Représentationnalisme Et Computationnalisme

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Représentationnalisme, computationnalisme et représentations sociales

Quelques difficultés de catégorisation

Jean RobillardUQAM – Téluq

Introduction

1. Énoncé d’un problème épistémologique2. Définitions: représentationnalisme,

computationnalisme, représentations sociales

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

4. Conclusion

1. Énoncé d’un problème épistémologique

� Est-il nécessaire de postuler l’existence de représentations mentales collectivement partagées afin d’expliquer causalement la formation et l’efficace des structures sociales?� Explication causale?� Siège des représentations?� Représentations mentales partagées?� Etc.

1. Énoncé d’un problème épistémologique

� Précisions:� Ce problème peut être analysé sous

l’angle méthodologique� J’en discuterai sous celui de l’évaluation

des apports possibles des sciences cognitives à la connaissance produite par les sciences sociales

1. Énoncé d’un problème épistémologique

� Supposons un univers fictif U2:� Physiquement en tous points identiques au

nôtre� C.-à-d. les lois par nous connues de la physique, de la

biologie en expliquent adéquatement les phénomènes

� Socialement identique� Il y existe des individus et des groupes organisés

d’individus ; des institutions sociales, des normes, etc.

� Un sociologue ou un anthropologue Terrien n’y observerait aucune particularité sociale telle qu’il puisse conclure à une différence fondamentale entre les deux univers, d’un point de vue social.

1. Énoncé d’un problème épistémologique

� Mais voilà: même possesseurs d’une langue commune, les habitants de U2

sont incapables de produire et de conserver ce que nous appelons: « représentation sociale »

� Un examen neurologique démontrerait que les habitants de U2 ont un cerveau très différent de celui des humains:

1. Énoncé d’un problème épistémologique

Source: http://www.anatomie-humaine.com/Le-Cerveau-1.html

Mémoire: ?

Langage: ?

1. Énoncé d’un problème épistémologique

� Ce sont desanti-« Borgs »par excellence

1. Énoncé d’un problème épistémologique

� Ce sont des anti-« Borgs » par excellence1. Capables de citer une croyance (grâce à la

langue):� « X croit que p » est… syntaxiquement « vrai »� Société de citateurs

2. Incapables de se représenter soi-même en contexte d’interaction ou de relations sociales:

� « Croire que ‘X,Y, Z croient que p est vrai’ » est faux

1. Énoncé d’un problème épistémologique

4. Règle grammaticale autorisant les noms collectifs mais tout référent collectif est non dénoté: « Nous » = f(x) ∈ ∅

5. « Je » n’est jamais « comme un autre »

6. Purs individualistes interagissant en conformité à des règles (sociales, morales, éthiques, légales) dicibles par eux mais insignifiantes car irreprésentables (sociologie terrienne)

1. Énoncé d’un problème épistémologique

� Nota bene

Ces attributs ne visent aucunement àdécrire un(e) politicien(ne) connu(e) ou non…

2. Définitions

� Les habitants de U2 forment-ils une société?

� La problématique de l’explication causale de la fonction des représentations sociales est de plus en plus étudiée par les sciences cognitives appliquées aux sciences sociales.

2. Définitions

� Les sciences cognitives sont nées en même temps que:� La théorie de l’information de Shannon� La cybernétique au sens technique du terme:

inclusion de la rétroaction aux procédures de computation

� Les premiers essais en sciences de l’intelligence artificielle(Voir CREVIER, Daniel, À la recherche de l’intelligence artificielle, Paris : Flammarion, 1997, coll. Champs; SEGAL, Jérôme, Le Zéro et le Un. Histoire de la notion scientifique d’information au 20e siècle, Paris : Éditions Syllepse, 2003, coll. Matériologiques )

2. Définitions

� Les sciences cognitives ont pour modèle de base la thèse de Turing:� Récursivité (algorithmes)� Application universelle (MTU)� Opacité des opérations de computation

(Test de Turing)� Comparabilité des résultats à la faculté

humaine mais supériorité des capacités computationnelles à celle-ci

2. Définitions

� Deux grands paradigmes:� Représentationnalisme

� Computationnalisme (connexionniste ou non)

2. Définitions

1. Représentationnalisme: requiert de concevoir les fonctions neuronales (cerveau et/ou « esprit ») comme un ensemble de processus de traitement d’information, menant causalement à l’effectuation de tâches cognitives particulières ou à des comportements observables; ces mécanismes sont représentés (modélisés) par des opérations formelles (manipulation de symboles) qui réfèrent strictement au contenu des opérations cognitives et à leur contenu propre (intentionnel, sémantique, etc.)(P. ex.: BECHTEL, William, Mental Mechanisms. Philosophical Perspectives on Cognitive Neuroscience, New York: Routledge, 2008)

2. Définitions

1. Représentationnalisme:

Problèmes non réglés:

� la causalité intentionnelle ou cognitive;

� le statut des lois ou de quasi-lois psychologiques

� la « nature » propre des représentations

� Le locus primus des représentations individuelles

(P. ex.: CAMPBELL, Joseph Keim, O’ROURKE, Michael, SILVERSTEIN, Harry (editors), Causation and Explanation, Cambridge: MIT Press, 2007)

2. Définitions

� Le représentationnalisme tient compte de la dimension sémantique (symbolique, sémiotique, etc.) de la représentation individuelle� Thèse: la sémanticité des représentations est la condition

de la causalité qui les caractérise� Modèles psycho-cognitifs de manipulation de symboles� Immédiatement transposables en langages formels

� Thèse: homéomorphisme langage formel/structure des opérations mentales (langue « mentaliste » chez Fodor, p. ex)

(FODOR, Jerry A., The Language of Thought, New York : Cromwell, 1975 ; FODOR, Jerry A., LOT2. The Language of Thought Revisited, New York: Oxford University Press, 2008)

2. Définitions

2. Computationnalisme: requiert de concevoir les fonctions neuronales (cerveau et/ou « esprit ») comme un ensemble de processus de traitement d’information, menant causalement à l’effectuation de tâches cognitives particulières ou à des comportements observables; ces mécanismes sont représentés (modélisés) par des opérations formelles (manipulation de symboles) qui réfèrent strictement i) à la forme des opérations sans référence à leur contenu, et ii) au résultat observable.

2. Définitions

« Le computationalisme (sic) est l’hypothèse selon laquelle un système est cognitif du fait qu’il calcule des fonctions cognitives. »

CUMMINS, Robert, SCHWARTZ, Georg, « Connexionnisme, computation et cognition », dans ANDLER, Daniel (sous la direction de), Introduction aux sciences cognitives, Paris : Gallimard, Coll. Folio/Essai, 1992, pp. 374-394.

2. Définitions

2. Computationnalisme

Problèmes non réglés:� le statut des modèles;� le statut de l’explication (déductive,

déterministe, etc.);� les notions d’information, de complexité,

d’architecture cognitive, de calcul cognitif, de référence;

� la fonction des émotions, de la conation, du contexte socioculturel.

2. Définitions

� Le computationnalisme ne tient pas compte de la dimension sémantique (symbolique, sémiotique, etc.) de la représentation individuelle� Thèse: la « syntaxicité » des modèles représentationnels

est la condition de la causalité qui les caractérise� Controverse connexionnisme et anti-connexionnisme

(Newell – versus – Minski, p. ex.)� Modèles psycho-cognitifs de manipulation de l’information

� Thèse: l’unité d’analyse de la cognition est une information quantifiable observable en tant que schéma computationnel (opération de calcul) tenant lieu du sujet

� Immédiatement transposables en langages formels� Thèse: homéomorphisme et déterminisme des structures

(schémas) des opérations mentales ⇒ langage formel� Opacité des opérations et de la référence

2. Définitions

3. Représentations sociales:� Y a-t-il un encyclopédiste dans la

salle?

2. Définitions

3. Représentations sociales:� Plusieurs définitions sont possibles� Chacune dépend:

� D’un programme de recherche (Lakatos)� D’un cadre méthodologique (métathéories de l’observation,

de l’interprétation [heuristiques, etc.], de la preuve; principes de logistique, de gestion de projet, de mise en œuvre des dispositifs expérimentaux)� Surdétermination? (Cartwright)

� D’une philosophie (naïve ou non) de la science:� Ontologie acceptable� Théorie de la catégorisation� Théorie de la vérité� Théorie de la causalité

2. Définitions

� Représentations sociales� En général: le concept est défini par:

� Un processus causal de détermination (ou de construction) d’un ensemble quelconque de contenus cognitifs assignables à plus d’un individu

� Postulat implicite: ce processus est directement et causalement lié aux facultés cognitives des individus:� Fonction sommative ou agrégative (statistique ou

phénoménologique, etc.)

2. Définitions

� Représentations sociales� Souvent: les modèles développés sont pris

pour les théories, et vice versa� Les relations causales (p.ex.: les fonctions

d’utilité en microéconomie) sont formellement justes mais empiriquementquestionnables (opacité référentielle encore)

� Classification et catégorisation déficientes

2. Définitions

� Le mécanisme causal est souvent opaque

� Sinon, une théorie de la communication sociale viendra appuyer la thèse de la causalité du processus de formation des représentations causales� Communication ≡ distribution de contenus

quelconques parmi une population donnée (i.e.en fonction des paramètres de catégorisation utilisés) → processus analysable et testable

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

� Revenons au problème épistémologique initial� Comment analyser et interpréter le fait

qu’une collection quelconque d’individus vivant sur U2 forme un contexte de socialité sans que ces individus ne soient capables de se représenter ces mêmes contextes?

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

� Ce problème épistémologique remet en question:� Statut de la rationalité intentionnelle

agentive

� Explication des « effets » de groupe (causalité émergente)

� Les notions de modèles et de mesure

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

3.1 Statut de la rationalité intentionnelle agentive� Une approche de type représentationnaliste

postule la rationalité intentionnelle agentive: individualisme� P. ex.: la théorie boudonnienne des « bonnes

raisons » de faire x compte tenu de Y; le concept boudonnien de « transsubjectivité » (transitivitéformelle des préférences individuelles et des dispositions à agir selon un plan)

� Computationnalisme: non

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

� Le représentationnalisme ne peut prendre en charge l’étude de a socialité sur U2 sans quelques abandons

� Le computationnalisme: oui, mais il y a un prix

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

3.2 Explication des « effets » de groupe, émergentisme des causes� Une approche de type représentationnaliste est

émergentiste� Thèse de la sommation ou de l’agrégation des causes

(individuelles) et des effets (sociaux)

(CAMPBELL, Joseph Keim, O’ROURKE, Michael, SILVERSTEIN, Harry (editors), Causation and Explanation, Cambridge: MIT Press, 2007; CARTWRIGHT, Nancy, Hunting Causes and Using Them. Approaches in Philosophy and Economics, Cambridge: Cambridge University Press, 2007; FRANCK, Robert (sous la direction de), Faut-il chercher aux causes une raison ? L’explication causale dans les sciences humaines, Paris : Librairie Philosophique J. Vrin, 1994)

� Computationnalisme: émergentisme systémique� Assimilation de la causalité émergente à une forme de

causalité observable expérimentalement (simulation)

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

� Hypothèse de sociologie terrienne: « Sur U2, les phénomènes sociaux semblent émerger d’interactions non conscientes entre les membres de la société. »

� Le représentationnalisme: pas d’accord� Le computationnalisme: d’accord� La causalité des phénomènes émergents

reste inconnue� Implicite: finalité des interactions

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

3.3 Théorie des modèles et théorie de la mesure� Un modèle est toujours lié à une quelconque

procédure de mesure:� formulation de la ou des hypothèses� identification des variables� classification des faits et/ou de l’information,� détermination des valeurs paramétriques� formalisation� épreuve

ROBILLARD, Jean, « La modélisation », dans GAUTHIER, Benoît (sous la direction de), Recherche Sociale. De la problématique à la collecte des données, Québec : Presses de l’Université du Québec, 2009, pp. 135-166.

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

� Un modèle est toujours un construit formel� Logique: en langue naturelle ou en langage

formel� Mathématique (incluant statistique)� Déterministe ou non (c.-à-d. probabilitaire)

� La difficulté consiste à établir la correspondance du modèle au réel exprimé� Théorie de la référence� Théorie de la preuve

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

� Un modèle est toujours une idéalisation (c.f. Bunge)� Représentativité limitée à une classe

d’événements� Pour toute classe É, il existe une classe

de référents X, et une fonction bijective de É sur X: pour tout α ∈ É, f(x) = α

� Le nœud du problème est la classification: quelles catégories?

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

� Si: « Sur U2, les phénomènes sociaux semblent émerger d’interactions non conscientes entre les membres de la société. »

� Alors:� Comment classifier les événements (unitaires):

quel est le but à atteindre?� C.-à-d.: Quel sens peut-on attribuer aux

événements et quel concept les décrit le mieux?

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

� Comment classifier les événements unitaires (U2)?� Représentationnalisme:

� Doit abandonner la thèse de la causalité intentionnelle agentive

� Alternative: théorie dispositionnelle non déterministe de l’action individuelle� Mais à quel prix?

� Doit abandonner la thèse de l’homéomorphisme des modèles linguistiques et des actions observables

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

� Comment classifier les événements unitaires (U2)?� Computationnalisme:

� Doit abandonner le postulat implicite de la facultécomputationnelle des sujets:� Le sujet est stricto sensu un système computationnel

préservant la thèse de l’opération calculatrice comme signifiant le concept de faculté cognitive

� Doit abandonner la thèse de l’homéomorphisme etdéterminisme des structures (schémas) des opérations mentales ⇒ langage formel� Opacité des opérations et de la référence ⇒ transparence des

modèles et de la théorie de la référence

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

� Quel sens attribuer aux événements et quel concept les décrit le mieux (U2)?� Concept = fonction prédicative� Catégoriser: Dans un ensemble É

d’événements, réunir des propriétés en une même classe et attribuer à chaque classe un prédicat P: P = {x ∈ É | Px}

� Dans les deux cas (R & C): l’ensemble É de référence devra être entendu comme étant régi par des fonctions aléatoires (espace probabilisé)

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

� Quel sens attribuer aux événements et quel concept les décrit le mieux (U2)?� Si: l’ensemble É de référence est un espace

probabilisé� Alors: la seule explication est une explication

fondée sur les procédures statistiques d’agrégation� Aucun concept d’intentionnalité agentive ne peut être

posé comme motif causal d’explication� Soulève le problème épistémologique de l’inférence

statistique (valeur logique de la généralisation par induction)

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

� Quel sens attribuer aux événements et quel concept les décrit le mieux (U2)?

� Soulève le problème épistémologique de la représentativité du modèle statistique et de l’attribution d’une fonction aléatoire àl’analyse des faits sociaux� Un ensemble d’événements sociologiquement

observables n’est pas ontologiquement identique àune telle fonction

3. Catégories en théorie des modèles et de la mesure des représentations sociales

� Quel sens attribuer aux événements et quel concept les décrit le mieux (U2)?

� Soulève également le problème classique de la valeur des paramètres:� École fréquentiste des probabilités adopte une

image « réaliste » du monde: les probabilités existent réellement et le monde est un vaste ensemble d’événements aléatoires

� École « épistémiste » (bayesienne) adopte une image relativiste du monde: les probabilités d’une classe d’événements sont liées à l’état des connaissances de ces événements

4. Conclusion

� Revenons sur terre…

U2

4. Conclusion

� La question initiale:� Est-il nécessaire de postuler

l’existence de représentations mentales collectivement partagées afin d’expliquer causalement la formation et l’efficace des structures sociales?

4. Conclusion

� Réponse: non� La thèse de la causalité agentive n’est qu’un

postulat empirique: pas une théorie au sens propre du terme (ou système hypothético-déductif)

� Cette thèse est liée à celle de la rationalitéagentive: l’intentionnalité est l’expression véhiculaire de la rationalité agentive (normativisme)

McLAUGHLIN, Brian P., COHEN, Jonathan, Contemporary Debates in Philosophy of Mind, Malden (MA): Blackwell Publishing, 2007

4. Conclusion

� Alternative� Le modèle fictif U2 aura permis de constater

les limites des deux paradigmes des sciences cognitives

� Avec U2, le problème épistémologique →l’impossibilité de� « Croire que ‘X,Y, Z croient que p est

vrai’ » est faux� C.-à-d.: !› représentations sociales

4. Conclusion

� Alternative� Il suffit de:

� Stipuler la possibilité des représentations sociales

� De les expliquer non sur le plan de la causalitéintentionnelle agentive

� Mais sur celui de l’attribution interindividuelle de propriétés sémantiques ou cognitives

� Requiert une théorie de l’attribution en contexte d’interaction

Conclusion

� Une telle théorie est l’objet d’un autre entretien…

Merci!Robillard.jean@teluq.uqam.ca

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