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Bulletin Info veille en développement de produits Institut de développement de produits Vol. 7, no 4, mai 2009 Institut de développement de produits 4805, rue Molson Montréal (Québec) H1Y 0A2 Tél. : (514) 383-3209 Courriel : [email protected] http ://www.idp-ipd.com Direction et orientation : Guy Belletête Recherche et rédaction : Claude Émond, ing., MEng, MBA, RMC, PMP © Tous droits de reproduction réservés, 2003, 2009 Claude Émond & Qualiscope Graphisme : 2NSB Communication visuelle Ce bulletin est publié par : L’Institut de développement de produits est une association d'industriels dont la raison d’être est d’accélérer l’adoption de meilleures pratiques en développement de produits afin de rendre les entreprises québécoises plus compétitives. Coordination : Jacques Samson Correction d’épreuves : Agnès Billa La reproduction des textes, graphiques et tableaux de ce bulletin est autorisée pour des fins non commerciales seulement et à condition expresse d’indiquer la source du texte ainsi que la source spécifique des graphiques et des tableaux. Note : Les opinions exprimées dans cet article sont  celles de l'auteur et des personnes de l'entreprise  interviewées et ne représentent pas nécessairement   le point de vue de l’IDP. DANS CE NUMÉRO : • Mais que vient faire Petit Gébus dans tout ça ? • Quelques définitions complémentaires • Notes et références - Références générales sur l'internet pour les méthodes agiles • Pour en savoir plus • « Surviving the project age » (Encart) Lorsque Donald Rumsfeld fit cette déclaration, nombre de journalistes et de commenta- teurs de nouvelles étaient sous le choc. Pour la plupart ils ne comprenaient pas les propos de M. Rumsfeld et se questionnaient même sur sa santé mentale. Cependant, ceux qui sont familiers avec le jargon de la gestion des risques de projet, telle qu’elle est présentée par le Project Management Institute (PMI), auront compris que M. Rumsfeld parlait des différents types de risques auxquels nous faisons face dans la vie de tous les jours. Il utilisait même la nomenclature du Guide de gestion des risques de projets publié par le PMI (2) . Si, à l’époque, ces termes n’ont en rien clarifié ses propos pour le commun des mortels, ils ne nous éclaireraient pas plus aujourd’hui, même si nous sommes des gestionnaires avertis. Sans compter que la nomenclature du PMI est elle-même loin d’être limpide et ne permet pas d’avoir une vision très claire de ce qu’est un risque de projet (ou d’entreprise). Pourtant, depuis 1992 (date de publication du guide du PMI), globalisation et complexité subséquente obligent, plusieurs auteurs et gestionnaires se sont penchés sur la nature de la certitude, de l’incertitude et de ce qu’est un risque dans tout ça. Dans leur excellent article Managing Project Uncertainty : From Variation to Chaos (3) , De Meyer, Loch et Pich ont fait le ménage dans le domaine de l’incertitude en gestion de projet, reflétant fidèlement (sauf pour les termes utilisés, malheureusement) les quatre niveaux d’incertitude vécus par les entreprises d’aujourd’hui pour l’ensemble de leurs activités, tels que décrits par Courtney, Kirkland et Viguerie en 1997 dans le Harvard Business Review (4) . Cet article a fait fureur à l’époque et conditionne maintenant le vocabulaire utilisé par les dirigeants de nos entreprises dans leur planification stratégique, d’où la nécessité de faire le lien entre les propos de De Meyer et al. et ceux de Courtney, et al. si on veut que gestion- naires de projets et chefs d’entreprise se comprennent. QU’EST-CE QU’UN RISQUE DANS LE CADRE D’UN PROJET ? DE DONALD RUMSFELD À PETIT GIBUS : COMPRENDRE ET GÉRER LE RISQUE ET LINCERTITUDE EN COURS DE PROJET « Il n’y a pas de “connus”. Il y a des “connus connus”, soit des choses que nous savons que nous savons. Il y a des “inconnus connus” ; ce qui veut dire qu’il y a des choses que nous savons que nous ne savons pas. Mais il y a aussi les “inconnus inconnus” : ces choses que nous ne savons pas que nous ne savons pas. Alors, quand nous faisons de notre mieux pour mettre toute cette information ensemble, et quand nous disons : “eh bien, c’est à peu près comment nous voyons la situation”, en réalité il s’agit seule- ment de “connus connus” et d’“inconnus connus”. Et chaque année, nous découvrons un peu plus de ces “inconnus inconnus”. » (1) Donald Rumsfeld, Secrétaire à la Défense des États-Unis lors d’une rencontre des ministres de la Défense de l’OTAN, juin 2002

De Donald Rumsfeld à Petit Gibus : Comprendre et gérer le risque et l'incertitude en cours de projet

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Article que j'ai écrit pour le bulletin de l'institut de développement de produits de mai 2009. J'y introduit une méthodologie très simple en 9 questions pour identifier et traiter les «risques», que j'appelle pour cette fin «préoccupations» (concerns)

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Page 1: De Donald Rumsfeld à Petit Gibus : Comprendre et gérer le risque et l'incertitude en cours de projet

Bulletin

Info veilleen développement de produits

Institutde développement

de produits

Vol. 7, no 4, mai 2009

Institut de développement de produits 4805, rue Molson Montréal (Québec) H1Y 0A2 Tél. : (514) 383-3209 Courriel : [email protected] http ://www.idp-ipd.com

Direction et orientation :Guy Belletête

Recherche et rédaction :Claude Émond, ing., MEng, MBA, rMC, PMP© Tous droits de reproduction réservés, 2003, 2009

Claude Émond & Qualiscope

Graphisme :2NSB Communication visuelle

Ce bulletin est publié par :

L’Institut de développement de produits est une association d'industriels dont la raison d’être est d’accélérer l’adoption de meilleures pratiques en développement de produits afin de rendre les entreprises québécoises plus compétitives.

Coordination :Jacques Samson

Correction d’épreuves :Agnès Billa

La reproduction des textes, graphiques et tableaux de ce bulletin est autorisée pour des fins non commerciales seulement et à condition expresse d’indiquer la source du texte ainsi que la source spécifique des graphiques et des tableaux.

Note : Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et des personnes de l'entreprise  interviewées et ne représentent pas nécessairement  le point de vue de l’IDP.

Dans Ce numéRo :

• Mais que vient faire Petit Gébus dans tout ça ?

• Quelques définitions complémentaires

• Notes et références - Références générales sur l'internet pour les méthodes agiles

• Pour en savoir plus

• « Surviving the project age » (Encart)

Lorsque Donald rumsfeld fit cette déclaration, nombre de journalistes et de commenta-

teurs de nouvelles étaient sous le choc. Pour la plupart ils ne comprenaient pas les propos

de M. rumsfeld et se questionnaient même sur sa santé mentale. Cependant, ceux qui sont

familiers avec le jargon de la gestion des risques de projet, telle qu’elle est présentée par le

Project Management Institute (PMI), auront compris que M. rumsfeld parlait des différents

types de risques auxquels nous faisons face dans la vie de tous les jours. Il utilisait même la

nomenclature du Guide de gestion des risques de projets publié par le PMI(2).

Si, à l’époque, ces termes n’ont en rien clarifié ses propos pour le commun des mortels, ils

ne nous éclaireraient pas plus aujourd’hui, même si nous sommes des gestionnaires avertis.

Sans compter que la nomenclature du PMI est elle-même loin d’être limpide et ne permet

pas d’avoir une vision très claire de ce qu’est un risque de projet (ou d’entreprise). Pourtant,

depuis 1992 (date de publication du guide du PMI), globalisation et complexité subséquente

obligent, plusieurs auteurs et gestionnaires se sont penchés sur la nature de la certitude, de

l’incertitude et de ce qu’est un risque dans tout ça.

Dans leur excellent article managing Project uncertainty : From Variation to Chaos(3), De

Meyer, Loch et Pich ont fait le ménage dans le domaine de l’incertitude en gestion de projet,

reflétant fidèlement (sauf pour les termes utilisés, malheureusement) les quatre niveaux

d’incertitude vécus par les entreprises d’aujourd’hui pour l’ensemble de leurs activités, tels

que décrits par Courtney, Kirkland et Viguerie en 1997 dans le Harvard Business review (4).

Cet article a fait fureur à l’époque et conditionne maintenant le vocabulaire utilisé par les

dirigeants de nos entreprises dans leur planification stratégique, d’où la nécessité de faire

le lien entre les propos de De Meyer et al. et ceux de Courtney, et al. si on veut que gestion-

naires de projets et chefs d’entreprise se comprennent.

QU’EST-CE QU’UN RISQUE DANS LE CADRE D’UN PROJET ?De DonalD RumsfelD à Petit Gibus : ComPRenDRe et GéReR le Risque et l’inCeRtituDe en CouRs De PRojet

« Il n’y a pas de “connus”. Il y a des “connus connus”, soit des choses que nous savons

que nous savons. Il y a des “inconnus connus” ; ce qui veut dire qu’il y a des choses

que nous savons que nous ne savons pas. mais il y a aussi les “inconnus inconnus” :

ces choses que nous ne savons pas que nous ne savons pas. alors, quand nous faisons

de notre mieux pour mettre toute cette information ensemble, et quand nous disons :

“eh bien, c’est à peu près comment nous voyons la situation”, en réalité il s’agit seule-

ment de “connus connus” et d’ “inconnus connus”. et chaque année, nous découvrons un

peu plus de ces “inconnus inconnus”. »(1)

Donald Rumsfeld, Secrétaire à la Défense des États-Unis lors d’une rencontre des ministres de la Défense de l’OTAN, juin 2002

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De la certitude au chaos : le risque dans tous ses états

Classification

Approche du PMI2

connu connu(known known)

inconnu connu

(known unknown)

inconnu inconnu(unknown unknown)

De Meyer, Loch et Pich3

certitude(certainty)

variation(variation)

incertitude prévisible

(foreseen uncertainty)

incertitude imprévisible

(unforseen uncertainty)

chaos

(chaos)

Courtney, Kirkland et Viguerie4

futur assez clair(level 1: a clear enough future)

futurs alternatifs(level 2: alternative futures)

gamme de futurs(level 3: a rage of futures)

ambiguïté réelle(level 4: true ambiguity)

Pierre F. Gonod5

type 1certitude

type 2PRÉVISION ALÉATOIRE

type 3CERTITUDE QUALITATIVE MAIS INCERTITUDE QUANTITATIVE

type 4INCERTITUDE QUALITATIVE ET QUANTITATIVE

Probabilité (C. Émond)

qualitatif : 100 %quantitatif : 100 %

qualitatif = 100 %quantitatif : 0 @ 100 %

qualitatif < 100 %quantitatif : 0 @ 100 %

qualitatif : inconnuqualitatif : inconnu

Synthèse (C. Émond)

LA CERTITUDELE PASSÉ OU LE PRÉSENT

LE PRÉVISIBLE / LE RISQUELE FUTUR POSITIF OU NÉGATIF

L’IMPRÉVISIBLELE FUTUR POSITIF OU NÉGATIF

2

Le Tableau 1 intègre ces différentes nomenclatures du risque,

allant de l’approche du PMI et celle de M. rumsfeld à celle de

Courtney et al., en passant par De Meyer et al.. Ce tableau inclut

trois éléments de comparaison supplémentaires, soit :

• une référence à un texte français de Pierre F. Gonod, grand

spécialiste européen de la prospective et de l’incertitude,

Penser l’incertitude(5), histoire que vous puissiez aussi vous

y retrouver dans la littérature européenne.

• Une explication en termes de « probabilité » de ce que ces

quatre niveaux d’incertitude (ou types ou « levels ») peu-

vent bien vouloir dire. Le type « qualitatif » réfère à notre

connaissance de la nature de l’incertitude, alors que le type

« quantitatif » indique l’envergure de cette incertitude si

elle se matérialise en événement réel.

• Enfin, une synthèse qui confirme la nature de ce qu'est un

risque, c’est-à-dire une incertitude PRéVIsIBLE. Contrai-

rement aux interprétations proposées par plusieurs sur la

nature du risque, celui-ci est nécessairement un inconnu

(une incertitude) et un inconnu qui est prévisible, donc un

inconnu connu. Quelque chose qu’on ne peut prévoir ne

peut être un risque. Un risque est quelque chose qu’on peut

prédire jusqu’à un certain point et sur lequel on peut agir

directement ; on ne peut agir directement sur l’imprévisi-

ble. Il faut aussi comprendre qu’une incertitude prévisible

n’est pas nécessairement un risque, ça peut aussi être une

occasion (opportunity), quelque chose de positif ; ceci va à

l’encontre de la définition du PMI (PMBoK) qui dit qu’un

risque peut aussi bien avoir un impact positif que négatif,

ce qui crée plus de confusion qu’autre chose. Un risque,

c’est du négatif ; le positif, ça s’appelle une opportunité (et,

OUI, on peut changer un risque en occasion et une occasion

peut aussi inclure sa part de risques... Vous suivez ?).

TaBLeau 1 Le langage et la nature de l’incertitude

Le futurLe passé Le futurLe futur

A2

A3

A1Futur 2

Futur 3

Futur 1

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Bulletin Info veilleen développement de produits

Mais pourquoi faire un plat avec l’incertitude et ses divers

niveaux ? C’est qu’ils existent tous à divers degrés dans nos

projets et nos entreprises et que, selon la situation, l’incerti-

tude ne peut se gérer de la même façon, avec les mêmes outils.

Dans leur article managing Project uncertainty : From Variation

to Chaos, De Meyer et al. présentent d’ailleurs une discussion

exhaustive des différents enjeux de chacun des quatre niveaux

d’incertitude, incluant des exemples de projets, et suggèrent

les outils et les approches de gestion à favoriser selon le cas.

Ceux-ci sont résumés dans le Tableau 2. J’y ai ajouté certains

éléments (ex. les simulations de type Monte Carlo) et recom-

mandations de mon cru. Ce tableau ne rendant pas complète-

ment justice à l’article de De Meyer et al., je vous invite à le lire

et à vous délecter au passage des merveilleux exemples de pro-

jets qu’ils y présentent pour illustrer leur propos (notamment

celui du développement du VIAGrA).

3

TaBLeau 2 — Gérer l’incertitude : des outils et des approches très variés

La dernière ligne du Tableau 2 présente deux visions, soit la

VIsIon PRéDICTIVe (CaRTésIenne) et la VIsIon aDaPTaTIVe-

aGILe (CHaoRDIQue). En fait, ce que le tableau suggère, c’est

que ces deux visions doivent coexister dans une entreprise

ou un projet si on veut gérer proactivement l’incertitude qui

caractérise la situation. Certes, plus on est dans le prévisible,

plus une gestion basée sur la prédiction (planifier la réalisation

et réaliser le plan) sera efficace. Cependant plus on est dans

l’imprévisible, plus une gestion agile basée sur l’apprentissage

continu (le modèle de l’entreprise apprenante – the learning

organization – de Peter Senge) sera de mise.

De la certitude au chaos : le risque dans tous ses états

Outils et mode de gestion :De Meyer, Loch et Pich3 / Émond

certitude

qualitatif : 100 %quantitatif : 100 %

variation

qualitatif = 100 %quantitatif : 0 à 100 %

incertitude prévisible

qualitatif = 100 %quantitatif : 0 à 100 %

incertitude imprévisible

qualitatif : inconnuquantitatif : inconnu

chaos

qualitatif : inconnuquantitatif : inconnu

Outils de gestion

• Outils de suivi et de partage des faits

• Nous sommes ici dans le présent ou en train de réfléchir ou réagir au passé

• Utilisation de marges de manœuvre (buffers)

• Technique de la chaîne critique (Goldratt)

• PERT• Simulations de

type Monte Carlo• Contrôle des

variations (variances) (ex. : Earned Value)

• Listes de risques• Plans de

mitigation et plans de contingences

• Arbres de décision

• Plans itératifs, évolutifs

« timeboxing » i.e. livrables intermé-diaires

• Réunions informelles fréquentes (scrum)

• Replanifications fréquentes pour faire face aux nouveaux impré-vus qui se sont matérialisés

• Itération en continu

• Développement en parallèle sur plusieurs axes alternatifs

• Recours à la « business intelligence »

• Partage d’information en continu (outils collabora-tifs en ligne)

Approche de gestion

• Transparence et utilisation de méthodes de « feedback » efficaces pour s’assurer que tous perçoivent la même réalité

• Gestion par objectifs

• Planification avec marges de manœuvre et exécution disciplinée avec contrôle serré des variations

• Gestion par objectifs et consolidation des résultats courants

• Suivi et mitigation des risques

• Utilisation de contingences

• Saisie des opportunités

• Gestion par résultats

• Partage et maintien d’une vision commune

• Planification décentralisée et équipes autonomes

• Réseautage entre les équipes internes ainsi qu’avec l’externe

• Gestion des connaissances en continu

• Lecture constante de l’environnement d’affaires

• Partage et analyse des nouveaux événe-ments en continu

• Partenariats préférés aux contrats rigides

Philosophie de gestion

INFORMER PRÉDIRE Planifier et agir

(PLANNING selon De Meyer, Loch et Pich3 / Émond)

S’ADAPTER Apprendre, s’ajuster, agir,

réapprendre et se réajuster, etc.(LEARNING selon

De Meyer, Loch et Pich3 / Émond)

Le futurLe passé Le futurLe futur

A2

A3

A1Futur 2

Futur 3

Futur 1

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SURVIVING THE PROJECT AGE (Survivre à l’époque des projets)

Blogue de Claude Émond (http://www.projecttimes.com)

LA GESTION dE RISqUES d’UN PROJET EN dOUzE qUESTIONS

Beaucoup de gens m’interrogent sur ma façon de procéder dans un atelier d’évaluation des risques d’un projet. C’est simple : je pose des questions. Les douze mêmes, en fait. Elles ne portent pas uniquement sur l’évaluation, mais bien sur tout le cycle de gestion du projet dans son ensemble : définition, examen de la réalité (qui ne figure pas comme tel dans le guide PMBOK), analyse, réaction ainsi que surveillance et contrôle.

D’abord, je ne prononce jamais le mot « risque » dans ces ateliers ; j’utilise plutôt « incertitudes » ou « préoccupations ». La plupart des gens détestent parler de risques. Il s’agit d’un type de pensée magique un peu primitif voulant que, si on parle de risque, il se produira (ce qui est étrange, car c’est plutôt le contraire !).

Ensuite, je gère les risques d’un projet précis, et je n’ai pas recours à de pseudolistes ou classifications de risques. Je commence par demander aux participants à l’atelier de se mettre d’accord sur une charte de projet et une structure de découpage de projet (SDP ou Work Breakdown Structure en anglais) réaliste (ce qui n’a généralement pas été fait lorsqu’on me demande d’intervenir pour la première fois, de 6 à 12 mois après le début du projet). Après avoir abordé les principaux éléments de la charte puis de la SDP, je pose mes questions.

J’ai séparé ces questions, accompagnées de commentaires, par étape, afin que vous puissiez bien en comprendre le fonctionnement.

a) Définition des risques

1) Avez-vous des incertitudes ou des préoccupations à propos de... ?

Je pose systématiquement cette question à tous les participants pour chacun des principaux éléments de la charte (contraintes, stratégie, principaux facteurs de réussite, hypothèses, etc.) et de la SDP (intrants, extrants, processus de transformation pour produire les extrants).

b) Examen de la réalité

Il ne s’agit pas d’une étape distincte dans le guide PMBOK. Je l’ai ajoutée en m’inspirant du diagramme d’Ishikawa pour trouver les causes fondamentales et les traiter, plutôt que de réagir aux symptômes des risques (ma petite contribution à l’amélioration des méthodes d’évaluation des risques actuelle-ment utilisées et souvent infructueuses).

2) Pourquoi êtes-vous inquiet ou préoccupé ? En raison de mauvaises expériences, de l’état actuel des choses ou d’une intuition sur d’éventuelles circonstances ?

Dans le cadre d’un projet de 100 millions de dollars sur lequel je me suis penché une année après son lancement, cette question a permis aux 12 membres de l’équipe d’évaluation des risques de faire passer les quelque 300 inquiétudes soulevées à la première question à 67 causes fondamenta-les que tous pouvaient observer au présent ou des inquiétudes fondées sur des expériences (je ne jette rien puisque bon nombre des préoccupations originales ont la même cause fondamentale).

c) Analyse de risques

Je pose ensuite trois questions sur chacune des causes fondamentales actuelles cernées afin que tout le monde puisse se les représenter, le « connu connu », pour reprendre l’obscure terminologie de la PMP. À cette étape, tous les membres doivent s’entendre sur les répercussions prévues, ce qui est beaucoup plus facile si tout le monde conçoit la même situation.

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3) Que se passerait-il si nous ne faisions rien à cet égard ?

4) Les objectifs du projet ou une partie de ceux-ci seraient-ils compromis ?

5) Si nous ne faisons rien, à quel rythme le danger surgira-t-il ?

.... évaluation de l’urgence d’agir, au besoin.

6) Quelle est la probabilité que ce danger survienne si nous ne faisons rien ?

... évaluation de la probabilité qu’il survienne. Je n’aborde les probabilités qu’au dernier moment, car ce sont des aspects très flous, et personne ne voit l’avenir de la même façon. Cependant, en général, si les participants s’entendent sur les causes fondamentales actuelles, ils conviennent rapi-dement des effets du statu quo. Ainsi, la question des probabilités est réglée rapidement parce que tout le monde souhaite traiter les dangers perçus par le groupe en cas d’inaction.

d) Réaction aux risques

7) Si nous devons agir, que faisons-nous ?

8) Qui en est responsable et en fait rapport ?

9) Quand agirons-nous ?

La réaction aux dangers perçus ou aux problèmes réels constitue la véritable raison pour laquelle nous tenons des ateliers d’évaluation des risques d’un projet. Je le précise parce que la plupart des organisations qui se sont dotées d’une procédure écrite de gestion des risques (elles ne sont pas légion) ne l’utilisent pas de façon constante. Parmi les quelques-unes qui y ont recours, la plupart l’interrompent, satisfaites, après avoir produit de jolis diagrammes d’incidences et de probabilités des risques rouge-jaune-vert (que 15 % des hommes, soit les daltoniens, ne peuvent pas compren-dre de toute façon). Ces matrices sont inutiles si aucune mesure n’est ensuite prise. Il faut donc agir, ce qui n’est possible que si tous les intervenants conviennent de réagir à un élément de risque... Et ils ne peuvent être d’accord que s’ils conçoivent les mêmes causes fondamentales et qu’ils sont tous préoccupés à leur sujet.

Pour le projet que j’ai mentionné précédemment, j’ai obtenu un plan d’intervention comportant 67 éléments (dates, etc.) après une discussion qui n’a duré que 90 minutes environ puisque les 12 participants à l’atelier savaient qu’ils devaient agir rapidement et qu’ils étaient tous convaincus des dangers qu’ils voyaient TOUS clairement dans la situation actuelle, la même pour les 12, enfin.

e) Surveillance et contrôle des risques (soit l’évaluation continue des risques)

10) Notre plan d’intervention fonctionne-t-il ?

11) Sinon, que faire ?

12) Aujourd’hui, avez-vous de nouvelles inquiétudes ou préoccupations concernant... ?

Et nous recommençons le cycle encore une fois.

Puisque la gestion de risques d’un projet est un processus continu, qui doit poser ces questions ?

Moi ou un autre animateur ? Non, nous ne sommes pas toujours là.

Un gestionnaire de risques affecté uniquement au projet ? Non, il y a déjà un chef de projet.

Un chef de projet qui sait qu’il est responsable de la gestion des risques parce qu’il a justement été embauché pour ça, la gestion de l’incertitude ? Il n’y a aucun doute.

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Je fais allusion dans le titre de cet article à deux personna-

ges. Je vous ai parlé de Donald rumsfeld et de son lien avec la

gestion des risques, mais pas encore de Petit Gibus.

Petit Gibus est un personnage du film La guerre des bou-

tons, réalisé par Yves robert en 1961. Ceux qui ont vu ce film se

rappelleront qu’il s’agit d’une savoureuse histoire de « gangs »

d’enfants de la campagne française, qui mènent une guerre

durant laquelle les vainqueurs prennent tous les boutons du

groupe défait lors des batailles. Petit Gibus, lui, perd entre

autres les boutons de son pantalon, qui se retrouve conséquem-

ment par terre. C’est alors qu’il dit cette phrase désormais célè-

bre : « si j’aurais su, j’aurais pas venu. »

Mais, en réalité, même s’il savait, il n’a jamais eu le choix.

Il faisait partie de la « gang » et ne pouvait se défiler. Alors,

tout comme Petit Gibus, nous ne pouvons pas prétendre ne

pas savoir à quoi nous attendre de notre monde turbulent,

complexe et se globalisant de plus en plus, ce monde dont

l’incertitude est le propos de cet article. Tout comme lui, on n’a

pas le choix de jouer ; il n’existe pas d’autre jeu, pas d’autre

monde. Et tout comme lui, on risque de perdre nos boutons

(et autre chose) si on est mal préparé à faire face autant au

prévisible qu’à l’imprévisible.

dans l’index ; c’est qu’ils connaissent leur sujet et savent très

bien de quoi ils parlent. Différents ouvrages et articles sur la

méthode agile pourront aussi vous aider dans les situations de

type/niveau 4 (incertitude imprévisible / gamme de futurs).

Mais que vient faire Petit Gibus dans tout ça ?

Pour en savoir plus

De nombreux ouvrages ont été consacrés à la gestion du

prévisible, notamment sur la gestion des risques dans le cadre

d’un projet (peu sur la gestion des opportunités !!!). Parmi

ceux-ci, très peu expliquent mieux les enjeux et les meilleures

approches que le livre Waltzing With Bears : managing Risks on

software Projects(6), de Tom DeMarco et Timothy Lister. Bien

qu’il s’adresse au départ à un public TI (technologies de l’infor-

mation et développement logiciel), son propos et son approche

sont pertinents pour tous les projets.

Pour ce qui est de la gestion de l’imprévisible, les ouvrages sur

l’entreprise apprenante ne nous interpellent pas en ces termes.

Les nombreux livres sur la complexité et le chaos parlent, pour

leur part, plus du quoi et du pourquoi et nous laissent complè-

tement dans le noir quant au comment. Un livre fait cependant

exception : managing the unexpected : assuring High Perfor-

mance in an age of Complexity(7), de Karl E. Weick et Kathleen

M. Sutcliffe. Vous ne trouverez aucune mention du mot risque

Quelques définitions complémentaires

Simulation de monte-Carlo : On appelle méthode de

Monte-Carlo toute méthode visant à calculer une valeur

numérique, et utilisant des procédés aléatoires, c’est-à-dire

des techniques probabilistes.

La méthode de simulation de Monte-Carlo permet aussi

d’introduire une approche statistique du risque dans une

décision financière. Elle consiste à isoler un certain nombre de

variables-clés du projet tels le chiffre d’affaires ou la marge...

et à leur affecter une distribution de probabilités. Pour chacun

de ces facteurs, on effectue un grand nombre de tirages aléa-

toires dans les distributions de probabilité déterminées précé-

demment, afin de déterminer la probabilité d’occurrence de

chacun des résultats.

http://fr.wikipedia.org/wiki/m%C3%a9thode_de_monte-

Carlo

Plan d’atténuation du riSque : identification et planification

des actions à mettre en œuvre pour se prémunir de l’occur-

rence d’un risque ou en réduire les effets, lorsque ce risque se

concrétise. Ce plan vise à réduire de manière proactive l’im-

pact potentiel de l’occurrence d’un risque. Un plan d’atténua-

tion peut inclure un plan de substitution.

Plan de SubStitution : identification et planification des actions

à mettre en œuvre dans le cas où le risque se concrétise.

time boxing : Le Timeboxing consiste à découper un projet en

tranches de temps de durée fixe ; celles-ci constitueront les ité-

rations (ou sprints), sorte de mini-projets « à taille humaine »

au cours desquels les activités d’ingénierie (exigences, ergo-

nomie, conception, développement, test…) vont se dérouler.

(On parle alors de développement itératif.).

http://www.qualitystreet.fr/2007/11/14/le-timeboxing-cest-super-mais/

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Claude Émond est conseiller en management par projet (www.qualiscope.ca). Il est détenteur d’un bac en génie du Royal Military College de Kingston, d’une maîtrise en génie de McGill et d’un MBA de l’Université d’Ottawa. Certifié PMP, M. Emond pratique la gestion de projet depuis plus de 25 ans. Il est l’auteur de

nombreux articles sur le sujet, et a donné plusieurs conférences et ateliers sur le management par projet. Il a développé les ateliers de formation en gestion de projet offerts par l’Institut de développement de produits.

Notes et références

(1) Traduction : Claude Emond. Texte original en anglais disponi-

ble sur ABC Newsline, rumsfeld baffles press with ‘unknown

unknowns’, 7 juin 2002, (www.abc.net.au/news/newsitems/

s576186.htm)

(2) Project and Program risk Management : A Guide to Managing

Project risks and Opportunities,

r. Max Wideman (editeur), Project Management Institute, New-

town Square, PA, 1992

(3) Managing Project Uncertainty : From Variation to Chaos,

A. De Meyer, C.H. Loch et M.T. Pich, MIT Sloan Management

review, hiver 2002 (www.insead.fr/%7eloch/articles/smR_

2002.pdf)

(4) Strategy under uncertainty, H.G. Courtney, J. Kirkland et

S.P. Viguerie, Harvard Business review, novembre 1997 et The

McKinsey Quarterly, décembre 2001. (www.ucfv.bc.ca/eco-

nomics/box/econ307/strategyunderuncertainty.pdf). Voir

aussi le livre de Courtney, 20/20 Foresight : Crafting Strategy

in an Uncertain World, Harvard Business Press, 2001

(5) Penser l’incertitude de Pierre F. Gonod (www.mcxapc.org/

docs/ateliers/incertitude.pdf)

(6) Waltzing With Bears : Managing risks on Software Projects,

T. DeMarco et T. Lister, Dorset House, 2003

(7) Managing the Unexpected : Assuring High Performance in an

Age of Complexity, K.E. Weick et K.M. Sutcliffe, Jossey-Bass

(Wiley), 2001

Références générales sur l’internet pour les méthodes agiles

http://www.ccpace.com/Resources/documents/agileProject-

management.pdf

http://www.mti.epita.fr/blogs/autres/2008/11/01/scrum-

methodologie-de-gestion-de-projet/

SCrum : Le principe de base de Scrum est de focaliser l’équipe

de façon itérative sur un ensemble de fonctionnalités à réali-

ser, dans des itérations de 30 jours, appelées Sprints. Chaque

sprint possède un but à atteindre, défini par le Directeur

de produit, à partir duquel sont choisies les fonctionnalités

à implémenter dans ce sprint. Un sprint aboutit toujours à

la livraison d’un produit fonctionnel. Pendant ce temps le

ScrumMaster a la charge de réduire au maximum les pertur-

bations extérieures et de résoudre les problèmes non techni-

ques de l’équipe.

http://www.techno-science.net?onglet=glossaire&definition

=797

arbre de déCiSion : Un arbre de décision est un outil d’aide

à la décision et à l’exploration de données. Il permet de

modéliser simplement, graphiquement et rapidement un

phénomène mesuré plus ou moins complexe. Un arbre de

décision représente graphiquement chacune des options et

leurs résultats quantitatifs estimés, compte tenu de la pro-

babilité de réalisation de ces derniers. Un tel diagramme

permet d’étudier les différentes options pour sélectionner

rationnellement celles qui offrent le plus de chances d’at-

teindre les résultats escomptés.

http://fr.wikipedia.org/wiki/arbre_de_d%C3%a9cision

http://www.qualiteonline.com/glossaire-a-26-def.html