Triple lynchage de Nosy Be (Le Monde, 13 novembre 2013)

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Mercredi 13 novembre à 20h30Xavier BERTRANDInvité de

Emission politique présentéepar Frédéric HAZIZA

Avec :Françoise FRESSOZ, Sylvie MALIGORNE et Marie-Eve MALOUINES

sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhoneet iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay.

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Et

CoopérationjudiciairedifficileentreParisetAntananarivo

international

Reportage

NosyBe (Madagascar)Envoyé spécial

T out part de cette plage. Touty ramène.Enboucle, commedansuncauchemar.Lecorps

del’enfantrenduparlamer.Lelyn-chage, les hommes brûlés vifs, lescrisdejoie.Toutcommenceettoutfinit sur cette plage de Madagas-car, où le deuil d’un enfant s’esttransformé, par le poison de larumeur,enunefuriecollectivequivaudra à trois hommes de finirleurs jours surunbûcher.

De ces trois hommes, on saitpeu de chose, sinon que leur vie aété emportée en quelques heuresparunphénomènesidérantd’hal-lucination collective. SébastienJudalet, conducteur de bus en Sei-ne-Saint-Denis de 38 ans et pèred’une petite fille de 11 ans, n’étaitpas un aventurier. Son cadavres’estconsuméàl’aube,jeudi3octo-bre,à9000kilomètresdechez lui,devantdesdizainesd’hommes, defemmes et d’enfants frappantdans leursmains.

Roberto Gianfalla, cuisinier de50 ans, originaire de Palerme, aquitté le 7avril la régiond’Annecy,où il a élevé ses trois enfants, pourrefaire sa vie à Madagascar. Sonjournal intime, illustréde samain,raconte cette renaissance: «Merci,je dis merci à ce qui m’arrive et cequejevisencemoment. Jecroisqueje suis arrivéauparadis…»

Ces deux hommes sont mortsd’avoir rencontré Zaidou, unMal-gachede 33 ans, brûlé vif quelquesheures après ses deux compa-gnons de torture, sur la foi d’unsoupçon.

Tout commence sur cette plaged’Ambatoloaka, village balnéairede Nosy Be, petite île du nord-ouestdeMadagascar, dont le chef-lieu est Hell-Ville. C’est là que, lemercredi 2octobre aux alentours

de 23heures, la mer a rendu aprèsl’avoir rongé le corps du petitChaïno, 7 ans. Les orbites creuses,lalanguemanquante,lesexemuti-lé, des lambeaux de chairs arra-chés. «En le voyant, j’ai tout de sui-tecomprisqu’ilavaitététué, racon-te le père de l’enfant, Luciano, unmoisaprèsles faits.Lecorpsest res-té sur la plage jusqu’au lendemainmatin, etpuis c’estdevenuunspec-tacle. » Ce «spectacle», autourduquelserassemblerontdesdizai-nes de villageois, sera le point dedépart d’une nuit de folie meur-trière.

Lafautedesforcesdel’ordre

Mais le basculement des villa-geois dans l’irrationnel trouve sasource quelques jours plus tôt,dans un désir de justice contrariépar l’incurie des autorités de l’île.QuandChaïno a disparu, le 27sep-tembre au soir en rentrant de lamosquée, sa familleaaussitôt lan-cé des battues et fait une déclara-tion d’enlèvement à la gendarme-rie. Après cinq jours de vainesrecherches, les soupçons du père,Luciano,sesontportéssursoncou-sin Zaidou, peu apprécié de lafamille avec laquelle il est enconflitpourunehistoirede terres.Ce «beach boy», qui propose sesservices aux touristes sur la plage,a mauvaise réputation au village.Il aurait, en outre, montré peud’entrain à retrouver la trace del’enfant.

Le 2octobre, en début de mati-née,plusieursheuresavantquenesoit retrouvé le corps de Chaïno,un petit groupe emmené parLuciano va quérir Zaidou chez lui,le ligote et projette de l’emmenerenvoiture à la police deHell-Ville,«pour qu’il s’explique, même sinous n’avions pas de preuves pal-pables », raconte Clément, unoncle de l’enfant.

Les responsablesdepolice et degendarmerie de l’île sont alors enréunion à la sous-préfecture pourpréparer un meeting électoral ducandidat Hery Rajaonarimampia-nina, qui doit se tenir le jourmême à Hell-Ville, à quelquessemainesd’uneélectionprésiden-tiellecrucialecenséemettreunter-meà quatre ans de crise politique.

L’île est sous tension, les autori-tés veulent éviter tout déborde-ment. Elles jugent finalementpré-férabledese laver lesmainsdecet-te «affaire familiale» et confientZaidou à la famille de l’enfant.«Nous n’arrivions pas à discuter, ilyavait tropdemonde, se justifie lecommissaire de police HonoyaTilahizandry. Le but était d’éviterl’attroupement. Nous pensions aumeetingqui devait avoir lieu.»

Zaidou est exfiltré en voiture,accompagné de gendarmes et delafamilledeChaïno,versunedesti-nation tenue secrète, sous des jetsde pierres. La rumeur court alorsqu’une glacière contenant desmorceauxde cadavres d’enfants aété trouvée sur le port deHell-Vil-le. Persuadésque lesuspecta trou-vé refuge à la gendarmerie, les vil-

lageoisattaquentlebâtiment,brû-lentuncamionetvandalisenttrei-zemaisonsdegendarmes.Cesder-niers répliquent avec des grena-des lacrymogènes, puis des tirs àballes réelles, faisant deux mortset unedizainede blessés.

«Voleursdecœur»Le corps du petit Chaïno est

découvert sur le sable à 23heures.Son aspect, blanc comme le mar-bre, glacial et en partie amputé,frappe les esprits. «Quand nousétions petits, pour nous faire peur,onnousdisait : “Nesorspas lanuit,il yades traficsd’enfants”, racontel’oncle Clément. Quand j’ai vu lecorps, je me suis mis à penser quec’était vrai.»

AMadagascar, le soir, on racon-te des histoires terrifiantes auxenfants. Des histoires de voleursde foies, de voleurs de cœurs. ANosyBe,cesrumeursdetraficd’or-ganes se nourrissent d’un phéno-mène bien réel : une prostitutiontrèsvisible,etdesfaitsdepédophi-lie tolérés par les autorités.

Selon la police de l’île, les casd’enlèvement d’enfants sont

exceptionnels à Nosy Be. Mais lafrustration est bien réelle, et larumeur prend corps autour de ladépouille dénaturée de l’enfant.«Le cadavre a été congelé ! Il esttout blanc ! Maintenant, on a lapreuve que le corps a été pris parquelqu’un!», s’écrient des villa-geois.

Aucune autopsie ne sera prati-quée avant l’inhumation ducorps, et rien ne permet alors deconclure à un homicide : la blan-cheurdu cadavre,demêmeque ladisparition des chairs molles, estcompatibleavecunséjourprolon-gé dans l’eau et le travail des car-nassiers, explique a posterioriMichel Sapanet, directeurde l’ins-titut médico-légal de Poitou-Cha-rentes.

Tentant de calmer la fouleamassée sur la plage, le chef dequartier appelle la gendarmerie.Les forces de l’ordre répondentqu’elles ne se déplaceront pasavant le lendemainmatin.

L’interrogatoire«On va chercher le vahaza [le

Blanc], ami de Zaidou ! On va letuer, on va le tuer !», s’écrient desvillageois. Le « vahaza », c’estSébastien Judalet, un touriste quia fait la connaissance de Zaidousur la plage quelques jours plustôt. La rumeur court que le Fran-çais est lié d’une façon ou d’uneautre à la disparition de l’enfant.

Capturéauxalentoursde3heu-resdumatin,Sébastienestemme-né de force sur la terrasse qui pro-longe la chambre de sa modestepension, où a été installée unepetite table. A compter de ce

moment-là et jusqu’à la mort duchauffeur de bus, vers 6heures,JoëlHo-Shing, ledirecteurde l’éta-blissement, appellera sept fois lagendarmerie, où il finira par seréfugier lui-même, terrifié.Aucungendarmene se déplacera.

Commencealorsuninvraisem-blable procès populaire, un inter-rogatoire surréaliste de prèsd’une heure, en partie enregistrépar ses ravisseurs. Sur les bandessonores que s’est procuréesLeMonde, un dialogue de sourds,tournant de façon obsessionnelleautourdesrumeursde traficd’en-fants, semueprogressivementensoupçonsde pédophilie :

Une voix de femme: «T’es pashomosexuel quandmême?

Sébastien: Je ne suis pas homo-sexuel, Madame. Je n’aime pas lesenfants, je n’aime pas, et surtoutpas, les gens qui ont des rapportssexuels avec les enfants.

La femme: Tu n’aimes pas lesenfants…

Sébastien : J’adore les enfants.J’ai une petite fille. J’aimerais pasqu’on lui fasse dumal.

La femme : Tu as dit que tuaimais pas les enfants.

Sébastien: J’ai dit, je n’aimepasles gens qui font du mal auxenfants.Moi j’aime les enfants.

Une voix d’homme : Si vousdites pas la vérité, je te tourne ledos et je vous laisse avec les gens.

Sébastien,enpleurs :Commentvoulez-vousque je… Je raconte quela vérité, je raconte que la vérité.

L’homme l’interrompt : Vousêtes combien ? Première ques-tion…

Sébastien: Je suis tout seulmoi.Je suis venu ici seul en vacances…

Triple assassinat demadagascar

ANosyBe, lafollerumeurquiamenéaulynchagedetroishommes«LeMonde»areconstituéla journéequiavudeuxtouristesetunMalgachelynchéspar lafoule

Sur la plage d’Ambatoloaka, devant les restes du bûcher où Sébastien Judalet et Roberto Gianfalla ont été tués, le 3octobre. RIJASOLO/RIVA PRESS

NosyBe (Madagascar)Envoyé spécial

«L’attentea été très pénible. Ons’est repassé les images, le fauxpro-cès, le brasier, les jambes qui dépas-sent…»Aprèsplus d’unmoisd’uneattente interminable,Mau-rice Judalet, gardiende la paix à la

retraite, va accueillir les restes deson fils, Sébastien, rapatriés deMadagascarmercredi 13novem-bre. La dépouille sera autopsiée àl’institutmédico-légal d’Evryavantd’être rendueà sa famille,qui envisagede l’inhumeren finde semaineprochaine.

Les proches de Roberto n’ontpas eu cette «chance». Ce cuisi-nier d’Annecy est né à Palerme, ets’il est arrivé en France à l’âge de3ans, son passeport est italien.Son corps gît toujours dans lecongélateurd’undispensaire à9000kilomètres de ses proches.

CarmellaGianfalla, la sœur deRoberto, est plongée dans un étatde sidération depuis lamort deson frère: «Je ne peuxplusman-ger, je vomis, j’ai perdu le som-meil. Et je passemes journées surInternet à essayer dem’informer.La seule informationque j’ai euevenait de l’ambassaded’Italie enAfriquedu Sud, quime demandait100 euros par jour pour les fraisde conservationde son corps dansundispensaire…Onn’en peutplus, c’est un truc de fou. Ils les onttués,mais ils sont en train de noustuer aussi.»

Plus d’unmois après l’assassi-nat de Sébastien Judalet et Rober-toGianfalla, sur l’îlemalgache deNosyBe, le 3octobre, leursfamilles n’ont toujours reçu aucu-ne informationofficielle sur l’en-chaînementprécis des événe-ments qui ontmené au lynchage

de leurs proches, pas plus que surla progressionde l’enquête. Ellesen sont réduites à errer sur Inter-net en quête de renseignements.

Afind’avoir accès au dossier,elles se sont portées parties civi-les auprès duparquet de Bobigny,qui s’est saisi de l’enquête en ver-tu duprincipe de «compétenceuniverselle» l’autorisant à enquê-ter sur lemeurtre d’un Français àl’étranger. La procureure, AnneKostomaroff, a rapidementdili-gentéune enquêtede personnali-té qui a permis de blanchir Sébas-tien, le 22octobre, des soupçonsdepédophilie et de trafic quipesaient sur lui. Elle a en outredépêché sur place deuxbiologis-tes de l’Insermpour identifier lescorps.

Vingt-sixmises en examenS’agissantde l’évolutionde l’en-

quêtemalgache, en revanche, leparquet sedit dans l’incapacitédefournir lamoindre information. Iln’a envoyéaucunenquêteursurplaceet compte sur la bonnevolontéde la justicemalgache,quisemblepeupresséede communi-quer.«Nousne connaissons tou-jourspas lenomdu juge chargédel’enquêteàMadagascar», résumeunreprésentantduparquet.Afinde stimuler la coopérationentrelesdeuxpays, la procureuredeBobignyaenvoyé le 28octobreunedemanded’entraide judiciaireauxautoritésmalgaches.Pour

l’heure restée sans réponse.Selonnos informations récol-

tées surplace auprèsde la justicemalgache,vingt-six suspectsontétémis enexamenpour les événe-mentsdu2 au3octobre,dont aumoinsdouzepour«homicidevolontaire» avec«actesde tortu-res et debarbarie» sur Sébastien,Robertoet Zaidou. Ils ont tous étédéférésauparquet et entendusenpremièrecomparution,briève-ment, par ladoyennedes jugesd’instructiondu tribunaldepre-mière instanced’Antananarivo,BalisanaRazafimelisoa.

Unmois après les faits, unseulsuspecta fait l’objetd’un interroga-toirepoussé. Le rapportde l’autop-siepratiquée le 26octobresurChaïno, l’enfant retrouvémort surlaplage,n’a lui toujourspas étéremisà la justice.

BernardSalquain, avocatdesparentsdeSébastien, etNathalieKohler, défenseurdesprochesdeRoberto, se sontportésparties civi-les auprèsdu tribunald’Antanana-rivo, dans l’espoird’être tenusaucourantdesavancéesdudossier.«L’enquête vaêtre longueet diffici-le,anticipeMeSalquain.Elle estcompliquéepar le contextepoliti-que [l’électionprésidentiellemal-gache,dont lepremier tour a eulieu le 25octobre].Onsent que lesautorités françaisesmarchent surdesœufsavec leurshomologuesmalgaches.»p

S.H.et So. S. (à Paris)

6 0123Mercredi 13 novembre 2013

international

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Les histoires de trafic d’organessont courantes àMadagascar.Elles font partie du corpus d’his-toires qu’on raconte auxenfants, le soir. Ces histoiressont tellement ancrées dansl’imaginaire collectif qu’elles setransforment parfois enrumeurs, visant de richesMalga-ches ou desOccidentaux, accu-sés de trafiquer des organesd’enfants.Ce phénomène a été étudié etdécrit par l’ethnologue anglaisLuke Freeman commeune«poé-tique de la prédation». Dans

«Voleurs de foies, voleurs decœurs, Européens etMalgachesvus par les Betsileos» (Revue«Terrain» n˚43, septem-bre2004), le chercheur analyseces fantasmes de la société bet-sileo– les habitants originairesdu sud deMadagascar – commede«puissants jugements méta-phoriques des rapports de pro-duction (le corps) et d’exploita-tion (le trafic)» qui«commen-tent et sont nourris par la réelledisparité économique entre Euro-péens et indigènes, mais aussiau sein de la société malgache».

Chaïno (ci-dessus), 7ans,a disparu le 27septembre. Soncorps a été retrouvé sur la plaged’Ambatoloaka, le 2octobre.RIJASOLO/AFP

Sébastien Judalet (ci-contre),38ans, a été capturé par lesvillageois. La rumeur couraitque le Français, qui connaissaitl’oncle du garçon, était lié à ladisparitionde l’enfant.RobertoGianfalla (en bas),Italiende 50 ans, a aussi étévictimede la violence de lafoule. DR ET RIJASOLO/RIVA PRESS

NosyBe (Madagascar)Envoyé spécial

A NosyBe, entre vingt et tren-te enfants fuguent enmoyenne chaque année,

selonlapolice. Ilssontretrouvésauboutdetroisàquatre jours,généra-lement chez des amis. Bien quetemporaires, ces absences signa-lées par les radios locales alimen-tent les rumeurs de trafics d’en-fantsparmi lapopulation.

Depuis cinqans,mis àpart celuideChaïno, un seul autre cas de dis-parition d’enfant a été recensé surl’île. Le 12septembre 2009, Jamil,6ans, n’est jamais rentré chez luiaprès être allé acheter une glace. Ilfaut écouter le récit de la frustra-tion de son père, Zakaria, toujourssans nouvelles de son fils, pourcomprendre le principal moteurde la foule qui s’en est pris à Zai-dou, Sébastien et Roberto. «J’avaisportéplainte,mais j’ai vite comprisque la police et la gendarmerie neferaient rien», explique Zakaria,assis sousunbananier,prèsd’Hell-Ville.

Ce père de trois enfants qui vitchichement s’est alors résigné àvendre une partie du terrain fami-lial pour se rendre dans la capitale,Antananarivo. Pour convaincredes enquêteurs, qui ont peu demoyens, de venir àNosy Be, il a dûleur payer le transport, l’hôtel et lecouvert. Un an après, un procèss’est tenu,mais les suspects furentinnocentés. « Si les autoritésavaient fait leur travail, jamais iln’y aurait eu de lynchage après lamort deChaïno», estimeZakaria.

Depuis le coup d’Etat de 2009qui a plongé le pays dansune crisepolitique,lescasdejusticepopulai-re se sont multipliés. «Il y a eu unrenforcement considérable de lacorruptionde la justice etdes forcesde sécuritédepuis l’instaurationdurégime de transition, expliqueMathieu Pellerin, chercheur àl’Institut français des relationsinternationales, spécialiste de l’île.Les commissariats sont accusés derelâcher les suspects.»Depuisdeuxans, quatre attaques de commissa-

riats,dontceluid’Hell-Ville,ontétérecensées, alors qu’il n’y en avaiteuaucune les annéesprécédentes.

La fragilité du tissu social surl’île est aussi aggravée par la criseéconomique qui a fait affluer desmigrants en quête de travail dansce haut lieu touristique du pays.Une hausse des braquages a étéconstatée ces derniersmois.

«Brutalisation desmœurs»Le manque de légitimité des

autorités actuelles, qui n’ontjamais été élues par le peuple, pèsesur leur capacité à faire respecterl’Etat de droit. Vendredi 8novem-bre, le président, Andry Rajoelina,expliquait auMonde que dans cer-taines localités, il avait plusieursfois fait changer le responsable dela police ou de la gendarmerie,«mais cela n’a pas changé grand-chose sur leurs pratiques». Pour lecommissaire de police de Nosy Be,Honoya Tilahizandry, « il ne fautpass’étonnerqu’ilyaitde lacorrup-tion quand on connaît les salairesdemisèredes fonctionnaires».

Ce n’est pas la première fois quedesFrançaissontassassinésàMada-gascar. En avril 2012, les corps deGérald Fontaine et Johanna Dela-haye, qui portaient des traces decoups, avaient été retrouvés suruneplagede l’île.Mais le fait que letriplelynchagedeNosyBeaitétéfil-mé et se soit transformé en specta-clepopulaireestunsignealarmantde la «brutalisationdesmœurs» etde la levée d’un «tabou» («fady»),selonM.Pellerin.

Bénéficiant d’un niveau de viesouventbiensupérieuràlapopula-tion locale, les vahazas («Blancs»)deviennent-ils des cibles ? Non,répond la majorité des habitants,malgré un fond de ressentimentanti-colonial, parfois ravivé par lesconflitssur laquestionsensibledesterres. «Nous ne sommes pas anti-vahazas, nous avons trop besoind’eux pour vivre», résume un gui-de. Avant d’ajouter : «Sébastien etRoberto n’ont pas été lynchés car ilsétaient vahazas, mais parce qu’ilsétaientprochesdeZaidou.»p

S.H.et So. S. (à Paris)

Deslynchagesfavorisésparl’incuriedesforcesdel’ordreLacorruptionde lapoliceetde la justices’est renforcéedepuis lecoupd’Etatde2009

Le trafic d’organes ancré dans l’imaginairemalgache

300 km 1 km

OCÉANINDIEN

Canal deMozambique

Antananarivo

Hôtelde Sébastien

Plaged’Ambatoloaka

Mosquée Maisonde l’enfant

Lynchagede Zaidou

Nosy Be

Lynchagede Sébastienet Roberto

L’homme: Mais non, par rap-port aux vols d’enfants, vous êtescombien?

Sébastien:Mais je suispasdansl’histoire des enfants, Monsieur !

L’homme: Si tudispas lavérité,je te laisse à la population. Il va tetaper.»

Sous couvert d’anonymat, unhabitantde l’îleaffirmequeSébas-tien lui aurait confié, peu avantson interpellation, que Zaidouavait enlevé lepetit Chaïno«pouréviter de donner son propre fils».Tenait-il cette informationdeZai-dou lui-même? Avait-il simple-ment prêté l’oreille à la rumeur?Toujours est-il qu’une partie del’interrogatoire va tournerautour de cette accusation.

Dans l’enregistrement de cetéchange, fragmentaireetdifficile-ment compréhensible, elle estpourtant vigoureusementdémentie par Sébastien : « J’accu-sepersonne.Nan, jepeuxpasaccu-ser Zaidou. Je l’ai jamais vu faireça. Je n’ai jamais dit ça», protestele Français.

Cité par Sébastien durant sonsimulacre de procès, Roberto,avec qui il a sympathisé récem-ment, est emmené à son tourdevant la chambre par une tren-taine d’hommes alcoolisés etarmésdebâtonspoury être inter-rogé. Peu après 4heures, les deuxhommes sont escortés vers la pla-

ge d’Ambatoloaka, où le corps deChaïno a été retrouvé. Il leur restedeux heures à vivre.

LebûcherOn entend le bruit des vagues.

Puis lavoixdeSébastien.«Onvaàl’église, on va prier pour lesenfants, on va prier pour tout lemonde. Faut arrêter tout ça», lan-ce-t-il dansune dernière tentativepour enrayer la folle mécaniquequi va l’emmener sur le bûcher.Alors il comprend: «Donc, le juge-ment dernier, c’est aujourd’hui. Sivous tuez des innocents, paix àvotreâme (…).Onva faireunfeudejoie, on va memettre au milieu eton va danser autour ? Tous ceuxqui regarderont, tous ceux qui ver-ront ça seront coupables.»

La foule s’excite. Les hommess’agitent, les femmes crient. Il y ades enfantsaussi.Des chants. Puiscette phrase, la dernière qui noussoit parvenue: « Je suis quelqu’unde bien. C’est ça, la vérité.»

Les images filmées des lyncha-ges, d’une insoutenable sauvage-rie, montrent Sébastien étendusur le sable, entièrement nu, unpneu autour de la taille, le crâneensanglanté, tentant, sans force,de se redresser, avant d’être rouéde coups et achevé à coups debûches, enplein jour.Vraisembla-blementmort, le chauffeurdebus

est jeté sur le foyer et recouvert defeuilles de ravenales.

Une seconde vidéo montreRoberto, à demi-dévêtu, le visagedéformé par les coups, gisantconscient sur le bitume dans unemare de sang, avant d’être traînépar les pieds sur une centaine demètres, comme un animal mort,une chose sans âme, le visageraclantlaroute, souslescrisd’exci-tation des femmes, jusqu’à la pla-ge, où on le jette inerte sur lebûcher de Sébastien, avant d’ymettre le feu devant des famillesrassemblées. Comme au specta-cle. A cinqmètres de là, le corps deChaïno continue de se décompo-ser sur le sable chauffé par lesoleil. Il sera inhumédans lamati-née, sans autopsie.

«Faites-encequevousvoulez»

Capturé de l’autre côté de l’îlequelques heures plus tard, Zaidouest confiéàunchefdequartier, quiprévient la gendarmerie. Et tou-

jours cette même réponse : «Nousen avons marre, faites-en ce quevous voulez.» Il est alors remis enmain propre à Luciano, puis brûlévif dans le village vers 17heures, àquelques mètres de la mosquée,devant plusieurs centaines de per-sonnes. Selon un témoin ayantassisté à la scène, il tentera de quit-terlebrasier, leshabitsenflammes,avant d’être assommé d’un coupdebâtonet replongédans le feu.

Le 22octobre, faisant suite àune plainte des parents de Sébas-tien, les conclusions de l’enquêtede personnalité initiée par par-quet de Bobigny ont levé les soup-çonsdepédophilieetdetraficd’or-ganes qui pesaient sur lui. La per-quisition de son appartement, lasaisie de son ordinateur et l’analy-se de sesmails et comptes bancai-res ont dessiné le portrait d’unhomme sans aspérité. Aucuneenquêten’apuêtremenéeenFran-ce surRoberto, qui,malgréuneviepasséeàAnnecy, estdenationalitéitalienne.

Le père de Sébastien, gardien dela paix à la retraite, décrit son filscomme quelqu’un de «simple»,qui passait toutes ses vacances enFrance, par le biais du comité d’en-treprise de la RATP.HabitantMon-treuil, il avait découvert Madagas-car en 2012, avec sa petite amie.Conquis par le charme tropical deNosy Be et récemment séparé, ilavait décidé d’y retourner seul le15septembreavecunvisadetouris-medesoixante jours. Il avait38ansetprenait l’avionpourladeuxièmefoisde savie.p

SébastienHervieuet Soren Seelow (à Paris)

70123Mercredi 13 novembre 2013

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