Rôle de la chirurgie plastique dans la prise en charge des médiastinites aiguës de l’adulte

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Rôle de la chirurgie plastique dans la prise encharge des médiastinites aiguës de l’adulte

Plastic surgery procedures in the treatment of mediastinitis in adult

C. Guedona,b,c,*a Service de chirurgie cervico-maxillo-faciale, groupe hospitalier Bichat-Claude-Bernard, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France

b Service de chirurgie thoracique et vasculaire, Hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy, Francec Service de chirurgie générale et viscérale, Hôpital Delafontaine, 2, rue Pierre-Delafontaine, 93205 Saint-Denis, France

Reçu le 19 novembre 2002 ; accepté le 16 janvier 2003

Résumé

L’aspiration-drainage à thorax fermé s’est imposée comme la technique standard de traitement initial de la plupart des médiastinites aiguësde l’adulte. En cas d’échec de cette technique ou bien en cas de médiastinite aiguë grave d’emblée, le recours à la mise à plat avec pansementà thorax ouvert s’impose. Dans bien des cas, la mise en dépression contrôlée de la plaie, à la place du pansement traditionnel, améliore laqualité de celle-ci. Le choix de la technique de reconstruction de la perte de substance résiduelle dépend autant du bilan lésionnel que dumorphotype thoracique. Le comblement complet du médiastin qui exige souvent l’association de plusieurs plasties est la condition « sine quanon » d’une évolution favorable. Dans cette série de 205 patients, la transposition bilatérale des muscles grands pectoraux sur leur pédiculeinterne a été pratiquée à 95 reprises. C’est la technique de choix qui peut être réalisée en toute sécurité, même après prélèvement bilatéral desartères mammaires internes. Parmi les autres procédés de myoplasties, des transpositions des muscles trapèze et grand dorsal ont été les plusutilisées. La transposition du grand épiploon est particulièrement bien adaptée au comblement de ces plaies infectées mais son utilisation esttrop souvent limitée par le contexte abdominal chez des patients dont l’état général demeure précaire. La généralisation du traitementconservateur à thorax fermé suivi, en cas d’échec, par une « chirurgie de rattrapage » visant à reconstruire la perte de substance résiduelle, apermis une nette amélioration du pronostic vital et fonctionnel de ces patients.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Closed vacuum drainage is becoming the standard technique in most early postoperative mediastinitis, open wound treatment being onlynecessary in case of failure of the previous technique or in high grade mediastinitis. The reconstruction technique to be choosen depends onboth resulting wound presentation after debridement and thorax morphology. Mediastinal dead space obliteration is a “sine qua non” forsuccess often requiring multiple flap transposition. Since 1983, reconstructive procedures were carried out in 205 patients, of them 95 hadbilateral pectoralis major turn-over transposition flaps on internal pedicules, following internal mammary artery coronary revascularisation in45. Trapezius and latissimus dorsi were the next most used flaps. Transposition of the omentum although especially well suited for torpidwounds was to often precluded by bad abdominal risk factors. Conservative closed drainage salvaged by reconstructive procedures whennecessary has greatly improved both survival and functional outcome of these patients.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Médiastinites ; Plasties musculaires ; Reconstructions thoraciques

Keywords: Mediastinitis; Muscle flaps; Thoracic reconstruction

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : orl.sec@bch.ap-hop-paris.fr (C. Guedon).

Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 115–127

www.elsevier.com/locate/annpla

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.DOI: 10.1016/S0294-1260(03)00014-1

1. Introduction

La sternotomie médiane qui offre une excellente exposi-tion du cœur et des gros vaisseaux s’est imposée comme lavoie d’abord idéale pour toute la chirurgie àcœur ouvert. Lescomplications cicatricielles de la sternotomie médiane vontde la déhiscence aseptique à la suppuration médiastinale. Lediagnostic de médiastinite post-sternotomie implique uneinfection de l’espace rétro-sternal ou une ostéolyse du ster-num.

Bien que la chirurgie cardiaque soit maintenant pratiquéeàgrande échelle (on estime à250 000 le nombre d’ interven-tions à cœur ouvert réalisées en Europe en 1993) [1] etqu’elle fasse appel aux techniques chirurgicales les plusmodernes, encadrées d’une antibioprophylaxie péri-opératoire, l’ incidence des médiastinites post-sternotomie,estimée à 2,5 %, demeure inchangée depuis près de 20 ans[2]. La mortalitéde cette affection, qui varie de 5 à50 % [3],en fait la première cause de mortalitéen chirurgie cardiaque.Le traitement des médiastinites post-sternotomie a notable-ment évolué ces dernières années, en raison principalementd’un diagnostic beaucoup plus précoce qui a permis l’ instau-ration du traitement conservateur. Classiquement, la mise àplat de la plaie sternale infectée était systématiquement sui-vie de pansements à ciel ouvert, tout au long d’une périodeprolongée de cicatrisation dirigée, l’exposition des structuresmédiastinales faisant parfois craindre la survenue de surin-fections et/ou de ruptures vasculaires. Le recours aux trans-positions musculaires puis à l’épiploplastie, à partir des an-nées 1980, avait permis d’obtenir une diminution de lamortalité ainsi qu’un raccourcissement de l’évolution [4,5].La généralisation de la ponction médiastinale postopératoireprécoce, à visée diagnostique, a donné un nouvel essor autraitement àthorax fermépar drainage aspiratif qui succéda àla technique d’ irrigation-drainage, considérée jusque làcomme la méthode standard de traitement des médiastinitesprécoces [6,7]. Cette évolution récente eut pour corollaireune amélioration de la survie avec diminution spectaculairedes pertes de substance médiastinales résiduelles qui résul-taient du traitement àciel ouvert. Ce dernier ne se justifie plusqu’en cas d’échec du traitement à thorax fermé ou devantcertaines médiastinites aiguës graves infectées à Streptococ-cus aureus méthicilline-résistant ou bien comportant unenécrose sterno-costale.

2. Le traitement initial à thorax fermé par drainageaspiratif

Dès que le diagnostic est suspecté, un traitement antibio-tique, fondé sur les données bactériologiques disponibles,doit être institué. Celui-ci associe généralement une bêta-lactamine ou un glycopeptide avec un amino-glycoside. Uneexploration médiastinale sous anesthésie générale est alorsentreprise en urgence (Fig. 1). La sternotomie est complète-ment réouverte, un curetage des dépôts de fibrine et unparage généreux de la peau et des tissus sous-cutanés sont

réalisés. Toute zone non vascularisée du sternum doit êtreréséquée àla scie. Enfin, la cavitépéricardique est nettoyée etla plaie médiastinale abondamment irriguée avec de la povi-done iodée diluée. La mise en dépression de la plaie estassurée grâce àla mise en place de 3 à6 drains aspiratifs dansles espaces explorés. La synthèse du sternum et la fermeturecutanée vont permettre aux drains aspiratifs de maintenir unedépression de l’ordre de 700 mm de mercure pendant aumoins 10 jours. Les produits de drainage doivent être régu-lièrement cultivés pour adapter l’antibiothérapie qui seramaintenue de 4 à 6 semaines [8].

3. La technique à thorax ouvert

En cas d’échec de cette technique ou bien de médiastiniteà Staphylocoque méthicilline-résistant ou d’ostéomyéliteavec nécrose massive du sternum, le recours à la mise à platavec pansement à thorax ouvert s’ impose, malgré les risquesinhérents à cette technique : insuffisance respiratoire due aumanque de rigidité thoracique, surinfection possible de laplaie médiastinale, exposition du cœur et des gros vaisseauxavec risque de rupture vasculaire.

La technique à thorax ouvert consiste à laisser à plat lemédiastin après le parage des lésions. La plaie médiastinaleest comblée de compresses imbibées de povidone iodée quiseront renouvelées deux à trois fois par jour jusqu’à contrôlede l’état septique local [9,10]. La mise de la plaie souspression négative contrôlée, par l’ intermédiaire d’unemousse de polyuréthane, selon la technique VAC® (VacuumAssisted Closure) à la place du pansement traditionnel doit

Fig. 1. Subdivisions du médiastin.

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être envisagée dès que possible [11,12], (Fig. 2). Tout enfacilitant la prise en charge de la plaie, le maintien d’unepression négative continue de 125 mm de mercure réduit lacolonisation bactérienne et l’œdème tissulaire, elle améliorela vascularisation de la plaie et favorise la formation de tissude granulation. Dans les cas les moins graves, elle permet unefermeture par cicatrisation dirigée. Dans les autres cas, cettemise en dépression créée les conditions favorables à unefermeture chirurgicale secondaire.

4. Fermeture des pertes de substance thoraciquesrésiduelles dans les suites de médiastinites aiguësgraves

Avant d’envisager la fermeture d’une perte de substancethoracique, un bilan local s’ impose. L’exploration méticu-leuse de la plaie recherche une fistule VAC® ÉquipementMédicale KCI, Parc Gutenberg 5, voie de la Cardon, 91126Palaiseau, médiastino-pleurale, une exposition vasculaire, unséquestre ou une atteinte chondro-costale associée, qui doi-vent faire pratiquer préalablement une résection à la de-mande, en sachant que tout cartilage atteint doit être réséquéen totalité jusqu’au contact osseux [13].

La longueur, la largeur et la profondeur de la brèchepariétale, en un mot le volume de l’espace mort rétro-sternal,sont des données essentielles à prendre en compte dans lechoix de la technique de fermeture.

4.1. Fermeture par lambeaux d’avancement

La fermeture cutanée simple était très utilisée avant l’avè-nement des myoplasties, elle était pratiquée après une pé-riode généralement très longue de cicatrisation dirigée et nes’adressait qu’aux pertes de substance résiduelles les plusmodestes.

L’ intervention consiste en un simple décollement cutanéprépectoral bilatéral à la demande, suivi d’une fermeturecutanée toujours associée à un drainage aspiratif prolongé[14].

De pratique plus récente, le décollement sous-pectoral dedeux vastes lambeaux musculocutanés d’avancement (Fig. 3)

permet d’obtenir un bon matelassage de la région sternalegrâce au rapprochement des pectoraux sur la ligne médiane.Cette technique présente en outre l’avantage de mieux res-pecter l’ intégrité de la vascularisation cutanée tout en re-laxant la traction sternocostale des muscles.

Ces procédés ont vu leurs indications se multiplier avecl’extension de la technique de cicatrisation par pression né-gative contrôlée (VAC®) qui permet d’accélérer le comble-ment de la plaie, sans toujours conduire à une fermeturecomplète de celle-ci.

4.2. Transposition épiploïque

La transposition du grand épiploon a été historiquementl’une des techniques les plus utilisées pour la reconstructiondu thorax [15,16]. Elle s’est imposée dès la fin des années1970 dans la prise en charge des pertes de substance d’ori-gine trophique et/ou infectieuse [17]. Son comportementdans les plaies torpides ou infectées est attribué à son fortpotentiel de néo-vascularisation et à ses propriétés anti-infectieuses, conséquence de sa concentration élevée en cel-lules immunocompétentes [18].

Après ouverture du péritoine, un décollement colo-épiploïque est mené de gauche à droite, en prenant soin derespecter le mésocôlon transverse. La plastie épiploïque peutalors être mobilisée à la demande, en sectionnant toutd’abord l’épiploon et les vaisseaux gastro-épiploïques gau-ches près de la rate, puis en la pédiculisant sur les vaisseauxgastro-épiploïques droits par section progressive des vais-seaux courts gastriques jusque dans la région antrale. Cettemanœuvre de libération génère un arc de rotation qui s’avèrepresque toujours suffisant pour atteindre n’ importe quelpoint du médiastin. L’ascension de l’épiploon vers le médias-tin est, le plus souvent, assurée grâce àun large décollementsous cutané et plus rarement par l’ intermédiaire d’une inci-

Fig. 2. Mise en dépression continue de la plaie grâce au système VAC. 1 :tubulure d’aspiration ; 2 : mousse polyuréthane ; 3 : film plastique adhésif.

Fig. 3. Plastie d’avancement cutanéo-musculaire.

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sion diaphragmatique en avant du péricarde. L’épiploon estalors soigneusement étalé sur les structures médiastinalesexposées et généralement maintenu en place par quelquespoints aux structures anatomiques adjacentes (Fig. 4).

Chez ces patients à l’état hémodynamique souvent pré-caire, nous avons appris à nous méfier des procédés d’allon-gement épiploïque par dédoublement qui font courir un ris-que accru de nécrose distale [19].

4.3. Myoplasties

C’est en 1980 que Jurkiewicz et collaborateurs ont pour lapremière fois fait état d’excellents résultats obtenus aprèsparage agressif suivi de l’exclusion de tout espace mortmédiastinal grâce à la transposition des muscles grands pec-toraux [4].

4.3.1. Transpositions pectoralesLes muscles grands pectoraux, situés de part et d’autre de

la perte de substance médiastinale, sont en effet des candidatsidéaux à la transposition médiastinale [20,21]. Le pédiculevasculaire dominant est représenté par les vaisseauxacromio-thoraciques qui naissent des vaisseaux axillaires aubord supérieur du muscle petit pectoral près de la lignemédio-claviculaire. Après section des insertions huméralesdu muscle, la longueur de l’arc de rotation et la situation deson point pivot ne lui permettent d’atteindre que la moitiésupérieure du médiastin, ce qui s’avère souvent insuffisant

pour assurer un comblement satisfaisant de la perte de subs-tance (Fig. 5).

Dans la plupart des cas, il faut lui préférer la transpositionpectorale sur les pédicules secondaires qui naissent àla partieinterne des 4 premiers espaces intercostaux. Ceux-ci sontreprésentés non seulement par des branches perforantes is-sues des vaisseaux mammaires internes mais également pardes branches perforantes antérieures des vaisseaux intercos-taux [22]. Après section des insertions humérales, on réaliseun décollement complet du muscle en ne conservant que sesinsertions manubrio-sternales. Un retournement supérieur à180° permet la descente de la plastie musculaire vers lemédiastin (Fig. 6). La naissance des pédicules vasculaires àproximité du bord latéral du sternum permet une utilisationoptimale des muscles en augmentant considérablement leurcapacitéde comblement (Fig. 7). La richesse de cette vascu-larisation est telle que la seule préservation des perforantesissues de deux espaces intercostaux contigus suffit pour assu-rer la survie de la totalité du muscle, même après prélève-ment des vaisseaux mammaires internes [13]. Elle rend pos-sible une mobilisation pectorale complémentaire, c’est ainsiqu’une translation verticale des muscles peut être obtenuepar déplacement de leur point pivot, grâce à une sectionpartielle, à la demande, de leurs insertions sternales, cépha-liques ou caudales. Cette manœuvre permet de disposer lesmuscles tête-bêche, ce qui assure un comblement plus homo-gène de la perte de substance médiastinale, au profit de lamoitié inférieure de celle-ci.

Fig. 4. Épiploplastie sur les vaisseaux gastro-épiploïques droits. Fig. 5. Dissection des muscles grands pectoraux sur les pédicules acromio-thoraciques.

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4.3.2. Transposition du muscle grand dorsalLe grand dorsal, muscle le plus étendu du thorax, possède

un long arc de rotation qui lui permet d’atteindre le médias-tin. En raison de la perte de substance médio-thoracique, lelambeau est prélevé par une incision cutanée postéro-latérale, menée très obliquement en bas et en arrière dusommet de la fosse axillaire à l’épine iliaque postéro-supérieure (Fig. 8A), de façon à réaliser un lambeau cutanélatéro-thoracique bi-pédiculésuffisamment perfusépour per-mettre son décollement partiel en toute sécurité et assurer lepassage du muscle grand dorsal vers le médiastin. La sectionhumérale du muscle, la dissection poussée du pédicule vas-culaire jusqu’aux vaisseaux axillaires ainsi que la section dunerf sont bien sûr indispensables pour disposer d’un arc derotation maximal (Fig. 8B).

4.3.3. Transposition du trapèzeCe long muscle paravertébral qui comble la gouttière

inter-scapulo-rachidienne a une vascularisation variable.Dans 80 % des cas l’artère cervicale transverse, branche dutronc thyro-bicervico-scapulaire est dominante, dans les

Fig. 6. Retournement des deux plasties pectorales sur les perforantes inter-nes.

Fig. 7. Comblement de l’espace mort médiastinal après myoplastie deretournement.

Fig. 8. Transposition du muscle grand dorsal. A : abord postéro-latéral dumuscle ; B : mobilisation vers le médiastin après dissection du pédiculethoraco-dorsal.

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autres cas, c’est l’artère scapulaire postérieure qui vascula-rise le muscle [23].

Une cervicotomie exploratrice préalable permet de repé-rer les pédicules vasculaires et de déterminer les possibilitésde transposition du muscle. L’élévation de la totalité dumuscle, réalisée en décubitus latéral, procède de la région susclaviculaire à la pointe du trapèze (Fig. 9). Une rotation de360° permet de transposer le muscle sur la paroi antérieuredu thorax dans une situation presque symétrique, en miroirde sa position anatomique initiale [13], (Fig. 10).

4.3.4. Transposition du muscle grand droit de l’abdomen

Le muscle grand droit de l’abdomen est vascularisé parl’arcade épigastrique réunissant les vaisseaux épigastriquessupérieurs, branches des vaisseaux mammaires internes àleurs homologues épigastriques inférieurs. La transpositionmédiastinale du muscle qui est réalisée sur le pédicule supé-rieur, nécessite donc l’ intégrité des vaisseaux mammairesinternes (Fig. 11).

Une section distale, généralement réalisée à la hauteur dela ligne arquée, précède la dissection rétrograde du muscle,ses insertions costales peuvent être sectionnées pour facilitersa rotation de 180° vers le médiastin (Fig. 12). Ce lambeaupeut être utilisé sous sa forme musculo-cutanée à palette

verticale ou plus fréquemment musculaire pure en complé-ment d’autres myoplasties [20,21].

4.4. Couverture de la perte de substance cutanée

Une perte de substance cutanée modérée, situation la plusfréquente, est refermée par suture simple des deux lambeaux

Fig. 9. Bases anatomiques de la dissection du muscle trapèze d’aprèsHuelke [23]. 1 : muscle trapèze ; 2 : artère cervicale transverse ; 3 : artèrescapulaire postérieure.

Fig. 10. Transposition du muscle trapèze dans le médiastin.

Fig. 11. La présence des vaisseaux mammaires internes est indispensable àla transposition du muscle grand droit de l’abdomen.

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cutanéo-graisseux décollés lors du prélèvement des plastiespectorales. Mais parfois, le sacrifice cutané qui a été néces-saire lors de la mise à plat initiale ne permet pas de réaliserune fermeture par approximation des berges du décollement.Dans ce cas, la couverture peut être obtenue par mise encicatrisation dirigée suivie d’une greffe cutanée sur la plastiemusculaire. Lorsque le sacrifice cutané a été majeur, il peutêtre utile de prévenir la rétraction cutanée par la mise enplace d’un treillis résorbable qui, en outre, présente l’avan-tage d’assurer la contention des plasties musculaires et/ouépiploïque. En revanche, la transposition d’un contingentcutané solidaire de la plastie musculaire n’est que très rare-ment indiquée.

5. Résultats

Depuis 1983, nous avons appliqué ces divers procédés dereconstruction (à l’exclusion des fermetures cutanées sim-ples) chez 205 patients qui présentaient des pertes de subs-tance médio-thoraciques dans les suites de sternotomies mé-dianes. Le caractère rétrospectif de cette étude, la multiplicitédes équipes soignantes ayant pris en charge ces patients,l’hétérogénéité des cas traités et l’évolution des options thé-rapeutiques sur cette longue période, rendent illusoire touteinterprétation statistique des résultats. Des myoplasties pec-torales pures ont été réalisées chez 167 patients. Il s’agissaitde plasties de retournement bi-pectorales àpédicules interneschez 95 d’entre eux, en dépit de pontages mammaires inter-nes dans 45 cas. La transposition du muscle trapèze a étéréalisée chez 20 patients en association avec une myoplastiechez l’un d’entre eux. La transposition musculaire oumusculo-cutanée de grand droit a été réalisée chez 10 pa-tients en association avec une myoplastie pectorale chez 4

d’entre eux. La transposition du muscle grand dorsal a éténécessaire chez 15 patients, bilatérale chez l’un d’entre eux,elle a étéassociée àla transposition de reliquats pectoraux à7reprises. Enfin, l’épiploplastie a étéutilisée chez 11 patients,7 d’entre eux ayant bénéficié d’une nouvelle ostéosynthèsesternale.

Dans cette série, nous avons observé 17 échecs de ferme-ture par myoplasties en l’absence de nécrose musculaire,ainsi que 2 échecs d’épiploplasties par nécrose épiploïque.La durée moyenne d’hospitalisation a été de l’ordre de 9semaines et la mortalité de près de 30 %. Ces chiffres sont àinterpréter en fonction des remarques déjàexprimées, tout ensachant que la mortalité des médiastinites aiguës, en l’ab-sence de traitement, est proche de 100 % [3].

6. Discussion et commentaires

L’attitude vis-à-vis des médiastinites aiguës post-chirurgie cardiaque a beaucoup changé au cours des 20dernières années. Ce changement est lié à une meilleureconnaissance de l’épidémiologie et de la prophylaxie de cesinfections alors que dans le même temps le diagnostic tardif,devant un sepsis, une désunion de la plaie ou un accidenthémorragique impliquant des lésions tissulaires étendues, afait place à un diagnostic précoce permettant le traitementconservateur devant des lésions encore limitées. Ce contrôleprécoce de l’ infection a eu pour effet une nette diminution del’ incidence des pertes de substance thoraciques après mé-diastinites.

Ce n’est que devant l’échec du traitement conservateur ouen présence d’une médiastinite d’emblée grave, nécessitantun traitement à thorax ouvert, que le chirurgien plasticieninterviendra pour réaliser le comblement de la perte de subs-tance médiastinale, de plus en plus fréquemment, après unepériode de mise sous pression négative contrôlée de la plaiepar VAC®, comme nous l’avons évoquéprécédemment. Qua-tre situations cliniques peuvent être schématiquement identi-fiées.

6.1. Perte de substance modeste

C’est typiquement le cas d’une plaie ne dépassant pasquelques centimètres de largeur et de profondeur qui permetune fermeture cutanée simple, le plus souvent sans ostéosyn-thèse du sternum en raison de la rigiditémédiastinale ou desfractures multiples du sternum ayant conduit à la désunion.

6.2. Persistance d’un espace mort médiastinal importantet/ou exposition vasculaire, avec sternum sain

L’ indication de choix est alors le comblement de l’espacemort rétro-sternal par épipoplastie associée à une nouvelleostéosynthèse sternale [5,18].

Fig. 12. Transposition médiastinale d’un lambeau musculo-cutanéde granddroit.

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Fig. 13. Perte de substance médiastinale profonde et étendue. A : exposition des pontages, du myocarde et des plèvres ; B : prélèvement du muscle trapèze endécubitus dorsal ; C : préparation d’une double plastie pectorale àpédicule interne ; D : transposition antérieure du trapèze maintenu appliquésur les structuresmédiastinales par le double retournement pectoral.

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6.3. Perte de substance manubrio-sternaleet/ou médiastinale, modérée à majeure

L’exposition du cœur et des gros vaisseaux, souvent asso-ciée, nécessite impérativement un comblement total du mé-diastin. Dans ce cas, le choix du procédéde reconstruction leplus adapté reposera, entre autre, sur la confrontation duvolume de la perte de substance avec la morphologie du

patient, en n’hésitant pas à associer entre elles plusieursmyoplasties si nécessaire (Fig. 13). La double myoplastiepectorale à pédicule interne demeure bien souvent l’ indica-tion de choix. Comme on l’a vu, celles-ci peuvent être prati-quées même en l’absence de perforante mammaire interne.En effet, l’épreuve systématique de clampage du pédiculeacromiothoracique pratiquée chez tous les patients ayantbénéficié de pontages séquentiels mammaires internes, s’est

Fig. 14. Perte de substance médiastinale modérée après pontage mammaire interne bilatéral compliqué de médiastinite. A : aspect initial avant parage de laplaie ; B : dissection de deux lambeaux de grand pectoral à pédicule interne ; C : désinsertion manubrio-sternale du grand pectoral droit à la demande ; D :comblement homogène du médiastin après retournement et suture tête-bêche des plasties pectorales.

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Fig. 15. Protection de matériel prothétique après mise àplat médiastinale. A : exposition de la prothèse aortique ; B : transposition de l’épiploon pédiculisésurles vaisseaux gastro-épiploïques droits ; C : prélèvement simultanédu grand pectoral gauche sur les pédicules internes ; D : la plastie épiploïque est maintenueappliquée sur la prothèse aortique et le myocarde grâce au retournement pectoral.

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Fig. 16. Perte de substance pariétale étendue. A : aspect initial avant parage ; B : parage de la plaie avant myoplastie ; C : transposition simultanée de deuxlambeaux de grand pectoral à pédicule interne et de deux lambeaux de grand dorsal ; D : aspect avant greffe dermo-épidermique.

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constamment révélée positive sans qu’aucune nécrose mus-culaire secondaire n’ait été observée après sacrifice dupédicule acromiothoracique (Fig. 14). Ce qui, par ailleurs,corrobore les études anatomiques démontrant la participationdes perforantes intercostales antérieures à la vascularisationpectorale [22]. L’épiploplastie de comblement et/ou de pro-tection peut être réalisée isolément ou en association auxmyoplasties, d’autant plus volontiers que le médiastin estprofond et/ou que les structures vasculaires sont franchementexposées (Fig. 15) [20,21].

6.4. Perte de substance pariétale étendue

La destruction transfixiante de la paroi thoracique anté-rieure, d’une ligne médio-claviculaire à l’autre, voire au-delà, peut poser des problèmes de disponibilité tissulaire.Dans ce cas en effet ; les muscles pectoraux et leurs pédiculesvasculaires internes, souvent plus ou moins gravement en-dommagés, s’avèrent inutilisables. Parfois, cependant lesreliquats pectoraux, rétractés latéralement peuvent être mal-gré tout mobilisés sur les pédicules acromio-thoraciquescontribuant ainsi au comblement de la partie supérieure dumédiastin. Devant ces pertes de substance thoraciques ma-jeures, l’association à une transposition unilatérale voire ex-ceptionnellement bilatérale du muscle grand dorsal, suivied’une greffe dermo-épidermique, sont àmême d’assurer unereconstruction efficace au moindre coût cicatriciel (Fig. 16).Dans cette situation en effet, une simple épiploplastie est peusouhaitable car elle n’assurera qu’un matelassage pariétalgénéralement insuffisant.

7. Conclusion

L’épiploplastie et les transpositions musculaires intra-thoraciques ont joué un rôle de premier plan dans l’amélio-ration du traitement des médiastinites aiguës graves. Cestechniques se sont avérées fiables et efficaces, àcondition dene les entreprendre qu’après éradication des foyers infec-tieux. Le comblement complet de l’espace mort médiastinalest un facteur prédictif essentiel du succès de ces interven-tions. Dans notre expérience, c’est la transposition bi-pectorale sur les pédicules internes qui a été la plus utilisée,cette technique a fait la preuve de son extrême fiabilité,même en l’absence des vaisseaux mammaires internes.L’épiploplastie et les myoplasties sont àmême d’assurer uneprotection efficace du cœur et des gros vaisseaux parfoismenacés de rupture, en palliant des situations autrefois dé-sespérées [24]. Le recours plus fréquent aux myoplasties apermis de réduire la durée d’hospitalisation et d’améliorernotablement le pronostic vital et fonctionnel de ces patients.Ceci souligne tout l’ intérêt d’un dialogue entre chirurgienscardiaques, réanimateurs et chirurgiens plasticiens, pour laprise en charge des médiastinites aiguës graves après chirur-gie cardiaque.

Remerciements

Aux réanimateurs ayant pris en charge ces patientsF. Vachon, C. Gibert, B. Regnier, J. Chastre, M. Wolf, J.Y.

Fagon, J.L. Trouillet, J.F. Monsallier, B. Herman, Ph. Loirat,F. Fraisse, F. Tremollieres, E. Brunet, M.J. Laisne, A.M.Korinek, P. Medioni, Y domart, S. Calvat, B. Verdiere, F.Moret, M. Thuong, A. Rhaoui.

Ainsi qu’aux chirurgiens qui nous ont confié leurs patientsCh. Cabrol, I. Gandjbakhch, A. Piwnica, V. Bors, M.

Romano, A. Pavie, A. Lessana, P. Mesnildray, G. Touati, F.Laborde, D. Guillemet, G. Dreyfuss, J.P. Cachera, D. Loi-sance, M. Kirsh, G. Theodori, P. Nataf, Y. Lecompte, Ph.Menasche, U. Hvass, Ch. Acar, J Ph. Mazzucotelli, Ph. De-leuze, B. Andreassian.

Références

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