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Pierre St Vincent

Faim amour apocalypse... Pierre ST Vincent

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Si la faim progresse pendant les décennies à venir, s’il n’y a plus d’amour l’apocalypse est aux portes du monde. Dans cette période à venir Pierre Vincent ingénieur dans une multinationale livre un combat industriel pour faire régresser la faim. Arrivera-t-il à son but au milieu des embûches de la politique, du capitalisme forcené et de sa propre passion pour Nike la belle Africaine. Une aventure qui va vous guider à travers l’Afrique et le reste du monde et nous conduire à l’Apocalypse..​.

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Pierre St Vincent

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FAIM, AMOUR ? APOCALYPSE…

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3 Faim. Amour ? Apocalypse.

Chapitre 1 Départ…

La pluie frappe violemment le pare-brise de la Porsche. Eric conduit nerveusement, très vite, trop vite à mon goût. Je me cram-ponne et revis brièvement à travers les murs d’eau les instants que j’avais tant redoutés. Cette décision que je ne pouvais repousser plus avant, a été prise et annoncée hier soir plutôt brutalement, comme un coup de couteau au milieu de l’euphorie généralisée de la famille. J’ai honte encore d’abandonner les miens et de laisser à Clara la responsabilité totale de l’administration de notre commu-nauté familiale.

Ce 25 Novembre 1990, je pars, un peu angoissé, vers ce monde africain que je veux ressentir dans ses moindres vibrations, sociale-ment, médicalement, agronomiquement, scientifiquement. En fai-sant grincer brutalement la boîte de vitesse, Eric, pénètre dans le parking de l’aérogare de Roissy ; il est, pour quelques instants en-core, mon dernier lien avec l’Europe. L’émotion nous étreint lors-que nous nous embrassons. Il est 8 heures 30. Je me retrouve seul avec mes cent kilos de bagages. Je décolle dans peu de temps pour Addis-Abeba, Ethiopie…

Le voyage a été préparé méticuleusement et tout ce que j’ai pu récolter comme information a été consigné sur le cahier qui ne me quittera jamais plus.

Accéder à la capitale Addis-Abeba est compliqué puisqu’il faut prendre un vol Paris-Rome ou Pris-Francfort, et ensuite seulement aller vers la destination finale, en provenance de de l’une de ces deux villes. J’ai choisi Alitalia parce que je préfère l’approche latine

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des transports, l’exubérance et l’aspect très animé de l’Aérogare de Rome.

Pour ce premier vol, je me suis accordé une petite escale dans la capitale. Une pluie fine et glacée me pénètre chaque fois que je sors du taxi pour visiter un lieu qui m’intéresse. Dégoûté de ce temps de chien, je capitule et reviens à l’aéroport. Il paraît que la période sep-tembre à novembre fait partie des deux saisons chaudes de l’Ethiopie !

Bien qu’il me reste à accomplir la plus longue partie de mon voyage jusqu’à Addis Abeba, je souhaite qu’elle se réalise très vite pour quitter cette crasse…

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Nous décollons de Rome et le lourd 747 d’Alitalia nous entraine au-dessus des nuages. Enfin un ciel acceptable, bleu à l’infini ! Je suis à peu près au centre de l’avion sur l’aile gauche et mon hublot commence à être flagellé de cristaux de glace.

Ces cristaux me rappellent mes nombreuses missions passées : les images défilent devant mes yeux.

Grèce (1974). J’avais alors trente deux ans, mon aventure indus-trielle m’avait conduit en plein cœur du conflit Turquie-Grèce. La bataille faisait rage sur l’île de Chypre. Le plus grand des hasards avait placé notre chantier à quelques kilomètres de la frontière tur-que. La panique régnait parmi mes compatriotes.

*** L’une de nos R4 se faufilait sur la route cahoteuse évitant les

nombreuses ornières. Nous apercevions caché parmi les feuillages, les auto-mitrailleuses de nos amis grecs. Il faisait chaud, je transpi-rais de douleur. Je m’étais blessé bêtement ce matin-là ; au mieux j’avais une entorse, au pire une fracture ! Max Gallo, le chef de chantier, me conduisait à la clinique de Kozani. Quelques instants plus tôt un vieux pope avait tenté de me soigner ; sans réussite Hé-las.

Je me revois, grimaçant,comme s’il s’agissait d’hier, contempler les maisons, les rues vides, sales de détritus que pendant longtemps les homme partis à la guerre ne ramasseraient plus ! Les colonels, les généraux, les Papadopoulos, les Vitalis, les Karamanlis et autres dictateurs n’avaient pas réussi à rendre à la Grèce sa gloire passée… Les hommes ne vivaient pas pour eux-mêmes ou pour leur famille mais contre… l’ennemi héréditaire turc, contre la dictature, contre tout ce qui touchait à leur honneur de plus vieux démocrate. A vivre contre tout cela, ils ne voyaient pas la médiocrité de leur quotidien, ils ne sentaient pas la différence qui existait entre la Grèce et le reste de l’Europe, eux ils survivaient dans leur soleil et leur bouzouki.

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Chapitre 1 Départ… 6

Nous, nous étions les conquérants des marchés faciles, les dieux de la technique, les participants au développement de la Nation grecque, les grands seigneurs de la finance. Nous amenions l’argent des français pour construire le futur de la Grèce… Nous apportions tout cela et de quoi s’occupaient nos amis grecs ? Des Turcs ! Ils avaient des problèmes d’hygiène, d maladies, de pauvreté, de sous-alimentation, et que faisaient-ils ? La guerre en exutoire à tout cela !

Ces pensées se bousculent en moi et je revis encore la chaleur de l’accueil à mon arrivée. Les Grecs, malgré les ennuis qu’ils vivaient avaient le sens de l’hospitalité. J’ai vécu, alors que le téléphone était coupé d’avec notre monde, 20 journées prodigieuses.

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7 Faim. Amour ? Apocalypse…

Les nuages découvrent peu à peu le sol alors que nous appro-chons de la côte africaine. Mon esprit s’évade à nouveau et je revis intensément mes trois aventures industrielles dans ce continent, car elles sont certainement à l’origine de ce qui m’a entrainé à quitter le monde occidental, à m’éloigner de ma famille, à tout abandonner : amis, richesse, notoriété, confort, pour devenir le partenaire des hommes les plus démunis de notre planète.

En 1975, le Cameroun avait été pour moi le véritable première prise de contact avec un monde différent. Un monde à deux faces, un peu comme un miroir qui sépare deux pièces. Nous étions dans la partie confortable et visible, d’autres étaient dans un souterrain de l’autre côté du miroir et ils y vivraient toute leur vie. Arrêtons-là les métaphores : Européens, nous étions dans la ville de Douala confor-tablement installés à l’hôtel, les autres, citoyens du Cameroun, vi-vaient dans d’immondes bidonvilles que nous avions aperçus lors de nos déplacements. Là encore nous venions les mains pleines de dollars et de technologie, forts de notre savoir face à leur ignorance, forts de notre santé et de notre opulence face à leurs maladies et à leu dénuement.

A Douala, ville de l’ancien Cameroun français, qui s’appelait depuis1972 « La République Unie du Cameroun », nous avions quitté notre casquette de colonisateur : notre client était l’Etat du Cameroun. L’Etat était à l’image de ses bidonvilles. Les caisses étaient vides. La caisse de coopération, l’Etat français, la Banque Mondiale, avaient constitué un financement pour réaliser un projet de centrale hydraulique pour alimenter Douala en électricité. La so-ciété dans laquelle j’étais alors ingénieur, participait à ce projet.

1976, Ethiopie. Le voyage se présentait comme une mission d’exploration. Hailé Sélassié avait quitté depuis deux années la di-rection de l’Empire. Ma société, lors des émeutes avait rapatrié la totalité du personnel Européen. La province de l’Erythrée avait quelques soubresauts encore. L’union de l’armée et des étudiants, union née dans la rue, se traduisait deux années après par un calme

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de bon aloi. La crédibilité vis-à-vis des Européens se mettait peu à peu en route. Nous étions des éclaireurs, des pionniers… Cette al-liance des militaires et des universitaires s’était bâtie pour suppri-mer les structures obsolètes en place sous « l’Empire » et surtout pour sanctionner l’incapacité du gouvernement à faire face à la fa-mine de 1974.

Nous sentions confusément en nous dirigeant vers l’Erythrée que cet état de famine était latent… L’Erythrée était riche en matières premières mais elle était l’exemple typique du pays dont les structu-res avaient été sclérosées pendant des siècles… Une fois encore des hommes et des enfants avaient faim…

Que va me réserver ce pays où je reviens avec les yeux de la compréhension ?

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9 Faim. Amour ? Apocalypse…

Nous pénétrons à nouveau dans une masse de nuages et l’avion se met à nous malmener. Je fixe à nouveau ma ceinture et me sur-prends à prier pour que ce voyage ne se termine pas au-dessus d’un quelconque désert. Le calme s’établit à nouveau. Je regarde mon voisin musulman qui égrène nerveusement ce qui ressemble à nos chapelets, alors que sur ma droite un personnage haut en couleurs s’essuie le front en me disant que le pilote a du avoir son brevet dans une pochette surprise… Je souris en hochant la tête. Notre route céleste devrait nous amener, si tout va bien, bientôt au-dessus de la Libye, de l’Egypte et enfin de l’Ethiopie…

J’ai la tête pleine de tout ce que je dois faire et m’exerce menta-lement à en dénouer la liste. Je suis dans un état d’excitation intense lorsque l’hôtesse m’apporte mon plateau. Je prends brusquement conscience qu’il s’agit peut-être mon dernier repas de cuisine euro-péenne !

Peut-être encore demain vais-je dormir dans un hôtel internatio-nal ? On a du mal à s’éloigner brutalement d’un mode de vie de quasiment cinquante années !

Qu’ai-je fait de ces cinquante années que l’on m’a distribuées généreusement sans contrepartie ? Je suis né en France dans un petit village en plein Limousin et le destin m’a toujours conduit là où il voulait me mener. Il a fallu très longtemps pour que je comprenne quelle mission m’était confiée…

Mon voyage vers l’Ethiopie fait partie de l’immense tâche que je dois accomplir pour aider de toute ma connaissance nos amis de l’autre monde, ceux qui sont de l’autre côté du miroir, du mauvais côté…

Le Cameroun, la Grèce, l’Ethiopie, autant de mondes différents, autant d’entraves à une vie d’être humain libre et heureux… Et puis le pire de tout, à l’extrémité de l’Afrique, vers l’Antarctique… J’y étais en 1978…

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Chapitre 1 Départ… 10

Johannesburg, Afrique du sud. Vingt heures de voyage pour res-sentir la plus grande honte de ma vie. Dès que l’avion s’est mis à trembler tout à l’heure, avant de prier, j’ai revécu ce voyage vers ce pays. Tout d’abord l’ordinateur de bord était tombé en panne ; atter-rissage non prévu pour réparation. Ensuite nous avons terminé le voyage ceinture de sécurité bouclée. Comme si quelqu’un voulait que jamais nous n’arrivions !

Au royaume de l’hypocrisie de masse nous avons trouvé des églises, des hommes qui avaient le sens de l’amitié, de la solidarité, de la compréhension, mais qui avaient intégrés dans leurs gènes le principe de base de l’apartheid. Il ne pouvait y avoir de discussion puisque ce système était aussi présent et aussi intégré que l’étaient le soleil, les nuages, le vent, l’électricité, l’eau. On ne conteste pas le soleil il est ! On ne pas du bien-fondé des nuages. L’apartheid, ça fait partie de l’Afrique du Sud, un point c’est tout…

Nous avons recherché les traces de ce qui pour nous était anor-mal. Nous avons poussé notre enquête jusqu’à Soweto… Un taxi moyennant finances et une longue discussion nous y a conduits. D’aussi près que l’a voulu notre chauffeur, nous avons aperçu un immense ensemble grouillant de vie.

« Nous avons remplacé les bidonvilles par Soweto » nous a-t-il dit avec fierté.

« Ils ne nous embêtent plus avec leurs saletés. Joburg c’est le pa-radis maintenant ! ».

Nous retournerons avec l’impression d’avoir évité une léprose-rie. Encore un autre mal qui ronge l’humanité ! Il a pour nom racisme !

Au retour de cette mission j’ai renoncé à ce métier et me suis converti au commerce dans l’Hexagone. Je ne pouvais plus suppor-ter la vue de la misère et rester un observateur passif. J’ai voulu ou-blier tout cela.

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Deux années ont passé, et puis en 1980 des messages très clairs sont venus éclairer ma vie. Plusieurs cauchemars, dont le souvenir me fait encore frémir, se sont mis à troubler mes nuits. Je revois en-core ces enfants décharnés, grands yeux sans vie, sans espoir, inap-tes à recevoir l’humour ou l’amitié, qui sont devenus le seul lien solide avec l’action que j’entreprends aujourd’hui enfin.

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Tout est parti de ces cauchemars. J’ai eu besoin de quelqu’un pour partager ma détresse, un ami, un parent. Ma femme ne m’aimait plus ou elle faisait semblant. L’avoir comme confidente était hors de question .Et l’soudain l’idée m’est venue, j’irai rendre visite à Daniel mon ami d’enfance, mon meilleur ami… Je suis donc parti courant avril 1980 vers ce coin de Limousin que j’aimais tant. Pour une fois nous n’allions pas parler de nos enfants, ni du chat, ni de belle-maman.

Je me souviens précisément de tous les mots de notre entretien ainsi que de tout ce qui s’est passé depuis.

Il m’a accueilli sur le pas de sa porte et m’a serré chaleureuse-ment la main. Nous sommes entrés après avoir échangé quelques mots d’amitiés. Je ne savais pas comment lui expliquer pourquoi j’étais là. Lui attendait que je parle et c’était bien normal.Après quelques minutes je me suis décidé.

« Daniel, te souviens-tu ? A l’école primaire nous avions l’habitude de tout nous dire ; nous faisions aussi de grosses conne-ries ! Aujourd’hui, j’ai besoin de toi pour partager un certain nom-bre de réflexions. Il faut que tu m’aides à recadrer mes idées… Daniel je suis sur le point de tout abandonner pour aider des enfants maigres, mourants de faim à l’autre bout du monde ! Je les vois dans mes cauchemars, ils troublent mes nuits… et me détruisent peu à peu ! ».

Daniel me regardait, fronçant les sourcils, gêné, ne sachant que faire ou que dire. Il a décroisé ses grandes jambes et s’est levé sai-sissant une bouteille de bourbon, puis il a dit avec humour :

« Buvons d’abord un verre, nous aviserons ensuite, un peu d’alcool ne peut qu’éclaircir des idées aussi noires ! ».

Il m’a tendu le verre, le liquide brun ambré a miroité en passant devant la fenêtre où pénétrait un peu de printemps. Sarcastique, je lui ai répondu sombrement :

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« C’est celui que je préfère et tu le sais, mais c’est un produit de luxe inaccessibles au 2/3 de la population mondiale. Tu abuses des biens de cette Terre…parce que tu es né au bon moment et au bon endroit. »

« Allons Pierre m’a-t-il rétorqué, « Je t’ai connu combatif, cou-rageux, fier, ne te laisse pas abattre par un rêve qui te poursuit… examinons la situation, elle ne me semble pas aussi critique que tu le dis. T’en souviens-tu dans notre refuge des mauvais jours ? Nous établissions la liste de nos problèmes et Dieu sait si nous en avions ! Prenons ton cas aujourd’hui !

Quelle est la réelle teneur de tes rêves ? Tu dis qu’ils sont atro-ces, décris-les moi, Penses-tu réellement que le message est pour toi ? Dans l’hypothèse où il te concerne : quels sont tes ennemis ? La faim ? La misère ? Le racisme ? Quels ravages ont-ils causés ? Quels ravages peuvent-ils causer ? Peux-tu tout attaquer de face, seul et sans armes ? Dois-tu abandonner ta famille qui t’aime et que tu aimes ? Tu n’es ni Dieu ? Ni Prophète, ni Saint ? Sais-tu planter un arbre ? Creuser un puits ? Sais-tu soigner un malade ? Pierre tu dois garder la tête froide pour ta famille, pour tes amis… Tu dois réfléchir, temporiser, raisonner ton esprit, tu dois… ».

J’ai coupé le flot de ses questions de ses conseils… « Daniel ? Je ne suis pas prophète, mais je sens confusément

qu’ON m’a choisi pour accomplir une mission, tout en moi se bous-cule… plus je réfléchis, plus je m’aperçois que je suis programmé pour réaliser ce que personne n’a encore pu faire… combattre la faim par une force gigantesque que je devines aussi… Lorsque je te dis que je suis prêt à tout abandonner, c’est le système de vie confortable conventionnel que mène tous les jours. Je suis pacifi-que, mais je vais vaincre ce mal qui ronge sans le savoir la morale collective de l’humanité…

Les questions que tu viens de me poser, je l’ai déjà fait ! Et je pourrais te donner toutes les réponses aujourd’hui, et hélas à leur énoncé je ne m’apercevrais que de mon infinie faiblesse… Daniel tu

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es le seul vrai ami que j’ai, tu es le seul qui puisse comprendre mon combat. Dès la semaine prochaine je me lance corps et âme dans cette action. Je suis ingénieur, donc industriel, je serai financier, économiste, agronome, docteur en médecine, infirmier, diététi-cien… Je serai tout pour eux ! Je compte sur toi pour m’apporte le soutien dont j’aurais besoin lorsque ma femme que j’aime ne pourra plus me supporter, que mes enfants ne voudrons plus de leur père ! ».

J’ai repris mon verre, surpris de la passion donnée à mon dernier monologue.

Daniel hochait la tête, les sourcils plissés d’incompréhension, mais on sentait qu’il acquiesçait tout d’avance…

Nous avons changé de sujet et c’est un peu ivre que nous som-mes allés au lit. En m’allongeant j’avais songé à la longue route qu’il me restait à accomplir…

Dans cet avion qui me conduisait à Abbis Abeba, j’étais en train de réaliser la vraie première étape d’un long périple qui me ferait parcourir l’Afrique de l’orient à l’occident, du sud au nord sans ar-rêter un instant.

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Chapitre 2 D’abord tout détruire

Par le hublot, je distingue désormais le sol, le ciel est dégagé,

nous sommes au-dessus du désert de Libye et nous longeons la frontière égyptienne. Cette immensité me rappelle les cinq années que je viens de passer dans le doute. Le dénuement, la solitude, dans un monde qui ne pouvait accepter ma marginalité…

J’ai vécu 5 années intenses où j’ai mené de front mes cours à l’université, ma vie de famille, mon job, mes expérimentations. Le quotidien ne m’a rien épargné au milieu de tout ça…

Dans les premiers six mois nous avons dû faire face à la pire des épreuves…

Eric, notre aîné se comportait bizarrement. Nous avions remar-qué sans y prêter d’importance ses sautes d’humeur. Des adoles-cents de cet âge n’étaient pas de tout repos ! Et puis de l’état de veille, notre vigilance s’est alarmée lorsque la police est venue se présenter pour effectuer une perquisition à la maison !

Nous avons trouvé, enfermé au fond de tiroirs dont personne ne se servait, des couteaux, une grenade ! Je ne souhaite à personne d’être confronté à la période que nous avons vécue, où d’un seul coup de sonnette, la famille toute entière s’est trouvée plongée dans un drame.

Ce drame je le saurai plus tard, était encore un signe du destin. Les yeux exorbités sur les tiroirs ouverts, je regardais incrédule

le papier huilé, sorti des sacs plastique, dans lequel se trouvaient les armes… Clara, ma femme, était là hébétée, la tête entre les mains, assise sur la banquette–lit de la chambre d’Eric. Eric ? Comme d’habitude absent, ne pouvait ne pouvait nous expliquer. Clara enfin

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Chapitre 2 D’abord tout détruire 16

s’est mise à parler la première ; elle avait toujours été la plus forte, son métier d’infirmière la confrontait tous les jours à des situations dramatiques :

« Mais comment ? ». A-t’elle dit les larmes aux yeux, » mais comment avez-vous eu ces armes, nous n’avons rien à voir avec ça ! ».Le policier a froncé les sourcils.

« Madame ? Nous sommes encore plus surpris que vous, nous ne cherchions pas des armes mais… ».

« Un instant brigadier. ». Le sergent m’avait fait un signe de la main.

« Monsieur, suivez-moi s’il vous plaît ! ». Ce qu’il m’a annoncé alors m’a coupé le souffle. J’ai vu le ciel

s’obscurcir brutalement, je me suis écroulé sur un fauteuil en me prenant la tête : il m’avait dit que mon enfant, notre aîné faisait par-tie d’une bande de jeunes qui pour passer le temps, se « shootaient à l’héroïne ».Il pensait trouver cette saloperie chez nous !

Clara sur le, pas de la porte, s’enfuit effondrée en larmes… « Ce n’est pas possible, vous mentez ! » a-t’elle dit en sanglo-

tant » Notre fils ce n’est pas possible ! ». Je l’ai prise dans mes bras, je l’ai serré très fort, car je venais de

comprendre, hélas, que le policier était sincère. Nous avons confié le dangereux butin au sergent après avoir si-

gné les papiers de décharge. Le monde que nous avions considéré tête baissée, Clara à cause

de son travail, moi à cause de mes nombreuses activités, ce monde était devenu menaçant et un cyclone s’était déclaré dans la chambre de mon fils sans que nous n’ayions rien pressenti ! Nous avons rele-vé la tête et entr’ouvert les yeux, nous avons pris conscience de la séparation de notre univers et de celui de l’enfance, 18 ans, Eric avait dix huit ans ! De puis combien de temps vivait-il dans son nuage ?... Et nous dans le nôtre ! Depuis combien de temps nos es-prits vivaient-ils séparés ?

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Les yeux fous de douleur, Clara m’a dit : « Nous allons sauver notre enfant Pierre, Pierre tu vas le sauver,

tu vas sauver notre enfant… Nous allons unir nos connaissances, il faut le sauver… tu entends, Pierre, il faut l’aider, Pierre je t’en prie. ».

J’avais essuyé mes larmes et regardé ses yeux ; j’y avais trouvé une détresse infinie. Une peur irraisonnée la faisait trembler.

« Que pouvons nous faire, je suis aussi désespéré que toi, atten-dons qu’il rentre… Nous avons quatre heures pour réfléchir ! ».

Accroché au téléphone comme au dernier espoir, nous avons joint le médecin de famille qui nous a indiqué le numéro de s.o.s Drogue…

Quelques heures après le départ de la police, Eric est arrivé, dé-contracté, un peu exubérant. Nous l’avons regardé cette fois comme si nous le découvrions pour la première fois, au point qu’il nous avait dit :

« Tiens quelqu’un s’intéresse à moi dans cette maison ! ». Nous avions agrippé cette perche tendue et dans une décision ir-

raisonnée, j’avais décidé de l’entraîner avec moi pour une longue croisière le long des côtes françaises.;

Par jeu il avait accepté. Trois jours plus tard le 20 juin 1986, je m’en souviendrai toute

ma vie, après avoir roulé toute la nuit, nous avons embarqué à la Rochelle sur un bateau de location et selon l’expression « vogue la galère » nous avons vogué… Quelle galère !

Toute la famille à l’exception de Clara qui devait rester pour ga-gner l’argent du ménage, était sur le pont pour sauver le membre défaillant.

Troublant cet exemple de solidarité que je n’avais jamais soup-çonné… J’étais très fier de mes enfants et j’aurais voulu à cet ins-tant tout effacer, oublier pourquoi nous étions là sur ce port !