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SEPTEMBRE 2010 Ce texte décrit les principales idées classiques sur la motivation au travail, des débuts du fordisme à nos jours. Il a été écrit dans un but de référence pédagogique. Ce n’est pas une présentation neutre : je crois que les idées sur la motivation au travail évoluent plus ou moins laborieusement, à la recherche d’un « graal » qui a pourtant été identifié très tôt : si les personnes décident in fine de leur propre motivation, ce sont à elles qu’il faut s’intéresser. LES MOTIVATIONS EVOLUENT Les idées sur la motivation au travail évoluent parallèlement aux conceptions de l’homme et de la société. Le terme lui-même n’apparaît qu’au vingtième siècle : auparavant le travail, réservé à des classes inférieures, ne semble pas avoir fait l’objet de grandes réflexions. Au début du XXème siècle l’Organisation Scientifique du Travail selon Taylor, Fayol et Weber transforme la vie au travail. Elle induit des comportements désirés, définis scientifiquement comme optimaux par les ingénieurs des bureaux des méthodes – c’est une rupture majeure avec le modèle de l’artisan qui prévalait auparavant. Taylor s’appuie sur une vision économique unidimensionnelle de l’homme, assurant aux travailleurs une rémunération suffisante pour qu’ils acceptent sans état d’âme de faire ce qu’on leur demande. Presque simultanément Mary Parker Follet, inspiratrice de l’Ecole des Relations Humaines développée ensuite par Elton Mayo, mettait en avant un autre vision de l’entreprise : « La principale fonction, le vrai service de l’entreprise : […] donner l’occasion aux individus de se développer grâce à une meilleure organisation des relations humaines. » Mary Parker Follet est inconnue du public, et l’on connaît les succès du modèle Taylorien. Cependant, au long du vingtième siècle on observe dans les théories sur la motivation et les pratiques de management un mouvement entre ces deux points de vue – il semble que l’on soit depuis longtemps à la recherche de concepts, méthodes, outils pour mettre en pratique la vision humaniste de mary Parker Follett. Dans la littérature, on nomme quelquefois ces deux points de vue sous les vocables « extrinsèque », par des récompenses et des sanctions qui viennent de l’extérieur, ou « intrinsèque », en cherchant à éveiller le désir de l’individu d’agir dans une certaine direction. SKINNER : CONDITIONNEMENT – RENFORCEMENT Héritier intellectuel de Pavlov et représentant majeur de l’approche extrinsèque, B.F. Skinner a donné son élan à la psychologie « behavioriste » (cognitivo-comportementale) et proposé à partir des années 1940 une véritable technologie du comportement, fondée sur le conditionnement et le renforcement. Bien que ses expériences aient principalement porté sur les rats et les pigeons, on ne peut nier l’efficacité et le bon sens de ses propositions dans le monde du travail. Elles sont plus profondes que la simple méthode de la carotte et du bâton. Par exemple, Skinner montre que les mécanismes de récompense sont plus efficaces que les mécanismes de sanction. Il observe aussi que le feedback perd rapidement de son efficacité lorsqu’il est donné trop longtemps après l’action. Ainsi après Skinner la fixation d’objectifs clairs, le feedback rapide, la récompense légitime des efforts deviennent des bases incontournables du management. Zoom LES THEORIES DE LA MOTIVATION: A LA RECHERCHE DE LA PERSONNE AU TRAVAIL

Les clés de la motivation

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Un panorama des notions classiques sur la motivation au travail

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SEPTEMBRE 2010

Ce texte décrit les principales idées classiques sur la motivation au travail, des débuts du fordisme à nos jours. Il

a été écrit dans un but de référence pédagogique.

Ce n’est pas une présentation neutre : je crois que les idées sur la motivation au travail évoluent plus ou moins

laborieusement, à la recherche d’un « graal » qui a pourtant été identifié très tôt : si les personnes décident in

fine de leur propre motivation, ce sont à elles qu’il faut s’intéresser.

LES MOTIVATIONS EVOLUENT

Les idées sur la motivation au travail évoluent parallèlement aux conceptions de l’homme et de la société. Le

terme lui-même n’apparaît qu’au vingtième siècle : auparavant le travail, réservé à des classes inférieures, ne

semble pas avoir fait l’objet de grandes réflexions.

Au début du XXème siècle l’Organisation Scientifique du Travail selon Taylor, Fayol et Weber transforme la vie

au travail. Elle induit des comportements désirés, définis scientifiquement comme optimaux par les ingénieurs

des bureaux des méthodes – c’est une rupture majeure avec le modèle de l’artisan qui prévalait auparavant.

Taylor s’appuie sur une vision économique unidimensionnelle de l’homme, assurant aux travailleurs une

rémunération suffisante pour qu’ils acceptent sans état d’âme de faire ce qu’on leur demande.

Presque simultanément Mary Parker Follet, inspiratrice de l’Ecole des Relations Humaines développée ensuite

par Elton Mayo, mettait en avant un autre vision de l’entreprise : « La principale fonction, le vrai service de

l’entreprise : […] donner l’occasion aux individus de se développer grâce à une meilleure organisation des

relations humaines. »

Mary Parker Follet est inconnue du public, et l’on connaît les succès du modèle Taylorien. Cependant, au long

du vingtième siècle on observe dans les théories sur la motivation et les pratiques de management un

mouvement entre ces deux points de vue – il semble que l’on soit depuis longtemps à la recherche de

concepts, méthodes, outils pour mettre en pratique la vision humaniste de mary Parker Follett. Dans la

littérature, on nomme quelquefois ces deux points de vue sous les vocables « extrinsèque », par des

récompenses et des sanctions qui viennent de l’extérieur, ou « intrinsèque », en cherchant à éveiller le désir de

l’individu d’agir dans une certaine direction.

SKINNER : CONDITIONNEMENT – RENFORCEMENT

Héritier intellectuel de Pavlov et représentant majeur de l’approche extrinsèque, B.F. Skinner a donné son élan

à la psychologie « behavioriste » (cognitivo-comportementale) et proposé à partir des années 1940 une

véritable technologie du comportement, fondée sur le conditionnement et le renforcement.

Bien que ses expériences aient principalement porté sur les rats et les pigeons, on ne peut nier l’efficacité et le

bon sens de ses propositions dans le monde du travail. Elles sont plus profondes que la simple méthode de la

carotte et du bâton. Par exemple, Skinner montre que les mécanismes de récompense sont plus efficaces que

les mécanismes de sanction. Il observe aussi que le feedback perd rapidement de son efficacité lorsqu’il est

donné trop longtemps après l’action. Ainsi après Skinner la fixation d’objectifs clairs, le feedback rapide, la

récompense légitime des efforts deviennent des bases incontournables du management.

Zoom

LES THEORIES DE LA MOTIVATION: A LA RECHERCHE DE LA PERSONNE AU TRAVAIL

2 Regards sur la motivation

MAYO ET MASLOW : LES BESOINS HUMAINS

Un peu plus tôt et dans le camp « intrinsèque », Elton Mayo, sur la base d’expériences menées dans les années

1920, avait mis en évidence l’impact des facteurs humains sociaux, c’est-à-dire des besoins d’intégration et de

relation, sur la motivation et le rendement. En 1943 Abraham Maslow, l’un des pères de la psychologie

humaniste, a posé un un modèle bien connu pour décrire les besoins

humains, la « Pyramide de Maslow » - bien que ni le terme ni la

représentation graphique associée, ne viennent de Maslow lui-même.

En résumé, ce modèle tient que les personnes poursuivent des buts,

conscients ou inconscients, que l’on peut classifier suivant les cinq

catégories génériques nommées sur la figure. Lorsqu’un besoin de

niveau inférieur n’est pas satisfait, il monopolise l’énergie au détriment

des niveaux supérieurs. Ainsi allons-nous, par exemple, prendre des

risques lorsque notre physiologie est en jeu, et éprouver beaucoup de

difficultés à nous estimer si nous ne nous sentons pas appartenir à une

communauté.

Ce modèle est quelquefois présenté de manière trop mécanique,

comme si les besoins ne se manifestaient que l’un après l’autre. En

réalité, les niveaux supérieurs restent actifs et nécessaires en toute situation (qui peut croire que des

personnes malades ou en risque, n’aient aucun besoin d’appartenance ou d’estime de soi ?).

Au travail, il donne de nouvelles pistes –même si le travail n’était pas le champ de réflexion de Maslow. Après

lui en tout cas, le management devient aussi responsable du climat relationnel (appartenance), de la

reconnaissance donnée (estime), et de l’ouverture de voies d’épanouissement pour les collaborateurs

(accomplissement).

A noter que Maslow, en 1970, a rajouté un « sixième besoin » à son modèle : la transcendance. Quelquefois

traduit en français par un prudent « dépassement de soi », il est généralement passé sous silence par des

théoriciens du management plutôt embarrassés.

MC GREGOR ET HERZBERG : LES MODELES DUALISTES

En 1960, Mc Gregor s’appuie sur la théorie psychologique de Maslow et propose que pour le management des

entreprises, les méthodes traditionnelles de contrôle-commande (la « Théorie X ») soient remplacées par une

politique selon laquelle l’individu serait essentiellement motivé par lui-

même (« Théorie Y »). On sent poindre ici les années 60 et leur vent

libertaire.

La Théorie Y se développe sur le terrain à travers les pratiques de

responsabilisation, d’autonomie, de participation aux décisions. La

possibilité de se réaliser (les besoins supérieurs de la pyramide de Maslow)

est posée comme un facteur de motivation essentiel. Apparaît également

la notion du sens donné aux objectifs assignés. Nous y reviendrons.

A la même époque (1959), Herzberg propose un modèle proche, qui distingue dans la motivation les facteurs

d’hygiène et les facteurs moteurs.

Accompli-ssement

Estime

Appartenance

Sécurité

Physiologie

3 Regards sur la motivation

Selon lui les facteurs extrinsèques de motivation, lorsqu’ils sont inférieurs à un seuil d’attentes, provoquent

l’insatisfaction ; il les nomme « facteurs d’hygiène » - salaire, statut, relations humaines, sécurité, confort

physique… Lorsque nous n’avons pas dans ce domaine des niveaux de statisfaction qui correspondent à notre

propre image sociale, notre engagement se tarit. Cependant, améliorer ces facteurs au-delà de ce niveau

socialement acceptable a peu d’effet durable sur le comportement.

Pour générer une dynamique propre, une posture d’initiative basée sur l’intérêt authentique, il faut jouer sur

des « facteurs moteurs » : accomplissement, reconnaissance, travail, responsabilité, promotion,

développement personnel.

Ce courant théorique peut être relié aux démarches managériales d’enrichissement des tâches,

d’empowerment, d’auto-contrôle, de développement des compétences. Plus les personnes se sentent

participer à l’élaboration de leur propre destin, plus elles y adhèrent.

On a peu conceptualisé les pratiques importées du Japon industriel moderne à partir des années 1980. Le fait

qu’elles réussissent en dehors du Japon, et que leur origine soit plutôt américaine, n’a pas empêché qu’on les

considère, à l’époque au moins, comme inséparables de la culture japonaise. Les démarches qualité, les

groupes d’amélioration, le Kaizen et plus généralement le centrage sur le travail ouvrier affirmé par les

initiateurs du « toyotisme », peuvent à notre avis être rattachés à cette famille de facteurs « Y », ou

« moteurs ». Les critiques y voient quelquefois un système quelque peu pervers dans lequel le salarié s’impose

lui-même les contraintes du taylorisme. Dans les faits, lorsque l’on introduit ces pratiques, elles sont

massivement appréciées – le cas où elles sont accompagnées d’économies et autres licenciements, est plus

complexe : sans doute des besoins fondamentaux d’appartenance et de sécurité sont-ils alors mis en doute, ce

qui déplace l’attention.

CONCEPTS ACTUELS

La recherche sur la motivation se poursuit, globalement en direction d’une individualisation de plus en plus

grande.

Chaque collaborateur a en effet ses valeurs, ses buts, ses attentes, ses échelles d’évaluation personnelles, et la

même situation pourra résonner comme inadmissible pour l’un et satisfaisante pour l’autre. Le modèle de

Vroom, par exemple, porte l’attention sur les attentes des personnes plutôt que sur leurs besoins supposés. On

voit aussi fleurir, pour les cadres surtout, des outils de description de la personnalité (MBTI, Process Com,

DISC…) qui permettent de différencier, valoriser et prendre en compte les traits personnels de chacun.

On peut aussi citer ici les premières retombées de la Psychologie Positive. Nouvelle tendance de fond, initiée

par Martin Seligman à Chicago, la psychologie positive est encore peu connue en France mais ses applications

au monde de l’entreprise sont prometteuses, notamment à travers l’approche de l’Investigation Positive de

David Cooperrider et Sarah Lewis. Dans cette approche, on s’appuie sur les qualités et les besoins propres de

chaque personne et de chaque organisation, plutôt que sur des grilles de tâches standard, des besoins

prédéfinis pour un travail donné. Cela peut par exemple amener à revoir ou individualiser les fiches de poste ;

ou encore, à susciter la participation à des projets de changement. La motivation dans ce cadre est obtenue

presque « par surcroit », lorsqu’étant reconnue dans ses propres qualités, la personne s’implique dans des

actions perçues comme favorable à son propre épanouissement.

Cependant Taylor, Maslow, McGregor et Herzberg restent les inspirateurs principaux du management actuel.

La « tendance lourde » qui va d’un point de vue extrinsèque vers un point de vue intrinsèque, doit être vue

comme un enrichissement progressif et non comme un basculement : les postures classiques de contrôle-

commande et de conditionnement-renforcement restent une base, et les concepts plus humanistes les

enrichissent, les complètent plutôt qu’ils ne les remplacent.

4 Regards sur la motivation

2010 : RISQUE PSYCHOSOCIAL ET RECHERCHE DU SENS

En 2010, on peut constater à la fois une sorte d’inflation des modèles de réussite – toujours plus d’argent, plus

de puissance, plus d’accomplissement, plus d’inégalités – et l’émergence de risques psychosociaux. Le sujet des

risques psychosociaux est maintenant pris en compte très sérieusement par la réglementation, par les salariés

et leurs représentants, par le management. Un climat psychosocial tendu peut coûter extrêmement cher aux

personnes et aux organisations.

Comment en est-on arrivé là, malgré toutes ces belles et bonnes idées sur la motivation ?

Le monde change : l’environnement économique, pour le pire

ou le meilleur, se traduit par une rupture du contrat de « prise

en charge » par l’entreprise des personnes, sur le temps long de

leur carrière. Les niveaux d’éducation des personnes, leurs

attentes, leur relation à l’autorité changent aussi. Peut-être n’a-

t-on pas bien mesuré à quel point les sentiments d’estime et

d’accomplissement, la prise en compte de besoins

psychologiques supérieurs, ne sont pas une option « luxe »

mais une nécessité vitale, et peut-être les a-t-on mal satisfaits.

Parmi les ouvriers qui travaillaient sur les premières chaînes de

montage de Ford, 25% ou moins parlaient anglais. Eux-mêmes

ou leur famille avaient le plus souvent échappé à la persécution

ou à la misère, et réussi au-delà sans doute de leurs espérances,

en trouvant cet emploi fixe et bien payé. Ils pouvaient estimer accomplie leur vie professionnelle - et ressentir

comme satisfaits leurs besoins supérieurs, en tout cas au travail.

Un mot revient aujourd’hui dans nombre de discours sur la motivation et les risques psychosociaux,

quelquefois à toutes les sauces : celui de sens.

Le psychanalyste Viktor Frankl avait posé, à partir de son expérience personnelle de survie dans les camps de

concentration, le rôle essentiel de la conscience du sens dans l’énergie des personnes – y compris leur énergie

de survie. Le sens est pour lui un besoin essentiel de l’homme.

Vincent Lenhardt, qui a introduit le coaching managérial en France, a proposé le concept de « manager porteur

de sens ». Voilà peut-être réapparaître ici le « sixième besoin » de Maslow, la transcendance, ce qui va au-delà

des raisons et des résultats immédiats…

Concrètement, lorsqu’on demande aux gens ce qui fait sens pour eux au travail – les chercheurs québécois sont

en pointe sur ces sujets - on découvre des choses simples : bien faire un travail intéressant et utile est un but

majeur pour beaucoup de personnes, et lever les freins posés par les hiérarchies et les procédures au travail

bien fait, est une piste de motivation prometteuse.

Comprendre où va l’organisation et pourquoi, comment on y contribue, et quelles sont les perspectives de

développement accessibles, font aussi partie de la perception du sens. On y retrouve également les valeurs

pratiquées, la noblesse du métier, l’inscription dans une tradition. Enfin la perception du sens est renforcée par

l’engagement personnel des dirigeants et managers, la perception qu’ils s’engagent en tant que personnes

humaines – avec leurs limites, leurs incertitudes, leurs valeurs, leur propre version du sens de leur travail au-

delà des discours officiels.

5 Regards sur la motivation

CONCLUSION… PROVISOIRE

Motiver des personnes sous sa responsabilité – hiérarchique ou non, comme dans les modes projets - implique

de considérer plusieurs « couches » du comportement des gens. Il faut bien sûr poser les bases : définir ce que

l’on veut, donner un feedback clair. Mais si l’on attend des gens une vraie implication personnelle, une vraie

dynamique de mobilisation où chacun engage son désir et ses moyens, on n’a pas d’autre choix que

d’alimenter leurs besoins supérieurs : de relation sociale, d’accomplissement. Cela passe par l’entretien d’un

bon climat relationnel; par la participation des gens aux décisions, à la construction de leur cadre de travail, à

l’innovation ; par la reconnaissance de leurs spécificités individuelles et de leur contribution au projet collectif.

Ces besoins supérieurs ne peuvent pas être entièrement définis et satisfaits de l’extérieur. Ce sont des facteurs

propres à la personne, intrinsèques. Le rôle du manager à ces niveaux consiste à entendre, laisser l’espace,

donner l’occasion, in fine offrir aux gens des opportunités de croissance personnelle congruentes avec les

objectifs de l’organisation – et à s’engager à leurs côtés pour cela.

Face aux enjeux actuels de la motivation, nous croyons que la question du sens est en jeu – et qu’une

refondation est à imaginer pour que les gens se sentent à nouveau bien dans leur travail. Nous voyons cette

refondation en germe dans de nombreux services, projets, organisations où le management a résolument pris

le parti de respecter et d’écouter les collaborateurs.

Contact :

Pascal Ponty

[email protected]

Tél. (+33) (0)670 900 781

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