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1 Roméo et Juliette ont-ils existé ? par Jean-Jacques TIJET D’abord l’histoire, la vraie, l’originale, celle du premier roman intitulé « L’Histoire récemment retrouvée de deux nobles amants, avec leur mort pitoyable survenue au temps de Bartolomeo della Scala » écrit en 1524 par un célèbre inconnu mais poète à ses heures, Luigi Da Porto : A Vérone au début du XIV e siècle un beau et délicieux jeune homme Roméo et la non moins ravissante Juliette font connaissance lors d’un bal et s’éprennent l’un pour l’autre, éperdument. Le problème est qu’ils appartiennent à 2 familles rivales, les Montecchi (Montaigu in french) pour l’un et les Cappelletti (Capulet ) pour l’autre (dans l’Italie médiévale c’est chose courante sur fond de luttes sauvages entre Gibelins, partisans du pape et Guelfes, partisans de l’empereur germanique 1 ). Roméo commence à faire sa cour sous le balcon de la chambre de Juliette, puis sur le dit balcon pour ensuite demander à rentrer dans la chambre. Juliette est d’accord à la condition qu’il l’épouse. Aussitôt dit aussitôt fait : Lorenzo, un brave moine d’un proche couvent, les unit en cachette à la suite d’une visite de la jeune fille à son confessionnal. Quelque temps plus tard lors d’une rixe Roméo tue Tébaldo, un membre de la famille Capulet ; il est obligé de s’exiler à Mantoue. Les parents de Juliette décident alors de la marier. Elle va expliquer son désespoir à la seule personne qui peut l’entendre : le moine Lorenzo. Celui-ci lui propose de feindre la mort : il l’endormira à la faveur d’un philtre puis l’ensevelira dans le caveau de la famille… pour la délivrer ensuite le temps venu ! (Remarquons l’imagination féconde de ce bon moine) Roméo en apprenant la mort de sa bien-aimée est au désespoir et revient à Vérone. Il ouvre le caveau, boit un poison et s’allonge près de Juliette… qui se réveille, découvre son bien-aimé mourant et se meurt à son tour après avoir fait promettre au moine Lorenzo de « supplier nos deux pères, au nom de Roméo et du mien, de laisser réunis dans la tombe leurs enfants que l’amour a réunis dans la mort ». Le voeu de Juliette sera exaucé et les deux familles ennemies se réconcilieront près du tombeau des deux jeunes gens ! L’histoire entre amants infortunés – que la famille sépare et que la mort réunit – est vieille comme le monde et chaque pays a la sienne : déjà dans la Grèce ancienne on pleurait en écoutant des farces basées sur des amours contrariées de jeunes adolescents ; en Espagne ce sont les célèbres Amants de Teruel 2 , déchirés entre deux familles qui s’opposent par la fortune (au début du XIII e siècle Juan et Isabel s’aiment tendrement mais les parents d’Isabel refusent leur mariage car Juan est trop pauvre ; il est obligé de partir pour faire fortune et rentre – 5 ans après son départ, ayant acquis gloire et richesse - juste le jour du mariage de sa bien-aimée mais après la cérémonie religieuse; ils meurent tous les 2 de désespoir) ; peu de succès par contre en Germanie où les jeunes amants du passé étaient certainement « trop rustiques », en Angleterre trop hypocrites et en France « trop malins » pour se fourvoyer dans une telle infortune liée à des sentiments vulgaires ! Par contre chez nous, l’histoire est peut-être « à venir » et très certainement dans le domaine politique (la séparation imbécile chère à nos concitoyens et encore en usage au début du XXI e siècle, « droite- 1 Pour connaître les détails de l’origine du conflit entre Gibelins et Guelfes, tout le monde sait qu’il faut lire ou relire le chapitre consacré au Saint-Empire germanique du remarquable livre « Les grandes heures du beau XII e siècle »… 2 Teruel est une petite ville située en Aragon. Que je sache c’est une légende et non pas un roman… mais leur tombe transformée en mausolée fait la fortune de la cité !

Roméo et Juliette ont-ils existé ?

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Roméo et Juliette ont-ils existé ? par Jean-Jacques TIJET

D’abord l’histoire, la vraie, l’originale, celle du premier roman intitulé « L’Histoire récemment retrouvée de deux nobles amants, avec leur mort pitoyable survenue au temps de Bartolomeo della Scala » écrit en 1524 par un célèbre inconnu mais poète à ses heures, Luigi Da Porto :

A Vérone au début du XIVe siècle un beau et délicieux jeune homme Roméo et la non moins

ravissante Juliette font connaissance lors d’un bal et s’éprennent l’un pour l’autre, éperdument. Le problème est qu’ils appartiennent à 2 familles rivales, les Montecchi (Montaigu in french) pour l’un et les Cappelletti (Capulet) pour l’autre (dans l’Italie médiévale c’est chose courante sur fond de luttes sauvages entre Gibelins, partisans du pape et Guelfes, partisans de l’empereur germanique1).

Roméo commence à faire sa cour sous le balcon de la chambre de Juliette, puis sur le dit balcon pour ensuite demander à rentrer dans la chambre. Juliette est d’accord à la condition qu’il l’épouse. Aussitôt dit aussitôt fait : Lorenzo, un brave moine d’un proche couvent, les unit en cachette à la suite d’une visite de la jeune fille à son confessionnal.

Quelque temps plus tard lors d’une rixe Roméo tue Tébaldo, un membre de la famille Capulet ; il est obligé de s’exiler à Mantoue. Les parents de Juliette décident alors de la marier. Elle va expliquer son désespoir à la seule personne qui peut l’entendre : le moine Lorenzo. Celui-ci lui propose de feindre la mort : il l’endormira à la faveur d’un philtre puis l’ensevelira dans le caveau de la famille… pour la délivrer ensuite le temps venu ! (Remarquons l’imagination féconde de ce bon moine)

Roméo en apprenant la mort de sa bien-aimée est au désespoir et revient à Vérone. Il ouvre le caveau, boit un poison et s’allonge près de Juliette… qui se réveille, découvre son bien-aimé mourant et se meurt à son tour après avoir fait promettre au moine Lorenzo de « supplier nos deux pères, au nom de Roméo et du mien, de laisser réunis dans la tombe leurs enfants que l’amour a réunis dans la mort ». Le vœu de Juliette sera exaucé et les deux familles ennemies se réconcilieront près du tombeau des deux jeunes gens !

L’histoire entre amants infortunés – que la famille sépare et que la mort réunit – est vieille

comme le monde et chaque pays a la sienne : déjà dans la Grèce ancienne on pleurait en écoutant des farces basées sur des amours contrariées de jeunes adolescents ; en Espagne ce sont les célèbres Amants de Teruel2, déchirés entre deux familles qui s’opposent par la fortune (au début du XIIIe siècle Juan et Isabel s’aiment tendrement mais les parents d’Isabel refusent leur mariage car Juan est trop pauvre ; il est obligé de partir pour faire fortune et rentre – 5 ans après son départ, ayant acquis gloire et richesse - juste le jour du mariage de sa bien-aimée mais après la cérémonie religieuse; ils meurent tous les 2 de désespoir) ; peu de succès par contre en Germanie où les jeunes amants du passé étaient certainement « trop rustiques », en Angleterre trop hypocrites et en France « trop malins » pour se fourvoyer dans une telle infortune liée à des sentiments vulgaires ! Par contre chez nous, l’histoire est peut-être « à venir » et très certainement dans le domaine politique (la séparation imbécile chère à nos concitoyens et encore en usage au début du XXIe siècle, « droite-

1 Pour connaître les détails de l’origine du conflit entre Gibelins et Guelfes, tout le monde sait qu’il faut lire ou relire le

chapitre consacré au Saint-Empire germanique du remarquable livre « Les grandes heures du beau XIIe siècle »…

2 Teruel est une petite ville située en Aragon. Que je sache c’est une légende et non pas un roman… mais leur tombe

transformée en mausolée fait la fortune de la cité !

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gauche ») avec par exemple, le fils de Nicolas Sarkozy qui tomberait profondément amoureux de la fille de Martine Aubry !

Mais soyons sérieux et revenons à Roméo et Juliette… dont les amours romantiques ont inspiré beaucoup de poètes et de romanciers ; le plus célèbre est bien sûr Shakespeare à la fin du XVIe dont l’intrigue de sa tragédie lui serait venue, non pas du récit de Da Porto mais de traductions, l’une en vers (3 mille dit-on !) d’Arthur Brooke parue en 1562 et l’autre en prose de William Painter en 1582. La musique s’en est emparée également avec des opéras ou des symphonies de Bellini, de Berlioz et de Gounod et le cinéma avec des films de George Cukor et Franco Zefferelli !

Cependant il nous faut devenir factuels et évoquer la question – que chacun se pose - de la

part de vérité dans cette jolie mais bien tragique histoire ou en d’autre terme, Roméo et Juliette ont-ils existé ?? Il semble que, à la suite des nombreuses études et recherches effectuées, son authenticité ne peut être prouvée et que nos deux héros n’ont jamais vécu ! Et même les historiens ont des doutes sur l’existence des deux familles véronaises, les Montecchi et les Cappelletti même si « dans la cité que l’Adige enlace, la guerre ne finit jamais » ! Cela veut dire que, durant le Moyen Âge et la Renaissance à Vérone, il y eut certainement des clans qui se sont entretués avec peut-être des histoires d’amour entremêlées… comme à Sienne en 1476 où les faits semblent ceux-là véridiques.

En réalité, dans cette affaire, il faut rendre hommage à un homme et à une organisation. L’homme, c’est Luigi Da Porto, l’inventeur – si l’intrigue est sortie de son imagination - ou le

développeur – si l’intrigue est basée sur des faits réels – d’une histoire simple mais extraordinaire qui a traversé les siècles et qui a passionné des générations de lecteurs, de la Renaissance aux Temps modernes en passant par la période dite romantique du XIXe siècle. Il est vrai que raconter une histoire aux multiples rebondissements et quiproquos, basée sur une passion exacerbée partagée par deux jeunes gens en butte à l’hostilité de leurs parents permet de plaire à tout public.

L’organisation, ce sont les instances communales de Vérone qui, de siècle en siècle, se sont appuyées sur l’histoire tragique de deux jeunes amants issus de familles locales pour faire connaître leur cité ! Elles ont développé un « support » et « inventé » un circuit de monuments bien réels ceux-ci mais basés sur l’imagination. Que chacun juge puisque l’on peut visiter en effet et sans que cela gêne qui que ce soit :

la maison de Roméo avec une plaque commémorative prouvant que cette maison appartenait bien aux Montecchi,

la maison de Juliette avec le célèbre balcon (puisqu’au cœur de l’intrigue) et bien entendu le fameux tombeau situé dans le cloître du couvent du frère Lorenzo. Je n’ose

pas vous dire que l’on peut voir aussi une chapelle dans le monastère qui aurait été le lieu du mariage de Roméo et Juliette et où figure, en bonne place, un prie-Dieu, celui du complice et confident des amants, le brave et dévoué moine Lorenzo !

On ne peut que conclure avec le vieil adage… « Les belles histoires d’amour ne meurent jamais » !

Ce texte (que je me suis amusé à écrire en avril 2012 en préparant un voyage entre amis dans l’Italie du Nord) est librement adapté d’un article paru dans un Atlas de l’Histoire de février 1965 signé par un dénommé André Bessègue avec de très jolies photos de Enzo Busulini. Par contre la conclusion est personnelle comme un chapitre qui contient des réflexions que vous avez sans doute remarquées... [Je n’ai pas osé faire un rapprochement entre la mort de Roméo et celle de Marc-Antoine, le célèbre et brillant général et homme politique romain, ancien lieutenant de César, qui se suicide à Alexandrie en -30 av. J.-C., croyant à la mort de sa bien-aimée Cléopâtre (elle avait fait circuler la rumeur de sa propre disparition pensant ainsi éloigner leur ennemi Octave – le futur empereur Auguste). Pour quelles raisons ? Il y avait d’abord une différence d’âge, Roméo est un jouvenceau alors qu’Antoine avait plus de 50 ans et puis ce dernier avait derrière lui une vie amoureuse bien agitée puisque son mariage avec Cléopâtre était son 5e ! Mais enfin il y a des similitudes… d’autant plus que la reine d’Egypte se serait suicidée, ensuite, près du tombeau du général. Gageons que l’imaginatif Lorenzo ne connaissait pas l’histoire, authentique celle-là, des deux célèbres amants de l’Antiquité sinon il aurait prévenu Roméo de son stratagème…]