5
1 Un bon QI ne suffit plus pour être un leader ! Comme je l’écrivais dans l’un de mes précédents billets publié en Janvier 2016 — « Uber, Airbnb, Booking.com ces nouveaux acteurs qui rebattent les cartes » l’après-guerre a vu émerger une nouvelle catégorie de dirigeants, essentiellement des ingénieurs. Il y avait bien sûr de nombreuses raisons pouvant expliquer cette montée en puissance, la plus évidente de toutes étant la nécessité de reconstruire une industrie détruite par le chaos du second conflit mondial. Et effectivement, les ingénieurs devenaient dès lors déterminants pour retrouver une économie européenne florissante. Nous savons que les désastres, les guerres, les dévastations laissent souvent place à des périodes plus heureuses, où tout semble à nouveau possible. Ce fut indéniablement le cas des trente années qui suivirent l’armistice, surnommées les « trente glorieuses ». Elles ont été d’autant plus essentielles qu’elles ont vu naitre la société de consommation ! « Un monde de rationalité » Alors que les idées dominaient le monde d’avant-guerre — les étudiants de bonne famille visaient l’obtention du bac philo avant de conquérir Normale Sup dans la même discipline —, tout bascule après l’apocalypse. Un univers de rationalité vient s’imposer à tous. Désormais, on analyse les problèmes qui se présentent avec méthode et sens logique. Ce n’est pas tant bien sûr qu’on ne le faisait pas

Un bon QI ne suffit plus pour être un leader !

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Un bon QI ne suffit plus pour être un leader !

1    

Un bon QI ne suffit plus pour être un leader !

Comme je l’écrivais dans l’un de mes précédents billets publié en Janvier 2016 — « Uber, Airbnb, Booking.com … ces nouveaux acteurs qui rebattent les cartes » — l’après-guerre a vu émerger une nouvelle catégorie de dirigeants, essentiellement des ingénieurs. Il y avait bien sûr de nombreuses raisons pouvant expliquer cette montée en puissance, la plus évidente de toutes étant la nécessité de reconstruire une industrie détruite par le chaos du second conflit mondial. Et effectivement, les ingénieurs devenaient dès lors déterminants pour retrouver une économie européenne florissante. Nous savons que les désastres, les guerres, les dévastations laissent souvent place à des périodes plus heureuses, où tout semble à nouveau possible. Ce fut indéniablement le cas des trente années qui suivirent l’armistice, surnommées les « trente glorieuses ». Elles ont été d’autant plus essentielles qu’elles ont vu naitre la société de consommation !

« Un monde de rationalité » Alors que les idées dominaient le monde d’avant-guerre — les étudiants de bonne famille visaient l’obtention du bac philo avant de conquérir Normale Sup dans la même discipline —, tout bascule après l’apocalypse. Un univers de rationalité vient s’imposer à tous. Désormais, on analyse les problèmes qui se présentent avec méthode et sens logique. Ce n’est pas tant bien sûr qu’on ne le faisait pas

Page 2: Un bon QI ne suffit plus pour être un leader !

2    

auparavant mais certainement pas de façon aussi mécanique. Le mode opératoire change, comme le système de management. On décortique les obstacles en sous problèmes pour trouver la solution parfaite. Une équation, des variables, une ou plusieurs inconnues, mais une et une seule solution. Dans un monde cartésien, l’ingénieur ou le scientifique est plus à son aise que toute autre personne. Il est devenu peu à peu le leader de référence et va s’installer aux postes de pilotage pour plus de cinquante ans en réalité, sous d’autres traits parfois. Lorsque les financiers et les marchés s’imposent dans les années 90 et au début de la décennie suivante, ils présentent des caractéristiques finalement assez similaires à celles de leurs ainés. Ce sont souvent en effet des ingénieurs qui ont complété leur cursus d’un MBA.

« Le progrès technologique a tout changé » La naissance d’internet est venue modifier la donne. D’un coup, nous sommes entrés dans la troisième révolution industrielle, l’âge de l’information. Du jour au lendemain, ou presque, la connaissance qui assurait une forme de pouvoir devient accessible au plus grand nombre, ou du moins dans un premier temps à un plus grand nombre. Dès lors, il ne s’agit plus vraiment de détenir un savoir en tant que tel, mais d’avoir la bonne information au bon moment pour prendre la bonne décision. Les données deviennent peu à peu le carburant de la nouvelle économie. Les profils des leaders connaissent alors une mutation franche. On commence à raisonner en termes d’usage ou de besoin. Mais c’est sans doute l’avènement de la quatrième révolution industrielle qui va projeter le monde dans une autre dimension. Là, la technologie n’est plus une contrainte. Tout devient possible. Le cloud, la gestion des gros volumes de données, les développements agiles et les objets connectés autorisent toutes les folies et libèrent les énergies. Elle débute au milieu des années 2000 et c’est un peu comme si on enlevait toutes barrières. Certes, la technologie ne peut

Page 3: Un bon QI ne suffit plus pour être un leader !

3    

tout expliquer. Nous savons que le capital humain au sens large du terme et la capacité au changement s’avèrent bien souvent déterminants. Mais la maitrise technologique reste un préalable. Lors de l’émergence de la première vague de startup dans les années 1995-1999, c’est bien elle qui fit défaut. C’est en tout cas l’une des raisons essentielles de l’éclatement de la bulle internet en 2000, la promesse technologique n’ayant finalement pas été au rendez-vous. Rien de tel aujourd’hui.

« La créativité, nouveau moteur de la croissance mondiale »

Il nous faut indéniablement une nouvelle génération de leaders pour relever les défis qui nous font face aujourd’hui. Ils sont différents de ceux qu’ont eu à régler les générations passées, celles que nous décrivions précédemment. Les dirigeants à venir vont devoir tracer de nouvelles routes pour le bien de l’humanité. Ils devront être sources d’inspiration pour tous, en donnant du sens à l’action commune et individuelle, en replaçant l’enjeu collectif au cœur de l’action. Dans le monde de demain, le travail devient collaboratif. Il s’agit dès lors de faire travailler ensemble des compétences multiples, complémentaires, souvent disparates. Il faut avoir une sensibilité différente pour mieux comprendre les évolutions actuelles, faire de l’intergénérationnel une réalité et intégrer les diversités. C’est d’autant plus important que nous venons d’un monde de biens et de services pour nous diriger vers une économie des idées. Cette transition va impliquer des changements profonds. A tous les niveaux. D’abord, en ce qui concerne les compétences. Ensuite, le modèle sociétal va forcément être impacté. On raisonne depuis des décennies en termes de durée du travail et de productivité quand peu à peu émerge une notion de valeur ajoutée produite. Hier, on cherchait à mesurer le nombre de biens produits par une personne en une heure. Demain, on jugera les idées déterminantes qu’elle aura eu dans son travail pour faire avancer les choses ou mieux pour créer une rupture et donc un avantage compétitif. La valeur ne pourra plus se mesurer en temps travaillé mais en valeur générée. Il est évident que les modèles sociaux actuels vont profondément changer dans les temps à venir pour s’adapter à ce fait majeur : la créativité est devenue le nouveau moteur de l’économie mondiale. Dans ce monde, à l’inverse du précédent, la solution unique n’existe pas forcément, l’ingénieur a sa place mais il n’est plus seul maitre à bord. Les mathématiques ne sont plus le seul critère de sélection.

Page 4: Un bon QI ne suffit plus pour être un leader !

4    

« L’intelligence se doit demain d’être multiforme » Nous vénérons depuis des décennies une des formes de l’intelligence humaine. Celle que l’on qualifie d’analytique. D’abord parce qu’elle correspondait bien aux enjeux qui étaient les nôtres depuis l’après-guerre, ensuite parce que l’on sait parfaitement la mesurer grâce au QI (Quotient Intellectuel). Mais il en existe six autres formes : spatiale, physique, musicale, linguistique, interpersonnelle et intrapersonnelle. Ne considérer que la forme analytique serait réduire le potentiel humain à une seule forme d’expression. En réalité, deux d’entre elles se détachent comme étant vitales dans la formation des leaders à venir : l’intelligence relationnelle et l’intelligence émotionnelle. Notre propos n’est pas bien entendu d’amoindrir l’importance de l’intelligence logico-mathématique. Il serait complexe de diriger une entreprise ou un gouvernement avec un QI faible. La complexité du monde actuel exige en effet des esprits bien affutés. Mais inversement, les plus belles mécaniques intellectuelles peuvent se gripper si elles s’avèrent incapables de s’entourer ou de saisir les sensibilités qui les entourent. Dans l’incapacité de gérer leurs émotions et celles des autres, il peut vite leur être difficile de trouver les compromis nécessaires, de comprendre où sont les blocages et d’évaluer l’importance des forces et des résistances en présence. Or, dans un monde où le relationnel et les réseaux dominent, ce sont là des atouts essentiels. Et alors que le créatif occupe aujourd’hui une position centrale, gageons qu’allier de multiples formes d’intelligence pour mieux comprendre notre société et mieux réagir à ses évolutions va devenir un véritable champ différentiel.

Page 5: Un bon QI ne suffit plus pour être un leader !

5    

Le leader de demain sera davantage tourné sur les autres. Bien entouré, sensible, agile, réactif, humain, il sera doté de qualités de perception hors norme et fera souvent appel à son intuition. Bien analyser ne suffira pas pour réussir. Ce sera par contre une condition nécessaire … mais pas suffisante pour diriger. Il faudra expérimenter, se tromper, modifier, pivoter, en équipe, dans un esprit collaboratif. Pour écrire de nouvelles pages au modèle économique, social et sociétal que nous connaissons.