PLE 2010 - Rencontre avec Roberto Saviano

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8/8/2019 PLE 2010 - Rencontre avec Roberto Saviano

http://slidepdf.com/reader/full/ple-2010-rencontre-avec-roberto-saviano 1/172 ● LE NOUVEL OBSERVATEUR

« L’Italie n’en peut plus... »

Le titre de son dernier livre, « laBeauté et l’Enfer », n’a pas été em-prunté à Camus par hasard. Il y a duSisyphe et de l’Homme révolté danscet écrivain-journaliste de 31 ans

qui s’obstine à survivre, entre cinq gardes ducorps, au succès phénoménal de « Gomorra »(2006). Les tueurs de la Camorra ne lui par-donneront pas ses millions de lecteurs,Roberto Saviano le sait. Il lui arrive de « détes-ter » ce qu’il a écrit mais il tient bon. Même

quand nombre de ses compatriotes, SilvioBerlusconi en tête, lui reprochent de donnerune mauvaise image de son pays. Dans « laBeauté et l’Enfer » (RobertLaffont), Roberto Saviano est im-pressionnant : de courage, d’in-tégrité, d’intelligence. Qu’il parlede Lionel Messi ou d’AnnaPolitkovskaïa, évoque le Festivalde Cannes ou invite à « compren-dre l’économie européenne » àtravers « le prisme » du trafic decocaïne, c’est, à chaque page, leremarquable autoportrait d’unhomme condamné à se hisser àla hauteur de son terrible destin.La semaine passée, le prix dulivre européen lui était décerné àBruxelles, en partenariat avec« le Nouvel Observateur ».Rencontre.Le Nouvel Observateur. – Comment évoluevotre situation ? Roberto Saviano.  – J’ai toujours beaucoupd’espoir, disons qu’elle est stable… Ceux quisont sous protection vivent un emprisonne-ment étrange parce qu’ils ne savent jamais à

quel moment cela s’arrêtera. J’essaie de gar-der l’esprit libre. Mais je pense que je vaisbientôt quitter l’Italie pour essayer de réalisermon véritable chef-d’œuvre : ce ne sera ni unlivre ni un film, je veux reconstruire ma vie.N. O. – Vous disiez l’été dernier que les autres  pays ne sont pas toujours prêts à vousaccueillir…R. Saviano. – Bien sûr, officiellement, tout lemonde est prêt à le faire. Mais lorsque j’arrive,

 je suis souvent confronté à quelques… pro-blèmes. On verra.N. O. – Où iriez-vous, si vous aviez le choix ? 

R. Saviano. – J’aimerais voyager. Mais j’iraiscertainement aux Etats-Unis, où il me seraitpossible de vivre de façon plus humaine.N. O. – L’émission de télévision « Vieni via conme » (« Pars avec moi »), que vous avez animéecet automne, a rencontré un succès considéra-ble en Italie…R. Saviano.   – Oui, extraordinaire et inat-tendu. Impensable. Cela ne pourra plus ja-mais se répéter. Plus de dix millions depersonnes l’ont suivie. Plus que pour la finale

de la Champions League entre l’Inter de Milanet Barcelone… C’est un miracle. Dans l’émis-sion, on recevait des personnalités [comme le

comédien Roberto Benigni ou le prési-dent de l’Assemblée nationaleGianfranco Fini, NDLR], et on propo-sait des listes : une liste de raisons dequitter l’Italie, de rester en Italie, de fa-çons de zigzaguer entre des sacs-pou-belle… C’était élitiste mais ça a touché

de très nombreux téléspectateurs. Peut-être parce que l’Italie n’en peut plus, parcequ’elle ne supporte plus la télé italienne, la po-litique...N. O. – Etait-ce pour vous une façon de fairede la politique, précisément ? R. Saviano. – Oui, mais pas de la politiquepartisane obéissant aux mécanismes parle-mentaires. C’est une politique idéale, enquelque sorte. Si les politiciens italiens étaientencore capables de concrétiser des espoirs ouun projet, on n’aurait peut-être pas eu lesmêmes résultats. Nous avons comblé un vide.

N. O. – Vous m’aviez dit en juillet vous sentir « l’homme le plus détesté d’Italie »...R. Saviano. – Je suis détesté, oui, notammentpar une grande partie du monde politique. Onse demande comment ce paysan, ce plouc ar-rive à toucher tant de personnes. Et quand çaconcerne autant de gens, la haine est énorme.N. O. – Quel regard portez-vous sur la crise  politique que traverse Silvio Berlusconi ? R. Saviano.   – Ah, si j’avais une idée…Personne n’en sait rien. C’est le chaos le plus

total. Il est clair que le gouvernement est déjàtombé. Il s’agit simplement de savoir qui ar-rivera à le faire tomber vraiment, comment, et

quel prix Berlusconi sera prêtà payer – car il va vendre trèscher sa peau. Ensuite, une desraisons pour lesquelles per-sonne ne donne le coup degrâce est la peur de la ven-detta : il y a des dossiers.N. O. – En travaillant désor-mais avec la police, vous aviezle projet d’écrire une suite à« Gomorra » pour dénoncer les agissements de la Mafia àun niveau international…R. Saviano. – Je continue. Lespoliciers sont devenus mesmains, mes yeux. Les écoutes,les actes judiciaires sont lasource principale de mon livre.N. O.  –   Et n’avez-vous pas peur d’être manipulé ? R. Saviano.  – Bien sûr. C’estarrivé. Mais moi, je racontedes histoires. C’est pour celaque mon écriture est dange-

reuse. Je n’ai rien dévoilé denouveau en écrivant mes livres. Je me suiscontenté de raconter ce que savaient quelques

  journalistes et quelques juges. Je l’ai amenésur la scène internationale. C’est cela que jepaie. Mais c’est cela, aussi, la magie de la lit-térature. Voilà comment elle devient la grandeennemie de la Mafia. Elle dit à chaque lec-teur : « Ça, c’est ton histoire. » Alors que laMafia dit : « Non, non, non, ce ne sont pas voshistoires, ce sont des choses qui nous concer-nent, qui sont cosa nostre. »Propos recueillis

par GRÉGOIRE LEMÉNAGER

Rencontre avec l’écrivain Roberto Saviano

MONDE

Condamné à mort par la Mafia, il vient de recevoir le prix du livre européen en partenariat avec

« l’Obs » et d’animer sur la RAI une émission suivie par plus de dix millions de téléspectateurs

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Manifestation anti-Berlusconi le 14 décembre à Rome

Roberto Saviano