SCIENCE ET LITTÉRATURE || GALILÉE ET LE SUBLIME

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Armand Colin

GALILÉE ET LE SUBLIMEAuthor(s): Fernand HallynSource: Littérature, No. 82, SCIENCE ET LITTÉRATURE (MAI 1991), pp. 43-56Published by: Armand ColinStable URL: http://www.jstor.org/stable/41713177 .

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Fernand Hallyn y Université de Gand

G AT .TT .F.F. ET LE SUBLIME

Dans le Dialogue des grands systèmes > Galilée s'exclame : « Mais, de grâce, n'entrelaçons pas ces fioritures rhétoriques à la solidité des démonstrations. » 1 Les opinions émises sur la

rhétorique sont une chose, la pratique du discours en est une autre. Réclamer l'évacuation de la rhétorique du domaine de la science peut fort bien constituer une parade qui relève elle-même de la rhétorique 2. On a pu montrer que l'impor- tante lettre à Christine de Toscane sur le système copernicien (1615) obéit aux règles de Y ars dictaminis 3, que le Dialogue des

grands systèmes met constamment en œuvre une technique épidictique de l'éloge et du blâme 4, et que l'on ne saurait y réduire l'argumentation à une démarche purement logique 5. On s'intéressera ici au premier ouvrage de Galilée, le Sidereus Nuncius ou le Messager des étoiles 6, qui, en l6l0, expose les premières observations faites grâce à la lunette : l'irrégularité de la surface lunaire ; la révélation d'un nombre inoui d'étoiles insoupçonnées ainsi que la nature de la Voie Lactée et des nébuleuses ; l'existence de quatre satellites de Jupiter.

S'il fallait classer le Messager des étoiles parmi les genres actuels du discours scientifique, c'est du paper, du rapport exposant des résultats nouveaux, qu'il se rapprocherait le

plus. Les parties canoniques du paper sont dans l'ordre 7 :

1. Galilée, Opere , Éd. Naz., t. VII, p. 293. Sauf indication contraire, les références à Galilée (précédées de : GO) renvoient à cette édition et les traductions sont miennes.

2. Une étude de ces opinions est proposée par A. Carugo & A.C. Crombie, « Galilée et l'art de la rhétorique », XVlť siècle, XLI (1988), pp. 145-166. Elle adhère étroitement à la tradition aristotélicienne, notamment à l'opposition rhétorique-dialectique.

3. J.D. Moss, « Galileo's Letter to Christina : Some Rhetorical Considerations », Renais- sance Quaterly, XXXVI (1983), pp. 547-576.

4. B. Vickers, « Epic and Epideictic in Galileo's Dialogo », Annali dell'Istituto e Museo di Storia della Scienza di Firenze, VII-2 (1983), pp. 69-102.

5. M. Finocchiaro, Galileo and the Art of Reasoning : Rhetorical Foundations of Logic and Scientific Method, Dordrecht, Reidel, 1980.

6. Nuncius peut signifier « messager » ou « message ». Contrairement à E. Namer, dans sa traduction partielle (Galilée, Le Message céleste, Gauthier- Villars, 1964), j'opte pour la personnification, suivant l'argumentation, généralement acceptée aujourd'hui, de S. Drake, « The Starry Messenger », Isis, XLIX (1958), pp. 346-347.

7. Voir l'analyse du texte scientifique d'aujourd'hui de G. Markus, « Why Is There No

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résumé, introduction, matériaux et méthodes, résultats, discussion, références. Par rapport à ce plan, il manque, chez Galilée, l'énumération des références. Quant aux autres éléments, ils sont reconnaissables, mais amalgamés ; plutôt que de parties distinctes, il s'agit de fonctions différentes

pouvant être assurées par les mêmes parties : le Messager des étoiles commence par un résumé des découvertes, qui constitue aussi une introduction attirant l'attention sur leur importance ; il enchaîne par une présentation des matériaux et de la méthode :

description du télescope et introduction à son utilisation ; il continue et s'achève par l'exposition des résultats, qui intègre également une discussion partielle en réfutant sur certains points des interprétations alternatives (par exemple, au sujet de la lumière cendrée de la lune).

D'autre part, toujours à la différence du paper , le lecteur visé n'est pas uniquement le spécialiste : d'après la page de titre, l'ouvrage est adressé, au-delà des « philosophes et astronomes », à « tout un chacun », et, à travers l'épître dédicatoire, il est même spécialement offert à Come II de Médicis. Dans le récit des découvertes, qui est conduit à la première personne, le narrateur n'est pas non plus l'instance « désubjecti visée » qui, au moins en théorie, est de mise dans la littérature scientifique actuelle 8. La présence subjective de l'auteur dans le texte tient surtout à la mise en relief constante du sublime de son entreprise. Pour la tradition rhétorique depuis le pseudo-Longin, et selon l'étymologie même du mot, le sublime correspond à une élévation . Or, Galilée invite l'homme à lever son regard vers le ciel pour y voir des phénomènes nouveaux grâce à un instrument qui l'élève, en même temps, au-dessus des limites naturelles de sa perception et est donc propre à susciter l'étonnement et l'admiration. En révélant ce ciel jamais vu, et dans le registre du sublime, le Messager des étoiles demande une adhésion qui ne relève pas uniquement de la raison, mais qui prolonge et approfondisse la réponse rationnelle sans s'y opposer. Ce sublime est triple : il concerne le style de l'exposition des découvertes mêmes,

Hcrmencutics of the Natural Sciences ? », Science in Context , I (1987), pp. 5-51. Trois grands genres dominent la production scientifique aujourd'hui : le papier, la monographie théorique, et le manuel (ibid.).

8. Cf. ibid., pp. 11-19, où est décrite la nature construite, codifiée et fictive de cet « auteur ».

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LE STYLE

Peinture et littérature

l'homme de science tel que Galilée en façonne l'image, et la terre dans le monde héliocentrique.

Même si l'ouvrage a été écrit assez rapidement, le style du Messager des étoiles mérite de retenir l'attention. Transformant

profondément à la fois le mode et le monde de la représenta- tion, voulant souligner la nouveauté de ses découvertes et les

imposer à la science, Galilée a recours au vocabulaire et à la

thématique du sublime, qui apparaissent dès la page de titre : Le Messager des Étoiles

de grands et tout admirables spectacles dévoilant, et vers eux proposant de lever les yeux à

chacun, mais surtout, en vérité,

aux philosophes et aux astronomes. Ces mots, qui frappaient les lecteurs de l'époque au point

que Kepler pouvait les citer de mémoire 9, résument les traits essentiels du sublime selon le pseudo-Longin. D'abord, au- delà de la persuasion et du plaisir, le sublime est censé

produire le « ravissement », c'est-à-dire « l'admiration mêlée d'étonnement » devant ce qui est grand et noble 10 : c'est bien à quoi se réfèrent, dans le titre de Galilée, les adjectifs magna et longe admirabilia . D'autre part, ces sentiments peuvent être

communiqués à tous, mais résistent, selon une formule du

pseudo-Longin, à « l'examen approfondi » 11 : c'est dans cet

esprit, le Messager des étoiles s'adresse bien à tout lecteur

(unicuique) y mais avant tout aux spécialistes (philosophis atque astronomis ) capables de cet examen approfondi.

Dans l'exorde du texte proprement dit également, Galilée tente de communiquer le sublime des phénomènes qu'il révèle. Voici les deux premières phrases :

Grands, assurément, sont les sujets qu'en ce mince traité je propose à chacun de ceux qui observent la Nature, afin qu'ils les examinent et contemplent. Grands, dis-je, d'abord en raison de l'importance de la matière même, ensuite en raison de sa nouveauté inouïe au cours des siècles, enfin, également, à cause de l'Instrument grâce auquel ces mêmes sujets à notre perception se sont offerts. Galilée accumule ici plusieurs figures que la rhétorique

associe traditionnellement au sublime. Les phrases reçoivent une allure particulièrement solennelle grâce à l'emploi de : (1)

9. Avec quelques altérations minimes : cf. Conversation avec le messager céleste (Kepler, Gesammelte Werke, Munich, Beck, t. IV, 1941, éd. M. Caspar & F. Hammer, p. 289).

10. Du Sublime, 1, 4, trad. H. Lebègue, Paris, Les Belles Lettres, 1965, p. 3 : « Ce n'est pas à la persuasion que le sublime mène l'auditeur, mais au ravissement ; toujours et partout l'admiration mêlée d'étonnement l'emporte sur ce qui ne vise qu'à nous persuader et à nous plaire. »

11. Ibid., VII, 3, trad, cit., p. 10.

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l'inversion (« Grands sont... », « Magna sunt ») ; (2) l'antithèse (Grands sujets - « mince traité », « Magna - exigua ») ; (3) l'énumération avec accumulation des anaphores (« Grands ... Grands ... », « d'abord en raison de ... ensuite en raison de ... enfin, également, à cause de ... » ; « Granda ... Granda ... » ; <r ob ... ob... tum etiam propter ... »). La tradition rhétorique caractérise le sublime par l'action conjointe (ou « sj m morie ») de telles figures 12.

La suite de l'exorde continue sur le même ton solennel en

présentant les faits nouveaux dans une gradation 13 ascen- dante et ouverte : (1) « Il est noble, sans doute, d'ajouter à l'immense multitude des Étoiles fixes...» («Magnum sane est ... ») ; (2) « Il est très beau et très agréable de voir le corps lunaire... » ( « Pulcherrimum at que visu iucundissimum est ... ») ; (3) « Mais ce qui passe en merveille toute imagination... » («Verum quod omnem admirationem longe super at... ») ; (4) « D'autres découvertes, peut-être plus importantes, seront faites » (« Alia forte praestantiora... »).

Mais la présence du sublime n'est pas limitée à l'exorde. Après avoir décrit la lunette, Galilée entame l'exposition de ses découvertes par les paroles suivantes (GO : III, 62) :

... c'est à la naissance de contemplations véritablement grandes (ad magnarum projecto contemplationum exordia) que nous convions tous les amants de la vraie Philosophie. Le vocabulaire du sublime s'insinue également dans le

corps même du discours, où Galilée continue à exprimer régulièrement 1'« émerveillement » persistant qui le saisit devant certains spectacles. On relève, en particulier, l'emploi répété du verbe mirari, de ses dérivés ( mirus, admiratio, mirabilis ), d'autres mots sémantiquement apparentés (, inopina -

bilis, etc.), ainsi que de termes marqueurs d'intensité {non modicum, nonnullam, etc.). Cette insistance sur le caractère étonnant et merveilleux des observations correspond au procédé auquel la rhétorique conseille de recourir dans la narration lorsque les faits sont vrais, mais invraisemblables 14. L'aveu de l'étonnement de l'auteur montre qu'il n'admet la vérité de ce qu'il a vu que parce que les faits se sont bien imposés comme tels, malgré leur caractère totalement inatten- du. Cette vérité qui dépasse le prévisible et provoque une

12. Cf. Du Sublime, XX, 1, pour le terme « symmorie » et l'action conjointe de l'énumération, de l'anaphore et de l'asyndète.

13. Cf. ibid.. XXIÏI, 1 (trad, cit., p. 36) sur la gradation (climax). 14. Cf. H. Lausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik, Munich, Hueber, I960, t. II,

p. 181 (sous verisimilis).

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Peinture et littérature

admiration durable est celle du sublime 15. Si elles offrent toutes un caractère inattendu et merveilleux

qui donne à l'homme le sentiment de s'élever au-dessus de ses propres limites, les trois découvertes constituent également une gradation, où la dernière se distingue des deux autres. Les observations concernant la lune et les étoiles fixes peuvent être considérées soit comme une seule unité discursive, portant sur des objets différents, soit comme deux unités discursives de même niveau hiérarchique. Cela ressort de deux faits : (1) l'exposition détaillée, qui traite d'abord de la lune et ensuite des étoiles, inverse l'ordre du préambule, où, en outre, les étoiles recevaient un traitement proportionnellement plus long ; il s'agit donc de découvertes à la place interchangeable et d'importance plus ou moins égale ; (2) dans les deux cas, le discours déploie une description systématique et ordonnée des faits nouveaux. Cette présentation commune s'oppose à celle de la découverte des satellites de Jupiter, évoquée en dernier, où l'on passe de la description à la narration, le discours suivant désormais l'ordre chronologique des observations. Dès la page de titre et l'exorde, Galilée présente d'ailleurs sa dernière découverte non seulement comme la plus importan- te, mais comme celle qui a motivé la publication de l'ouvrage tout entier : «... ce qui dépasse de loin tout émerveille- ment... » (GO : III, 60) ; et avant d'aborder le sujet dans le détail, il répète qu'il le considère comme « ce qui semble devoir être estimé le plus en la matière présente » (GO : III, 79). Des taches de la lune aux satellites de Jupiter, il y a ainsi gradation dans le sublime même.

Cette gradation met en relief le degré différent de nouveauté des trois découvertes relatées. En 1602, dans ses Paralipomènes à Vitellion, Kepler avait approuvé l'opinion de Plutarque selon laquelle la lune est un corps tel que la terre, en ajoutant que ses propres observations et celles de Maestlin allaient dans le même sens l6. Démocrite avait déjà défini la Voie Lactée comme un amas d'étoiles innombrables, affir- mation reprise, entre autres, en l603, par Johann Bayer dans son Uranometria 17 . Dans sa Conversation avec le Messager des

15. Du Sublime , VIII, 3, trad, cit., p. 10 : « Car cela est grand en réalité, qui supporte un examen approfondi, qui produit une impression à laquelle il est malaisé, que dis-je, il est impossible de résister, et qui laisse dans la mémoire une empreinte forte et difficile à effacer. »

16. Kepler, Astronomiae pars optica, VI, Ges. Werke, t. II, pp. 218-220. 17. Cf. S.L. Jaki, The Milky Way : An Elusive Road for Science, New York, Science History

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étoiles y Kepler ne manque pas de rappeler plusieurs exemples de personnes qui avaient vu, à l'œil nu, de nombreuses étoiles supplémentaires dans le bouclier d'Orion ou dans les Pléia- des ; il fait allusion également à des théories antérieures qui considéraient la Voie Lactée comme composée d'un nombre immense d'étoiles 18. Sur ces points donc, qu'il s'agisse de la lune ou des étoiles, la lunette apporte la confirmation empi- rique de ce qui avait déjà été supposé, voire vu, auparavant. Mais que Jupiter ait des satellites, cela constituait une nouveauté absolue , totalement imprévue. Il convenait donc bien de distinguer cette découverte nettement des autres. Malgré toutes les insistances sur le caractère merveilleux des découvertes, le ton général du Messager des étoiles demeure pourtant sobre. Dans l'ensemble, Galilée se borne à énumérer des faits et des interprétations dans un langage peu fleuri, sans abus de « grands mots ». Nous sommes loin du langage de Porta et de la magie. Cette sobriété est très nette dans la dernière partie, qui porte pourtant sur la découverte la plus étonnante. Galilée s'y contente pratiquement de recopier, dans toute leur sécheresse, des notes prises au jour le jour. Certes, cette sécheresse s'explique aussi par les circonstances, Galilée ayant continué à compléter ses notes pendant l'im- pression même de son ouvrage, jusqu'au moment où Jupiter et ses satellites se rapprochaient trop du soleil pour pouvoir être observés. Mais l'effet n'en est pas moins là :

Le onzième jour, donc, je vis une disposition de cet ordre (...) Le douzième jour, donc, à la première heure de la nuit, je vis les Étoiles disposées de cette manière (...) Le treizième jour, pour la première fois, les quatre petites Étoiles s'offrirent à mon regard selon cet arrangement... L'ensemble du récit possède ainsi une allure d'austère

rigueur qu'il serait faux de prendre pour le contraire du sublime. Il s'agit, au contraire, de son sommet - du véritable sublime selon toute la tradition rhétorique. Le pseudo-Longin oppose nettement le sublime à l'amplification, à l'emphase, à l'enflure puérile 19. Pour Boileau, le sublime peut passer dans un style humble, sans apprêts, qui, par la simplicité des paroles, souligne d'autant mieux l'élévation de son objet et « dont la grandeur vient de celle des pensées, que la simplicité

Publications ; Newton Abbot, David & Charles, 1973, pp. 1-101, concernant les conceptions sur la Voie Lactée avant Galilée. 18. Kepler, Dissertati..., Ges. Werke, t. IV, p. 302. 19. Du Sublime, III, 1 ; III, 3, 3-4 ; XII, 1.

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LE DON DES SATELLI- TES DE JUPITER

Peinture et littérature

de l'expression fait surtout ressortir » 20. Aux yeux de Kepler, ce style fait d'émerveillement et d'austérité, dans lequel d'autres, moins perspicaces, ne voyaient qu'un mélange d'os- tentation et de sécheresse 21 , mais par lequel lui-même avait été positivement frappé, exerçait une force persuasive spéci- fique : « Mais comment ne croirais- je pas un Mathématicien très docte, dont le style même prouve la rectitude du jugement ? » 22.

La publication du Messager des étoiles aboutit non seulement à la divulgation des résultats au profit de la science humaine, mais aussi au don symbolique des planètes médicéennes à Come de Médicis. Ce don est fait publiquement dans l'épître dédicatoire du livre, dont la rhétorique possède une signifi- cation multiple.

La relation entre le narrateur du Messager des étoiles et le personnage dont les découvertes sont relatées n'est pas que de représentation de l'un par l'autre. Entre les deux, il y a aussi continuité dans l'expérience : celle du personnage s'achève dans celle du narrateur ; la narration constitue l'étape ultime d'une histoire , en tant qu'elle est un acte dont l'effet rejaillit sur des actes antérieurs. L'ensemble des événements narrés dans le Messager des étoiles et de l'événement que constitue la narration même constitue une série de trois épreuves qui se structurent selon le schéma à la fois consécutif (de la première à la dernière) et présuppositionnel (de la dernière à la première) que la narratologie générale reconnaît dans toute « histoire » : une « épreuve qualifiante » aboutissant à l'acqui- sition d'une compétence, précède une épreuve « décisive », correspondant à une performance rendue possible par la compétence acquise, et une épreuve « glorifiante », conduisant à la reconnaissance de ce qui a été réalisé 23 . Si la construction

20. Boileau, Traité du Sublime..., préface, dans Œuvres complètes, éd. F. Escal, Paris, Gallimard, 1966 (« Pléiade »), p. 338. Cf. M. Fumaroli, « Rhétorique d'école et rhétorique adulte : remarques sur la réception européenne du traité Du Sublime au XVIe et au XVIIe siè- cles », Revue d'Histoire littéraire de la France, LXXXVI (1986), pp. 33-51, spéc. p. 37. En des termes qui rappellent le pseudo-Longin sur la « puérilité » de l'enflure (Du Sublime, III, 4), Kant proclame également l'austérité du véritable sublime, qui n'a guère besoin « d'appeler à son secours des images et un puéril appareil » (Critique du jugement, I, Remarque générale).

21. Lettre de G. Fugger à Kepler du 16 avril l6l0 (GO : X, 316). 22. Kepler, Conversation... (KGW : IV, 290). Cf. C. Chevalley, « Kepler et Galilée », dans

P. Galluzzi (éd.), Novità celesti e crisi del sapere, Florence, Istituto e Museo di Storia della Scienza, 1983, pp. 167-175.

23. Pour la définition générale des trois types d'épreuves qui suivent, cf. A.J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonnée de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979, p. 131.

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et le perfectionnement de la lunette constituent une épreuve qualifiante, qui, par l'acquisition d'un nouvel instrument, rendent le « héros » capable d'arracher des secrets au ciel, et si les découvertes concernant la lune, les étoiles et Jupiter constituent l'épreuve décisive, au cours de laquelle un manque de connaissance du ciel est éliminé, la publication même du Messager des étoiles correspond à l'épreuve ultime qui est glorifiante et doit aboutir à la reconnaissance du héros. Or, cette reconnaissance, Galilée la veut universelle, comme il ressort bien d'une lettre contemporaine où il envisage d'envoyer à des princes et des hommes d'Église importants aussi bien le livre qu'une lunette et où il regrette la modestie de la présentation du texte, due à la hâte ; il pense déjà à une deuxième édition plus luxueuse et il escompte aussi les louanges des poètes toscans (GO : X, 298-300).

Pour Galilée, la reconnaissance de la validité de ses découvertes ne se joue donc pas uniquement dans le milieu clos de ce qu'on appelle aujourd'hui « la communauté scien- tifique ». Le geste même - « noble et héroïque » selon le secrétaire de Come II, Belisario Vinta (GO : X, 284) - de dédier publiquement les satellites de Jupiter à Come de Médicis devrait d'ailleurs influencer la réception du Messager des étoiles dans les milieux scientifiques mêmes, car jamais, comme le souligne Kepler, Galilée n'aurait osé imposer le nom des Médicis à une découverte dont la validité lui aurait semblé douteuse :

Que dire (...) du fait qu'il écrit publiquement et que s'il avait commis quelqu'action honteuse, il ne pourrait en aucune façon le tenir caché ( ?) (...) Aurait-ce donc été une chose de peu de poids que de se jouer de la famille des Grands-Ducs de Toscane et d'imposer le nom des Médicis à ses fictions... ? 24

Le geste même du don produit un effet persuasif qui rejaillit sur l'objet donné, puisqu'il implique, chez le dona- teur, la certitude de la valeur de ce qui est offert et de l'immanquable reconnaissance publique de cette valeur.

Mais là ne se situe qu'un des enjeux de la dénomination. Le don symbolique des planètes médicéennes est aussi pour Galilée l'occasion d'intensifier les contacts avec son pays natal en vue d'obtenir un changement de statut social qu'il désirait déjà auparavant. Depuis l605, il a donné régulièrement, presque chaque été, des leçons de mathématiques au jeune Come. Il lui avait également dédié le livre des Instructions pour

24. Kepler, Conversation, dans Gesamm. Werke, t. IV, p. 290.

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Peinture et littérature

l'utilisation de son compas géométrique et militaire. Au moment où Come avait succédé à son père Ferdinand Ier sur le trône, en février 1609, Galilée avait émis, dans une lettre confidentielle (GO : X, 233), l'espoir d'un retour à Florence. Il se plaignait d'avoir passé vingt années, « les meilleures de sa vie », au service d'une République, obligé de faire des cours

publics et privés et de satisfaire aux demandes diverses de tous les personnages importants de l'État. Il voudrait disposer désormais de plus de loisir pour mener à terme les livres qu'il médite et n'a pas encore eu le temps d'écrire. Seul un régime princier semble pouvoir lui accorder cette faveur. En mai l6l0, après la publication du Messager des étoiles, il revient sur ce sujet et énumère au secrétaire du Grand-Duc le vaste

programme de recherches que ses obligations à Padoue

l'empêchent de mener à bien (GO : X, 352) :

J'ai de grands et tout admirables projets : mais ils ne peuvent servir ou, pour mieux dire, être mis en œuvre que par des princes, car c'est eux qui font et soutiennent les guerres, construisent et défendent des forteresses et qui, pour leurs divertissements royaux, engagent d'énormes dépenses (...) Les œuvres que j'ai à mener à bien sont, principalement, 2 livres Sur le système ou la constitution du monde, sujet immense et plein de philosophie, d'astronomie et de géométrie ; trois livres Sur le mouvement local, science entièrement nouvelle... ; trois livres sur la mécanique, deux concernant les démonstrations des principes et des fondements, et un des problèmes... Ce n'est donc pas seulement à cause de la nostalgie de la

terre natale que Galilée se détourne de Venise pour revenir en Toscane. Le professeur désire devenir client . A Florence, il

espère trouver une situation déterminée par une économie

princière, orientée vers la dépense et pouvant lui assurer à la fois le loisir et l'aide financière nécessaires à des travaux

prestigieux, mais qui ne sont pas toujours d'une utilité immédiate. Avec un grand prince, l'homme de science peut entretenir une relation fondée sur le don 25 . Don d'étoiles et d'autres merveilles de la nature, d'une part : après les planètes médicéennes, Galilée promet à Come « tant et tant de merveil- les que peut-être aucun autre prince n'en a de plus grandes »

(GO : X, 351). En échange, le prince fait don de temps et

d'argent, et ce contre-don possède, tout comme le don initial de Galilée, une valeur symbolique de représentation subli- mante : si le prince se trouve élevé au-dessus des autres

princes parce que la gloire des découvertes exceptionnelles du savant rejaillira sur son propre nom, Galilée, de son côté, se trouve élevé au-dessus du commun des savants par sa relation

25. Voir les rapprochements avec le « potlach » dans M. Biagioli, « Galileo's System of Patronage », History of Science, XXVIII (1990), pp. 1-62.

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personnelle à un grand prince et la libération de tout travail continu et utilitaire.

En tant que dons dans la relation de client à patron, les résultats de l'activité scientifique prennent le relais des œuvres d'art et des textes littéraires. Galilée prétend assurer au prince la célébrité qu'il appartenait auparavant aux artistes de four- nir. Traditionnellement, le pouvoir de conférer la gloire et l'immortalité sont aux mains des poètes (tel Pétrarque) ou des artistes (tel Michel- Ange). Or, avec Galilée et le télescope, la science s'élève au-dessus de l'art : c'est là exactement le sens de l'épître dédicatoire du Messager des étoiles . Dans ce texte tout imprégné de culture humaniste (reprises de Properce, d'Ovi- de, de Cicéron...), Galilée passe en revue les différentes façons dont l'homme a immortalisé le souvenir de ses héros -

sculptures, pyramides, poèmes, etc. Or, dans l'éternisation des noms, le savant reprend, vis-à-vis des grands, le rôle des poètes anciens. Par son génie, il leur assure une renommée éternelle. La plus grande gloire s'attache en effet aux corps célestes, qui sont, par nature, incorruptibles. Par l'imposition de leur nom aux satellites de Jupiter, Galilée assure aux Médicis une immortalité qui n'a d'égale que celle que connais- sent les dieux mythologiques associés aux planètes. L'appel- lation à? étoiles médicéennes 26 élève donc désormais la célébrité du prince loin au-dessus de la condition mortelle du commun des hommes et même des autres grands de l'humanité : Galilée rappelle que le nom de Jules César lui-même n'a été associé qu'à une comète fugitive, non pas à une « étoile qui (...) appartient (...) à l'ordre illustre des planètes » (GO : III, 56). Reprenant à son compte une des fonctions traditionnelles de l'art et de la poésie, la science devient, grâce à Galilée, l'art des arts. Ses contemporains sont enclins à adopter ce point de vue, car ils présentent Galilée comme le successeur des grands artistes de la Renaissance. Cigoli le compare explicitement à Michel-Ange (GO : XI, 361). Et dans sa biographie du savant, Viviani modifiera de quelques jours sa date de naissance, pour la faire coïncider avec celle de la mort de l'artiste et le présenter ainsi comme sa nouvelle incarnation 27 .

26. L'association du nom des Médicis à Jupiter se justifiait d'autant plus que cette planète était associée depuis le XVe siècle au destin et au prestige de la famille. Cf. M. Biagioli, « Galileo the Emblem-Maker », Isis, LXI (1990), pp. 230-258.

27. Cf. M. Segre, « Viviani's Life of Galileo », Isis , LXXX (1989), pp. 207-231, qui souligne également l'influence des vies de peintres de Vasari sur le texte de Viviani.

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LA TERRE EST COMME LA LUNE

Peinture et littérature

Dans la partie consacrée à la lune, Galilée s'attarde assez longuement à un phénomène qui ne s'observe pas seulement au télescope, mais aussi à l'œil nu : la lumière « secondaire » ou « cendrée » de la lune, c'est-à-dire l'illumination grisâtre qui couvre la partie sombre juste avant et après la nouvelle lune et qui, selon Galilée, que si l'on admet que la terre est

capable de réfléchir les rayons solaires vers la lune tout comme celle-ci les réfléchit vers la terre. La lumière cendrée corres-

pond à un « clair de terre » sur la lune, produit par une « pleine terre » sur la lune au moment de la « nouvelle lune » sur la terre. Celle-ci, au lieu d'être entièrement distincte du monde céleste, se trouve ainsi élevée au même pouvoir d'illumination que la lune, nullement inférieure à elle. La

séparation absolue que les défenseurs d'une représentation géocentrique du monde avaient instaurée entre la terre et le ciel se trouve donc battue en brèche. Et si Galilée insère cette

digression dans son texte, c'est clairement parce qu'elle complète l'argumentation en faveur d'un monde copernicien, où la terre et les corps célestes ne sont pas foncièrement différents.

Mais il ne s'agit pas seulement de défendre le monde

copernicien sur le plan rationnel. Galilée donne également au

passage une coloration pathétique. Pour beaucoup, c'était diminuer la dignité de l'homme que de le chasser du centre du monde. Un des objectifs du passage sur la lumière cendrée consiste précisément à éliminer ou diminuer l'éventuelle résistance affective contre l'acceptation du système coperni- cien en incorporant dans l'exposition des découvertes une valorisation positive de la terre et de l'homme dans le monde

héliocentrique. A propos de la lumière cendrée, le pathos qui provoque l'élévation de la terre parmi les corps célestes

s'exprime par l'accumulation soudaine d'interrogations oratoires et l'apparition (exceptionnelle) d'une personnifica- tion (GO : III, 74) :

... eh quoi, je le demande, que faut-il en penser ? Que faut-il en dire ? N'est-il pas vrai que c'est par la Terre que le corps même de la Lune ou quelqu'autre corps opaque et ténébreux est inondé de lumière ? Quoi d'étonnant ? Précisément : dans un échange équitable et amical, la Terre rend à la Lune elle-même une illumination égale à celle qu'elle reçoit elle-même presque tout le temps au plus profond des ténèbres nocturnes.

A la fin de la digression, au moment de passer des observations lunaires à celles des étoiles, Galilée insère une brève annonce d'un ouvrage plus long, qui contiendra une

argumentation plus développée en faveur de son interpréta-

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tion de la lumière cendrée dans le cadre d'une défense du système du monde de Copernic (GO : III, 75) :

Ces quelques mots sur cette matière doivent suffire en cet endroit, car nous en traiterons de manière plus ample dans notre Système du monde , où, en de multiples raisonnements et expériences, la réflexion de la lumière solaire depuis la Terre sera très efficacement montrée, à l'intention de ceux qui prétendent exclure celle-ci du chœur des Étoiles, principalement parce qu'elle serait dépourvue de mouvement et de lumière ; or, que la Terre soit errante, qu'elle surpasse en splendeur la Lune, et qu'elle ne soit pas la sentine des ordures et souillures du monde, nous le démontrerons et nous le confirmerons par d'innombrables raisons naturelles. Ce n'est pas un hasard si Galilée termine sa description de

la lune par cette annonce qui contient une allusion très claire au thème renaissant de la dignité humaine. Auparavant, il a montré longuement que la lune est comme la terre : non pas lisse et polie, parfaitement sphérique, mais irrégulière, couverte de hauteurs et de cavités. Or, dans la digression sur la lumière cendrée, il vient d'inverser le mouvement de l'analogie : la terre est comme la lune, capable d'illuminer en réfléchissant la lumière. Elle n'est plus le domaine bas de l'imperfection, de l'altération et de la corruption, séparé de la perfection et de l'immutabilité célestes, mais participe des qualités des autres planètes et surpasse même certaines, dont la Lune, en éclat. Le thème sera repris et amplifié dans le Dialogue des grands systèmes, où Salviati, le porte-parole de Galilée, dira à Simplicio, défenseur d'Aristote et de Ptolémée : «... quant à la Terre, nous ne cherchons qu'à l'ennoblir et lui donner perfection quand nous nous appliquons à la rendre semblable aux corps célestes, et en quelque sorte, à la placer dans le ciel d'où vos philosophes l'ont bannie » 28.

Mais si la terre sort de son exil, les autres planètes ne peuvent plus passer pour le domaine d'une perfection immua- ble s'opposant à l'altération et à la corruption de l'ici-bas. Aussi, dans plusieurs comparaisons du Messager des étoiles, Galilée invite-t-il implicitement à prendre en compte une forme de beauté différente de l'idéal purement géométrique traditionnellement attribué aux cieux. En voici un exemple (GO : III, 63-64) :

C'est un spectacle tout semblable que nous avons sur la Terre, au lever du soleil : les vallées sont encore plongées dans l'obscurité, tandis que s'illuminent les montagnes qui les environnent (précisément) du côté opposé au Soleil ; et de même que les ombres des cavités terrestres se rétrécissent de plus en plus à mesure que le Soleil s'élève à l'horizon, de même les petites taches lunaires perdent de leurs ténèbres, en même temps que s'accroît leur partie lumineuse.

28. Galilée, Dialogues, lettres choisies, trad. P.H. Michel, Paris, Hermann, 1966, p. 139-

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Peinture et littérature

De tels passages introduisent des ekphraseis de paysages terrestres, qui, selon la formule consacrée des rhéteurs, mettent la nature « sous les yeux » 29 . L'écriture même

rappelle les descriptions de levers et de couchers de soleils chez les poètes antiques 30. Loin d'être le lieu des « ordures sordides », la terre devient la référence positive d'une beauté faite d'irrégularité, de variété et propre à la vie même, comme une lettre de la même époque l'expose clairement (GO : XI, 148) :

... il est vrai que, quant à la perfection de la figure sphérique, si la terre était lisse, elle serait une sphère plus parfaite qu'en étant inégale ; mais quant à la perfection de la terre comme corps naturel ordonné à sa propre fin, je ne crois pas qu'il y ait quelqu'un qui ne comprenne pas à quel point elle serait non seulement moins parfaite, mais absolument et au plus haut point imparfaite. Et qu'y resterait-il d'autre qu'un immense et triste désert, vide d'animaux, de plantes, d'hommes, de ville, de bâtiments, plein de silence et de repos, sans mouvement, sans sensations, sans vie, sans intelligence, et en somme privé de tous les ornements qui la rendent si admirable et variée ? C'est là encore un point qui sera développé plus tard dans

le Dialogue , où Galilée déclarera tenir « la Terre pour très noble et très digne d'être admirée, à cause précisément du nombre et de la diversité des altérations, mutations, généra- tions, etc. qui s'y produisent sans cesse » 31 . Renversement de l'ordre des valeurs, qui réintroduit un symbolisme sous la forme de la complémentarité d'Eros et de Thanatos : le monde de l'irrégulier et du changement est désormais celui de la vie qui se multiplie et se métamorphose, tandis que la

perfection immuable des formes géométriques est assimilée à une beauté médusée, morte, indésirable :

Si elle [la Terre] n'était sujette à aucun changement, si elle n'était qu'un vaste désert ou un bloc de jaspe, ou si, après le déluge, les eaux en se retirant n'avaient laissé d'elle qu'un immense bloc de cristal où rien, jamais, ne viendrait à naître, à s'altérer, à se transformer, je n'y verrais plus qu'une lourde masse paresseuse, inutile au monde, superflue en un mot et comme étrangère à la nature, différente d'elle-même, à mes yeux, comme le serait d'un animal vivant un animal mort. Et j'en dis autant de la Lune, de Jupiter et de tous les autres astres (...). Ceux qui exaltent tant l'incorruptiblité, l'inaltérabilité, etc., ne font, je crois, que céder à leur grand désir de vivre le plus longtemps possible et à la terreur que leur inspire la mort ; ils ne s'avisent même pas que si les humains étaient immortels, leur tour ne serait pas venu de naître au monde ; ils mériteraient de rencontrer une tête de Méduse qui les changerait en statues de jaspe ou de diamant pour les rendre plus parfaits qu'ils ne sont 32.

29. Sur Yekphrasis rhétorique et son effet de « vive description », appelé aussi hypotypose, evidentia, illustratio, enargeia, etc., voir H. Lausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik, Munich, Hueber, I960, 1. 1, pp. 399 sq. Les rhéteurs (Cicéron, Quintilien) insistent sur le fait que ces descriptions ne sont pas toujours ornementales, mais exercent souvent un fort pouvoir de persuasion. Cf., pour la Renaissance, P. Galand, « Le songe et la rhétorique de Y enargeia », dans Le songs à la Renaissance, Univ. de Saint-Étienne, 1989, pp. 125-136.

30. Voir, par exemple, Virgile, Bue., I, 83-84 ; Ovide, Mét., III, 50, 143-145 ; Stace, Silv., II, 48-49...

31. Ibid., trad, cit., p. l64. 32. Ibid. Le passage mériterait une analyse détaillée. P. H. Michel établit un rapprochement

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« Sublimée » littéralement, élevée dans le ciel, la terre n'est pas seulement l'objet d'une valorisation nouvelle, mais invite aussi à repenser la valorisation traditionnelle des qualités des cieux mêmes - et cela dans le sens d'un sublime résolument « baroque ».

avec Giordano Bruno {Cause, principe et mité, trad. E. Namer, Paris, Alean, 1930, p. 165). Suivant P. Redondi ( Galileo eretico, Turin, Einaudi, 1983, pp. 298-299), on peut y lire aussi une expression voilée de Patomisme galiléen. Voir également, pour le couple Eros-Thanatos, I. Calvino, « Le livre de la nature chez Galilée », dans Exigences et perspectives de la sémiotique. Recueil d'hommages pour A.]. Greimas, Amsterdam, Benjamins, 1985, t. II, pp. 683-688.

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