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Mercredi 13 novembre à 20h30 Xavier BERTRAND Invité de Emission politique présentée par Frédéric HAZIZA Avec : Françoise FRESSOZ, Sylvie MALIGORNE et Marie-Eve MALOUINES sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhone et iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay. www.lcpan.fr Et Coopération judiciaire difficile entre Paris et Antananarivo international Reportage Nosy Be (Madagascar) Envoyé spécial T out part de cette plage. Tout y ramène. En boucle, comme dans un cauchemar. Le corps de l’enfant rendu par la mer. Le lyn- chage, les hommes brûlés vifs, les cris de joie. Tout commence et tout finit sur cette plage de Madagas- car, où le deuil d’un enfant s’est transformé, par le poison de la rumeur, en une furie collective qui vaudra à trois hommes de finir leurs jours sur un bûcher. De ces trois hommes, on sait peu de chose, sinon que leur vie a été emportée en quelques heures par un phénomène sidérant d’hal- lucination collective. Sébastien Judalet, conducteur de bus en Sei- ne-Saint-Denis de 38 ans et père d’une petite fille de 11 ans, n’était pas un aventurier. Son cadavre s’est consumé à l’aube, jeudi 3 octo- bre, à 9 000 kilomètres de chez lui, devant des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants frappant dans leurs mains. Roberto Gianfalla, cuisinier de 50 ans, originaire de Palerme, a quitté le 7 avril la région d’Annecy, où il a élevé ses trois enfants, pour refaire sa vie à Madagascar. Son journal intime, illustré de sa main, raconte cette renaissance : « Merci, je dis merci à ce qui m’arrive et ce que je vis en ce moment. Je crois que je suis arrivé au paradis… » Ces deux hommes sont morts d’avoir rencontré Zaidou, un Mal- gache de 33 ans, brûlé vif quelques heures après ses deux compa- gnons de torture, sur la foi d’un soupçon. Tout commence sur cette plage d’Ambatoloaka, village balnéaire de Nosy Be, petite île du nord- ouest de Madagascar, dont le chef- lieu est Hell-Ville. C’est là que, le mercredi 2 octobre aux alentours de 23 heures, la mer a rendu après l’avoir rongé le corps du petit Chaïno, 7 ans. Les orbites creuses, la langue manquante, le sexe muti- lé, des lambeaux de chairs arra- chés. « En le voyant, j’ai tout de sui- te compris qu’il avait été tué, racon- te le père de l’enfant, Luciano, un mois après les faits. Le corps est res- té sur la plage jusqu’au lendemain matin, et puis c’est devenu un spec- tacle. » Ce « spectacle », autour duquel se rassembleront des dizai- nes de villageois, sera le point de départ d’une nuit de folie meur- trière. La faute des forces de l’ordre Mais le basculement des villa- geois dans l’irrationnel trouve sa source quelques jours plus tôt, dans un désir de justice contrarié par l’incurie des autorités de l’île. Quand Chaïno a disparu, le 27 sep- tembre au soir en rentrant de la mosquée, sa famille a aussitôt lan- cé des battues et fait une déclara- tion d’enlèvement à la gendarme- rie. Après cinq jours de vaines recherches, les soupçons du père, Luciano, se sont portés sur son cou- sin Zaidou, peu apprécié de la famille avec laquelle il est en conflit pour une histoire de terres. Ce « beach boy », qui propose ses services aux touristes sur la plage, a mauvaise réputation au village. Il aurait, en outre, montré peu d’entrain à retrouver la trace de l’enfant. Le 2 octobre, en début de mati- née, plusieurs heures avant que ne soit retrouvé le corps de Chaïno, un petit groupe emmené par Luciano va quérir Zaidou chez lui, le ligote et projette de l’emmener en voiture à la police de Hell-Ville, « pour qu’il s’explique, même si nous n’avions pas de preuves pal- pables », raconte Clément, un oncle de l’enfant. Les responsables de police et de gendarmerie de l’île sont alors en réunion à la sous-préfecture pour préparer un meeting électoral du candidat Hery Rajaonarimampia- nina, qui doit se tenir le jour même à Hell-Ville, à quelques semaines d’une élection présiden- tielle cruciale censée mettre un ter- me à quatre ans de crise politique. L’île est sous tension, les autori- tés veulent éviter tout déborde- ment. Elles jugent finalement pré- férable de se laver les mains de cet- te « affaire familiale » et confient Zaidou à la famille de l’enfant. « Nous n’arrivions pas à discuter, il y avait trop de monde, se justifie le commissaire de police Honoya Tilahizandry. Le but était d’éviter l’attroupement. Nous pensions au meeting qui devait avoir lieu. » Zaidou est exfiltré en voiture, accompagné de gendarmes et de la famille de Chaïno, vers une desti- nation tenue secrète, sous des jets de pierres. La rumeur court alors qu’une glacière contenant des morceaux de cadavres d’enfants a été trouvée sur le port de Hell-Vil- le. Persuadés que le suspect a trou- vé refuge à la gendarmerie, les vil- lageois attaquent le bâtiment, brû- lent un camion et vandalisent trei- ze maisons de gendarmes. Ces der- niers répliquent avec des grena- des lacrymogènes, puis des tirs à balles réelles, faisant deux morts et une dizaine de blessés. « Voleurs de cœur » Le corps du petit Chaïno est découvert sur le sable à 23 heures. Son aspect, blanc comme le mar- bre, glacial et en partie amputé, frappe les esprits. « Quand nous étions petits, pour nous faire peur, on nous disait : “Ne sors pas la nuit, il y a des trafics d’enfants”, raconte l’oncle Clément. Quand j’ai vu le corps, je me suis mis à penser que c’était vrai. » A Madagascar, le soir, on racon- te des histoires terrifiantes aux enfants. Des histoires de voleurs de foies, de voleurs de cœurs. A Nosy Be, ces rumeurs de trafic d’or- ganes se nourrissent d’un phéno- mène bien réel : une prostitution très visible, et des faits de pédophi- lie tolérés par les autorités. Selon la police de l’île, les cas d’enlèvement d’enfants sont exceptionnels à Nosy Be. Mais la frustration est bien réelle, et la rumeur prend corps autour de la dépouille dénaturée de l’enfant. « Le cadavre a été congelé ! Il est tout blanc ! Maintenant, on a la preuve que le corps a été pris par quelqu’un ! », s’écrient des villa- geois. Aucune autopsie ne sera prati- quée avant l’inhumation du corps, et rien ne permet alors de conclure à un homicide : la blan- cheur du cadavre, de même que la disparition des chairs molles, est compatible avec un séjour prolon- gé dans l’eau et le travail des car- nassiers, explique a posteriori Michel Sapanet, directeur de l’ins- titut médico-légal de Poitou-Cha- rentes. Tentant de calmer la foule amassée sur la plage, le chef de quartier appelle la gendarmerie. Les forces de l’ordre répondent qu’elles ne se déplaceront pas avant le lendemain matin. L’interrogatoire « On va chercher le vahaza [le Blanc], ami de Zaidou! On va le tuer, on va le tuer ! », s’écrient des villageois. Le « vahaza », c’est Sébastien Judalet, un touriste qui a fait la connaissance de Zaidou sur la plage quelques jours plus tôt. La rumeur court que le Fran- çais est lié d’une façon ou d’une autre à la disparition de l’enfant. Capturé aux alentours de 3 heu- res du matin, Sébastien est emme- né de force sur la terrasse qui pro- longe la chambre de sa modeste pension, où a été installée une petite table. A compter de ce moment-là et jusqu’à la mort du chauffeur de bus, vers 6 heures, Joël Ho-Shing, le directeur de l’éta- blissement, appellera sept fois la gendarmerie, où il finira par se réfugier lui-même, terrifié. Aucun gendarme ne se déplacera. Commence alors un invraisem- blable procès populaire, un inter- rogatoire surréaliste de près d’une heure, en partie enregistré par ses ravisseurs. Sur les bandes sonores que s’est procurées Le Monde, un dialogue de sourds, tournant de façon obsessionnelle autour des rumeurs de trafic d’en- fants, se mue progressivement en soupçons de pédophilie : Une voix de femme : « T’es pas homosexuel quand même ? Sébastien : Je ne suis pas homo- sexuel, Madame. Je n’aime pas les enfants, je n’aime pas, et surtout pas, les gens qui ont des rapports sexuels avec les enfants. La femme : Tu n’aimes pas les enfants… Sébastien : J’adore les enfants. J’ai une petite fille. J’aimerais pas qu’on lui fasse du mal. La femme : Tu as dit que tu aimais pas les enfants. Sébastien : J’ai dit, je n’aime pas les gens qui font du mal aux enfants. Moi j’aime les enfants. Une voix d’homme : Si vous dites pas la vérité, je te tourne le dos et je vous laisse avec les gens. Sébastien, en pleurs : Comment voulez-vous que je… Je raconte que la vérité, je raconte que la vérité. L’homme l’interrompt : Vous êtes combien ? Première ques- tion… Sébastien : Je suis tout seul moi. Je suis venu ici seul en vacances… Triple assassinat de madagascar A Nosy Be, la folle rumeur qui a mené au lynchage de trois hommes « Le Monde » a reconstitué la journée qui a vu deux touristes et un Malgache lynchés par la foule Sur la plage d’Ambatoloaka, devant les restes du bûcher où Sébastien Judalet et Roberto Gianfalla ont été tués, le 3 octobre. RIJASOLO/RIVA PRESS Nosy Be (Madagascar) Envoyé spécial « L’attente a été très pénible. On s’est repassé les images, le faux pro- cès, le brasier, les jambes qui dépas- sent… » Après plus d’un mois d’une attente interminable, Mau- rice Judalet, gardien de la paix à la retraite, va accueillir les restes de son fils, Sébastien, rapatriés de Madagascar mercredi 13 novem- bre. La dépouille sera autopsiée à l’institut médico-légal d’Evry avant d’être rendue à sa famille, qui envisage de l’inhumer en fin de semaine prochaine. Les proches de Roberto n’ont pas eu cette « chance ». Ce cuisi- nier d’Annecy est né à Palerme, et s’il est arrivé en France à l’âge de 3 ans, son passeport est italien. Son corps gît toujours dans le congélateur d’un dispensaire à 9 000 kilomètres de ses proches. Carmella Gianfalla, la sœur de Roberto, est plongée dans un état de sidération depuis la mort de son frère : « Je ne peux plus man- ger, je vomis, j’ai perdu le som- meil. Et je passe mes journées sur Internet à essayer de m’informer. La seule information que j’ai eue venait de l’ambassade d’Italie en Afrique du Sud, qui me demandait 100 euros par jour pour les frais de conservation de son corps dans un dispensaire… On n’en peut plus, c’est un truc de fou. Ils les ont tués, mais ils sont en train de nous tuer aussi. » Plus d’un mois après l’assassi- nat de Sébastien Judalet et Rober- to Gianfalla, sur l’île malgache de Nosy Be, le 3 octobre, leurs familles n’ont toujours reçu aucu- ne information officielle sur l’en- chaînement précis des événe- ments qui ont mené au lynchage de leurs proches, pas plus que sur la progression de l’enquête. Elles en sont réduites à errer sur Inter- net en quête de renseignements. Afin d’avoir accès au dossier, elles se sont portées parties civi- les auprès du parquet de Bobigny, qui s’est saisi de l’enquête en ver- tu du principe de « compétence universelle » l’autorisant à enquê- ter sur le meurtre d’un Français à l’étranger. La procureure, Anne Kostomaroff, a rapidement dili- genté une enquête de personnali- té qui a permis de blanchir Sébas- tien, le 22 octobre, des soupçons de pédophilie et de trafic qui pesaient sur lui. Elle a en outre dépêché sur place deux biologis- tes de l’Inserm pour identifier les corps. Vingt-six mises en examen S’agissant de l’évolution de l’en- quête malgache, en revanche, le parquet se dit dans l’incapacité de fournir la moindre information. Il n’a envoyé aucun enquêteur sur place et compte sur la bonne volonté de la justice malgache, qui semble peu pressée de communi- quer. « Nous ne connaissons tou- jours pas le nom du juge chargé de l’enquête à Madagascar », résume un représentant du parquet. Afin de stimuler la coopération entre les deux pays, la procureure de Bobigny a envoyé le 28 octobre une demande d’entraide judiciaire aux autorités malgaches. Pour l’heure restée sans réponse. Selon nos informations récol- tées sur place auprès de la justice malgache, vingt-six suspects ont été mis en examen pour les événe- ments du 2 au 3 octobre, dont au moins douze pour « homicide volontaire » avec « actes de tortu- res et de barbarie » sur Sébastien, Roberto et Zaidou. Ils ont tous été déférés au parquet et entendus en première comparution, briève- ment, par la doyenne des juges d’instruction du tribunal de pre- mière instance d’Antananarivo, Balisana Razafimelisoa. Un mois après les faits, un seul suspect a fait l’objet d’un interroga- toire poussé. Le rapport de l’autop- sie pratiquée le 26 octobre sur Chaïno, l’enfant retrouvé mort sur la plage, n’a lui toujours pas été remis à la justice. Bernard Salquain, avocat des parents de Sébastien, et Nathalie Kohler, défenseur des proches de Roberto, se sont portés parties civi- les auprès du tribunal d’Antanana- rivo, dans l’espoir d’être tenus au courant des avancées du dossier. « L’enquête va être longue et diffici- le, anticipe M e Salquain. Elle est compliquée par le contexte politi- que [l’élection présidentielle mal- gache, dont le premier tour a eu lieu le 25 octobre]. On sent que les autorités françaises marchent sur des œufs avec leurs homologues malgaches. » p S. H. et So. S. (à Paris) 6 0123 Mercredi 13 novembre 2013

Triple lynchage de Nosy Be (Le Monde, 13 novembre 2013)

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Page 1: Triple lynchage de Nosy Be (Le Monde, 13 novembre 2013)

Mercredi 13 novembre à 20h30Xavier BERTRANDInvité de

Emission politique présentéepar Frédéric HAZIZA

Avec :Françoise FRESSOZ, Sylvie MALIGORNE et Marie-Eve MALOUINES

sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhoneet iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay.

www.lcpan.fr

Et

CoopérationjudiciairedifficileentreParisetAntananarivo

international

Reportage

NosyBe (Madagascar)Envoyé spécial

T out part de cette plage. Touty ramène.Enboucle, commedansuncauchemar.Lecorps

del’enfantrenduparlamer.Lelyn-chage, les hommes brûlés vifs, lescrisdejoie.Toutcommenceettoutfinit sur cette plage de Madagas-car, où le deuil d’un enfant s’esttransformé, par le poison de larumeur,enunefuriecollectivequivaudra à trois hommes de finirleurs jours surunbûcher.

De ces trois hommes, on saitpeu de chose, sinon que leur vie aété emportée en quelques heuresparunphénomènesidérantd’hal-lucination collective. SébastienJudalet, conducteur de bus en Sei-ne-Saint-Denis de 38 ans et pèred’une petite fille de 11 ans, n’étaitpas un aventurier. Son cadavres’estconsuméàl’aube,jeudi3octo-bre,à9000kilomètresdechez lui,devantdesdizainesd’hommes, defemmes et d’enfants frappantdans leursmains.

Roberto Gianfalla, cuisinier de50 ans, originaire de Palerme, aquitté le 7avril la régiond’Annecy,où il a élevé ses trois enfants, pourrefaire sa vie à Madagascar. Sonjournal intime, illustréde samain,raconte cette renaissance: «Merci,je dis merci à ce qui m’arrive et cequejevisencemoment. Jecroisqueje suis arrivéauparadis…»

Ces deux hommes sont mortsd’avoir rencontré Zaidou, unMal-gachede 33 ans, brûlé vif quelquesheures après ses deux compa-gnons de torture, sur la foi d’unsoupçon.

Tout commence sur cette plaged’Ambatoloaka, village balnéairede Nosy Be, petite île du nord-ouestdeMadagascar, dont le chef-lieu est Hell-Ville. C’est là que, lemercredi 2octobre aux alentours

de 23heures, la mer a rendu aprèsl’avoir rongé le corps du petitChaïno, 7 ans. Les orbites creuses,lalanguemanquante,lesexemuti-lé, des lambeaux de chairs arra-chés. «En le voyant, j’ai tout de sui-tecomprisqu’ilavaitététué, racon-te le père de l’enfant, Luciano, unmoisaprèsles faits.Lecorpsest res-té sur la plage jusqu’au lendemainmatin, etpuis c’estdevenuunspec-tacle. » Ce «spectacle», autourduquelserassemblerontdesdizai-nes de villageois, sera le point dedépart d’une nuit de folie meur-trière.

Lafautedesforcesdel’ordre

Mais le basculement des villa-geois dans l’irrationnel trouve sasource quelques jours plus tôt,dans un désir de justice contrariépar l’incurie des autorités de l’île.QuandChaïno a disparu, le 27sep-tembre au soir en rentrant de lamosquée, sa familleaaussitôt lan-cé des battues et fait une déclara-tion d’enlèvement à la gendarme-rie. Après cinq jours de vainesrecherches, les soupçons du père,Luciano,sesontportéssursoncou-sin Zaidou, peu apprécié de lafamille avec laquelle il est enconflitpourunehistoirede terres.Ce «beach boy», qui propose sesservices aux touristes sur la plage,a mauvaise réputation au village.Il aurait, en outre, montré peud’entrain à retrouver la trace del’enfant.

Le 2octobre, en début de mati-née,plusieursheuresavantquenesoit retrouvé le corps de Chaïno,un petit groupe emmené parLuciano va quérir Zaidou chez lui,le ligote et projette de l’emmenerenvoiture à la police deHell-Ville,«pour qu’il s’explique, même sinous n’avions pas de preuves pal-pables », raconte Clément, unoncle de l’enfant.

Les responsablesdepolice et degendarmerie de l’île sont alors enréunion à la sous-préfecture pourpréparer un meeting électoral ducandidat Hery Rajaonarimampia-nina, qui doit se tenir le jourmême à Hell-Ville, à quelquessemainesd’uneélectionprésiden-tiellecrucialecenséemettreunter-meà quatre ans de crise politique.

L’île est sous tension, les autori-tés veulent éviter tout déborde-ment. Elles jugent finalementpré-férabledese laver lesmainsdecet-te «affaire familiale» et confientZaidou à la famille de l’enfant.«Nous n’arrivions pas à discuter, ilyavait tropdemonde, se justifie lecommissaire de police HonoyaTilahizandry. Le but était d’éviterl’attroupement. Nous pensions aumeetingqui devait avoir lieu.»

Zaidou est exfiltré en voiture,accompagné de gendarmes et delafamilledeChaïno,versunedesti-nation tenue secrète, sous des jetsde pierres. La rumeur court alorsqu’une glacière contenant desmorceauxde cadavres d’enfants aété trouvée sur le port deHell-Vil-le. Persuadésque lesuspecta trou-vé refuge à la gendarmerie, les vil-

lageoisattaquentlebâtiment,brû-lentuncamionetvandalisenttrei-zemaisonsdegendarmes.Cesder-niers répliquent avec des grena-des lacrymogènes, puis des tirs àballes réelles, faisant deux mortset unedizainede blessés.

«Voleursdecœur»Le corps du petit Chaïno est

découvert sur le sable à 23heures.Son aspect, blanc comme le mar-bre, glacial et en partie amputé,frappe les esprits. «Quand nousétions petits, pour nous faire peur,onnousdisait : “Nesorspas lanuit,il yades traficsd’enfants”, racontel’oncle Clément. Quand j’ai vu lecorps, je me suis mis à penser quec’était vrai.»

AMadagascar, le soir, on racon-te des histoires terrifiantes auxenfants. Des histoires de voleursde foies, de voleurs de cœurs. ANosyBe,cesrumeursdetraficd’or-ganes se nourrissent d’un phéno-mène bien réel : une prostitutiontrèsvisible,etdesfaitsdepédophi-lie tolérés par les autorités.

Selon la police de l’île, les casd’enlèvement d’enfants sont

exceptionnels à Nosy Be. Mais lafrustration est bien réelle, et larumeur prend corps autour de ladépouille dénaturée de l’enfant.«Le cadavre a été congelé ! Il esttout blanc ! Maintenant, on a lapreuve que le corps a été pris parquelqu’un!», s’écrient des villa-geois.

Aucune autopsie ne sera prati-quée avant l’inhumation ducorps, et rien ne permet alors deconclure à un homicide : la blan-cheurdu cadavre,demêmeque ladisparition des chairs molles, estcompatibleavecunséjourprolon-gé dans l’eau et le travail des car-nassiers, explique a posterioriMichel Sapanet, directeurde l’ins-titut médico-légal de Poitou-Cha-rentes.

Tentant de calmer la fouleamassée sur la plage, le chef dequartier appelle la gendarmerie.Les forces de l’ordre répondentqu’elles ne se déplaceront pasavant le lendemainmatin.

L’interrogatoire«On va chercher le vahaza [le

Blanc], ami de Zaidou ! On va letuer, on va le tuer !», s’écrient desvillageois. Le « vahaza », c’estSébastien Judalet, un touriste quia fait la connaissance de Zaidousur la plage quelques jours plustôt. La rumeur court que le Fran-çais est lié d’une façon ou d’uneautre à la disparition de l’enfant.

Capturéauxalentoursde3heu-resdumatin,Sébastienestemme-né de force sur la terrasse qui pro-longe la chambre de sa modestepension, où a été installée unepetite table. A compter de ce

moment-là et jusqu’à la mort duchauffeur de bus, vers 6heures,JoëlHo-Shing, ledirecteurde l’éta-blissement, appellera sept fois lagendarmerie, où il finira par seréfugier lui-même, terrifié.Aucungendarmene se déplacera.

Commencealorsuninvraisem-blable procès populaire, un inter-rogatoire surréaliste de prèsd’une heure, en partie enregistrépar ses ravisseurs. Sur les bandessonores que s’est procuréesLeMonde, un dialogue de sourds,tournant de façon obsessionnelleautourdesrumeursde traficd’en-fants, semueprogressivementensoupçonsde pédophilie :

Une voix de femme: «T’es pashomosexuel quandmême?

Sébastien: Je ne suis pas homo-sexuel, Madame. Je n’aime pas lesenfants, je n’aime pas, et surtoutpas, les gens qui ont des rapportssexuels avec les enfants.

La femme: Tu n’aimes pas lesenfants…

Sébastien : J’adore les enfants.J’ai une petite fille. J’aimerais pasqu’on lui fasse dumal.

La femme : Tu as dit que tuaimais pas les enfants.

Sébastien: J’ai dit, je n’aimepasles gens qui font du mal auxenfants.Moi j’aime les enfants.

Une voix d’homme : Si vousdites pas la vérité, je te tourne ledos et je vous laisse avec les gens.

Sébastien,enpleurs :Commentvoulez-vousque je… Je raconte quela vérité, je raconte que la vérité.

L’homme l’interrompt : Vousêtes combien ? Première ques-tion…

Sébastien: Je suis tout seulmoi.Je suis venu ici seul en vacances…

Triple assassinat demadagascar

ANosyBe, lafollerumeurquiamenéaulynchagedetroishommes«LeMonde»areconstituéla journéequiavudeuxtouristesetunMalgachelynchéspar lafoule

Sur la plage d’Ambatoloaka, devant les restes du bûcher où Sébastien Judalet et Roberto Gianfalla ont été tués, le 3octobre. RIJASOLO/RIVA PRESS

NosyBe (Madagascar)Envoyé spécial

«L’attentea été très pénible. Ons’est repassé les images, le fauxpro-cès, le brasier, les jambes qui dépas-sent…»Aprèsplus d’unmoisd’uneattente interminable,Mau-rice Judalet, gardiende la paix à la

retraite, va accueillir les restes deson fils, Sébastien, rapatriés deMadagascarmercredi 13novem-bre. La dépouille sera autopsiée àl’institutmédico-légal d’Evryavantd’être rendueà sa famille,qui envisagede l’inhumeren finde semaineprochaine.

Les proches de Roberto n’ontpas eu cette «chance». Ce cuisi-nier d’Annecy est né à Palerme, ets’il est arrivé en France à l’âge de3ans, son passeport est italien.Son corps gît toujours dans lecongélateurd’undispensaire à9000kilomètres de ses proches.

CarmellaGianfalla, la sœur deRoberto, est plongée dans un étatde sidération depuis lamort deson frère: «Je ne peuxplusman-ger, je vomis, j’ai perdu le som-meil. Et je passemes journées surInternet à essayer dem’informer.La seule informationque j’ai euevenait de l’ambassaded’Italie enAfriquedu Sud, quime demandait100 euros par jour pour les fraisde conservationde son corps dansundispensaire…Onn’en peutplus, c’est un truc de fou. Ils les onttués,mais ils sont en train de noustuer aussi.»

Plus d’unmois après l’assassi-nat de Sébastien Judalet et Rober-toGianfalla, sur l’îlemalgache deNosyBe, le 3octobre, leursfamilles n’ont toujours reçu aucu-ne informationofficielle sur l’en-chaînementprécis des événe-ments qui ontmené au lynchage

de leurs proches, pas plus que surla progressionde l’enquête. Ellesen sont réduites à errer sur Inter-net en quête de renseignements.

Afind’avoir accès au dossier,elles se sont portées parties civi-les auprès duparquet de Bobigny,qui s’est saisi de l’enquête en ver-tu duprincipe de «compétenceuniverselle» l’autorisant à enquê-ter sur lemeurtre d’un Français àl’étranger. La procureure, AnneKostomaroff, a rapidementdili-gentéune enquêtede personnali-té qui a permis de blanchir Sébas-tien, le 22octobre, des soupçonsdepédophilie et de trafic quipesaient sur lui. Elle a en outredépêché sur place deuxbiologis-tes de l’Insermpour identifier lescorps.

Vingt-sixmises en examenS’agissantde l’évolutionde l’en-

quêtemalgache, en revanche, leparquet sedit dans l’incapacitédefournir lamoindre information. Iln’a envoyéaucunenquêteursurplaceet compte sur la bonnevolontéde la justicemalgache,quisemblepeupresséede communi-quer.«Nousne connaissons tou-jourspas lenomdu juge chargédel’enquêteàMadagascar», résumeunreprésentantduparquet.Afinde stimuler la coopérationentrelesdeuxpays, la procureuredeBobignyaenvoyé le 28octobreunedemanded’entraide judiciaireauxautoritésmalgaches.Pour

l’heure restée sans réponse.Selonnos informations récol-

tées surplace auprèsde la justicemalgache,vingt-six suspectsontétémis enexamenpour les événe-mentsdu2 au3octobre,dont aumoinsdouzepour«homicidevolontaire» avec«actesde tortu-res et debarbarie» sur Sébastien,Robertoet Zaidou. Ils ont tous étédéférésauparquet et entendusenpremièrecomparution,briève-ment, par ladoyennedes jugesd’instructiondu tribunaldepre-mière instanced’Antananarivo,BalisanaRazafimelisoa.

Unmois après les faits, unseulsuspecta fait l’objetd’un interroga-toirepoussé. Le rapportde l’autop-siepratiquée le 26octobresurChaïno, l’enfant retrouvémort surlaplage,n’a lui toujourspas étéremisà la justice.

BernardSalquain, avocatdesparentsdeSébastien, etNathalieKohler, défenseurdesprochesdeRoberto, se sontportésparties civi-les auprèsdu tribunald’Antanana-rivo, dans l’espoird’être tenusaucourantdesavancéesdudossier.«L’enquête vaêtre longueet diffici-le,anticipeMeSalquain.Elle estcompliquéepar le contextepoliti-que [l’électionprésidentiellemal-gache,dont lepremier tour a eulieu le 25octobre].Onsent que lesautorités françaisesmarchent surdesœufsavec leurshomologuesmalgaches.»p

S.H.et So. S. (à Paris)

6 0123Mercredi 13 novembre 2013

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Les histoires de trafic d’organessont courantes àMadagascar.Elles font partie du corpus d’his-toires qu’on raconte auxenfants, le soir. Ces histoiressont tellement ancrées dansl’imaginaire collectif qu’elles setransforment parfois enrumeurs, visant de richesMalga-ches ou desOccidentaux, accu-sés de trafiquer des organesd’enfants.Ce phénomène a été étudié etdécrit par l’ethnologue anglaisLuke Freeman commeune«poé-tique de la prédation». Dans

«Voleurs de foies, voleurs decœurs, Européens etMalgachesvus par les Betsileos» (Revue«Terrain» n˚43, septem-bre2004), le chercheur analyseces fantasmes de la société bet-sileo– les habitants originairesdu sud deMadagascar – commede«puissants jugements méta-phoriques des rapports de pro-duction (le corps) et d’exploita-tion (le trafic)» qui«commen-tent et sont nourris par la réelledisparité économique entre Euro-péens et indigènes, mais aussiau sein de la société malgache».

Chaïno (ci-dessus), 7ans,a disparu le 27septembre. Soncorps a été retrouvé sur la plaged’Ambatoloaka, le 2octobre.RIJASOLO/AFP

Sébastien Judalet (ci-contre),38ans, a été capturé par lesvillageois. La rumeur couraitque le Français, qui connaissaitl’oncle du garçon, était lié à ladisparitionde l’enfant.RobertoGianfalla (en bas),Italiende 50 ans, a aussi étévictimede la violence de lafoule. DR ET RIJASOLO/RIVA PRESS

NosyBe (Madagascar)Envoyé spécial

A NosyBe, entre vingt et tren-te enfants fuguent enmoyenne chaque année,

selonlapolice. Ilssontretrouvésauboutdetroisàquatre jours,généra-lement chez des amis. Bien quetemporaires, ces absences signa-lées par les radios locales alimen-tent les rumeurs de trafics d’en-fantsparmi lapopulation.

Depuis cinqans,mis àpart celuideChaïno, un seul autre cas de dis-parition d’enfant a été recensé surl’île. Le 12septembre 2009, Jamil,6ans, n’est jamais rentré chez luiaprès être allé acheter une glace. Ilfaut écouter le récit de la frustra-tion de son père, Zakaria, toujourssans nouvelles de son fils, pourcomprendre le principal moteurde la foule qui s’en est pris à Zai-dou, Sébastien et Roberto. «J’avaisportéplainte,mais j’ai vite comprisque la police et la gendarmerie neferaient rien», explique Zakaria,assis sousunbananier,prèsd’Hell-Ville.

Ce père de trois enfants qui vitchichement s’est alors résigné àvendre une partie du terrain fami-lial pour se rendre dans la capitale,Antananarivo. Pour convaincredes enquêteurs, qui ont peu demoyens, de venir àNosy Be, il a dûleur payer le transport, l’hôtel et lecouvert. Un an après, un procèss’est tenu,mais les suspects furentinnocentés. « Si les autoritésavaient fait leur travail, jamais iln’y aurait eu de lynchage après lamort deChaïno», estimeZakaria.

Depuis le coup d’Etat de 2009qui a plongé le pays dansune crisepolitique,lescasdejusticepopulai-re se sont multipliés. «Il y a eu unrenforcement considérable de lacorruptionde la justice etdes forcesde sécuritédepuis l’instaurationdurégime de transition, expliqueMathieu Pellerin, chercheur àl’Institut français des relationsinternationales, spécialiste de l’île.Les commissariats sont accusés derelâcher les suspects.»Depuisdeuxans, quatre attaques de commissa-

riats,dontceluid’Hell-Ville,ontétérecensées, alors qu’il n’y en avaiteuaucune les annéesprécédentes.

La fragilité du tissu social surl’île est aussi aggravée par la criseéconomique qui a fait affluer desmigrants en quête de travail dansce haut lieu touristique du pays.Une hausse des braquages a étéconstatée ces derniersmois.

«Brutalisation desmœurs»Le manque de légitimité des

autorités actuelles, qui n’ontjamais été élues par le peuple, pèsesur leur capacité à faire respecterl’Etat de droit. Vendredi 8novem-bre, le président, Andry Rajoelina,expliquait auMonde que dans cer-taines localités, il avait plusieursfois fait changer le responsable dela police ou de la gendarmerie,«mais cela n’a pas changé grand-chose sur leurs pratiques». Pour lecommissaire de police de Nosy Be,Honoya Tilahizandry, « il ne fautpass’étonnerqu’ilyaitde lacorrup-tion quand on connaît les salairesdemisèredes fonctionnaires».

Ce n’est pas la première fois quedesFrançaissontassassinésàMada-gascar. En avril 2012, les corps deGérald Fontaine et Johanna Dela-haye, qui portaient des traces decoups, avaient été retrouvés suruneplagede l’île.Mais le fait que letriplelynchagedeNosyBeaitétéfil-mé et se soit transformé en specta-clepopulaireestunsignealarmantde la «brutalisationdesmœurs» etde la levée d’un «tabou» («fady»),selonM.Pellerin.

Bénéficiant d’un niveau de viesouventbiensupérieuràlapopula-tion locale, les vahazas («Blancs»)deviennent-ils des cibles ? Non,répond la majorité des habitants,malgré un fond de ressentimentanti-colonial, parfois ravivé par lesconflitssur laquestionsensibledesterres. «Nous ne sommes pas anti-vahazas, nous avons trop besoind’eux pour vivre», résume un gui-de. Avant d’ajouter : «Sébastien etRoberto n’ont pas été lynchés car ilsétaient vahazas, mais parce qu’ilsétaientprochesdeZaidou.»p

S.H.et So. S. (à Paris)

Deslynchagesfavorisésparl’incuriedesforcesdel’ordreLacorruptionde lapoliceetde la justices’est renforcéedepuis lecoupd’Etatde2009

Le trafic d’organes ancré dans l’imaginairemalgache

300 km 1 km

OCÉANINDIEN

Canal deMozambique

Antananarivo

Hôtelde Sébastien

Plaged’Ambatoloaka

Mosquée Maisonde l’enfant

Lynchagede Zaidou

Nosy Be

Lynchagede Sébastienet Roberto

L’homme: Mais non, par rap-port aux vols d’enfants, vous êtescombien?

Sébastien:Mais je suispasdansl’histoire des enfants, Monsieur !

L’homme: Si tudispas lavérité,je te laisse à la population. Il va tetaper.»

Sous couvert d’anonymat, unhabitantde l’îleaffirmequeSébas-tien lui aurait confié, peu avantson interpellation, que Zaidouavait enlevé lepetit Chaïno«pouréviter de donner son propre fils».Tenait-il cette informationdeZai-dou lui-même? Avait-il simple-ment prêté l’oreille à la rumeur?Toujours est-il qu’une partie del’interrogatoire va tournerautour de cette accusation.

Dans l’enregistrement de cetéchange, fragmentaireetdifficile-ment compréhensible, elle estpourtant vigoureusementdémentie par Sébastien : « J’accu-sepersonne.Nan, jepeuxpasaccu-ser Zaidou. Je l’ai jamais vu faireça. Je n’ai jamais dit ça», protestele Français.

Cité par Sébastien durant sonsimulacre de procès, Roberto,avec qui il a sympathisé récem-ment, est emmené à son tourdevant la chambre par une tren-taine d’hommes alcoolisés etarmésdebâtonspoury être inter-rogé. Peu après 4heures, les deuxhommes sont escortés vers la pla-

ge d’Ambatoloaka, où le corps deChaïno a été retrouvé. Il leur restedeux heures à vivre.

LebûcherOn entend le bruit des vagues.

Puis lavoixdeSébastien.«Onvaàl’église, on va prier pour lesenfants, on va prier pour tout lemonde. Faut arrêter tout ça», lan-ce-t-il dansune dernière tentativepour enrayer la folle mécaniquequi va l’emmener sur le bûcher.Alors il comprend: «Donc, le juge-ment dernier, c’est aujourd’hui. Sivous tuez des innocents, paix àvotreâme (…).Onva faireunfeudejoie, on va memettre au milieu eton va danser autour ? Tous ceuxqui regarderont, tous ceux qui ver-ront ça seront coupables.»

La foule s’excite. Les hommess’agitent, les femmes crient. Il y ades enfantsaussi.Des chants. Puiscette phrase, la dernière qui noussoit parvenue: « Je suis quelqu’unde bien. C’est ça, la vérité.»

Les images filmées des lyncha-ges, d’une insoutenable sauvage-rie, montrent Sébastien étendusur le sable, entièrement nu, unpneu autour de la taille, le crâneensanglanté, tentant, sans force,de se redresser, avant d’être rouéde coups et achevé à coups debûches, enplein jour.Vraisembla-blementmort, le chauffeurdebus

est jeté sur le foyer et recouvert defeuilles de ravenales.

Une seconde vidéo montreRoberto, à demi-dévêtu, le visagedéformé par les coups, gisantconscient sur le bitume dans unemare de sang, avant d’être traînépar les pieds sur une centaine demètres, comme un animal mort,une chose sans âme, le visageraclantlaroute, souslescrisd’exci-tation des femmes, jusqu’à la pla-ge, où on le jette inerte sur lebûcher de Sébastien, avant d’ymettre le feu devant des famillesrassemblées. Comme au specta-cle. A cinqmètres de là, le corps deChaïno continue de se décompo-ser sur le sable chauffé par lesoleil. Il sera inhumédans lamati-née, sans autopsie.

«Faites-encequevousvoulez»

Capturé de l’autre côté de l’îlequelques heures plus tard, Zaidouest confiéàunchefdequartier, quiprévient la gendarmerie. Et tou-

jours cette même réponse : «Nousen avons marre, faites-en ce quevous voulez.» Il est alors remis enmain propre à Luciano, puis brûlévif dans le village vers 17heures, àquelques mètres de la mosquée,devant plusieurs centaines de per-sonnes. Selon un témoin ayantassisté à la scène, il tentera de quit-terlebrasier, leshabitsenflammes,avant d’être assommé d’un coupdebâtonet replongédans le feu.

Le 22octobre, faisant suite àune plainte des parents de Sébas-tien, les conclusions de l’enquêtede personnalité initiée par par-quet de Bobigny ont levé les soup-çonsdepédophilieetdetraficd’or-ganes qui pesaient sur lui. La per-quisition de son appartement, lasaisie de son ordinateur et l’analy-se de sesmails et comptes bancai-res ont dessiné le portrait d’unhomme sans aspérité. Aucuneenquêten’apuêtremenéeenFran-ce surRoberto, qui,malgréuneviepasséeàAnnecy, estdenationalitéitalienne.

Le père de Sébastien, gardien dela paix à la retraite, décrit son filscomme quelqu’un de «simple»,qui passait toutes ses vacances enFrance, par le biais du comité d’en-treprise de la RATP.HabitantMon-treuil, il avait découvert Madagas-car en 2012, avec sa petite amie.Conquis par le charme tropical deNosy Be et récemment séparé, ilavait décidé d’y retourner seul le15septembreavecunvisadetouris-medesoixante jours. Il avait38ansetprenait l’avionpourladeuxièmefoisde savie.p

SébastienHervieuet Soren Seelow (à Paris)

70123Mercredi 13 novembre 2013