Grâce à Facebook, la guindaille n'a pas d'âge

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BELGIQUES O C I É T É

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Chez certains, lacalvitie pointe,les tempes com -mencent à gri-sonner. Chez

certaines, les premières pattesd’oie apparaissent. Ces uni-versitaires, issus des classesmoyenne ou supérieure, sontaujourd’hui établis, mariés etparents. Le temps d’une guin-daille de vrais étudiants, ilsont envie de refaire la fête. Phi-lippe Devos, 35 ans, ancienprésident de l’Agel (Associa-tion générale des étudiantsliégeois), anesthésiste réani-mateur nouvellement marié,est de ceux-là. « J’ai toujourseu une vie festive, raconte-t-il. Durant mes premières an-nées de médecine, j’ai été troisans dans les comités de bap-têmes. Je suis devenu prési-dent de l’Agel alors que j’étaisen troisième doctorat. Unefois diplômé, j’ai enchaînéavec la Maison des Etudiantsliégeois, une ASBL qui tentedepuis dix ans de trouver unesalle en dur pour les étudiantsfestifs à la place du chapiteau.Quand j’ai remis mon man-dat de président de l’Agel,j’étais encore étudiant. Desamis plus âgés que moiavaient terminé leurs étudeset, tout comme moi, avaientencore l’envie de faire la fêteen souvenir de notre passé es-tudiantin. De mon côté, j’avaisbesoin d’un exutoire pour li-bérer le stress lié aux études.

Grâce à l’Agel, j’avais gardébeaucoup de contacts dansles diverses facultés de l’ULg.J’ai eu du répondant partout.D’autres trentenaires avaientla même envie de prolongerces moments festifs au-delàdes études, de faire une bellefête et d’y retrouver les amiscôtoyés pendant cinq ans. »

« Remettre notrepenne, le temps d’une soirée »

Pendant son assistanat, letoubib lève le pied. « Pieds etpoints liés à l’hôpital, jen’avais plus le temps de fairequoi que ce soit. La vie m’aobligé à abandonner ce genrede projet. Tous mes amisproches d’aujourd’hui, je lesai rencontrés dans les guin-dailles d’étudiants. La plu-part sont architectes, ingé-nieurs... En vivant à cent pourcent dans un monde médi-cal, j’ai besoin de voir desgens d’un autre monde pourgarder un certain équilibre. »Ensemble, ils ont envie de re-faire une fête. « Une fête oùnous pourrions inviter d’au-tres anciens, remettre notrepenne et refaire l’étudiant, letemps d’une soirée où l’on nese préoccupe de rien. Cela de-vait se passer impérativementun vendredi ou un samedi,car nous ne travaillons pas lelendemain, évidemment. L’andernier, à l’occasion de laSaint-Torè à Liège, nous

avons loué un bus londonienet nous nous sommes misdans le cortège des étudiantset fort bien amusés! »

SponsorsL’ancien président de l’Agel

est rattrapé par le succès. « Jevoulais refaire cette fête uneannée sur trois pour éviter lalassitude. Depuis lors, avecFacebook, j’ai été sollicitétoutes les semaines pourqu’on refasse une fête! D’an-ciens étudiants m’ontcontacté. Nous sommes déjà

une soixantaine. Cerise surle gâteau, comme nous avonstous une vie professionnellebien établie, cela nous est fa-cile d’avoir des sponsors. Unedizaine de fûts nous sont of-ferts gracieusement par desclients de participants! Noussuivrons le cortège dans no-tre bus fermé. Une fête d’étu-diants est juste une excusepour faire la fête entre nous. »Philippe Devos s’était dit qu’ilarrêterait quand il aurait unenfant. « Je vais bientôt êtrepapa. Beaucoup de mes amis

Grâce à Facebook, la guindailleLa trentaine, voire la quarantaine, biensonnée, ils sont mariés et pères et mères defamille. Pour autant, ils n’ont pas oublié letemps insouciant des guindailles et autresbaptêmes. Grâce à Facebook, ces anciensstudents, aujourd’hui médecins, architectes,ingénieurs ou psys, refont la fête entre eux ensquattant le calendrier des étudiants.

PG

CHRISTOPHE VERMEIREN « Parents de trois enfants, nous savons faire la part des choses. »

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sont pères et mères de fa-mille. Ce n’est pas pour au-tant qu’ils arrêtent. Je m’or-ganiserai comme mes amisle font. Ma femme, plus jeuneque moi, participe avec plai-sir et nous avons inclus sesamis dans notre groupe. Deplus en plus d’hommes vien-nent avec leur femme, an-cienne étudiante à l’univer-sité ou pas. Nous ne sommesplus étudiants, nous buvonsdes verres entre nous. Ce n’estpas la soûlerie étudiante, c’estfestif, mais propre. »

Avec sa femme psy, Chris-tophe Vermeiren, 35 ans, an-cien étudiant de Saint-Luc,aujourd’hui architecte, mariéet père de trois enfants, faitpartie de ces sybarites nos-talgiques. « J’étais vice-pré-sident des étudiants en ar-chitecture et ma femme,présidente des étudiants enpsychologie. Nous noussommes rencontrés pendantces activités estudiantines. Encharge de l’organisation etavec un budget à respecter,nous avions une part de res-ponsabilités. C’était aussi unmoyen d’avoir une vie asso-ciative à côté des études.Quand nous avons quitté l’uni-versité, nous avons tourné lapage, tout en gardant lecontact avec quelques amis

avec lesquels nous avions faitla fête. Ma femme et moi pas-sons l’après-midi avec le cor-tège et les trottinettes. Parentsde trois enfants, nous savonsfaire la part des choses. Nousrestons dans notre bus, maisnous en sortons pour ren-contrer les toges actuelles. Onparticipe à l’ambiance, maison fait la fête entre nous. »

« Facebook est uninstrument magnifique »

L’ancien carabin estimeque les études l’ont empê-ché de s’amuser comme ill’aurait voulu, de faire ce dontil avait envie. « Une bonnepartie de mes confrères res-sentent la même chose, re-marque Philippe Devos. J’ail’impression que c’est géné-rationnel. Des gens de monâge organisent des sortiesgrâce à Facebook. Chez lestrentenaires, les after worksont tendance. Facebook estun instrument magnifique!On pourrait croire que les ré-seaux sociaux désocialisentla société, qu’il y a moins decontacts. Pour moi, c’est l’in-verse. » D’où l’envie de conti-nuer. Jusqu’à quand ? « Lestrentenaires sont mal à l’aisedans des dîners style Rotary.Ils nous donnent l’impres-sion d’une volonté de paraî-tre qui nous est étrangère. Je

nous vois plutôt commemembres d’une confrérie. Lejour où mes amis arrêteront,je n’irai plus non plus. »

Renouer avec uneposition hiérarchique

d’antanPour Jean-François Guil-

laume, professeur de socio-logie à l’université de Liège,ces sorties sont une façon derenouer avec une époqueheureuse et insouciante. « Ilsse retrouvent entre eux à laremorque d’une foule plusnombreuse. Cela me fait unpeu penser à certains sup-porters de football qui ontbesoin d’un ensemble plusvaste et de limites spatiales.Ces adultes sont en périphé-rie du cortège des jeunes. Ilssont avec, sans en être. Les

présidents de comités de bap-têmes et d’associations es-tudiantines ont un statut in-contesté et incontestable.Sans doute aussi ont-ils en-vie de rejouer le jeu de cetteposition hiérarchique quiétait la leur. Sous des aspectsde notabilité, ils renouentavec un passé, pas toujoursglorieux d’ailleurs, de guin-daille. Ils brassent entre euxune sorte de lien fraternel deceux qui avaient des res-ponsabilités dans les che-mins balisés de la guindaille.Ils renouent avec une posi-tion dans le monde étudiantqu’ils n’ont pas encore dansle monde professionnel etaussi avec une convivialité,des rites plutôt masculins.Ils éprouvent peut-être le be-soin d’une parenthèse. Je n’yvois pas un retour nostal-gique à une époque révolue.C’est bien une sorte deconfrérie, ils ressortent leurspennes, leurs vieux accou-trements... en attendantd’être un jour accueillis dansdes cercles et des confrériesoù ils devront se tenir cor-rectement. » Un jour, sansdoute, ces nostalgiques de laguindaille entreront dans unservice club.

● JACQUELINE REMITS

n’a pas d’âge

«LESTRENTENAIRESSONT MAL À L’AISE DANSLES DÎNERSSTYLE ROTARY »

LE CHAR DES VIEUX, à la Saint-Torè, à Liège. « Ces adultes sonten périphérie du cortège des jeunes. Ils sont avec, sans en être. »

PHILIPPE DEVOS, (ici, au bal des Moflés) est rattrapé

par le succès. PG

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