quelques idées qu’il nota ici et là4 à propos de la
musique, et qui, encore aujourd’hui, sont un enseignement, une réclamation,
pour une nouvelle relation interdisciplinaire entre les arts plastiques et celle-ci.
John Cage ne s’y trompera pas.
Évoquons par exemple l’idée de sculpture musicale : « sculpture
musicale : Sons durant et partant de différents points et formant une sculpture
plutôt que les douzes misérables sons de l’octave. Et je ressens qu’il se passe dans la peinture
quelquechoqe d’équivalent à cela. » Dubuffet, à propos de ces expériences musicales de décembre
1960 à avril 1961, cité par Jean-Yves Bosseur, Musique et Arts plastiques : interactions au XXème
7 Introduction
sonore qui dure 5». Désormais, le son fait partie intégrante des matériaux
disponibles pour le plasticien. Cette idée précise aussi une modalité plastique#
d’usage du son : en jouant sur l’espace.
L’erratum musical, qui est sans doute la pièce la plus légendaire de
Marcel Duchamp, est une composition dont chaque note fut tirée au hasard
d’un chapeau. John Cage, encore une fois, reprendra à son compte cette idée,
en laissant le soin au i ching de déterminer les paramètres de ses œuvres. Mais,
indépendamment de la notion de hasard, c’est surtout l’acte initiateur qui nous
intéresse ici. Marcel Duchamp propose une autre manière de penser l’activité
siècle, coll. Musique ouverte, s.l., Minerve, 1998. 3 Les mots suivis d’un # sont définis dans le lexique du manuel d’arts plastiques tome I, les mots suivis
de * sont définis dans le lexique de ce manuel p. 118.
8 Manuel d'arts plastiques tome II
compositionnelle. Une nouvelle approche du travail musical qui ouvre à tous
les possibles (l’apport de Marcel Duchamp aux arts plastiques est évidemment
du même ordre, une pensée totalement nouvelle du travail artistique et de ses
effets).
Puis nous lisons encore : « Construire un et plusieurs
instruments de musique de précision qui donnent mécaniquement le passage
continu d’un ton à un autre pour pouvoir noter sans les entendre des formes
sonores modelées (contre le virtuosisme, et la division physique du son
rappelant l’inutilité des théories physiques de la couleur)6 ». Voilà une idée
tout à fait musicale, qui résonne encore avec quelques expériences qui auront4 DUCHAMP Marcel, Duchamp du signe, Paris, Flammarion, 1975.
5 Ibid., p. 47.
9 Introduction
lieu ensuite dans l’histoire de la musique (le Thérémin, par exemple, si nous
réduisons cette citation à sa simple dimension mécanique). Marcel Duchamp
rêve, et c’est un rêve plastique#, d’une machine à glissandi* (« passage continu
d’un ton à un autre »). Il n’est sans doute pas utile de préciser que le
glissando* est un cluster* qui se déploie de manière horizontale. C’est une
ligne au sens strict, et un passage entre les tons, les demi-tons, les quarts... etc.
C’est une forme anti-harmonique, qui ne dispose pas des notes comme
l’harmonie classique par succession « algébrée » (« la division physique du
son »). La plasticité du son à l’état pur, qui glisse, se tord, se noue... Alors, elle
s’oppose nécessairement à la virtuosité d’une musique « crin de cheval sur
boyaux de chat ».
6 Ibid., p. 107.
10 Manuel d'arts plastiques tome II
Bien sûr, Marcel Duchamp n’est pas le seul durant le XXème
siècle à songer aux passages possibles entre musique et arts plastiques.
D’autres s’y risquent aussi, mais, à l’inverse de Duchamp, ils envisagent les
liens entre les deux disciplines comme des hybridations, des « traductions » de
l’un à l’autre des bords. Un principe de vases communicants qui sera pourtant
la source de révolutions formelles. Si la musique ne figure pas, la peinture#
peut alors sans doute se démuseler elle aussi de la figuration et être tentée par
la représentation abstraite. Cependant, s’il est indéniable qu’une approche
mixte a libéré la peinture# de la mimesis (Kandinsky), les relations arts
plastiques / musique n’ont pas toujours été très raisonnées. Elles ont souvent
été condensées dans des rêves romantiques d’art total et autres mysticismes
11 Introduction
synesthésiques7. Il est vrai que la correspondance supposée entre les arts a le
plus souvent servi d’alibi aux arrières mondes8, mais ce chemin-là ne nous
intéresse pas.
Par ailleurs, ces relations n’ont jamais vraiment réussi à dépasser la
comparaison instaurée entre le modèle formel parfait, que représente la
composition musicale, et la composition picturale. Composition, rythme et
forme sont devenus les lieux communs des notions que l’on trouve dans l’un
et l’autre des champs, qui présupposent l’objet d’art comme une forme
pérenne et immuable. Or, il ne s’agit pas des idées défendues dans notre
premier tome du manuel d’arts plastiques. Si un passage doit avoir lieu, c’est
7 « Ces mysticismes synesthésiques », certains ont cru pouvoir les réactiver avec les C.A.N.
Le « C.A.N » désigne en informatique le convertisseur analogique-numérique, c’est-à-dire l’outil qui
12 Manuel d'arts plastiques tome II
au niveau de la « gymnastique# » que représente la plasticité au sein du travail
artistique, qu’il se fera. Car c’est l’essentiel de ce second tome : envisager la
composition musicale comme processus plastique#, et par là même rompre
avec l’approche convenue de la musique. La musique pensée depuis l’atelier
du plasticien va préférer une musique des muscles et des nerfs à la virtuosité,
proposer une musique littérale plutôt qu’une musique qui exprime des états
d’âme, pratiquer une musique concrète déduite du réel.
La musique, au risque des arts plastiques, n’axe plus toute la
logique compositionnelle sur un jeu de formes pures. Elle n’est plus cet objet
idéal, illusion matérialisée d’un concept, qui émet l’hypothèse de son
permet, d’une part, à une information en entrée (le IN) d’être numérisée, transformée en données
manipulables par l’ordinateur, et, d’autre part, de rétablir en sortie ( le OUT), sous la forme
13 Introduction
existence (parce qu’on l’a rencontrée), mais la possibilité de se rechercher
dans tous les niveaux de la réalité.
d’informations continues analogiques, les données manipulées numériquement. En effet, l’ordinateur
propose un système de correspondances image#/ son « prêt-à-porter ». Les images# comme le son sont
14 Manuel d'arts plastiques tome II
2. enser la musique aujourd’hui ? Et qu’est-ce que la réalité de
la musique aujourd’hui ? Sinon le design sonore et le
merchandising « acoustisé », formatage en règle de nos oreilles.
PC’est en premier lieu l’harmonie fonctionnelle, propice à l’achat
compulsif des consommateurs, réglée sur les coutures, enveloppante comme
une bonne soupe chaude dont les parfums de synthèse épousent une
carrosserie. D’ailleurs, n’est-ce pas toute la musique promue par la radio qui
nous forme, de façon très didactique, aux connexions son/produit ? Une vaste
entreprise de formatage qui nous prépare à l’achat, dans tous les sens. C’est le
scénario# d’une chanson, accordé à trois accords et aux sonorités du DX7, qui
résonne avec celui d’un produit. Les poncifs du R’nB dans une paire de
converties en un même tissu d’impulsions électriques, un même plan homogène. Par conséquent, les
sons et les images#, entre l’entrée des infrastructures numériques et la sortie qui les rétablit dans leur
15 Introduction
basquets, le rabâchage-rebirth9 incorporé aux microparticules extra gommantes
d’un anti-ride. Jamais l’harmonie fonctionnelle n’a autant pensé pour nous10,
elle donne du « temps de cerveau disponible » aux grandes marques de
distribution, s’associe aux produits dans une forme restreinte de sens, et, par
effet boomerang, elle se package à son tour et finit par se vendre elle-même.
Mais c’est aussi l’objet sonore* que l’on calibre. On le lisse en
réduisant sa richesse potentielle, on applique à tous les sons de notre vie
quotidienne un même filtre de séduction douillette, on tamise chaque sonorité
de telle sorte qu’il ne reste qu’un mielleux mais insipide parfum, sans heurts,
donc sans efforts ! Bénéfices perceptifs du capitalisme, notre monde sonore est
forme sensible, sont à même de subir parce que codés en numérique, les mêmes types d’opérations, de
calculs arithmétiques et logiques, donc de manipulations. C’est ici que certains cherchent une suite
16 Manuel d'arts plastiques tome II
désincarné. Les « clics » des briquets sont étalonnés, comme le bruit des
portières qui claquent, et même les chansons vaporisées sur les quais du RER,
dès le matin. C’est à se demander si le chant des oiseaux n’est pas devenu lui
aussi une vulgaire carte postale aux relents exotiques.
Pendant ce temps ..., la musique dite « sérieuse » assiste à cet
état de perte mais poursuit son divorce : elle continue à jouer Babel, innove
dans la course à l’armement technologique et n’en finit plus de désarticuler le
langage qu’on lui a laissé, dans d’adorables formes abstraites. Penser la
musique aujourd’hui, à l’aide des arts plastiques, c’est remettre du corps, c’est
refaire la peau du vivant, c’est lutter contre ces pratiques de taxidermiste.
logique à la synesthésie romantique ! Or, le contre argument paraît pourtant évident : nous ne
manipulons jamais les 0 et les 1. Nous sommes toujours confrontés avec l’ordinateur, en amont
17 Introduction
C’est chercher les heurts, c’est renouer avec le geste dans le processus
compositionnel. C’est faire une musique qui a du sens.
comme en aval (entre le in et le out), à des images# et des sons !
18 Manuel d'arts plastiques tome II
3. usique concrète. Sans doute s’agit-il de faire la peau à la
musique, d’y inscrire du vivant, et par là même, retrouver une
pratique musicale concrète, dans la mesure où la plasticité s’envisage
dans un processus compositionnel qui s’engage dans le réel, et se déduit
de celui-ci. Alors cette plasticité contaminante fait une musique des
nerfs et des muscles, tout à la fois du côté de la pratique de
l’instrument, comme du côté de l’acte compositionnel lui-même. De
plus, l’avènement de la plasticité dans la composition musicale poursuit
sans aucun doute le changement opéré au sein de l’histoire avec le son
enregistré, parce que comme lui elle travaille avec des morceaux de
réalité11. Ces fragments, nettoyés de leurs états d’âme ou de toute autre
subjectivité fantôme, sont une alternative au travail compositionnel
formel de la musique contemporaine.
M
8 La formule est empruntée à Michel Onfray, in ONFRAY Michel, Traité d’athéologie : physique de
la métaphysique, Paris, Grasset, 2005.
19 Introduction
Dès le début de l’aventure de la musique électroacoustique, P.
Schaeffer demande aux plasticiens habiles à l’abstrait de le rejoindre dans les
studios. Il y a, selon lui, une analogie évidente entre la pratique picturale et la
composition sur support (disque ou bande magnétique). Mais voilà, c’est l’une
de ses erreurs : les plasticiens sont seulement des peintres à ses yeux. Le
musicien électroacoustique se retrouve dans son laboratoire à emboîter des
formes abstraites sur bandes magnétiques, comme il pourrait le faire sur la
surface d’une toile. C’est cette posture-là que P. Boulez ne tardera pas à
reprocher à P. Schaeffer. L’adepte de la série généralisée ne supporte pas le
bricolage qui sévit dans « l’atelier du cordonnier* ». Et pourtant, si les arts
9 Boîte à rythmes de référence pour la musique techno.10 « Un des problèmes avec l’harmonie fonctionnelle c’est qu’elle entend à notre place, voyez vous.
Nous n’avons plus besoin d’entendre. Nous sommes l’objet trouvé, où l’on entend pour nous.
20 Manuel d'arts plastiques tome II
plastiques doivent venir au secours de la musique concrète, c’est certainement
parce que les plasticiens sont des bricoleurs hors pair.
Déplacer l’écriture musicale à l’atelier, retourner dans l’atelier
du cordonnier*, c’est ce que propose ce manuel. « Se rendre à l’atelier et
s’impliquer dans une activité quelconque » pour paraphraser Bruce Nauman,
« parfois, il apparaît que cette activité nécessite la fabrication de quelque
chose, et parfois cette activité constitue l’œuvre. » Il s’agit de penser le
processus compositionnel depuis notre méta-atelier.
L’harmonie, c’est comme aller chez un expert comptable pour faire un certain travail. Elle entend
pour nous, c’est fantastique, c’est merveilleux, nous n’avons plus besoin d’entendre.» Morton
Feldman in Écrits et Paroles, textes réunis par Jean-Yves Bosseur et Danielle Cohen-Lévinas,
21 Introduction
Bruce Nauman, Playing a note on the violin while I walk around the studio, 1968.
film de 9 mn.
Et vous le savez, cet atelier ne peut se penser en aucun cas
comme le studio de l’ingénieur, mais plutôt comme un lieu où le travail de
composition peut se satisfaire d’un geste ou d’une attitude, ce qui n’exclut pas
L’Harmattan, Paris, 1998, p. 294.11 C’est une des raisons pour lesquelles vous retrouverez ici et là des « références à », et des citations
de P. Schaeffer : « La musique classique abstrait, semble-t-il, des formes de toutes matières. La
22 Manuel d'arts plastiques tome II
une matérialisation. Le lieu d’une pensée des mains et des pieds qui coupent,
qui collent et déplacent, bref qui bricolent au lieu d’appliquer des concepts à
des formes visuelles et/ou sonores, c’est-à-dire un lieu où la musique se fait
sans dépendre de machines sophistiquées, et de ready made algorithmiques,
ceux de l’harmonie comme ceux potentiellement en puissance dans un
programme quelconque.
Cela veut dire aussi ne pas museler le son dans une idée a priori, mais,
comme il existe une observation visuelle (et des pratiques en découlant : « in
situ » ou « sur le motif »…), exiger de son oreille une véritable observation
sonore. Sortir enfin, pratiquer une musique à ciel ouvert, composer avec des
musique concrète, au contraire, tourne le dos à ces formes pures (...) consiste à construire des objets
sonores non plus avec le jeu des nombres et les secondes du métronome, mais avec les morceaux de
temps arrachés au cosmos » in SCHAEFFER Pierre, À la recherche d’une musique concrète, « Pierres
23 Introduction
situations particulières, ausculter le réel et chercher des alternatives à l’écoute
classique.
Nous commençons à nous rendre compte que ce recours aux arts
plastiques touche tout le niveau substantiel de la composition musicale. Le
matériau sonore s’émancipe, il est rendu enfin à ses mille dimensions,
reconnecté au milieu dans lequel il vit. Et c’est particulièrement la notion
d’objet sonore* qui se trouve menacée. Mais n’allons pas trop vite et
procédons par approches successives à l’examen de cette musique au risque de
la plasticité.
vives », Paris, Editions du seuil, 1998, p. 75.
Il va de soi que la musique concrète dont nous parlons n’est pas la musique concrète de
Pierre Schaeffer, même si certaines de ses remarques s’en rapprochent. D’ailleurs, lui-même s’adresse
24 Manuel d'arts plastiques tome II
Il est temps si vous le voulez bien de rentrer dans l’atelier du
cordonnier*, de disloquer l’espace de travail qu’il représente et d’y surligner
les nœuds où se trouve la possibilité de produire du sens. Car, messieurs les
musiciens, c’est notre dernier cliché# à abattre : la bricole est une affaire
sérieuse, elle demande autant de rigueur que la mathématique. Cependant, elle
se prête difficilement au découpage paramétrique. De ce fait, notre méta-
atelier ne livrera que les figures chorégraphiques de sa gymnastique#.
un reproche que nous reprendrons à notre compte : « Mon erreur était d’avoir repris des instruments
de musique, des notations musicales, des habitudes de pensée musicale » Ibid., p.46.
25 Le matériel
Le matériel« En réalité, si on demande quel est l’instrument concret, on se trouve bien embarrassé. Est-ce la
cueillette des sons en studio (...) l’emploi d’appareils spéciaux destinés à manipuler ces sons (...) »Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux, p. 64.
Premiers pas
e représenter le travail compositionnel traditionnel est aisé : des notes,
parfois imaginées, parfois soutenues par la pratique d’un instrument,
écrites à la plume sur du papier à musique. Mais aujourd’hui les contours de
cet espace de travail et la pratique qui s’y engage sont beaucoup moins nets.
S
D’une part, il existe avec l’ordinateur un grand nombre de possibilités
d’écrire la musique qui contrastent avec le graphisme conventionnel qui
prévalait jusque là − la note noire, blanche ou ronde sur les cinq lignes de la
portée. En effet, de nombreux logiciels d’écriture musicale proposent des
26 Manuel d'arts plastiques tome II
approches différentes, voire mixtes. Ils rejouent parfois la forme classique de
la notation musicale en proposant des éditeurs de partitions complets ou
offrent la possibilité de travailler la composition à l’aide de représentations
physiques du signal sonore ou autres analyseurs de spectre.
D’autre part, c’est l’idée même d’instrument qui est sujette à caution.
Un nombre considérable d’œuvres contemporaines poussent dans leurs
derniers retranchements les modes de jeu des instruments classiques. Les
résonateurs deviennent des instruments à percussion. J. Cage glisse des objets
hétéroclites sous les cordes du piano. Les musiciens électroacoustiques usent
de casseroles comme instruments potentiels ou de locomotives. Le
synthétiseur, quant à lui, propose une quantité de timbres indéterminés. Le
compositeur en variant les différents paramètres (oscillateurs, filtres,
résonance... pour les plus classiques) compose la sonorité dont il rêve, alors
qu’auparavant il ne disposait que des timbres de l’instrumentation classique.
Son travail se modifie radicalement et l’écriture du timbre devient tout aussi
27 Le matériel
importante que l’écriture de la forme musicale (en tout cas, elle devient une
question, intimement liée à celle-ci).
Vous comprendrez donc aisément qu’il s’agit d’autant
d’éléments qui rendent difficile une proposition de « matériel ». Et finalement,
je ne peux que vous renvoyer au chapitre du même nom du manuel d’arts
plastiques tome I. Vous pouvez faire de la musique avec tous les ustensiles et
les outils disponibles, y compris ceux du jardinage12. Les frontières entre le
matériel et le matériau sont souples et la « plasticité » se trouve déjà sollicitée
dans le choix de ceux-ci, c’est le premier moment artistique. Votre arrosoir
peut faire un très acceptable instrument percussif dont vous pouvez faire varier
les timbres avec un peu d’eau13. Si vous préférez faire vibrer le plastique vert,
soufflez dans le tuyau. Mais, comment écrire votre improvisation pour12 Pierre Schaeffer proposait de « transformer le cuisinier en musicien expérimental.»
28 Manuel d'arts plastiques tome II
arrosoir ? La seule issue qui s’offre à vous est d’enregistrer à l’aide d’un micro
et d’un minidisque ses sonorités si particulières. Parce que, pour complexifier
encore la tâche du musicien contemporain − mais finalement nous l’avions
déjà évoqué plus haut avec le synthétiseur −le travail compositionnel coïncide
parfois avec l’exécution, c’est-à-dire que le matériel d’écriture peut coïncider
avec le matériel de pratique musicale. Autrefois distincts et déterminés, le
moment de la composition et le moment de l’exécution peuvent être désormais
envisagés simultanément. La notion de matériel, et nous commencerons par là,
est donc une problématique de l’écriture musicale contemporaine.
13 « J’ai appris à jouer de la porte » dira Pierre Henry à propos des variations pour une porte et un
soupir.
29 Le matériel
Cependant, voici une proposition de matériels classiques de la
pratique musicale plasticienne, classée conventionnellement elle aussi.
Matériel d’écriture :
• un petit carnet pour débuter, sans portées si
possible (si elles vous apparaissent nécessaires, vous
pourrez toujours tracer cinq lignes à main levée) ;
• des appareils d’enregistrement : le minidisque,
la D.A.T, ou une caméra vidéo. Un micro,
nécessairement ;
• un appareil photographique (nous verrons par
la suite en quoi il peut nous être utile, même si,
30 Manuel d'arts plastiques tome II
consciencieux lecteur du manuel tome I, vous commencez
à l’imaginer) ;
• un ordinateur14 a ici sa place, en veillant
toutefois à ce qu’il ne déborde pas son rôle de simple outil
(cf. note du bas de la page 8).
Matériel de pratique musicale :
Comme nous l’avons dit, tous les corps sonores* sont
envisageables. Encore faut-il préciser qu’ils vont déterminer la qualité des
sons, de même que les sons vont dépendre du jeu que vous allez entretenir
14 John Cage précisait qu’il avait constaté la relation espace et temps en voyant défiler une bande
magnétique : le temps c’est de l’espace dira-t-il… Pour les musiciens de ma génération, le temps et
l’espace muselés dans l’écran de l’ordinateur tendent plutôt à une immatérialité commune. C’est
31 Le matériel
avec eux. Et le répertoire abonde en trouvailles relatives aux manières de jouer
d’un instrument. Le corps sonore * et l’objet sonore sont intimement liés et
leurs choix ne sont pas anodins dans la production du sens.
Munissez-vous d’un grand nombre d’instruments de toutes les
familles et d’objets aux sonorités riches.
La machinerie
ar conséquent, vous devez comprendre qu’il n’y a pas de musique
sans machinerie, et ce, depuis les débuts de l’histoire de la musique.
Composer signifie fabriquer un instrument spécifique. En effet, il s’agit pour
Ppourquoi, si l’interdisciplinarité reposait sur l’expérience du « revox », qu’en est-il de la relation arts
plastiques et musique à partir du « PC » ?15 Nous verrons plus tard que cet espace est tout aussi important dans la machinerie à mettre en place.
32 Manuel d'arts plastiques tome II
De ce fait, Il faut comprendre que choisir son matériel (puis son matériau),
qu’il soit d’écriture ou de diffusion, c’est déjà réaliser un agencement
plastique# qui va faire sens, les premiers pas de la syntaxe. Parce que tout le
matériel choisi va déterminer les opérations plastiques# que vous allez mettre
en œuvre par la suite.
Du dispositif de concert − qui a énormément évolué durant le 20ème
siècle musical − au concert de rock avec ses amplis et ses câbles qui courent
sur la scène, tout est machinerie. Elle est à prendre en compte dans la
production de sens. Placer l’orchestre autour du spectateur en prenant soin des
instruments qui se trouvent côte à côte, c’est affirmer un sens qui n’est pas le
même que celui d’une « boucle » qui serait réinjectée et filtrée par un delay,
33 Le matériel
ou projetée dans la caisse de résonance d’un piano, avant d’être réentendue sur
un dispositif spatialisé de haut-parleurs. De la même manière que le matériel
utilisé en arts plastiques, celui du travail compositionnel (instrumental, de
diffusion, de filtrage...) est important et doit être très largement pris en compte
par le compositeur en herbe que vous êtes, parce qu’il détermine une suite
d’opérations et par là même produit du sens.
34 Manuel d'arts plastiques tome II
Bruce Nauman, Violon tuned D.E .A.D, 1968.
Film, les cordes du violon sont accordées sur ré, mi, la, ré.
35 Le matériel
Méta-instrument
onsidérer cette « machinerie », c’est aussi important que travailler son
instrument : c’est une manière de le penser. Le matériel que vous
devez choisir peut être fixe, comme il peut se satisfaire d’un assemblage
circonstanciel, en perpétuelle évolution. Il doit pouvoir se déplacer avec vous,
dans votre poche ou votre sac, parce que c’est le méta-instrument de votre
méta- atelier : un instrument souple, mobile et mutable (le matériel proposé
précédemment a cet avantage, même si nous sommes conscients qu’il reste
très sommaire). Notre atelier du cordonnier se précise.
C
Présenté comme un espace aux limites floues, il est le lieu
d’opérations plastiques#, d’une pensée des mains. La lutherie est à son image#,
36 Manuel d'arts plastiques tome II
vagabonde. Ce sont les opérations plastiques# qui déterminent le choix et les
combinaisons de matériel que vous allez utiliser, et inversement. Il n’y a donc
pas d’objet ou de matériel à privilégier, ce qui veut dire pas de gestuelles non
plus (celles du domaine de la musique, du théâtre ou autre ...). Vous pouvez
aussi acquérir une technique rigoureuse de la pratique musicale, mais prenez
garde à ne pas la confondre avec la virtuosité.
A titre indicatif, complétons ce chapitre d’un tableau. Vous y
trouverez quelques points de repères concernant le matériel, ainsi que des
exemples d’opérations plastiques# qui en résultent.
37 Le matériel
Tableau 1. Jalons de lutherie vagabonde et exemples d'opérations plastiques.
38 Manuel d'arts plastiques tome II
Le matériau
« Vivre pleinement l’expérience du matériau dans son immanence »
Morton Feldman
Résumé du chapitre :
- le matériel (méta-instrument) (voir chapitre précédent)
- le son
Comme objet sonore*, produit d’une circonstance# particulièreet/ou prélevé. (Son relevé produit déjà du sens.)
- l’instrument ou n’importe quel objet
Comme corps sonore* et/ou matériau scénarisé.
- le corps
Comme force musculaire et/ou référence sociale (geste/représentation...)
39 Le matériau
e chapitre aborde le niveau substantiel de la musique, le « niveau
atomique » de vos futures compositions. A la suite du manuel d’arts
plastiques tome I, il vient compléter le chapitre du même nom et tire les
conséquences qui s’imposent concernant le matériau musical, envisagé de
manière plastique#.
C
C’est tout naturellement que la plasticité appliquée au son va nous
conduire à considérer le corps sonore* (l’instrument) et le corps exécutant (les
muscles et les nerfs du musicien et/ou du compositeur) comme matériaux à
part entière dans la mesure où leur choix, leur position dans l’espace, les
modes de jeu, leurs relations avec les autres matériaux en jeu, sont producteurs
de sens.
40 Manuel d'arts plastiques tome II
Commençons par une définition très concrète du son. Le son est
une onde produite par la vibration mécanique d’un support fluide ou solide et
propagée grâce à l’élasticité du milieu environnant sous forme d'ondes
longitudinales. Par extension physiologique, le son désigne la sensation
auditive à laquelle cette vibration est susceptible de donner naissance16. Le son
est un matériau qui se diffuse, qui se propage, ce qui nous intéresse
particulièrement du point de vue des arts plastiques. Il ne peut être cadré, il n’a
pas de limites. Il s’agit d’un matériau fluide et malléable. Vous entendez votre
voisin répéter ses gammes, le mur concomitant ne suffit pas à arrêter ce bruit
et vos oreilles n’ont pas de paupières. Le double vitrage par ailleurs s’avère un
16 Nous débutons notre réflexion sur le matériau musical à partir d’une définition volontairement
sommaire, voir « ras les pâquerettes » du phénomène sonore. Celle-ci nous est fournie par Wikipédia,
encyclopédie libre : wikipédia.org.
41 Le matériau
bien piètre filtre pour vous isoler du gémissement urbain. Il s’agit en
conséquence de penser le son comme une intensité dont les déplacements
seraient comme « une chaleur qui se répand », un modèle de plasticité.
Deux sons en présence ne peuvent que se rencontrer, se mêler, se
diffuser l’un dans l’autre. Le travail d’écriture doit tenir compte de cette
caractéristique physique qui, comme nous le verrons, se déplace elle aussi à
plusieurs niveaux (physique et métaphorique). Entremetteur, vous devez
composer avec cette particularité du matériau sonore, c’est-à-dire déterminer
l’espace et le temps qui les séparent ou qui les unient, pour organiser leur
rencontre. Et cette rencontre va, bien entendu, faire sens. En effet, l’espace et
le temps sont les seules modalités dont vous disposez pour isoler les sons (au
42 Manuel d'arts plastiques tome II
sens de matériaux isolants, s’entend). Ils sont les premières données qui vous
permettent de mettre en place des intervalles, et l’on devine les jeux
plastiques# dont nous pouvons disposer. Deux sons émis à une distance
particulièrement importante l’un de l’autre solliciteront un déplacement de
l’auditeur pour faire leur contact (dans son oreille) ou pour chercher s’il a lieu.
Vous pouvez également choisir d’émettre deux sons, l’un après l’autre, avec
un moment suffisamment important entre eux, de telle sorte que le contact ne
se fasse pas.
43 Le matériau
Nous nommerons intervalles conjoints17, le cas où le temps
et/ou l’espace seront suffisamment courts pour que les sons (et les
éléments extra- sonores18) entretiennent une identité de proximité, et
intervalles disjoints, le cas où le temps et/ou l’espace seront
suffisamment importants pour que les sons (et les éléments extra-
sonores) soient isolés.
17 Librement inspiré de P. Boulez dans Penser la musique aujourd’hui, « Tel », Paris, Ed. Gonthier,
1963.
44 Manuel d'arts plastiques tome II
Tout ceci a l’air d’une simplicité enfantine. Pourtant nous touchons
encore une fois à des questions de syntaxe. Pour organiser ces rencontres, ces
contacts ou ces espaces-temps isolants, il faut comprendre les relations du
matériau musical comme des relations de conduction#. Les matériaux
s’inscrivent dans une temporalité à la fois par leur qualité physique et par la
liaison qu’ils entretiennent, c’est-à-dire la catégorie d’intervalles utilisés. De
ce fait, décrire ces modalités de passages nous permettra de dégager les formes
temporelles d’évolution du matériau. Celles-ci nous apparaîtront bien utiles
par la suite pour concevoir notre boîte à outils plastique# du processus
compositionnel.
18 Tout au long de ce manuel, les formules prennent en compte une vision d’ensemble de l’activité
compositionnelle plastique#. De ce fait, certaines formulations ne vous apparaîtront pas intelligibles
tout de suite, mais ces interrogations sont passagères, et plus vous progresserez dans la lecture de ce
45 Le matériau
Rejouons donc l’aberrante séparation faite dans le premier tome
de ce manuel, entre conduction# concrète, qui s’appuie sur des phénomènes
physiques observables, et conduction# mentale, où le sens s’entend lui aussi
comme la « chaleur qui se répand 19». Rappelons toutefois que cette séparation
n’a de valeur que pédagogique, elle est insensée.
Conduction physique
« Les sons pour ce qu’ils sont sans intentions, réflexions, buts ou sentiments. » J.Cage
e sont les qualités physiques et formelles (grain, allure, attaque,
résonance, timbre...20) du son qui sont privilégiées dans le mode de
relation qu’il entretient avec les autres matériaux en présence.
Crecueil, plus elles se préciseront et deviendront l’évidence même.19 C’est donc la musique entière qui est une chaleur qui se répand.
46 Manuel d'arts plastiques tome II
Conduction directe
a conduction# entre deux sons peut être directe. Elle correspond alors au
dialogue des énergies concrètes des sons mis en œuvre. Celle-ci est
déterminée par la force (intensité) et la durée de l’émission des sons. Les
vibrations de chacun des sons se rencontrent et se mêlent. Seule la distance
temporelle entre les débuts de l’émission des sons détermine leur degré
d’isolement.
L
Exemple 1 : Poser une cymbale sur le corps résonant* d’une
guitare. L’énergie de l’excitation des cordes de la guitare est transmise par son
corps résonant* à celui de la cymbale. Le son en résultant est changé, le timbre
20 Nous ne nous attarderons pas sur ces terminologies de description sonore, efficaces mais néanmoins
« pétrifiantes ». Vous trouverez ces outils d’observation dans le traité des objets musicaux de Pierre
Schaeffer.
47 Le matériau
de la guitare est augmenté par la résonance de la cymbale. Vous pouvez aussi
envisager le parcours inverse, où c’est l’excitation de la cymbale qui
contamine le corps résonant* de la guitare. Il s’agit du degré zéro de la
conduction# directe par contact réel21.
Sonates et interludes pour piano préparé, J. Cage, 1946-48. J. Cage transforme les
sonorités originelles du piano en glissant entres ses cordes divers objets. « Je me suis alors
rappelé les sons que produisait le piano lorsque Henry Cowell en grattait ou en pinçait les
cordes, passait une aiguille à ravauder dessus et ainsi de suite. Je suis allé à la cuisine, j’ai
pris un moule à tarte, je l’ai mis avec un livre sur les cordes et j’ai vu que j’étais sur la bonne
voie. 22»
21 Les différents composants d’un corps sonore* entretiennent, rappelons-le, des relations de
conduction# directe (excepté le registre qui concerne la conduction# indirecte) : 1. Vibrateur, 2.
Excitateur, 3. Résonateur, 4. Coupleur.
48 Manuel d'arts plastiques tome II
Exemple 2 : La guitare et la cymbale ne se touchent plus et sont
excitées en même temps. Les vibrations se rencontrent dans l’air. L’expérience
peut être réalisée avec le piano ou tout autre instrument.
Il s’agit de la rencontre privilégiée depuis longtemps dans notre
musique occidentale, qui va de la fabrique d’un accord au jeu d’une ligne
mélodique (où la distance temporelle est suffisante pour que chaque note
morde la suivante23). Bref, il s’agit du degré 0 de l’intervalle conjoint.
Vous l’avez compris, c’est tout le " solfège " traditionnel qui se trouve ici.
22 Entretien avec Stephen Montague (1982), in Konstelanetz Richard, Conversations avec John Cage,
Paris, Ed. des Syrtes, 2000, p. 97.
49 Le matériau
La musique classique occidentale s’est construite à partir de deux
cas particuliers de la conduction directe que vous pouvez réinvestir. D’une
part, l’harmonie fondée sur une typologie des résonances naturelles. D’autre
part, les traités d’orchestration lorsqu’ils décrivent les agencements
topographiques de l’orchestre en fonction des résonances sympathiques
qu’entretiennent les différents instruments convoqués.
23 Pourtant, les durées furent rarement la catégorie première de la syntaxe de la musique occidentale,
au contraire des hauteurs.
50 Manuel d'arts plastiques tome II
Module N°200, Composition calorique, pour 5 violons, 2007.24
24 Les exemples sans précision du nom de l'auteur sont issus de mon propre travail.
51 Le matériau
Conduction indirecte
ais, à considérer la musique comme un objet idéal, clos sur lui-même,
on oublie que dans le même temps d’une conduction# directe, la
conduction# est aussi indirecte, c’est-à-dire que la production de sons ne se fait
pas seulement d’énergie sonore. Pour émettre un son avec un corps sonore*
quelconque, il y a toujours une relation de conduction# entre une énergie
musculaire et une énergie sonore (dans l’exemple de la guitare et de la
cymbale), et/ou entre une énergie mécanique ou électrique et une énergie
sonore (le synthétiseur, par exemple). Nous ne pouvons pas mettre de côté,
dans l’exercice de la composition, l’écriture de cette énergie physique qui va
déterminer le son à entendre.
M
52 Manuel d'arts plastiques tome II
Cette conduction# indirecte fut très souvent écartée des
problématiques musicales, plus soucieuses de l’histoire formelle à raconter
que de l’acte musical lui-même. C’est le corps entier (posture, geste...) et le
corps sonore* qui produisent du son : un passage d’énergie à énergie. De ce
53 Le matériau
fait, le corps du musicien intervient dans la composition et les arts plastiques
nous apprennent, nous l’avons vu dans notre premier tome, à approcher les
enjeux de ce corps : entre présence de la chair (musique des muscles et des
nerfs) et matériaux scénarisés (comme nous le verrons un peu après). Nous
pouvons cependant trouver quelques exemples dans l’histoire des arts
plastiques et de la musique confondue où cette conduction# d’énergie entre en
ligne de compte.
54 Manuel d'arts plastiques tome II
George Brecht, incidental music, 1962.
55 Le matériau
George Brecht joue de l’équation initiale (schéma plus haut) en proposant
dans cette pièce une conduction qui s’avère doublement indirecte (intervalle
disjoint).
La Monte Young propose une pièce où l’énergie musculaire est infime :
Lâcher un papillon (ou n’importe quel nombre de papillons) dans unesalle de concert. Lorsque la composition est terminée, prenez soin de laisserle papillon s’envoler dehors. La composition peut être de n’importe quelledurée, mais si l’on dispose d’un temps illimité, les portes et les fenêtrespeuvent être ouvertes avant que le papillon ne soit lâché et la compositionpeut être considérée comme terminée lorsque le papillon s’envole dehors.
La Monte Young, composition 1960 # 5, 1960.
56 Manuel d'arts plastiques tome II
Ces pièces, malgré leur radicalité, intéressent particulièrement notre
recherche de la plasticité dans le processus compositionnel. En effet, la
composition n’est pas le résultat de manipulations conceptuelles a priori mais
plutôt celui de manipulations qui mettent en jeu le corps entier (y compris
dans un écart, à son comble, où c’est le corps d’un papillon, dont les
battements d’ailes sont à la fois l’énergie musculaire et la musique.) De plus,
ces pièces viennent compléter le catalogue classique des gestes de la
musique (gestes d’entretien, d’itération, de changement, d’évolution, et gestes
ponctuels25) par des gestes clairement plastiques#.
La cause et l’antécédent ne sont pas déduits d’une logique formelle,
mais bien d’un déploiement d’énergie initié d’une opération.
25 Nous empruntons cette liste à K. Stockhausen. Elle nous paraît être la plus simple et la pluscomplète.
57 Le matériau
John Cage, 4’33’’, 1952.
4'33" est une œuvre pour "n'importe quel(s) instrument(s)" en trois mouvements. Le premier
mouvement est de 30’’, le second de 2’23’’ et le troisième de 1’40’’. La partition indique en
chiffre romain le numéro des mouvements, suivi de « Tacet », mot noté sur une partition
pour signaler qu'un exécutant doit garder le silence pendant la partie du morceau
correspondante. Les 4’33’’ sont donc entièrement composées de silence, les seuls sons
audibles pendant son exécution sont les bruits ambiants.
La première exécution de 4'33" a lieu au Maverik Hall de Woodstock en 1952 avec David
Tudor au piano. David Tudor, pour son interprétation, choisira d’ouvrir et de fermer le
couvercle du piano, au début et à la fin de chacun des trois mouvements.
Les 4’33’’ de silence de J. Cage peuvent être pensées comme un
cas particulier de l’équation initiale où l’énergie musculaire est égale à zéro26.
Il nous propose un moment « pur », contrairement à la conduction# indirecte
abordée dans la pièce de George Brecht présentée ci-dessus, qui se déploie26 Cette équation sera développée dans le chapitre « partitions et notations » p. 90.
58 Manuel d'arts plastiques tome II
selon un passage, celui d’un état donné à un autre, un passage de moment à
moment.
La conduction# indirecte, si elle peut être pensée dans une relation
stricte entre le corps et l’instrument (musique des muscles et des nerfs), est
aussi l’un des premiers recours logiques à des éléments extramusicaux dans la
composition musicale plastique#. De ce fait, nous pouvons extrapoler cette
intrusion à d’autres matériaux (Objet ready made, image# fixe ou en
mouvement) mais il faut prendre garde à ce que l’assemblage respecte les
conditions d’une conduction# physique indirecte.
59 Le matériau
Nam June Paik, Listening to music throught the mouth, 1963.
60 Manuel d'arts plastiques tome II
Conduction mentale
e son fut rarement pensé par la musique « classique » en tant que
processus provoqué par un déplacement d’énergie du corps musicien.
Traditionnellement, le compositeur a toujours demandé à l’auditeur une
certaine abstraction de ce phénomène énergétique, privilégiant le résultat
formel. Sauf peut-être avec la notion de « virtuosité ». Mais qu’est-ce que la
virtuosité ? Sinon cette musique des « muscles et des nerfs » sublimée. Nous
pouvons alors conclure que l’énergie musculaire dans l’approche
conventionnelle de la musique est scénarisée par le dispositif du concert. C’est
lui qui permet d’abstraire le corps physique de l’exécution.
L
La plasticité appliquée au processus compositionnel nous permet,
au contraire, de considérer les matériaux mis en œuvre comme des éléments
61 Le matériau
scénarisés, et par là même, nous conduit à ouvrir à d’autres matériaux
similaires. Alors, la relation que ces matériaux entretiennent entre eux
s’envisage comme des conductions# mentales. Si les sons sont toujours soumis
à leurs qualités physiques objectives, ils peuvent aussi être choisis pour la
petite histoire qu’ils nous racontent. De plus, le geste, mais aussi le corps
sonore*, l’espace de diffusion... sont autant d’éléments susceptibles
d’intrigues. Il paraît donc essentiel de les choisir avec soin, en fonction du
sens à faire passer.
62 Manuel d'arts plastiques tome II
Conduction de matériaux scénarisés simples
omme pour les matériaux en arts plastiques, ceux utilisés pour la
musique peuvent être des matériaux scénarisés simples. Il suffit par
exemple de choisir un timbre lié à l’instrumentation occidentale, pour se
référer à notre histoire de la musique. Composer une pièce pour clavecin ou
pour viole de gambe ne peut s’envisager sans référence à l’histoire de ces
instruments, à ce qu’ils véhiculent d’histoire floue chez n’importe quel
auditeur/spectateur. De ce fait, c’est le timbre de l’instrument qui est scénarisé,
choisi pour ses références, mais aussi, l’instrument en temps qu’objet physique
présent et par là même, la posture du corps du musicien (c’est elle qui
détermine la citation, l’hommage, l’appropriation). Difficile de composer une
pièce pour orgue en faisant l’impasse de sa fonction dans les églises. De
C
63 Le matériau
même, choisir le timbre d’un instrument issu d’une autre culture musicale peut
désigner ou évoquer l’exotisme.
Allusion à la toccate baroque et le clavecin dans le Continuum de G. Ligeti, 1968.
La conduction# des matériaux scénarisés simples, contrairement aux
autres types de conduction# qui s’inscrivent dans un processus temporel, ne
détermine pas une forme du temps.
Conduction de matériaux scénarisés complexes.
e plus, le sampling* et la prise de son ont apporté de nouveaux degrés
au niveau substantiel d’une composition. Nous pouvons difficilement
parler de niveau « atomique » pour les citations ou les morceaux de réalité
enregistrés, dans la mesure où un fragment de musique préexistante, samplée,
D
64 Manuel d'arts plastiques tome II
est déjà une construction complexe de son. De la même façon, un
enregistrement sonore est un agencement acoustique difficile à traduire en
fonction des hauteurs, des intensités et des durées. Les boucles, les citations,
les prises de son, incorporées dans une pièce musicale, sont des matériaux
complexes. Si elles sont déjà un ensemble de sons, elles sont choisies pour
leur(s) référence(s).
Si le prélèvement peut être motivé par des raisons purement
formelles (mélodiques, harmoniques, temporelles), les motivations
sémantiques sont évidemment les plus prégnantes. La comparaison entre le
sample* et le ready-made paraît inévitable. L’usage d’un fragment préexistant
au travail du compositeur va prendre du sens (pour les plus courants :
65 Le matériau
hommage, pastiche, citation...27) en fonction du contexte dans lequel le
compositeur va l’inscrire.
Les patterns rythmiques empruntés au jazz, ainsi que l’alternance solo/refrain, les
références Balkanes de la construction rythmique et des sonorités de Hungarian Rock,
chaconne pour clavecin, G. Ligeti, 1978.
Cette remarque sur le contexte dépasse le simple recours au
sample. En effet, nous découvrons ici un modèle de pensée pour notre
musique plastique#, qui n’est pas sans rappeler une mise en garde que fit P.
Boulez à propos de l’organisation modale dans une lettre adressée à J. Cage.
Cette mise en garde concerne l’individualité donnée à chaque son qu’il croit
repérer dans les pianos préparés du destinataire, et Mode de valeurs et27 Quelques fragments célèbres réinvestis : Cage et Satie, Kagel et Beethoven, Pärt et Bach, Pierre
Henry et Wagner.
66 Manuel d'arts plastiques tome II
d’intensités de Messiaen. P. Boulez oppose à la pensée modale une pensée
sérielle (le tout jeune sérialisme généralisé) proche de la conception
Wébernienne où « le contexte fait surgir à l’apparition d’un même son, une
individualité très différente de ce son 28». Une telle remarque, mais nous
aurons l’occasion d’en reparler, semble tout à fait en accord avec les modes de
relation que nous sommes en train d’identifier dans ce chapitre.
Mais le sample, comme fragment préexistant à la composition,
n’est pas le seul élément complexe dont dispose notre compositeur plastique#.
De la même manière, des morceaux de réalité enregistrés et intégrés dans le
travail compositionnel vont déployer (répandre, c’est en ceci qu’il s’agit d’une
conduction#) le sens culturel, historique ou géographique, circonstanciel et28 P. Boulez & J. Cage, correspondances et documents, Christian Bourgois Editeur, 1990
67 Le matériau
anecdotique dont ils sont porteurs. Bien plus que des « fragments » ils sont des
« moments », des morceaux de moment d’une réalité que nous allons appeler
pour des commodités théoriques des boutmoments*. Il va de soi que
l’enregistrement des rues de New York pendant un incendie ne nous raconte
pas la même histoire que le lever de soleil sur la côte italienne. Et ces
boutmoments* peuvent intégrer une composition musicale riche, dialoguer
avec d’autres sons, samples* ou boutmoments*.
La ville de New York : cri d'un camelot, divers bruits évoquant les moyens de
transport urbain , les sirènes et les pompiers …de City Life, Steve Reich, 1995. Les sons
enregistrés qui se mêlent aux sons de l’orchestre proviennent, soit d'enregistrements
effectués par le compositeur dans les rues de New York, soit d'enregistrements transmis par
la police. Ces fragments de son de la ville enregistré sont disponibles dans un
échantillonneur (sampler) et joués par un clavier électronique.
68 Manuel d'arts plastiques tome II
Bruits de ressac, formes sonores indistinctes, caquètement d’une poule, braiment
d’un âne au loin… dans Presque rien n°1 le lever du jour au bord de la mer, Luc Ferrari,
1970. Luc Ferrari réalise une «restitution réaliste (…) d’un village de pêcheurs qui se
réveille» en plaçant ses micros au bord de la fenêtre de la maison qu’il habitait, face à la Mer
Adriatique. Cet enregistrement sera retouché plus tard par un montage « imperceptible ».
Le boutmoment* de mer et le bateau qui passe dans Peter Eötvös, « Now miss ! »,
1972. Pour violon & orgue électrique d'après "Embers" de Samuel Beckett, tansformé avec
un synthétiseur et bruits de mer. Comme dans la pièce radiophonique dont il s’inspire, on
entend un dialogue entre deux personnes, le violon et l’orgue électronique, assis sur la
plage.
69 Le matériau
Nam June Paik, Ramdom access, 1963-1979.
70 Manuel d'arts plastiques tome II
Ces matériaux complexes apportent d’autres comportements
compositionnels, car il s’agit de mettre côte à côte des fragments, de les faire
cohabiter avec d’autres sons, parfois moins scénarisés mais qui le deviennent
par rétroaction, ou de modeler deux éléments hétérogènes pour proposer un
tout cohérent. Insérer, rapprocher, coller, fondre... autant d’opérations
plastiques# s’il en est, dont les modèles sont le mix* et le montage*.
Qu’est-ce qui fait la différence ? La couture !
Le montage consiste à mettre en vis-à-vis deux fragments (des
images# comme des sons) qui n’ont a priori rien de commun. Il s’agit, selon la
jolie formule de Jean Luc Godard, de « mettre une inconnue en évidence »
(l’inconnue x des mathématiques). C’est faire naître du sens de ce
rapprochement lointain et juste. Le montage nécessite donc que la couture, le
71 Le matériau
raccord, soit visible (lisible, audible). Au contraire du mix*, qui mêle deux
éléments distincts en camouflant la supercherie, en les rendant solidaires dans
un seul objet, lequel nous apparaît presque « naturel ». Mix* et montage* sont
des activités compositionnelles qui juxtaposent des moments. Dans le premier
cas, les coutures sont pénétrantes et le moment résultant paraît d’une
homogénéité parfaite, dans le second, la couture est lisible et le sens naît du
face-à-face de deux moments très différents. Il va sans dire que, dans le cas de
la musique, ces deux figures travaillent aussi bien verticalement
qu’horizontalement où chaque élément est le contexte de l’autre. Condition
sine qua non de l’apparition du sens(ible).
72 Manuel d'arts plastiques tome II
Tableau 2. Schéma de mixage et de montage dans les dimensions verticales et horizontales pourdeux boutmoments et/ou samples A et B.
Et ces coutures nous intéressent au plus haut point. Elles nous
permettent encore une fois d’ouvrir ces corrélations à tous les matériaux en
présence dans la composition. Le corps sonore scénarisé peut se heurter à la
73 Le matériau
musique elle-même : la Marseillaise jouée sur un balafon29, par exemple. Le
corps de l’exécutant peut entretenir aussi une relation de montage avec son
instrument : un rappeur jouant de la viole de gambe. Mais nous pouvons
envisager avoir recours à des images# ou à d’autres objets.
29 Les exemples proposés ici sont des caricatures.
74 Manuel d'arts plastiques tome II
Module N° 182, Barbelés, pour quatuor à cordes, 2007.
75 Le matériau
Le matériau de la musique, mentalisé plastiquement, ne se pense
pas selon les dimensions classiques du son (timbre, hauteur, intensité,
durée...). Au contraire, ses dimensions ne sont que la partie visible d’un
iceberg aux multiples dimensions, dont il faut retenir qu’elles sont déjà
(surtout) des points de connexions. Vous disposez désormais d’une plus large
palette de matériaux musicalo-plastiques (sonores ou extra-sonores) dont le
sens va dépendre des liens que vous allez tramer entre eux. Le matériau est
toujours un contexte pour un autre. L’œuvre ainsi pensée est un réseau
complexe de passages (conjoints ou disjoints), passages qui, comme nous
l’avons vu, prennent du temps. C’est évidemment un élément essentiel et
conséquent aux conductions# : les matériaux en jeu se déploient dans le temps
physiquement et/ou mentalement.
76 Manuel d'arts plastiques tome II
Tableau 3. Tableau récapitulatif des évolutions temporelles en fonction des conductions.
77 L’observation
L’observation« Jamais le compositeur n’a été aussi dangereusement proche de devenir une figure étrangère, ou
purement décorative dans sa propre société. »L. Berio, Méditations sur un cheval de douze sons, 1968.
Composition politique impolie # 1, 2001.
78 Manuel d'arts plastiques tome II
a découverte du magnétophone fut l’occasion d’une nouvelle
observation du phénomène sonore. Par ailleurs, P. Schaeffer remarqua
rapidement la fonction ambiguë de l’appareil. Le magnétophone et
l’inscription du son sur le support magnétique proposaient simultanément, au
compositeur électroacoustique, une nouvelle lutherie et un laboratoire. Dès les
débuts de l’aventure de la musique concrète, les nouvelles technologies
permettant d’enregistrer le son (du microsillon à la bande magnétique) furent
prises entre le microscope et l’instrument, un intervalle dans lequel leur
position était ambiguë oscillant entre la possibilité créatrice et la possibilité
d’analyse de ces nouveaux outils. « C’est aussi, c’est d’abord (pour la
recherche) une machine à observer les sons, à les " décontexter ", à redécouvrir
les objets traditionnels, à réécouter la musique traditionnelle d’une autre
oreille, d’une oreille sinon neuve, du moins aussi déconditionnée que
possible 30»
L
30 SCHAEFFER Pierre, Traité des Objets Musicaux : essai interdisciplines, « Pierres vives », Paris,
Edition du Seuil, 1998, p. 34.
79 L’observation
Mais voilà, le microscope schaefferien est un microscope à
balayages et l’enregistrement sur la bande magnétique décontextualise, selon
lui, le son de sa source, il en fait une abstraction formelle pure. Les progrès en
phonétique acoustique furent fulgurants, et l’ouverture aux sonorités
extramusicales « classiques » incontestablement riche, comme en atteste la
musique contemporaine. Il faut reconnaître que le vocabulaire descriptif des
sons est aujourd’hui particulièrement au point. Pourtant, si notre manuel se
réclame de ces nouvelles conditions de l’observation sonore, elles ne satisfont
pas le plasticien qui ausculte et préfère la loupe de Holmes au microscope de
Mendeleïev.
80 Manuel d'arts plastiques tome II
Au même titre que les images#, nous sommes saturés de sons et le
musicien n’a plus le monopole de la musique. Les designers du son composent
l’identité sonore des gares et des supermarchés, de la même manière que les
publicitaires dessinent leurs logos ou rédigent leurs slogans de vente. Ce
formatage forcé de notre écoute va jusqu’à l’écriture du bruit d’un moteur de
voiture, ou de la sonorité d’un talon aiguille sur le pavé. L’usage des sons dans
notre société postindustrielle, comme celui des images#, est négociant. Alors,
ce sont les reportages d’investigation qui présument d’un devoir d’objectivité,
qui, en s’acoquinant avec le profit à tout prix, choisissent d’agrémenter leur
constat d’une musique codée. Soutenant les images#, elle induit la lecture, tour
à tour subjective, puérile, spectaculaire... Ça plaît, ça se vend ! Et tant pis pour
les partis pris douteux dont ces montages font preuve.
81 L’observation
La musique, en tant que système de signes, n’échappe pas à la
règle. Elle devient un instrument de modelage et de programmation de
comportement. Elle assujettit l’auditeur au capitalisme global. Mais nous
n’allons pas répéter ce que nous avons déjà évoqué dans l’introduction de ce
manuel, et que vous trouverez, de manière plus détaillée dans le premier tome.
Cependant, insistons sur ce point : l’usage social# de la musique doit rester
l’un des principaux axes de votre observation.
82 Manuel d'arts plastiques tome II
Module 220, Pièce pour 100 tricoteuses : le temps d'une paire de mitaines, 2000-2008.
83 L’observation
Nous évoluons donc parmi les signes. Des signes audio-visuels31,
que l’artiste ne peut négliger dans son travail, des signes dont il doit être à
l’écoute. Parce que, parfois, le sens de ces images# sonores est tellement
révoltant qu’il faut le dénoncer, ou parce qu’il arrive malgré tout qu’une
musique s’échappe. Il faut vous armer d’un certain don d’observation pour
repérer, promeneur écoutant32, ce que chante la réalité. Des images# sonores se
détachent parfois du tissu dans lequel elles sont prises, et font sens. Ce sont
des timbres, des formes, des usages, des rencontres qui nous offrent cette
attention particulière, des sons qui dialoguent entre eux dans une circonstance#
singulière et qui dialoguent aussi nécessairement avec un lieu, une image# et
31 Mais on nous a fait aussi la promesse de publicités olfactives.32 Librement adapté de Michel Chion.
84 Manuel d'arts plastiques tome II
une situation. Cette observation nous procure une sensation pré-musicale (ou
musicale, déjà33).
À la suite de Pierre Schaeffer, cette observation sonore identifie un
« objet sonore* ». Mais contrairement à son approche qui objective le son au
point d’en taire la source, l’objet sonore* décrit ici est un objet qui ne veut pas
oublier le site et le moment qui l’ont vu naître. Alors que Pierre Schaeffer isole
un son pour ses qualités abstraites (ses habitudes de pensées musiciennes),
nous proposons au contraire l’observation d’un son concret. Ce moment
sonore ou musical objectivé ne peut continuer à faire sens que dans le moment
poly sensoriel de son émission. Si nous partageons avec le théoricien la33 Nous assumons tout à fait cette fluctuation entre objet sonore et objet musical.
85 L’observation
nécessaire « mise entre parenthèses » du monde extérieur et de ses objets34
comme une qualité nécessaire à l’observation, la principale critique que nous
formulons concerne le « hors circuit » qui suit cette « suspension » et fait
écouter le son pour lui-même, indépendamment de sa source (l’écoute
réduite). Faire abstraction de ce à quoi le son renvoie (provenance et
signification) nous apparaît une théorie bancale où sans aucun doute il suffit
de gratter pour trouver une quelconque transcendance, si phénoménologique
soit-elle. Or, empiriquement, cette écoute réduite (idéale) n’est qu’un cas
particulier du travail désincarné du studio. L’observation est la « mise entre
parenthèses » d’une manifestation multi sensible35 où les éléments sont
34 L’ épochè d’Husserl à laquelle nous refusons le « transcendantal ». 35 Multi, poly, pluri...Nous usons de synonymes pour éviter les dérives philosophiques.
86 Manuel d'arts plastiques tome II
connectés les uns aux autres, y compris avec le contexte : une circonstance#
toute entière.
De ce fait, cette circonstance# pourrait à son tour être l’objet d’un
processus compositionnel qui serait déduit du réel : un « in situ » musical en
quelque sorte. Et si la circonstance# était enregistrée, le processus
compositionnel pourrait jouer avec ce fragment complet de sons concrets (ce
qui pose la question de l’enregistrement36). Nous voyons s’esquisser deux
36 Précisons que si notre objet sonore est contextuel, il n’en est pas pour autant un objet qui figure ou
représente. Il faut prendre garde à cette confusion. Notre objet fait signe et n’a rien à voir avec celui
des tenants du « cinéma pour l’oreille », parce qu’il fait une différence essentielle entre la prise de vue
87 L’observation
possibilités distinctes de travailler avec cet objet sonore* plastique, mais
auparavant, faisons le point sur les modalités d’apparition de l’objet sonore*37.
Modalités d’apparition de l’objet sonore.
n appelle objet sonore* toute manifestation et événement sonore que
l’on saisit pour ses propriétés (qui sont à la fois physiques, formelles et
sémantiques), comme un être sonore dépendant de l’occasion de son
apparition. Il peut être enregistré, noté (avec les écarts que cela suppose) ou
impliqué dans sa circonstance# même pour un travail compositionnel
O
et la prise de son.37 Rappelons avec M. Chion les confusions fréquentes faites à propos de l’objet sonore, in Guide des
objets sonores : Pierre Schaeffer et la recherche musicale, INA-GRM, Buchet/Chastel, Paris, 1983, p.
88 Manuel d'arts plastiques tome II
circonstanciel. C’est un son, une séquence de sons, une musique qui nous fait
signe. Corollaires :
- l’objet sonore* est d’origine concrète, il est le produit d’une
observation.
- Il est pré musical ou musical.
- Il ne peut s’écrire que de manière incomplète. Il ne répond pas dans sa
saisie aux paramètres catégoriques de durée, d’amplitude, de fréquence,
de timbre... Il affirme au contraire ses multiples dimensions.
- Il n’est pas le produit d’une combinatoire ou de calcul a priori.
- Il ne s’enregistre pas nécessairement, sa saisie est d’abord mentale.
- Il n’est pas seulement formel, il a du sens.
34. : « A. L’objet sonore* n’est pas le corps sonore. B. L’objet sonore* n’est pas le signal physique.
C. L’objet sonore* n’est pas un fragment d’enregistrement. D. L’objet sonore* n’est pas un symbole
noté sur une partition. E. L’objet sonore* n’est pas un état d’âme. »
89 L’observation
Nous distinguerons alors trois catégories d’objets sonores :
Objet sonore de geste (rétroactif)
l naît d’un corps à corps entre une énergie musculaire et un corps sonore*.
Il nécessite donc un travail gestuel, en particulier de gestes de
« répétition », d’« évolution », de « changement », d’ « entretien » et
« ponctuels », qui découlent d’expérimentations, tel que gratter, frotter,
tapoter...
I
Il n’est pas exclu que ceux-ci débordent sur des engrenages
syntaxiques qui mettent en œuvre une pré-construction formelle. Parfois, il
s’agit de la composition même. La musique électronique est adepte de cette
inscription de gestes au sein de la composition, au point d’en faire l’acte même
90 Manuel d'arts plastiques tome II
de la composition, au sens où nous l’entendons dans l’action painting en arts
plastiques : scratch, apparition/disparition (avec le bouton de volume), filtre...
Il s’agit d’un objet sonore* rétroactif que l’on reconnaît comme objet
sonore* et qui appelle à son tour des gestes de transformation.
Objet sonore de manipulation (ou désincarné)
’est l’objet sonore* de l’écoute réduite Schaefferienne. Les qualités du
son sont déjà abstraites par l’appareil d’enregistrement. Celui-ci,
considéré comme un microscope acoustique, observe un son amnésique de sa
source (première désincarnation). C’est un objet sonore* de pure écoute et qui
n’est plus le résultat d’une force musculaire. Son évolution et sa capacité à
produire d’autres objets sonores désincarnés vont dépendre de l’application
C
91 L’observation
d’a priori numériques, qu’ils soient d’ordre conceptuels ou algorithmiques
(les filtres et les effets appliqués sur le son).
Objet sonore de circonstance
lus complexe, c’est celui qui correspond le plus parfaitement à notre
définition initiale. Il s’inscrit dans un lieu et un moment. Il prend toujours
le risque d’évoluer vers les deux autres objets sonores décrits précédemment.
L’écoute et le saisissement du potentiel musical se font en même temps.
Relever cet objet sonore* c’est le capturer avec une certaine enveloppe liée
aux circonstances# de son émission (spatiale, prosaïque, sociale…) qui est
aussi sa condition sémantique. Il transporte avec lui le lieu qui le voit naître,
où il vit et meurt. Il est connecté aux autres données sensibles. De ce fait, le
son peut être considéré comme un phénomène d’ensemble, non réductible à
P
92 Manuel d'arts plastiques tome II
des catégories, ne tenant compte que de l’intérieur du son (timbre, fréquence,
durée…) qui pose le son comme une extériorité à la composition. « N’était-ce
pas le concept même d’ « intérieur du son », d’ « intérieur du matériau » qui
d’emblée avait piégé cette recherche, puisqu’il supposait déjà résolue, par le
compositeur, la question des limites où s’arrêterait cet intérieur, où
commencerait l’extérieur qui l’englobe 38» ?
Exemple : Paris, gare de l’Est, crissement des plaquettes de frein
d’un car de la RATP sur le pavé, début du boulevard de Strasbourg.
Simultanément, la pluie tombe (parfum du bitume), grosses gouttes sur la
ferraille du café qui fait l’angle, un homme se couvre, en sifflotant, s'essore.
« Mince, j’ai oublié le Md39 !»
38 Chion Michel, L’art des sons fixés, Métamkine/nota-bene/sono-concept, 1991.39 Minidisque.
93 L’observation
Ces objets sonores correspondent à des développements temporels
précis qui révèlent une certaine incompatibilité entre eux. Les débordements
syntaxiques de l’objet sonore de gestes, par exemple, prennent le risque de
faire progresser un motif par variation. Quant à l’objet sonore de manipulation,
il est souvent conséquent d’une mise en boucle. L’objet circonstanciel au
contraire épouse un temps concret. Ces objets sonores ont des modalités
d’apparition temporelle différentes dont les distinctions méritent de plus
amples explications. Celles-ci font l’objet de notre chapitre suivant.
94 Manuel d'arts plastiques tome II
Une brève histoire du temps
« La musique serait donc un système de différences qui structure le temps sous la catégorie du sonore. »A. Boucourechliev
a musique prend du temps. Penser le temps apparaît alors essentiel pour
penser la composition. Il semblerait cependant que le processus
compositionnel plastique# nous permette d’avoir une conception du temps qui
diffère de celle de notre tradition musicale.
L
Notre conception occidentale du temps trouve ses fondements dans
la pensée de la « nature » inaugurée par la « physique » d’Aristote. Sans
détailler une question bien trop vaste pour notre exposé, notons que le
« physicien » d’Aristote, par l’examen de la nature, le conduit à penser des
95 Une brève histoire du temps
corps en « mouvements »40. Pour mesurer les déplacements de ces corps, il
doit alors penser le temps. Celui-ci est envisagé comme quelque chose perçu
entre deux points successifs du mouvement d’un corps individuel. Or,
François Jullien nous rappelle que l’approche chinoise de la « nature » est
différente41 car elle ne l’a pas pensée en termes de « corps individuels voués au
mouvement, mais de facteurs en corrélation42 ». Vous comprenez dès lors en
quoi cette pensée nous intéresse particulièrement : la pensée chinoise « s’est
détournée de la conception des atomes et des particules » (liée aux langues
alphabétiques et que nous retrouvons au niveau des approches sémiotiques et
sémiologique du langage) « pour s’intéresser aux phénomènes d’influence et
40 « Mouvement » est un mot qui résonne particulièrement à l’oreille du musicien, n’est-ce pas ?41 François Jullien, Du « temps » : éléments d’une philosophie de vivre, le collège de philosophie, Ed.
Grasset & Fasquelle, Paris, 2001.
96 Manuel d'arts plastiques tome II
de transformation (c’est nous qui soulignons)43». Encore une approche qui
résonne particulièrement avec notre proposition de travail plastique
(pratique/théorique).
Se dessinent alors deux approches du temps très différentes.
L’une, se représente par rapport à l’espace, aux prises avec une linéarité, un
trajet irréversible, l’autre, (le procès plutôt que le temps d’ailleurs), où les
phénomènes se condensent, se répandent, dans une « alternance régulée44 » ;
l’une, la proposition d’un temps homogène abstrait, l’autre, une attention à un
temps concret fait de saisons, de moments, d’occasions et de durée (qui est
42 Ibid., p. 19.43 Ibid..44 Ibid..
97 Une brève histoire du temps
toujours la durée d’un processus particulier). Bref, il y a une pensée du temps
qui fait des événements et une autre, qui est constituée de moments.
Les matériaux tels que nous les avons décrits dans nos tomes I &
II, se déploient dans une temporalité grâce à leurs corrélations. C’est ce que
fait notre objet sonore*, mais de même que toutes les formes d’observation
décrites ici. Le mode de pensée plastique# est donc une pensée du moment qui
s’ouvre sur le précédent et le suivant, sans début ni fin, et qui n’en est que la
transition. La transition*, ultime notion pour penser le temps (le procès),
vocabulaire de la musique occidentale pourtant, est une manière de désigner le
changement pris dans un processus. Celui-ci contient les deux figures
opposées de la transition, la modification et la continuation.
98 Manuel d'arts plastiques tome II
Modification : un élément devient un autre par bifurcation.
Continuation : un élément se conforte et se déploie.
Chacune de ces figures est la condition de l’autre, opposées mais
inséparables, ce qui ne représente pas une contradiction mais la condition du
changement.
Insécables, nous allons pourtant nous y risquer. Encore une forme
aberrante de la dissertation. Mais nous allons « couper », surtout pour
confronter ces figures aux formes plus classiques du temps de la musique
contemporaine occidentale.
99 Une brève histoire du temps
Formes dramatiques45
Temps linéaire
a forme linéaire du temps est la forme la plus commune de notre manière
de construire la musique. Elle épouse ainsi notre manière occidentale de
se représenter la temporalité : la trajectoire d’un mobile d’un point à un autre,
un début et une fin. Elle nous prend par l’oreille, pour ne pas dire en otage, et
nous raconte ses variations ou ses transformations, ses prises de bec.
L
45 « Dans un film, temps du discours et temps de la fabula ne coïncident pas toujours, alors qu’en
musique, il y a une coïncidence parfaite des trois temps [discours, fabula, intrigue] (à moins que l’on
identifie la fabula à une succession de thèmes, et le discours à leur traitement global, de sorte que,
100 Manuel d'arts plastiques tome II
Sa schématisation la plus simple étant :
A A’ A’’...
Thème et variations.
Ou, le développement se fera par contradiction en y ajoutant un
« contre-thème46» :
Exp A ExpB Exp A ’ ExpB’...
Thème, contre – thème et variations
Les solutions compositionnelles sont des solutions de continuité
linéaire : un nouvel élément apparaît qui découle du premier dans un rapport
même dans la musique, on peut définir des intrigues qui anticipent ou reprennent ces éléments
thématiques, comme chez Wagner par exemple.) » in ECO Umberto, six promenades dans les bois du
roman et d’ailleurs, coll. « biblio essais », Paris, Grasset, 1994, p. 65.
101 Une brève histoire du temps
de continuité logique parfois contradictoire et qui va se répandre dans toutes
les transitions de continuité. Mais, rassurez-vous, le dénouement est heureux.
Morton Feldman dira, sans doute à propos de cette conception du
temps : « Franchement, cette approche du temps m’ennuie. Je ne suis pas un
horloger. Ce qui m’intéresse, c’est obtenir du temps dans son existence non
structurée. C’est-à-dire, ce qui m’intéresse, c’est la manière dont cette bête
sauvage vit dans la jungle − non au zoo. 47»
Temps en intrigue
46 Nous avons bien conscience que le terme de thème n’est pas tout à fait adéquat, faisant référence à
une règle locale# précise, alors que cette distinction temporelle s’applique à un champ plus large. Il est
102 Manuel d'arts plastiques tome II
l s’agit d’une construction directement dérivée de la première forme. La
forme suggère un temps plus complexe : « flash back », répétition,
superposition de différentes temporalités, formes ouvertes. Elle concerne
particulièrement la musique contemporaine qui s’est libérée de la forme sonate
et de ses dérivés. La contradiction est appliquée cette fois à la forme
temporelle suggérée. Nous pourrions la désigner comme une linéarité
contrariée qui n’en reste pas moins un drame.
I
L’imparfait 48
L’écriture contrapunctique de décalage (phasing) de motifs (pattern) du 1er mouvement de
Téhilim pour voix et ensemble (1981) de Steve Reich.
choisi pour des raisons de clarté.47 FELDMAN Morton, Ecrits et paroles, collection Musique et Musicologie, Paris, 1998, p. 209.
103 Une brève histoire du temps
es incessants retours entre passé et futur, en anticipant l’apparition
des lignes mélodiques, nous suggèrent une forme temporelle qui ne
semble pas avoir commencée et qui ne paraît pas se terminer.
CIl s’agit d’anticiper l’antécédent :
A A A A A A A
A’ A’ A’ A’ A’ A’
Conditionnel 49
Les 19 séquences isolées que l’instrumentiste au hasard des parcours de son regard
interprète de la Klavierstück XI, K. Stockhausen, 1956.
48 « Temps du verbe qui indique la répétition, l’habitude, où qui marque une action qui n’était pas
achevée quand une autre a eu lieu » (source Larousse)
104 Manuel d'arts plastiques tome II
’est une pièce exemplaire des formes ouvertes européennes (P.
Boulez, troisième sonate pour piano, 1957/K. Stockhausen, Zyklus,
1959,...etc.) Ces pièces épousent un temps concret par intermittence. Si
l’enchaînement des fragments est indéterminé, chacun d’eux est largement
écrit et dépendant d’une construction formelle logique (dans ce cas, la série
initiale). De plus, l’œuvre n’a d’ouverture que pour l’instrumentiste, celle-ci
ne concerne pas l’auditeur.
C
Le présent du subjonctif 50
Dialogue de l’ombre double pour clarinette, P. Boulez, 1982-1985.
49 « Mode du verbe qui exprime une action éventuelle dépendant d’une condition » (source Larousse)50 Action subordonnée simultanée avec le fait principal.
105 Une brève histoire du temps
Le soliste dispose de 6 cahiers dont l’ordre de succession est variable. La clarinette est
reliée au moyen d’un microphone de contact à un piano dissimulé en coulisse. Les sons
joués par l’instrumentiste sont réverbérés par la mise en vibration de la caisse de
résonance du piano et réinjectés dans l’espace de diffusion en temps réel. Puis, au jeu
immobile du clarinettiste sur scène répondent des sons préenregistrés de clarinette,
redistribués dans l’espace par six haut-parleurs qui entourent le public.
st-il nécessaire d’évoquer le « temps réel », pratique plus récente
grâce à l’évolution technologique importante réalisée ces dernières
décennies ? Il semblerait que le temps réel ne soit qu’un abus de langage et
qu’il ne relève en rien d’un temps concret. Comment une machine qui ne
pense pas le temps pourrait-elle s’engager dans un temps littéral ? Qui plus est,
lorsque cachée, elle attrape des fragments sonores qu’elle recrache,
transformés et spatialisés. N’est-ce pas une forme dramatique qui s’instaure
entre l’instrumentiste et son ombre ?
E
106 Manuel d'arts plastiques tome II
Si ce ne sont pas des fragments préenregistrés que l’ordinateur
expectore, c’est l’algorithme qui est déterminé à l’avance, déduit de séries ou
autres formants. Pourquoi cacher un dispositif aussi important ou relégué à
l’arrière du public ? Il apparaît nécessaire, pour tendre vers un temps concret,
de rendre conscient le spectateur du processus auquel il assiste. Sinon, il ne
reste qu’une présence fantôme dramatisée.
Nous parlerons de temps en intrigue lorsqu’il y a bien
prédominance du temps suggéré, c’est-à-dire lorsqu’une forme nous saisit par
l’oreille et nous raconte ses transformations, mais que la linéarité des trajets
107 Une brève histoire du temps
est brouillée par un dispositif d’écriture complexe. La forme continue d’être
dramatique, seulement elle a assimilé tous les temps de la langue.
108 Manuel d'arts plastiques tome II
Temporalité concrète
(Temps) moment
e ponctualisme particulier que propose Cage − qui n’est pas celui du
sérialisme des jeunes heures − pourrait s’apparenter à cette catégorie
temporelle. En isolant les sons, il brise leurs possibilités de rencontres. De ce
fait, les sons sont des « instantanés ». Ils ne racontent pas de drame et doivent
être saisis pour eux-mêmes. La composition est un moment à vivre.
L
Les auditeurs vivent concrètement les bruits ambiants des 4’33’’, J. Cage, 1952.
109 Une brève histoire du temps
Le (temps) moment est un temps qui se conforte. Si la composition
peut proposer un temps à vivre pleinement, elle peut aussi investir un moment
donné, auquel elle va s’adapter. Deux directions donc qui sont à chaque fois
au présent.
Notre objet sonore de circonstance#, décrit dans le chapitre
précédent, est directement impliqué dans cette façon de concevoir le temps. Il
envisage un moment conjoncturel qui est un temps stratégique pour une
musique « in situ 51» : il s’agit de repérer les « occasions » d’un déploiement
musical, de tirer profit d’une situation donnée (ses gestes : isoler, étirer,
répéter, imiter, collectionner52…). Voir chapitre suivant : La circonstance#.
51 Ce (temps) moment peut servir à penser les œuvres qui ne sont que visuelles.
110 Manuel d'arts plastiques tome II
(Temps) procès
l y a (temps) moment lorsqu’un élément se déploie et se conforte.
Seulement, le processus engagé peut prendre parfois une toute autre
tournure et changer, passer de moment à moment.
ILe (temps) procès correspond à ce passage. Il peut être convoqué
par notre objet sonore circonstanciel. Il est toujours pensé comme un temps
stratégique où l’intervention « sur le motif » va opérer des changements au
sein du processus circonstanciel engagé.
52 Il serait prétentieux de prétendre à une exhaustivité concernant les gestes des activités
compositionnelles. Nombre d’entre eux sont à inventer. Cependant, les mots qui désignent les gestes,
que vous trouverez présentés dans ce manuel, ont été choisis de manière à représenter et à inclure
111 Une brève histoire du temps
Le (temps) procès peut évidemment être composé et proposé
comme une expérience à vivre au présent. Dans ce cas, il s’agit d’une forme
compositionnelle qui engage un processus et se déploie. Mais, si le processus
peut être particulièrement écrit, son déploiement dans le temps reste
indéterminé, contrairement aux formes ouvertes intrigantes. Si certaines
compositions cagiennes se rapprochent de ce (temps) procès, l’indétermination
dont il est question, n’est en aucun cas liée au terme précis auquel elle renvoie
dans l’histoire de la musique. (La non-intentionnalité cagienne et le hasard ne
sont que des cas particuliers du (temps) procès, des solutions parmi d’autres !)
d’autres dérivés d’opérations.
112 Manuel d'arts plastiques tome II
L’écriture du temps procès consiste, au contraire, à déterminer :
1. Une situation ou un geste initial.
2. La manière dont elle (il) va se déployer, c'est-à-dire les gestes mis
en relation53.
En effet, le processus est avant tout une interaction de facteurs en
corrélation dont les modalités de transitions sont « la modification » et « la
continuation », qui s’influencent réciproquement et non comme des causalités
univoques. Le (temps) procès nous fait passer de moment à moment.
53 Le (temps) procès ne saurait se passer de bornes déterminées.
113 Une brève histoire du temps
Faire la peau, Partition Suspendue (partition visuelle et interactive) pour une darbouka, 2004.
*Le manipulateur :
-Il dispose des fragments de la carte de l'île au trésor de R. Stevenson.
Chaque fragment est associé à une séquence sonore déclenchée lors du passage
de la souris au dessus de celui-ci.
-Il peut glisser-déposer sur la peau du darbouka les fragments. Se faisant, il
propose une série de gestes à interpréter par le percussionniste.
*Le percussionniste :
114 Manuel d'arts plastiques tome II
-Il est face à l'écran.
-Il interprète les fragments de carte déposés sur le darbouka par le
manipulateur. Il doit réécrire le(s) fragment(s) de carte sur la peau de son
instrument. Il peut tracer (avec son doigt, son ongle, sa paume...), frotter, tapoter,
frapper...pour rejouer le dessin de la carte.
-Il respecte la position du fragment, défini par le manipulateur, sur la surface
du darbouka lors de son travail de réécriture.
Pour le mixage :
Sons enregistrés et sons du percussionniste sont une seule et même
surface. Pas de premier et de second plan.
115 Une brève histoire du temps
La transition (changement)
Continuation
Geste de continuation
Un élément se conforte
● Répéter● Entretien ● Imiter● Ponctuel
Geste de bifurcation
Un élément A devient un élément B
● Évolution● Changement● Altérer● Énergie différée
116 Manuel d'arts plastiques tome II
es gestes de continuation, qui ne modifient pas le cours du processus
engagé, sont des gestes que nous retrouvons dans la catégorie de (temps)
moment.
L▶ Entretien : Musique envisagée comme un moment qui se conforte
(ce qui ne veut pas dire qu’un changement ne se perçoit pas.)
Le SI/FA# à tenir le plus longtemps possible de la Composition 1960 # 7, La Monte Young,
1960.
Le ré grave, version « symphonique » du monochrome de la Symphonie monotone, Yves
Klein, 1960.
117 Une brève histoire du temps
▶ Répéter : soit l’élément saillant d’une circonstance#, soit l’idée
musicale. Vexations, Satie, ~1893.
Pièce constituée d'un motif de 13 mesures répétées 840 fois.
« Pour se jouer 840 fois de suite ce motif, il sera bon de se préparer au préalable, et dans le
plus grand silence, par des immobilités sérieuses. »
La répétition peut parfois tendre vers un changement de moment à
moment, lorsqu’elle est inscrite dans un processus initial qui, en se déployant,
entraîne des modifications. Par exemple, lorsque deux boucles de longueurs
différentes ne se rencontrent jamais de la même façon en se répétant.
Piano Phase, pour 2 pianos ou 2 marimbas, Steve Reich, 1967. La pièce est basée sur un fragment mélodique de cinq sons. Les deux pianos commencent
à l’unisson, puis progressivement le second piano en accélérant son tempo, produit un
déphasage métrique.
118 Manuel d'arts plastiques tome II
▶ Imiter : Il s’agit souvent de calquer l’élément saillant d’une
circonstance#. Cependant, il est possible d’imaginer un tel geste dans
une forme écrite du processus.
Bifurcation
▶ Ponctuel : Les gestes ponctuels sont à mi-chemin entre le moment
pur et le changement de moment à moment. En effet, un son54 suffisamment
isolé réclame une concentration sur l’instant, il peut donc être considéré
comme appartenant au (temps) moment. Mais plusieurs sons ponctuels,
54 La question du nombre de sons qui constituent un événement ponctuel est très importante. Nous
pourrions envisager comme Stockhausen des Momentform (formes momentanées) qui seraient des
événements ponctuels complexes, composés avec leur durée et leur mouvement propre, de timbre et
119 Une brève histoire du temps
toujours suffisamment isolés, nous proposent une succession d’instants qui
sont autant de moments.
▶ Évolution : Les gestes d’évolution sont des gestes relativement
classiques en musique. Ils peuvent cependant s’appliquer au temps stratégique
de la circonstance#, auquel cas les gestes se déduisent de l’observation
circonstancielle.
Concernant le processus écrit, il ne faut pas perdre de vue qu’il
s’agit de gestes en corrélation et que la situation initiale est déjà une
circonstance#, auquel cas les enchaînements se font « d’action à action ».
de densité différents (déduits de groupe appartenant à la série). Or, il va de soi qu’un événement trop
long ou trop peu isolé ne peut conduire à une écoute de l’instant seul.
120 Manuel d'arts plastiques tome II
Évolution qualitative :
- Hauteurs
- Durées
- Intensités
- Positions dans l’espace
▶ Altérer : même remarque que précédemment.
• Renverser
• Filtrer
• Effets
• Accélérer/ralentir
▶ Changement :
• Inclusion (montage*/mix*).
121 Une brève histoire du temps
Une inclusion forte peut faire basculer un moment vers deux moments
distincts, se déployant sans l’influence l’un de l’autre. Nous ne sommes plus
complètement dans un passage de moment à moment, mais dans un
assemblage, une juxtaposition de moments.
• Changement de point de vue sur une même idée. Au sein d’une
même action, changement de focalisation : on passe de A vers B en
changeant de point de vue, de point d’écoute.
▶ Énergie différée :
Les 100 métronomes du Poème symphonique, G. Ligeti, 1962.
Dix personnes déclenchent les métronomes (réglés à des vitesses différentes) et quittent la
scène. La pièce se termine lorsque le dernier métronome s'arrête.
122 Manuel d'arts plastiques tome II
Cas d’une conduction# physique indirecte avec un objet. L’énergie A se
transforme en énergie A’.
Si nous nous sommes particulièrement intéressés à la forme
temporelle sonore dans ce chapitre, il va de soi que dans le (temps) moment et
le (temps) procès tels que nous les envisageons, une large part concerne les
matériaux extra-musicaux. Nous vous renvoyons au tableau 3 qui récapitule
les évolutions temporelles en fonction des conductions# page 47.
Pour simplifier et pour conclure ce chapitre, faisons un petit détour
didactique par les arts plastiques (encore). En peinture#, nous pouvons dire du
tableau qu’il est fait d’un espace suggéré (celui illusoire de la représentation)
et d’un espace littéral (celui plan à deux dimensions : le support). Le temps
peut sans doute supporter la comparaison. Nous pourrions alors envisager un
123 Une brève histoire du temps
temps suggéré (construit, fictif, fait d’ellipses et d’intrigues) et un temps
littéral (réel ou concret), ou, plus simplement, un temps perçu subjectivement
par l’auditeur d’une œuvre musicale et le temps qui a réellement passé. Or, les
constructions temporelles qualifiées de « linéaire » et d’ « intrigue » sont des
agencements sonores qui mettent en avant la forme suggérée du temps. Les
autres, dont l’axe principal est la notion de moment, affirment au contraire un
temps littéral (ou se débarrassent même de cette séparation). En effet, plutôt
que de concevoir le temps et l’espace, il s’agit de penser le « site » et
l’ « occasion ».
Notre recours aux arts plastiques dans la composition musicale
nous conduit inéluctablement vers une pratique musicale concrète, dont la clé
de voûte se décèle dans l’idée de circonstance#.
124 Manuel d'arts plastiques tome II
La Circonstance
125 La Circonstance
a plasticité au secours de l’objet sonore* dégage le son d’une pensée qui
en ferait une idée a priori. Au contraire, elle exige de l’oreille une
véritable observation sonore d’où se dégage une possibilité compositionnelle,
de même qu’il existe une observation visuelle (et des pratiques en découlant :
« in situ » ou « sur le motif »…). Bref, pourquoi ne pas pratiquer aussi une
musique à ciel ouvert ? Voilà la pratique musicale libérée du concert,
circonstance# préfabriquée, joli cadre qui l’isole du réel et qui fomente le
drame. Pour nouer à nouveau le moment de l’exécution avec le réel, notre
objet sonore nous dévoile une autre possibilité : celle d’écrire une
circonstance# multi sensible qui, littéralement, va se déployer.
L
126 Manuel d'arts plastiques tome II
Composition circonstancielle : musique à cielouvert.
a composition circonstancielle est une composition qui trouve ses
raisons, et qui est conséquente d’un site et d’un moment. C’est une
composition qui séjourne dans une circonstance#. Un élément sonore
particulier (simple ou complexe), dépendant de son lieu d’émission, est repéré
par l’oreille et par tous les autres sens que sollicite cette circonstance#.
L’activité compositionnelle, qui intègre la circonstance# à son résultat
artistique, ne peut s’envisager que comme une suite d’opérations plastiques#
telles qu’investir, relever, indexer, inclure... Il paraît ici important de préciser
que le motif de départ n’est pas nécessairement sonore.
L
127 La Circonstance
Voici un exemple emprunté à Frédéric de Manassein. Dans une
grande surface, au moment de passer à la caisse, toutes les machines laissent
échapper un bip lorsqu’elles comptabilisent les différents produits achetés. Il
s’agit de siffler, de jouer avec ses bips machines, de les indexer à l’aide d’une
note proche de celle de la machine (hauteur, intensité, durée), entre chaque
émission. La notion de moment est ici très importante dans la mesure où il
s’agit d’épouser un temps concret, d’habiter une occasion qui se déploie. Ceci
implique qu’il faut se débarrasser de notre manière de penser la circonstance#,
c’est-à-dire du «ce qui se tient autour » étymologique, à titre d’accessoires ou
de détails. Au contraire, la circonstance# serait « ce qui, précisément grâce à sa
variabilité, peut être progressivement infléchi par la propension émanant de la
situation et fait advenir le profit escompté. On sort ainsi d’une logique du
128 Manuel d'arts plastiques tome II
modelage (celle du plan modèle venant informer les choses), aussi bien que de
l’incarnation (une idée projet venant se concrétiser dans le temps), pour entrer
dans une logique du déroulement : laisser l’effet impliqué se développer de
lui-même, en vertu du processus engagé.55» En effet, une circonstance# qui
fait signe, est un potentiel de situation qu’il faut exploiter. L’intervention
musicale est déduite de ces saillances préalablement définies dans le tome I de
nos manuels.
55 François Jullien, Traité de l’efficacité, Ed. Grasset et Fasquelle, Paris, 1996, p. 34.
129 La Circonstance
Le potentiel est sonore
Fidèle à notre gymnastique# plastique vous pouvez :
Relever : (isoler, imiter, collectionner...) Vous estimez que cette
rencontre est déjà musicale. Alors vous l’enregistrez. Mais vous connaissez
toutes les ambiguïtés que cela comporte. En effet, dans quelle mesure
l’appareil d’enregistrement va-t-il constituer un écart par rapport à la réalité
acoustique et multi sensorielle donnée ? Un enregistrement qui ne serait que
sonore retournerait la situation à votre désavantage, rendant votre relevé
amnésique de sa source (sauf si vous rivalisez d’ingéniosité dans les
étiquetages, peut-être). La caméra peut alors devenir un outil utile. Mais il faut
vous préoccuper des hors-champs dans la construction de vos plans. Un plan
130 Manuel d'arts plastiques tome II
qui ne comporte pas de hors-champ n’est pas le relevé d’un fragment d’une
réalité plus grande56. Mais voilà qu’un autre problème surgit : le micro ne
connaît pas le hors-champ ! Jamais rien ne dépasse du cadre de la prise de son.
Le micro ne connaît que la profondeur de champ, qu’il a plus ou moins
grande. Ah ! Lorsque la technologie rejoue la fatale séparation entre nos yeux
et nos oreilles…
Écrire la circonstance# ? La noter peut être ? ! Mais comment noter
des sons aux multiples dimensions ? Comme vous pouvez le constater cette
ligne de recherche reste ouverte.
56 Voir l’interlude II « De l’image » du manuel tome I.
131 La Circonstance
Indexer : Il s’agit de souligner la circonstance# même. C’est un
moyen de la relever en jouant avec un élément sonore saillant (l’exemple
évoqué plus haut fonctionne comme l’indexation d’une situation sociale).
Étirer, répéter, imiter sont les principales opérations de cette activité
compositionnelle plastique#.
Investir : C’est lorsque l’intervention dérange la circonstance# donnée
et influe sur son cours, un passage de moment à moment qui peut nécessiter
plusieurs catégories de gestes. Étirer, répéter, imiter... par exemple. Mais elle
n’exclut pas les évolutions qualitatives, ni les changements de point de vue.
132 Manuel d'arts plastiques tome II
Inclure : Il s’agit d’une pratique de montage*, telle que nous
l’avons définie auparavant. Un moment hétérogène est rapproché de la
circonstance# observée, leur rencontre produit du sens. Le moment inclus peut
être envisagé dans toutes ses possibilités dans la mesure où il représente une
construction autonome. Inutile de préciser que ce moment n’est pas
nécessairement sonore. S’il l’est, il se construit en fonction de tout ce qui a été
dit jusqu’ici. (Ajouter, associer, intégrer, lier...)
Le potentiel sollicite un autre sens
Traduction : Dans ce cas, vous considérez le site, l’occasion et
leur(s) potentiel(s) comme une partition circonstancielle. Les traces, les
133 La Circonstance
couleurs, les parfums, la densité des événements... sont aussi déterminants que
les contingences d’espace, de lieu et les représentations sociales et politiques
de cette circonstance#. Ces déterminants peuvent donc être amenés à être
traduits musicalement. La traduction procède d’un code de lecture précis, un
mode d’emploi57 qui repose sur des passages arbitraires, entre la musique à
jouer et les autres éléments repérés. C’est une règle du jeu, semblable à ce que
pratique Richard Long lorsqu’il trace un cercle sur une carte pour déterminer
sa future promenade. Le mode d’emploi, la réalisation sonore et les saillances
non-musicales sont trois éléments hétérogènes en présence qui se confrontent.
57 Écrire des partitions circonstancielles qui seraient en quelque sorte un « carnet de croquis », une
boîte à outils plastique# foliée dont tous les éléments seraient détachables et actualisables en toutes
circonstances# (contingence d’espace, de lieu, sociale, politique…) pour faire de la circonstance# des
134 Manuel d'arts plastiques tome II
Le sens naît de la couture, du montage*. La situation se déploie et laisse place
à un autre moment.
images# et des sons.
135 La Circonstance
Etude Xenakis pour 18 contrebasses, 2005.
136 Manuel d'arts plastiques tome II
Inclure : Sans procéder à une traduction, vous pouvez incorporer à
une situation n’importe quelle composition. Voir montage*/mix*.
Nous aurions tort de prétendre à l’exhaustivité dans cette petite
suite d’opérations plastiques#. Toutes les combinaisons et les variantes sont
possibles. Et la suite des recherches nous permettra de rendre plus complète ce
catalogue (comme nous l’espérons). Livré ici, il sera soumis à vos éventuelles
critiques, et pourquoi pas, à votre volonté de le compléter.
137 La Circonstance
Composition circonstanciée : échafauder unsite et un moment.
ous avons vu dans le tome I de ce manuel que l’espace d’exposition
dévolu aux arts plastiques pouvait être considéré comme une
circonstance# particulière. Or, celle-ci coexiste avec des comportements
déterminés qui règlent, tout à la fois, les déplacements du spectateur, le temps
des œuvres, la relation entre l’œuvre et l’espace social dans lequel elle s’inscrit
(accrochage, vente, publicité...). De la même façon, le concert est une
circonstance# qui cohabite avec un scénario# trouvant ses fondements dans un
archaïsme de pensée très rarement examiné.
N
La représentation traditionnelle, tant picturale que musicale, se
définit autour d’un axe vertical. Il faut entendre par vertical tout ce qui
138 Manuel d'arts plastiques tome II
concerne la question de la « scène », de son espace dont l’agencement
scène/salle trouve son origine dans l’arrangement de la scène judéo-chrétienne
avec l’autel de l’église. Celle-ci monte une estrade qui, d’une part, exige une
stricte séparation entre le prêtre et les fidèles, et d’autre part, configure les
signes au modèle « anagogique », c’est-à-dire à l’élévation vers un sens
supérieur et univoque (le dieu) par la contemplation passive de son support, le
signifiant (l’objet, les écritures, le prêtre sur sa scène…). Or, cette manière de
configurer la scène se répercute dans notre manière de concevoir et d’agencer
les espaces de l’art. L’espace du concert, par exemple, rejoue la dichotomie
entre l’auditeur passif et l’exécution sur une scène dans un face à face. Mais
aussi, l’attente et la recherche du concept derrière une matérialisation formelle.
La musique malgré sa fluidité, sa souplesse, est envisagée comme un objet
139 La Circonstance
idéal avec sa fin, son début et ses résolutions. Cet objet idéal scénarise à son
tour le corps de l’auditeur en le confinant en une attitude prostrée.
Ces attitudes d’écoute formatée doivent faire partie des lignes de
recherche du compositeur plasticien que vous êtes. Elles doivent être
désamorcées par l’écriture d’œuvres qui ne sont pas destinées au concert ou
qui distancient le scénario#, jusqu’ici omniprésent dans ce mode de diffusion.
C’est la notion de circonstance# qui permet cette issue. Composer
une circonstance# c’est écrire une situation musicale et visuelle spécifique qui
joue de l’usage social# traditionnel de la musique ou qui propose une autre
modalité d’accès à l’œuvre. On l’aura compris, cette situation spécifique
140 Manuel d'arts plastiques tome II
touche tout autant le processus compositionnel que l’activité esthétique du
public. L’écriture de cette situation spécifique va s’attarder à déterminer tous
ses éléments et ses dispositifs : le lieu, l’espace, la circulation des corps, les
déterminants sociopolitiques... et, bien sûr, la forme temporelle qu’elle va
déployer. Pour composer cette situation, vous pouvez donc vous référer aux
deux tomes que constituent ces manuels.
Mais écrire une circonstance#, c’est aussi cesser de s’intéresser aux
problèmes formels et réaliser un objet réel plutôt qu’une illusion conceptuelle,
donc refuser de faire des œuvres qui ne seraient que des propositions
distractives. Vous auriez tort de confondre l’écriture d’une situation avec
l’agencement d’une ambiance.
141 La Circonstance
Yves Klein, Symphonie monotone et anthropométrie, 1960.
142 Manuel d'arts plastiques tome II
Il s’agit donc de placer les instrumentistes dans une situation de jeu
spécifique qui n’est pas celui convenu du scénario# traditionnel. Si, dans la
première piste de travail proposé le processus compositionnel était déduit du
réel, dans cette seconde proposition, c’est à vous d’écrire le site et le moment
d’où vous déduirez le jeu musical. Les éléments que vous choisirez, le site, le
moment que vous voulez déployer, les matériaux en jeu (qu’ils soient sonores
ou non), ainsi que le mode de relation qu’ils entretiendront entre eux, doivent
faire sens.
143 La Circonstance
Vous investissez les scenarii d’écoute de notre sociétécontemporaine.
es habitudes d’écoute musicale ont beaucoup évolué depuis la fin du
XIXème siècle. Aujourd’hui, l’écoute se pratique en ville avec un
baladeur ou un lecteur mp3, et chacun d’entre nous possède un appareil de
diffusion domestique. L’écoute s’est répandue dans tous les lieux et à tous les
moments de la journée. Elle est branchée à tous nos mouvements et tous nos
gestes de la vie quotidienne, si infimes soient-ils. Encore une fois, cette liberté
est bien fragile et peut s’avérer, paradoxalement, une véritable servitude. Nous
l’avons vu, ces pratiques contribuent à la mise en place de scenarii# et
d’assujettissements à des comportements « prêt-à-porter ».
L
144 Manuel d'arts plastiques tome II
Ces intrigues peuvent être des prétextes à un travail compositionnel
plastique#, dont les motivations (fond et forme) seraient de proposer des
alternatives aux attitudes d’écoute ou d’autres propositions pour enrayer les
scenarii# en vigueur.
Vous distanciez la forme classique du concert.
Kagel, Sur scène, 1960.
e lieu de diffusion choisi (ou proposé) est une salle de concert classique.
Vous devez neutraliser le scénario# de l’estrade inhérent à sa fonction. Il
s’agit de distancier, au sens brechtien du terme, les éléments récurrents de
cette intrigue.
L
145 La Circonstance
Théâtraliser : C’est un point sur lequel nous allons insister
davantage. Mais, pour déjouer la forme dramatique que peut prendre la
musique, pour permettre à l’auditeur d’éprouver le temps dans une forme
concrète, il est nécessaire de lui montrer tous les rouages du processus auquel
il assiste. Toutes les formes ouvertes de la musique ont souvent oublié ce point
important dans leur réalisation, de telle sorte que l’ouverture n’était visible que
du point de vue des instrumentistes. Il est donc essentiel d’étaler ouvertement
devant l’auditeur (spectateur) ce dont on a besoin pour faire cette musique.
Montrer la machinerie (câbles, boîte d’effets, table de mixage), rendre sensible
l’énergie musculaire nécessaire à l’exécution, si possible la surjouer, jouer
avec les représentations mentales du corps sonore* utilisé, avoir recours aux
matériaux extra-musicaux avec toutes les formes de conductions# qu’ils
146 Manuel d'arts plastiques tome II
permettent, sans pour autant en faire des accessoires. Il faut montrer le cours
du processus selon les lois qui le déterminent.
(Cette remarque n’est pas seulement valable pour une
composition plastique# qui se déroulerait dans un espace dévolu au concert
traditionnel, mais elle doit être prise en considération pour toutes les autres
situations.)
« Spectaculariser » la partition : Conséquence de notre
précédente remarque, la partition doit s’exhiber elle aussi. Elle s’émancipe de
« la tourne » et cesse d’être transparente. Elle est l’une des conditions
possibles pour construire un déroulement sonore qui aura lieu dans un temps
147 La Circonstance
littéral, où les sons ne seront pas figés dans un drame mais bien présents dans
un espace concret.
De fait, elle ne se rédige plus obligatoirement avec la notation
traditionnelle. Son écriture peut se faire à partir de tous les matériaux
disponibles (la translittération passera alors par un mode d’emploi arbitraire).
De plus, cette partition doit se penser comme un geste initial qui va engager un
processus, elle est essentiellement mutable : condition nécessaire pour qu’elle
ne soit plus la symbolisation d’un processus.
148 Manuel d'arts plastiques tome II
Module 66, De tête ou étude au chapeau,pour petit effectif au choix,2007.
149 La Circonstance
Vous écrivez un site et un moment particulier.
La Monte Young, Dream house, 1962-1990.
ette fois, le site choisi est relativement neutre, il peut être intérieur ou
extérieur. C’est à vous d’écrire ses particularités propres (topologiques,
historiques, sociologiques...) et son scénario# spécifique (circulation, point de
vue, fonction...). Votre composition va s’agencer à la manière d’une
installation en prenant soin d’exhiber les détails de cette mise en œuvre poly-
sensorielle. Vous pouvez maintenant prévoir d’occuper plusieurs pièces
distinctes, de mêler les appareils de diffusion avec des instrumentistes, de
jouer avec les câbles qui courent au sol, d’apporter une radio, de jouer sous la
C
150 Manuel d'arts plastiques tome II
pluie, d’inviter l’accordéoniste du coin qui connaît son heure de gloire au
PMU de l’angle, de m’inviter moi... L’essentiel est maintenant de faire sens...
Qu’il s’agisse de l’habiter ou qu’il s’agisse de l’écrire, la notion de
circonstance# ouvre à toutes les possibilités de l’activité compositionnelle
plastique#.
Mauricio Kagel, Eine Brize pour 111 cyclistes, 1994.
151 La Circonstance
152 Manuel d'arts plastiques tome II
Partitions et notations
our notre musique « savante », la partition fixe par écrit l’essentiel de la
composition musicale avant d’être translittérée en une réalité acoustique.
Il s’agit pour les exécutants d’interpréter les signes de notation en retournant
au langage premier : le son sous la note, un détour par l’œil de ce qui doit
valoir en amont comme en aval pour l’oreille.
P
En outre, la partition dans l’histoire de l’art a souvent été un lieu de
rencontres privilégiées entre la musique et les arts plastiques : depuis les
partitions représentées sur les natures mortes jusqu’aux partitions plastiques,
où les gestes picturaux et les couleurs devaient pouvoir trouver une
équivalence musicale dans un procédé de lecture à chaque fois différent. Pour
153 Partitions et notations
ce dernier cas, la correspondance entre son, couleur, timbre et matière n’était
toujours qu’une proposition a priori sans véritable fondement logique. Il s’agit
toujours de faire coïncider le travail plastique# avec un objet immuable et clos,
idée que nous désapprouvons depuis le commencement.
Ce chapitre se propose alors de disséquer en détail les
fonctionnements de la partition. Qu’il s’agisse de composer avec la
circonstance# ou d’écrire une situation spécifique, l’approche circonstancielle
et plastique# du processus compositionnel modifie singulièrement les
modalités de la partition (musicale et plastique#). Elle peut être écrite à
l’intérieur de la circonstance# comme trace ou document# du lieu et du moment
154 Manuel d'arts plastiques tome II
(mais elle n’exclut pas le geste), comme elle peut participer pleinement à la
création d’une circonstance# particulière qui se déploie.
Pour J. Cage, la partition est une lettre destinée aux interprètes.
Mais c’est aussi, dit-il, une caméra. Cette comparaison stimule
particulièrement notre lien avec la plasticité. Il propose de ne plus penser la
partition comme un objet temporel fini mais comme un appareil pour prise
d’écoute. La partition n’est plus ce qui reçoit l’écriture, elle est l’écriture elle-
même, engageant un lieu et un moment spécifiques, un objet à activer qui peut
être aussi un instrument (musical et d’écoute). Pour autant, elle reste précise,
toutes les informations concernant l’exécution musicale y sont définies, ainsi
que la façon dont le geste initial va se déployer.
155 Partitions et notations
Les équations qui suivent aspirent à montrer les différentes
dispositions de la partition dans la pensée musicale. À partir d’un schéma
simple − illustration de l’usage de la partition classique (encore en vigueur) −
il s’agit de dévoiler ce que suscite, dans la production de sens, une partition
spécifique (présente dans la production sonore). De plus, ces équations nous
permettront de développer la liste des manipulations plastiques que les
partitions spécifiques permettent d’envisager dans l’écriture musicale.
156 Manuel d'arts plastiques tome II
Partitions transparentes.
Du point de vue traditionnel de la notation, l’écriture codifiée est amenée à
être translittérée en réalité acoustique. Son lieu est le pupitre. Son unique
moment de visibilité la « tourne ». La partition, en tant qu’objet, n’intervient
pas dans la production de sens au moment de l’exécution. Nous la qualifierons
de transparente.
157 Partitions et notations
La situation zéro présente la forme classique du lien entre la partition et
l’exécution.
Situation 0 :
158 Manuel d'arts plastiques tome II
Situation 1 :
Exemple : J. Cage, 4’33’’ (à noter que pour les interprétations connues
l’énergie musculaire = 0 se trouve théâtralisée). De plus, ces 4’33’’ de silence
n’auraient aucun sens si Cage ne jouait pas du scénario# inhérent à la forme du
concert classique.
159 Partitions et notations
Situation 2 :
Exemples : Violon brisé de Nam June Paik.
160 Manuel d'arts plastiques tome II
Situation 3 :
Exemple :
La Monte Young, composition 1960 # 5, 1960
161 Partitions et notations
Situation 4 :
Exemples : G. Brecht, Incidental music, 1962.(voir page)
G. Ligeti, Poème symphonique, 1962.(voir page)
162 Manuel d'arts plastiques tome II
Situation 5 : Cas particulier de la musique électroacoustique
Les deux moments sont simultanés dans le cas de musique
électroacoustique live. La description ci-dessus correspond au travail de studio
traditionnel.
163 Partitions et notations
Skydrum, vidéo, 2006.
Partitions spécifiques
« Composer signifie : suggérer à l’interprète la possibilité objectivement réelle d’une action » CHARLES Daniel, Gloses surJohn Cage, « arts et esthétique », s. l., Desclée de Brouwer, 2002, p. 22.
a partition s’est émancipée de la tourne. C’est un objet visible tout
aussi important que la réalité acoustique. Elle fait partie intégrante du
sens de l’œuvre. Elle peut être visuelle, audio ou audio-visuelle (mais
pourquoi pas olfactive ?...)
L
164 Manuel d'arts plastiques tome II
Situation 1 :
Exemple : Il s’agit d’une partition spécifique qui engage une circonstance#
dans la réalisation instrumentale. Sa fonction est de déterminer par exemple
comment le musicien va traduire les éléments saillants d’une occasion, qu’ils
soient visuels et/ou sonores.
165 Partitions et notations
Situation 2 :
Exemple : Piet(a)bort est une partition objet (un jeu du type « jeu de l’oie ») qui
nécessite :
166 Manuel d'arts plastiques tome II
1. Une règle du jeu qui permet de traduire le déroulement du jeu en
processus musical (le déplacement des pions entraîne un jeu sonore).
2. La manipulation d’un objet qui est la partition, un corps sonore et une
image#.
167 Partitions et notations
Situation 3 :
Exemple : Les partitions suspendues sont des partitions interactives dont les
déroulements temporels multiples sont « suspendus » par le programme. Sa
manipulation donne les informations à interpréter par l’instrumentiste. Elles
168 Manuel d'arts plastiques tome II
n’empruntent pas une forme classique de notation, elles jouent au contraire à
partir d’images# (fixes et mobiles). Elles sont parfois assorties d’un mode
d’emploi.
169 Partitions et notations
Mécanique funambule, partition suspendue pour une flûte, 2004.
*Mécanique funambule est une partition circonstanciée pour flûte seule. Elle
nécessite à chaque fois sa projection appropriée et un manipulant.
• Le manipulant peut, avec sa souris, déplacer la constellation de notes,
proposer des rotations de celle-ci, faire apparaître et disparaître des motifs. Tous les
170 Manuel d'arts plastiques tome II
choix du manipulant doivent être joués par le flûtiste. La distance entre les notes et
la grosseur de chacune d'elles, suggèrent un espace temporel et un mode
d'attaque.
(extrait du mode d'emploi)
171 Partitions et notations
Situation 4 :
Exemple : Les partitions dessinées sont des approches particulières de la
partition circonstancielle, dans la mesure où l’écriture de la partition se fait à
la suite de l’observation d’une circonstance# (l’exécution est donc différée). Le
172 Manuel d'arts plastiques tome II
dessin, assorti d’opérations plastiques#, est une manière de relever la
circonstance#.
173 Partitions et notations
L’écriture de ces partitions, dites spécifiques, intègre tous les
matériaux, qu’ils soient sonores ou visuels. Vous trouverez donc ici un tableau
récapitulatif des passages entre matériaux extramusicaux et musicaux.
174 Manuel d'arts plastiques tome II
Tableau 4. Tableaux des conductions entre matériaux sonores et matériaux non sonores.
175 Partitions et notations
Notre conception des arts plastiques comme pratique d’une logique
sensitive, où la matérialisation n’est qu’un cas particulier du travail plastique#,
modifie le rapport arts plastiques/musiques au sein de la partition.
- Le matériau visuel employé est aussi important que le
matériau sonore, même si celui-ci est soumis à une traduction. La
partition est spectaculaire, elle fait partie de la production de sens
durant la translittération. Il faut la rendre visible. Les niveaux de
rencontres entre matériau musical et matériau visuel répondent aux
mêmes critères de relations que tous les matériaux plastiques : couture
lisible, couture invisible, juxtaposition....
176 Manuel d'arts plastiques tome II
- L’écriture avec les matériaux visibles (d’appréhension
visuelle) n’est pas nécessairement l’écriture d’une forme figée, mais la
proposition d’une série de processus à réaliser par l’(les)
instrumentiste(s) : les opérations plastiques# (isoler, imiter, collecter,
ajouter, agrandir, intégrer, juxtaposer, répéter, investir, indexer...) se
trouvent en amont comme en aval de la composition, à la suite d’une
observation sonore et/ou comme proposition circonstancielle de jeu
pour l’instrumentiste.
- La rencontre arts plastiques/musique ne peut se satisfaire de
l’exposition d’une partition dans un accrochage convenu. La partition
plastique# n’a de sens que durant sa mise en jeu, l’exposer seule n’a pas
177 Partitions et notations
de sens. Exposer les partitions de Cage, par exemple, sous prétexte que
l’écriture passe par un procédé différent de celui de la notation
traditionnelle, est un non sens et une incompréhension. Lorsqu’il se sert
de pierres pour déterminer une suite de glissandi*, son recours aux arts
plastiques ne peut pas se résumer seulement aux outils graphiques
utilisés et aux dessins qu’ils représentent. Mais c’est tout le dispositif
de calque, d’isolement du contour d’un matériau naturel (et sans doute
symbolique chez Cage) ainsi que sa traduction par imitation en une
ligne musicale, qui sont plastiques#.
- De ce fait, la partition plastique# s’inscrit dans l’espace de
diffusion et rend lisible le processus de translittération. Elle est
178 Manuel d'arts plastiques tome II
impliquée dans une mise en espace à égale importance avec les autres
éléments visuels et les autres matériaux.
- La partition rendue spectaculaire (visible) et mouvante est un
effet de distanciation au sens brechtien. Elle affirme le lieu d’où
l’émission se produit, elle force le musicien à un déchiffrage qui
annihile toute tentative de virtuosité, elle affirme une musique qui ne
s’appuie pas sur l’harmonie classique et empêche toute forme de
catharsis (pas de sentiment de reconnaissance, pas « crin de cheval sur
boyau de chat... »)
La partition acquiert donc une position particulière, du fait de son
« entre catégorie » (n’y voyez ici qu’un clin d’œil à Morton Feldman). La
179 Partitions et notations
partition pensée et réalisée à l’aide de la pensée plastique# est insaisissable
théoriquement, elle résiste au feu et à l’eau. Par la plus-value de visibilité
spectaculaire que le langage plastique# lui donne, elle change de statut mais ne
se déplace pas pour autant. Seule, elle ne peut pas prendre le pas sur l’audition
de son exécution. La partition qui s’articule autour de l’intrigue arts plastiques
et musique est précipitée (elle est le précipité de son intrigue chimique) entre
la « spectacularité » de son exposition et l’étonnement de sa diffusion. Elle
occupe l’écart entre l’éclair et le tonnerre, elle occupe l’interstice, là où le
vêtement baille. C’est son caractère insaisissable qui la rend pertinente vis-à-
vis de nos pratiques musicales et visuelles contemporaines. Elle implique une
forme particulière de « consommation », de saisissement esthétique (mutable)
qui rompt avec les formes traditionnelles de l’exposition et du concert, parce
180 Manuel d'arts plastiques tome II
qu’elle ne satisfait ni l’un, ni l’autre. Insistons sur ce point, la partition
interstice (comme nous l’avons vu précédemment) est un « îlot » où ne
règnent plus les idéologies en vigueur de l’un ou l’autre des bords.
Noter
ous ne pourrions pas terminer ce manuel sans évoquer le problème
délicat de la notation. Comment noter un son qui s’ouvre à toutes ses
dimensions, des plus classiques aux dimensions du lieu qui le voit naître, à ses
connexions à un moment non-mesurable, aux relations (syntaxe) qu’il
entretient avec ce lieu, ce moment et les autres sons...?
N
181 Partitions et notations
La notation ne peut être qu’une suite d’écarts par rapport aux
multiples dimensions du son. Plutôt que d’envisager une forme de
notation où un signe porterait tous les paramètres d’un son, les arts
plastiques nous permettent d’écrire les relations seules : l’espace des
coutures. Mais rien n’est déterminé, il n’y a pas de codes. Sinon ceux
que vous devez inventer.
182 Manuel d'arts plastiques tome II
Précipités
ous l’avons beaucoup répété, la musique réalisée depuis notre méta-
atelier cesse de se préoccuper seulement de problèmes formels. La
morphologie globale de l’œuvre n’est pas la principale motivation de vos
réalisations musicalo-plastiques. Pourtant, nous aurions tort de penser qu’elles
ne prennent pas forme. Certes, nous avons particulièrement insisté sur la
syntaxe, mais nous ne pouvons pas négliger que la partition, la circonstance#,
les sons..., sont inévitablement mis en forme. Il faut dire quelques mots de ce
dernier point névralgique, qui pourrait porter à confusion.
N
Nous avons vu depuis le début de ce manuel que tous les éléments
choisis ou reconnus pour une composition plastique# concrète sont des points
de connexions. L’ensemble [matériaux, circonstance#, corrélations, opérations]
183 Précipités
forme un complexe qui produit des formes (et du sens, condition du
sens(ible).) Ainsi, les morphologies ne sont pas définies a priori mais bien a
posteriori, par le développement temporel du complexe et les opérations
plastiques choisies. Les éléments répondent à des morphologies locales et se
déploient en une morphologie globale : l’œuvre.
Les théoriciens qui ont réfléchi aux liens que pouvaient entretenir la
musique avec la science ont l’habitude de les comptabiliser au nombre de
deux : soit ils considèrent la musique comme l’art des sons et se dirigent alors
vers la physique, soit ils considèrent la musique comme l’art des structures
dans leur relation au temps, et se dirigent alors vers le calcul symbolique et
l’algèbre. Quant à nous, nous nous réfèrerons à la chimie en employant le
184 Manuel d'arts plastiques tome II
terme de précipité58. Le paradigme chimique constitue la logique
morphologique à tous les niveaux du processus compositionnel plastique.
Nous avons vu dans le chapitre précédent que la partition pouvait déjà se
mentaliser comme un précipité arts plastiques/musique, mais c’est l’œuvre
entière qui peut être envisagée de la sorte. Cependant, ce déploiement
morphologique a posteriori ne veut pas nécessairement signifier que l’œuvre
est incertaine : l’auteur n’est pas en vacances. Au contraire, le complexe ne
doit pas prendre forme par hasard et doit être soumis, à tous les niveaux, à des
mesures qui détermineront la morphologie fluctuante globale (vous trouverez à
la fin de ce chapitre un tableau récapitulatif des mesures).
58 Comparaison que vous avez rencontrée à plusieurs reprises dans nos manuels.
185 Précipités
Pour que notre précipité (morphologie globale) ne soit pas tenté par
le jeu purement formel du drame, les formes doivent être « objectivées ». De
ce fait, pour endiguer toute séduction formelle d’une part, et pour remettre le
spectateur-auditeur à sa place d’autre part, la morphologie globale doit
déployer de manière exhaustive toutes les possibilités de rencontres contenues
dans un complexe (en cas d’impossibilité, c’est le sens qui filtre les
probabilités.)
1. Morphologies locales : ce sont des points de connexions.
2. Précipité des déploiements et/ou des opérations : Si et seulement
si, toutes les coutures sont visibles/audibles.
3. Ou : Intégrer des mesures dans le complexe pour filtrer
certaines probabilités de rencontres.
186 Manuel d'arts plastiques tome II
Procédons à un récapitulatif nécessaire en cette fin de parcours, qui
permettra de mettre à jour les différents niveaux de mesures que le
compositeur plastique# que vous êtes désormais peut approfondir.
Vous avez pu l’évaluer vous-même, tout au long du parcours tracé
par ce manuel, le rapport arts plastiques/musique qu’il propose se prête peu au
découpage. Ses interrelations ne constituent pas à proprement parler un
système. L’une des grandes difficultés pour nous est de nous repérer dans des
termes dont la définition factuelle est labile59. Le but de ce récapitulatif est de
clarifier le plus possible l’activité compositionnelle plastique#, en variant le
59 La sémiologie nous paraissant particulièrement incomplète à décrire les interrelations et les gestes,
nous avons choisi dans nos deux manuels de multiplier les points de vue, les angles d’approche et les
découpages afin d’atteindre une description juste de ces interrelations et de ces gestes. Par exemple, ce
187 Précipités
point de vue (comme en témoignent tous les tableaux de ce manuel), mais ce
découpage s’avère encore une fois artificiel. Dans cette nouvelle découpe
paramétrique, beaucoup d’éléments ont la faculté de se trouver dans l’un ou
l’autre des champs.
1. Définition de l’activité compositionnelle plastique : Le
compositeur créé les objets dont il a besoin et la configuration
nécessaire pour les organiser et produire du sens.
La relation entre les objets se construit d’intervalles conjoints et/ou
d’intervalles disjoints (en effet, ces notions peuvent s’ouvrir à toutes les
corrélations). En fonction du sens que vous voulez donner à l’œuvre certaines
morphologies et enchaînements morphologiques peuvent dépendre d’une
chapitre est aussi un miroir du texte de P. Boulez, Penser la musique aujourd’hui.
188 Manuel d'arts plastiques tome II
mesure fixe et/ou variable, ou au contraire, de la plus grande liberté dans leur
mise en oeuvre.
Vous composez un complexe (circonstancié ou circonstanciel) qui
doit pouvoir rendre compte de toutes les possibilités de rencontre entre tous les
éléments. Le déploiement temporel d’un complexe doit prétendre à
l’exhaustivité des figures de corrélations. (La série au sens plastique : montrer
un phénomène sous toutes ses coutures !) Parce qu’un élément est toujours un
contexte pour un autre (musical ou extramusical), il vous suffit de procéder
à une répartition statistique des contextes (Le (temps) procès consiste à écrire
toutes les probabilités de rencontre d’un complexe donné pour épuiser tous les
précipités d’un complexe).
189 Précipités
2. Les objets :
- Musicaux : objets sonores (toutes catégories), tous les objets de la
musique traditionnelle (scénarisés) et contemporaine (électroacoustiques),
samples et boutmoments, et le méta-instrument dans ses dimensions musicales
(effets, filtres).
-Extramusicaux : matériaux simples, objets scénarisés (ready made,
images# fixes ou mobiles, corps sonore), corps, le méta-instrument dans son
déploiement spatial.
-La partition : fixe ou variable, elle est spécifique et emprunte à
tous les objets vus ci-dessus.
190 Manuel d'arts plastiques tome II
3. Les configurations :
- déduite et intégrée à une circonstance# (in situ)
- circonstance# détournée (usage social#)
- circonstance# échafaudée (diffusion spécifique).
4. Paramètres :
A / intégration (éléments qui contribuent au tout)
Hauteur, durée, la circonstance#, corps sonore scénarisé ou non,
matériaux scénarisés musicaux ou extramusicaux, méta-instrument dans ses
dimensions spatiales, partition dans sa dimension visible.
B / coordination (éléments qui servent à lier)
Intensité, timbre, conductions, saillances de la circonstance,
partition (mode d’emploi et/ou programme).
191 Précipités
Tableau 5. Tableau des paramètres de l'activité compositionnelle plastique en fonction des mesures.
192 Manuel d'arts plastiques tome II
Nous vous invitons à relire ce texte. Les éléments qui vous paraissaient flous à
la première lecture devraient se connecter au parcours global décrit par ce
manuel dont vous pouvez vous faire maintenant une image complète.
193 Conclusion
Conclusion
’est à la mode ! Chaque lieu d’art contemporain propose aujourd’hui son
exposition et sa contribution aux déjà longues réflexions théoriques sur
les nouvelles relations arts plastiques /musique. Mais c’est une habitude chez
C
194 Manuel d'arts plastiques tome II
les commissaires, ces expositions témoignent souvent d’une méconnaissance
sensible de l’un ou l’autre des champs. Outre le fait qu’elles nous resservent
des plats froids (Sons et Lumières, Centre Georges Pompidou, 2003-2005),
elles entravent des œuvres qui prennent tout au plus le statut de documents#.
Leurs vis-à-vis et leurs modes d’accrochages sont tellement absurdes :
symptôme d’une culture textuelle de l’anthologie qui pense que tout peut se
mettre côte à côte, de manière irréfléchie, pour rendre compte des idées et des
démarches qui traversèrent l’histoire de l’art. De ce fait, ces commissaires
peuvent se permettre de négliger les grincements des portes et du parquet :
dans une telle exposition, ce sont pourtant des détails qui ne sont pas indemnes
de sens. La salle consacrée à Fluxus fut exemplaire de ces assemblages
amateurs dont témoigna toute l’organisation de sons et lumières. Tous les
travaux furent présentés en vrac dans des vitrines, désamorçant la plupart des
gestes des artistes convoqués. Et ne parlons pas des œuvres de Nam June Paik,
inactualisables, présentées dans un coin de salle et sur une estrade !
195 Conclusion
Quant à Sonic Process60 ? Le matériel de diffusion était camouflé,
invisible, au profit de jolies cabines isolantes pour présenter les œuvres.
Quand il ne s’agissait pas de cet éternel représentant de l’écoute autistique : le
casque audio. Et bien oui, le son se diffuse ! Il pose nécessairement problème
à ceux qui considère l’objet d’art comme un phénomène clos. Ces choix
d’exposition sont autant de signes d’un manque total d’attention aux sens et,
qui plus est, ne sont que de regrettables remakes du cadre et du socle dont les
arts plastiques avaient pourtant appris à se passer depuis longtemps. Quelles
solutions choisir ? Est-il plus acceptable de réaliser de grandes cages en bois
grillagées, pour stocker les différents ordinateurs qui diffusent les pièces,
comme ce fut le cas à Lyon pour le festival musique en scène ? Nous aurions
60 Qui n’avait, soit dit en passant, aucun rapport avec le process développé dans ce manuel.
196 Manuel d'arts plastiques tome II
tort de négliger ces options, elles sont autant de dispositifs supplémentaires et
par là même, de plus values signifiantes.
Mais si les centres d’art contemporain se trouvent démunis devant
ces œuvres hybrides, c’est aussi parce que l’artiste se déresponsabilise
totalement des formes qu’il produit. Ou du moins, il les envisage encore
comme un objet, qui terminé, est touché par nous ne savons quelle grâce
d’intangibilité. Alors que leur habillage marketing nous promet de nouvelles
réflexions politiques et sociales en acte dans ces nouvelles pratiques
musicales, ce n’est pourtant, ici et là, qu’inattention et maîtrise discutable des
opérations mises en œuvre dans le travail artistique. Souvent, l’artiste achoppe
le message qu’il veut faire passer et nous raconte, bien malgré lui, tout à fait
197 Conclusion
autre chose. Mais c’est chose courante : nos centres d’art sont fait d’écarts
entre une œuvre, un cartel61 explicatif et un clou qui dépasse.
Selon nous, les manuels sont aussi une réclamation d’attention à
tous les niveaux de l’écriture plastique#. Car c’est bien de ce point de vue que
nous avons proposé une possibilité de rencontre entre arts plastiques et
musique. Une rencontre où la pratique plastique#, attentive et disponible,
s’appose à la pratique musicale.
61 Pourquoi ne pas choisir de traduire les titres et les textes d’une œuvre quand ceux-ci ne sont pas
dans la langue maternelle du lieu de l’exposition ? Discrimination, qui suppose que le public de l’art
contemporain maîtrise parfaitement toutes les langues, ou choix qui postule que seule la forme compte
198 Manuel d'arts plastiques tome II
C’est d’abord le son qui n’est plus asservi à une idée, et son écoute
attentive sert alors d’impulsion au processus compositionnel qui s’intrigue à
l’aide des opérations plastiques. L’assemblage, le déplacement, la
juxtaposition, la séparation, le métissage… deviennent des gestes musicaux
opérants. À l’image de « l’atelier du cordonnier* » critiqué par P. Boulez,
notre méta-atelier conçoit la pratique musicale comme le lieu d’un corps à
corps avec des fragments sonores (écrits ou enregistrés). Il s’engage dans la
tradition d’une pratique concrète de la musique.
De ce fait, l’activité compositionnelle se conçoit entre bricolages
décontractés et « gymnastiques# » réfléchies : le compositeur pense maintenant
avec ses mains ! En effet la plasticité appliquée au cas particulier de la
indépendamment du sens d’une œuvre ?
199 Conclusion
musique ouvre et défait largement l’écriture musicale. La voilà loin de la table
de travail, où seul le papier à musique et la plume côtoyaient l’écoute mentale
et la calculatrice du compositeur. Au contraire, la pratique compositionnelle
plastique# ausculte chaque matériau, y compris les matériaux extra-sonores, et
chaque élément contingent (le lieu, la durée, l’espace, le moment, mode de jeu,
corps sonores,...), pour établir les corrélations que chacun d’eux vont
entretenir. L’écriture devient une investigation complexe, dont le
développement et le sens naissent de ces relations.
Puis, notre méta-atelier image de la plasticité, se répand à tous les
niveaux de la pratique musicale plastique : il est à la fois la gymnastique#,
l’instrument du musicien plasticien et l’espace alternatif de l’exécution.
200 Manuel d'arts plastiques tome II
En effet, cet espace de travail singulier est aussi le lieu où s’opère
un renversement de l’autorité technologique (IRCAM), où s’abolit l’idée de
réaliser un objet idéal, manifestation d’un concept qui résout seulement
quelques problèmes formels. Dans l’atelier du cordonnier*, si la musique ne
s’envisage pas avec les démarches de l’ingénieur, elle se réalise toutefois avec
rigueur. La plasticité confrontée à l’écriture musicale ruine l’illusion du
formalisme et, si elle nous permet d’envisager une musique déduite d’une
situation donnée, elle nous offre aussi la possibilité d’écrire des circonstances#,
alternatives à la forme classique du concert. Une musique qui au risque de la
plasticité devient concrète (à nouveau) parce qu’elle tente à chaque fois de
s’approcher au plus près du réel.
201 Conclusion
Enfin, c’est à vous qu’il incombe de clore cet ouvrage par un
dernier signe tangible : il vous faut renouer avec le geste à tous les niveaux de
la pratique et de la composition musicale. Vous y mettrez les mains, vous y
mettrez le corps entier, avec ses muscles, ses nerfs, ses os...bref, vous ferez la
peau à la musique.
202 Manuel d'arts plastiques tome II
« (...) Une « théorie » de l’analyse ne peut jamais être légitimement utilisée
en tant qu’outil servant à produire de la musique. Les tentatives dans ce sens
trahissent l’idée d’un langage musical basé uniquement sur des procédures
de combinaisons d’éléments, ce qui, dans n’importe quelle discussion
sérieuse sur la musique, est pour le moins à côté de la question. »Luciano Berio, « Méditation sur un cheval de douze sons », contrechamps 1, 1983.
203 Lexique
Lexique
Boutmoment : C’est par ce néologisme que nous désignons les
enregistrements sonores d’une circonstance#. Ces enregistrements deviennent
des boutmoments lorsqu’ils sont intégrés à un processus compositionnel
indépendant de la circonstance# initiale de la prise de son. Ils sont des
matériaux sonores scénarisés complexes, dans la mesure où ils ont une
référence forte (parce qu’ils ne sont pas des prélèvements retravaillés ou trop
travaillés). Les boutmoments se distinguent des samples*. En effet, ils ne
convoquent ni l’hommage, ni la citation, ni le pastiche... Ils empruntent à la
réalité. Ils l’évoquent, mais ni ne la figurent, ni ne la représentent.
204 Manuel d'arts plastiques tome II
Cluster : Complexe sonore très compact. Généralement, le cluster
désigne le moment où toutes les hauteurs chromatiques comprises dans un
intervalle quelconque sont jouées simultanément. Cependant la définition
s’ouvre aux accords complexes dont l’intervalle prédominant entre deux notes
adjacentes est une seconde mineure ou majeure.
Corps résonant : ou résonateur. Cf. corps sonore*.
Corps sonore : Le corps sonore désigne tout objet à partir duquel
l’exécutant engage des gestes dans le but de produire un son ou une succession
de sons. Ce peut être le corps de l’exécutant lui-même ou un autre corps, un
instrument, un objet ready-made, une image# (mais c’est un objet), ou
205 Lexique
n’importe quel autre élément trouvé. Si le corps sonore peut être choisi pour
ses qualités acoustiques, il peut aussi être choisi comme matériau scénarisé.
Classiquement, le corps sonore se constitue de :
1. Vibrateur (le corps proprement dit)
2. Excitateur, qui le fait entrer en vibration.
3. Résonateur, qui ajoute des formants aux bandes de fréquence
ou les filtre.
4. Coupleur, qui transmet le son en l’amplifiant.
5. Registre, qui est le dispositif de modulation qui assure la
combinaison de chaque niveau.
Glissandi : Il s’agit d’un cluster* étendu dans le temps. Le passage
d’une hauteur à une autre par variation continue.
206 Manuel d'arts plastiques tome II
Le glissandi et le cluster ne sont pas des éléments musicaux
composés à partir des règles de l’harmonie. Ils ne sont ni une superposition, ni
une succession d’éléments discontinus. Paradoxalement, ils nous font
appréhender les sonorités d’un instrument avec une certaine pureté. Par leur
caractère brut, libéré de toute histoire, ils nous livrent une sonorité
extrêmement concrète de l’instrument.
L’atelier du cordonnier : C’est une critique de Pierre Boulez
concernant les studios de la musique concrète. Il sommait les musiciens de
l’électroacoustique de sortir de « l’atelier du cordonnier » car il trouvait leur
recherche trop dépendante d’un certain bricolage. Or, dans notre conception
du méta–atelier (voir le manuel tome I) une large place est faite à la bricole.
207 Lexique
C’est dans cet atelier que se rendent possible les manipulations sensibles que
nous avons nommées opérations plastiques#. Celles-ci étant la manifestation de
la pensée des mains, la gymnastique#. Il semblerait que, bricolage ou non, une
telle pensée ne soit pas dépourvue d’une certaine rigueur.
« L’atelier du cordonnier » fait contraste avec cet autre atelier, où le
bricoleur a laissé place à l’ingénieur : l’IRCAM.
Machinerie : ce terme nous permet d’aborder deux notions
complémentaires. D’une part, la question du matériel musical, d’autre part, la
question du méta-atelier et de son corollaire le méta-instrument.
Faire de la musique aujourd’hui ne se fait pas sans un recours à une
multitude d’outils et d’ustensiles différents : l’instrument, le corps, les câbles,
208 Manuel d'arts plastiques tome II
les enceintes de diffusion, la table de mixage, les prises de courant... etc. Nous
entendons, évidement, « faire » dans les deux moments qu’il désigne : celui de
la composition, et celui de la diffusion, qui parfois sont simultanés. À la suite
du manuel d’arts plastiques, nous affirmons que :
1. ces outils et ustensiles font signes,
2. ces outils et ustensiles déterminent des opérations plastiques#
qui feront signes à leur tour.
De ce fait, le matériel et le processus compositionnel se pensent de
pair. Il n’y a pas de liste exhaustive de celui-ci. Mais à l’image du méta-atelier,
un méta-instrument souple, mobile et mutable.
209 Lexique
Mix : Désigne une variation autour du montage*. Il s’agit en effet
de rapprocher deux éléments a priori éloignés, et de les réunir en un seul. Le
sens n’est pas celui de la couture. Il naît de la surprise de voir cohabiter aussi
bien ces éléments, ce qu’ils ont l’air de faire très naturellement.
Montage* : « Mettre une inconnue en évidence » (Jean-Luc
Godard). Rapprocher intentionnellement deux éléments (minimum) pour que,
de leur rencontre, le sens apparaisse. C’est la couture qu’il y a entre ses deux
éléments hétérogènes, qui est la condition du sens et par là même, du montage.
Objet sonore : On appelle objet sonore toute manifestation et
évènement sonore que l’on saisit pour ses propriétés (qui sont à la fois
210 Manuel d'arts plastiques tome II
physiques, formelles et sémantiques) comme un être sonore dépendant de
l’occasion de son apparition. Il peut être enregistré, noté (avec les écarts que
cela suppose) ou impliqué dans sa circonstance# même pour un travail
compositionnel circonstanciel. C’est un son, une séquence de sons, une
musique qui nous fait signe.
Sample* : Désigne les prélèvements sonores (numériques ou
analogiques), plus ou moins longs, de musique préexistante. Cette référence
reste reconnaissable, le sample est un matériau scénarisé complexe. Un sample
ne dépend pas d’un outil, mais désigne une opération. Ils convoquent les
opérations de montage* et de mix*, comme le boutmoment*.
211 Table des matières
Table des matièresINTRODUCTION .................................................................................................................................. 3
LE MATÉRIEL .................................................................................................................................... 25
PREMIERS PAS ....................................................................................................................................... 25 LA MACHINERIE ..................................................................................................................................... 31 MÉTA-INSTRUMENT ............................................................................................................................... 35
LE MATÉRIAU .................................................................................................................................. 38
CONDUCTION PHYSIQUE ........................................................................................................................... 45 Conduction directe ....................................................................................................................... 46 Conduction indirecte .................................................................................................................... 51
CONDUCTION MENTALE ........................................................................................................................... 60 Conduction de matériaux scénarisés simples ............................................................................... 62 Conduction de matériaux scénarisés complexes. ......................................................................... 63
L’OBSERVATION .............................................................................................................................. 77
MODALITÉS D’APPARITION DE L’OBJET SONORE. ......................................................................................... 87 Objet sonore de geste (rétroactif) ................................................................................................ 89 Objet sonore de manipulation (ou désincarné) ............................................................................ 90 Objet sonore de circonstance ....................................................................................................... 91
UNE BRÈVE HISTOIRE DU TEMPS .............................................................................................. 94
FORMES DRAMATIQUES ............................................................................................................................ 99 Temps linéaire .............................................................................................................................. 99 Temps en intrigue ....................................................................................................................... 101
TEMPORALITÉ CONCRÈTE ....................................................................................................................... 108 (Temps) moment ........................................................................................................................ 108
212 Manuel d'arts plastiques tome II
(Temps) procès .......................................................................................................................... 110
LA CIRCONSTANCE ....................................................................................................................... 124
COMPOSITION CIRCONSTANCIELLE : MUSIQUE À CIEL OUVERT. ...................................................................... 126 Le potentiel est sonore ............................................................................................................... 129 Le potentiel sollicite un autre sens ............................................................................................. 132
COMPOSITION CIRCONSTANCIÉE : ÉCHAFAUDER UN SITE ET UN MOMENT. ...................................................... 137 Vous investissez les scenarii d’écoute de notre société contemporaine. .................................... 143 Vous distanciez la forme classique du concert. .......................................................................... 144 Vous écrivez un site et un moment particulier. .......................................................................... 149
PARTITIONS ET NOTATIONS ...................................................................................................... 152
PARTITIONS TRANSPARENTES. ................................................................................................................. 156 ..................................................................................................................................... 163 PARTITIONS SPÉCIFIQUES ........................................................................................................................ 163 NOTER ............................................................................................................................................... 180
PRÉCIPITÉS ..................................................................................................................................... 182
CONCLUSION ................................................................................................................................... 193
LEXIQUE ........................................................................................................................................... 203
TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................................. 211
TABLE DE ILLUSTRATIONS ........................................................................................................ 213
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................. 215
213 Table de illustrations
Table de illustrations
Tableau 6. Jalons de lutherie vagabonde et exemples d'opérations
plastiques........................23
Tableau 7. Schéma de mixage et de montage dans les dimensions verticales et
horizontales pour deux boutmoments et/ou samples A et
B.........................................................................44
Tableau 8. Tableau récapitulatif des évolutions temporelles en fonction des
conductions.....................................................................................................................
..........47
Tableau 9. Activités compositionnelles
plastiques..................................................................87
214 Manuel d'arts plastiques tome II
Tableau 10. Tableaux des conductions entre matériaux sonores et matériaux non
sonores............................................................................................................................
........100
Tableau 11. Tableau des paramètres de l'activité compositionnelle plastique en
fonction des
mesures...........................................................................................................................
.........110
215 Bibliographie
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• LACAN Jacques, Encore, texte établi par Jacques-Alain Miller, coll. « Lechamp freudien », Paris, Editions du Seuil, 1975.
• LACAN Jacques, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse,texte établi par Jacques-Alain Miller, coll. « points essais », Paris,Editions du Seuil, 1973.
• KRISTEVA Julia, sens et non-sens de la révolte, biblio essais, Paris,Grasset, 1996.
• ONFRAY Michel, Traité d’athéologie : physique de la métaphysique,Paris, Grasset, 2005.
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• BOULEZ Pierre, Par volonté et par hasard : entretiens avec CélestinDeliège, « Tel quel», Paris, Ed. du Seuil, 1975.
• BOULEZ Pierre, Penser la musique aujourd’hui, « Tel », Paris, Ed.Gonthier, 1963.
• BOULEZ Pierre, Relevés d’apprenti, collection « Tel quel », Paris, LeSeuil, 1966.
• BRECHT Bertold, Ecrits sur le théâtre épique, « Bibliothèque de lapléiade », Paris, Gallimard, 2000.
• CAGE John, Je n’ai jamais écouté aucun son sans l’aimer : le seulproblème avec les sons, c’est la musique, trad. Daniel Charles, s. l ., Lamain courante, 1998.
• CAGE John, Journal : Comment rendre le monde meilleur (on ne faitqu’aggraver les choses), trad. Christophe Marchand-Kiss, Genève,Editions Héros-limite, 2003.
• CAGE John, Silence : Conférences et écrits, trad. Vincent Barras,Genève, Editions Héros-limite, 2003.
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• GODARD Jean Luc, J. L. G par J. L. G, tome I et II, Paris, Editions desCahier du Cinéma, 1985.
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• KAGEL Mauricio, Tam tam, Paris, Christian Bourgeois Editeur, 1983.
• KANDINSKY Vassili, Du spirituel dans l’art : et dans la peinture enparticulier, Folio Essais, s.l., Denoël, 1989.
• KANDINSKY Vassili, Point et ligne sur plan : contribution à l’analyse deséléments de la peinture, Paris, Gallimard, 1991.
• KLEE Paul, Cours du Bahaus (Weimar 1921-1922) : Contributions à lathéorie de la forme picturale, Strasbourg, Editions des Musées deStrasbourg et éditions Hazan, 2004.
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• KLEE Paul, Théorie de l’Art moderne, Bibliothèque Médiations, s.l.,Denoël / Gonthier, 1975.
• NYMAN Michael, Experimental Music: cage and beyond, Cambridgeuniversity press, 1999.
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• CONTRECHAMPS, Musiques électroniques, n° 11, Giromagny (Genève),Editions de l’âge d’homme, 1990.
• DOCE NOTAS PRELIMINARES, Le carrefour du support dans la créationmusicale, Madrid, Artes Graficas Luis Perez S.A. Algorta, 1997.
• INHARMONIQUES, Paris, Ed. librairie Séguier et IRCAM-centre GeorgesPompidou, 1986 à 1990.
• L’INOUÏ : revue de l’IRCAM, n° 1, Editions Léo Scheer, 2005.
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• PARACHUTE, n° 116 : électrosons_electrosound, Montréal, Parachute,2002.
• REVUE D’ESTHETIQUE, De la composition : l’après Cage, n° 43, Paris,Jean Michel Place, 2003.
• REVUE D’ESTHETIQUE, John Cage, nouvelle série n°13 –14 –15,Toulouse, Editions Privat, 1988.
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