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Visions de l’âme
Du sublime et du « numineux » dans l’oeuvre de Mark Rothko
Helena Cañadas Salvador
Résumé
La peinture de Mark Rothko a motivé notre volonté d’explorer la capacité de l’art à nous
émouvoir. Plus loin, elle nous a amenée à nous demander si l’art pouvait nous rapprocher
du mystère de l’existence. De fait, certaines oeuvres modernes et contemporaines nous
invitent à pénétrer le royaume de la transcendance, celui-ci comportant certes plus de
questions que de réponses, royaume au sein duquel cependant, pendant quelques
instants heureux, des voiles semblent s’évanouir. Dans cette recherche, nous partons de
l’incompréhension et de la menace qui s’imposent à nous devant certaines oeuvres, mais
aussi de la certitude qu’elles recèlent une vérité contenue, profonde et essentielle. Point
de vue qui nous amène à penser l’art comme un véhicule privilégié pour exprimer notre
« moitié invisible ». Si l’art a quelque fonction, n’est-ce pas précisément celle de nous 1
humaniser? L’oeuvre d’art nous humanise et nous unit, comme nous croyons que c’est le
cas avec celle de Rothko, et nous nous efforcerons de montrer qu’elle le fait selon une
subjectivité, pourtant partagée. Dès lors, face à ces grandes oeuvres abstraites, nous 2
nous demandons inévitablement comment fonctionne la vision. Que se passe-t-il lorsque
ce qui se trouve face à nous semble se rapprocher de rien, ou du plus simple? Quel est ce
processus énigmatique par lequel, certes de façon distincte en chacun de nous, l’art nous
affecte, nous émeut, nous transforme et oriente notre âme dès lors que nous sommes
dans la disposition ou disponibilité adéquate?
L’objectif premier de Rothko et des expressionnistes abstraits était d’émouvoir, d’interpeler
le spectateur. Cependant, son oeuvre, comme celle de tellement d’artistes du XXe siècle,
ne nous implique ni ne nous séduit toujours d’une manière immédiate. L’oeuvre d’art est
souvent peu évidente, sa complexité et son potentiel émotif restant peut-être voilés aux
La mitad invisible - La razón poética de María Zambrano, émis le 10 mars 2012. RTVE. http ://www.rtve.es/alacarta/1
videos/la-mitad-invisible/mitad-invisible-20120310-1930-169/1345843/
Nous pensons à une universalité subjective grâce aux postulats de Kant.2
!1
yeux du spectateur qui ignore cette « fable de l’art moderne ». L’abstraction semble 3
souvent spontanée, comme si elle était le fruit d’une impulsion peu méditée, ce qui tend à
conférer un certain discrédit à ce type de productions artistiques. Mais cet
appauvrissement est pourtant très éloigné du sens d’un art abstrait comme peut l’être celui
de Rothko. Le spectateur doit en chercher le sens à l’intérieur de lui-même. Mais il faut
dire immédiatement qu’il ne trouve pas toujours les voies par lesquelles vivre l’oeuvre.
Devant l’incompréhension suscitée aujourd’hui par ce type de peintures chez le grand
public, et compte tenu du nouveau paradigme dont l’art est désormais l’héritier, un jeu
nouveau se propose pour lequel nous avons besoin de règles nouvelles. A cet égard, nous
pensons nécessaire d'établir un critère, qui ne prétende pas annuler la subjectivité de l'art
- car c’est sa grande puissance -, mais qui permette d’orienter le spectateur devant une
œuvre. Un critère de critères en quelque sorte, qui aide le spectateur à retrouver en lui-
même ce guide. Si l'art a su se manifester de façon à chaque fois différente, s’il s’est forgé
sur des besoins très divers, notre regard doit aussi se tourner vers lui sur des modes
correspondant à ces moments différents, et qui respectent leur spécificité. Il nous faut
trouver une optique appropriée aux œuvres de l'artiste qui désire être original (dans le
sens d'origine) et qui veut exprimer également un renouvellement existentiel. Nous devons
nous préparer en définitive à la convocation unique de chaque période, de chaque oeuvre.
De sorte que l’une des motivations qui guident aussi notre étude touche à la façon dont
nous pourrions faire face aux oeuvres de Rothko et leur trouver un sens, tout en assumant
l’étourdissement et la désorientation qui leur sont essentielles. Il faut regarder ces toiles,
sentir leur présence, pour découvrir les voies qui nous permettent de nous rapprocher tant
des oeuvres de Rothko que de certaines oeuvres d’art contemporain.
Néanmoins, notre intention n’est pas d’expliquer le mystère de ses toiles, même si nous
pouvons partir d'une présentation de son oeuvre qui n'ignore pas ce mystère. Malgré les
nombreuses considérations relatives aux réactions que l'œuvre de Rothko a soulevée -
elles ont été et sont encore nombreuses, et même très pertinentes de notre point de vue -,
nous pensons que nous devons encore aujourd'hui penser les modes propres dont l’art
nous sollicite et nous transforme, et cela sans chercher à déchiffrer le mystère que les
oeuvres révèlent, mais bien plutôt la façon dont nous pouvons les vivre dans leur mystère.
L’art contemporain s’est attaché par ses oeuvres à l’idée de création d'expériences, et il
nous invite, comme le faisait Rothko, à les aborder dans la plus pure disponibilité
Dore Ashton, Una fábula del arte moderno (Madrid : Fondo de cultura Turner, 2001).3
!2
émotionnelle, sans idées préconçues. Ainsi de l’approche de l’artiste qui ne veut pas
anticiper de réponses, et qui préfère que du jeu de regards devant son oeuvre émergent
des questions , ce que ces oeuvres nous apprennent au final, c’est que l’art doit être vécu. 4
Nous devons vivre ces oeuvres dans leur mystère, nous donnant à elles sans être
prédéterminés par ce que nous savons d’elles. Il faut assumer, comme nous pensons que
Rothko nous l’enseigne, le fait que le véritable héritage d'un artiste est son oeuvre. Ce que
Rothko voulait dire ou pas, il le dit dans ses œuvres ; elles sont là pour être vécues. Par
conséquent, nous pensons que son oeuvre mérite et exige une attention qui est
esthétique. Notre intention est donc d’approcher ces oeuvres en spectateur, tout en
indiquant pour cela des voies que chacun peut parcourir. 5
De sorte que nous assumons le défi d’élaborer une herméneutique de l’expérience
esthétique, qui nous assiste dans l’acte que ce nouveau jeu de la peinture exige
maintenant de nous. En acceptant le mode propre de sollicitation des oeuvres de Rothko,
nous comprenons qu’elle réclame une participation qui va au-delà de la simple
contemplation. Ainsi, nous voulons rendre évident le rôle fondamental du spectateur
contemporain, qui doit compléter l’oeuvre, lui donner vie dans un « mariage d’idées » , 6
dans une fusion des sentiments, laissant la présence surgir. Cela est indispensable pour
comprendre l'une des tendances de la Modernité, comme c’est essentiel pour regarder
l’oeuvre de Rothko.
C’est ici que se trouve l'un des paradoxes de l’art : nous sommes à la fois confus et attirés
par une expérience qui, si nous l’acceptons et la laissons se dérouler en ces différents
moments, compense la frustration initiale. Nous avons besoin de nouvelles définitions, de
Rothko écrivait peut-être pour se faire comprendre, pour justifier son oeuvre aux yeux de ceux qui ne comprenaient 4
son art. Peut-être sentait-il aussi qu’il parvenait à une meilleure compréhension de son processus artistique en mettant à l’écrit ses idées, en les ordonnant, en les façonnant en mots, pour les assumer et aller de l’avant avec cet autre moyen auquel il consacrait sa vie. En fait, beaucoup de ses textes sont parfois prophétiques car ils annoncent l'évolution de sa peinture. Quelques textes que nous possédons aujourd’hui étaient conçus pour une publication, spécialement ceux du début des années quarante recueillis dans The Artist Reality. Philosophies on Art, dont Christopher Rothko s’est fait l’écho. Il a maintenu le manuscrit inédit pendant quelques décennies sans le révéler et l’a finalement édité et publié en 2004. Dans ce même sens Rothko regrettait vers les années cinquante avoir donné des explications de son oeuvre. Voir Mark Rothko, Writings on art (New Haven : Yale University Press, 2006) traduit comme Écrits sur l’art 1934-1969, ed. Miguel López-Remiro, trad. Claude Bondy (France : Flammarion, 2016) et The Artist Reality. Philosophies of Art, ed. Christopher Rothko (New Haven y Londres : Yale University Press, 2004) traduit comme La réalité de l’artiste. Philosophies de l’art, ed. Christopher Rothko, trad. Pierre-Emmanuel Dauzat (Barcelone : Flammarion, 2015).
Intentions que nous partageons avec Christopher Rothko pour ce qui est de son dernier livre : Mark Rothko. From the 5
Inside Out (New Haven/Londres : Yale University Press, 2015).
Ce mariage d’idées se réfère à l’expression de Rothko : « marriage of minds » avec laquelle il décrivait l’acte 6
esthétique, comme nous le savons grâce à ses écrits.
!3
nouvelles attitudes, de nouveaux regards en définitive, car c’est la seule chose que
Rothko semblait nous demander avec son oeuvre. Attentif depuis un certain temps aux
conditions dans lesquelles l’oeuvre était présentée et reçue, il reformulait notre expérience
en nous apprenant quelle était la nouvelle approche absolument nécessaire désormais.
Notre regard doit être autre, et c’est pourquoi nous avons besoin de créer un nouvel
instrument interprétatif qui sache, dans le discrédit actuel, élaborer un guide pour la visión.
Un guide qui nous prepare à voir, voir beaucoup plus que ce que nous croyions pouvoir
voir, dès lors que ce voir est celui de « l’intérieur » , permettant de fonder ainsi de 7
nouvelles voies de compréhension. Au travers des oeuvres de Rothko, et grâce au vécu et
ressenti qui leur sont liés, nous entreprenons donc un trajet qui se dévoile comme une
quête de sens intérieur.
Il s’agit donc d'explorer cette rencontre entre oeuvre et spectateur, tout en ayant
conscience du défi consistant à développer une analyse basée sur l'émotion esthétique.
L’oeuvre de Mark Rothko va nous guider dans cette réflexion, et ce d’autant plus qu’elle
illustre un moment de l'histoire de l'art où un nouveau paradigme s’est établi. En fait, son
oeuvre s’insère tout à fait dans la tradition de l'art moderne, concernant l'union inévitable
entre forme et contenu, laquelle est en fait celle de tout art. Rothko s’est, lui aussi, livré à
une quête incessante pour trouver les moyens plastiques pouvant exprimer un contenu
intangible. Alors que les évidentes transformations formelles qui se succèdent tout au long
de son oeuvre suggèrent des expérimentations stylistiques, leur intérêt ne répond qu’à
l’exigence de trouver une langue correcte et appropriée à l’expression de ce contenu, une
langue appropriée à l'expression d’un subject matter - le vrai fondement de l'art pour 8
Rothko, et ce qui doit caractériser toute volonté artistique. Ses évolutions formelles vers
l'abstraction contrastent avec une continuité de contenu qui embrasse son oeuvre dès ses
premières créations, œuvre qui peut globalement être définie par son contenu
essentiellement humain - un « human drama », comme il aimait à le dire. Pour notre part,
nous nous en tenons particulièrement à ce point de vue (que nous prenons donc aussi
comme le nôtre), circonscrivant ainsi la portée de notre interprétation de l'œuvre de
Rothko. Ainsi, non seulement nous pouvons diriger toute notre attention vers ce qui
favorise la mise en place d’une continuité cohérente dans les chapitres successifs de
Expression que nous prenons du préface à la deuxième édition de 1973 de El hombre y lo divino, de María Zambrano. 7
María Zambrano, El hombre y lo divino (Madrid : Fondo de cultura económica, 2007), 27.
Tel que Rothko le décrit dans ses écrits des années quarante publiés et édités par Christopher Rothko sous le titre The 8
Artist Reality. Philosophies on Art, le « subject matter » pourrait se comprendre comme le sujet ou contenu de l’oeuvre.
!4
notre thèse, mais cela nous permettra surtout de présenter le travail de Rothko en
respectant ce que nous pensons lui être propre.
Ainsi, le premier chapitre présentant son œuvre nous emmène « de l'abîme à
l'abstraction», ce qui constitue en fait notre principal objet d'étude. Avec les peintures
comme point d'appui nous devrons combiner dans le discours plusieurs niveaux
d'information, que ce soit des considérations à la fois relatives au contexte historique et
artistique, comme à sa propre trajectoire individuelle et personnelle. Il ne s’agit pas
simplement d’une présentation de l'artiste, laquelle pourrait toutefois trouver sa justification
dans la thèse, mais cette biographie est nécessaire tant la création artistique de Rothko
est inséparable de son existence. Laissant les œuvres guider l'analyse d'un point de vue
chronologique, nous distinguons et caractérisons brièvement les différentes étapes
créatives à travers lesquelles son oeuvre évolue.
Au cours des premières années, de 1924 à approximativement 1939, sa peinture est
toujours liée à un certain type de figuration. Cependant, le traitement abstrait en germe
dès cette première étape anticipe ce qui viendra ensuite. Quelque chose apparaît dans
cette phase précoce de formation auquel il restera fidèle : l’intérêt pour les états mentaux
ou émotionnels, voire existentiels. Dès ses premières oeuvres Rothko montre son intérêt
pour ce que nous pourrions appeler le sentiment humain. L’attachement à la vision
intérieure comme réalité expérientielle et non objective apparaît ici, et restera en vigueur
jusqu'à ses dernières toiles.
La décennie des années 40 apparaît pour beaucoup comme « la décennie décisive » 9
dans la carrière de Rothko. La succession de phases esthétiques à travers lesquelles il
passe démontre que l'artiste est en pleine ébullition, en pleine recherche pour la formation
d'un langage propre. Après ses années de formation, un Rothko plus mûr commence à
développer son oeuvre dans un deuxième grand moment, celui de sa peinture la plus
spécifique : les Multiforms (1946-1949). Ces toiles marquent la transition vers sa phase
classique purement abstraite et colorée. C’est au cours de cette expérimentation formelle
aux accents surréalistes très clairs - pendant laquelle (jusqu'à 1943) le mythe sera le
protagoniste principal de ses scènes picturales nouvelles, et l'automatisme se voudra un
exercice de libération (jusqu'à 1946) - que la peinture de Rothko s’aventurera sur de
Nous reprenons le titre du catalogue de R. Collins, ed., Mark Rothko, The Decisive Decade 1940-1950 (Nueva York : 9
Skira Rizzoli, 2012).
!5
nouveaux sentiers desquels il ne reviendra plus jamais. Les découvertes inaugurées à ce
moment ouvriront le chemin, en 1946, à des œuvres qui touchent à l'abstraction d'une
façon de plus en plus affirmée. Et il en sera ainsi jusqu'à 1949, moment où elle sera traitée
de façon pure, comme ce sera le cas ensuite dans son étape considérée comme
classique, et jusqu'à ses dernières œuvres. Sous l'influence du surréalisme, donc, le
mythe et l'automatisme lui serviront à trouver une forme d'expression simple pour la
pensée complexe qui fonde son art.
De son point de vue il était inévitable que la forme fût abstraite dès lors que ce que l'on
essayait d'exprimer l'était également. C'est pour cela que l'expression la plus intense de
l'idée doit être abstraite, comme Rothko finira par le découvrir complètement dans les
Multiforms qui suivent la période automatiste, et dans les toiles de forme plus déterminée
de son œuvre ultérieure. Autrement dit, libérée des limitations de la figuration et de son
attention pour le détail de ce qui est objectif, la forme abstraite serait susceptible de
révéler de façon plus évidente une abstraction du contenu. C'est ce dernier aspect - un
sujet abstrait - qui motivera en réalité les artistes américains, plutôt que le langage abstrait
ou l'abstraction elle même, dans la mesure où c'est ce contenu qui détermine la forme.
Dans la nécessaire rénovation du langage, l'abstraction est découverte comme le véhicule
qui atteint l'élimination de tout obstacle opposant des difficultés à l'expression de
l'expérience d'être humain. De telle sorte que cette approche de l’abstraction ne fera que
réaffirmer la plasticité et le subject matter comme alliés. Ne faisant qu’un avec le contenu
qu'elle exprime, de par sa capacité émotive, l'abstraction est ce nouveau langage qui
permettra aux futurs expressionnistes abstraits de trouver leur propre moyen d'expression.
L'abstraction deviendra ainsi le moyen expressif à la fois le plus universel et le plus
immédiat au moment de communiquer ces états de l'âme partagés par tous. Cette
approche ouvrira le chemin à plusieurs des artistes de cette génération vers une
séparation progressive du figuratif au profit du pouvoir de l'abstraction lyrique, non dans
un sens formel ou simplement plastique, mais en vertu de ce qu'elle est capable de
transmettre quand elle s'unit au contenu exprimé.
C’est pourquoi considérer l’œuvre de Rothko seulement d'un point de vue formel n’aurait
d’autre effet que de la transformer en cela auquel il a toujours cherché à échapper. Le
point de vue formel l’intéresse en tant qu'il exprime un contenu, lequel est réellement ce
qu'il veut faire de son art. Bien que le moyen pictural motive une recherche prolongée tout
!6
au long de sa carrière, celui-ci doit être compris comme le véhicule nécessaire à cette
signification incarnée. Dès lors, toute étiquette formelle lui déplaisait et lui faisait penser
que son œuvre n'était pas tout à fait comprise. C'est justement pourquoi il est
indispensable de comprendre que l'abstraction et la couleur sont des moyens pour arriver
à une fin et non pas une fin en soi. Elles sont le langage qui permet à l'artiste d'exprimer
les idées dans sa peinture ; la plasticité du subject matter. Il serait donc réducteur et faux
de croire que la recherche de Rothko était quelque chose de formel. Si les moyens
plastiques ne sont pas traités comme des fins en soi, nous devons donc comprendre que
ce qui détermine et caractérise son œuvre c’est le fait que ceux-ci sont en réalité ce qui lui
permet de déployer une plasticité rendant possible une expérience.
La plasticité que Rothko met en pratique est tactile, comme il la définit dans ses écrits des
années 40. Elle s’oppose à la plasticité visuelle, fondée sur les apparences du visible.
C'est grâce au traitement abstrait et à l'importance concédée à la couleur, que les autres
éléments plastiques peuvent aussi surgir. C'est eux qui, créant des volumes sur la toile
selon une dimension tactile et non visuelle, sont capables d'évoquer la complexité de sens
dans l'œuvre de Rothko. La position des formes, leur composition en relation les unes
avec les autres, ainsi que la touche ou les différentes modulations de la texture sur la toile,
ont aussi une charge émotive et symbolique qui détermine son effet sur nous. Bien
qu'elles soient ambiguës ou indéterminées, il y a des correspondances, des associations
entre ces formes visibles et le sentiment de celui qui les regarde. Son œuvre doit
beaucoup à l'espace, à la création de densités et d'atmosphères indéterminées,
brumeuses, apparaissant à mi-chemin de la visibilité, fragiles par moments. Ce sont ces
traits plastiques qui rendent possible l'expression du contenu et ce qui détermine ce
contenu comme l'humain.
Jusqu'à sa mort, l'artiste luttera ainsi sans relâche, jouant avec les possibilités artistiques
du milieu pictural. Auparavant, grâce à une confiance en soi croissante et une
reconnaissance sociale et institutionnelle de plus en plus importante, se met
progressivement en place dans son œuvre cet effet éminemment désiré d'interaction avec
le spectateur. Ce second Rothko, le peintre des peintures murales, celui des cycles de
peintures, cherchera à créer des atmosphères.
!7
On peut donc dire qu'il y a un avant et un après 1949 au niveau formel. De sorte que nous
pouvons penser son oeuvre selon deux étapes : un premier éveil artistique au contact
d'autres jeunes artistes, ses premières œuvres et la quête d’un langage propre dans une
phase de transition ; et d'autre part, une deuxième grande étape de maturité stylistique,
déjà insérée dans l'expressionnisme abstrait où, après divers tâtonnements, il trouvera
enfin la forme satisfaisante qu’il cherchait ; c’est le moment de ses oeuvres classiques,
celles pour lesquelles il est principalement connu. C’est au cours de cette période que se
trouvent les Sectionals (1949-1957), les Seagram murals (1958—1959), les Harvard
murals (1962) ou la Rothko Chapel (1965—1967), où la couleur envahit la toile à la
manière du « color-field». Ce dernier est considéré comme la plus grande réussite de la
carrière de Rothko et l’artiste lui-même semblait le reconnaître. Conçue en 1964 et
installée à Houston, la Rothko Chapel fut une grande opportunité pour Rothko de moduler
l'expérience du spectateur à plusieurs niveaux grâce à une atmosphère où tant les
œuvres picturales que l'espace architectonique étaient focalisés vers une même finalité.
C’était là l’ouverture d’un horizon longuement désiré par l’artiste.
Dans la découverte progressive selon laquelle notre investigation s’est construite, le
parcours que nous avons suivi s’est tramé de manière quelque peu différente de celle
initialement prévue. Pour cette « peinture de l’invisible », nous espérions trouver des outils
d’interprétation dans les postulats de la phénoménologie française du XXe siècle , dès 10
lors qu’elle partage une même fascination pour ce processus énigmatique de l'art dans
l'une de ses aventures modernes. Mais, bien que la méthode phénoménologique soit
indispensable pour partir de l'objet artistique comme phénomène qui nous ouvre au
monde, l'analyse a été reformulée en fonction des besoins spécifiques de l’œuvre de
Rothko.
A cet égard, des considérations importantes sur la présence du sublime dans son oeuvre,
- allusions réitérées ou sous-entendus habituels des analyses des plus éminents
spécialistes de cette oeuvre - se sont avérées inévitables dans ce même premier chapitre.
Robert Rosenblum qui est allé le plus loin dans cette voie, notamment avec son article
« Abstract Sublime », ou son livre La peinture moderne et la tradition du Romantisme
Nous pensons spécialement au cercle formé par Jean-Luc Marion, Alain Bonfand y Michel Henry.10
!8
nordique, constitue une références obligée. Plonger dans une philosophie du sublime 11
nous amenait à trouver un angle qui mérite d’être analysé encore en profondeur. Le
sublime révèle des impressions et sentiments proches, croyons-nous, de ce qui nous
arrive devant une oeuvre de Rothko. Ainsi, cela nous permet de nous situer dans une
perspective qui n’est pas fondée sur l’idée de la beauté, car celle-ci ne suffirait pas à
rendre compte de la dignité de cette expérience. L’oeuvre de Rothko s’impose et nous
soumet, nous laissant parfois impuissants. Objet et sujet se confondent, signifiant et
signification se dissolvent en brouillant les frontières entre extérieur et intérieur, entre
transcendance et immanence. Ainsi, pour compléter l'étude de son oeuvre dans ce
premier chapitre, nous serons portés à analyser la façon dont le sublime pourrait être
convoqué dans les toiles de Rothko, en particulier dans sa deuxième étape créative de
maturité stylistique, qui représente aussi celle de sa consécration.
En effet, le sublime est devenu l'une de nos principales lignes d’analyse. Dans cette
perspective, les études de Baldine Saint Girons nous ont guidé jusqu’à la découverte 12
« des risques du sublime » que l’on peut repérer dans la peinture de Rothko. Nous
suivons en ceci l’exposée de B. Saint Girons, notamment dans Fiat Lux, Une philosophie
du sublime. Sa mise en scène, soit des principaux théoriciens, soit des thèmes
fondamentaux du sublime, est pour nous essentielle. Bien que cela nous amène à
considérer la tradition du sublime, nous n’avons pas de prétention exhaustive du point de
vue historique. Évidemment le manque de place limite notre choix. C’est dans son sens
moderne, celui de Burke et Kant, que le sublime est particulièrement intéressant pour
notre but.
Cependant, si nous prenons en considération les différentes modulation du sublime tout
au long de la tradition, il n’est pas ici question de savoir quel sublime convient à Rothko,
mais bien plutôt quelle « sublimité » (dans les termes de Pedro Aullón de Haro ) se 13
configure à partir de son oeuvre. Notre but sera donc ici de caractériser le sublime ou,
mieux, la sublimité telle qu’elle est présente chez Rothko. Il faudra donc trouver le
traitement approprié susceptible de définir le sublime sans trop le délimiter, en respectant
Pour sa part, John Golding a aussi traité la question dans Caminos a lo absoluto (Madrid : Fondo de cultura 11
económica Turner, 2003) et nous pourrons encore citer d’autres auteurs tels que Stephen Polcari, Abstract Expressionism and the Modern Experience (Cambridge [etc.] : Cambridge University Press, 1991).
Spécialement Le Sublime de l’Antiquité à nos jours (Paris : Desjonquères, 2005) et Fiat lux. Une philosophie du 12
sublime (Paris : Quai voltaire, 1993).
Pedro Aullón de Haro, La sublimidad y lo sublime (Madrid : Verbum, 2006).13
!9
son propre mode d’apparition. Il faudra voir enfin si une éventuelle réappropiation ou
redéfinition du sublime est concevable à partir de l’oeuvre de Rothko et, par conséquent,
si pouvons caractériser « un sublime » contemporain.
Pour ce faire, nous adoptons une perspective qui vient souligner la dualité marquée dans
notre étude de l’oeuvre de Rothko : d’une part une réflexion sur les éléments plastiques et,
de l’autre, un contenu exprimé par eux. Nous nous centrons tout d’abord sur le langage
formel, prenant en compte le fait que dans la rencontre avec l’oeuvre d’art, c’est cela qui
capte notre vision. Dans un premier moment, c’est l’oeuvre, avec ce qu’elle a de visible,
qui nous interroge, nous amenant à la regarder, nous soumettant à elle dans la
configuration que l’artiste en a donnée. En ce premier moment, on se laisse emporter par
les sensations sensorielles et affectives de la plasticité. Nous parvenons ensuite à un
deuxième moment où les risques permettent de penser son sens symbolique. 14
Il est important d’insister sur le fait que le sublime repose sur une relation complexe entre
la douleur et le plaisir. S’il est vrai qu’à partir de Burke le terrible est un principe
prédominant du sublime, il est pourtant cause nécessaire mais pas suffisante. En effet, le
sublime ne saurait être seulement la peur et l’horreur d’un premier moment de douleur et
de terreur ; il ne peut pas être seulement le terrible. C’est pourquoi il est fondamental de
souligner que dans le sublime existent deux temps. Il faut le penser d’une façon plus large
à partir d’une dialectique qui pourrait se caractériser dans un premier moment par
l’absence de plaisir : la perte face à la démesure, l’annulation de nos repères aveuglés,
l’impossibilité de comprendre ce qui se donne à nous entre une simplicité semblant nous
appauvrir et un sentiment perturbant de dessaisissement. Nous passons par un choc qui
nous paralyse. C’est le terrible dans sa dimension menaçante, incarnant le sublime
comme risque. Après la soudaine paralysie des forces vitales, apparaît un deuxième
moment cependant, où se produit un débordement de ces mêmes forces vitales qui
ressurgissent désormais revivifiées, capables dès lors de recouvrer un sens nouveau.
Nous pouvons donc dire que ce premier moment des risques que nous traitons, dans la
configuration plastique des oeuvres, peut être identifié avec le premier temps du sublime ;
ce serait ce moment de la dialectique avant la satisfaction. Le risque de laideur rend
Ce schéma ne prétend pas diviser causes et effets, puisque nous nous sommes interdit de le faire. Au contraire, il 14
souligne leur lien indéniable. La division ne serait ici pas tant entre causes et effets, comprenant que les deux sont présents dans ce premier moment, mais plutôt entre la plasticité et ses effets et un contenu exprimé par elle, métaphorique.
!10
évident d’une façon générale le risque, car le laid coïncide avec le sublime en annulant le
bien-être de la beauté. La caractérisation de la laideur évoque le premier moment où le
sublime peut certainement s’identifier avec le terrible, où il n'y a pas de place encore pour
l'état paisible du beau. D'autres risques évoquent un premier moment douloureux dans
l'appréhension du sublime, comme dans l’oeuvre de Rothko. Il y a alors une suspension
des certitudes produite par la façon dont une altérité - objet ou œuvre d’art - se donne à
nous et se fait sentir. Nous devons comprendre cependant que, compte tenu des risques
du sublime, nous ne sommes pas seulement perdus, dépassés, désorientés ou aveuglés ;
nous ne sommes pas uniquement dégoûtés ou perturbés, même si tout d'abord nous
passons nécessairement par cela. Il s’agit de penser que le sublime provoque cet effet
premièrement pour nous captiver (au sens étymologique du terme), de la même manière
qu'une peinture de Rothko nous déstabilise et nous captive par l'élimination de toute autre
distraction.
Sans aucun doute, le sublime ne peut être réduit à un contenu seulement désagréable ou
répugnant. Un plaisir advient, qui ne nous laisse avec le sentiment de danger et de
menace que dans un premier temps où nous ne sommes pas prêts à une compréhension
ou une reconnaissance placide ; mais cela est ensuite dépassé une fois que nous
sommes prêts à assumer la richesse et la complexité voilées. C’est en ce sens que le
second temps devrait être caractérisé comme un moment où nous sommes capables
d'entrevoir un sens. Nous identifions un sentiment de ce qui nous est suggéré. Un contenu
métaphorique se révèle, nous rapprochant de sa compréhension, découvrant une
direction, une voie qui s’ouvre devant nous. La subjectivité est exaltée, une prise de
conscience nous élève à un état supérieur où se situe l'ordre de l’essentiel, et nous
voyons comme nous ne savions voir auparavant. Ainsi, nous pouvons nous orienter vers
une satisfaction propre à l'expérience du sublime et qui fait de lui un plaisir, bien que
négatif. C’est pourquoi le sublime exerce une conversion de valeurs, du terrible en valeur
esthétique.
Cependant, il ne faut pas penser le deuxième moment, qui s’oppose au premier de
douleur et perte, de désorientation et dessaisissement, comme une expérience placide où
tout est devenu entièrement accessible. Dépassé le premier moment beaucoup plus
explicite de menace et de risque, le deuxième moment d’identification de sentiments et
d’émotions en nous ne se produit pas comme un simple plaisir. Ce que nous pouvons
!11
discerner n’est jamais clair et évident, complètement dicible ou pensable. Ce n'est ni
facile, ni placide, ni même beau ; la satisfaction est plutôt celle d'accéder à un autre type
de vérité. Le sublime, comme l'art de Rothko, ne nous laisse avec aucune évidence autre
que celle de se sentir touchés.
Ainsi, le sublime est source d’un dessaisissement saisissant en deux temps. Le premier 15
fait référence à notre impossibilité à saisir, à comprendre ce qui apparaît, comme nous
l’avons vu à propos du terrible. Nous devons accepter que quelque chose nous prenne,
qui est insaisissable ; accepter aussi l’idée que nous sommes nous-mêmes dessaisis par
cette chose. Cependant, l'expérience globale du sublime n’est pas identifiée de manière
unique à cela. Cela ne nie pas le deuxième moment où, captifs de la révélation qui
émerge, un sens se dégage, compensant ainsi notre expérience. La conversion de
valeurs du sublime permet de nous réorienter vers une satisfaction grâce au sens
symbolique qui se révèle comme le message ou le contenu de l’œuvre d’art.
Si l’on s’attache quelque peu à la dialectique de ces deux temps, il devient inévitable de
penser à la relation possible entre le numineux et le sublime. En effet, le numineux est 16
aussi insaisissable que le sublime. Il est présenté comme un mystère car il découvre ce
qui nous est inconnu, nous désoriente et nous dépasse. En ce sens il est posible
d’assimiler le mysterium tremendum qui lui est propre à la dimension terrifiante du
sublime. Il nous effraye sans que nous puissions résister à la puissance majestueuse et
obscure à laquelle nous faisons face. Le numineux pourrait alors être ce deus absconditus
qui ne se montre pas accessible, toujours caché dans le mystère. Sous son aspect
terrifiant il pourrait être aussi le Dieu de la Pentecôte qui, dans l’Ancien Testament, montre
une colère sans mesure. Cependant, le numineux est aussi un mysterium fascinans, qui
nous attire bien qu’il nous terrifie. C’est dans ce deuxième moment qu’il recouvre la
signification du sublime, quand un plaisir est possible, même s’il reste négatif en raison de
la douleur première. Il en va d’une expression de même nature dans l’art avec le sublime.
Ce serait, comme permet de le penser Rudolf Otto, le moyen par lequel exprimer ce qui
est à la fois repoussant et tout aussi attrayant. De telle sorte qu’en comprenant le sublime
Vaguement anticipé par Georges Bataille, cette notion du « dessaisissement » est élaborée par Pierre Kaufmann dans 15
L’expérience émotionnelle et reprise dotée d’une nouvelle ampleur par Baldine Saint Girons. L’effet serait d’être saisi par un dessaisissement saisissant mais aussi saisis par un saisissement dessaisissant.
Le « numineux » est décrit par Rudolf Otto dans Lo santo. Lo racional y lo irracional en la idea de Dios (Madrid : 16
Alianza, 1980).
!12
comme risque, mais en comprenant aussi que son expérience est due à une dialectique
dont il ne peut sortir, nous concluons cette première réflexion en pensant le sublime
comme perte et gain d'un autre ordre.
Reprenant l’un des thèmes que nous annoncions au début, il s’agit d'analyser le mode
propre d’apparition du sublime chez Rothko - sa sublimité. Nous achevons donc cette
réflexion en caractérisant le sublime dans son oeuvre et, si possible, un sens du sublime
contemporain duquel elle participe. Pour ce faire, nous utiliserons le texte de B. Newman
Le sublime est maintenant publié en 1947 lorsque les deux artistes, encore très proches,
se retrouvent dans un processus analogue de reformulation et de redéfinition. Le texte 17
de Newman nous permet d’approcher un sens du sublime partagé par Rothko et de
comprendre que le sublime et l’abstraction s’élargissent et enrichissent mutuellement en
caractérisant la peinture contemporaine, lorsque sa volonté est celle d’exprimer un Absolu
transcendant.
Sur la base de ce parcours que nous estimons nécessaire, dans le deuxième chapitre
nous adoptons un point de vue éminemment esthétique. Nous avons déjà appris que
l’oeuvre de Rothko appelle nécessairement ce point de vue. L'insistance sur le subject
matter et le désir de trouver une forme susceptible de l’exprimer nous ont montré sa
volonté de communiquer l’émotion au spectateur. Nous avons également vu en ce sens
que la précision et les exigences concernant le mode de présentation de son oeuvre
venaient rejoindre cet anhèle, créant les conditions adéquates pour que l'effet de l’oeuvre
soit effectif chez l'observateur. Rothko avait comprit qu'une fois terminée, une peinture
appartenait au spectateur dont elle avait affecté la conscience, comme une forme de
révolution sociale. En effet, il peignait moins pour découvrir quelque chose en lui - et en ce
sens son art ne répondait pas à un désir autoréférentiel - que pour dévoiler au spectateur
sensible une réalité, commune et partagée. Cette oeuvre devait l’amener à une
compréhension primordiale et essentielle, même si parfois d’accès difficile.
Le texte de Newman est considéré comme le point culminant de l’investigation théorique et picturale de l’artiste 17
pendant le décennie de 1940. Pendant une longue pause picturale, Newman commençait à écrire probablement pour compléter son programme esthétique. Dans l’année 1948, quand il peint Onement I (son premier zip), il est prêt pour retourner à la peinture avec une unité nouvelle, prêt pour recommencer sa carrière artistique et cela grâce au sublime et à une abstraction beaucoup plus pure. Dans les années 40, Rothko avait laissé le pinceau (ou plutôt la brosse) pour élaborer dans l’écriture une sorte de synthèse de ses idées sur l’art. Ce n’est que dans les dernières années de cette décennie qu’il se lance dans les grands formats et dans l’abstraction proprement color-field.
!13
Le sublime fait preuve d’une même exigence lorsqu’il apparaît. Une causalité circulaire
invite à penser l’effet produit sur le spectateur, quand il se sent touché par lui. Si nous
croyons que dans l’oeuvre de Rothko le sublime nous capte dès lors qu’il se fait ressentir -
possibilité révélée par l'analyse précédente, notamment à partir des risques que son
oeuvre convoque - alors, le point de vue esthétique que nous adoptons est justifié,
l’oeuvre révélant un sens en même temps qu’elle se révèle à nous.
Lumière nuitale de l’âme ; Vers une expérience mystique? est un chapitre qui s’ouvre sur
la convergence apparente entre esthétique et mystique, lorsqu’elles semblent coïncider en
une expérience analogue. L’analyse qui suit s’attache donc aux différents moments de
l’acte esthétique en s’enfonçant dans un étude qui prétend révéler le rapport possible
entre, d’une part l’oeuvre de Rothko et le nécessaire acte esthétique qu’elle exige, et la via
mistica d’autre part. Comme nous le disions, nous entreprenons cette nouvelle voie
d’interprétation avec l’intention de caractériser ce processus esthétique nécessaire, et en
élaborant à cet effet un mode approprié à l’approche des oeuvres de Rothko. Il s’agit de
créer en définitive une herméneutique qui lui soit propre et qui nous permette d’adopter
l’attitude que les oeuvres de Rothko exigent de nous, mais aussi, par extension, certaines
œuvres d'art contemporaines.
Le sublime, comme nous venons de le souligner, entraîne la réflexion vers la découverte
d'autres horizons de sens possibles. En effet, le sublime fait montre d’une ambivalence,
d’une richesse et complexité, qui pourraient nous amener à l’aborder depuis d’autres
sphères de la pensée. Ainsi, la réflexion sur le sublime anticipe l’autre grande perspective
qui nous guide : la religion. Relation que nous pressentons grâce au sentiment du
numineux. C’est en grande partie grâce au numineux en effet que la relation entre le
sublime et la mystique s’anticipe comme possible. L'appréciation du mystère, à la fois
terrible et fascinant, que le sublime et le numineux partagent, peut nous conduire vers une
approche religieuse, nécessairement mystique. Il faut comprendre que le mystère de l'être
a été le fondement principal de la théologie mystique, qui s’est séparée du dogme en
prônant l'expérience intime et personnelle ne connaissant pas de médiations, se
rapprochant plus du sentiment que de l’entendement. Dans son désir d’Absolu, elle a su
révérer l'irrationnel et l'ineffable, témoignant d’une révélation spirituelle d’abord
existentielle. C’est ainsi que nous ouvrons vers de nouveaux horizons grâce auxquels
nous pensons compléter notre étude, élargissant ses résonances et établissant de
!14
nouvelles relations susceptibles de caractériser cet acte esthétique du sublime susceptible
de se produire avec les œuvres de Rothko. 18
Nous le faisons en nous appuyant sur les études d’Amador Vega comme point de départ 19
fondamental, car elles sont centrales pour penser l’oeuvre de Rothko depuis une
esthétique de la négativité fondée dans la théologie mystique apophatique. Nuit obscure
de l’âme de Saint Jean de la Croix évoque ainsi les phases de la mystique, poème qui
nous servira à présenter les nuits structurant notre analyse et que nous avons nommées
« Nuit Purgative », « Nuit illuminative », « Nuit Unitive » auxquelles nous ajoutons « Nuit 20
formative ». De sorte qu’il sera nécessaire de trouver une articulation dans le discours afin
que ces deux grandes lignes d’interprétation puissent coïncider sans se nier, tout en
soulignant leurs ressemblances et leurs dissemblances. Ainsi, nous en arriverons à
déterminer si, comme nous le soupçonnons, l’acte esthétique du sublime que requièrent
les oeuvres de Rothko peut dévoiler l’expérience qui se reflète dans la mystique. Nous
nous demanderons ainsi de manière plus générale, si, en quelque sorte, expérience
esthétique et expérience religieuse peuvent produire une émotion analogue dans l’art du
XXe siècle.
Nous partons de l’oeuvre d’art - provocation tout comme le monde l’est aussi - et de notre
rencontre avec elle. Et de là, de la sollicitation, de l’invocation du sensible, à l'acceptation
du défi et à l’acte plus ou moins conscient de poursuivre le jeu par la voie de la négation.
La nuit nous guide à travers différents moments où elle se révèle tout d’abord comme
l’obscur et secret, comme la destination d’une fuite nécessaire face à une oeuvre de
Rothko. Nous devons nier tout ce que nous savons, sortir de la sphère de la conscience
sans chercher à voir sur la toile quelque chose déjà connu, sans rien identifier encore.
C’est ce qui est exposé dans la « Nuit purgative » en lien avec l’apophatisme théologique.
Il ne s’agit pas d’une étude exhaustive sur la mystique, qui pourrait sûrement dévoiler beaucoup d’autres relations 18
avec l’oeuvre de Rothko. Nous nous limitons à notre volonté de découvrir le lien qui peut exister entre la mystique et l’acte esthétique du sublime. D’autres relations possibles entre Rothko et la mystique pourraient être traitées dans un étude ultérieure.
Spécialement dans Sacrificio y creación en la pintura de Rothko. La vía estética de la emoción religiosa (Madrid : 19
Siruela, 2010) et Arte y Santidad. Cuatro lecciones de estética apofática (Pamplona : Cátedra Jorge Oteiza, Universidad Pública de Navarra, 2005).
Nous nous permettons de créer ce mot, qui existe déjà dans d’autres langues, pour maintenir le son des trois sections 20
qui se présentent ensemble sous une même logique. « Illuminative », alors, comme en espagnol, devrait se considérer comme « ce qui est capable d’illuminer ».
!15
Ainsi seulement nous arrivons à un état supérieur et purifié, où la nuit révèle une lumière
sombre qui commence à briller de façon propre. Notre regard est renouvelé. C’est ce que
nous traitons dans la « Nuit illuminative » où l'œuvre d'art commence à être vue d’une
autre façon, nous invitant à nous tourner vers notre intériorité, où nous trouverons des
réponses. Alors, peu à peu, nous voyons différemment, nous voyons ce que l'obscurité
laisse voir, comme nous l’expliquons avec la troisième des nuits, la « Nuit unitive ». La nuit
est ici le moment d'union, d'extase mystique, dans lequel une unité de sens peut être
révélée, même si elle n’appartient pas à la raison et que nous ne pouvons pas encore lui
donner un nom. Une vérité profonde et mystérieuse apparaît, disparaissant lorsque nous
essayons de la saisir, nous débordant tout en nous affectant. Nous devons passer par un
dernier moment, celui de la « Nuit formative » où nous avons besoin de traduire notre
expérience dans un langage, de la réduire pour nous l'approprier et pouvoir connaître ainsi
une véritable expérience de ce qui est arrivé. La nuit des formes abstraites où l’oeuvre
s’est originée devient une pensée. Elle est également abstraite et libérée, il n’y a en elle
rien que nous pouvons sentir sans énigme, mais nous savons maintenant que ce mystère
n’est rien de plus que celui de la vie, celui de l’existence. Rothko définissait comme human
drama ce sentiment basique et complexe permettant de nous orienter. Ainsi peut-on
résumer ce processus par lequel le spectateur doit passer comme un même processus
actif. Un travail est à effectuer, et une transformation du sujet qui subit certaines épreuves,
parfois douloureuses, s’ensuit permettant d’atteindre finalement une compréhension d’un
autre ordre.
Le sublime est quant à lui un des véhicules privilégiés des œuvres de Rothko, révélant
son propre mode d'apparition ainsi qu’une connexion avec la mystique à la fois par son
dépouillement et cette incapacité à le penser dans le choc du premier moment de la
dialectique qui lui est propre. Si nous présentons un même effort et une même
récompense entre la perte et le gain par lesquels nous sommes finalement transformés,
cela indique la relation susceptible d’être tracée entre le sublime et un acte esthétique
comme celui que nous présentons. De sorte que l'acte esthétique - du moins celui de
Rothko, spécialement dans son étape classique - demande de nous une attitude qui n’est
pas sans un certain parallélisme avec l'expérience mystique décrite par la théologie
apophatique, la mystique chrétienne de racine néoplatonicienne et la patristique. De
l'émerveillement et de la contemplation dans la suspension de toutes les connaissances
(de la purgation comme purification) vers la compréhension élevée où l’union avec l'idéal
nous capte et nous dessaisit. !16
Le deuxième chapitre pose donc les bases d’une élaboration de ce guide esthétique pour
vivre l’oeuvre de Rothko ; dans le troisième et dernier chapitre, nous nous réapproprions
ce qui a été exposé pour l’illustrer avec l'analyse de la Rothko Chapel. Notre intention est
de faire entrer en conversation un type d'acte esthétique exigé par certaines œuvres
relevant du sublime et l'approche mystique, de les faire converser afin de créer un espace
intermédiaire où les œuvres de Rothko peuvent trouver leur place. Ainsi, notre objectif
principal de construire une herméneutique appropriée pour regarder ses oeuvres trouvera
un aboutissement, non pour expliquer leur sens, mais pour apprendre à le sentir. L’art
imprégné de sublime nous convoque, comme nous l’avons vu, dans une contemplation
méditative, un silence apparent - les yeux fermés désormais tournés vers l’intérieur - , ce
qui conduit enfin à une révélation. Il nous semble donc que ce qui caractérise proprement
l’expérience esthétique du sublime peut trouver des parallélismes intéressants dans
l'expérience mystique. Mais pour constater cela d’une façon encore plus déterminée nous
devrons passer par l’analyse du troisième et dernier chapitre de la thèse. Le sens de cet
acte esthétique mystique trouvera, grâce à l’étude approfondie de la Rothko Chapel, toute
son amplitude, ce qui permettra de suivre en l’approfondissant la voie présentée ici et
d’avancer de possibles réponses.
Le dernier chapitre de la thèse concerne donc l’étude approfondie du dernier grand projet
de Rothko, lequel est aussi le point culminant de sa carrière artistique. De sorte que,
exemplifiant les différentes « nuits » ou étapes par lesquelles nous comprenons que nous
devons passer pour regarder les oeuvres de Rothko, nous cherchons non seulement à
démontrer un mode approprié à la confrontation de son oeuvre dans la Chapel - mode
confirmant notre hypothèse initiale -, mais aussi à nous rapprocher d’une pratique
respectant le nouveau jeu de l'art contemporain. Nous fermons ainsi le cercle initié dans le
premier chapitre de la thèse en retournant aux œuvres mêmes, à notre objet d’étude
principal et au grand héritage de tout artiste.
La Chapel crée un environnement qui demande notre engagement, un rapport à l'espace
répondant à l'impératif auquel il nous soumet. Le défi de Rothko à la Chapel était d'aller
au-delà de ce qu'il avait réussi à exprimer avec quelques unes de ses peintures
individuelles en amplifiant l'intensité de son œuvre par l'effet de l’ensemble. Nous pouvons
considérer que dans la Chapel les risques du sublime sont portés à un point maximal.
!17
Cela est évident de par la taille réelle des panneaux, l'obscurité plus obscure que jamais,
la simplicité de leur apparence et le sentiment de perturbation qui saisit à l’entrée.
Or, après la contemplation prolongée, survient ce deuxième moment d’union et connexion
avec une vérité profonde et intérieure qui fait de notre expérience une rencontre avec le
plus humain en nous. Les œuvres de la Chapel ont en effet le pouvoir de créer un vide qui
peut être un tout, mais il dépend de nous de l'accepter. Nous devons apprendre que l'art
n'est pas un code à déchiffrer afin d’obtenir un message clair, bien que cette liberté ne
veuille pas dire que les œuvres sont vides. Elles démontrent tout simplement une flexibilité
suffisamment puissante pour nous attirer et nous terrifier sublimement, mais aussi
suffisamment libre pour nous laisser être avec elles. Malgré ce manque d'instructions ou
ce qui ressemble à un manque de substance dans ses œuvres (car elle peut avoir
plusieurs visages à la fois), il ne faut pas oublier que Rothko ne pouvait penser un art sans
subject matter. L'indifférence les annihilerait. On peut s'émouvoir et attribuer cette émotion
à ce que chacun veut voir dans l’œuvre, mais non pas rester indifférents. Cette
dangereuse liberté se dégage de quelques commentaires de Rothko où il ne nie ni
n'affirme qu'il puisse y avoir dans ses peintures un contenu sacré ou peut être profane. Il
nous demande une disposition permettant de nous donner et de nous ouvrir à cette
présence active du vide susceptible ensuite de nous émouvoir. La réponse consiste à
laisser surgir en nous, laisser résonner les œuvres et transformer ce silence en voix la
plus puissante.
Peut-être la leçon est-elle ici de nous connaître mieux nous mêmes, connaître ce qui est
en nous. La Chapel devient un véhicule par lequel nous laissons affleurer ce sentiment
existentiel. C'est la grande opportunité, et le grand risque aussi, que la Chapel et l’œuvre
de Rothko nous offrent. L'acte esthétique est à la fois un processus qui implique de
repenser la manière dont nous regardons l’œuvre d'art et une quête de sens existentiel. 21
En définitive, dans la Chapel le sentiment qui prend le visiteur est spirituel ; nous pourrions
même penser qu’il est religieux, même s’il va au-delà de toute religion déterminée. Nous
pourrions assumer qu’il s’agit d’une religiosité séculaire et cela serait concevable en
comprenant le processus de sécularisation de la Modernité telle que le présente Mark C.
Taylor. Grâce, en grande partie, à la Réforme protestante de Luther, Modernité et
C. Rothko, Mark Rothko. From the Inside Out, 162. 21
!18
Postmodernité sont basées sur une spiritualité intime, sans la médiation de l'Eglise.
Privilégiant l’expérience individuelle, la foi a été privatisée, l'expérience religieuse a été
humanisée. Taylor nous fait réaliser que le processus de sécularisation est né avec le
sujet moderne. Cependant, il nous avertit qu'un tel processus ne s'oppose pas à la religion
en Occident, mais qu’il lui est interne. De même, Mircea Eliade nous dit que « la
disparition des “religions” ne signifie en aucune façon la disparition de la “religiosité” ». 22
Le sujet moderne ou post-moderne est donc religieux mais séculaire, comme l'ont montré
philosophie et art, lesquels sont liés à une transcendance spirituelle qui est religieuse,
mais athéologique. Nous devons comprendre que le sens ultime d'une approche mystique
comme nous l'avons présentée est éminemment spirituel. La théologie mystique a
toujours supposé une critique de l'institutionnalisation de la religion, et cela à partir de la
religion elle-même. Elle plaide pour la liberté et la libération de l'esprit qui ne s’origine que
dans le plus profond sentiment intérieur, comme chez Luther.
De sorte que Rothko réussit à nous faire sentir une religiosité qui est moderne car elle part
de cette même expérience intime et individuelle, comme celle requise pour regarder son
oeuvre. Nous devons la vivre sans autre médiation que notre propre intériorité. Il y a eu,
comme le signale Rosenblum, un déplacement iconologique qui, de fait, est une
dissociation double allant dans le sens de Eliade : le spirituel devient présent dans le
profane ; et le profane, à son tour, devient un nouveau véhicule pour nous parler de la
transcendance. Cela répond à ce qu’Amador Vega a exprimé comme une « crise des
moyens traditionnels de représentation dans la Modernité ». En effet, les langages 23
religieux traditionnels sont devenus incapables de découvrir la sacralité de nos jours,
laquelle est enfouie dans le profane.
Le besoin d’exprimer un absolu, un « règne transcendantal », n’a pas disparu mais il s’est
trouvé d’autres modes d’apparition dans l’abstraction et le sublime. L’art contemporain,
comme celui de Rothko, a su être abstrait et spirituel ; ou plutôt, abstrait parce qu'il est
spirituel et spirituel parce qu'il est abstrait. Le visible doit désormais être capable de nous 24
emmener vers l'invisible, de le suggérer, de vaincre les résistances comme celles que
nous opposons au sublime afin de favoriser un rapt émotionnel qui est aussi moins
Mircea Eliade, Lo sagrado y lo profano (Barcelone : Paidós, 1998), 12. 22
Vega, Arte y santidad, 23.23
Voir de Kooning, « Two Americans in Action : Franz Kline and Mark Rothko » (1958), dans de Lima Greene, ed. 24
Mark Rothko : An Essential Reader, 67-69 (Houston : The Museum of Fine Arts, 2015).
!19
référentiel et plus libre. Chargée de faire advenir l’insoupçonné, la visibilité subit une
subversion, de telle sorte que l'image signifie différemment : « l’indicible devient
uniquement dicible contredisant les règles valides de la dicibilité, » dit Alois M. Haas. 25
Pour toutes ces raisons, nous pouvons dire que l’oeuvre de Rothko se situe en un espace
entre immanence et transcendance, entre l’ici et un au-delà invoqué par elle. Entre
présence et absence, cet art se montre matériel et immatériel en même temps. La
peinture moderne a l’habilité de parler des vérités métaphysiques, comme M. Merleau
Ponty l’avait affirmé. Sans oublier l'héritage de la tradition, l'œuvre de Mark Rothko est
totalement engagée dans le défi moderne de briser les frontières entre le visible et
l'invisible et de redécouvrir le sacré dans le profane.
Ainsi, cette religiosité séculaire permet de reformuler ce sentiment de sujet moderne et
contemporain qui peut être religieux, même s’il est quelque chose de plus essentiel et
fondamental, ne pouvant être enfermé dans un nom, sous une catégorie, une religion.
Une religion sans religion, une religion sans noms ou idoles ; une religion qui sait être
celle de tous sans perdre pour autant sa spiritualité. Une religion mystique, en définitive,
une religion séculaire, fondée dans le plus pur sentiment intime, radicalement et
essentiellement humaine, au sens où elle nous humanise. Il s’agit de constater un type
d’expérience touchant à la subjectivité, la sensibilité et l’émotion esthétique. C’est ainsi
qu’au-delà des cadres d'interprétation utilisés jusqu’à aujourd’hui quant à l'étude de
l’oeuvre de Rothko, il faut désormais de notre point de vue penser à ce qui se passe au
moment où nous sommes captivés par une oeuvre, et la façon dont nous pouvons
apprendre à la laisser surgir devant nous. Il convient donc de faire un pas de côté par
rapport à ces considérations, et explorer en profondeur ces chemins selon des angles
nouveaux, jusqu’à les amener à la croisée où ils se rejoignent.
C’est ainsi que nous avons pu également présenter cet acte fondamental par lequel nous
préparer à vivre l'œuvre. Nous avons indiqué des voies d'approche par lesquelles nous
apprenons à voir. Voir, en fin de compte, l’invisible du visible, parce que l'art « n’est pas là
pour être vu, mais pour voir ». À partir du trajet proposé dans les trois chapitres de cette 26
Alois M. Haas, Viento de lo absoluto. ¿Existe una sabiduría mística de la posmodernidad? (Madrid : Siruela, 2009), 25
35.
Bernard Rigaud, Henri Maldiney. La capacité d’exister (France : Éditions Germina, 2012), 112.26
!20
étude, nous avons appris à nous disposer adéquatement à nous laisser affecter, non
seulement devant les œuvres de Rothko, mais aussi devant un certain type d'art abstrait
contemporain. Comprendre, ainsi, que c’est en nous que nous devons chercher, en
permettant à la contemplation de se prolonger pour trouver la façon par laquelle laisser
l’oeuvre signifier en nous et pour nous. Le mystère de l'œuvre d'art n’est que celui de
l'expérience qui se crée de par son effet sur nous. C’est là la liberté et l'engagement qui
font partie de ce nouveau jeu de l’art.
Cette thèse, qui doit être comprise avant tout comme une étude de l’oeuvre de Rothko, se
présente comme un itinéraire où apprendre à préparer notre âme pour accueillir ce qui est
vécu en et par nous grâce à l’art. Cette disposition potentielle se trouve, croyons-nous, en
chacun des regards qui regardent les peintures, en chacun d'entre nous. Peut-être
contribuons-nous ainsi à éliminer le stigmate qui pèse sur les œuvres contemporaines, en
particulier abstraites, et pouvons-nous repenser l'acte esthétique que requiert l’art du XXIe
siècle. Comme les œuvres de Rothko, ce sont des Visions de l'âme qui sont présentées
ici.
!21
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