De Mlle de Scudéry à Mlle de Montpensier :

comment le portrait littéraire s'élabore

au milieu du XVIIe siècle

nathalie.grande@univ-nantes.fr

Du jeu au genre : les portraits dans le salon et dans les romans de Madeleine de Scudéry

PORTRAIT. s.m. Représentation faite d'une personne telle qu'elle est au naturel. Narcisse voyant son portrait dans l'eau, en devint amoureux, et se noya. Quand on regarde dans un miroir, on y voit son portrait.

PORTRAIT, se dit aussi de l'ouvrage d'un Peintre, qui par art fait l'image et la représentation d'une personne. On fait des portraits à l'huile avec des couleurs, avec la plume, le crayon, le pastel, en miniature, et avec des couleurs minérales en émail. Voilà un portrait au naturel, vif et bien ressemblant. On l'a flatté dans son portrait. Ce portrait est bien fait, il n'y manque que la parole. [...]

PORTRAIT, se dit aussi de la description qui se fait par le discours, ou par écrit d'une personne, dont on décrit si bien les traits et le caractère, qu'on la peut aisément reconnaître. Les Romans de Cyrus et de Clélie sont tous pleins des portraits que l'Auteur a fait de ses amis.

Personne de notre siècle n’a mieux réussi à ces choses qu’un Frère et une Soeur, illustres par leurs œuvres excellentes, où ils ont chacun leur part […il cite un exemple pris dans Clélie]. Je rapporte à cela le modèle de tous les Portraits qu’on a faits depuis, pour ce qui est de ceux qui sont faits d’autruy.

Une bonne et une méchante lettre d'amour.

Pourquoi un beau sot est plus sot qu'un autre.

Un faux brave.

Un savant incommode.

Un ignorant qui fait l'habile homme.

Une histoire.

Un conte.

La description d'une belle maison de campagne.

Un homme qui parle trop.

Un homme qui parle trop peu.

Un bel esprit ridicule.

La différence du flatteur et du complaisant.

Un hypocrite.

Des vers d'élégie.

Un galimatias pompeux, qui puisse tromper les esprits médiocres.

● Un rébus.

● Une chanson.

● Un homme qui s'ennuie partout.

● Un homme qui ne sait pas vivre.

● Parler contre l'amour.

● Défendre l'amour.

● Une énigme.

● Un souhait.

● Tous les divers caractères des coquettes.

● Un madrigal.

● Un empressé.

● Un brave brutal.

● Une devise.

● Un plaintif qui se lamente de tout.

● Un indifférent enjoué qui ne s'inquiète de rien.

● Qu'il faut toujours un confident en amour.

● Qu'il ne faut point de confident en amour

Madeleine de Scudéry, Clélie, histoire romaine (1654-1660) : carte de Tendre

Ut pictura poesis, de l’ekphrasis au portrait : le Cabinet de Georges de Scudéry

Il part donc pour aller demeurer à Marseille, et cela ne se put faire dans bien des frais, car il s’obstina à transporter bien des bagatelles, et tous les Portraits des Illustres en poésie, depuis le père de Marot jusqu’à Guillaume Colletet : ces portraits lui avaient coûté ; il s’amusait à dépenser ainsi son argent à des badineries.

L’autonomisation au service de la célébration : les Divers Portraits

Madame la Princesse de Tarente, et Mademoiselle de la Trimouille s’en peuvent attribuer l’invention ; et elles ont V.A.R. pour témoin qu’avant qu’on parlât encore de ces sortes de production en France, elles avaient déjà fait leurs Portraits […]. Madame la duchesse de la Trimouille fit son Portrait peu de temps après ; et ce bel ouvrage qui a couru toute la France, et en a été l’admiration, a été avec celui de V.A.R. qui fut fait en même temps, le modèle le plus parfait que se soient proposés ceux qui en ont voulu faire depuis.

Madame la princesse de Tarente et mademoiselle de La Trémouille y vinrent deux ou trois fois [à Champigny], et y furent longtemps à chacune. Elles me montrèrent leurs portraits qu’elles avaient fait faire en Hollande. Je n’en avais jamais vu ; je trouvai cette manière d’écrire fort galante, et je fis le mien. Mademoiselle de La Trémouille m’envoya le sien de Thouars ?

Ce n'est pas dans son Portrait qu’il faut admirer ce qu’elle écrit ; c'est dans sa Personne, où les grandes qualités jointes aux plus agréables font voir l’adorable union d’une vertu toute héroïque avec toutes les grâces de l’esprit, & avec toute la capacité qu’on peut acquérir.

Un monument défiguré : le Recueil des portraits et éloges

C’est à votre Altesse Royale, MADEMOISELLE, à qui cette gloire est due principalement, & nous pouvons dire qu’en vous dédiant cet ouvrage, nous vous rendons ce qui vous appartient mieux qu’à pas un autre, puis que le portrait de votre A. R. & les autres qu’elle a bien voulu faire dans les heures de ses divertissements, sont des productions justes, parfaites & achevées, qui sont le plus bel ornement de cette galerie incomparable.

Cet ouvrage qui est un recueil des portraits de leurs Majestés, de votre Altesse Royale, & de tout ce qu’il y a de plus illustre dans notre Cour, paraîtra sans doute d'autant plus éclatant & plus merveilleux, qu’il n’a pour artisans & pour peintres que de grandes Princesses, ou Duchesses, & toutes les plus galantes Dames du Royaume, qui ont pris plaisir où à se peindre elles-mêmes, ou à représenter leurs amies d’une manière tout à fait tendre, délicate & spirituelle. C’est ce qui nous fait espérer, Mademoiselle, que votre Altesse Royale ne trouvera pas la liberté que nous prenons de lui dédier ce recueil, ni trop incivile, ni trop hardie.