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Malou D'où nait l'idée, d'où vient l'envie de s'investir dans un projet photographique? Cette série débute fin aout 2009. Une rencontre amoureuse, un changement de vie, je quitte Paris, et je débarque dans une famille où la grand-mère vit à la maison, fait assez rare dans une société où la direction « maison de retraite » est souvent synonyme de dernière demeure. Le désir étant le moteur le plus puissant à me mobiliser. L'acte photographique me permettant de dépasser ma propre timidité, comme une ouverture vers l'Autre, un rapport privilégié, une autorisation spéciale, d’autant plus qu’avec le temps je ne vais plus n’être qu’un simple témoin, puisqu’avec la dégénérescence, je vais devenir un des « aides-soignants ». Une proximité supplémentaire, et un double rapport humain et artistique. Le rapport n’est plus le même, vous photographier certes encore, mais vous nourrissez votre sujet Revenons au sujet : Malou. Malou, une grand-mère pas comme les autres, comme la mienne? Il y a quelques années, j'avais écrit un court-métrage, avec ma grand-mère comme personnage clé. Peut-être que je cherche à rattraper un temps perdu, les derniers temps, où elle ne me reconnaissait plus et où la voir était trop douloureux pour moi. Malou, c'est Marie- Louise, comme ma grand-mère. Il parait qu'il n'y a pas de hasard Approchant la quarantaine, c'est aussi regarder la mort en face, voir la détresse d'une vie trop longue. 95 ans dans quelques semaines et l'entendre me dire comme le temps est long, jusqu'à 80 oui mais là c'est trop... Moi qui est toujours eu le pressentiment que je me suiciderais pour justement échapper à cela ! Je n’échapperais à ce sujet.

Malou

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Page 1: Malou

Malou

D'où nait l'idée, d'où vient l'envie de s'investir dans un projet photographique?

Cette série débute fin aout 2009. Une rencontre amoureuse, un changement de vie, je quitte

Paris, et je débarque dans une famille où la grand-mère vit à la maison, fait assez rare dans

une société où la direction « maison de retraite » est souvent synonyme de dernière demeure.

Le désir étant le moteur le plus puissant à me mobiliser.

L'acte photographique me permettant de dépasser ma propre timidité, comme une ouverture

vers l'Autre, un rapport privilégié, une autorisation spéciale, d’autant plus qu’avec le temps je

ne vais plus n’être qu’un simple témoin, puisqu’avec la dégénérescence, je vais devenir un

des « aides-soignants ». Une proximité supplémentaire, et un double rapport humain et

artistique. Le rapport n’est plus le même, vous photographier certes encore, mais vous

nourrissez votre sujet

Revenons au sujet : Malou.

Malou, une grand-mère pas comme les autres, comme la mienne?

Il y a quelques années, j'avais écrit un court-métrage, avec ma grand-mère comme personnage

clé.

Peut-être que je cherche à rattraper un temps perdu, les derniers temps, où elle ne me

reconnaissait plus et où la voir était trop douloureux pour moi.

Malou, c'est Marie- Louise, comme ma grand-mère.

Il parait qu'il n'y a pas de hasard

Approchant la quarantaine, c'est aussi regarder la mort en face, voir la détresse d'une vie trop

longue.

95 ans dans quelques semaines et l'entendre me dire comme le temps est long, jusqu'à 80 oui

mais là c'est trop... Moi qui est toujours eu le pressentiment que je me suiciderais pour

justement échapper à cela ! Je n’échapperais à ce sujet.

Page 2: Malou

Les photos sont rares c'est plutôt le temps passé avec vous chère Malou qui importe, je

voulais absolument ne rien vous voler, avoir votre consentement, partagez ce "travail".

Je voulais vous montrer à quel point la vieillesse pouvait avoir une certaine beauté.

Votre verdict fut sans appel : "qui est cette femme qui porte la même chemise que moi, qu'elle

est laide", puis violente "ce n'est pas moi" regardez-moi le jour de mon mariage. Elle pointe

du doigt la photo sur l’armoire.

Le temps de la splendeur?

Vanités???

Notre passage, a-t-il un sens, quelle empreinte y laisserons-nous ?

La vieillesse est un chemin mystérieux et Malou un mystère de la science, en regardant mes

images à chaque fois je suis saisi par les changements physiques incroyables, sur certaines

images je ne vous reconnais plus.

On croit que c’est finit : elle ne mange plus, elle part à l’hôpital, les médecins nous annoncent

que…

Et bien non, comme celui qui ne veut plus vivre mais qui au moment de se noyer se débat

pour respirer. Elle s’accroche. L’instinct de survie.

Alors que sa vie semble n’avoir plus de sens, elle est sourde, elle ne mange quasiment plus,

elle ne voit pas bien, ne parle que rarement, la télévision comme une présence qu’elle ne

comprend plus est là en permanence. Et le réflexe de vie est là : terrifiant et fascinant.

Voici son histoire. Elle a maintenant 97 ans, et moi quarante. Jusqu’où irons-nous ?

Page 3: Malou

30/08/2009

00:29

Malou a son caractère. La télé est là en permanence, elle adore les séries policières, les faits

divers, même si parfois elle confond fiction et réalité. Le son est fort très fort. Il m’est souvent

impossible d’enregistrer nos conversations.

La nuit elle est souvent éveillée.

Page 4: Malou

02/09/2009

12:05

Malou sort de temps en temps (jamais en dehors de la maison et cela depuis 20 ans).

Je l’ai connu qui marchait mais maintenant elle a peur de tombé donc elle va dans le salon en

fauteuil, elle nous voit vivre ; c’est peut-être mieux que la télé ?

Page 5: Malou

05/09/2009

16:23

Elle ne mange que des crèmes au café, pas au chocolat, surtout jamais froid ni chaud

d’ailleurs c’est 30 secondes précisément au micro-onde. Sinon c’est banane boudoir lait mixé

et toujours 30 secondes au micro-onde. Et cela depuis aussi presque 20 ans (manger équilibré,

je veux bien mais le régime Malou fait autant de miracle que celui d’Okinawa.)

Page 6: Malou

06/09/2009

17:56

17:57

18:15

Avec sa petite Fille Anna-Eva, un album de famille, avec la loupe elle lit encore un peu le

journal, et surtout elle adore les catalogues de vente par correspondance (surtout ceux avec

des gadgets pour la cuisine (allez comprendre pourquoi).

Page 7: Malou

06/09/2009

18:02

Malou voit des choses que nous ne voyons pas… Des gens dans le jardin. Elle se demande

parfois ce qu’ils font là, les insultes peuvent fuser aussi.

Page 8: Malou

18/09/2009

12:31

Malou est très observatrice, mais tactile aussi elle aime prendre mes mains mais gare à moi si

elles sont froides. Au moment de cette prise de vue j’ai les cheveux longs si je les détache je

peux avoir droit à un « vous êtes gentille ». Vu l’épaisseur de vos verres de lunettes je ne

vous en tiens pas rigueur.

Page 9: Malou

18/09/2009

12:57

Un rare moment de complicité avec sa fille Monique, qu’elle appelle parfois maman.

Page 10: Malou

01/10/2009

16:15

Les journées peuvent être longues, mais même à 95 ans on peut sombrer dans la dépendance

le soir il faudra ruser en lui faisant un faux somnifère en aspartam, elle n’a droit qu’à un mais

en réclame deux d’une façon assez vindicative, les grossièretés ne sont pas exclues de son

vocabulaire, ou les reproches : « après tout ce qu’elle a fait pour nous »

Page 11: Malou

24/10/2009

18:28

Comme un chat avec la chaleur d’une douce arrière saison.

Page 12: Malou

24/10/2009

18:29

Pas si sourde que cela vous m’avez vu venir.

Page 13: Malou

24/12/2009

17:02

Les joues se sont creusées, à chaque fois que je rentre dans votre chambre je vérifie si vous

respirez.

Page 14: Malou

24/02/2010

15:51

15:52

15:53

Vous arrivez encore à suivre les sous-titres, mais cela ne vous empêchent pas de m’interroger

sur « là-haut » qui vous fait peur. Alors je tire le rideau à moitié, masquant « la danse des

branches ». Vous semblez apaiser.

Page 15: Malou

04/02/2010

15:57

Les angoisses sont nombreuses, je suis impuissant.

Page 16: Malou

20/05/2010

17:39

Vous parlez de moins en moins, ou parfois de façon confuse, je ne suis pas sûr de vous

comprendre. Ma compréhension ne tient peut-être que de mes propres projections.

Page 17: Malou

20/05/2010

21: 26

Le célèbre banane lait boudoir dans un gobelet NBA.

« Roulez jeunesse »

Page 18: Malou

20/05/2010

21:31

« Tomorrow Darling » phrase fétiche pour nous inviter à revenir, vous avez parfois un

sentiment d’abandon, mais comme vous oubliez nos venue et nous reprocher parfois de ne

jamais venir vous voir… ingratitude de la jeunesse et Alzheimer.

Page 19: Malou

20/06/2010

19:37

De plus en plus perdue, vous reconnaissez difficilement les gens. Monique est votre seule

point d’ancrage. Vous la demandez, la réclamez, pourquoi ne rentre-t-elle pas de Gabon ?

Monique est dans son grenier où elle écrit, elle est venue il y a une demi-heure. Je vous

l’explique encore. Parfois je transforme un peu la réalité pour vous apaiser. Chaque jour est

unique.

Page 20: Malou

11/07/2010

14:05

C’est l’été, les épaules se dénudent, j’en tremble un peu, je ne sais plus pourquoi vous agitez

votre doigt ainsi. Vous semblez si vulnérable. Je me souviens plus très bien mais je garde cette

image.

Page 21: Malou

07/09/2010

23:21

Finit les vacances, il faut dormir. Anna-Eva votre petite fille vient vous dire bonne nuit.

Page 22: Malou

08/09/2010

13:04

Vue de l’extérieur de votre chambre je ne sais pas si vous m’avez reconnu. Je ne suis pas un

des gens du dehors, je suis Fabrice.

Page 23: Malou

20/09/2010

16:28

Finalement vous aimez bien être prise en photo, ou êtes vous contente d’éloigner le jouet de

Lila la chienne de la maison, qui veut toujours des calins, et que vous rejeter sans

ménagement ?

Les chats arrivent parfois à se glisser dans votre chambre, quand je rentre vous voulez les

chasser mais je vous surprends souvent (vous croyant seule) en train les caresser, enfin le gris

seulement parce que vous n’aimez pas le noir.

Page 24: Malou

06/02/2011

20:12

Vous avez toujours froid, malgré le chauffage; alors les couvertures s’accumulent.

Page 25: Malou

06/02/2011

20:13

Ce sont vos nouvelles lunettes ou le point de vue ? Je suis toujours sidéré par les évolutions de

votre visage. Certaines images ne semblent pas suivre la chronologie, pourtant j’ai bien

vérifié et les dates sont exactes.

Page 26: Malou

25/03/2011

15:30

L’hiver vous aimez être à côté de la cheminée, vous me dites de faire attention, que je suis

« sensass » pour les feux. « Ah il est fort ! »

Page 27: Malou

13/08/2011

14:54

Ce n’est pas la même peluche mais Lila a encore sévit. Vous sortez encore un peu de votre

chambre, malgré la chaleur vous êtes bien couverte.

Page 28: Malou

15/10/2011

17:31

L’hôpital, les gémissements ininterrompus, la douleur est partout.

Page 29: Malou

16/10/2011

16 : 06

Nous attendons votre dernier souffle, une délivrance ?

Page 30: Malou

18/11/2011

17:38

Un mois déjà, une infection vous êtes en « quarantaine » mais vous ne semblez plus souffrir.

Page 31: Malou

18/11/2011

17 :40

Vous ne reconnaissez vraiment plus personne, ni votre petite fille, ni votre fille que vous aviez

toujours reconnue et réclamée. Nous voulons croire qu’un sourire est un signe de

« reconnaissance ».

Page 32: Malou

10/12/2011

01:04

Miracle vous êtes revenue à la maison, le regard absent mais vivante. La vie n’est vraiment

pas la même sans vous. Il faut être honnête, en votre absence il y a quelque chose de plus

léger qui flotte dans la maison. Il est tard il faut dormir.

Page 33: Malou

16/12/2011

22:51

Perfusion, eau gélifiée, pot protéiné. Désormais c’est nous qui vous nourrissons. Du moins

tentons de le faire tant vos refus sont fréquents.

Page 34: Malou

24/12/2011

01:21

Veille de Noël, j’ai l’impression que vous ne passerez pas noël, ce n’est pas possible de

dormir autant. (23h sur 24 ou plus même) Mais vous ne souffrez plus. S’éteindre (c’est

comme cela que l’on dit ?)

Page 35: Malou

24/12/2011

01:21

Comment le corps peut-il supporter tout cela 97 ans depuis 12 jours, 34 kilos et toujours là.

Page 36: Malou

30/12/2011

23:00

L’eau gélifiée ou l’importance de s’hydrater. Entre les grimaces, les recrachas, et les toux. Le

temps s’étire alors nous aussi nous de profitons de la télé.

Page 37: Malou

02/01/2012

19:03

A quoi rêvez-vous Malou ?

Page 38: Malou

02/01/2012

21:36

Absent(e)s de ces images, les infirmier(e)s qui viennent chaque jour à notre domicile sont

admirables, malgré les injures, les cris les tentatives de griffures (Malou est terrible avec le

petit personnel). Ils luttent chaque jour contre les esquarres. Et ils gagnent en prenant le temps

des massages, malgré leurs journées trop longues. Nous les remercions tellement.

Page 39: Malou

13/01/2012

15:33

Toujours sur le fil entre ombre et lumière, entre la vie et la mort….

Etonnante Malou

A suivre….