2
BELGIQUE S O C I É T É 34 I 19 MARS 2010 I WWW.LEVIF.BE C hez certains, la calvitie pointe, les tempes com- mencent à gri- sonner. Chez certaines, les premières pattes d’oie apparaissent. Ces uni- versitaires, issus des classes moyenne ou supérieure, sont aujourd’hui établis, mariés et parents. Le temps d’une guin- daille de vrais étudiants, ils ont envie de refaire la fête. Phi- lippe Devos, 35 ans, ancien président de l’Agel (Associa- tion générale des étudiants liégeois), anesthésiste réani- mateur nouvellement marié, est de ceux-là. « J’ai toujours eu une vie festive, raconte- t-il. Durant mes premières an- nées de médecine, j’ai été trois ans dans les comités de bap- têmes. Je suis devenu prési- dent de l’Agel alors que j’étais en troisième doctorat. Une fois diplômé, j’ai enchaîné avec la Maison des Etudiants liégeois, une ASBL qui tente depuis dix ans de trouver une salle en dur pour les étudiants festifs à la place du chapiteau. Quand j’ai remis mon man- dat de président de l’Agel, j’étais encore étudiant. Des amis plus âgés que moi avaient terminé leurs études et, tout comme moi, avaient encore l’envie de faire la fête en souvenir de notre passé es- tudiantin. De mon côté, j’avais besoin d’un exutoire pour li- bérer le stress lié aux études. Grâce à l’Agel, j’avais gardé beaucoup de contacts dans les diverses facultés de l’ULg. J’ai eu du répondant partout. D’autres trentenaires avaient la même envie de prolonger ces moments festifs au-delà des études, de faire une belle fête et d’y retrouver les amis côtoyés pendant cinq ans. » « Remettre notre penne, le temps d’une soirée » Pendant son assistanat, le toubib lève le pied. « Pieds et points liés à l’hôpital, je n’avais plus le temps de faire quoi que ce soit. La vie m’a obligé à abandonner ce genre de projet. Tous mes amis proches d’aujourd’hui, je les ai rencontrés dans les guin- dailles d’étudiants. La plu- part sont architectes, ingé- nieurs... En vivant à cent pour cent dans un monde médi- cal, j’ai besoin de voir des gens d’un autre monde pour garder un certain équilibre. » Ensemble, ils ont envie de re- faire une fête. « Une fête où nous pourrions inviter d’au- tres anciens, remettre notre penne et refaire l’étudiant, le temps d’une soirée où l’on ne se préoccupe de rien. Cela de- vait se passer impérativement un vendredi ou un samedi, car nous ne travaillons pas le lendemain, évidemment. L’an dernier, à l’occasion de la Saint-Torè à Liège, nous avons loué un bus londonien et nous nous sommes mis dans le cortège des étudiants et fort bien amusés ! » Sponsors L’ancien président de l’Agel est rattrapé par le succès. « Je voulais refaire cette fête une année sur trois pour éviter la lassitude. Depuis lors, avec Facebook, j’ai été sollicité toutes les semaines pour qu’on refasse une fête! D’an- ciens étudiants m’ont contacté. Nous sommes déjà une soixantaine. Cerise sur le gâteau, comme nous avons tous une vie professionnelle bien établie, cela nous est fa- cile d’avoir des sponsors. Une dizaine de fûts nous sont of- ferts gracieusement par des clients de participants ! Nous suivrons le cortège dans no- tre bus fermé. Une fête d’étu- diants est juste une excuse pour faire la fête entre nous. » Philippe Devos s’était dit qu’il arrêterait quand il aurait un enfant. « Je vais bientôt être papa. Beaucoup de mes amis Grâce à Facebook, la guindaille La trentaine, voire la quarantaine, bien sonnée, ils sont mariés et pères et mères de famille. Pour autant, ils n’ont pas oublié le temps insouciant des guindailles et autres baptêmes. Grâce à Facebook, ces anciens students, aujourd’hui médecins, architectes, ingénieurs ou psys, refont la fête entre eux en squattant le calendrier des étudiants. PG CHRISTOPHE VERMEIREN « Parents de trois enfants, nous savons faire la part des choses. »

Grâce à Facebook, la guindaille n'a pas d'âge

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Grâce à Facebook, la guindaille n'a pas d'âge

BELGIQUES O C I É T É

34 I 19 MARS 2010 I WWW.LEVIF.BE

Chez certains, lacalvitie pointe,les tempes com -mencent à gri-sonner. Chez

certaines, les premières pattesd’oie apparaissent. Ces uni-versitaires, issus des classesmoyenne ou supérieure, sontaujourd’hui établis, mariés etparents. Le temps d’une guin-daille de vrais étudiants, ilsont envie de refaire la fête. Phi-lippe Devos, 35 ans, ancienprésident de l’Agel (Associa-tion générale des étudiantsliégeois), anesthésiste réani-mateur nouvellement marié,est de ceux-là. « J’ai toujourseu une vie festive, raconte-t-il. Durant mes premières an-nées de médecine, j’ai été troisans dans les comités de bap-têmes. Je suis devenu prési-dent de l’Agel alors que j’étaisen troisième doctorat. Unefois diplômé, j’ai enchaînéavec la Maison des Etudiantsliégeois, une ASBL qui tentedepuis dix ans de trouver unesalle en dur pour les étudiantsfestifs à la place du chapiteau.Quand j’ai remis mon man-dat de président de l’Agel,j’étais encore étudiant. Desamis plus âgés que moiavaient terminé leurs étudeset, tout comme moi, avaientencore l’envie de faire la fêteen souvenir de notre passé es-tudiantin. De mon côté, j’avaisbesoin d’un exutoire pour li-bérer le stress lié aux études.

Grâce à l’Agel, j’avais gardébeaucoup de contacts dansles diverses facultés de l’ULg.J’ai eu du répondant partout.D’autres trentenaires avaientla même envie de prolongerces moments festifs au-delàdes études, de faire une bellefête et d’y retrouver les amiscôtoyés pendant cinq ans. »

« Remettre notrepenne, le temps d’une soirée »

Pendant son assistanat, letoubib lève le pied. « Pieds etpoints liés à l’hôpital, jen’avais plus le temps de fairequoi que ce soit. La vie m’aobligé à abandonner ce genrede projet. Tous mes amisproches d’aujourd’hui, je lesai rencontrés dans les guin-dailles d’étudiants. La plu-part sont architectes, ingé-nieurs... En vivant à cent pourcent dans un monde médi-cal, j’ai besoin de voir desgens d’un autre monde pourgarder un certain équilibre. »Ensemble, ils ont envie de re-faire une fête. « Une fête oùnous pourrions inviter d’au-tres anciens, remettre notrepenne et refaire l’étudiant, letemps d’une soirée où l’on nese préoccupe de rien. Cela de-vait se passer impérativementun vendredi ou un samedi,car nous ne travaillons pas lelendemain, évidemment. L’andernier, à l’occasion de laSaint-Torè à Liège, nous

avons loué un bus londonienet nous nous sommes misdans le cortège des étudiantset fort bien amusés! »

SponsorsL’ancien président de l’Agel

est rattrapé par le succès. « Jevoulais refaire cette fête uneannée sur trois pour éviter lalassitude. Depuis lors, avecFacebook, j’ai été sollicitétoutes les semaines pourqu’on refasse une fête! D’an-ciens étudiants m’ontcontacté. Nous sommes déjà

une soixantaine. Cerise surle gâteau, comme nous avonstous une vie professionnellebien établie, cela nous est fa-cile d’avoir des sponsors. Unedizaine de fûts nous sont of-ferts gracieusement par desclients de participants! Noussuivrons le cortège dans no-tre bus fermé. Une fête d’étu-diants est juste une excusepour faire la fête entre nous. »Philippe Devos s’était dit qu’ilarrêterait quand il aurait unenfant. « Je vais bientôt êtrepapa. Beaucoup de mes amis

Grâce à Facebook, la guindailleLa trentaine, voire la quarantaine, biensonnée, ils sont mariés et pères et mères defamille. Pour autant, ils n’ont pas oublié letemps insouciant des guindailles et autresbaptêmes. Grâce à Facebook, ces anciensstudents, aujourd’hui médecins, architectes,ingénieurs ou psys, refont la fête entre eux ensquattant le calendrier des étudiants.

PG

CHRISTOPHE VERMEIREN « Parents de trois enfants, nous savons faire la part des choses. »

Page 2: Grâce à Facebook, la guindaille n'a pas d'âge

WWW.LEVIF.BE I 19 MARS 2010 I 35

sont pères et mères de fa-mille. Ce n’est pas pour au-tant qu’ils arrêtent. Je m’or-ganiserai comme mes amisle font. Ma femme, plus jeuneque moi, participe avec plai-sir et nous avons inclus sesamis dans notre groupe. Deplus en plus d’hommes vien-nent avec leur femme, an-cienne étudiante à l’univer-sité ou pas. Nous ne sommesplus étudiants, nous buvonsdes verres entre nous. Ce n’estpas la soûlerie étudiante, c’estfestif, mais propre. »

Avec sa femme psy, Chris-tophe Vermeiren, 35 ans, an-cien étudiant de Saint-Luc,aujourd’hui architecte, mariéet père de trois enfants, faitpartie de ces sybarites nos-talgiques. « J’étais vice-pré-sident des étudiants en ar-chitecture et ma femme,présidente des étudiants enpsychologie. Nous noussommes rencontrés pendantces activités estudiantines. Encharge de l’organisation etavec un budget à respecter,nous avions une part de res-ponsabilités. C’était aussi unmoyen d’avoir une vie asso-ciative à côté des études.Quand nous avons quitté l’uni-versité, nous avons tourné lapage, tout en gardant lecontact avec quelques amis

avec lesquels nous avions faitla fête. Ma femme et moi pas-sons l’après-midi avec le cor-tège et les trottinettes. Parentsde trois enfants, nous savonsfaire la part des choses. Nousrestons dans notre bus, maisnous en sortons pour ren-contrer les toges actuelles. Onparticipe à l’ambiance, maison fait la fête entre nous. »

« Facebook est uninstrument magnifique »

L’ancien carabin estimeque les études l’ont empê-ché de s’amuser comme ill’aurait voulu, de faire ce dontil avait envie. « Une bonnepartie de mes confrères res-sentent la même chose, re-marque Philippe Devos. J’ail’impression que c’est géné-rationnel. Des gens de monâge organisent des sortiesgrâce à Facebook. Chez lestrentenaires, les after worksont tendance. Facebook estun instrument magnifique!On pourrait croire que les ré-seaux sociaux désocialisentla société, qu’il y a moins decontacts. Pour moi, c’est l’in-verse. » D’où l’envie de conti-nuer. Jusqu’à quand ? « Lestrentenaires sont mal à l’aisedans des dîners style Rotary.Ils nous donnent l’impres-sion d’une volonté de paraî-tre qui nous est étrangère. Je

nous vois plutôt commemembres d’une confrérie. Lejour où mes amis arrêteront,je n’irai plus non plus. »

Renouer avec uneposition hiérarchique

d’antanPour Jean-François Guil-

laume, professeur de socio-logie à l’université de Liège,ces sorties sont une façon derenouer avec une époqueheureuse et insouciante. « Ilsse retrouvent entre eux à laremorque d’une foule plusnombreuse. Cela me fait unpeu penser à certains sup-porters de football qui ontbesoin d’un ensemble plusvaste et de limites spatiales.Ces adultes sont en périphé-rie du cortège des jeunes. Ilssont avec, sans en être. Les

présidents de comités de bap-têmes et d’associations es-tudiantines ont un statut in-contesté et incontestable.Sans doute aussi ont-ils en-vie de rejouer le jeu de cetteposition hiérarchique quiétait la leur. Sous des aspectsde notabilité, ils renouentavec un passé, pas toujoursglorieux d’ailleurs, de guin-daille. Ils brassent entre euxune sorte de lien fraternel deceux qui avaient des res-ponsabilités dans les che-mins balisés de la guindaille.Ils renouent avec une posi-tion dans le monde étudiantqu’ils n’ont pas encore dansle monde professionnel etaussi avec une convivialité,des rites plutôt masculins.Ils éprouvent peut-être le be-soin d’une parenthèse. Je n’yvois pas un retour nostal-gique à une époque révolue.C’est bien une sorte deconfrérie, ils ressortent leurspennes, leurs vieux accou-trements... en attendantd’être un jour accueillis dansdes cercles et des confrériesoù ils devront se tenir cor-rectement. » Un jour, sansdoute, ces nostalgiques de laguindaille entreront dans unservice club.

● JACQUELINE REMITS

n’a pas d’âge

«LESTRENTENAIRESSONT MAL À L’AISE DANSLES DÎNERSSTYLE ROTARY »

LE CHAR DES VIEUX, à la Saint-Torè, à Liège. « Ces adultes sonten périphérie du cortège des jeunes. Ils sont avec, sans en être. »

PHILIPPE DEVOS, (ici, au bal des Moflés) est rattrapé

par le succès. PG

PG