110

© Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

  • Upload
    vudien

  • View
    218

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent
Page 2: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent
Page 3: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

©ColleenHoover&TarrynFisher,2016Tousdroitsréservés

PremièrepublicationparAtriaPaperbackediton,2016AtriapaperbackestunlabeldeSimon&Schuster,Inc

Titreoriginal:NeverNever

Pourlaprésenteédition:©2016ÉditionsHugoRomanDépartementdeHugoetCie

34-36,rueLaPérouse,75116Pariswww.hugoetcie.fr

OuvragedirigéparSylvieGand

ISBN:9782755627060

Dépôtlégal:novembre2016

CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.

Page 4: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Celivreestdédiéàtousceuxquines’appellentpasSundaeColletti.

Page 5: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

SOMMAIRE

Titre

Copyright

Dédicace

1-Charlie

2-Silas

3-Charlie

4-Silas

5-Charlie

6-Silas

7-Charlie

8-Silas

9-Charlie

10-Silas

11-Charlie

12-Silas

13-Charlie

Page 6: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

14-Silas

Page 7: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

1

Charlie

Fracas. Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent sur un ou deuxmètres,tournoientets’arrêtentdevantlespieds.Mespieds.Jenereconnaispascessandalesnoires,nicevernisrouge,maisilsremuentquandjeleleurdemande,donccedoitêtrelesmiens.N’est-cepas?

Uneclochesonne.Frisson.Je frémis, le cœur battant. Mes yeux bougent de gauche à droite alors que j’examine ce qui

m’entoureenessayantdenepasmetrahir.C’étaitquoi,cettecloche?Oùsuis-je?Desjeuneséquipésdesacsàdosentrentbrusquementdanslapièce,enbavardantetenriant.Une

cloche d’école… Ils se glissent derrière leurs bureaux, parlant de plus en plus fort. Je perçois unmouvement à mes pieds et tressaille. Il y a quelqu’un, là, en train de ramasser les livres ; une fillerougeaude à lunettes. Avant de se redresser, elleme jette un coup d’œil vaguement apeuré et détale.Rires.Jecroisuninstantqu’ilssemoquentdemoi,maisc’estlafilleàlunettesqu’ilslorgnent.

––Charlie!lancequelqu’un.Tuasvuça?Etencore:––Charlie…c’estquoitonproblème…hé…?Moncœurbatsivite,tropvite.Oùest-on?Pourquoiest-cequejenemesouvienspas?––Charlie,chuchotequelqu’un.Jemeretourne.QuiestCharlie?Lequeld’entreeux?Ilyatellementdejeunes:blonds,hirsutes,bruns,aveclunettes,sanslunettes…

Page 8: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Unhommeentreetposesaserviettesurlebureau.Leprofesseur.Jesuisdansuneclasse,etvoicileprofesseur.Lycéeoufac,jenesaispasencore.Soudain,jemelève.Cen’estpasmaplace,ici.Toutlemondeestassis,saufmoi…quimarche.––Oùallez-vous,missWynwood?Leprofesseurmetoisepar-dessusseslunettes, toutenfouillantdanssespapiers.Ilclaquelapile

surlebureauetjesursaute.JedoisêtremissWynwood.––Elleadescrampes!lancequelqu’un.L’assistancericane.Jesensunfrissonmeparcourir ledosetgagner lehautdemesbras. Ilssont

tousentrainderigoler,saufquej’ignorequisontcesgens.—Tagueule,Michael!lanceunevoixdefille.—Jenesaispas,dis-je.Là,j’entendsmontimbredevoixpourlapremièrefois.Ilesttropélevé.Jem’éclaircislagorgeet

réessaie:—Jenesaispas.Jenedevraispasêtrelà.Nouveauxéclatsderire.Jeregardelesaffichessurlemur,cestêtesdeprésidentsavecleursdates

endessous.Coursd’histoire?Lycée.L’homme–leprofesseur–penchelatêtedecôté,commesijevenaisdedireunebêtise.—Etoùdevriez-vousêtre,unjourdecontrôle?—Je…Jenesaispas.—Asseyez-vous.J’ignoreoùj’iraissijem’enallais.Je reviens sur mes pas. La fille aux lunettes me dévisage quand je passe devant elle mais se

détourneaussitôt.Dèsquejesuisassise,leprofesseurcommenceàdistribuerdesfeuillesdepapier.Iltraversel’allée

enbourdonnantde savoixgravepournous annoncerquelpourcentage cette épreuveoccuperadans lamoyennefinale.Arrivéàhauteurdemonbureau,ilmarqueunepause,lessourcilsfroncés.

—Jeneveuxpassavoiràquoivousjouez,dit-ilenpointantundoigtaccusateuretgrassouillet.J’enaipar-dessuslatête.Encoreunexploitdecegenreetvousfilezdroitchezleproviseur.

Là-dessus,ilplaquelesfeuillesd’interrodevantmoietpoursuitsonchemin.Jenehochepas la tête, jeneréagispas.Jemedemandequoifaire.Annoncerà lacantonadeque

j’ignorequijesuisetoùjesuis?Ouleprendreàpartpourleluiconfierdiscrètement?Iladitqu’ilnevoulaitplusd’exploits.Mesyeuxseposentsurlepapierdevantmoi.Lesgenssontdéjàpenchésdessus,àécrirefrénétiquement.

QUATRIÈMEHEUREHISTOIREM.DULCOTT

Page 9: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Là,apparaîtunespacepourunnom.Jesuisdonccenséeyécrirelemien,saufquejeneleconnaispas.Ilm’aappeléemissWynwood.

Pourquoiest-cequejenereconnaispasmonproprenom?Oùsuis-je?Quisuis-je?Touteslestêtessontpenchéessurlesbureaux,sauflamienne.Jerestelà,assise,lesyeuxfixésdroit

devantmoi.M.Dulcottmejetteunregardnoir.Moinsjeréagis,plusils’empourpre.Letempspassemaismonmondes’estarrêté.Finalement,M.Dulcottselève,ouvrelabouchepour

parler,quandlaclochesonne.—Posezvosfeuillessurmonbureauensortant,dit-ilalorssansmequitterdesyeux.Toutelaclasseseprécipiteverslaporte.Jemelèvepourlessuivreparcequejenevoispasquoi

faired’autre.Jegardelatêtebassemaisjesenssacolère.Jenecomprendspaspourquoiilestsifurieuxcontremoi.Jemeretrouvedansuncouloiroùs’alignentdescasiersbleusdepartetd’autre.

—Charlie!lancequelqu’un.Charlie,attends!Unesecondeplustard,unbraspassesouslemien.Sanstropsavoirpourquoi,jem’attendsàlafille

auxlunettes.Maisnon.Entoutcas,jesaismaintenantquec’estmoi,Charlie.CharlieWynwood.—Tuasoubliétonsac,dit-elleenbrandissantunsacàdosblanc.Jeleprends,curieusedesavoirsijenevaispasytrouverunportefeuilleetunpermisdeconduire.

On repart bras dessus, bras dessous. Elle est plus petite quemoi, avec de longs cheveux bruns et degrandsyeuxmarronquiluimangentlamoitiéduvisage.Elleestaussid’unebeautésaisissante.

—Tuenasfaituncinémapendantlecontrôle!lâche-t-elle.TuasjetélesbouquinsdelaCrevetteparterreettonesprits’estévadéjenesaisoù.

Jesenssonparfum;jeleconnais,ilesttropsucré,commecomposéd’unmilliondefleurs,chacunecherchantàattirerl’attention.Jepenseàlafilleauxlunettes,àsonexpressionquandelles’estpenchéepourramasserleslivres.Sic’estmoiquiaifaitça,pourquoiest-cequejenem’ensouvienspas?

—Je…—Onvadéjeuner,cen’estpasparlà.Ellem’entraînedansunautrecouloir,parmid’autresélèves,tousàmescruter…minederien.Jeme

demande s’ilsmeconnaissent etpourquoi jenemeconnaispas. J’ignorepourquoi jenedispas àmavoisine,niàM.Dulcott,niaupremiervenu,quejenesaispasquijesuisnioùjesuis.Letempsquejecommenceàmedécider,onpasselesdoublesportesdelacafétéria.Bruitetcouleurs;corpsquisententtouslamêmeodeur,lumièresfluorescentesquirendenttoutaffreux.MonDieu.Jem’accrocheàmontee-shirt.

Lafilleàmonbrasestentraindebavarder.Andrewpar-ci,Marcypar-là.ElleaimebienAndrew,détesteMarcy.Jeneconnaisnil’unnil’autre.Ellem’entraîneverslafiled’attente.OnprenddessaladesetdesCocalight.Etpuisondéposenosplateauxsurunetabledéjàbienoccupée:quatregarçons,deuxfilles. Ainsi, on forme un nombre pair. Quatre filles, quatre garçons. Ils me scrutent tous d’un airinterrogateur, comme si je devais faire ou dire quelque chose de spécial. La seule place qui reste se

Page 10: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

trouveàcôtéd’untypebrun.Jem’yassiedslentement,poselesdeuxmainsàplatsurlatable.Ilmejetteuncoupd’œilpuissemetàmangersansunmot.J’aperçoisdefinesgouttesdesueursursonfront,àlaracinedesescheveux.

—Vousêtestropbizarres,touslesdeux,observelafilleblonded’enface.Ellenousdésigne,monvoisinetmoi.Cedernierlèvelatêtedesonplatdemacaronietjemerends

comptequ’ilnefaisaitquetouillersanourriture,sansrienavaler.Ilmeregarde,jeleregarde,etonsetourneensembleverslafille.

—Ils’estproduituntrucspécial?insiste-t-elle.—Non,dit-onàl’unisson.Lui,c’estmoncopain.Jelesaisrienqu’àvoirlafaçondontlesautresnousconsidèrent.D’unseul

coup,ilmedécocheunlargesouriretoutendentsblanches,meposeunbrassurl’épaule.—Çavabien,assure-t-il.Jeme raidis mais quand je vois les six paires d’yeux posés surmoi, j’entre dans le jeu. C’est

effrayantdenepassavoirquionest–etencoreplusdesetromper.Àprésentj’aipeur,trèspeur.Çavatroploin.Sijedisquoiquecesoitmaintenant,onvameprendrepourunemalade.L’affectiondontilfaitpreuveàmonégardparaîtdétendretoutlemonde…sauflui.Lesdiscussionsreprennent,etleursparolesse mélangent : football, une soirée, encore football. Le type assis à côté de moi rit et se joint à laconversation sansme lâcher l’épaule. Ils l’appellentSilas. Ilsm’appellentCharlie.La fille brune auxgrandsyeuxestAnnika.Danslebruit,j’oublielesprénomsdesautres.

Findudéjeuner.Onselève.JemejoinsàSilas,ouplutôt,c’est luiquisejointàmoi.Jenesaisabsolumentpasoùaller.Annikapassede l’autrecôté,meprendpar lebraset semetàparlerde sonentraînementdepom-pomgirl.Ellemerendclaustrophobe.Enarrivantàuneannexedanslecouloir,jemepenchepourqu’ellesoitlaseuleàm’entendre:

—Tupeuxm’accompagneràmonprochaincours?Ellereprendsonsérieux,s’éloigneuninstantpourdirequelquechoseàsonpetitami,puisrevient

meprendrelebras.JemetourneversSilas:—Annikavam’accompagneràmonprochaincours.—D’accord,dit-ilavecuneminesoulagée.Onsevoit…plustard.Là-dessus,ilpartdansladirectionopposée.Dèsqu’iladisparu,Annikas’étonne:—Oùest-cequ’ilva?Jehausselesépaules:—Àsoncours.Ellesecouelatête,l’airperplexe.—Jenevous comprendspas, tous les deux.Un jour vous êtes pendus au cou l’unde l’autre, le

lendemainvousnesupportezpasdevoustrouverdanslamêmepièce.Ilfaudrabienquetuprennesunedécisionàsonsujet,Charlie.

Page 11: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Elles’arrêtedevantuneporte.—C’estmoi…dis-jepourvoirsiellevaprotester.Elleneréagitpas.—Appelle-moiaprès,reprend-elle.Jeveuxtoutsavoirsurcettenuit.Je hoche la tête. Quand elle disparaît dans la foule, j’entre dans la classe. Je ne sais pas où

m’asseoir,alorsjemedirigeversledernierrang,meglisseàuneplaceprèsdelafenêtre.Commejesuisarrivéetôt,j’ouvremonsacàdos.Ilyabienunetrousseàmaquillagecoincéeentredeuxcahiers,ainsiqu’unportefeuille.Je lesors, l’ouvreetdécouvreunpermisdeconduireornéde laphotod’unebrunesouriante.Moi.

CHARLIEMARGARETWYNWOOD2417HOLCOURTWAY

LANOUVELLE-ORLÉANS,LOUISIANE

J’aidix-septans.Monanniversairetombelevingtetunmars.J’habiteenLouisiane.J’examinelaphotomaisnereconnaispascevisage.C’estlemien,pourtantjenel’aijamaisvu.Jesuis…jolie.Jen’aiquevingt-huitdollars.

Lesplacesseremplissent.Celleàcôtédemoirestevide,commesilesautresavaientpeurdes’yasseoir. Je suis en cours d’espagnol, avec une jeune et jolie professeure,Mme Cardona. Elle nemedévisagepas,l’airdemehaïr,commelaplupartdesautres.Oncommenceparlesconjugaisons.

Jen’aipasdepassé.Jen’aipasdepassé.Auboutdecinqminutesdecours,laportes’ouvre.Silasentre,lesyeuxbaissés.Jecroisqu’ilest

venumedireoum’apporterquelquechose.Jem’apprêteàfairesemblant,maisMmeCardonasecontented’uneréflexionamuséesursonretard.Ilvientprendrelaseuleplacelibre,àcôtédemoi,leregarddanslevide.Jelefixe,jusqu’àcequ’ilfinisseparsetournerversmoi.Unegouttedesueurluicoulesurlajoue.

Ilécarquillelesyeux.Toutcommemoi.

Page 12: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

2

Silas

Troisheures.Voilàprèsdetroisheuresquej’ailatêtedanslesnuages.

Non,pasdanslesnuages.Pasmêmedansunépaisbrouillard.J’aiplutôtl’impressiond’errerdansunetotaleobscurité,àlarecherched’uninterrupteur.

—Çava?demandeCharlie.Je l’ai examinéeplusieurs secondes,dans l’espoirde retrouverun semblantde familiarité surun

visagequidevraitêtre,apparemment,plusquefamilierpourmoi.Rien.Elle replongevers sonbureau, et sesépaischeveuxnoirs tombententrenouscommeunstore. Je

voudraismieuxlavoir.Ilfautquejemerappellequelquechose,untrucquejeconnaissais,marquedenaissanceoutachesderousseur,avantdelerevoirsurelle.Jem’accrocheraiàtoutcequipourraitmeconvaincrequejenesuispasentraindeperdrelaboule.

Ellefinitpar repousserderrière l’oreille lamèchequi luimasquait levisage.Sesgrandsyeuxseposentsurmoi,jenelesreconnaispas.Sessourcilssefroncent,ellesemordilleleboutdupouce.

Elles’inquiètepourmoi.Pournous,peut-être.Nous.J’aienviedeluidemandersiellenesaitpascequiapum’arriver,mais jeneveuxpasluifaire

peur.Commentluiexpliquerquejenelaconnaispas?Commentexpliquerçaàquiconque?Jeviensdepassertroisheuresàjouerlesdécontractés.Audébut,j’étaiscertaind’avoirprisunesubstanceillégalequim’avaitfaitperdreconnaissance,mais,là,ilnes’agitpasdeça.C’estdifférentdesesentirdéfoncéou ivre, et jemedemandecomment je saisça,d’abord. Jeneme rappelle riendu toutavantces troisheures.

—Hé!

Page 13: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Charlietendlamainversmoi,commesielleallaitmetoucher,maisserétracte.—Çava?demande-t-elleseulement.J’attrapelamanchedemachemise,m’essuielefront.Elleal’airinquiète.Jemeforceàsourireen

luirépondant:—Çava.Lanuitaétélongue.Aussitôtjegrincedesdents.J’ignorequellenuitj’aipasséeetsicettefilleassiseàcôtédemoiest

vraimentmacopine;alorscegenredephrasen’ariendetrèsrassurant.Sespaupièresseplissentuninstant,elleinclinelatête.—Commentça,longue?Merde.—Silas.Lavoixvientdel’avantdelasalle.Jemeretourne.—Arrêtezdebavarder,ditlaprof.Puisellereprendsoncours,pastropinquiètedemaréactionàcereproche.Jejetteunbrefregard

surCharlie, avantdebaisser lesyeuxversmonbureau.Mesdoigts tracent lesnoms incrustésdans lebois.Charlieesttoujoursentraindemecontemplermaisjefaiscommesiderienn’était.Jerelèveunemain,passelesdoigtssurmapaumecalleuse.

Tiens,jetravaille?Jetondslespelousespourgagnermavie?Àmoinsqueçaneviennedufootball.Audéjeuner,j’avaisdécidéd’observertouslesgensautour

demoi,etj’aiapprisquej’avaisentraînementdefootcetaprès-midi.J’ignoretotalementoùetàquelleheure,mais,bon,jusque-là,j’aitrouvélemoyendem’ensortirsanssavoird’avancecequ’ilfallaitquejefasse.Alors,peut-êtrequejenemesouviensderienpourlemoment,maisjemerendscomptequejemedébrouilletrèsbienpourqueçanesevoiepas.Tropbien,sansdoute.

Jetâtemonautrepaumeetytrouvelesmêmescallosités.Etsijevivaisdansuneferme?Non,sûrementpas.J’ignorecommentjelesaismais,mêmesanspouvoirmesouvenirdequoiquecesoit,jegardeun

senstrèsclairdesréalitésquimeconcernent.Probablementparcequejeprocèdejusteparélimination.Parexemple,aveclesvêtementsquejeporte,jen’aipasl’impressiondevivredansuneferme.Debeauxvêtements. À lamode ? Rien qu’en voyantmes chaussures, quelqu’unme demanderait si j’avais desparentsriches,etjerépondraisqueoui.J’ignorecommentjelesaispuisquejenemerappellepasmesparents.

Jenesaispasoùj’habite,avecquijevis,ousijeressembledavantageàmamèreouàmonpère.Jenesaismêmepasàquoijeressemble.Jemelèvebrusquement,bousculantbruyammentmonbureauaupassage.Toutlemondeseretourne,

sauf Charlie, puisqu’elle n’a pas cessé deme fixer depuis que je suis assis. Son expression n’est nicurieuseniaimable.

Plutôtaccusatrice.

Page 14: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Laprofmefusilleduregardmaisnesemblepasdutouts’étonnerquetouteslesattentionssesoientdéplacéessurmoi.Elleattend,sûred’elle,mesexplicationspourcettesoudaineperturbation.

Jedéglutis.—Toilettes.J’aileslèvrespoisseuses,labouchesèche,l’espritenbouillie.Jen’attendspassapermissionpour

medirigerverslaporte.Dehors,jeprendsàdroiteetlongelecouloirjusqu’auboutsanstrouverdelavabos.Jereparsdans

le sens inverse, passe devant la classe, et finis par repérer ce que je cherchais ; je pousse la porte,espérantpouvoirm’isolerunpeu,maisquelqu’unsetientdevantlesurinoirs,dedos.Sansmeregarderdanslaglace,jemeconcentresurlerobinetmaisfinisparm’agripperaumeuble.J’inhaleprofondément.

Si jemeregardaisunpeu,monrefletpourraitsansdoutedéclencherunsouvenir,ouaumoinsmedonnerl’impressiondereconnaîtrequelquechose.N’importequoi.

L’autremec se retourne, s’appuie sur le lavabo, les bras croisés. Je lève les yeuxvers lui, pourconstaterqu’ilmefixed’unairmauvais.Ilalescheveuxincroyablementblonds,presqueblancs,leteinttrèspâle,presquetransparent,commeuneméduse.

Jemerappelleàquoiressembleunemédusemaisj’ignorecequejevaistrouversijemeregardedanslaglace?

—Tuenasunesalegueule,Nash!lance-t-ilavecunsouriremoqueur.Nash?Les autresm’appelaient Silas.Nash doit êtremon nom de famille. Je devrais vérifier dansmon

portefeuille,maisiln’yenapasdansmapoche.Justeuneliassedebillets.Évidemment,leportefeuille,c’estlapremièrechosequej’aicherchéeaprès…enfin,aprèscequiestarrivé.

Jebafouilleuneréponse:—Jenemesenspastropbien.Le type ne réagit pas tout de suite. Il continue de me dévisager comme Charlie, tout à l’heure,

pendantlecours,quoiquel’expressionmoinsinquiète,etnettementpluscontente.Grimaçantunsourire,ilseredresseetjeconstatequ’ilestpluspetitquemoi.Ilserapprochedemoi,l’airdedireques’ilnevapasplusloinc’estparsoucidemasanté.

—Onn’atoujourspasréglélecoupdevendredisoir,dit-il.C’estpourçaquetueslà?Lesnarinesfrémissantes,ilserreetdesserrelespoings.Jem’interrogementalement sur la réaction à adopter : si jem’écarte de lui, je passerai pour un

lâche.Enrevanche,sijem’avance,illeprendrapouruneformedeprovocationetjenetienspasdutoutàm’expliquer avec lui pour lemoment. Visiblement, on a un problème tous les deux sur ce que j’aidécidédefairevendredisoir.

Jechoisislavoiemédianeenévitanttouteréaction.Jouelesindifférents.Tranquillement,j’ouvreunrobinet,contemplel’eauquicoule.—Onverraçasurleterrain.

Page 15: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Jem’enveuxaussitôt.Quiditqu’iljoueaufootball,luiaussi?D’aprèssataille,j’aisupposéqueoui,maissinon,maréponsen’aaucunsenslogiquepourlui.Retenantmonsouffle, jem’attendsàqu’ilrectifieousemetteàbrailler.

Maisriendetoutça?Ilresteuninstantimmobilepuis,soudain,mebousculed’uncoupd’épauleets’enva.Jeprendsde

l’eaudansmesmainspourboireunpeu,m’essuielabouchedudosdelamainetje…medévisage.SilasNash.Qu’est-cequec’estquecenompourri,d’abord?Faceàmoi,ilyacesyeuxnoirs,quejenereconnaispas.Àcroirequejenelesaiencorejamais

vus,alorsqu’enprincipej’yaieudroit touslesjoursdepuisquejesuisassezgrandpourmeregarderdansuneglace.

Je neme sens pas plus en phase avec le reflet de cette personne qu’avec la fille qui serait—d’aprèsuncertainAndrew–cellequeje«saute»depuisdeuxansmaintenant.

Jesuisautantenphaseaveccettepersonnequ’avectouslesaspectsdemavieencemoment.C’est-à-direpasdutout.Jenepeuxm’empêcherdemurmurer:—Quiêtes-vous?Laportedestoilettess’entrouvredoucementetmesyeuxpassentdemonrefletàceluidel’entrée.

Unemainapparaît,jereconnaislevernisrougedesesongles.Lafillequeje«saute»depuisplusdedeuxans…

—Silas?Je me redresse et me tourne carrément face à la tête qui passe dans l’embrasure. Nos yeux se

croisentdeuxsecondes.Elleporteaussitôtsonattentionsurlesmursalentour.—Jesuistoutseul.Elle acquiesce et finit par entrer, non sans hésitation. J’aimerais pouvoir la rassurer, lui faire

comprendre qu’elle ne risque rien. Si seulement je me souvenais d’elle, de ce qui a pu faire notrerelation…parcequejevoudraisluidire,toutluidire.Ilfautquejemeconfieàquelqu’un,afinquejepuisseposerdesquestions.

Maiscommentdireàsacopinequ’onnesaitpasquielleest?Niquionestsoi-même?Onneditrien.Onfaitsemblant,commeaveclerestedumonde.Centinterrogationssilencieusestraversentsesyeuxetj’aiaussitôtenviedetouteslesrejeter.—Jevaisbien,Charlie.Jeluisouriscarilmesemblequec’estlachoseàfaire.—J’aiunpeufroid,c’esttout.Retourneencours.Ellenebougepas.Ellenesouritpas.Elleresteoùelleest,pasvraimentaffectéeparmesinstructions.Ellemefaitpenseràcesanimauxà

ressortssurlesquelsjouentlesenfants.Onpeutlespousserdanstouslessens,ilsrebondissenttoujours.

Page 16: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

J’ai l’impression que si quelqu’un venait lui secouer les épaules, elle se pencherait en arrière, sansbougerlespieds,pourseredresseraussitôt.

Jenemerappellepascommentonappelleceschoses-là,mais jenotementalementdenepas lesoublier.Jemesuisfaitbeaucoupdenotesmentales,cestroisdernièresheures.

Jesuisenterminale.Jem’appelleSilas.Nashdoitêtremonnomdefamille.LenomdemacopineestCharlie.Jejoueaufootball.Jesaisàquoiressembleuneméduse.Charlie penche la tête de côté, le coin de ses lèvres se tord un peu. Elle ouvre la bouche et je

l’entendsrespirernerveusement.Quandenfinellearriveàformuleruneparole,j’aienviedemecacher,deluidiredefermerlesyeuxetdecompterjusqu’àvingt,letempsquejem’éloigneassezpournepasentendrelasuite.

—Quelestmonnomdefamille,Silas?Savoixs’envolecommeunefumée,douce,légère,furtive.Jenesauraisdiresiellepossèdeuneextraordinaireintuitionousij’aitantdemalàcacherquejene

saisriendutout.Jemedemandes’ilfautounonleluiavouer.Pourpeuqu’ellemecroie,ellepourraitbienrépondreàbeaucoupd’interrogations.Maissiellenemecroitpas…

—C’estquoicettequestion,mabelle?dis-jeavecunriredédaigneux.Jel’aiappelée«mabelle»?Elleavanced’unpas,puisd’unautre,etcontinueainsi jusqu’àse trouversiprèsque jesensson

parfum.Delys.Ellesentlelys,etjemedemandebiencommentjepeuxreconnaîtreleparfumdeslysmaispasle

nomdelapersonnequisetrouveenfacedemoietquisentleurodeur.Ellenem’apasquittédesyeuxunquartdeseconde.—Silas,dit-elle.Quelestmonnomdefamille?Incapabledeluirépondre,j’agrippedenouveaulelavaboet,faceàlaglace,cesontlesrefletsde

nosregardsquisecroisent.—Tonnomdefamille?J’aidenouveaulabouchesècheetdumalàarticuler.Elleattend.Etmoiquiexamineencorecetypeinconnuenfacedemoi.—Je…jenem’ensouvienspas.Elle disparaît du reflet, suivie aussitôt d’un violent claquement. Ça me rappelle le bruit des

poissonsaumarchédePikesPlace,quandonlesjettesurlepapierd’emballage.Clac!

Page 17: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Jemeretourneetlaretrouveparterre,lesyeuxclos,lesbrasécartés.Jem’agenouille,luisoulèvelatêteet,bientôt,ellesoulèvelespaupières.

—Charlie?Aprèsavoiraspiréunegouléed’air,elles’assied,sedégagedemesbras,merepousse,commesije

lui faisaispeur.Jen’éloignepasmesbraspourautant,aucasoùelle tenteraitdeserelever,maisellerestelà,surlecarrelage.

—Tut’esévanouie.—J’aicrucomprendre.Jen’ajouterien.Jedevraissansdoutepouvoirdéchiffrersonexpression,maisjesuisincapablede

diresielleapeur,sielleestencolèreou…—Jenecomprendspas,reprend-elle.Je…tupourrais…Là,elleessaiedeseleveret je l’accompagnedanssonmouvement.Apparemment,çaneluiplaît

pas,carelleplisselesyeuxdevantmesmainstenduesprêtesàlarattrapersinécessaire.Elles’éloignedemoi,poseunbrasen traversdesapoitrineet se remetàmordiller lepoucede

l’autremain.Ellem’observeunbonmoment,puisfinitparfermerlepoing.—Tunesavaispasqu’onavaitcoursensembleaprèsledéjeuner,lance-t-elled’untonaccusateur.

Tuneconnaispasmonnomdefamille.Bienobligédel’avouer,jesecouelatête.—Dequoitutesouviens?demande-t-elleencore.Elle a peur. Elle est inquiète, méfiante. Nos émotions sont identiques et c’est là que je crois

comprendre.Je ne la reconnais peut-être pas. Elle ne me reconnaît peut-être pas.Mais nos actions— notre

attitude—sontexactementlesmêmes.—Dequoijemesouviens?J’airépétésaquestionpourmedonnerletempsdedigérermessoupçons.Elleattendmaréponse.—Histoire, dis-je en évoquant autant de souvenirs que possible. Livres. J’ai vu une fille faire

tomberseslivres.Jeserremanuquedansmamain.—MonDieu!souffle-t-elleenserapprochantdemoi.C’est…c’estlapremièrechosedontjeme

rappelle.Uneboulem’envahitlagorge.—Jen’aimepasça,continue-t-elle.Çanetientpasdebout.Ellesemblecalme.Plusquemoi.Elleparled’unevoixferme.Sijeperçoisunepeurenelle,c’est

toutaufonddesesyeux.Sansplusyréfléchir,jel’attirecontremoi,maisjecroisquec’estpluspourmerassurerquepourlamettreàl’aise.Ellenesedébatpaset,uncourtinstant,jemedemandesiçanousarrivesouvent.Jemedemandesinoussommesamoureux.

Jeresserremonétreinte,jusqu’àlasentirsecrisperunpeu.

Page 18: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Ilfautqu’onsachecequisepasse,dit-elleensedétachantdemoi.Aussitôtj’aienviederépondrequetoutirabien,quejevaistrouverlaréponse.Jesuissubmergé

parunimmensebesoindelaprotéger—saufquejenevoispasdutoutparoùcommenceralorsqu’onesttouslesdeuxdanslamêmesituation.

Laclochesonne,signalantlafinducoursd’espagnol.Dansquelquessecondes,laportedestoilettesvacertainements’ouvrir.Ilfautqu’ontrouvequelestnotreprochaincours.Jelaprendsparlamainetl’entraînederrièremoiverslecorridor.

—Onvaoù?demande-t-elle.Jelaregardepar-dessusmonépaule.—Aucuneidée.J’aijusteenviedepartir.

Page 19: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

3

Charlie

Ce mec, Silas, il me prend par la main et m’entraîne derrière lui comme un petit enfant. Et c’estexactementcequejeressens–jesuiscommeunpetitenfantdansunmondeimmense.Jenecomprendsrien, je ne reconnais rien.Tandis qu’ilm’emmène à travers les couloirs ordinaires de je ne sais quellycée,jenesongequ’àunechose:jemesuisévanouie;j’aitournédel’œilcommeunedemoiselleendétresse.Ettoutçasurledallagedestoilettesdegarçons.Répugnant.J’ensuisencoreàmedemanderquefaire,maintenant,quellesconclusionsmoncerveauvatirerdetoutcela,quandjemeretrouvefaceàunproblème autrement urgent.Ondébouche augrand soleil. Jemeprotège les yeuxdemamain librependantqueledénomméSilassortdesclefsdesonsacàdos.Illesbranditencercleau-dessusdesatêtetout en appuyant sur le bouton d’alarme du gousset. Du fin fond du parking, on entend couiner unesonnerie.

Oncourtdanssadirection,noschaussuresclaquantsurl’asphaltecommesionétaitpourchassés.Cequiestsansdoutelecas.Ontombesurunimpressionnant4x4quidominetouteslesautresvoituresetlesrend aussiminuscules qu’insignifiantes.UneLandRover. Soit Silas conduit celle de son père, soit ilprofitedesafortune.Àmoinsqu’iln’aitpasdepère.Detoutefaçon,ilnepeutpasmeledire.Etmoi,commentjesaiscombiencoûtecevéhicule?J’aigardémessouvenirsdufonctionnementdelavie:lesprix,lecodedelaroute,lesnomsdesprésidents,maispaslemien.

Ilm’ouvrelaportièrepassagertoutensurveillantlelycéeducoindel’œiletj’ail’impressiondemefaireavoir.Etsic’étaitluiquiavaitmontécepiège?S’ilm’avaitadministréjenesaisquoipourmefaireperdretemporairementlamémoire,etqu’ilmejouaitlacomédie?

Surlemarchepied,jenepeuxm’empêcherdeluidemander:—C’estvrai?Tunesaispasquitues?—Non,c’estvrai.Jelecrois.Presque.Jemelaissetomberdanslesiège.

Page 20: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Ilmedévisagejusteunpeutroplongtempspuisclaquelaportièreetcourts’installerauvolant.Jenemesenspasbien.Commesij’avaispassélanuitàboire.Jebois?D’aprèsmonpermis,jen’aiquedix-septans.Jememordillelepoucetandisqu’ildémarreenappuyantsurunbouton.Jenepeuxm’empêcherdeluidemander:

—Commenttuassuquec’étaitça?—Çaquoi?—Qu’onn’avaitpasbesoindelaclefpourfairedémarrerlavoiture.—Je…jenesaispas.Je le regardealorsqu’ilmanœuvrepourquitter leparking. Il clignebeaucoupdesyeux,me jette

souventdescoupsd’œil,sepasse la languesur la lèvre inférieure.Àunfeurouge, il trouveleboutonHomesurleGPSetappuiedessus.Jesuisimpressionnéequ’ilyaitpensé.

«Faitesdemi-tour»,ordonneunevoixdefemme.J’aienviedelâcherprise,desauterdecettevoitureetdem’enfuircommeunebicheeffrayée.J’ai

tellementpeur…

***

Samaisonestgigantesque.Pasdevoituregaréedansl’alléealorsqu’onralentitlelongdutrottoiretqu’illaisselemoteurronronner.

—Tuessûrquec’estcheztoi?Ilhausselesépaules.—Ondiraitqu’iln’yapersonne.Onyva?J’acquiesce. Je ne devrais pas avoir faim, pourtant c’est le cas. J’ai envie d’entrer, de manger

quelquechose;maisaussiderecherchersinossymptômesnecorrespondentpasauxdégâtsprovoquésparunebactériemangeusedecerveauxquiauraitavalénossouvenirs.Dansunemaisoncommecelle-ci,il doit traîner plus d’un ordinateur portable. Silas conduit la voiture devant l’entrée et se gare. Ondescend timidementenvérifiantsi lesbuissonset lesarbresnevontpasnous tomberdessus. Ilessaieplusieursclefsdesontrousseauetfinitparouvrirlaported’entrée.Àvoirsesvêtementsetsacoiffure,ilal’aird’untypequisefichedetout,tandisquesesépaulesdonnentplutôtl’impressionqu’ilattachedel’importanceaumoindredétail.Etpuisilsentlesodeursdudehors:l’herbe,lepin,mêmelaterre.

Ils’apprêteàtournerlapoignéequandjel’arrête:—Attends!Malgrémontonaffolé,ilneseretournequetrèslentement.—Ets’ilyavaitquelqu’unàl’intérieur?Ilgrimaceunsourire.—Justement,ilpourrapeut-êtrenousdirecequisepasse…Voilà,onentreàl’intérieur.Onresteimmobilesuneminute,àregarderautourdenous.Jemesuis

tapiederrièreSilascommeunevraiedégonflée.Ilnefaitpasfroid,pourtantjefrissonne.Toutmeparaît

Page 21: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

lourd,oppressant–lesmeubles,l’air,monsacdebouquinspenduenbandoulièrecommeunpoidsmort.Silasavancedanslevestibuleetjem’accrocheàl’arrièredesachemisepourpénétreravecluidanslasalledeséjour.Onpasseainsidepièceenpièce;ons’arrêtequandonvoitdesphotosauxmurs.Deuxparentssouriantsetbronzéssuruneplage,serrantdansleursbrasdeuxgarçonsbrunstoutaussisouriants.

—Tuasunpetitfrère,dis-je.Tulesavais?Ilsecouelatêtenégativement.Surlesphotos,lessouriressefontdeplusenplusraresàmesureque

Silas et son mini-moi de petit frère grandissent. Il y a beaucoup de boutons d’acné et d’appareilsdentaires,deparentsquiforcentsurlecôtéenjouéenattirantàeuxdesgarçonscrispés.Oncontinueversleschambres…lessallesdebain.Onexamineleslivres,onlitlesétiquettesdesflaconsdemédicamentstrouvésdansl’armoireàpharmacie.Samèreconservedesfleursséchéesdanstoutelamaison:entrelespagesdeses livresdechevet,dans le tiroirdesacoiffeuse,alignéessur lesétagèresde lachambreàcoucher.Jelestoucheuneparune,enmurmurantleurnom.Jemerappellelenomdechaquefleur.Etçamefaitrire,sansquejesachepourquoi.Silass’immobiliseenentrantdanslasalledebaindesesparentsetmetrouvepliéeendeuxderire.

—Désolée,j’aieuunmomentd’absence.—Quelgenredemoment?—Unmomentoùjemesuisrenducomptequej’avaistoutoubliéaumondesurmoi-même,pourtant,

jesaiscequec’estqu’unejacinthe.—Oui,soupire-t-ilencontemplantsesmains.—Tupensesqu’ondevraitledireàquelqu’un?Aumoinsalleràl’hôpital?—Tupensesqu’ilsnouscroiraient?Onsedévisageetjem’empêcheencoredeluidemandersitoutcelan’estpasunefarce.Maisnon,

c’esttropréel.Onentrealorsdanslebureaudesonpère,onfeuillettelespapiers,onouvrelestiroirs,sanstrouver

nullepartundébutd’explicationàcequinousarrive.Ducoindel’œil,jesurveilleSilas.S’ilmejoueunefarce,c’estunsacrécomédien.C’estpeut-êtreuneexpérience…Jefaispeut-êtrepartied’unplangouvernementald’étudespsychologiques,etjevaismeréveillerdansunlabo.Desoncôté,ilm’observeaussi.Jevoissesyeuxmedarder,quim’interrogent…mejaugent.Onneparlepasbeaucoup.Justedes«regardeça».Ou,«tucroisqueçasignifiequelquechose?».

Onneseconnaîtpasassezpourendiredavantage.Sachambrearriveendernier.Ilmeprendparlamainquandonentreetjelelaissefaireparceque

j’aidenouveaulevertige.Lapremièrechosequejevois,c’estunephotodenoussursonbureau.Jeporteundéguisement,untututropcourtimpriméléopardetdesailesd’angenoirélégammentouvertesderrièremoi.Mesyeuxsontsoulignéspardelongscilsétincelants.Silas,lui,c’estl’angeblanc,etçaluivatrèsbien.Lebiencontrelemal.C’étaitàçaqu’onjouaitdanslavie?

—Nuls,cescostumes,dis-je.Ilsouritpuisseremetàinspecterleslieux.

Page 22: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Quantàmoi, j’examine lesphotosencadréesqui, làaussi, tapissent lesmurs :unSDFavachiaupiedd’un immeuble, enroulédansune couverture ; une femmeassise surunbanc, qui pleuredans sesmains.Unegitane,lesbrasautourducou,quifixel’objectifd’unœiléteint.Clichésplutôtmorbides.Çamedonneenviedem’enfuir.J’aihonte.Jenecomprendspascommentonpeutavoirenviedeprendrecetypedeportraits,pisencore,d’endécorersachambrepourlesvoirtouslesjours.

C’estlàquejedécouvrelecoûteuxappareilphotoposésurlebureau,àlaplaced’honneursurunepiled’albums.Unartiste…Cesontdoncsesœuvres?Silasaussilesexamine,commes’ilcherchaitàlesreconnaître. Pas la peine de lui poser la question. J’ouvre le placard pour inspecter ses vêtements,m’approchedelaprécieusecommoded’acajou.

Jesuissifatiguée!J’aienviedem’asseoir,maisilmefaitsignedelerejoindre.—Viensvoirça.Ilmemontre son lit défait. Il a le regard brillant et, devrais-je dire… choqué ?C’est là que je

comprends,etjesursaute.—Oh,monDieu!

Page 23: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

4

Silas

J’écarte l’édredon pourmieux voir le foutoir au pied du lit.Des traces de boue séchée sur le drap.Quandjeletends,desrésiduscrottésroulentettombentausol.

—C’est…Charlievientmedonneruncoupdemainpourdégagerledraphousse.—C’estdusang?Elleappuiesaquestiond’ungestedumentonvers l’oreilleroùapparaîtuneempreintedemainà

demieffacée.Aussitôtjeregardelesmiennes.Rien.Aucunetracedesangnideboue.Jem’agenouilleàcôtédu lit,place lapaumedroite sur l’empreinte.Çacorrespondparfaitement.

Enfin… « parfaitement », façon de parler. Charlie a détourné les yeux, comme si elle ne voulait pasvérifier si ça provenait de moi ou non. Car maintenant, voilà un problème supplémentaire qui vients’ajouterauxautres.Onenatellementàrésoudrequ’ilsformentunepilesurlepointdes’effondrer.

—Cedoitêtremonpropresang,dis-jedavantagepourmoi-mêmequepourelle.J’essaiedechasserlesidéesquipeuventseformerdanssatête.—Jesuispeut-êtretombécettenuit.J’ail’impressiondechercherdesexcusespourquelqu’unquin’estpasmoi,plutôtpourundemes

amis.Cetype,Silas…Entoutcas,pasmoi.—Tuétaisoù,cettenuit?Cen’estpasunevraiequestion, justeunechoseà laquelleonpense tous lesdeux.Jerécupère le

drapdudessus et l’édredonque je repose sur le lit pourmasquer unpeu le foutoir.Lespreuves.Lesindices.Quoiqu’ilensoit,jeveuxlescouvrir.

—Qu’est-cequeçaveutdire?demande-t-elleenbrandissantunmorceaudepapier.

Page 24: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Jelarejoins,luiprendslepapierquisembleavoirétépliéetrepliéàplusieursreprises,aupointqu’unpetittrous’estforméensoncentre.Ilcontientcettephraseécriteentraversdelapage:Nejamaisarrêter.Nejamaisoublier.

Jelejettesurlebureau,pourm’endébarrasser.Çaressembletropàunepreuveaussi.Jeneveuxpasytoucher.

—Aucuneidée.Jevoudraisboiredel’eau.Laseuleboissondontjemerappellelegoût.Sansdoutejustementparce

qu’ellen’enapas.—C’esttoiquiasécritça?medemande-t-elle.—Commentveux-tuquejelesache?Jen’aimepasletondemavoix.J’ail’airexaspéré.Jeneveuxpasqu’ellecroiem’exaspérer.Ellefilecherchersonsacàdos,ensortunstylo,revientavec.—Copie-la.C’estunordre,puretsimple.Jeroulelestyloentremesdoigts,lespassesurl’inscriptionenrelief

souslecapuchon.

GROUPEFINANCIERWYNWOOD-NASH.

—Vérifiesitonécriturecorrespond.Cedisant,elletournelapagepourmeprésenterl’enversblanc.Sonregardabeaum’émouvoirun

peu,jesuisencolère.Jen’aimepasqu’elleaccorde tantd’importanceàcedétail. Je tiens lestylode lamaindroiteet

c’estdésagréable.Jelepassedanslagaucheetçavatoutdesuitemieux.Jesuisgaucher.J’écris les mots de mémoire et, une fois qu’elle a pu voir mon écriture, je reviens à la page

précédente.Cen’estpaslemêmegraphisme.Lemienestanguleux,serré.L’autreestlargeetimprécis.Charlie

prendlestyloàsontourettracelesmots.Celacorrespondparfaitement.Onexaminetouslesdeuxlepapiersansvraimentsavoircequ’ilpeut

signifier, si ce n’est rien du tout, ou, si ça peut tout expliquer. La boue sur mes draps pourrait toutexpliquer. La trace demain ensanglantée pourrait tout expliquer. Le fait qu’on puisse se rappeler lesélémentsdebasemaispaslesgenspourraittoutexpliquer.Lesvêtementsquejeporte,lacouleurdesonvernisàongles, l’appareilphotosurmonbureau,lesportraitssurmonmur,lapenduleau-dessusdelaporte, le verre à moitié rempli d’eau sur le bureau… Je fais le tour de la pièce pour regarder unenouvellefois.Chaquedétailpourraittoutexpliquer.

Ounerienexpliquerdutout.Jenesaispascequ’ilfautcataloguerdansmonespritetcequ’ilfautécarter.Ilsuffiraitpeut-être

quejem’endormepourmeréveillerdemaincomplètementnormal.—J’aifaim,dit-elle.

Page 25: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Delonguesmèchesmecachentunepartiedesonvisage.Elleestbellemaisn’ensemblepasplusfièrequeça.Àmoinsquejenesoispascenséapprécier.Toutenellemecaptive,unpeucommeàlafind’unorage.Enprincipe,onn’appréciepastroplesdésordresquepeutnousinfligerlanature,pourtantonaquandmêmeenviederegarder.Charlieévoquelesdégâtslaissésparunetornade.

Commentest-cequejesaisça?Pourlemoment,elleal’airdem’examiner.J’aienviedeprendreunephotod’elle.Monestomacse

noue,jenesaispassic’estlafaimouuneréactiondevantlafilleenfacedemoi.—Ondescend,luidis-je.Jeluitendssonsacàdos,saisisl’appareilphoto.—Onvamangeretdiscuterdetoutça.Elle passe devantmoi, s’arrête devant tous les cadres accrochés entrema chambre et le bas de

l’escalier, passant chaque fois le doigt sur les clichés de mon visage. Juste le mien. Comme si elleessayaitdemieuxmecomprendreainsi.J’aienviedeluidirequ’elleperdsontemps.Legarsquiaposépourcesphotos,cen’étaitpasmoi.

Unefoisarrivésenbas,onestaccueillisparuncri strident.Charlies’immobiliseet je lui rentrededans.Lapersonnequiacriéestunefemmequisetientsurleseuildelacuisine.

Sesyeuxécarquillésvontetviennententrenous,passantdel’unàl’autre.Unemainsurlecœur,ellepousseunénormesoupir.Elle n’apparaît sur aucune de ces photos ; c’est une personne d’une soixantaine d’années, aux

cheveuxgris tirésenarrière,unpeuenveloppée ;elleporteun tablieroùapparaissentcesmots :«Jecuisinemaisnemecuisinezpas».

—Seigneur,Silas,tum’asfaitlapeurdemavie!Là-dessus,elleretournedanssacuisine.—Vous deux, ajoute-t-elle, vous feriezmieux de retourner au lycée avant que ton père ne s’en

aperçoive.Necomptezpassurmoipourraconterdesmensonges.Charlierestefigéedevantmoi,alorsjelapousseunpeu.Elleseretourne.—Tuconnais…Je secoue la tête.Elle voulait savoir si je connaissais cette femme.La réponse est non. Je ne la

connaispas.JeneconnaispasCharlie,jeneconnaispaslafamillesurcesportraits.Enrevanche, jereconnais l’appareilphotodansmamain. J’ignorecomment jepeuxmesouvenir

desmoindresdétailsde son fonctionnementalorsqu’ilm’est impossible deme rappeler comment j’aiapprisàm’enservir.Jesaisréglerlasensibilité,lavitessepourdonneràuntorrentl’aspectd’unfiletd’eauoudétaillerchaquegoutte.Cetobjectifpermetdesouligneràvolontélemoindredétail,commelacourbedelamaindeCharlie,ousescilsautourdesesyeux,pourfairedisparaîtretoutlerestedansunesortedeflou.Jeconnaismieuxlemaniementdecetappareilquelavoixdemonpetitfrère.

J’en passe la courroie autour demon cou et suis Charlie dans la cuisine. Ellemarche d’un pasdécidé.Elleneperdpassontemps.Quandelleveutallerquelquepart,elleyva.Quandelleditquelquechose,c’esttoujoursprécis.Oùqu’elleposelesyeux,ellecontemplelachoseavecunetotaleintensité,

Page 26: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

commesicelaluisuffisaitàendéterminerlegoût,l’odeur,leson,lasensation.Etellenes’arrêtepassurlesdétailsquineconcernentpas sesobjectifs.Autantoublier leparquet, les rideaux, lesphotosoù jen’apparaispas.Ellenevapasperdresontempsàs’arrêtersurdesdétailsquineserventàrien.

C’estpourcetteraisonquejelasuisdanslacuisine.Jenevoispasvraimentcequ’ellecompteyfaire,tâcherdecapterquelquesinformationsauprèsdelagouvernante,ou,toutsimplement,chercherdequoirassasiersafaim.

Elleprendplacedevantlelargebar,tireuntabouretpourmoi,tapotedessussansmeregarder.Jem’assieds,posemonappareildevantmoitandisqu’elleouvresonsacàdos.

—Ezra,jemeursdefaim.Ilyaquelquechoseàmanger?Lecœurdansleschaussettes,jefaisvolte-face.Commentsait-ellesonnom?MaisCharliesecouelatête.—Calme-toi,souffle-t-elle.C’estécritlà.Ellememontreunenote—unelistedecourses—poséedevantnous,unblocrosepersonnalisé,

ornédechatonsenbasdepage.Enhautapparaîtl’inscription:«CequifaitronronnerEzra».Lafemmefermeunplacardets’adresseàCharlie:—Ça vous amise en appétit d’être là-haut ?Au cas où vous ne seriez pas au courant, on sert

d’excellentsdéjeunersdansvotrelycéeet,d’habitude,c’estlàoùvousvoustrouvezàcetteheure-là.—Onysertdescroquettes?Je n’ai pum’empêcher d’envoyer cette vanne et Charlie éclate de rire. Cette belle humeur nous

apporteunsouffled’airfrais,mêmesiEzralèvelesyeuxauciel.Ducoup,jemedemandesij’étaisdugenremarrant.Jesourisaussi,parcequesiellen’apasréagilorsqueCharliel’aappeléeEzra,çasignifiequ’elleportebiencenom.

JepasseunemainsurlanuquedeCharlie.Ellefrémitmaissedétendpresqueaussitôtquandelleserendcomptequeçafaitpartiedenospersonnages.N’oubliepasqu’onestamoureux.

JemetourneversEzra:—Charliene se sentaitpasbien,alors je l’ai amenée icipourqu’ellepuisse se reposerunpeu,

seulementellen’arienavaléaujourd’hui.Ellepourraitmangerquelquechosepoursesentirmieux?Delasoupeoudescrackers,parexemple?

L’expressiond’Ezra s’adoucitquandellevoit l’affectiondont je faispreuveenversCharlie.Elleattrapeuntorchon,lelancesursonépaule.

—Voyons,Char.Quediriez-vousd’unetranchedemaspécialitéaufromagegrillé?C’étaitvotreplatpréféréquandvousveniezici.

Mamain se crispe sur le coudeCharlie.Quandvous veniez ici ?Onéchangeun regard chargéd’interrogations.

—Merci,Ezra,dit-elleenfin.Celle-ci sort divers ingrédients du réfrigérateur qu’elle referme d’un coup de hanche : beurre,

mayonnaise,pain,fromage,etencoredufromage,duparmesan.Ellemetunepoêleàchauffer.

Page 27: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Jet’enfaisàtoiaussi,Silas.TuasdûattraperlesmicrobesdeCharlie,cartunem’avaisjamaisautantparlédepuistapuberté.

Trèsfièredesoncommentaire,ellepouffederire.—Etpourquoijeneparleraispas?Charliem’envoieuncoupdepieddiscret,mefaitlesgrosyeux.Jen’auraispasdûdemanderça.Ezrametunpeudebeurresuruncouteau,l’étalesurunetartine.— Oh ! tu sais, dit-elle en haussant les épaules, les petits garçons grandissent, deviennent des

hommes.Lesgouvernantescessentd’êtretanteEzraetretournentdansleurcuisine.Elleaprononcécettedernièrephrased’un ton triste. Je fais lagrimace,parceque jen’aimepas

entendredetelsdétailssurmoncas.JeneveuxpasqueCharlielesapprenne.Jeprendsl’appareilphoto,l’allume.Charliesemetàvidersonsac,inspectanttoutcequ’ilcontient.—Oh,oh!lance-t-elle.Elleasortiuntéléphoneportable.Jemepenchesursonépaule,voisqu’elleamanquéseptappels,

etencoreplusdetextos.Toussignés«Maman».Elleouvrelepluslongdesmessages,envoyéilyaexactementtroisminutes.

Tuastroisminutespourmerappeler.

Apparemment, je n’avais pas réfléchi aux conséquences si on séchait les cours. Entre autres, laréactiondeparentsquenousneconnaissonsmêmepas.

—Ilfautyaller,luidis-je.Onselèveenmêmetemps.Ellejettesonsacsursonépaule,jeprendsmonappareil.—Attendez!lanceEzra.Lepremiersandwichestpresqueprêt.EllesortdeuxSpritedufrigo,nouslestend.—C’estbonpourl’estomac,affirme-t-elle.Après quoi, elle enveloppe le sandwich au fromage grillé dans une serviette en papier. Charlie

attenddéjàdevantlaported’entrée.Àl’instantoùjevaissortir,Ezrameserrelepoignet.—Çafaitplaisirde la revoir ici,murmure-t-elle.Jem’inquiétais.Aprèscequis’estpasséentre

vosdeuxpères,j’avaispeurqueçaneretombesurvosrelations.Maiscettefille,tul’aimaisdéjàavantdesavoirmarcher.

Letempsdedigérercesinformations,jenesaisquerépéter:—Ha,ha,avantdesavoirmarcher…Ellemesouritcommesielledétenaitlaclefdemessecrets.—Silas!appelleCharlie.AprèsunderniersourireàEzra,jefileverslevestibule.Onouvrelaporteaumomentoùretentitla

sonnerie du téléphone de Charlie. Elle est tellement surprise qu’elle le laisse tomber par terre. Elles’agenouillepourleramasser.

Page 28: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—C’estelle,dit-elleenserelevant.Qu’est-cequejedoisfaire?—Tudevraisrépondre.MaisCharliesecontentedecontemplerl’écranlumineux,alorsjeluiprendsl’appareildesmains,

appuiesurlatouchepuisleluicollecontrel’oreille.—Allô?On sedirigevers la voiture et j’entendsdesbribesdephrases échappéesdu combiné : «Grave

bêtise»,«Raterlelycée»,«Qu’est-cequit’arrive?».Les invectives se poursuivent jusqu’à ce qu’on se retrouve tous les deux assis dans la voiture,

portièresfermées.Jedémarreetlavoixdelafemmesecalmeuninstant.Soudain,elleretentitdansleshaut-parleurs.LeBluetooth.Jemerappellecequec’estqueleBluetooth.

Jeplacelessodasetlesandwichsurlaconsolecentralepuisreculepoursortirdel’allée.Charlien’apasencorepuplacerunmotmaisellelèvelesyeuxaucielquandjeladévisage.

—Maman,finit-elleparlâcherenessayantdel’interrompre.Maman,j’arrive.Silasm’amèneàmavoiture.

Grandsilence.D’unecertainefaçon, lamèredeCharlieestencoreplusintimidantequandellenecriepasauboutdufil.Enreprenantlaparole,elleparlelentement,appuyantchaquemot:

—Nemedispasquetuaslaissécettefamille-làt’acheterunevoiture!Onseregardeetjelavoisarticulerun«merde»silencieux.— Je… non. Non, je voulais dire que Silas me ramène à la maison. Je serai là dans quelques

minutes.Là-dessus,ellepasselamainsurl’écranpouressayerdecouperlacommunication.J’appuiesurle

boutondedéconnexionauvolantpourlacoupermoi-même.Ellesetourneverssafenêtre,pousseunprofondsoupir,marquantlavitred’unepetiteauréolede

buée.—Silas?Jecroisquemamèreestunevraiesalope.Jerismaisneprotestepas.Onne dit plus rien pendant quelques kilomètres. Jeme répètementalement les dernières paroles

échangées avec Ezra. Dire qu’elle n’est même pas de ma famille, alors qu’est-ce que doit ressentirCharlie après avoir parlé avec sa vraiemère ? D’un côté, on devait chacun espérer qu’en reprenantcontactavecunparentonauraitpuretrouverlamémoire.Jevoisbien,àlaréactiondeCharlie,qu’ellen’astrictementrienreconnuchezlafemmeavecquiellevientdediscuterautéléphone.

—Jen’aipasdevoiture,observe-t-elleendessinantsurlavitre.J’aidix-septans.Jemedemandepourquoijen’aipasdevoiture.

Cequimerappellequejesuistoujourssurlaroutedulycée,nondechezelle.—Tunesauraispasoùtuhabites,parhasard?Elleécarquillelesyeuxmaisrécupèrevitesaconfianceenelle.C’estfoucommejelismieuxles

expressionsdesonvisage,maintenant,encomparaisondecematin.Jelisenellecommedansunlivredontj’aisoudainenviededévorerchaquepage.

Page 29: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Ellesortsonportefeuilledesonsacàdos,litàhautevoixl’adressesursonpermis.—Gare-toi,ajoute-t-elle,pourqu’onlacherchesurleGPS.—Paslapeine,jepeuxleprogrammeràpartirduvolant.Jelasensquim’observed’unœilméfiant.—Non,dis-jealors,jenesaispascommentçam’estrevenu.Une fois l’adresse entrée, je fais demi-tour et prends la direction de sa maison. On est à dix

kilomètres.Elleouvre lesdeuxsodas,partage lesandwichendeux,me tendmapart.Onroule laplusgrandepartieducheminsansriendire.J’aienviedeluiprendrelamainpourlaréconforter,deluidiredeschosesrassurantes.Sionétaithier,jesuissûrquejel’auraisfaitsansarrière-pensée.Maisonn’estpashier.Onestaujourd’huietCharlieetmoisommescomplètementétrangersl’unàl’autre.

Àquelquesmètresdel’arrivée,ellefinitparparler,maisjustepourcommenter:—Délicieux,cesandwichaufromagegrillé.Dis-ledemapartàEzra.Je ralentis. On roule bien en dessous de la vitesse limite quand j’atteins sa rue et, bientôt, je

m’arrêtelelongdutrottoir.Elleregardeparlafenêtre,examinechaquemaison.Depetitspavillonsdeplain-pied,avecdesgaragesd’unevoiture.Chezmoi, lacuisineestplusgrandeque laplupartd’entreeux.

—Tuveuxquej’entreavectoi?—Passûre…J’ail’impressionquemamèrenet’aimepasbeaucoup.Ellearaison.Jevoudraisbiensavoiràquicettedamefaisaitallusionenparlantde«cettefamille-

là».Demême,quandEzraaparlédenospères…—Jecroisquec’estcelle-ci,ditCharlieenmontrantunemaison.Jecoupelemoteuretglisseenrouelibredanssadirection.C’estdeloinlaplusbelledemeuredu

quartier, mais juste parce que la pelouse a été récemment tondue et que la peinture des fenêtres nes’écaillepas.

Mavoiturefinitpars’arrêterdevantl’entréeetnouspouvonsévalueràloisirlesdifférencesdenoslieuxderésidence.J’aidumalàimagineràquelpointjevaismesentirseulsansCharliecettenuit,tantelleasu,jusque-là,meprotégerdecettedifficileréalité.

— S’il te plaît, dis-je en actionnant le frein à main. Vérifie si tu as mon nom dans ton carnetd’adressesettâchedefairesonnermonportable.Jevoudraissavoirs’ilsetrouvedanslesparages.

Hochantlatête,ellefaitdéfilersalistedecontactspuisportel’appareilàsonoreille,ensemordantleslèvrespourmasquercequiressembleàunsourire.

Àl’instantoùjevaisluidemandercequil’amusetant,unesonnerieétoufféeretentitdanslaboîteàgants.Jelasoulèveettrouveuntéléphonedanslecasier.Surl’écranapparaîtlenomdel’appelant:

Charliechérie

Page 30: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Voilà qui répond àma question.Elle aussi doitm’avoir donné un surnom. Je glisse le doigt surl’écranpourdécrocherpuisréponds:

—Salut,Charliechérie!Elleéclated’unrirequej’entendsàlafoisendirectetdansmonportable.—J’ail’impression,commente-t-elle,qu’onformaituncoupleassezringard,Silaschéri.—Commetudis.Ellenerépondriencarelles’estremiseàcontemplerlamaison.—Appelle-moiàlapremièreoccasion,d’accord?—Promis,dit-elle.—Tuassansdoutetenuunjournal.Çapourraitnousaider.—Promis,dit-elleencore.Onest là, touslesdeux,avecnosportablesàl’oreille.Jenesaispassiellehésiteàsortirparce

qu’elleapeurdecequ’ellevatrouverlà-basouparcequ’ellen’apasenviedequitterlaseulepersonnequicomprennesasituation.

—Tucroisquetuvasenparleràquelqu’und’autre?—Non,marmonne-t-elleenéteignantsonécran.Jeneveuxpasqu’onmeprennepourunefolle.—Tun’espasfolle.Tuvoisbienqueçanousarriveàtouslesdeux.Elleserrelesdents,remueàpeinelatête.—Exact.Siçam’arrivaitàmoiseule,ceseraitfaciled’enconclurequejeperdslaboule.Tandis

quelà,onestdeuxàvivrelamêmesituation,doncc’estautrechose.Etçamefaitpeur,Silas.Elle ouvre la portière et sort. Comme j’abaisse sa vitre, elle s’accoude à la fenêtre, désigne la

maisonderrièreelle.—Ilyadeschancespourquejen’ytrouvepasdegouvernantequivamepréparerunsandwichau

fromagegrillé.Jem’arracheunsourire.—Tuconnaismonnuméro.Appellesituveuxquejevienneàtonsecours.Sonsourireforcéfaitplaceàunegrimace.—Commeunedemoiselleendétresse?lâche-t-elleenlevantlesyeuxauciel.Elleattrapesonsacàdosrestésurlesiège.—Souhaite-moibonnechance,Silaschéri.Jedétestecetadieusarcastique.

Page 31: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

5

Charlie

—Maman?Mavoixmetrahit.C’estplutôtuncouinementqu’unappel.Jem’éclaircislagorge.

—Maman?Ellesurgitaucoinducouloir,telleunevoituresurleschapeauxderoue.Jereculededeuxpas,me

retrouveledosàlaporte.—Qu’est-cequetufichaisaveccegarçon?Elleempestel’alcool.—Je…ilm’aramenéedulycée.Jeplisselenez,respireparlabouche.Elleenvahitmonespacepersonnel.Jesaisislapoignéedela

porte derrière moi, au cas où je devrais m’éclipser. Moi qui espérais ressentir quelque chose enapercevantcellequim’adonnélejour,etmêmevoirrejaillirmillesouvenirs,uneformedeconfiance…jem’écartedel’inconnuequisedressefaceàmoi.

—Tuasséchélelycée.Tuétaisaveccetype!Explique-toi.Çapuetrop.— Jeme sens…mal fichue. Je lui ai demandé deme ramener. Pourquoi tu es saoule en pleine

journée?Ellerouledesyeuxet,uninstant,j’ail’impressionqu’ellevamebattre.Mais,auderniermoment,

ellerecule,selaisseglissercontrelemur,s’assiedparterre,lesjouespleinesdelarmes.Jemedétourne.Bon,d’accord,jenem’attendaispasàça.Les cris, ça va, j’assume. Tandis que les pleursme désarçonnent. Surtout quand ils proviennent

d’unepersonnetotalementinconnueàquijenesaispasquoidire.Jem’écarteàl’instantoùelleéclateensanglots.J’ignoresiçaluiarrivesouvent,alorsj’hésitesurleseuildusalon.Finalement,jelalaisseà

Page 32: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

seslarmespouressayerdetrouvermachambre.Jenepeuxrienpourelle.Aprèstout, jenelaconnaispas.

Siseulementjepouvaismecacherjusqu’àcequeje trouveunesolution!Aumoinssavoirqui jesuis.Lamaison est pluspetiteque jenepensais. Jeme suis àpeine éloignéedemamère en traindechialerpar terrequejemeretrouveentrelacuisineet lesalon,déjàminusculesetpourtantremplisdemeubles qui ne collent pas avec le reste.Beaucoup tropbeauxpour cet endroit.Ensuite, je vois troisportes.Lapremièreestouverte,surunlitcouvertd’unplaidécossais.Lachambredemesparents?Entoutcaspaslamienne,jepréfèrelesfleurs.Ladeuxièmeportedonnesurunesalledebain.Latroisièmeouvre sur une autre chambre. J’entre. Deux lits. Ça me fait grincer des dents. On est donc plusieursenfants.

Jefermederrièremoi,j’inspecteleslieux.J’aiunesœur;d’aprèssesaffaires,elleestplusjeunequemoi,ilsuffitdevoirlesaffichescriardesquiornentsoncoin.Moncôtéestnettementplussimple:unlitcouvertd’unédredonvioletetunephotonoiretblancencadrée.Jedevineaussitôtqu’ils’agitd’uneœuvredeSilas.Unegrillecasséependueàsesgonds,auxpicsdemétalrouillédévorésdevignevierge–pasaussisombrequelesclichésdontiladécorésachambre,cequiestpréférablepouruncadeau.Untasdelivrestraînesurlatabledenuit.J’enattrapeunpourlireletitrequandmontéléphonetinte,c’estSilas.

Çava?

Jecroisquemamèreestalcooliqueetquej’aiunesœur.

Saréponsearrivequelquessecondesplustard.

Saispasquoidire.Tropzarbi.

Je rangemonappareil en riant. J’ai enviede fouinerunpeu,devoir si jene trouvepasquelquechosede suspect.Mes tiroirs sontnets. JedoisavoirdesTOC. Je fouilleparmi les chaussetteset lessous-vêtementspourvoirsijepeuxmemettreenpétard.

Iln’yariendansmestiroirs,riendansmatabledenuit.Jetrouveuneboîtedepréservatifscachésdansun sac sous le lit. Je chercheun journal, desmessages écritspardes amis,mais rien. Je suisunhumainstérile,sansintérêt,sicen’estpourcecadreau-dessusdulit.

Ma mère est restée dans la cuisine. Je l’entends renifler tout en se préparant quelque chose àmanger.Elleestsaoule.Si j’enprofitaispour luiposerdesquestions?Elleaura toutoubliédansuneheure.

—Hé,euh…maman,dis-jeenvenantmeplanterdevantelle.Ellecessedebeurrersestoasts,lèvesurmoisesyeuxvitreux.—Commeçaj’aieuundrôledecomportement,cettenuit?

Page 33: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Cettenuit?répète-t-elle.—Oui.Tusais…quandjesuisrentrée.Elleseremetàétalerdubeurreavecsoncouteau.—Tuétaistrèssale,bafouille-t-elle.Jet’aiditdeprendreunedouche.ÇamefaitpenseràlaboueetauxfeuillesdanslelitdeSilas.Autrementdit,nousétionssansdoute

ensemble.—Àquelleheurejesuisrentrée?Montéléphoneétaitmort.—Verslesdixheures.—J’aiditquelquechose…despécial?Ellesedétourneversl’évier,attrapeuntoastaupassage,morddedans.—Maman!Écoutequandjeteparle.Réponds-moi.Pourquoiest-cequeçanem’étonnepas?Moiquiinterroge,ellequiregardeailleurs…—Non,finit-elleparlâcher.Toutd’uncoup,j’aiuneidée:meshabitsd’hiersoir.Derrièrelacuisine,ilyaunpetitréduitoù

s’entassent lave-linge et sèche-linge. J’ouvre la porte de lamachine à laver, y trouve un petit tas devêtementshumides.Jelessors.Ilscorrespondentàmataille.J’aidûlesyjetercettenuit,commepoureffacerdespreuves.Preuvesdequoi?Jefouilledanslespochesdujean,entireunpapierpliéenquatre,complètement trempé,collé.Je rejette le jeanetemporte lepapierdansmachambre. Impossiblede ledépliersansrisquerdeledéchirer.Mieuxvautledéposersurlereborddelafenêtreenattendantqu’ilsèche.

JetextoteàSilas:

Tuesoù?

J’attendsquelquesminuteset,commeilnerépondpas,j’essaieencore:

Silas!

Jemedemandesijefaistoujoursça.Insisterjusqu’àcequ’ilréponde.J’envoie cinqmessages de plus avant de lancer mon portable à travers la pièce et d’enfouir le

visagedansl’oreillerdeCharlieWynwoodpourpleurer.QuisaitsiCharlieWynwoodpleurejamais?Àvoirsachambre,ellen’aaucunepersonnalité.Samèreestalcoolique,sasœurfandemusiquepourrie.D’ailleurs,commentpuis-jesavoirquelespostersau-dessusdulitdemasœurcomparentl’amouràunboometàunclap,sansmerappelerlenomdecettesœur?Jecommenceàinspectersesaffaires,pouressayerdeletrouver.

—Ding,ding,ding!dis-jeenattrapantlejournalblancàpoisrosecachésoussonoreiller.

Page 34: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Jeleposesursonlit,l’ouvre.

PropriétédeJanetteÉliseWynwood.

Défensedelire!

Sanstenircomptedel’avertissement,jepasseàlapremièrepage,intitulée:

Charliem’emmerde.

Masœurestl’êtreleplusnuldelaplanète.J’espèrequ’ellevamourir.

Jefermelejournal,leremetsàsaplace.Çacommencebien.Mafamillemedéteste.Quelgenredepersonne faut-il être pour que votre famille vous haïsse ainsi ? À l’autre bout de la chambre, montéléphonem’annonceuntexto.Jesautedessus,soulagéequeSilasmerépondeenfin.Enfait,ilyadeuxmessages.Dontl’und’Amy:

T’esoù?!!

Etl’autred’uncertainBrian:

Salut,ons’estmanquésaujourd’hui.Tuluiasdit?

Àqui?Luidirequoi?Je reposemonportable sans répondreàpersonne. Jedécidedeme replongerdans le journal, en

passantdirectementàcequeJanetteaécritsurmoihiersoir.

Jevaisavoirbesoind’unappareilmaisonn’apasd’argent.Charlieenaeuun.

Jepasselalanguesurmesdents.Ouais,ellessontbiendroites.

Page 35: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Sesdentssontdroitesetparfaitestandisquejevaisenavoirunedetraverstoutemavie.Mamanapromisdemepayer l’appareilmaisdepuisquece trucs’estproduitavec l’entreprisedepapa,onn’aplus de fric pour les trucs normaux. J’aime pas emporter des déjeuners tout préparés à l’école. J’ail’impressiond’êtreàlamaternelle!

Jesauteunparagrapheoùelleracontesonderniercours.Elleselanceégalementdansunelonguediatribe sur son absence de menstruation quand elle ne peut plus rédiger son journal à cause de mapomme.

Ilfautquej’arrête.Charlievientderentreretellepleure.Çaneluiarrivepassouvent.J’espèrequeSilasarompuavecelle.Ceseraitbienfaitpourelle.

Ainsi,jepleuraisenrentranthiersoir?Jevaisvoirsurleborddelafenêtrelepapierquisembleavoirunpeuséché.J’arriveàledéplierdoucementetvaism’appuyersurlebureauquenoussemblonspartagermasœuretmoi.L’encres’estlégèrementeffacéemaisjedevinequ’ils’agitd’unreçu.J’envoieuntextoàSilas.

Silas,ilfaudraitquetuviennesmechercher.

J’attendsencore,deplusenplusirritéeparletempsqu’ilmetàrépondre.Jesuisimpatiente,dirait-on.

IlyauncertainBrianquim'envoiedesmessages.Ilal’airdemedraguer.Jepeuxluidemanderdem’emmenersituespris…

Monportablebipeunesecondeplustard.

Turigoles!J’arrive.

Jesouris.Jenedevraispasavoirdemalàmeglisserhorsdelamaisonpuisquemamèrecuvesursoncanapé.

Jelaregardeunmoment,essayantdésespérémentdemesouvenirdesonvisage.ElleressembleàCharlie,enplusvieux.AvantdesortirattendreSilas,jeremontesacouverturesurelle,puisjevaisprendredeuxsodasdanslevieuxfrigo.

Page 36: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Àplus,maman.

Page 37: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

6

Silas

Jenesaispas si je retourne lachercherpar instinctdeprotectionoudepropriété.De toute façon, jen’aimerais pas qu’elle demande à quelqu’un d’autre. D’ailleurs, qui est cemec, Brian ? Et pourquoicroit-ilpouvoirladraguerpartextosquandilsaittrèsbienqu’onestensemble,Charlieetmoi?

Jetiensencoremonportableàlamainquandilvibredenouveau.Pasdenumérosurl’écran,justeunmot,«Frangin».

—Allô?—Qu’est-cequetufous?Une voix de garçon, qui ressemble beaucoup à lamienne. Je regarde autour demoi,mais je ne

reconnaisriendanslecarrefourquejetraverse.—Jesuisdansmavoiture.—Sansdéc,marmonne-t-il.Situcontinuesàrater l’entraînement, tuassisterasauprochainmatch

surlebancdetouche.LeSilasd’hierenauraitsansdouteétéfurieux.Celuid’aujourd’huiestsoulagé.—Queljouronest?—Mercredi.Hierc’étaitmardi,demainjeudi.Viensmechercher,l’entraînementestterminé.Iln’adoncpassaproprevoiture?Jeneconnaispascegaminetilm’encombredéjà.Preuveque

c’estbienmonfrère.—Jedoisd’abordallerchercherCharlie.Silence,puis:—Chezelle?—Oui.Autresilence.—Tuasenviedemourir?

Page 38: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Franchement, j’en ai assez d’ignorer ce que tout lemonde sait. Pourquoi n’aurais-je pas le droitd’allerchezCharlie?

—Commetuveux,ajoute-t-il.Maisdépêche-toi.Etilraccroche.

***

Ellem’attenddans la rue, face à samaison, deux sodas dans lesmains ; elle les tient telles desgrenadesqu’elles’apprêteraitàjetersurlafaçade.Jeralentis,m’arrêtenonloind’elle.

Ellen’estpashabilléecommetoutàl’heure;unelonguejupenoireluicouvrelespiedsetelleporteuneécharpeautourducouetdesépaules.Malgréson tee-shirtmarronàmanches longues,elle sembleavoirfroid.Uncoupdeventagitesesvêtements,elleneréagitpas,elleneclignemêmepasdesyeux,perduedanssespensées.

Jesuisperduenelle.Quandjememetsaupointmort,elletournelatêteversmoipuisbaisselesyeux.Ellevientouvrirla

portièrepassager, s’assiedàcôtédemoi.Sonsilencesemble implorer lemien,alors jenedis rienetnousprenonsladirectiondulycée.Auboutd’uncertaintemps,ellefinitparsedétendre,poseunpiedbottésurletableaudebord.

—Onvaoù?—Monfrèreaappelé.Ilveutquejeleramène.Ellehochelatête.Alorsjepréfèrepréciser:—Jecroisquej’aimanquél’entraînementdefootballaujourd’hui.Àmon tonapathique,elledoitcomprendreàquelpoint jem’enfiche.C’estvraiment lecadetde

messoucisencemoment.—Tu joues au foot, réplique-t-elle.Moi jene fais rien. Je suisbarbante,Silas.Machambreest

barbante. Je ne tiens pas de journal. Je ne fais aucune collection. Tout ce que je possède d’un peuoriginal,c’estlaphotod’unegrille,quivientdetoi.

—Commenttusaisqu’ellevientdemoi?Haussantlesépaules,elletiresursajupe.—Tuasun stylebienà toi.Unpeucommeuneempreinte.Ça sevoit, parceque tu es le seul à

prendrecequelesgensonttroppeurdevoirdanslavieréelle.Apparemment,ellen’aimepasmesphotos.L’œilfixésurlaroute,jedemande:—Alors,c’estqui,ceBrian?Ellesortsontéléphone,ouvrelesmessages.J’yjetteunregard,bienquecesoittroploinpourque

jepuisse lirequoiquece soit. Jem’aperçoisqu’elle le tourne légèrementvers ladroite, commepourm’empêcherdevoir.

Page 39: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Jenesaispastrop,dit-elle.J’aireluvostextos,maiscen’estpasclair.Jenepeuxpasdiresijesortaisavecluiouavectoi.

J’enai lagorge sèche ànouveau. Jeprendsundes sodasqu’elle a apportés, l’ouvre et boisunelonguegorgéeavantdelereposerdanssonsupport.

—Peut-êtreavec lesdeux,dis-jed’un tonplusacideque jene l’auraisvoulu.Queracontentsestextosd’aujourd’hui?

Ellefermesonportableetleretournesursesgenouxcommesielleavaithontedelirel’écran.Ellene répond pas. Je sensma nuque s’échauffer et je reconnais cette sensation de jalousie quim’envahitcommeunvirus.Jen’aimepasça.

—Réponds-lui,dis-jeencore.Dis-luiquetuneveuxpasqu’ilt’envoied’autresmessagesetquetupréfèressortiravecmoi.

—Attends,onnesaitpasoùonenest.Etsi tunemeplaisaispas?Etsionétaitsurlepointderompre?

Cetteidéemefaitgrincerdesdents.— Je croyais qu’on avait décidé de rester ensemble jusqu’à ce qu’on comprenne ce qui s’était

passé?TunesaismêmepasquiestceBrian.—Jenesaispasquituesnonplus.Jeme gare dans le parking du lycée. Charliem’observe attentivement, guettantma réponse. J’ai

l’impressionqu’elleveutm’appâter.Jecoupelemoteur.—Commentonvafaire?—Fairequoi?—Tout et rien. Entre nous, avec nos familles, dans nos vies ? Comment on va faire, Charlie ?

D’autantqu’on risquededécouvrir des choses l’un sur l’autrequi risquentdenousmettrepasmal enpétard.

Sansluilaisserletempsderépondre,quelqu’unapparaîtdansl’alléeetsedirigeversnous.Ilmeressemble, en plus jeune.Vraisemblablement un élèvede seconde. Il n’est pas aussi baraquéquemoimaisjecroisqu’ilmedépasserabientôtentaille.

—Onvasemarrer,dit-elleenlevoyantouvrirlaportièrearrière.Iljettesurlesiègeunsacàdos,unepairedechaussures,unsacdesport,puiss’assied.Laportièreclaque.Encoreessoufflé,ilsortsontéléphoneetsemetàliresestextos.Ilalescheveuxcolléssurlefront,

lesmêmesquelesmiens.Quandilmeregarde,jevoisquenousavonsaussilesmêmesyeux.—C’estquoi,tonproblème?demande-t-il.Jene répondspas,me retourne,nonsans jeteruncoupd’œilversCharlie.Unsourirecrispéaux

lèvres,elletapeunmessage.J’aipresqueenviedeluiarrachersonappareil,pourvérifiersicen’estpasàBrian,maisc’estlemienquibipe.

Page 40: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Tuconnaislenomdetonpetitfrère?

Jen’enaiaucuneidée.—Merde!Ellesemetàriremaissefigeenapercevantquelquechosesurleparking.Ouplutôtquelqu’un,un

typequivientdansnotredirection,l’airmauvais.Jelereconnais.C’estceluidestoilettes,cematin.Celuiquitentaitdemeprovoquer.—Laisse-moideviner,dis-je.Brian?IlfonceverslaportièredeCharlie, l’ouvre,recule, lui tendunemaincrispée.Ilfaitcommesi je

n’existaispas,maisjevaisluimontrerquic’estSilass’ilcroitpouvoirinterpellerCharliecommeça.—Ilfautqu’onparle,lance-t-ild’untonsec.Elleattrapelaportièrepourlafermer.—Désolée,onallaitpartir.Jetevoisdemain.L’airincrédule,illasaisitrageusementparlebrasetl’attirecontrelui.Jesors,contournel’avantde

la voiture, tellement vite que je dérape sur le gravier et dois me rattraper au capot. Bravo, trèsimpressionnant.J’évitelaportièrepassager,prêtàsaisircesalaudàlagorge,maisjeletrouvepliéendeux,gémissant,unemainplaquéesurunœil.Ilseredresse,interrogeCharliedel’autre.

—Jet’aiditdenepasmetoucher,lâche-t-elleentresesdents.Lepoingencoreserré,elleestdeboutdevantsaplace.—Tuneveuxpasquejetetouche?raille-t-il.Ceseraitbienlapremièrefois!À l’instant où je vais plonger sur lui, elle m’arrête du plat de la main, me jette un regard

d’avertissementtoutensecouantlatête.Jepousseunlongsoupiretrecule.ElleseretournealorsversBrian:—C’étaithier.Aujourd’huitoutachangéetjeparsavecSilas.Pigé?Là-dessus, elle se rassied à sa place. J’attends que sa portière soit fermée et bouclée, avant de

regagnerlamienne.—Elletetrompe!mecrie-t-il.Jem’arrêtenet.Me retourne lentementvers lui. Il se tientbiendroit,maintenant, l’aird’attendreque je le frappe

aussi.Commejen’enfaisrien,ilcontinuedemeprovoquer:—Avecmoi!Etpasqu’unefois.Çafaitplusdedeuxmoisqueçadure.Toutenm’efforçantdegardermoncalme,jemevoisdéjàentraindel’étrangler.J’aperçoisCharliequim’imploreduregarddenepascommettredebêtise.Jemeretourneverslui,

toutsourire.—BravoBrian,tuveuxuntrophée?Dommagedenepouvoirleprendreenphotoàcemoment-là,aveclatêtequ’ilfait!Unefoisderrièrelevolant,jequitteleparkingunpeuplusimpressionnéquejeneledevrais.Une

foisqu’onareprislechemindelamaison,jetrouveenfinlecouragedejeteruncoupd’œilversCharlie

Page 41: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

quime fixeégalement.À l’instantoù jevaisdevoir ànouveaumeconcentrer sur la route, je capteunsourire.

Onéclatederire.Alorsellesedétendsursonsiège.—Jen’arrivepasàcroirequej’aieputetromperavecceconnard.Tuasvraimentdûmegaver.—Àpartunmeurtre,jenevoispascequiauraitputepousserdanssesbras.Unegorges’éclaircitàl’arrièreetjejetteuncoupd’œildanslerétroviseur.J’avaiscomplètement

oubliémonfrère.Ilsepencheenavant,jusqu’àcequesatêteseretrouveentrenossièges.—Attendez,là,jeveuxcomprendre.Çavousfaitmarrer?Ons’interromptaussitôtetCharliedemanded’unevoixblanche:—Çafaitcombiendetempsqu’onestensemble,Silas?Jefaisminedecomptersurmesdoigtsquandmonfrèrelance:—Quatreans.Qu’est-cequivousarrive,àtouslesdeux?Charlies’écarteunpeuetmejetteuncoupd’œil.Jevoistrèsbienàquoiellepense.—Quatreans?dis-je.—Waouh!s’exclame-t-elle.Çafaitunboutdetemps.Monfrèreretombecontresonsiègel’airexcédé.—Vousdeux,vousêtespiresqu’unépisodedeJerrySpringer.Jerry Springer est un présentateur de talk show. Comment je le sais ? Et Charlie, elle s’en

souvient?—Tusais,JerrySpringer?luidis-je.Serrantleslèvres,ellehochelatêtepuissedétourneverssafenêtre.Toutcelanetientpasdebout.Commentpeut-onserappelerlescélébrités?Desgensàquionn’a

jamaisparlé?CommentjesaisqueKanyeWestaépouséuneKardashian?CommentjesaisqueRobinWilliamsestmort?

Jemerappelletouslesgensquejen’aijamaisrencontrésmaisjenesaisplusriendelafillequej’aimedepuisplusdequatreans?Deplusenplusmalàl’aise,jepasselerestedutrajetàmettredesvisages sur tous les noms quime viennent à l’esprit.Des présidents, des acteurs, des politiciens, desmusiciens,desstarsdetélé-réalité.

Mais impossible de me rappeler le prénom de mon petit frère, en train de sortir de la voiture,derrière moi. Je le suis des yeux alors qu’il rentre à la maison et je fixe mon attention sur la portelongtempsaprèsqu’elle s’est refermée sur lui. Jecontemplemamaison, commeCharlie tout à l’heureaveclasienne.

—Çava?demandeCharlie.Là,jenepeuxpasm’empêcherdelarevoirenprésencedeBrian,àl’instantoùilm’adituntruc

dontj’aifaitsemblantdememoquer.Elletetrompe!Jefermelesyeux,appuielatêtesurledossier.—Pourquoic’estarrivé?—Ilvavraimentfalloirquetuapprennesàprécisertapensée,Silas.

Page 42: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Bon,alors,Brian.D’aprèstoi,pourquoituascouchéaveclui?—Attends,tunevaspasmefaireunescènepourça!—Onsortaitensembledepuisquatreans,Charlie.Tunevaspasmereprocherd’êtreunpeuénervé.—Ilssortaientensembledepuisquatreans,CharlieetSilas.Pasnousdeux.Enplus,quiditquetu

étaisunange?Tuaslutesproprestextos?—Tumefaispeur,là…Arrête.—Arrêtequoi?—Neparleplusdenousàlatroisièmepersonne.Tueselle.Etjesuislui.Queçanousplaiseou

non.C’estlàqueletéléphonedeCharliesonne.—Masœur,annonce-t-elleavantdedécrocher.Elleécoutequelquessecondessansmequitterdesyeux,puisellerépond:—Elleétaitivrequandjesuisrentrée.J’arrive.Aprèsquoielleraccrocheetmelance:—On retourneau lycée.Mon ivrognedemèreauraitdûpasserprendremasœurà soncoursde

natation.Aprèstonfrangin,onvarencontrermafrangine.Jememetsàrire.—Jedevaisêtrechauffeurdansmonautrevie.Ellereprendvitesonsérieux.—J’arrêtedeparlerdenousà la troisièmepersonnesi tuarrêtesd’enparlercommed’uneautre

vie.Onn’estpasmorts,Silas.Onajustetoutoublié.—Pastout,onserappellecertaineschoses.Jereprendsladirectiondulycée.Aumoins,jecommenceàbienconnaîtremontrajet,avectousces

allersetretours.Etellequicommenceàraconter:— Il y avait une famille, au Texas, dont le perroquet avait disparu. Quatre ans plus tard, il est

revenudenullepart…etilparlaitespagnol.Elleéclatederire,avantd’ajouter:—Pourquoi jeme rappelle ce truc idiot alors que je ne sais plus ce que je faisais il y a douze

heures?Jenerépondspas,carsaquestionn’appellepasderéponse,aucontrairede toutescellesquime

trottentdanslatête.Quandons’arrêtedevantlelycée,jecroisapercevoirCharliedevantl’entrée,lesbrascroisés.Elle

grimpeàl’arrière,àlaplacequ’occupaitmonfrèretoutàl’heure.—Tuaspasséunebonnejournée?luidemandeCharlie.—Tagueule.—Mauvaise,alors?—Tagueule.

Page 43: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Charliemejetteunregardébahi,toutensouriantmalicieusement.—Tuattendaisdepuislongtemps?—Tagueule.Jeme rends compte qu’elle essaie d’obtenir quelques réponses de sa sœur et, àmon tour, je la

soutiensd’unsourire.—Mamanétaitdansunsaleétatquandjesuisrentrée,aujourd’hui.—Çat’étonne?Aumoins,cettefois,ellen’apasrépondutagueule.Charliel’interrogeencoremais,maintenant,sasœurneluirépondplusdutout, tropabsorbéepar

sonportable.Quandonarrivedansleurrue,elleouvrelaportièreetcommenceàdescendrealorsquelavoiturerouleencore.

—Disàmamanquejeseraienretard,luilanceCharlie.Ettucroisquepapavarentrerquand?Sasœurs’arrête,luijetteunregardméprisant.—Dansdixouquinzeans,d’aprèslejuge.Elleclaquesaportière.Jenem’attendaispasàça,etCharliesûrementpasnonplus.Elleseretournelentementfaceaupare-

brise,pousseunlentsoupir.—Masœurmedéteste.Jevisdansuntaudis.Mamèreestalcoolique.Monpèreestenprison.Jete

trompe.Ettoi,tusorsencoreavecmoi?Si je la connaissaismieux, je la serrerais dansmes bras, lui tiendrais lamain. Je ne sais pas…

Commentconsolerunecompagnedequatreannéesqu’onvientderencontrer?—D’aprèsEzra,jet’aimaisdéjàavantdesavoirmarcher.Cen’estpaslegenredechoseàlaquelle

onrenoncefacilement.—Tudoisêtresacrémentfidèleparcequejecommenceàmedétestermoi-même.J’aienviedeluicaresserlajoue,pourl’obligeràmeregarder.Jen’enfaisrienetredémarre.—Tuespeut-êtrebeaucoupplusintéressantequetasituationfinancièreoufamiliale.—Situledis…On a repris la route et elle allume la radio, essaie plusieurs stations avant de s’arrêter sur une

chanson qu’on entonne tous les deux. Dès qu’on a chanté la première phrase en chœur, on s’arrête,étonnés.

—Lesparoles,dit-elledoucement.Onserappellelesparoles.Que répondre ? Mon esprit s’épuise et j’ai juste envie de me détendre avec cette musique. Il

semblerait que ce soit aussi le cas dema voisine car elle reste tranquillement à écouter, avant de setournerdenouveauversmoi.

—Jedétestel’idéedet’avoirtrompé.Là-dessus,elleaugmentelevolumedelaradio,commepourm’empêcherderépondre.Sinon,jelui

auraisbienditquejeluipardonnais.Carlafilleassiseàcôtédemoineressemblepasàcellequim’atrompé.

Page 44: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Ellenedemandejamaisoùonva.D’ailleurs, jene lesaispasmoi-même.Jeconduis,c’est tout ;c’estleseulmomentoùjeparviensàmedétendre.J’ignorecombiendetempsonroulemaislesoleilsecouchequand jedécidedefairedemi-touretderentrer.Toutce temps-là,onest restéssansriendire,perdusdansnospensées,cequipeutsemblerparadoxalpourdeuxpersonnesquin’ontplusdemémoire.

—Ilfautqu’onexaminetouslesdeuxnosportables.C’estlapremièrechosequejeluidisdepuisaumoinsuneheure.—Onvavérifiertousnosvieuxtextos,nose-mails,nosmessagesvocaux.Onytrouverapeut-être

uneexplication.Ellesortlesien.—J’aiessayétoutàl’heure,maisjen’aipasunportableaussiperfectionnéqueletien.Iln’agardé

quequelquestextos.Jem’arrête à une station-service,me gare dans un endroit pas trop éclairé. J’ignore pourquoi je

cherchetantàpréservernotreintimité.Sansdouteparcequejeneveuxpasqu’onnousreconnaisse,parcequ’ilyadeschancespourque,denotrecôté,nousnereconnaissionspersonne.

Jecoupelemoteuretonsemettouslesdeuxàfairedéfilernosmessages.Jecommenceparceuxque j’aiéchangésavecelle,mais ilssont tous trèscourts, justedes réponsesàdesquestionsprécises,horaires,rendez-vous,jet’aime,tumemanques,etc.Riendetrèsrévélateursurnotrerelation.

D’aprèsmonjournaldesappels,onbavardeaumoinsuneheurepresquetouslessoirs.Jeremonteainsisurdeuxsemainesaveclesmêmesrésultats.

—Ons’appellerégulièrement,luidis-je.Uneheurechaquesoir.—C’estvrai?Dequoionpeutbienparlerpourqueçaduresilongtemps?—Onfaitpeut-êtreautrechosequeparler…—Pourquoitesplaisanteriessalacesnem’étonnentpas,alorsquejenesaisplusriendetoi?Elleseplongedanssesphotosetpousseuncridesurprise,puismemontresonécran.—Regarde!Desselfies,rienquedesselfies,Silas.J’enaimêmeprisauxtoilettes!Çametue.Jevérifielesmiennesenriant.Lapremièrenousreprésentetouslesdeux,deboutdevantunlac.Un

selfie,biensûr.Ellemarmonned’untonlas:— Je commence à ne pas nous aimer du tout. Toi le gosse de riche qui se comporte comme un

connard avec ta gouvernante.Moi, l’ado nulle, sans aucune personnalité et qui prend des selfies pourfairesonintéressante.

—Jesuissûrqu’onn’estpasaussinulsquetuledis.Entoutcas,onal’airdebiens’aimer.—Attends,jetetrompais!Situcroisqu’onestheureuxavecça…J’ouvrelese-mailsettrouveunevidéointitulée«nepaseffacer».Jecliquedessus.—Tiens,regarde,luidis-je,enmerapprochantpourqu’ellepuissevoirelleaussi.Tandisquejeremontelesondelavoiture,Charlieseblottitcontremoi.J’appuiesurPlayetmavoixretentitdansleshaut-parleurs.C’étaitdoncmoiquifilmais.L’image

estsombre,commesijemepromenaisdehorsenpleinenuit.—C’estofficiellementl’anniversairedenosdeuxans.

Page 45: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Jeparled’untonétouffé,àcroirequejenevoulaispasmefaireprendre.Jetournel’objectifversmoi,m’éclairelevisageaveclalumièreduCamescope.Jeparaisunpeuplusjeune.D’aprèscequej’aidit,jedevaisdoncavoirseizeans.Jem’approched’unefenêtre.

—Jevais teréveillerpour tesouhaiterunbonanniversaire,mais ilestpresqueuneheuredumatin,enpleinesemaine,alorsjefilmepourlecasoùtonpèremetuerait.

Jereporte l’objectifdevantmoi,sur la façaded’unemaison.L’imageestdeplusenplusobscuremaisonentendlafenêtrequis’ouvreetmespiedsquitombentàl’intérieur.Peuaprès,lacaméraseportesurlelitdeCharlie.Onaperçoitunemassesouslescouvertures,maisellenebougepas.Jefilmelerestedelachambre.Ondiraitqu’ilnes’agitpasdecellequ’elleoccupeactuellement.

—Cen’estpasmachambre,dit-elle.Celle-ci fait ledoubledecelleque j’aivuehier,etque jepartageavecmapetitesœur.

Tandis que là, on dirait bien qu’elle l’occupe seule,mais on ne la voit pas assez car l’objectifrevientvitesurlelit.Lamassesouslescouverturesremueet,d’aprèslemouvementdelacaméra,jesuisentraindegrimpersurlelit.

—Charliechérie.Elleremonteledrapsursatête.—Silas?souffle-t-elle.L’imageapparaîtsousunanglebizarre,commesij’avaisoubliéquejetenaisletéléphonedansma

main.Onentenddesbruitsdebaisers.Jedoisluiembrasserlebrasoulecou.Ceseulbruitdevraitsuffireàmefaireéteindre lavidéo.JeneveuxpasgênerCharlie,maiselle

regardeavecautantd’intensitéquemoi.Nonàcausedecequisepasseentrenousàl’image,maisparcequ’onnes’ensouvientpas.C’estmoi…c’estelle…c’estnousdeuxensemble.Pourtantjenemerappellepas un détail de cette rencontre, alors c’est comme si on espionnait deux inconnus dans un momentd’intimité.

Jemesenscommeunvoyeur.—Joyeuxanniversaire.Lacamérarecule,jedoisl’amenersurl’oreiller,prèsdesatête.Onnevoitplusqueleprofilde

Charlie.Cen’estpasleplusjoliportraitquej’aid’elle,maisçasuffitàprouverqu’ellen’apaschangé.Ses

cheveuxbrunss’éparpillentautourd’elletandisqu’ellemesourit.––Quelrebelletufais!murmure-t-elle.C’estpourmedireçaquetuesentréendouce?—Paspourtedireça,maispourfaireça.Finalement,monvisageapparaîtsurlavidéoetmeslèvresseposentsurlessiennes.Àcôtédemoi,Charlieremuesursonsiège.J’essaied’avalerlaboulequimenouelagorge.D’un

seulcoup,jeregrettedenepasêtreseulencemoment.Jemerepasseraissanscessecebaiser.Mesnerfssetendent,etjemerendscomptequec’estparcequejesuisjalouxdutypedanslavidéo;

ça ne tient pas debout. Je regarde un inconnu sortir avec elle :moi. Ce sont bienmes lèvres sur les

Page 46: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

siennesmaisçam’énerveparcequejenesaispluscequeçafait.J’hésiteàarrêterlavidéo,alorsquecebaisersemblevireràtoutautrechose.Jusque-là,onvoyait

mamainsursajoue,maintenant,elleadisparudupaysage.Auxsonsqu’émetalorsCharlie,ilsembleraitqu’ellesacheexactementoùjel’aiposée.

Elledétachesabouchedelamienneetregardel’objectif.Samains’approcheetrabaissesoudainl’appareilcontrelelit.L’écranvireaunoirmaislesoncontinue.

—Cettelumièrem’aveuglait,dit-elle.J’ailedoigtposéàproximitédelatouchePause,jedevraisarrêter,maisjesenssonsouffletiède

dansmoncou.Entreçaetlessonsdansmeshaut-parleurs,jenevoudraispasinterromprecettevidéo.—Silas,murmure-t-elle.On continue tous les deux à fixer l’écran noir. Il n’y a rien à voir mais on n’arrive pas à se

détourner,etlesondenosvoixretentitautourdenous,emplissantlavoiture,nosoreilles,notreesprit.—Jamaisjamais,Charlie.Gémissement.—Jamaisjamais,répond-elledansunmurmure.Soupir.Autregémissement.Froissement.FermetureÉclair.—Jet’aimetant,Charlie.Bruitsdecorpsremuantsurlelit.Lourdesrespirations.Haletantes.Quiproviennentdeshaut-parleursmaisaussidenosbouchesalors

qu’onlesécoute.—Oh,monDieu…Silas!Deuxbrèvesinspirations.Baisersintenses.Klaxonstridentquidominetoutlereste.Jeveuxéteindreleportablemaisiltombeparterre.Despharesbrillentdansmonpare-brise,des

poings frappent à la vitre deCharlie et je n’ai pas le temps deme redresser que sa portière s’ouvrebrusquement.

—Jetesenstropbien,Charlie,braillemavoix.Unénormeéclatderireéchappeàlafillequivientdesurgir.Elleadéjeunéavecnoushier,maisje

nemerappellepassonnom.—C’estpasvrai!s’écrie-t-elle.Vousmatiezunfilmporno?Elleseretourneetcrieverslavoiturearrêtéefaceànous:—CharetSimatentunfilmporno!Elle rit encore quand j’arrive enfin àmettremon téléphone en pause. Je baisse le volume de la

radio.Charlienousregardel’unetl’autre,lesyeuxécarquillés.

Page 47: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Onallaitpartir,dis-je.Ilfautquejelaramènechezelle.—Arrête ! s’écrie la fille.Samèredoitêtrecomplètement ivreet lacroireau litencemoment.

Suivez-nous,onvachezAndrew.—Jenepeuxpas,Annika,répondCharlieensouriant.Maisonsevoitdemainaucours,d’accord?Annika paraît horriblement vexée, d’autant qu’elle doit reculer quand la portière se referme

quasimentsurelle.—Vas-y,meditCharlie.Jedémarresansmefaireprier.On a déjà parcouru près de deux kilomètres quand elle se racle la gorge. Sans trop de résultat,

puisqu’ellelanced’unevoixéraillée:—Tuferaismieuxd’effacercettevidéo.Jen’aimepasceconseil,alorsquejecomptaisdéjàmelarepassercettenuitchezmoi.—Onvapeut-êtrey trouverdes indices, dis-je. Jedevrais la regarder encore, voir comment ça

finit.Àcetinstant,monportableannoncel’arrivéed’untexto.Jeregarde.Çavientdemonpère.

Rentreàlamaison.Toutseul,s’ilteplaît.

JemontrelemessageàCharliequihochelatête:—Tun’asqu’àmeramenertoutdesuite.Lerestedutrajets’accomplitdansunsilencegêné.J’ail’impressionquecettevidéoqu’onvientde

regarderensemblenousamontrésl’unàl’autresousunéclairagedifférent.Pasnécessairementmauvais,justedifférent.Avant,quandjeregardaisCharlie,c’était lafillequipartageaitcetteétrangeexpérienceavecmoi.Tandisquemaintenant,c’estlafilleàquijesuiscenséfairel’amour,àquijel’aienprincipefaitdepuislongtemps.Lafillequ’enprincipej’aimetoujours.Siseulementjepouvaismerappelerl’effetqueçafait…

Aprèsavoirreçucettepreuvedenotrerelation,j’aiencoreplusdemalàaccepterqu’elleaitpusetournerversceBrian.Çamerendmillefoisplusfurieuxetjalouxqu’avantdenousavoirvusensemblesurcettevidéo.

Quand on s’arrête devant sa maison, elle ne sort pas immédiatement, mais regarde d’abord lasombrebâtisse.Uneseulefenêtreenestfaiblementéclairée,etonneperçoitaucunmouvement.

—Jevaisessayerdefaireparlermasœur,cesoir.Çanousdonnerasansdouteunemeilleureidéedecequis’estpassélanuitdernièrequandjesuisrentrée.

—Bonneidée.Jevaisenfaireautantavecmonfrère.Ettâcherdedécouvrirsonnomparlamêmeoccasion.

Ellerit.—Tuveuxquejepasseteprendredemainmatinpourlelycée?

Page 48: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Situveuxbien,oui.—D’accord.Lesilenceretombe,quimerappellelespetitssonssidouxéchappésdelavidéotoujourssurmon

téléphone,Dieumerci.Jevaispouvoirentendresavoixtoutelanuit.J’aihâte.—Tusais,dit-elleenpianotantsurlaportière.Onpourraitseréveillerdemainettoutiraitbien.On

pourraitmêmeoubliercequis’estpasséaujourd’hui,alorsquetoutredeviendraitnormal.—Jesuissûrquenon.Jevaismerepassermese-mailsetmesmessagescesoir.Tudevraisenfaire

autant.Ellehochelatêteetsetournebrusquementversmoi,meregardedanslesyeux:—Bonnenuit,Silas.—Bonnenuit,Charlie.Appelle-moisitu…—Çaira,coupe-t-elle.Àdemainmatin.Ellesortdelavoitureetsedirigeverssamaison.J’aienviedel’appeler,deluidired’attendre.Je

medemandesielleseposelamêmequestionquemoi:QuesignifieJamaisjamais?

Page 49: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

7

Charlie

Àmonavis,tantqu’àêtreinfidèle,autantquecesoitavecquelqu’unquienvaillelapeine.Jenesaispas trop s’il s’agit là d’un concept de l’ancienne Charlie ou de la nouvelle. À moins qu’à forced’observerdeloinlaviedeCharlieWynwoodjepuisseplusfacilementcomprendresesinfidélitésquelesjuger.Cedontjesuissûre,entoutcas,c’estquesionveuttromperSilasNash,mieuxvaudraitquecesoitavecRyanGosling.

JeregardeSilass’éloigner,capteaupassagesonprofiléclairéparlelampadairevoisin.Ilalenezaquilin,contrairementauxautresgarçonsdulycéequil’ontplutôtdroitetpetitoucarrémenttropgrandpourleurvisage.Oupis,pleind’acné.TandisqueSilasaunnezd’adulte.Ducoup,onleprendplusausérieux.

Enreprenant ladirectiondelamaison, j’aiunebouledans l’estomac.Personnepourm’accueillirquandj’ouvrelaported’entrée.Jemesenscommeuneintruseetnepeuxm’empêcherdelancer:

—Bonsoir!Ilyaquelqu’un?Jerefermedoucementderrièremoi,entredanslesalonsurlapointedespieds.Jesursaute.Assise sur le canapé, la mère de Charlie mange des haricots à même la boîte de conserve, en

regardantSeinfeldsansleson.Cequimerappelletoutd’uncoupquejen’aiplusrienavaléaujourd’huidepuislesandwichaufromagegrillépartagéavecSilas.

Àtouthasard,jedemande:—Tuasfaim?J’ignoresiellem’enveutencoreousiellevaseremettreàpleurer.—Tuveuxquejenouspréparequelquechoseàmanger?Ellesepenchesansmeregarder,poselaboîtesurlatablebasse.Jemerapproched’elle,parviensà

prononcercemot:

Page 50: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Maman?—Elleneterépondrapas.C’estJanettequim’alancéçadelacuisine,unsacdeDoritosdanslamain.Jem’inquiète:—C’estçatondîner?Pourtouteréponse,ellehausselesépaules.—Tuasquoi…quatorzeans?—Tuasquoi…lecerveauenbouillie?Évidemmentquej’aiquatorzeans!JeluiarrachelesDoritosdesmains,lesemporteversnotremèrebourréedevantsatélé.—Onnelaissepassafilledequatorzeansmangerdeschipspourledîner,dis-jeenlesluijetant

surlesgenoux.Dessaouleunpeuetconduis-toienvraiemère!Pasderéponse.Jevaisouvrir le frigomais iln’yadedansqu’unedouzainedeboîtesdeCoca lightetunpotde

cornichons.—Metstaveste,Janette.Onvatechercherundîner.Masœurmeregardecommesijeluiavaisparléenmandarin.Bon,ilfautsansdoutequej’ajoute

unephraseplusénergique,histoiredelasecouer:—Allez,grouille,petiteconne!Ellefoncedansnotrechambretandisquejecherchelesclefsdelavoiture.C’étaitça,laviequeje

menais?Quiétaitcettefemmesurlecanapé?Enapercevantlederrièredesatête,jesensmonterunélandepitié.Sonmari—monpère—estenprison.Enprison !C’esteffroyable.Où trouve-t-on l’argentpourvivre?

À propos d’argent, je vérifie dans mon portefeuille. Les vingt-huit dollars sont toujours là. ÇadevraitsuffirepouracheterautrechosequedesDoritos.

Janettesortdelachambre,unevestevertesurlesépaules,àl’instantoùjetrouvelesclefs.Çaluivabien,levert,ellefaitmoinsadotourmentéeavecça.

—Prête?Ellelèvelesyeuxauciel.Alorsjelance:—Bon,chèremaman,onvachercherdelabouffe!Aucasoùelleauraittentédem’arrêter.Maisnon,alorsjelaisseJanettenousmeneràlavoiture.

Dieusaitcequecesera,sûrementpasuneLandRover,entoutcas.Lerésultatnemedéçoitpas.—Oh,misère,çarouleencorecemachin-là?Janettenerelèvepas,elleaenfilésesécouteursetattendquej’ouvre lavieilleOldsmobile.Plus

vieillequemoi.Çasentlacigarette,lespersonnesâgées.—Bon,onvavoirsurcombiendemètreselleestencorecapablederouler.J’iraisbienfaireunsautàl’ElectricCrush,undinerduquartierfrançais,dontunepubtraîneprès

desclefs,saufquecettebagnolesansâgen’apasdeGPS.Ilfautquejetrouvelechemintouteseule.

Page 51: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Janette me laisse tranquillement démarrer ; elle souffle sur sa vitre et y trace des cercles. Jel’observeducoindel’œil;pauvregamine!Samèreestalcoolique,sonpèreenprison,c’esttriste.Etpuisellemedéteste.Cequilalaissebienseuleaumonde.Jemerendscompte,nonsanssurprise,queCharlieestdans lamêmesituation.Saufqu’elleaSilas–ouqu’elle l’avait, avantde le tromperavecBrian.Beurk!Jesecouelesépaulespourmedébarrasserdetoutescessensations.Jedétestecesgens.Ilssonttropassommants.Saufquej’aimebienSilas.

Plusquebien.

***

Je finis par trouver une place sur le parking du diner, sur North Rampart Street, entre unecamionnette et uneMini Cooper.Charlie est très douée pour les manœuvres, me dis-je avec fierté.Janettedescendaprèsmoiet resteplantéesurplace, l’airpaumée.Enfacedenousclignote l’enseignerosedel’ElectricCrush.

Jetendslamainàmasœur.—Viens,Janette.Onyva.Jem’approched’elled’unpasdécidémaiselleessaiedem’échapper.Jel’attrapeetl’entraîne.—Lâche-moi!—C’estquoitonproblème?Arrêtedeteconduirecommeune…Unegaminedequatorzeans,voilàtout.—Commeunequoi?crie-t-elle.Depuisquandçat’intéresse?Seslèvrestremblentcommesielleallaitpleureret,toutd’uncoup,jem’enveuxdem’êtremontrée

aussi brutale avec elle. Ce n’est qu’une fillette avec de petits seins et un cerveau embrouillé par leshormones.

—Tuesmasœur,luidis-jedoucement.Ilseraittempsqu’onseretrouve,tunecroispas?Un instant, j’ai l’impression qu’elle va dire quelque chose— peut-êtremême quelque chose de

gentil,defraternel—,maisellefonceverslaportedudiner,ouvrelaported’uncoupdepied.Lasalegamine.Jelasuis,unriensecouée,poursoudainm’arrêternet.

Cen’estpasceàquoijem’attendais,pasvraimentundiner,plutôtunclubavecdesboxesalignéslelongd’uncouloirmenantàunesortedepistededanse.Janettes’estarrêtéedevantlebaretregardeautourd’elle,abasourdie.

—Tuvienssouventlà?medemande-t-elle.Meublesdecuirnoir,marbrenoirausol.Toutestnoiràpart l’enseignerosequiscintillesur les

murs.Morbideetchewingomesque.—Jepeuxvousaider?Auboutdubar,unhommefermeuneportederrièrelui.Ilestarmédeplusieursboîtesetmeparaît

assezjeune,unevingtained’années.Jeletrouvetoutdesuitesympathique,sansdouteparcequ’ilporteunevestenoiresuruntee-shirtrose.Charliedoitaimerlerose.

Page 52: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Onafaim.Dansundemi-sourire,ilnousdésigneunboxdumenton.—Enprincipe, lacuisinen’ouvrequedansuneheure,maisjevaisvoirsionpeutvouspréparer

quelquechoseenvitesse.Sivousvoulezbienvousasseoir.JefonceversunboxenentraînantJanetteavecmoi.—Jesuisvenueici,luidis-je.Leweek-enddernier.—Ah!C’estsonseulcommentairetandisqu’elleexaminesesongles.Quelquesminutesplustard,lemecautee-shirtroserevientensifflotant.Ils’appuiedesdeuxmains

surnotretable.—Charlie,c’estça?Jehochelatêtesanscomprendre.Commentsait-il…?Combiendefoissuis-jevenue…?—Onpréparedupouletrôtiàlacuisine.Çavousdiraitd’enmangeravecmoi?Onn’apasgrand-

choseàfaireavantplusieursheuresencore.Jefaisouidelatête.—Super!Ilclaquelatabled’unemain,faisantsursauterJanette,tendundoigtverselle.—Coca?Sprite?CocktailShirleyTemple?Ellelèvelesyeuxauciel.—Cocalight.—Etvous,Charlie?Jen’aimepassafaçond’articulermonnom,defaçonunpeu…familière.JedemandeunCoca.Dès

qu’ilaledostourné,Janettesepencheversmoi.—D’habitudetuprendsdulight,m’accuse-t-elle.—Oui?Jenemesensplusmoi-même,cestemps-ci.Elles’éclaircitlagorge.—Turigoles?Je faisminedenepas relever, regardeautourdemoi.Qu’est-cequ’on fichait ici,Silasetmoi?

C’estunendroitoùonvientsouvent?—Janette.Jet’aidéjàparlédecerestau?Elleal’airsurprise.—Tuveuxdire,chaquefoisqu’onseparleenéteignantleslumières?—C’estbon.Jevois.Jesuisunesœurhorrible.Laissetomber.Onfumelecalumet?Ellesegrattelenez.—Çaveutdirequoi?—Onfaitlapaix.Onrepartdezéro?C’estlàquelemecenrosenousapportenosverres.IlapréparéuncocktailpourJanette.Ellefaitla

grimace.

Page 53: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—ElleavaitdemandéunCocalight,dis-je.—Çavaluiplaire.Quandj’étaisgamin…—Apportez-luiunCocalight.—C’estbon,princesse,dit-ilenouvrantlesmains.Janettemejetteunregardattendri.—Merci,dit-elle.—Pasdeproblème.Onnepeutpasfaireconfianceàunmecenrose.Sonsouriremedonneunsentimentdetriomphe.Direquej’aitrouvécemecsympa!DirequeBrian

m’aplu.Qu’est-cequisepassaitdansmapetitetête?JeprendsmontéléphoneetvoisqueSilasm’aenvoyéplusieursSMS.Silas…Jel’aimebien,lui.

Avecsavoixsiapaisanteetsesbonnesmanières…Etsonnez,ilaundrôledenezsympa.

Monpère…

Oùtues?

Hello?

Lemecrevientaveclepouletetuneassiettedepurée.Çafaitbeaucoup.—Commentvousvousappelez,déjà?dis-je.––Quellegarce,cetteCharlie!réplique-t-il.Ildéposeunplatdevantmoi,setourneversmasœur:—Désolé.—Alors,insiste-t-elleencommençantàmanger,commentvousvousappelez?—Dover.C’estcommeçaquemesamism’appellent.Dover…Jedemande:—Etcedernierweek-end…—Ouais,dit-ilenseservantàsontour.C’étaitdingue.Jenem’attendaispasàvousrevoiraussi

vite.—Pourquoi?J’essaiedejouerlesdécontractéesalorsquemoncœurbatàcentàl’heure.—C’estquevotremecétaitplutôtfurax.Jecroyaisqu’ilallaittoutcasseravantdesefairevirer.—Toutcasser…J’aijusteletempsdechangerd’intonationpournepasenfaireunequestion.—Ahoui,toutcasser.C’était…—Vousaussi,vousaviezl’airfurax.Onnepeutpasvousenvouloir.Vousvousseriezbienpluici,

dumoinssiSilasn’avaitpasgâchélasoirée.Toutd’uncoup,jen’aiplusenviedepoulet.

Page 54: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Oui,dis-jeenregardantJanettequinousdévoredesyeux.Tuasfini,toi?Elleessuiesesdoigtsgraisseuxsursaserviette.Jesorsunbilletdevingtdollarsquejedéposesur

latable.—Pasbesoin,ditDoverenlerepoussantversmoi.Jemepencheverslui,leregardedanslesyeux:—Iln’yaquemonpetitamiquipeutm’inviteràdîner.Là-dessus,jeprendsladirectiondelaporte,suiviedeJanette.—C’estça! lanceDover.Aveccegenrederaisonnement,vouspourrezmangergratissept jours

parsemaine!Je nem’arrête qu’une fois parvenue devant la voiture. Il s’est passé quelque chose ici.Quelque

chosequiarenduSilasfou.Aumomentoùjedémarre,Janetteémetunénormerot.Onéclatederireenmêmetemps.

—PlusdeDoritospourledîner,Janette.Onpeutapprendreàfairelacuisine.—Situledis…Personnenetientsespromessesavecelle.Çaluidonnecepetitairdésabusé.Onneparleplusle

resteducheminet,unefoisquejesuisentréedanslegarage,ellesautedehorsavantquejen’aiecoupélemoteur.Jelancequandmême:

—Moiaussi,j’étaiscontentedecepetitmomentavectoi!J’imaginequ’enentrantjevaisdécouvrirlamèredeCharlieentraindel’attendre–sansdouteprête

àl’engueulerd’avoirprislavoiture–,maisnon.Ilfaitnoirdanslamaison,sicen’estleraisdelumièresouslaportedeJanette,donclamienneparlamêmeoccasion.Notremèredoitdormir.Elles’enfout.C’estparfaitencequimeconcerne.Jedoisfouinerendouce,tâcherdecomprendrecequim’estarrivésansséancedequestions-réponses,maisjenepeuxpasm’empêcherdepenseràJanette,cettepetitefillequiauraittantbesoindesesparents.Mondepourri.

Quandj’ouvre,elleécoutedelamusique.J’aisoudainuneidée.—TuasvumoniPod?Lamusiqueenditbeaucoupsurlesgens.Pasbesoindemémoirepourlesavoir.—Aucuneidée.Peut-êtreaveclerestedetesmerdesdanslegrenier.Mesmerdes?Legrenier?Soudain,jesuissurexcitée.J’enapprendraisansdouteplusqu’avecunbêtecouvre-litetquelquesmauvaisromans.J’aienvie

de luidemanderdequellesmerdeselleparleetpourquoiellesse trouventdans legrenieretnondansnotrechambreàcoucher,maisJanettearemis lesécouteursdanssesoreillesetsedonnebeaucoupdemalpourm’ignorer.

Finalement,lemieuxseraitd’allervérifiermoi-mêmesurplace.Maisoùsetrouvelegrenier?

Page 55: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

8

Silas

Laported’entréedemamaisons’ouvrealorsquejemegare,etEzrasortensetordantlesmains.L’airaffolée,ellem’interpelledèsquejesors:

—Silas!Jecroyaisqu’ilétaitaucourant.Sinon,jen’auraispasparlédelaprésencedeCharlie,mais tun’avaispas l’airde la cacher, alors je croyaisque leschosesavaient changé,qu’elle avait ledroitdevenir…

J’interrompsd’ungesteceflotd’excusesinutiles.—C’estbon,Ezra,çava.Dansunsoupir,ellelissesontablier.Jenevoispascequipeutlamettredansuntelétatnipourquoi

elle a cru que je lui en voudrais. Jemets peut-être un peu plus d’assurance que nécessaire dansmonsourire,maisondiraitqueçaluifaitdubien.

Elleme suit dans lamaison. Jem’arrête dans le vestibule sans trop savoir oùmon père peut setrouverencemoment.Ezramontel’escalierenmurmurant«bonnenuit».Elledoitvivreici.

—Silas.Ondiraitmavoix,enpluscassée.Jemeretourneetmevoilàfaceàl’hommequiapparaîtsurtoutes

lesphotosaccrochéesauxmurs.Sonlargesourireenmoins.Ilmedévisagedespiedsàlatête,commedéçuparl’aspectdesonfils.Puisilouvreuneporteets’enva,avecunetelleassurancequ’ilsembleexigerquejelesuive.Ce

que je fais. On se retrouve dans son bureau ; il contourne la table, s’assied, s’accoude au plateaud’acajou.

—Tum’expliques?J’aimeraisbien.Sijeluidisaisquejenesaispasquiilest,pourquoiilestencolère,encoremoins

quijesuis…

Page 56: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Jedevraissansdoutem’inquiéter,mesentirintimidéparsonautorité.CequiauraitsûrementdûêtrelecasduSilasd’hier,maisdifficiledemelaisser impressionnerparquelqu’unque jeneconnaispas.Pour autant que je sache, il n’a aucun pouvoir sur moi, or le pouvoir est le premier élément del’intimidation.

—T’expliquerquoi?Derrière lui s’étale toute une bibliothèque remplie d’ouvrages de collection, semble-t-il, des

classiques.Jemedemandes’ilenaluunseulous’ilsserventjusteàmieuxintimidersonmonde.—Silas!Ilalavoixgrave,sèchecommeunelamequimetailladeraitlestympans.Jemeplaqueunemainsur

lanuqueetj’appuie,avantdereposermonregardsurlui.D’uncoupd’œil,ilm’intimedem’asseoirenfacedelui.

J’ail’impressionqueleSilasd’hierrépondraitsagement«oui»ets’assiéraitaussitôt.Celuid’aujourd’huis’approcheensouriant.—Quefaisait-elledanscettemaisonaujourd’hui?IlparledeCharliecommed’unpoison.Surlemêmetonquesamèreparlantdemoi.Enm’installant

danslefauteuil,j’aperçoissurl’accoudoirunedéchiruredanslecuir.—Ellenesesentaitpasbienaulycée.Ilfallaitlaramenerchezelle,onajustefaitunpetitdétour.Cethomme…monpère…seradosseàsonsiègeetsefrottelamâchoire.Cinqsecondess’écoulent.Dixsecondess’écoulent.Quinze.Finalement,ilsepencheunenouvellefoisversmoi.—Tularevois?C’estunequestionpiège?Parcequec’estbienl’impressionqueçadonne.Sijedisoui,évidemmentçavalemettreencolère.Sijedisnon,j’aurail’airdelelaissergagner.

Sanstropsavoirpourquoi,jen’aiaucuneenviequecethommegagne.Ondiraitqu’ilenatropl’habitude.—Etquandbienmême?Samainsedétachedesajouepourvenirm’attraperparlecoldemontee-shirtetm’attirerverslui

tandisquejem’agrippeaubureau.Onseretrouvelesyeuxdanslesyeuxet jem’attendsàcequ’ilmefrappe.Jemedemandesic’estainsiqu’ilmetraitehabituellement…

Aulieudemefrappercommejesaisqu’ilenaenvie,ilpousselepoingsurmapoitrineetmelâche.Jetombesurmonsiègemaisrienqu’uneseconde,carjepréfèremereleveraussitôtetm’éloignerunpeu.

C’estsansdoutemoiquiauraisdûlefrapper,cetenfoiré,maisjeneledétestepasassezpourenarriverdéjàlà.Enmêmetemps,jenel’aimepasassezpourmesentiraffectéparsaréaction.Justegêné.

Saisissantunpresse-papiers,illebalanceàtraverslapièce,heureusementpasdansmadirection.L’objets’envaheurteruneétagèreettoutcequ’ellecontenaitserépandparterre.Quelqueslivres.Uncadre.Unepierre.

Page 57: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Jeregardemonpèrefairelescentpas,lefrontcouvertdesueur.JenecomprendspaspourquoilaprésencedeCharlie cheznouspeut lemettredansun tel état.Surtoutdepuisqu’Ezranousaditqu’onavaitétéélevésensemble.

Il repose lespaumes sur lebureau. Il respire lourdement, lesnarines frémissantes, tel un taureaufurieux.

— Nous avions un accord, Silas. Toi et moi. Je ne devais pas t’obliger à témoigner si tu mepromettaisdeneplusjamaisrevoirlafilledecethomme-là.

Toutenmedésignantd’unemainunearmoire fermée, il sepasse l’autredanscequi lui restedecheveux.

—Jesais,poursuit-il,quetunelacroispascapabled’avoirvolécesdossiersici,maismoij’ensuis sûr !Et la seule raisonpour laquelle jen’aipasportéplainte c’estparceque tum’as juréqu’onn’auraitplusjamaisaffaireàcettefamille-là.Etvoilàquetu…

Ilfrémit,littéralement.— Et voilà que tu la ramènes carrément dans cette maison comme si ces douze derniers mois

n’avaientjamaisexisté!Lepèredecettefilleafailliruinernotrefamille,Silas!Çaneveutdoncriendirepourtoi?

Pasvraiment,ai-jeenviederépondre.Jenotementalementdenejamaismemettredansunetellecolère.ÇanesertpaslesNash.J’aidumalàexprimerlemoindreremordsalorsquetoutcequej’éprouvec’estdelacuriosité.Laportedubureaus’ouvreetnousnousretournonsensemblepourvoirquientre.—Landon,celaneteconcernepas,lancemonpère.J’aipresquedumalàcroirequ’ilpuisseparlerd’unevoixaussidouce,aussipaternelle.Pascelle

dumonstrequejeviensd’entendre.Landon–ravideconnaîtreenfinleprénomdemonpetitfrère–medésignedumenton:—L’entraîneurt’attendautéléphone,Silas.À présent,mon pèreme tourne carrément le dos. Apparemment, notre conversation s’achève là.

Heureuxdepouvoirenfinquittercettepièce,jem’envais,suivideLandon.—Oùestletéléphone?Bon,ilpeuttoujourscroirequej’ignores’ils’agitd’unportableoudufixe…Monfrèreéclatederire.—Personnen’aappelé.C’étaitpourtetirerdelà.Ilgrimpel’escalieretjelesuisdesyeuxsurlepalier,levoistourneràgaucheavantdedisparaître

dans le couloir. Sympa, mon frère. Je me dirige vers ce que je suppose être sa chambre, frappedoucementàlaporte.Commeelleestentrouverte,jelapousseunpeu.

—Landon?Jel’ouvreengrandetletrouveassisàunbureau.Iljetteunbrefregardpar-dessussonépaulepuis

seremetàpianotersursonordinateur.—Merci,dis-jeenentrantdanslachambre.

Page 58: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Lesfrèressedisentmerci?Probablementpas.J’auraisdûdirequelquechosequiressembleplusà:tuenasmisuntemps,connard.

Cettefois,ilseretourne,avecunsourireaussiinterrogateurqu’admiratif.—Àquoitujoues,aujuste?D’habitudetuneratesjamaisunentraînement.Ondiraitquetun’enas

rienàfoutrequeCharlieaitbaiséavecBrianFinley.Enplus tuas lescouillesde l’amener ici.AprèstoutescesmerdesentrepapaetBrett?Tuasdubold’êtresortientierdesonbureau.

Aprèsquoiilseremetàtaper.Etmoidemeprécipiterdansmachambre.BrettWynwood,BrettWynwood,BrettWynwood.Jeme répète son nom jusqu’à ce que je sache exactement que chercher surmon ordinateur. J’ai

sûrementunordinateur.Arrivédansmachambre,jefoncedroitversmacommode,récupèrelestyloqueCharliem’adonné

toutàl’heureetenrelisl’inscription:

GROUPEFINANCIERWYNWOOD-NASH.

Je fouilleà travers lapièce, jusqu’àceque je trouveunordinateurportabledans le tiroirdema

tabledenuit.Jel’allume,inscrislemotdepasse.

Jeconnaislemotdepasse?Àajouteràlalistedesmerde,çan’apasdesens!

Je tapeGroupe financierWynwood-Nash dans lemoteur de recherche. Je clique sur le premierrésultatetmeretrouvesurunepageintitulée«NashFinance».IlsembleraitqueleWynwoodaitdisparu.Jeparcourslapagesansrientrouverd’intéressant.Justelesdiversescoordonnéesdel’entreprise.

Je sorsde lapage, explore les autres résultats en lisant titre après titreainsique lesarticlesquisuivent:

Les gourous de la finance, Clark Nash et Brett Wynwood, cofondateurs du Groupe financierWynwood-Nash,misenexamenpourquatredélitsdefraude,d’escroquerieetdecommerceillégal.

Partenaires depuis plus de vingt ans, les deux hommes d’affaires s’accusent maintenant l’unl’autre, clamant chacun tout ignorer des pratiques illégalesmises au jour au cours d’une enquêterécente.

J’enlisunautre:

ClarkNashlavédetouteaccusation.Soncoprésident,BrettWynwood,condamnéàquinzeannéespourfraudeetdétournementdefonds.

Jepasseàladeuxièmepagedesrésultatsquandletémoindebatteriesemetàclignoter.J’ouvreletiroir,maispasdechargeur.Jecherchepartout,souslelit,danslecabinetdetoilette,danslestiroirsde

Page 59: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

lacommode.L’ordinateurs’éteintpeuaprès.Jelancelarecherchesurmontéléphone,maisluiaussiestaubord

ducomaetl’uniquechargeurquejetrouvesebrancheàunordinateur.Jecontinueàchercher,carilfautabsolumentquejesachecequis’estpassépourquecesdeuxfamillessehaïssentàcepoint.

Jesoulèvelematelaspourvérifiersiaucunfilnependàuneprisecachéepar le lit.Àdéfaut, jetrouveuncahier,lesaisisetm’assiedssurlelit.C’estlàquemonportablevibreenm’annonçantunSMS.

Commentçasepasseavectonpère?

Je voudrais en apprendre davantage avant de discuter avec elle. Sans lui répondre, j’ouvre lecahier,tombesuruneenvelopperempliedepapiers.Ilssonttousintitulés«GroupefinancierWynwood-Nash»,mais jenecomprends rienàcequ’ilscontiennent,encoremoinspourquoi ils se trouventsousmonmatelas.

LesparolesqueClarkNashaprononcéestoutàl’heuremereviennentàl’esprit:Jesaisquetunelacroispascapabled’avoirvolécesdossiersici,maismoij’ensuissûr!

Vraisemblablement,ilatort,seulementpourquoilesaurais-jepris?Àquoim’auraient-ilsservi?Quivoulais-jeprotéger?Montéléphonebipepourm’annoncerunautretexto.

Tuascettesuperfonctionsurtonportableintitulée«lecture».SituoublieslesSMSquit’arrivent,autantlefermer.;)

Aumoinselleajouteunclind’œil.

Jenet’oubliepas.Justefatigué.Onapleindechosesàfairedemain.

Oui.

C’est tout ce qu’elle en dit. Je ne suis pas certain de devoir répondre à une réponse aussiparesseuse,maisjeneveuxpasnonpluslavexerennedisantrien.

Bonnenuit,Charliechérie.;)

Dèsquej’aiappuyésur«Envoi»,j’aienviedel’effacer.Jenesaispasoùjevoulaisenveniraveccegenrederéponsenitropmalicieusenivraimentflirteuse.

Page 60: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Onverrademainpourlesregrets.Pourlemoment,j’aisurtoutbesoindedormir,afind’êtreassezréveillédemainmatinpourm’occuperdetoutça.

Jereplacelecahiersouslematelasetlà,j’aperçoisunchargeurbranchéaumur.J’yconnectemonportable.Jesuistropfatiguépourcontinuermesrecherchescettenuit,alorsj’enlèvemeschaussures.Ceseulementunefoisallongéquejeremarquequ’Ezraachangémesdraps.

Dèsquej’éteinsmalampeetfermelesyeux,montéléphonebipe.

Bonnenuit,Silas.

Le tonestunpeu sec, jem’en rendscomptemais,pour jene saisquelle raison, ce textome faitquandmêmesourire.TypiquedeCharlie.

Jecrois.

Page 61: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

9

Charlie

Ratéelabonnenuit.Latrappemenantaugreniersetrouvedansleplacardquejepartageavecmasœur.Aprèsavoirtextotéunpetit«bonnenuit»àSilas,j’escaladelestroisétagères,bourréesdepulls,etjelapousseduboutdesdoigts,toutenjetantunregardderrièremoipourvérifiersiJanetten’apaslevélatêtedesontéléphone.Cedoitêtrenormal,moiquigrimpeaugrenierenlalaissantenbas.J’aienviedeluidemandersiellevamonteravecmoi,maisilétaitdéjàépuisantdel’emmenerdîner.Onverrauneautrefois.Jetrouveraibienlemoyendenousrabibocherplustard.

Jenesaispaspourquoimais,àmesurequejepasselatêtedansl’ouvertureetmehisseàtraverscetétroitespace,jemereprésentelevisagedeSilas:sapeaubronzée,silisse,seslèvrespleines.Combiendefoisai-jegoûtésabouche,alorsquejenepeuxpourtantmerappeleraucundesesbaisers?

Danscetteatmosphèrelourdeettiède,jerampeversuntasdecoussinsetm’adossedessus,tendslesjambesdevantmoi.Ilyaunetorcheélectriqueausommetd’unepiledelivres.Jel’allumepourenexaminerlesdos:deshistoiresquejeconnaismaisquejenemerappellepasavoirlues.Bizarrequandmêmed’êtrefaitedechairetd’osmaisremplied’uneâmequ’onn’ajamaisrencontrée.

Jeprendsleslivresunparun,enlislapremièrepage.Jevoudraissavoirquielleest—quijesuis.Aupieddelapile,jetrouveunouvrageplusgrandquelesautres,reliéd’uncuirrougecraquelé.Surlecoup,jecroisavoirmislamainsurunjournal.Jecommenceàl’ouvrird’unemaintremblante.

Cen’estpasunjournal.Maisunalbum.DelettresdeSilas.Jelesaisparcequ’ilsignechacuned’unSanguleuxquiévoqueunéclair.Etjesaisquej’aimeson

écriture,directeetprécise.Àchaquefeuilletestagraféeunephoto—vraisemblablementpriseparSilas.Jelisleslettresl’uneaprèsl’autre,jemerégaledetouscesmots,decesdéclarationsenflammées.Silasestamoureux.

C’estsibeau…

Page 62: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Ilseplaîtàimaginerlavieavecmoi.Dansunbrouillon,rédigéaudosd’unsachetenpapierbrun,ildétaillecomment ilpasseraNoëlquandonseracheznous,ensemble:unboncidredevant lesapin, lapâtedescookiesdontonsegaveraavantdelesmettreaufour.Ilditqu’ilveutmefairel’amouràlalueurdes bougies pour voir mon corps dans cette lumière. La photo accrochée à cette lettre représente unminusculearbredeNoëldanscequisembleêtresachambre.Ondoitl’avoirdécoréensemble.

Jetrouveunautremessageaudosd’unreçu,danslequelildécritcequ’ilpourraitressentirenmoi.Celame faitunpeu rougirmais je liset relisces rêvesérotiquesavecdélectation.Laphotoqu’ilyafixée est celle demon épaule nue.Tout celame donne un sacré coup au cœur etme coupe un peu lesouffle.Jenesaisplussilapartdemoiquej’aioubliéeestamoureusedelui.Toujoursest-ilquejeneressensquedelacuriositéàl’égarddecegarçonbrunquimeregardeavecunetelleintensité.

Jerangeletout,etjerefermelecahieravecl’impressiondem’immiscerdanslaviedequelqu’und’autre.ToutcelarevenaitàCharlie.Pasàmoi.Jem’endors,emportéeparlesmotsdeSilas,partoutesceslettresquidansentdansmonespritjusqu’àceque…

Unefilletombeàgenouxdevantmoi.—Écoute,murmure-t-elle.Nousn’avonspasbeaucoupdetemps…

Maisjenel’écoutepas.Jelarepousseetelles’enva.Jerestelà.Unfeubrûledansunevieille

poubelledemétal.Jemefrottelesmainspourmeréchauffer.Quelquepartderrièremoiunsaxophonejoueunairquis’achèveenunesortedecri.C’estlàquejememetsàcourir.Jetraverselefeuquiserépandmaintenantpartout,attaquantlesmaisonslelongdelarue.Jecours,étoufféeparlafumée,jusqu’àmeretrouverdevantuneenseignedemagasinrose,l’uniquebâtimentquinebrûlepas.C’estunebrocante.J’ouvre laporte sansplusy réfléchirparcequec’est le seulendroitoù jepuissemeréfugier.Silasm’yattend.Ilmeconduitaumilieudelivresetdebouteillespourm’emmenerdansuneautrepièce.Unefemmeassisesuruntrônedemiroirsbrisésmecontempleavecunmincesourire.Leséclatsdemiroirreflètentdeslueursquis’envontdansersurlesmurs.JemetourneversSilaspourluidemanderoùnoussommes,maisilestparti.

—Vite!

Jem’éveilleensursaut.Janetteapassélehautducorpsdansl’embrasuredelatrappeetmesecouelepied.—Ilfauttelever,dit-elle.Tunepeuxplusmanqueruneseulejournée.Toujoursdans cegrenierhumide et froid, jeme frotte lesyeuxpour en chasser le sommeil, puis

redescendsdansnotrechambreà lasuitedemasœur.Jesuis touchéequ’ellesachequej’aiatteintmalimitedejoursd’absenceets’ensoucieassezpourvenirmeréveiller.Jetrembleencorelorsquej’arrivesousladouche;jen’aipasévacuélerêve.Jevoistoujoursmonrefletdansleséclatsdemiroirbrisésdutrône.

Lesflammesdansentautouretendehorsdemonchampdevision,guettantderrièremespaupièreschaqueinstantoùjelesferme.Sijemeconcentreunpeu,jesenslacendrenoyerleparfumdugelpourle

Page 63: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

corpsetdushampooingécœurantque jeversedansmapaume.J’essaiedemerappeler lesparolesdeSilas…Tuestièdeethumideettoncorpsmeretientcommepourm’empêcherdepartir.

Janettetambourineàlaporte:—Tuesenretard!crie-t-elle.Jem’habilleenhâteetonseheurtesurleseuilquandjemerendscomptequej’ignorecommentelle

compteserendreaulycéeaujourd’hui.Hier,j’aidemandéàSilasdepassermeprendre.—Amydevraitdéjàêtrelà,annonce-t-elleenjetantunregardparlafenêtre.Àcroirequ’ellenesupportepasl’idéedemeregarder.JesorsmontéléphonepourtextoteràSilas

denepasvenir.Jevérifieégalementsijen’aipasdemessaged’Amy,àl’instantoùunepetiteMercedestourneaucoindelarue.

—Amy,dis-je.Jemedemande si c’estunedes filles avecqui j’aidéjeunéhier.Lavoiture segaredevantnotre

trottoir et on la rejoint. Janette grimpe à l’arrière sans dire un mot et, après quelques secondesd’hésitation, j’ouvre la portière avant. Amy est noire. Je la dévisage une minute avec surprise puism’installeàmontour.

—Salut!lance-t-ellesansnousregarder.Heureusement,d’ailleurs,çam’apermisdel’observerdiscrètement.Elleestravissante;lescheveuxunpeuplusclairsquesapeau,nattésjusqu’àlataille.Ellesemble

toutàfaitàl’aiseavecmoi,sanscompterqu’ellenousfaitlagentillessedenousemmeneraulycée.C’estsûrementuneexcellenteamie.

—Raviedevoirquetuvasmieux,lance-t-elle.TuasprisunedécisionencequiconcerneSilas?—Je…euh…Silas?—Ahbon!conclut-elle.C’estbienceque jepensais.Tunesaispasencore.C’estquandmême

dommage,parcevousalleztrèsbienensemblequandvousfaitesunpetiteffort.Jegardelesilencepresquejusqu’àl’arrivée,enmedemandantoùelleveutenvenir.—Amy, dis-je finalement.Comment décrirais-tuma relation avecSilas à quelqu’unqui ne nous

connaîtraitpas?—Tuvois,c’estçatonproblème.Tuprendstoutcommeunjeu.EllesegaredevantlelycéeetJanettedescend.Réglécommedupapieràmusique.Jeluilanceun«aurevoir»alorsqu’elleclaquelaportière,avantdecommenter:—Quellepeste!Amyfaitlagrimace.—ParcequetoitueslafillelaplusgentilledelaTerre,peut-être?Franchement,jenesaispasce

quit’arrive,là.Tuesencoreplusàl’ouestqued’habitude.Jememordsleslèvrestandisqu’onsegaredansleparkingdulycée.Lavoituren’estpasarrêtée

quej’aidéjàouvertlaportière.—Qu’est-cequiteprend,Charlie?

Page 64: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Jepréfèrenepasentendrelasuiteetmeprécipitedehors,lesbrasserréssurmapoitrine.Toutlemondemedétestait,ouquoi?J’entredanslebâtimenttêtebaissée.IlfautquejetrouveSilas.Lesélèvesmeregardentmaismoijenem’attardesurpersonne.Jeveuxprendremontéléphonepourluienvoyeruntextoavantdemerendrecomptequemapocheestvide.Jeserrelespoings.Ladernièrefoisquejel’aiutilisé,c’étaitpourdireàSilasdenepaspassermeprendre.J’aidûl’oublierdanslavoitured’Amy.

Jeretourneversleparkingquandquelqu’unm’appelleparmonnom.Brian.Ilarriveencourant.Ilgardeunetracesousl’œil,làoùjel’aifrappé.Bienfait.—Quoi?dis-je.—Tum’astapédessus.Ils’arrêtesoudain,commes’ilcraignaitquejenerecommence.Là,jemesensunpeucoupable.Je

n’auraispasdûfaireça.Quoiqu’ilaitpusepasserentrenousavantcequinousarrive,iln’yestpourrien.

—Désolée,dis-je.J’aidespetitssoucis,encemoment.Jen’auraispasdûfaireça.Àcroirequec’étaitexactementcequ’ilvoulaitentendre.Sonexpressionsedétendetilsepasseune

mainsurlanuque.—Onpeutallerparlerdansunendroitplustranquille?Lecorridorgrouilled’étudiantspressés.—Non,dis-je.—Bon,tantpis,onvafaireçaici.Jeregardeautourdemoi,espérantrepérerAmypourluidemanderlesclefsdesavoitureet…—C’estSilasoumoi.J’écarquillelesyeux.—Pardon?—Jet’aime,Charlie.Ouh,là!J’enauraispresqueunmouvementderépulsion.Jerecule,àlarecherchedequipourrait

m’aideràmesortirdelà.—Tutombesmal,là,Brian.IlfautquejetrouveAmyet…—Jesaisquevousavezeuunelonguerelation,touslesdeux,maisçafaitunmomentquetuveux

arrêter.Cemecestuncon,Charlie.TuasvucequiestarrivéàlaCrevette.Jenecomprendspas…—Dequoituparles?Ilsemblecontrariéquejel’aieinterrompu.—JeparledeSilaset…—Non,pourlaCrevette.Maintenant,lesgenss’arrêtentpournouscontempler;touslesregardsseportentsurmoi.Jenevois

quedesyeuxpartout.Çamemettrèsmalàl’aise.Jedétesteça.—Tiens.

Page 65: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

D’unmouvementdelatêteilmedésigneunefillequiouvrelesportesetvientdansnotredirection.Quandelles’aperçoitquejelaregarde,elles’empourpre,touterosecommeunecrevette.Elleétaitdansmaclasse,hier.C’estellequiaramasséleslivresparterre.Elleestmenue,lescheveuxmarronnassestirantsurlevert,commesielleavaitvouluselesteindreelle-mêmeets’étaitcomplètementratée.Quecesoitsacouleurnaturelleoupas,c’est…sinistre.Sansparlerdesesmèchesquipartentdanstouslessens.Ellealefrontpleindeboutonsetlenezretroussé.Toutdesuite,jelatrouvelaide.Maisils’agitplusd’un faitqued’un jugement.Elle s’éloigneaussitôt, se fonddans la foule. J’ai l’impressionqu’elle secacheplutôtderrièreledosdequelquescurieux,commesielleessayaitdenousécouterendouce.J’aisentiquelquechose…envoyantsonvisage,j’aisentiquelquechose.

Prisedevertige,jelaisseBrianmeprendreparlecoudeetm’attirercontrelui.—C’estmoiouSilas,répète-t-il.Je l’ai déjà frappé pourm’avoir touchée.Mais là, je ne pense pas à lui. Je pense à la fille, la

Crevette;jemedemandesielleestbienrestéedanslesparages,cachéederrièrequelqu’und’autre.—Ilmefautuneréponse,Charlie.Ilmetientsiprèsque,quandjelèvelevisageverslui,jedistinguelestachesdecouleursursesiris.—Bon,alorsc’estSilas,dis-jedoucement.Jesenssoncorpssecrisper.

Page 66: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

10

Silas

—Tuvasveniràl’entraînement,aujourd’hui?demandeLandon.Ilestdéjàsortiet s’apprêteà refermer laportière,alorsque jenemerappellemêmepasm’être

garédansleparkingdulycée,encoremoinsavoircoupélemoteur.Jehochelatêtemaisévitedecroisersonregard.J’étais tellementperdudansmespenséesdurant le trajetquejen’aipaspenséà interrogermonfrère.

J’étais obnubilé par le fait que je n’avais retrouvé aucun souvenir à mon réveil. Quelque part,j’espéraisqueCharlieavait raison,qu’aprèsunebonnenuitdesommeil, tout reviendraità lanormale.Malheureusement,çan’apasétélecas.

Dumoins,paspourmoi.Jen’aipasencoreparléàCharlie,etsontextodecematinnelaissaitriendeviner.

Jenel’aimêmepasouvert.Ilaflashésurmonécranetledébutdelapremièrephraseasuffiàmefairecomprendrequejen’aimeraispastrop.J’aicommencéparmedemanderquipouvaitl’emmeneretsielleétaitvraimentd’accord.

Moninstinctprotecteurseréveilledèsqu’ils’agitd’elle,maisj’ignoresiçaatoujoursétéainsiousicelaprovientdufaitquejenepeuxplusmefierqu’àelle.

Jesorsdelavoiture,décidéàlaretrouver,àm’assurerqu’ellevabien,alorsqu’ilyadegrandeschancespourquecesoitlecas.Pasbesoindelaconnaîtreparcœurpoursavoirqu’ellen’apasvraimentbesoindemonaide.Elleestfarouchementindépendante.

N’empêchequejevaisessayer.Enentrantdans le lycée, jemerendscompteque jenesaisparoùcommencer.Niellenimoine

saurionsretrouvernoscasierset,sionconsidèrequetoutcelanousestarrivéhierpendantlequatrièmecours,onignorel’unautantquel’autreoùontlieulestroiscoursprécédents.

Page 67: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Jedécidedemerendreausecrétariatpourdemanderunnouvelexemplairedemonemploidutemps.EnespérantqueCharlieyauraégalementsongé,parcequejedoutequ’ilsmedonnentlesienparlamêmeoccasion.

Jenereconnaispaslasecrétairemaisellem’adresseunsourireaimable.—VousvenezpourMmeAshley,Silas?MmeAshley.Jecommenceparfairenondelatêtemaisellemedésignedéjàlaporteentrouverted’unbureau.Qui

quesoitcettedame,jedoisluirendrevisiteassezsouventpourquemaprésenceicinesembleétonnerpersonne.

Jen’aipasletempsdem’yrendrequ’unefemmeblondeensort.Grande,jolie,sûrementbeaucouptropjeunepourêtreuneemployée.Àpremièrevue,jediraisqu’ellesorttoutjustedel’université.

—MonsieurNash,lance-t-elleavecunvaguesourire.Avez-vousprisrendez-vous?Seslongscheveuxsuiventlesmouvementsdesatête.Jem’arrêtealorsqu’elleadresseungesteàlasecrétaire.—C’estbon,dit-elle,j’aiquelquesminutes.Entrez.Jepassedoncdevantelle,lisaupassagelaplaquesurlaporte:

AVRILASHLEY,CONSEILLÈRED’ORIENTATION

Tandisqu’ellefermederrièreelle, jeregardeledécorquinousentoure, lescitationsaffichéesau

mur, les posters traditionnels auxmessages positifs. D’un seul coup, je neme sens plus à mon aise,commeprisaupiège.J’auraisdûdirequejen’avaisplusbesoindelavoir,pourtant,j’espèrequecetteconseillère— à qui il semblerait que je rende visite régulièrement— pourra m’indiquer quelquesdétailssurmonpassépropresànousaider,Charlieetmoi.

Jemeretourneàl’instantoùellepousseleverrou;puisellevienttranquillementdansmadirection.Sesmainsseposentsurmontorseet,alorsqueseslèvresvontseposersurlesmiennes,jereculejusqu’àheurteruncasier.

Waouh!Qu’est-cequ’ellefout?Elleparaîtvexéequejerepousseainsisesavances.Ondoitfaireçasouvent.Commeça,jebaiseaveclaconseillèred’orientation?JepenseaussitôtàCharlie;onal’airsipeuengagésl’unenversl’autre…jemedemandequelles

étaientnosrelations,aujuste.Était-onseulementensemble?—Qu’est-cequ’ilya?demandeMmeAshley.Jemeretourneunpeupourm’éloignerencored’elleverslafenêtre.—Jenemesenspastropbien,aujourd’hui.Unpeumalaucœur…Ondiraitquecetteexplicationluiplaît,carellerevientversmoi,m’embrassedanslecou.—Pauvrepetit,susurre-t-elle.Onvaarrangerça.

Page 68: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Je rouvre grand les yeux, à la recherche d’une porte de sortie. Mon attention se détourne surl’ordinateur,àcôtédel’imprimante,tandisquej’essaiedemedégager.

—Madame…C’estnulàtouslespointsdevue.Ellerit.—Tunem’appellesjamaiscommeçaquandonestseuls.Çafaitdrôle.Elleparaîttropàl’aise.Ilfautquejem’enailled’ici.—Avril…S’ilvousplaît,vouspourriezm’imprimermonemploidutempsetceluideCharlie?Dèsqu’elleentendcenom,elleseraidit,sonsouriredisparaît.Pointlitigieux,dirait-on.—J’envisaged’intervertircertainsdemescours,pourneplusmeretrouveravecelle.Onnepeutpasêtrepluséloignédelavérité…MmeAshley—Avril—m’effleureletorseduboutdesdoigtsetsonsourireréapparaît.—Ah,ilseraittempsdesuivrelesavisdetaconseillère!Savoixsuintedesous-entendussexuels.Jevoisàpeuprèscommentleschosesontpusedérouler

danscesconditionsmaislà,çamelaissedemarbre.Enfait,jen’endétestequedavantagecequej’aipuêtre.

Jelaregardes’asseoirettapersursonclavier.Ellesortlesdeuxfeuillesdesonimprimante,melestendmais,audernierinstant,m’empêchedeles

prendre,l’airmalin.—Attends,cen’estpasgratuit,dit-elleensecouantlentementlatête.Ellesepencheau-dessusdesonbureau,déposelesfeuillesderrièreellesansmequitterdesyeux.

Ellenevapasme laissersortird’ici sansque je lasatisfasse,etc’estbien ladernièrechoseque j’aienviedefaireencemoment.

J’effectuedeuxpetitspasdanssadirection,poselesmainssurseshanches,mepencheverssoncou.Jel’entendssoupireràl’instantoùjememetsàparler:

—Avril,ilnemerestequecinqminutesavantmonprochaincours.Impossibledefairetoutcequej’aienviedefaireencinqpetitesminutes.

Là-dessus,jeglisselesmainssurlesemploisdutempsetreculeaussitôt.Ellesemordleslèvres,medévoredesesyeuxbrûlants.

—Reviensàl’heuredudéjeuner,murmure-t-elle.Uneheuretesuffira,monsieurNash?Jeluidécocheunclind’œil.—Ilfaudrabien,dis-jeenmedirigeantverslaporte.Jenem’arrêtequ’unefoisàl’angleducouloir,lorsquejequittesonchampdevision.Ilyaenmoiunpetitmecdedix-huitans,totalementirresponsable,quirouledesmécaniquespour

s’être, semble-t-il, déjà envoyé en l’air avec la conseillère du lycée, mais aussi un autre, plusraisonnable,quileboxeraitbienpourfairedessaletéspareillesàCharlie.

Cettefille-là,c’estpourtantautrechose,etjem’enveuxàmortd’avoirmisnotrerelationendanger.Celadit,elleenafaitautantdesoncôté.

Page 69: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

***

Coup de chance, les emplois du temps citent nos numéros de casiers et leurs combinaisonsd’ouverture.Lesienestle543,lemien,le544.Sûrementpasparhasard.

J’ouvred’abordlemienetj’ytrouvetroislivres,ungobeletàmoitiépleindecaféetl’emballagevided’unrouléàlacannelle.Deuxphotossontfixéessurlaparoi: l’unedeCharlieetmoi,l’autredeCharlietouteseule.

Jeladécollepourlaregarderdeplusprès.Sinousn’étionspasheureuxensemble,pourquoiya-t-ildesphotosd’elledansmoncasier?Surtoutcelle-ci.Visiblement,c’estmoiqui l’aiprise,carelleestvraimentdustyledecellesquiornentlesmursdemachambre.

Charlie est assise sur un canapé, les jambes croisées, la tête légèrement baissée, et elle regardel’objectif.

Ellemefixed’uneexpressionintense—carj’aivraimentl’impressionqu’elleregarde.Elleparaîtàl’aise,sûred’elle;elleal’airheureuse,pourtantelleneritpas.Ilsembleque,cejour-là, toutallaitbienpourelle.Pournous.Sesyeuxontl’airdecriermillechoses,maisj’entendssurtout:«Jet’aime,Silas!».

Jelacontempleencoreunpeupuisremetslaphotoàsaplace.Jevérifiesijen’aipasdemessagessurmontéléphone.Rien.Jejetteuncoupd’œilautourdemoietvoisLandondéboucherduhalld’entrée.

—OndiraitqueBrianfaitencorepartiedudécor,lance-t-il.Laclochesonne.Jeregardedansladirectiond’oùprovientmonfrèreetaperçoisunemassed’étudiantsauboutdu

couloir. Ils ralentissent, regardent derrière eux, certains dans ma direction. On dirait qu’il se passequelquechose,là-bas.Jemeprécipite,attirantpasmall’attentionsurmonpassage.

Unefailles’ouvredansceflotdegenset,d’unseulcoup,jelareconnais.Adosséeàunerangéedecasiers,ellecroiselesmainssursesépaules.Enfaced’elle,Brianladévisageavecattention.Ilal’airprofondémentabsorbépar leurconversation, tandisqu’elleapparaîtplutôtsursesgardes. Ilmerepèrepresqueaussitôtetsecrispe.Suivantsonregard,Charlieposeàsontourlesyeuxsurmoi.

Apparemment, elle n’a pas besoin demon aide ; pourtant, elle semble soulagée deme voir. Unsourireluiétireleslèvresetjenepenseplusqu’àladébarrasserdelui.Jeréfléchisdeuxsecondes.Faut-illemenacer?Oulefrapper,commej’enavaisdéjàtellementenviehierdansleparking?Aucunedecesoptionsneparaîtcorrespondreàcequejevoudraisluifairecomprendre.

J’entendsCharlieluidire:—Tudevraisallerencours.Elleavait l’airde leprévenirque j’arrivais.Commesi ellecraignaitque jene le frappe.Aucun

risque.CequejevaisfaireàBrianFinleyrisquedeluifaireinfinimentplusmalquesij’essayaisdeleboxer.

Ladeuxième cloche sonne.Personnenebouge.Personnene se précipite pour éviter d’arriver enretard.

Page 70: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Ils attendent la suite. Espérant sans doute que je vais déclencher une bagarre. Peut-être commel’auraitfaitl’ancienSilas?Faut-ilquelenouveauSilasenfasseautant?

Sanstenircomptedesautres,jenevisequeCharlieetmedirigetranquillementverselle.DèsqueBrianmevoit,ils’écarte.Cettefois,c’estluiquejeregarde,toutentendantlebrasverselle;àelledeleprendreetdemesuivreouderesterlàoùelleest.

Jesenssesdoigtsseglisserentrelesmiensetellemesaisitlamain.Jel’entraîneloindescasiers,deBrian,delamultitude.Cependant,aucoinducouloir,ellelalâche,s’immobilise.

—C’étaitunpeuthéâtral,tunetrouvespas?Jemetourneverselle.Ellefroncelessourcilsmaisunetracedesourireflotteencoresursabouche.

Jenesaispassiçal’amuseousiçal’énerve.—Ilss’attendaientàunecertaineréactiondemapart,dis-je.Quevoulais-tuquejefasse?Queje

luitapesurl’épauleenluidemandantpolimentsijepouvaismemêleràlaconversation?Ellecroiselesbras.—Qu’est-cequitefaitcroirequej’avaisbesoindetonaide?Jenecomprendspassonhostilité.J’avaispourtantl’impressionqu’ons’étaitquittésenbonstermes,

hiersoir.—Désolée, reprend-elleenbaissant lesyeux. Je…Enfin, j’essayaisde le faireparler,d’obtenir

desrenseignements.C’estjustepourçaquej’étaisaveclui,paspourflirter.Cetteréactionmeprenddecourt.Jen’aimepassonpetitaircoupable.Cen’estpaspourçaqueje

l’ai arrachéeà lui,mais je comprendsmaintenantqu’ellemecroitvraiment furieuxde l’avoir trouvéeaveclui.Pourtant,onvoitbienqu’ellenevoulaitpassetrouverlà,maiselleneserendsansdoutepascompteàquelpointj’aiapprisàlireenelle.

Jemerapprocheet,quandellerelèvelesyeuxversmoi,jeluisouris.—Çatemettraitplusàl’aisesijetedisaisquejet’aitrompéeaveclaconseillèred’orientation?L’airchoquée,elleaspireunegrandeboufféed’air.—Iln’yapasquetoiquinousfaisaisdesinfidélités,Charlie.Sij’aibiencompris,oncommettait

touslesdeuxquelquespetitesirrégularités,alorsnesoispastropdureavectoi-même.Enprincipe,une fillenesemontrepas soulagéequandelleapprendquesonpetit ami la trompe,

pourtant,c’estexactementsaréaction.Sonregards’apaise,ellepousseunsoupir.—Ahbon,souffle-t-elleenlaissantretombersesmains.Donc,enprincipe,onsortensemble?—Attends,cen’estpasunjeu.Oualorsonatouslesdeuxperdu.—Situveux.Maintenant,onferaitmieuxdechercheroùontlieunoscours.Jesorsnosemploisdutempsdemapoche,luitendslesien.—Onn’arienensembleavantlecoursd’histoire.Là,tuaslittérature,dansl’autrebâtiment.Ellemeremercied’unsignedelatête.— Bien joué, dit-elle avec un sourire malicieux. Je suppose que c’est ta maîtresse conseillère

d’orientationquitelesaprocurés?

Page 71: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Sesparolesmefontsursauter,quandbienmêmejenedevraiséprouveraucunremordspourcequiapusepasseravanthier.Jerectifie:

—Monex-maîtresseconseillèred’orientation.Elle éclate d’un rire solidaire. On est dans une situation pourrie et ces nouvelles informations

n’arrangentrienmais,tantqu’onpeutenrire,c’estqu’aumoinscettesituationnoussembleaussiabsurdeà l’unqu’à l’autre.Uneseulepenséemehantealorsque jem’éloignedeCharlie : j’aimerais tropqueBrianFinleys’étouffedelavoirrire.

***

Lestroispremierscoursdelajournéem’ontparucomplètementimbitables.Aucundesparticipants,aucunsujetdediscussionnem’étaitfamilier.Jemesentaiscommeunimposteur,dépaysé,égaré.

Enrevanche,àl’instantoùjesuisentrédanslaquatrièmeclasse,jemesuisassisàcôtédeCharlie,et mon humeur a changé du tout au tout. Elle, je la connais, et c’est bien la seule dans ce monded’incohérenceetdedésordre.

Onaéchangéquelquesregardsmaispasunmotdurantlecours.Onneseparletoujourspasalorsqu’onentreensembledanslacafétéria.Jejetteuncoupd’œilànotretableettousnosvoisinsdelaveillesontdéjàlà;ilnerestequenosdeuxplaceslibres.

Delatêtejeluidésignelafiled’attentedevantlebuffet:—Onpourraitpeut-êtreseservird’abord.—Pastropfaim,marmonne-t-elle.Jevaist’attendreàtable.Là-dessus,ellesedirigeversnotregroupetandisquejeparsfairelaqueue.Après avoir attrapémon plateau et un Pepsi, je la rejoins et la trouve en train de consulter son

portable,commepourmieuxs’excluredesconversationsalentour.Letypeàmadroite—Andrew,jecrois—medonneuncoupdecoude.—Silas,disàcetabrutiquelpoidsj’aisoulevé,lundi.Jeregardesoninterlocuteur,enfacedenous,quilèvelesyeuxaucielavantdevidersabouteillede

sodapuisdelaclaquersurlatable.—Arrête,Andrew!Commesij’allaiscroirequejamaistonmeilleuraminementiraitpourtoi?Meilleurami.Andrew estmonmeilleur ami, etmoi je ne savaismême pas comment il s’appelait il y a trente

secondes.Monattentionsereportesurlanourrituredevantmoi.J’ouvremonsoda,enboisunegorgéeetvois

Charlie qui presse la paume sur son ventre.Malgré le bruit qui nous entoure, j’entends son estomacgargouiller.Elleafaim.

Sielleafaim,qu’est-cequ’elleattend?Jemepencheverselle:—Charlie?Pourquoitunemangesrien?

Page 72: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Commeellemerépondd’unhaussementd’épaules,jebaisseencorelavoix.—Tuasdel’argent?Ellemefusilleduregard,commesijevenaisderévélerunsecretvitalàtoutelasalle.Elledéglutit,

détournelesyeux,gênée.—Non,souffle-t-elle.J’aidonnémesderniersdollarsàJanettecematin.Maisçaira…Jereposemabouteille,poussemonplateauverselle.—Prends-le,jevaisenchercherunautre.Jemerelèveaussitôtet reparsfaire laqueue.Quandjereviens,elleamangéquelquesbouchées.

Ellenemeremerciepasetjepréfèreça.Jeveuxqu’elletrouvecegestenormaldemapart.Àlafindurepas,jeluidemande:—Tuveuxquejeteramènecheztoi,cesoir?—Tunevaspasencoreraterl’entraînement,monpote!s’écrieAndrew.Sinon,tuessurlatouche

aumatchdedemainsoir.Jemepasseunemainsurlevisage,puissorsmesclefsdemapoche.—Tiens,dis-jeenlestendantàCharlie.Tun’asqu’àramenertasœuraprèslelycée.Tureviendras

mechercheraprèsl’entraînement.Elleessaiedemelesrendre,maisjenelesprendspas.—Garde-les,luidis-je.Tupourraisavoirbesoind’unevoiture,aujourd’hui.Moi,jenem’ensers

pas.—Tulalaissesconduiretacaisse?intervientAndrew.Tutefousdemoi,alorsquejen’aijamais

euledroitdem’asseoirauvolant!—Ouais,bon,jenesuispasamoureuxdetoi,nonplus.Éclatantderire,Charlieenrecrachesonsoda.Sonsourireluiilluminetoutlevisage,aupointque

sesyeuxenparaissentmoinsfoncés.J’aisansdoutetoutoubliéd’elle,maisjepariequesonsourireétaitcequejepréféraisenelle.

***

Journée épuisante aujourd’hui. J’ai l’impression d’avoir passé des heures en scène, à jouer lacomédie,ou plutôt à improviser, parce que je n’avais pas de texte. Les seules choses quime tentent,maintenant,sontsoitmonlit,soitCharlie.Oumieux,lesdeuxàlafois.

Seulement,onad’abordquelquechoseàrégler,touslesdeux:savoircequiapunousarriverhier.C’estdirequ’onn’avaitpastropenviedeveniraulycée,aujourd’hui;mais,d’unautrecôté,ilyadeschancespourquecesoitlàqu’ontrouvedesréponses.Aprèstout,c’estbienlàquetouts’estpassé,aubeaumilieudelajournée.

L’entraînementdefootpourraitaussim’aider.Jevaismeretrouverparmidesgensquejen’aipasbeaucoupvuscesdernièresvingt-quatreheures.Jepourraisyapprendredeschosessurmoi-mêmeousurCharlie.

Page 73: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Aumoins,lescasiersportenttousunnom,ducoup,jen’aipasdemalàtrouvermonéquipement.Plusdifficile:commentl’enfiler?Jemedébatsavecmonpantalontoutenessayantdeparaîtrenaturel.Levestiairesevideàmesurequelesgarçonsserendentsurleterrain,jusqu’àcequejemeretrouveseul.

Unefoisquejepenseavoirbienplacéchaqueélément,j’attrapemonmaillotsurl’étagèreduhaut,etc’estlàque,aufond,uneboîteattiremonattention.Jelasaisis,retournem’asseoirsurlebanc.C’estuneboîte rouge,beaucoupplusgrandequ’unsimplecoffretàbijoux.J’ensoulève lecouvercleety trouvequelquesphotos.

Elles ne représentent pas des gens, plutôt des lieux. Je les feuillette, jusqu’à tomber sur l’imaged’unebalançoire.Ilpleut,lesoldégorged’eau.Jelaretourne.Audos,onaécrit:Notrepremierbaiser.

La suivante représente une banquette arrière, mais vue du sol. Je la retourne. Notre premièredispute.

Etpuisvientuneéglise,ouplutôtleportaild’entrée.Làoùons’estrencontrés.Je les regarde toutes et trouve finalement une lettre, pliée enquatre au fondde la boîte.Elle est

courte,j’yreconnaismonécriture;elles’adresseàCharlie.Jecommenceàlalire,maismontéléphonegrésille,alorsjelesors.

Àquelleheureseterminetonentraînement?

Saispastrop.Trouvéuneboîtedanslecasier.Saispassiçavanousaider,maisilyaunelettrededans.

Elleditquoi?

—Silas!criequelqu’underrièremoi.Enme retournant, je lâche deux photos.Un homme se tient dans l’encadrement de la porte, l’air

furieux.—Surleterrain!Jefaisouidelatêteetils’enva.Jerangetouteslesphotos,remetslaboîteàsaplace,inspireune

gouléed’airpourmecalmeretmerendssurleterrain.Deuxrangéess’yfontface,lesgarçonspenchésenavant,leregardmenaçant.Jevoistoutdesuite

uneplacevideetm’yglisseendouce,copiantl’attitudedesautres.—Bordel,Nash!criequelqu’un.Tesépaulières!Mesépaulières.Merde.Jeretourneencourantdanslevestiaire.Jesensquejevaisvivrel’heurelapluslonguedemavie.

Bizarrequejenemerappellepaslesrèglesdufootball.Çanedoitpourtantpasêtresidifficile.Ilsuffitdecourirdanstouslessens,etfinil’entraînement.

Jerepèredesépaulièresderrière lescasiers.Heureusement,ellesnesontpas tropcompliquéesàenfiler.Jeregagneenvitesseleterrain,oùmespetitscamaradessontentraindecourirdanstouslessens,

Page 74: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

commedesfourmis.J’hésiteavantdemejoindreàeux.Quandretentituncoupdesifflet,quelqu’unmepousseenavant.

—Vas-y!Leslignes,lesnombres,leszonesd’en-but.Toutcelanesignifierienpourmoi.L’undesentraîneurs

lanceunordreet,letempsquejem’enrendecompte,leballonm’arrivedessus.Jel’attrape.Etmaintenant?Courir.Jedoissansdoutecourir.Jen’aipasfranchiunmètrequejemeretrouvesurlegazon.Coupdesifflet.Unhommecrie.Jemeredressealorsqu’unentraîneurarrivedansmadirection.—C’estquoicettemerde?Remets-toiaujeuetvite!Lefrontensueur,jeregardeautourdemoi.LavoixdeLandons’élèvederrièremondos.—Hé,monpote,çanevapas?Jemeretournetandisquelesautresseregroupentautourdemoi.Suivantleurmouvement,jepose

lesbrassurleursdos.Personneneditrienpendantquelquessecondes,jusqu’aumomentoùjemerendscomptequetoutlemondemeregarde.Ilsattendent.Jedoisdirequelquechose?

—Bon,tudécidesoutuarrêtes?lanceletypeàcôtédemoi.—Euh…toi,dis-jeendésignantLandon.Vas-y…Sansleurlaisserletempsdem’interrogerdavantage,jem’écarteetlegroupes’éparpille.J’entendsquelqu’unmurmurer:—L’entraîneurval’exclure.Nouveaucoupdesiffletquis’achèvesurlaruéed’untraindemarchandisesdansmapoitrine.Dumoins,c’estl’effetqueçamefait.Lecielestau-dessusdematête,mesoreillessifflent.Jen’arrivepasàreprendremonsouffle.Landonsepenchesurmoi,secouemoncasque.—Qu’est-cequetufous?Ilregardeautourdenous,revientsurmoi,plisselesyeux.—Resteparterre.Faisleblessé.Jesuissonconseiltandisqu’ilserelèved’unbond.—Jeluiavaisditdenepasveniràl’entraînement,explique-t-il.Ilsortd’uneangine.Jecroisqu’il

estdéshydraté.Jefermelesyeux,soulagé.Sympa,monfrère.— Qu’est-ce que tu traînes encore là, Nash ? lance l’entraîneur en s’agenouillant devant moi.

Retourneauvestiaireteréhydrater.Onjoueunmatch,demainsoir.Ilserelève,adresseunsigneàl’undesesassistants.—Donne-luiunZ-packetarrange-toipourqu’ilsoitprêtdemain.Landonm’aide àme remettre debout. J’ai encore les oreilles vibrantesmais, aumoins, je peux

respirer.Jemedirigeverslevestiaire,soulagédepouvoirquitterleterrain.Jen’auraisjamaisdûvenirici.Pasmalin,Silas.

Page 75: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Unefoisdevantmoncasier,jechangedevêtementset,alorsquej’enfilemeschaussures,j’entendsdespasretentirdanslecouloir.D’unrapidecoupd’œil,jerepèreunesortiedesecoursetfiledanscettedirection.Coupdechance,elledonnesurleparking.

Etlà,j’aperçoismavoiture.Jemeprécipiteàl’instantoùCharlieensort.Jesuistellementcontentdelavoir–depouvoirparleràquelqu’un–quejeneréfléchispasàcequejevaisfaire.

Je la saisispar lepoignet, l’attire contremoi, l’enlaceenpoussantun soupir, levisagedans sescheveux. Avec elle je me sens bien. En sécurité. J’en oublierais presque que je ne peux pas merappeler…

—Qu’est-cequetufiches?Elles’est figéeet lafroideurdesaréactionmerappellequ’onn’estpascensésfairecegenrede

chose.Ça,c’étaitbonpourSilasetCharlie.Merde.Jem’éclaircislagorgeetrelâchemonétreinte;jereculeenmurmurant:—Pardon.Questiond’habitude.—Onn’apasd’habitudes,dit-elleenmebousculant.Ellecontournelecapottandisquejeluidemande:—Tucroisquetuastoujoursétéaussiméchanteavecmoi?Ellemeregardepar-dessusletoit.—Jetepariequeoui.Tum’asl’aird’adorerlespunitions.—Unvraimaso,quoi.Ons’installeensembledans lavoiture ; j’aideuxdirectionspossibles ;d’abordchezmoipoury

prendreunedouche,mais jesuissûrquesi jedemandaisàCharliedem’accompagner,ellerépondraitnonrienquepourm’embêter.Alorsjedémarresansrienluidire.

***

—Pourquoitusouris?medemande-t-ellealorsqu’onrouledepuisdixminutes.Jenem’enétaispasrenducompte.—Bof,jeréfléchis.—Àquoi?—JemedemandaiscommentcevieuxSilasaréussiàbrisertacarapace.Çalafaitrire.—Tuessûrqu’ilyestarrivé?—Tuasvulavidéo.Tul’aimais.Enfinmoi…tum’aimais.—Ellet’aimait.Tandisquemoi,jenesuismêmepasencoresûredet’apprécier.—Écoute, jenesaispassi jemeconnaisbienmais jecroisque j’avais l’espritdecompétition.

Parcequejeconsidéraisçacommeundéfi.—Quoi«ça»?Tucroisquetupourraismepousseràt’apprécier?

Page 76: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Jemetourneverselleensecouantlégèrementlatête.—Non,jevaistepousseràm’aimerànouveau.Jelavoisdéglutirmaissondésarroinedurepaslongtemps.— Eh bien, bonne chance ! dit-elle en regardant droit devant elle. Je suis sûre que tu seras le

premiermecàrivalisercontrelui-mêmepourunefille.—C’estpossible,dis-jeenmegarantdansl’alléequimèneàmamaison.Maisjepariesurmoi.Jecoupelemoteuretsors.Ellenedétachepassaceinture.—Tuviens?dis-je.Jevoudraisviteprendreunedouche.Ellenemeregardemêmepas.—Jet’attendsdanslavoiture.Tant pis, je ferme la portière et me dirige vers lamaison en songeant à ce petit sourire que je

jureraisavoiraperçuaucoindesabouche.Etsijen’aipaspourseulobjectifdelaramenerdansmavie,c’estenfaitmonplandesecoursau

casoùniellenimoinetrouverionscommentreveniràcequenousétionsavant-hier.Parceque,malgrétoutescesconneries–ellequimetrompeavecBrian,moiquilatrompeaveclaconseillère,nosfamillesàlacasse–,onauraquandmêmeessayé.Çaprouvesansdoutequ’ilexistaitquelquechosedespécialentrenous,plusprofondqu’unesimpleattiranceouuneaffectiondegamins,quimedonneenviedemebattrepourlagarder.

Etj’aienviedel’éprouverencore.Demerappelercequec’estqu’aimerquelqu’uncommeelle.Pasn’importequi.J’aienviedesavoircequec’estqu’aimerCharlie.

Page 77: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

11

Charlie

Debout au bord de la pelouse, je regarde la rue, quand il surgit derrière moi. Je ne l’entends pasapprocher,maisj’aisentisonodeur.Jemedemandebienpourquoi,d’ailleurs,puisqu’ilsentl’airfrais.

—Qu’est-cequeturegardes?demande-t-il.J’examinecesmaisons,impeccables,immaculéesàendonnerlanausée.Çamedonneenviedetirer

enl’air,histoiredevoirtouscesbravesgenssortiraffolés.Cequartierauraitbienbesoind’unpeudevie.

— C’est fou comme l’argent peut plonger un quartier dans le silence, dis-je. Dans ma rue, oùpersonne n’a d’argent, c’est si bruyant ! Les sirènes qui hurlent, les gens qui crient, les portières quiclaquent,lesradiosquibraillent.Ilyatoujoursquelqu’unquelquepartpourfairedubruit.

Jemeretournesansm’attendreàlaréactionqu’ilprovoqueenmoiavecsescheveuxhumidesetsamâchoirefraîchementrasée.Jemeconcentresursesyeuxmaisçan’arrangerien.Alorsjemedétourneenmeraclantlagorge.

—Jecroisquejepréfèrelebruit.Ils’approchejusqu’àcequ’onseretrouveépaulecontreépaule,àexaminerceslieuxtaciturnes.—Maisnon,dit-il,tunepréfèresriendutout.Commes’ilmeconnaissait…J’aipresqueenviede lui rappelerqu’il nemeconnaît pasdu tout,

maisilposelamainsurmoncoudeetm’entraîne:—Viens,ons’enva.OnoublieCharlieetSilas.Onvafairedestrucsànous.—Tuparlescommesionavaitenvahidescorpsétrangers.Ilfermelesyeux,renverselatêteenarrière.—Tunepeuxpassavoircombiendefoisj’aieuenvied’envahirtoncorps.Jenepeuxm’empêcherd’éclaterderire,enmêmetempsquejetrébuche;ilmerattrapeauvoleton

seretrouvetouslesdeuxàriredanslesbrasl’undel’autre.

Page 78: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Je détourne les yeux. Je n’en peux plus de le trouver si sympa. Je n’ai qu’un jour et demi desouvenirset ils tournent tousautourdemestendressentimentspourSilas.Etvoilàqu’ilsedonnepourmissiondem’inciteràl’aimerànouveau.L’ennuiétantqueçanemedéplaîtpas.

Malgrétout,jem’insurge:—Dégage.Levantlesmainscommepourserendre,ilrecule.—Là?—Plusloin.Encoreunpas.—C’estmieuxcommeça?—Oui,dis-jeagacée.—Jenemeconnaispastrèsbien,sourit-il,maisjejouelejeu,etreconnaisquejenemanquepas

d’atouts.—Ohçava,Silas!Enguisede jeu, tureprésentesaumieuxunepartiedeMonopoly.Onnefait

qu’avancerjusqu’aumomentoùtoutlemondefinitpartricherpourqueçasetermineplusvite.Ilnerépondpastoutdesuite,aupointquejem’enveuxunpeud’avoirvisésijusterienquepourle

charrier.—Tuas raison, finit-il par plaisanter.C’estmêmepour çaque tum’as trompéavec cette tête à

claquesdeBrian.Maiscoupdebolpourtoi,jenesuisplusSilasMonopoly.JesuisTetrisSilas.Toutesmespiècesvonts’enfileràlaperfectiondanstespièces.

—Enmêmetempsquedanscellesdelaconseillèred’orientation.—Coupbas,Charlie.Jememordillelalèvreavantderépondre:—Tuastortdem’appelercommeça.—Quoi?Charlie?—Oui.Çafaittropbizarre.Jen’aipasl’impressiond’êtrecettefille-là.Jenelaconnaismêmepas.

Cen’estpasmonnom,voilàtout.Ilrepartverssavoiture.—Ilfautquejet’appelleautrement?—Oui,jusqu’àcequ’onsache…—Poppy.—Non.—Lucy.—Maispasdutout,qu’est-cequiteprend?Ilm’ouvrelaportièrepassageretjegrimpedanslaRover.—Bon,d’accord.Jevoisquetun’aimespaslespetitsprénomssympas.Onvaessayerautrechose.Ils’installeauvolant.—Xena?

Page 79: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Non.—Rogue.—Beurk,non!Oncontinuecommeçajusqu’àcequeleGPSannoncequ’onestarrivés.Jem’aperçoisalorsqueje

n’avais pas du tout fait attention à la route.Un coup d’œil àmon téléphonem’indique queBrianm’aenvoyésix textos.Aucuneenviede lui répondremaintenant.Avantdeme lever, jeglisse l’appareil etmonportefeuillesouslesiègepournepluslesvoir.

—Onestoù?—BourbonStreet.LecoinleplusbranchédeLaNouvelle-Orléans.—Commenttulesais,d’abord?—TrouvésurGoogle.Onseregardepar-dessuslecapotetonclaquenosportièresenmêmetemps.—CommenttusaisàquoisertGoogle?—C’estlegenredechosedontjevoudraisparleravectoi.Onseretrouvedevantlecapotdelavoiture.—Jecroisqu’onestdesaliens,dis-je.C’estpourçaqu’onnepartagepaslessouvenirsdeCharlie

etdeSilas,alorsqu’onserappelledetrucscommeGoogleouTetris,parcequelapuceinformatiqueestdansnoscerveaux.

—Alorsjedoist’appelerAlien?Spontanément,jeluibalanceledosdemamaindansletorse.—Méfie-toi,Silas!Illaisseéchapperunsoupirtandisquejepassedevantlui.—C’estquoi,ça?Jeluimontreuneespècedechâteautoutblancornédetroistoursquipointentversleciel.—Ondiraituneéglise,observe-t-ilensortantsontéléphone.—Qu’est-cequetufais?—Jeprendsunephoto…pourlecasoùonl’oublieraitencore.Ondevraittoujoursvérifiercequi

nousarriveetoùonva.Jenerépondspasmaistrouvel’idéeexcellente.—Aufait,dis-jetoutd’uncoup.C’estlàqu’ondevraitaller.Leséglises,c’estfaitpouraiderles

gens,non?—Lesgens,oui,paslesaliens.Jelefrappedenouveau.Jevoudraisqu’ilprenneunpeuceschosesausérieux.—Etsionétaitdesangesvenuspouraiderquelqu’un,sionavaitreçucescorpspourremplirnotre

mission?—Tudérailles,là.Ongrimpejusqu’auportaildel’église,ferméàdoubletour.

Page 80: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Bon,dis-jeenmeretournant.Alors,d’aprèstoi,qu’est-cequinousarrive?Ons’estcognéslatêtel’uncontrel’autreetonatouslesdeuxperdulamémoire?Oualors,onamangéquelquechosedepourri.

Là-dessus,jedévalel’escalier.—Hé,attends,crie-t-ilenmesuivant.Tunevaspasm’accuser,maintenant!Jen’ysuispourrien,

moi!—Qu’est-cequ’onensait?Onnesaitriendutout,Silas!C’estpeut-êtrenotrefaute.Onseretrouvel’unenfacedel’autreenbasdel’escalier.—Peut-être,répond-il.Maissij’aifaitquelquechose,toiaussi.Parceque,aucasoùtunel’aurais

pasremarqué,onestdanslemêmebateau.Jeserreetdesserrelespoings,soupireungrandcoup,regardefixementl’églisejusqu’àenavoirles

larmesauxyeux.—Écoute,ditSilasenserapprochant.Jeregrettemespetitesplaisanteries.J’aiautantenviequetoi

decomprendrecequinousarrive.Tuasd’autresidées?—Ouais,lescontesdefées.Làoùquelqu’unasubiunmauvaissortet,pourlebriser,ilsdoivent

résoudreleproblèmequileslie…etpuis…—Etpuisquoi?Visiblement,ilessaiedemeprendreausérieuxet,jenesaispaspourquoi,çam’énerveencoreplus.—Etpuisunbaiser…—Ah!sourit-il.Unbaiser.Jen’aijamaisembrassépersonne.—Silas!—Quoi?Çanecomptepassijenem’ensouvienspas.Je croise lesbras et regardeunmusiciendes rues en trainde saisir sonviolon. Il se rappelle la

premièrefoisoùilaprisunviolon,lespremièresnotesqu’ilajouées,quileluiadonné.Jel’enviepoursessouvenirs.

—J’arrêtedeplaisanter,Charlie,promis.JeregardeSilasducoindel’œil.Ila l’airsincèrementdésolé, lesmainsdanslespoches, la tête

bassecommesiellepesaitsoudaintroplourd.—Alors,demande-t-il.Qu’est-cequ’ondoitfaire,selontoi?S’embrasser?—Çavautpeut-êtrelapeined’essayer,non?—Tuasditquedanslescontesdeféesilsdoiventd’abordrésoudre…—Oui.Parexemple,ilfallaitquequelqu’unembrasselaBelleauboisdormantpourlalibérerde

sonsommeil.IlfallaitàBlanche-Neigeunvraibaiserd’amourpourlarameneràlavie.Ilfallaitqu’ÉricembrasseAriel,lapetitesirène,pourl’arracherausortquelamerluiavaitjeté.

—Cesonttousdesfilms,rétorqueSilas.Tutesouviensdelesavoirvus?—Non, je sais que je les ai vus.En cours de littérature, aujourd’hui,M.Deetson a évoqué ces

contes.C’estlàquej’aichopécetteidée.Onsedirigeverslemusicien,entraindejouerunairtriste.

Page 81: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Ondiraitquec’estaumecdebriserlemauvaissort,observeSilas.Ildoitcompterpourelle.—Ouais…Jen’endispasplusetonécoute lamusique.Si seulement je savaisceque jouecethomme. J’ai

l’impressiond’avoirdéjàentenducetair,maisimpossibled’ymettreuntitre.Jefinisparreprendre:—Ilyaune fille. Jevoudrais luiparler… jecroisqu’elle saitquelquechose. J’ai entendudire

qu’onlasurnommaitlaCrevette.Silasfroncelessourcils.—Commentça?Quiest-ce?—Jenesaispas.Jelaretrouvedanscertainscours.C’estjusteuneimpression.Unefouledebadaudss’estforméeautourdenousetSilasmesaisitparlebras.Pourunefois,jele

laisse faire. Je laisse ses doigts tièdes entrelacer les miens. De sa main libre, il photographie levioloniste,puisseretourneversmoi.

—Commeça,jemerappellerailapremièrefoisquejet’aiprislamain.

Page 82: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

12

Silas

Onatraversédeuxruesetellenem’apasencorelâchélamain.Çavientpeut-êtredel’ambiancedeBourbonStreet…

—OhmonDieu!s’exclame-t-elleensaisissantmachemise.Elleposelefrontsurmonbras.—Cemecvientd’ouvrirsonimper,s’esclaffe-t-elle.Silas,jeviensdevoirmonpremierpénis.Àmon tour, jememets à rire tout en l’entraînant à travers la foule éméchée etCharlie finit par

regarderànouveauautourd’elle.Ons’approched’ungrouped’hommestorsenu,lecouornéderangéesdeperles,etqui rientet interpellent lesgensperchés sur leursbalconsau-dessusdenous.Charliemeserre lamainunpeuplus fort, le tempsqu’on traverse cette foule animée.Alorsqu’on s’éloigne, ellepousseunsoupir,metunpeuplusd’espaceentrenous.

—C’est quoi, ces perles ? demande-t-elle.Qui va encore dépenser de l’argent pour des bijouxaussiquelconques?

—Ça fait partie de la tradition duMardiGras. J’ai lu ça il n’y a pas longtemps en faisant desrecherchessurBourbonStreet.C’estledernierjouravantlecarêmemaisj’ail’impressionqu’onlefêtedésormaistoutel’année.

Jel’attirecontremoietluimontreletrottoirdevantnous.Elleenjambecequiressembleàunvomi.—J’aifaim,dit-elle.—Çanetecoupepasl’appétit?dis-jeenriant.—Non,çamefaitpenseràlanourriture,etcetteidéemedonnedesgargouillis.Onvamanger?Ellemedésigneunrestaurantunpeuplushautdanslarue,dontl’enseigneestunnéonrouge.—Onn’aqu’àallerlà.Ellepassedevantmoi,sansmelâcherlamain.Jejetteuncoupd’œilsurmontéléphoneetlasuis.

J’aimanquétroisappels.L’undel’entraîneur,l’autredemonfrère,letroisièmedemaman.

Page 83: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

C’estlapremièrefoisquejepenseàmamère.Jemedemandeàquoielleressemble.Etpourquoijenel’aipasencorerencontrée.

JeheurtebrutalementledosdeCharliealorsqu’ellevientdes’arrêternetpourlaisserpasserunevoiture.Ellesepasselamaindanslanuque,làoùmonmentonl’apercutée.

—Aïe!Jemefrottelamâchoireenlaregardantécartersescheveuxsurl’épaule,laissantdépasserdeson

tee-shirtcequiressembleaudébutd’untatouage.Ellerepart,maisjel’attrapeparl’épaule.—Attends!Jepasselesdoigtssoussoncol,tireunpeuetaperçoisdesarbresenombreschinoises.—Tuportesuntatouage.Elleposelamainàl’endroitquejetouche.—Quoi?!crie-t-elleenfaisantvolte-face.Pasdutout!—Si.Tiens.Jetracedel’indexlaborduredudessinetsenssapeaufrémir,voislachairdepoules’étendresous

letissu.Elleessaiedetâtercequejeluiaimontré.Alorsjeguidedeuxdesesdoigtssursapeau.—Desarbresenombreschinoises,dis-jeencore.Justelà.—Desarbres?répète-t-elleenessayantdetoucher.Pourquoi?Jeveuxvoir.Tupeuxprendreune

photo?Jedescendssontee-shirtpourqu’ellepuissevoirletatouageenentier,bienqu’ilnefassepasplus

dehuitcentimètresdelarge.Jeremetssescheveuxenplace,paspourlabeautédel’image,justeparcequej’enaienvie.Jerepositionneégalementsamainafinqu’elleseposesurl’épauleopposée.

— Silas, marmonne Charlie. Prends-moi cette fichue photo. On ne te demande pas de faire uneœuvred’art.

Jemedemandesijesuistoujourscommeça–sijerefusedeprendreunesimplephotoquandonsaitqu’ilnefautqu’untoutpetiteffortsupplémentairepourlarendreexceptionnelle.Jemontel’écrandevantmesyeuxetprendslecliché,regardel’écranenadmirantlerésultatjusqu’aumomentoùellem’arrachel’appareildesmains.

—J’hallucine!s’exclame-t-elle.—C’estuntrèsjolitatouage.Levantlesyeuxauciel,ellemerendletéléphoneetreprendladirectiondurestaurant.Ellepeut jouer lesexcédées tantqu’elleveut,çanechangera rienà la façondontellea réagiau

contactdemesdoigtssursanuque.Jelaregardes’éloigneretmerendscomptequej’aitoutcompris:plusellem’apprécie,plusellese

ferme,plusellem’infligedesarcasmes.Quandellesesentvulnérable,elleprendçapourdelafaiblessealorsellejouelesdures.Jecroisquel’ancienSilaslesavaitdéjàtrèsbien.C’estmêmepourçaqu’ill’aimait.Ildevaitappréciercejeu.

Ondiraitquemoiaussi,parceque,encoreunefois,jelasuis.

Page 84: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Onentredanslerestaurantet,sanslaisseràl’hôtesseletempsdeluiposerlaquestion,elleordonneaussitôt:

—Unetablepourdeux,s’ilvousplaît.Aumoins,elleadit«s’ilvousplaît».—Parici,répondlafemme.Onlasuitdans lasalleobscureetpaisible,cequinouschangedesnéonsetdubruitdeBourbon

Street, et on s’assied en soupirant tous les deuxde satisfaction.La serveusenous tend lesmenuspuisprendnoscommandesdeboissons.Àplusieursreprises,Charliesepasselamaindanslanuque,commesiellepouvaitysentirlecontourdesontatouage.

—D’aprèstoi,çaveutdirequoi?medemande-t-ellelesyeuxsursonmenu.—Aucuneidée.Sansdoutequetuaimaislesforêts?Ilyenabeaucoupdanslescontesdefées.Qui

saitsil’hommequidoitbrisertonmauvaissortd’unbaisern’estpasunbûcheroncostaudquivitdanslesbois?

Visiblement,mesplaisanteries l’exaspèrent.Àmoinsquecenesoitparcequ’ellea tropenviederire.

—Arrête de temoquer demoi.On s’est retrouvés sans souvenirs exactement aumêmemoment,Silas. Je ne vois rien de plus absurde au monde. Même pas les contes de fées avec des bûcheronscostauds.

Jeluidécocheunsourireinnocent,luimontremapaume.—J’aidescallosités.Jesuispeut-êtrebûcheron.Ellelèvedenouveaulesyeuxaucielmais,cettefois,ellerit.—C’estpeut-êtreparcequetutebranlestrop.—Non,j’enaiauxdeuxmains.Pasquesurlagauche.—Tudoisêtreambidextre.Onsemarretandisquelaserveusenousapportenosboissons.—Prêtsàcommander?demande-t-elle.Charlieparcourtlemenuenhâteetdit:—Si seulement jeme rappelais ce qu’on aime bienmanger…Bon, je vais prendre du fromage

grillé.C’estunevaleursûre.—Moi,unburgerfritessansmayonnaise.OnrendnosmenusetjedemandeàCharlie:—Tun’aspasencoredix-huitans,commenttupeuxavoiruntatouage?—Apparemment,cegenrederèglementneconcernepastropBourbonStreet.Etpuisj’aipeut-être

unefaussecarted’identitécachéequelquepart.J’ouvrelemoteurderecherchesurmontéléphone.—Jevaisessayerdevoircequeçasignifie.JedeviensbonenGoogle.Jepasselesminutessuivantesàcherchertouslessensqu’onpeutdonnerauxarbres,auxforêts,aux

sous-bois.Àl’instantoùjecroistenirquelquechose,ellemeprendmonportable,leposesurlatable.

Page 85: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Debout,dit-elleenselevant.Onvaauxtoilettes.Ellem’attrapeparlamainpourm’entraîneràl’extérieurdubox.—Ensemble?—Ouais.Je la suis en regardant sa nuque. Dans le couloir, elle s’arrête devant les toilettes pour dames,

pousselaporte,jetteunregardàl’intérieur.Putain…—C’estjusteunecabine,dit-elle.Vide.Ellemetientlaporteouvertecommepourmedired’entrer.C’esttoutaussividechezleshommes,

alorsjenecomprendspas…—Silas!Elleme saisit le bras etm’entraîne à sa suite.Quand elle a fermé la porte, jem’attendsplusou

moinsàcequ’ellesejetteàmoncouetm’embrasseparceque…quepourrait-onfaired’autredansuntelendroit?

—Enlèvetachemise.Jeregardemachemise.RelèvelesyeuxsurCharlie.—Tuveux…onva…s’envoyerenl’air?Parceque,jen’imaginaispasçaainsi.D’ungesteirrité,elleattrapelebasdemachemise.Jel’aideàmel’ôtertandisqu’elleexplique:—Jeveuxvoirsituasdestatouages,abruti!Du coup, jeme sens comme un jeune crétin qui viendrait d’être condamné à la garder dans son

pantalon.Cequiestsansdoutelecas…JefaisfaceàlaglacetandisqueCharlieinspectemondos;ellepousseunpetitcrietjesensses

doigtsparcourirmonomoplatedroite.Elletraceuncercledeplusieurscentimètresdediamètre,etmoij’essaie de contrôlerma respiration. Jeme sens plus ivre que n’importe qui dansBourbon Street. Jem’accrocheaulavaboparcequesesdoigts…mapeau…

Latêtebaisséeentrelesépaules,jepousseungémissement.Concentre-toi,Silas.—Qu’est-cequ’ilya?demande-t-elleens’immobilisant.Jenetefaispasmal,quandmême?Jenepeuxm’empêcherderire,carsesmainsmefonttoutsaufdumal.—Non,Charlie,çava.Nosregardssecroisentdanslaglaceetellesemblesoudaincomprendrel’effetqu’elleproduitsur

moi.Lesjouesroses,ellesedétourne,retiresesmainsdemondos.—Remetstachemiseetretourneànotretable,jefaispipietjeterejoins.Je respireungrandcoupenmerhabillant.Alorsque je regagnemaplace, jem’aviseque jen’ai

mêmepaspenséàluidemanderàquoiressemblaitcetatouage.

***

—Unrangdeperles,dit-elleenseglissantfaceàmoi.Desperlesnoires.Çafaitàpeuprèsquinzecentimètresdediamètre.

Page 86: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Desperles?Ellefaitouidelatête.—Commeun…collier?Hochantunenouvellefoislatête,elleboitunegorgéedesoda.— Tu t’es fait tatouer un collier de femme dans le dos, Silas, dit-elle en souriant. Ça fait très

bûcheron.Ondiraitqueçal’amuse.—Oui, et toi, tu as des arbres dans le dos. Pas de quoi te vanter non plus.Tu vas attraper des

termites.Elleéclatederireetmoiaussi.Elleremuelapailledanssonverre.—Tellequejemeconnais…Ellesereprend:—TellequejeconnaisCharlie,elleneseseraitpasfaittatouersiçan’avaitpasunesignification

importantepourelle.Ilfallaitquecesoitunechosequ’ellenerisquejamaisderegretter,jamaisdeneplusaimer.

Deuxmotsfamiliersressortentdesaphrase:—Jamaisjamais,dis-je.Elleme regarde, reconnaissant la formulequ’on s’est répétéedans lavidéo, et penche la têtede

côté.—Tucroisqueçaavaitquelquechoseàvoiravectoi?AvecSilas?Ellen’apasl’airtropd’accordaveccetteidée,maisjemeremetsàparcourirmontéléphone.—Charlieneseraitpasbêteàcepoint,ajoute-t-elle.Ellenemarqueraitpassapeaud’untrucqui

concerneraitungarçon.Enplus,jenevoispaslerapportentrecesarbresettoi.Là,jetrouveexactementcequejecherchaismaisj’essaiedegarderl’aircalme.Ilnefautpasque

j’arrêtedesourire,mêmesic’estd’unsourirearrogant,enplusjenedevraissansdoutepaslaregardercommeça,maisjenepeuxm’enempêcher.Jeluitendsleportableetellelitàhautevoixcequiapparaîtsurl’écran.

—Provientd’unmotgrecsignifiantforêtoubois.Alors,c’estlasignificationd’unnom?Jehochelatête.Toujoursaussiarrogant.—Remonteverslehaut.Elledéroulel’écrand’ungestedudoigt,ouvrelabouche.—Dérivédutermegrec…Silas.Crispée,serrantlesdents,ellemerendl’appareiletfermelesyeux.—Elles’estfaittatouerundessinquireprésentetonnom?Commeprévu,ellejouelesdéçuesdevantunetelleattitude.Commeprévu,jetriomphe.—Tut’esfaittatouerça,toi.C’estsurtoi.Surtapeau.Monnom.

Page 87: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Je ne peuxm’empêcher de plastronner ; elle lève les yeux au ciel, alors qu’onnous apporte nosplats.

JerepoussemonassiettepourchercherlesensduprénomCharlie,maisjenetrouverienquiévoquelesperles.Auboutdequelquesminutes,ellepousseunsoupir:

—EssaieMargaret,mondeuxièmeprénom.Jechercheetlistoutfort:—Margaret,dumotgrecsignifiantperle.Jereposemontéléphonetoutcontent,commesijevenaisdegagnerunpari.—Heureusementquetuvasmedonnerunautrenom,laisse-t-elletomber.C’estça,n’importequoi!Jeprendsunefritedansmonplat,latendsverselle.— On est marqués. Toi et moi. On est tellement amoureux, Charlie ! Tu t’en rends compte,

maintenant?Tun’aspaslecœurquipalpite?—Cen’estpasnousquiavonschoisicestatouages.—Onestmarqués,jetedis.Touslesdeuxsurl’épaule.Àjamais.—Seigneur,gémit-elle,tagueule!Mangeplutôttonburgeràlanoix.Cequejefais,sansperdremonsourireuninstant.

***

—Etmaintenant?dis-jeenm’adossantàmonsiège.Ellen’apourainsidirepastouchésonplattandisquejesuissûrd’avoirbattuunrecorddevitesse

enavalantlemien.Àsonexpression,jedevinequ’ellesaittrèsbiencequ’elleveutfaireensuite;ellehésitejustesur

lafaçondel’annoncer.—Alors?Elleserembrunit.— Tu dois d’abord promettre de ne pas faire de commentaires imbéciles à ce que je vais te

proposer.—T’inquiète.Onnevapass’enfuirensemblecesoir.Cestatouagesnouslientassezcommeça.Cettefois,elleneprendpasunairexcédédevantmaplaisanterie,maispousseunsoupiraccablé.Réactionquinemeplaîtpasdutout,jusqu’aumomentoùellemejetteunregardnoir.Jeluiprendslamain,luifrottelespoucesaveclesmiens.—Désolé, dis-je. Çame défoule. Quand je plaisante, j’ai un peumoins peur. Qu’est-ce que tu

voulaisdire?Jet’écoute,promis.Paroledebûcheron.Ellesemetàrireetjesuissoulagé,puisellerecommenceàjoueravecsapaille.—Onestpassésdevantplusieurs…boutiquesdetarots.Onpourraitpeut-êtreregarderdececôté.Sansplusdecommentaire,jeprendsmonportefeuille,sorsdequoicouvrirnotrerepasetmelève.

Page 88: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—D’accord,dis-jeenlaprenantparlamain.En fait, je ne suis pas d’accord du tout,mais jem’en veux.Ces deux dernières journées ont été

épuisantesetjesaisqu’ellen’enpeutplus.Jen’aiplusqu’àlasatisfaireaumoinssurcepoint,mêmesijesaistrèsbienquecegenred’oracledemerdenerisquepasdenousapporterlamoindresolution.

On passe devant quelques boutiques prétendument ésotériques, mais Charlie fait non de la têtechaquefoisquejeluiendésigneune.Jenesaispastropcequ’ellerecherche,enfait,maisj’aimebienmepromeneravecelle,alorsjenemeplainspas.Onrestelamaindanslamainet,parfois,jeluiposeunbrassurl’épaule,quandlaruedevienttropétroite.Jenesaispassiellearemarqué,maisjel’aiainsiemmenéeàtraversd’innombrablespetitesrueset,chaquefoisqu’onvoitdesgens,jelaserrecontremoi.EllereprésentetoujoursmonplanB.

Aprèsenvironuneheuredemarche,j’ail’impressionqu’onarriveauboutduquartierfrançais.Ilyademoinsenmoinsdegens,ducoupj’aimoinsderaisonsdelaserrercontremoi.Certainesboutiquescommencentàfermer.OnentredansSt.PhilipStreet,quandelles’arrêtedevantlavitrined’unegaleried’art.

Onyaperçoitdesmorceauxdesquelettesenplastiquesuspendusauplafondetunesortedefaunemarinemétalliqueaccrochéeauxmurs.Maisl’objetquiprendtoutelaplace,justefaceànous,estunpetitcadavreaucouornéd’unrangdeperles.

Elletapotelavitre.—Regarde.C’estmoi.Etelleéclatederireavantd’attirermonattentionsuruneautrepartiedumagasin.Jeneregardepluslecadavre,niladevanture.Jelaregarde,elle.Leslumièresdelagalerieilluminentsapeau,luidonnantunéclatquilafaitressembleràunange.

J’aienviedepasserlamainsursondospourvérifiersiellen’apasdesailes.Sonregardglissed’unepièceà l’autre tandisqu’elleexaminechaqueobjetde lavitrined’unair

abasourdi.Jemeprometsde la ramener iciquandceseraouvert. Impossibled’imaginercommentelleréagiraitsiellepouvaitentoucherun.

Elle regarde encore un peu, et moi, je ne la quitte pas de l’œil, tout en me rapprochantsubrepticement.J’aienviederevoirsontatouage,maintenantquejesaiscequ’ilreprésente.J’écartesescheveuxdesanuque,sursonépaule.J'attendaisplusoumoinsqu’ellemerepoussed’ungesteagacé,maisnon,elleaspireunegouléed’airpuisregardesespieds.

Jesourisausouvenirdemessensationsquandelleapassélesdoigtssurmontatouage.J’ignoresielleéprouvelesmêmeschosesmaiselleresteimmobileetlaissemesmainsseglisserencoresoussoncol.

J’avaletrèspéniblementmasaliveetmedemandesiellem’atoujoursfaitceteffet-là.Jedescendssontee-shirt,justeassezpourrévélersontatouage.Moncœurseserrequandjepense

quenousn’avonspasd’autressouvenirsdecegenre.Jevoudraistantmerappelernotrediscussionquandnousavonspriscettedécisionquimarquerait tantnotreavenir. J’aimerais savoirquienaeu l’idée le

Page 89: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

premier.Latêtequ’ellefaisaitquandl’aiguilleacommencéàluipercerlapeau.Etcequ’onaressentiàlafin.

Jepasselepoucesurcesarbresenombreschinoises,toutenluicouvrantl’épauledemapaume–elleenadenouveaulachairdepoule.Ellepenchelatêtedecôtéetlaisseéchapperunminusculesoupir.

Jefermelespaupières.—Charlie?J’ailavoixrâpeuse,jedoism’éclaircirlagorge.—J’aichangéd’avis.Jeneveuxpastedonnerunautrenom.Jecommenceàbienaimerl’ancien.J’attends.J’attendssesprotestations,ousesrires.J’attendsqu’elles’éloignedemoi.Maisnon,aucuneréaction.Rien.Autrementdit,

c’estgagné.J’appuietoujours lamainsursondos, je lacontourneetmeretrouveentreelleet lavitrine,mais

ellegardelesyeuxbaissés.Ellem’ignore,carellen’aimepassesentirfaible.Etlà,c’estexactementcequejeluifaisressentir.Jeposemamainlibresoussonmenton,luieffleurelajouedesdoigts,justepourorientersonvisageverslemien.

Lesyeuxdans lessiens, j’ai l’impressiondedécouvrirunnouvelaspectdesapersonne,pas trèsrésolu, qui laisse entrevoir sa vulnérabilité. Qui lui permet de ressentir quelque chose. J’ai envie desourireetde luidemandercequeça faitd’êtreamoureusemais, là, si je la taquine, elle risquede semettreenpétardetdes’enaller.Donccen’estpaslemoment.Pastantquejen’auraipaspufairelalistedetouslesfantasmesquem’inspiresabouche.

Salangueglissesursalèvreinférieureetçamedonneenvied’enfaireautant…Jepenchelatêteversellequandellemeserrelesbras.—Regarde,lance-t-elleendésignantl’immeubleleplusproche.Ils’agitd’uneenseignelumineuseclignotantequiacaptésonattentionetj’enveuxaumondeentierà

l’idéequ’unesimpleampouleaitpugâchercequiallaitdevenirmonsouvenirpréféréalorsquej’enaidéjàsipeu.

En dessous apparaît une boutique de cartes et tarots qui n’a pourtant pas l’air bien différente decellesdevantlesquellesonestdéjàpassés;saufquecelle-civientsabotercejolimomentqu’elleaussiavaitl’aird’apprécier.Unsacrébonmoment,bonsang!Jenesaispascombiendetempsilmefaudrapourenprovoquerunautre.

Ellesedirigemaintenantverslaboutique,etjelasuiscommeunchiotfidèle.Cetimmeublen’apourtantriendespécial;jemedemandebienpourquoisasaloperied’éclairage

clignotantapum’éloignerdesabouche.Uneseuleafficheapparaîtsurladevantureoccultéedumagasin:«Photosinterdites».

Charlieouvrelaporteetentre.Jelasuisetonseretrouveàl’intérieurd’uneboutiquevaudoueàl’usagedestouristes.Unhommesetientderrièrelecomptoiretquelquespersonnesarpententlesallées.

Page 90: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Jesurveillechacundesesmouvements.Elletoucheàtout,auxpierres,auxos,auxvasesdepoupéesvaudouesminiatures.Onlongeainsil’alléejusqu’àl’autreboutdumagasinetelles’arrêtedevantlemurdufond,saisitmamainetmemontreuneimagesurlemur.

— Cette grille, dit-elle. Tu as pris une photo de cette grille. Elle est accrochée au mur de machambre.

—Puis-jevousrenseigner?On se retourne ensemble pour faire face à un homme imposant – très imposant – avec des

stretchingsauxoreillesetunpiercingsurlalèvre.J’aipresqueenviedem’excuseretdefiler,maisCharlieneselaissepasdémonter.—Savez-vouscequeprotègecettegrille?demande-t-elle.Celle-cisurlaphoto?—Elledoitpasêtrelàdepuislongtemps,répondl’hommeenhaussantlesépaules.Jel’avaismême

pasvue.Ilme contemple en haussant un sourcil orné demultiples piercings, dont un petit… os ? Un os

accrochéàsonsourcil?—Vouscherchezquelquechosedeprécis?ajoute-t-il.Jefaisnondelatêteetm’apprêteàrépondrequandunevoixm’interrompt.—Ilssontvenuspourmoi.Unemainapparaîtsurnotredroiteàtraversunrideaudeperles.UnefemmeensortetCharlievient

aussitôt se blottir contremoi ; je l’entoure demes bras sans trop savoir pourquoi elle prend cet airapeuré.Celaneluiressemblepas,maisjenevaispasmeplaindre,nonplus.UneCharlieapeuréenepeutdonnerqu’unheureuxSilas.

—Parici,ditlafemmeennousfaisantsignedelasuivre.J’ai presque envie de protester mais je me rappelle alors qu’ici on vit en plein théâtre. C’est

Halloweentroiscentsoixante-cinqjoursparan.Ellenefaitquejouerunrôle.Niplusnimoinsquenousdeux,aufond…

Charliem’interroge du regard, comme pour demander la permission. Je fais oui de la tête et ontraverselerideauàlasuitedelafemme.Jetâteuneperleaupassage,maisellessontbienenplastique,plutôtagréablesautoucher.

Ondébouchedansunepetitepièceauxmurstapissésderideauxdeveloursnoir.Elleestéclairéedebougies qui brillent un peu partout. La femmeprend place à une table au centre et nous désigne deuxchaisesenfaced’elle.JenelâchepaslamaindeCharliealorsqu’ons’assiedtouslesdeux.

Lacartomanciennecommenceàmélangerlentementunjeudetarot.—C’estpourvousdeuxensemble,jesuppose?demande-t-elle.Onhochelatête.ElletendlepaquetàCharlie,lapriedeleprendreenmainpuiss’adresseàmoi:—Vousaussi.Tenez-letouslesdeux.J’aibeautrouverçaunpeuidiot,jejouelejeuetposeàmontourmamainsurlepaquet.—Ilfautquevousattendiezlemêmegenrederéponsedecettelecture,indique-t-ellealors.Sinonle

manquedecohésionpourraitlafaireéchouer.

Page 91: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Oui,murmureCharlie.C’estlecas.Jen’aimepastropletonanxieuxsurlequelelleaditça.Commesionallaitobtenirdesréponses.

Ellenecroittoutdemêmepas…Lafemmerécupèrelescartesetsesdoigtsm’effleurentaupassage.Glacés.Jereprendslamainde

Charlie,laposesurmesgenoux.Notre interlocutriceétaledescartessur la table, facecachée.Quandelleafini,ellemedemande

d’entirerunedupaquet.Jelaluitendsetellelaposeàl’écartdesautres,pointeundoigtdessus.—Cettecartevousdonneravotreréponsemaislesautresexpliquerontlecheminquiymène.Ellemontrelacartedumilieu.—Cettepositionreprésentevotresituationactuelle.Ellelaretourne.—LaMort?souffleCharlie.Samainsecrispesurlamienne.Lafemmes’empressed’expliquer:—Cen’est pas forcémentunemauvaise chose.Elle représente avant tout un changementmajeur.

Uneréforme.Vousveneztouslesdeuxd’éprouverunesortedeperte.Elletoucheuneautrecarte.—Cettepositionreprésentelepasséimmédiat.Ellelaretourneet,avantderegarderdequoiils’agit,jelavoisfroncerlessourcils.LeDiable.—Celaindiquequequelqu’unouquelquechosevousasservissaitdanslepassé.Ilpourraits’agir

debiendeschosesprochesdevous.L’influenceparentale.Ouunerelationmalsaine.Sonregardseposesurlesienquandelleajoute:—Lescartesrenverséesreflètentuneinfluencenégativeet,bienquecelle-ciévoquelepassé,elle

peutaussireprésenterunesituationquevousseriezentraindetraverser.Sesdoigtstombentsuruneautrecarte.—Celle-ciindiquevotreavenirimmédiat.Ellelaprendverselle,laretourne,pousseunpetitcrid’exclamation.JesensCharliefrémir.Elle

contemplelafemmed’unœilinterrogateuretterrifiéàlafois.Jenesaispasàquoijouecettecartomanciennemaisçacommenceàsérieusementm’énerver.—LaTour?ditCharlie.Qu’est-cequeçasignifie?La femme sehâtede la retourner, comme si c’était lapirede toutes.Fermant lespaupières, elle

pousseungrandsoupir,puislesrouvre.—Çasignifie…destruction.Cettefois,jemelève.—Bon,Charlie,ons’enva.Maisellem’imploreduregard.—Onapresquefini.Jecèdeetmerassieds.

Page 92: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

La femme en retourne encore deux, les explique à Charlie,mais je n’entends plus unmot de cequ’elledit,promenantmonattentionsurlapiècetoutenessayantdegarderpatience.Saufquej’aitropl’impressiondeperdremontemps.

EtCharlieme serre tellement lamain qu’elle vame tuer. Jeme remets à écouter la lecture descartes.Ouplutôtlesilence.Lacartomanciennearefermélespaupièresetserreleslèvres,marmonnantdesparolesquejenecomprendspas.

Charlieserapprochedemoietjeluipasseinstinctivementlebrassurl’épauleenchuchotant:—Arrête,c’estducinéma.Onlapaiepourtejouercettecomédie.Netelaissepasimpressionner.Mavoixadûtirernotreinterlocutricedesesfaussestransescarellesemetàtapoterlatablecomme

pourattirernotreattention,commesiellenevenaitpasdenousjouerlagrandescènedutrois.Sesdoigtsseposentsurlacartequej’aisortietoutàl’heuredupaquet.Ellenousregardel’unaprès

l’autredanslesyeux.—Cette carte, énonce-t-elle lentement, c’est votre réponse.Combinée avec les autres, elle vous

dirapourquoivousêtesvenuslà.Ellelaretourne.Ellenebougepas,lesyeuxfixéssurlacarte,danslecalmeabsoluquinousentoure.Commeparun

faitexprès,unedesbougiess’éteint.Encoreunejolietrouvaille,medis-je.Jeregardelacarteretournée.Aucunmotn’yesttracé.Pasdetitre.Pasd’image.Lacarteestvide.JesensCharlieseraidiret,cettefois,jelafaislever.—C’estnul!dis-jeàhautevoixenrepoussantmachaise.Jen’enveuxpasàcettefemmequiessaiedenousfairepeur.C’estsonboulot.Jeluienveuxparce

qu’elleyarrivevraimentavecCharlie,toutenconservantsafaçaderidicule.JeprendslevisagedeCharlieentremesmains.—Elleaposécettecartepourtefairepeur.Tunevaspascroireàcesconneries.Là-dessus,jelaprendsparlesmainsetl’entraîneverslasortie.—Iln’yapasdecarteviergedansmonjeudetarot,s’exclamelacartomancienne.Jem’arrêtenet,meretourneverselle.Pasàcausedecequ’ellevientdedire,maisdelafaçondont

ellel’adit.Commesielleavaitpeur.Peurpournous?Jepousseunsoupir.C’estunecomédienne,Silas.Calme-toi.J’ouvre la porte et entraîne Charlie dehors, sansm’arrêter jusqu’au premier carrefour. Une fois

qu’onseretrouveloindelaboutique, loindesafichueenseigneclignotante, jem’arrête,attireCharliecontremoi.Ellem’entouredesesbras,enfouitlatêtecontremapoitrine.

—Oublietoutça,dis-jeenluicaressantledos.Lesdiseusesdebonneaventure,lestarots…c’estridicule,Charlie.

Relevantlatête,ellemefixed’unregardnoir.

Page 93: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Commetudis,aussiridiculequenousdeuxquandonseréveilleenpleinlycéesansplussavoirquionest?

Là, je m’écarte un peu d’elle, me passe la main dans les cheveux, rejoint par cette amèreconstatation.Jepeuxtoujoursessayerd’enrire.Jepeuxrejetersesthéoriesfoireusesautourdestarotsetdes contes de fées, n’empêche qu’elle a raison. Tout cela ne tient pas debout. Et plus on essaie derésoudrecemystère,plusj’ail’impressionqu’onperdnotretemps.

Page 94: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

13

Charlie

Ilserreleslèvres,secouelatête.Ilveutsortirdelà.Jeperçoissonanxiété.—Ondevraitpeut-êtreretournerluidemanderdesprécisions,dis-je.—Pasquestion.Jerefused’yremettrelespieds.Surlemoment,j’aipresqueenvied’yallertouteseule.Jemeretournejusteàl’instantoùlepanneau

«Ouvert»s’éteint.Laboutiqueplongealorsdansl’obscurité.Jememordslajoue.Jepourraisrevenirseule,peut-êtrequ’ellem’endiraitdavantage.

—Charlie!appelle-t-il.Jecourslerejoindre.Onvoitnotresouffleblancquandonmarche.Voilàlongtempsqu’iln’aplus

faitsifroid.Jemefrottelesmains.—J’aifaim.—Tuastoujoursfaim,observe-t-il.Jen’aijamaisvuquelqu’undesipetitmangerautant.Cettefois,ilneproposepasdem’inviter,alorsjecontinuedemarcheràcôtédelui.Jelance,surle

tondelaplaisanterie:—Qu’est-cequis’estpassélà-bas?—Quelqu’uns’estamuséànousfairepeur.Voilà.—Etsielleavaitraison?S’iln’yavaitpasdecarteviergedanssonjeudetarot?—Non,arrête!J’évitedejustesseunhommequidansaitàreculonssurletrottoir.—Jenecomprendspascommenttupeuxécartersifacilementcettesolution,dis-jeentremesdents,

surtoutdanslescirconstancesquinousconcernent.Tunecroispas…—Sionparlaitd’autrechose?—Quoi ? Genre ce qu’on va faire le prochain week-end ? Ou, tiens, plutôt, ce qu’on a fait le

dernierweek-end?Saufsitupréfères…

Page 95: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Soudain,jemetapesurlefront:—L’ElectricCrush!—Quoi?demandeSilas.L’Electricquoi?—Onyestallés.Ensemble,leweek-enddernier.J’aitrouvéunreçudanslapochedemonjean.Ilmedévisaged’unaircontrarié,tandisquejecontinued’expliquer:—J’yaiemmenéJanettehiersoir.Unserveurm’areconnue.—Hé!crie-t-ilpar-dessusmonépaule.Situlatouchesavecça,jetecasseendeux!Je jette un regard derrièremoi et vois un homme orienter unemain géante enmousse versmes

fesses.Maisilreculedevantlamenace.—Pourquoitunem’aspasparlédeça?medemandeensuiteSilas.Çan’aplusrienàvoiravecles

diseusesdebonneaventure.C’estimportant.—Jenesaispas.Jevoulais…Ilm’attrapeparlamainmais,cettefois,paspournotreplaisir,justepourm’entraînerplusvitedans

larue,toutentapotantdesesdoigtslibressursontéléphone.Jesuisàlafoisimpressionnéeetlégèrementagacée qu’ilme parle ainsi.On a sans doute partagé bien des choses dans notre autre vie,mais danscelle-ci,jeneconnaismêmepassondeuxièmeprénom.

—C’estsurNorthRampartStreet,dis-jepourl’aider.—Oui.Ilestfurieux.Perso,j’aimebiensonpetitairdéprimé.Ontraverseunparcavecunefontaine.Des

vendeursontétaléleursœuvreslelongdelabarrière;ilsnousdévisagentalorsquenouspassons.LàoùSilas effectueunpas, ilm’en faut trois si je neveuxpas être semée.Alors je trotte.Onmarche ainsijusqu’àcequemespiedsmefassentmaletquejedétachemamaindelasienne.

Ils’arrête,seretourne.Jenesaispasquedire,nicequim’énerve,alorsjeposelespoingssurleshanches.—Qu’est-cequinevapas?medemande-t-il.—Jen’ensaisrien.Maistunevaspasmefairefaireletourdelavillecommeça!Jenemarche

pasaussivitequetoietj’aimalauxpieds.Çamerappellequelquechose.Maisquoi?Mâchoiresserrées,ildétournelatête.Et,d’unseulcoup,toutseproduitenunquartdeseconde.Il

me soulève du sol et repart en me portant dans ses bras. D’abord, je pousse un petit cri, et puis jem’installe,passelesbrasautourdesoncou.J’aimebiensentirainsisoneaudetoilette,touchersapeau.JenemerappellepasavoirvuunebouteilledeparfumparmilesaffairesdeCharlie,etjenemevoispasenmettre.Quefaut-ilenconclureausujetdeSilas?Qu’aucœurdetoutesceshistoires, ilasongéàs’arroserdetroisgouttescematin.Attacherait-iltantd’importanceàcespetitsdétails?

Tandisquejemeposecesquestions,ils’arrêtepourdemanderàunefemme,quivientdetomberaumilieude la rue, si ellevabien.En fait, elle est complètement ivre.Enessayantde se redresser, ellemarchesurlebasdesarobeetretombeenavant.Silasmedéposeprèsdeluipoursepenchersurelle.

—Voussaignez?demande-t-il.Vousvousêtesblessée?

Page 96: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Il l’aideàserelever, laconduitprèsdemoi.Elleadumalàarticuleret finitpar luicaresser lajoue;jemedemandes’ilsavait,enallantl’aider,quec’étaituneSDF.Jen’aipasenviedelatoucher.Elle sent mauvais. Elle s’éloigne d’un pas incertain et il la suit du regard. Il semble soucieux. Il lasurveille jusqu’à ce qu’elle disparaisse au coin de la rue. Alors seulement il paraît s’inquiéter del’endroitoùjepeuxmetrouver.

Brusquement,jeconstatequeCharlien’estpasaussigentillequeSilas.Ilesttrèsdifférentd’elleetc’estsansdoutepourçaqu’ellel’aime;maisc'estaussipourçaqu’elles’esttournéeversBrian,carellenesesentaitpasdignedeSilas.

Etmoinonplus.Ilmedécocheundemi-sourireetj’ail’impressionqu’iln’osepastropmontrercequ’ilressent.—Prête?J’ai envie de lui dire qu’il a bien agi,mais ça fait un peu nunuche.C’est à la portée de tout le

monde, alors qu’il a agi par pur instinct. Il est d’une gentillesse innée. Jamais ce genre d’idée nemeseraitvenue.Jepenseàcepremiermatin,quandlafilleafaittomberseslivresàmespieds.Ellem’ajetéunregardeffrayé.Ellenes’attendaitpasdutoutquejel’aide.Aucontraire.Quepouvait-ellecraindre?

On avance en silence. Il vérifie son téléphone toutes les cinqminutes pour s’assurer qu’on restedanslabonnedirectionetjesurveillesonexpression.Jemedemandesic’estcequ’onressentquandontientàquelqu’un;s’ilsuffitderegarderunhommeaiderunefemmepouréliminercegenredesentiment.Etpuisonarrive.Ilmedésignel’autrecôtédelarueetjehochelatête:

—Oui.C’estça.Encoreque…Ledinern’apluslamêmeallurequequandj’ysuisvenueavecJanette.Là,çavibre

etçafaitdubruit.Deshommessesontalignéssurletrottoirpourfumer;ilss’écartentpournouslaisserpasser.Jesenslesvibrationsdelacontrebassedansmesjambesdevantlaported’entrée,quis’ouvresurungroupedeclients.Unefillesortenriant,savestedefourrurerosem’effleurelevisage.Àl’intérieur,lesgenssefraientuncheminàcoupsdecoudesetdehanches.Sibienqu’onadroitàquelquesregardsdésagréables. Ici c’est ma place, dégage. J’attends le reste de ma bande, tire-toi. On néglige lesquelquesplacesvidesdudevantpournousrendreverslefond;parfoisonselaissesurprendrepardeséclatsderire.Unverreserenversesurmeschaussures,quelqu’uns’excuse.Jenesaismêmepasqui,ilfaittropsombre.Etc’estlàqu’onappellenosnoms:

—Silas!Charlie!Parici!Ungarçonet…quelleétaitlafillequim’aaccompagnéecematin?Annie…Amy?—Hé,dit-ellealorsqu’ons’approche.J’ycroispas!Vousrevoilàmalgréledernierweek-end?—Çat’étonne?demandeSilas.Jeprendslaplacequ’onm’offreetregardemestroiscompagnons.—Tuboxesunmec,turenversesdeuxtablesettutrouvesnormalderevenir?s’esclaffelegarçon.Àla façondont il la regarde, jecroisquec’est lepetitcopaind’Annie/Amy. Ilsont l’airprêtsà

s’engagerensemble.Peut-êtrepourlavie.

Page 97: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Et c’est ainsi qu’on se regarde, Silas et moi. Sauf qu’on est vraiment engagés, on ne sait pasjusqu’où.

—Tuasvraimentfaitlecon,lance-t-elle.—Amy!intervientlegarçon.Arrête.Amy!JevoudraisensavoirdavantagesurceluiqueSilasaboxé.—Ill’avaitbienmérité,dis-je.Amyprendunairoutrémaisellesembleavoirpeurderépondrecarellesedétourne.Alorsj’essaie

lepetitcopain,d’untoninnocent:—Tunetrouvespas?Haussantlesépaules,ils’assiedprèsd’elle.Ilsonttouspeurdemoi,maispourquoi?JecommandeunCoca,etlà,Amyécarquillelesyeux.—UnCocanormal?lance-t-elle.Pasunlight?—J’ail’aird’avoirbesoindelight?Àmaréponseirritée,elleserecroquevillesansriendire.Jenesaispascequim’apris,promis…

MieuxvautquejelafermeetlaisseSilasjouerlesdétectivesavantquejen’agresselaterreentière.Ilselaissetomberàcôtédupetitcopainettousdeuxsemettentàbavarder.Lamusiquebraillesifortqu’onn’entendriendecequ’ilspeuventseraconter,etAmyfaitsonpossiblepourm’ignorer,alorsjeregardeautourdemoi.Lesgens…ilsonttousdessouvenirs…ilssaventquiilssont.Jesuisjalouse.

—Onyva,Charlie!Deboutdevantmoi,Silasm’attend,sousl’œild’Amyetdesoncopain.C’estunegrandetable.Je

medemandequidoitvenirlesrejoindreetcombienparmieuxmedétestent.Unefoisdehors,Silass’éclaircitlagorge.—Jemesuisbagarré.—J’aientendu.Ilst’ontditavecqui?—Oui.J’attends,etcommeilnerépondpas,j’insiste:—Alors…?—J’aimismonpoingdanslagueuledupropriétaire.LepèredeBrian.—Maispourquoi?Ilsefrottepensivementlamâchoire.—Parcequ’iladitquelquechosesurtoi.—Moi?J’enailecœurretourné.Jesaiscequivas’ensuivre,enmêmetempsjenesaisrien…—Iladitqu’ilvoulaitt’engagercommeserveuse…Bon,passimal.Onabesoind’argent.—ParcequetuétaislacopinedeBrian.Alorsjel’aifrappé,jecrois.—Merde.

Page 98: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Ouais.Etcegarçon—Eller—aajoutéqu’onferaitmieuxdes’enalleravantquelepèredeBriann’appellelesflics.

—Lesflics?—JecroisquemonpèreetceluideBrianonttravailléensemblesuruneaffaire.C’estpourçaque,

lasemainedernière,ilaacceptédenepasporterplaintecontremoi,maisjenedoispasyremettrelespieds. En plus, Landonm’a appelé. Il semblerait quemon père se demande pourquoi j’ai abandonnél’entraînement.Ondiraitqueçaénervepasmaldemonde.

—Oups!—Ouais,oups.Çan’apastropl’airdeletourmenter.Onreprendlemêmecheminpourrentrer,sansdireunmot.Onpassedevantplusieursartistesderue

quejen’avaispasvusàl’aller.Deuxd’entreeuxontl’aird’uncouple.L’hommejouedelacornemuseetlafemmedessinesurletrottoiravecdescraiescolorées.Alorsqu’onenjambesesœuvres,Silassortsonappareil pour les photographier tandis qu’elle transforme quelques traits en un couple en train des’embrasser.

Uncoupleentraindes’embrasser.Çamedonneuneidée.—Ilfautqu’ons’embrasse,luidis-je.Ilenlâchepresquesontéléphone,écarquillelesyeux.—Pourvoirs’ilsepassequelquechose…commedanslescontesdefées.—Ah…oui,biensûr.D’accord.Oùça?Maintenant?Levantlesyeuxauciel, jemedirigeversunefontaine,prèsd’uneéglise,etilmesuit.J’aimerais

bienvérifierlatêtequ’ilfaitmaistantpis.C’estjustepourvoir.Uneexpérience.Riend’autre.Ons’assiedtouslesdeuxauborddelafontaine,maisjen’aipasenviequeçasepasseainsi,alors

jemerelèveenmurmurant:—Bon.Fermelesyeux.Cequ’ilfait.Unsourireauxlèvres.—Nelesrouvresurtoutpas.Jeneveuxpasqu’ilmevoie.Jesaisàpeineàquoijeressemble;j’ignoresimonvisagegrimace

quandjesuisénervée.Illèvelatête,jelabaisse.Jeposelesmainssursesépaules,senslessiennesmesaisirparlataille,

m’attirervers lui, entre sesgenoux.Soudain, elles remontent, sespoucesviennent seglisser sousmonsoutien-gorge.Moncœurseserre.

—Pardon,dit-il.Jenevoispascequejefais.Celamedonneenviederireetjesuiscontentequ’ilnevoiepasmaréaction.Cequinem’empêche

pasd’ordonner:—Remetstesmainssurmataille.Illefaitavecuntelempressementquesespaumesatterrissentsurmesfesses.Commeilinsisteun

peu,jeluitapesurlebras.

Page 99: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Quoi?dit-ilenriant.Jenevoisrien!—Plushaut.Ilobéitmaislentement.Jemehissesurlapointedespieds.—Plushaut,dis-jeencore.Ilremontedecinqcentimètres.—Çava…Sanslelaisserfinirsaphrase,jemepenchepourl’embrasser.Audébut,ils’amuse,encoreenplein

jeu,mais,quandilsentmeslèvressurlessiennes,sonsouriredisparaît.Jegoûteainsiàladouceurdesabouche.Jesaisissonvisageentremesmains,tandisqu’ilm’attire

davantage,sesbrasplaquésdansmondos.J’embrassed’enhaut,luid’enbas.Audébut,jepensequ’onvas’enteniràunpetitbisou,commeonenvoitdanslescontesdefées.Unpetitboucheàboucheetlamalédictionestbrisée.Ondevraitdéjàavoirrécupérénossouvenirs,sicebaiserétaitopérant.L’épreuves’achèveraitlà,maisnil’unnil’autrenenousarrêtons.

Ilembrassedeses lèvresdoucesmaisd’une languebienferme.Ellen’ariendebaveuxet remuedevantetdansmabouche;ses lèvresaspirentdoucement lamienne.Jeparcourssanuqueduboutdesdoigts,remonteverssescheveux,etc’estlàqu’ilselève,m’obligeantàchangerdeposition.Jeparviensdejustesseàmasquerunsoupir.

Àprésent,c’estmoiquiembrassed’enbaset luid’enhaut.Saufqu’ilmetientcontrelui, lebrasm’entourantlataille,samainlibreplaquéesurmanuque.Jem’accrocheéperdumentàsachemise.Lèvresdouces, langue… fureteuse entremes lèvres…pression dansmon dos…quelque chose qui se dresseentrenousdeuxetmedonneuneboufféedechaleur.Jem’écarte,lesoufflecourt.

Jeleregarde,ilmeregarde.Quelquechosevientdeseproduire.Pasnossouvenirsquiseseraient réveillés,maisautrechose

quinousdonneunesortedevertige.Etjemedis,alorsquej’aienviequ’ilm’embrasseunenouvellefois,quec’estexactementcequ’il

nefautpasfaire.Nousallonsavoirdeplusenplusenviededécouvrircequenoussommesdevenusetoubliercequenousétions.

Ilsepasseunemainsurlevisage,commepoursecalmer.Ilsourit.—Jemefichedecequ’apuêtrenotrevraipremierbaiser,dit-il.Moi,c’estcelui-ciquejeveuxme

rappeler.Jephotographiementalementsonsourirepourneplus jamais l’oublier,puis jeme tourneetm’en

vais.—Charlie!crie-t-il.Sans répondre, je poursuismon chemin. C’était idiot.Qu’est-ce que j’allaism’imaginer, aussi ?

Jamaisunbaisernenousrendranossouvenirs.Onn’estpasdansuncontedefées.Ilm’attrapeparlebras.—Hé!Ralentis.Àquoitujoues?Jecontinued’avancerdansladirectionparlaquellenoussommessûrementarrivés.

Page 100: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Jecroisquejedoisrentrerchezmoi.VérifiersiJanetteadîné…et…—Avecnous,Charlie.Jesenssonregardposésurmoi.—Iln’yapasdenous,dis-jeenmeretournantvers lui.Tun’aspasentendu?Onavaitpresque

rompuetjesortaisavecBrian.Sonpèreallaitm’embaucheret…—Nousexistions,Charlie.Et,bonsang,jevoisbienpourquoi!Jesecouelatête.Onnedoitpassedétournerdenotreobjectif.—C’étaittonpremierbaiser,dis-je.Çam’afaitlamêmeimpressionqu’avectouslesautres.—Ahbon,çat’adonnécetteimpressionàtoiaussi?Ilmerejointencourant,seplantedevantmoi.J’aipresqueenviedeluidirelavérité.Quesij’étaismorte,commeBlanche-Neige,etqu’ilm’avait

embrasséecommeça,moncœurseseraitsûrementremisàbattre.Queceseraitmoiquiauraiscombattulesdragonspourcebaiser.

Maisonn’apasletempsdes’embrasserainsi.Ilfautqu’ontrouvecequis’estpasséetcommentyremédier.

Je n’ai rien senti, dis-je. C’était juste un baiser d’enfant, et qui n’a pas fonctionné.Mensongetellementignoblequ’ilmerongelestripes.

—Ilfautquej’yaille.—Charlie…—Onsevoitdemain.Je lui adresse un signe de la main sans me retourner, de peur de céder à la tentation si je le

regardais. Mais ce ne serait pas une bonne idée. Pas tant qu’on n’en saura pas davantage sur notresituation. Jecroisqu’ilvamesuivre,alors jehèleun taxi. J’ouvre laportière,me retourneversSilaspourluimontrerquetoutvabien.Ilhochelatêtepuissoulèvesontéléphonepourmeprendreenphoto.Lapremièrefoisqu’ellem’aquitté,doit-ilsonger.Aprèsquoi,ilplongelesmainsdanssespochesetrepartdansladirectiondesavoiture.

J’attendsqu’ilaitdépassélafontaineavantdemepencherpourdireauchauffeur:—Désolée,j’aichangéd’avis.Aprèsavoirclaquélaportièrederrièremoi,jeredescendssurletrottoir.Detoutefaçon,jen’aurais

paseudequoilepayer.JevaisretourneraudineretdemanderàAmydemeramener.Letaxis’éloigneetjeplongedansuneruedifférente,afinqueSilasnerisquepasdem’apercevoir.

Etpuisj’aibesoind’êtreseule.Pourréfléchir.

Page 101: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

14

Silas

Encoreunenuitdesommeilmerdique.Saufque,cettefois,çanevientpasdufaitquejem’inquiétaissurmon sort, nimême sur ce qui nous faisait perdre nos souvenirs, à Charlie et àmoi.Monmanque desommeilprovenaitdedeuxobsessions:notrebaiseretlaréactiondeCharlieàcebaiser.

Jenesaispaspourquoielleestpartie,nipourquoielleavouluprendreuntaxiplutôtquerentreravecmoi. À la façon dont elle a répondu à ce baiser, j’aurais juré qu’elle avait éprouvé lesmêmessensationsquemoi.Certes,cen’étaitpasunbaiserdecontedeféespropreàbriserunemalédictionmaisjenecroispasqu’ons’attendaitàçanonplus…sions’attendaitàquoiquecesoitd’autrequ’unpeud’espoir.

Entoutcas,jenepensaispasqu’ilseproduiraitquoiquecesoitd’autreunefoisqu’elleaposéseslèvressur lesmiennes,pourtantc’estarrivé.J’aicessédepenserà la raisonquinousavaitpoussésànousembrasseretàtoutcequiavaitpusepasserdanslajournée.Jenecomprenaisplusqu’unechose:elles’agrippaitàmachemise,m’attiraitcontreelle,carelleenvoulaitencoredavantage.J’entendaissonsoufflehaletant entre chaquebaiser car, dèsquenosbouches se rencontraient, onne respirait plus.Etmêmequandellearrêtaitpours’éloignerunpeu,jevoyaisencoresonregardébahi,etcettefaçonqu’elleavaitdecontemplermeslèvres.

Pourtant,elleafinipars’éloigner.Maissij’aiapprisquelquechosesurCharliecesdeuxderniersjours,c’estqu’ilexisteuneraisonàchacunedesesactions.Engénéralunebonneraison;c’estpourçaquejen’aipastentédel’arrêter.

Montéléphonereçoituntextoetjemanquedetomberenmefaufilanthorsdeladouchepourallerregarder.Jen’aiplusreçudenouvellesd’elledepuisqu’ons’estséparés,hiersoir,etjementiraissijedisaisquejenecommençaispasàm’inquiéter.

Mesespoirss’évanouissentquandjeconstatequecemessageneprovientpasdeCharlie,maisdugarçonàquij’aiparléaudiner,Eller.

Page 102: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

AmyvoudraitsavoirsituasemmenéCharlieaulycéeavectoi.Personnechezelle.

Jecoupel’eaubienquejenemesoispasencorerincé.J’attrapeuneservietted’unemaintoutenrépondantdel’autre:

Non,pasencoreparti.Ellel’aappelée?

Dèsquej’envoieletextojecomposelenumérodeCharlie,appuiesurlehaut-parleurpuisreposeletéléphonesurlecomptoir.Letempsquesonrépondeursedéclenche,jesuishabillé.

—Merde!Jecoupelacommunication,ouvrelaporte,passeparmachambreletempsd’enfilermeschaussures

etdeprendremesclefs.Jedescendsmaism’arrêtenetavantd’ouvrirlaported’entrée.—Maman?Çam’estsortiinstinctivementdelabouche.Ellefaitvolte-faceet,bienquejenelareconnaisseque

d’après les photos accrochées au mur, je crois ressentir quelque chose. J’ignore quoi. Ni amour nireconnaissance,entoutcas.Jesuisjustesubmergéparunesensationdecalme.

Non…deréconfort.C’estbiença.—Bonjourmongrand,lance-t-elleavecunlargesourirequiluiplisselecoindesyeux.Elleestentraindepréparerlepetitdéjeuner,àmoinsquecenesoitlavaissellequisuit.—Tuasvulecourrierquej’aiposésurtonbureau,hier?Commentvas-tu?Landonluiressembleplusquemoi,lamâchoireplusfine,tandisquej’aicellebiencarréedemon

père.Etpuisilsembleprendrelaviecommeelle,avecconfiance.Latêtepenchée,elleserapprochedemoi.—Silas,çava?Quandelletendlamainversmonfront,jerecule.—Oui,çava.Ellereportecettemainsursoncœur,commesimaréactionl’avaitblessée.—Oh,dit-elle.Bon,trèsbien.Tuasdéjàmanquédescourscettesemaineettuasunmatchcesoir.Elleretournedanslacuisine.—Tunedevraispasresterdehorssitardquandtuesmalade.Jemedemandepourquoielleditça.Aprèstout,c’estlapremièrefoisquejelavoisdepuiscequi

m’estarrivé…EzraoumonpèreontdûluiparlerdelaprésencedeCharlieici.—Jemesensbien,maintenant,dis-je.J’étaisavecCharliehiersoir,c’estpourçaquejesuisrentré

tard.Ellenemordpasàl’hameçon,nemeregardemêmepas.J’attendsencorequelquessecondes,aucas

oùellerépondraitquelquechose.Maisnon,alorsjemedirigeverslaported’entrée.

Page 103: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Landonm’attenddéjàdanslaRover.Jejettemonsacàl’arrièrepuisouvrelaportièreavant.Monfrèremetendalorslamain.

—Tiens,çasonnait.Jel’aitrouvésoustonsiège.Jeprendsletéléphonequ’ilmetend.CeluideCharlie.—Ellel’alaissédansmavoiture?Ilhausselesépaules.Jevérifiel’écran.Elleamanquéplusieursappelsettextos.Jevoislenomde

Brian,etaussiceluid’Amy.J’essaied’ouvrirleursmessagesmaisonmedemandeunmotdepasse.—Onyvaouquoi?lancemonfrèreexaspéré.Onestdéjàenretard!Jem’installeauvolant,posel’appareildeCharliesurlaconsoleletempsdereculer.Quandjele

reprendspouressayerdetrouverlemotdepasse,Landonmel’arrachedesmains.—Ettonaccrochagel’annéedernière,çaneterappellerien?Jen’aimepasça.Charliesanssontéléphone,Charliequin’attendpasAmypouralleraulycée.Si

elleétaitdéjàpartie,quil’aemmenée?Jenesaispastropcommentjeréagiraissij’apprenaisquec’étaitBrian.

— Bon, marmonne Landon. Ne le prends pas mal si je te demande ça… Mais… Charlie estenceinte?

Je freinebrusquement.Coupdechance, ily a justementun feudevantnousquipasseà l’orange,doncçapeutparaîtreuneréactionnormale.

—Enceinte?Pourquoi?Quit’aditça?Ilsecouelatête.—Non,c’est juste…Jenesaispas.J’essaiedecomprendrecequi t’arrive.Etçam’asembléla

seuleréponsepossible.—Jemanquel’entraînementhierettuenconclusqueCharlieestenceinte?Ilétouffeunpetitrire.—Iln’yapasqueça,Silas.Mais tu tebatsavecBrian, tumanques tous lesentraînementsde la

semaine,tutebarresdulycéelundienpleinaprès-midi,tumanquestoutlemardi,lamoitiédemercredi.Çaneteressemblepas.

J’aiséchélescourscettesemaine?—Sans compter qu’avecCharlie vous faites des trucs bizarres quand vous êtes ensemble.Vous

n’étiezpascommeça, avant.Tuoubliesdeme rameneraprès les cours, tu tebarres toute la semaine,alorsjenesaispassituveuxmedirecequisepassemaisçacommenceàvraimentm’inquiéter.

Jesenssadéception.On était proches.C’est vraiment un frère sympa. Il devait connaître tousmes secrets, toutesmes

pensées.Jemedemandesic’estdurantnostrajetsentrelamaisonetlelycéequ’onseracontaittout.Etsijeluidisaiscequimetourmenteencemoment…est-cequ’ilmecroirait?

—Feuvert,lance-t-il.Jerepars.Maisjeneluifaisaucuneconfidence.Jenesaispasparoùcommencer.Jesaisjusteque

jeneveuxpasluimentirparcequeçanem’apasl’airderessembleràl’ancienSilas.

Page 104: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Dèsquejemegaresuruneplacedeparking,ilouvresaportièreetsort.Jel’appelleàladernièreseconde.

—Landon!Ilsepenche,l’airinterrogateur.—Désolé,dis-je.J’aieuunesemainecompliquée.—J’espèrequeças’arrangeraavantlematchdecesoir.Parcequetescoéquipiersnet’ontpasàla

bonne,encemoment.Claquantlaportière,ilprendladirectiondubâtiment.JesaisisletéléphonedeCharlieetm’yrends

moiaussi.

***

Commejenel’aipascroiséedanslescouloirs,j’aiassistéàmesdeuxpremierscours.Jemedirigevers le troisième, toujours sans aucune nouvelle d’elle. Elle a dû avoir une panne d’oreiller. On seretrouveraauquatrièmecours.N’empêchequequelquechosenetournepasrond.

Etsiellem’évitait?Non,çaneluiressemblepas.Ellem’auraitditenfacequ’ellenevoulaitplusmeparler.

Jevaischerchermonbouquindemathsdansmoncasier.Enmêmetempsjevérifieraidanslesiens’ilymanquedescahiers,saufque jeneconnaispassacombinaisond’ouverture. Ilétaitécritsursonemploidutempsmaisjeleluiaidonnéhier.

—Silas!Jeme retourne pour apercevoir Andrew qui tente de se frayer un chemin parmi la foule, tel un

poissonàcontre-courant.Ilfinitparabandonneretmecrie:—Janetteveutquetul’appelles!Là-dessusilseretourneetreprendl’autredirection.Janette…Janette…Janette…LasœurdeCharlie!Jetrouvesonnomparmilescontactsdemontéléphone.Elleréponddèslapremièresonnerie.—Silas?—Oui,c’estmoi.—Charlieestavectoi?Prisd’undébutdepanique,jefermelesyeux.—Non.Ellen’estpasrentrée,hiersoir?—Non,ditJanette.Enprincipe,jenedevraispasm’inquiéter,maiselleprévientquandelleneva

pasrentreràlamaison.Ellen’apastéléphoné,etlà,ellenerépondpasàmestextos.—C’estmoiquiaisontéléphone.—Commentçasefait?—Ellel’alaissédansmavoiture.

Page 105: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Jefermemoncasieretm’apprêteàgagnermasalledecours.—On s’est disputés hier soir, dis-je encore, et elle est partie en taxi. Je croyais qu’elle allait

rentrerdirectement.Prisd’uneidéesubite,jem’immobilise.Ellen’avaitpasd’argentpourdéjeuner,hier,commenten

aurait-elleeupourpayerletaxi?Toutd’uncoup,j’annonceàJanette:—J’yvais.Jevaislachercher.Je file sans lui laisser le temps de répondre. Je fonce vers le parking mais, avant de sortir du

bâtiment,jem’arrêtenet.Avril.Merde.Cen’estvraimentpaslemoment.Jedétournelatêteetpassedevantelle,maisellem’attrape

parlamanchedemachemise.Bienobligédeluifaireface.Lâchantmachemise,ellem’entouredesesbras.—Onnes’estpasvushieraudéjeuner.J’aicruquetuseraisenretard.Etpuis j’ai jetéuncoup

d’œilàlacafétéria,ettuyétais,avecelle.Maisnon!Jen’aipasletemps.Jeferaismieuxdecouperlespontsdèsmaintenant.Ceseraitfait.Jemepasseunemaindanslescheveux.—Oui,Charlieetmoi…onadécidédeseremettreensemble.Avrilmejetteunregardincrédule.—Non,Silas.Tun’asjamaisvouluçaettunem’enconvaincraspas.J’examinelehalld’entréeàgauche,puisàdroite.Constatantqu’ilnes’ytrouvepluspersonne,je

m’avanceverselle:—Écoutez,madameAshley,dis-jed’untonaussiprofessionnelquepossible, jenecroispasque

voussoyezenmesuredemedirecequipeutsepasserentreelleetmoi.Lesyeuxécarquillés, elledemeure silencieusequelques secondes commesi elle s’attendait àme

voiréclaterderireetdirequec’estuneplaisanterie.Commeçan’arrivepas,elleserembrunit,metapeletorsedesesmainscommepourm’écarterdesonchemin.Sestalonss’éloignentenclaquantsurlesoltandisquejefileversleportaildel’entrée.

***

JefrappepourlatroisièmefoisàlaportedelamaisondeCharliequandcelle-cis’ouvreenfin.Samèremefaitface.Lescheveuxenbataille, l’airhagard.Quandellemereconnaît,ellesembleprisedenausée.

—Qu’est-cequetuveux?demande-t-elle.J’essaiedejeteruncoupd’œilderrièreellemaiselles’arrangepourmebloquerlavue.—JevoudraisparleràCharlie.Elleestlà?Ellerefermepresquecomplètementlaporte,feuledansl’interstice:—Çaneteregardepas.Fichelecampdechezmoi!

Page 106: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

—Elleestlàoupas?—Sitavoitureestencorelàdanscinqsecondes,j’appellelapolice!—Écoutez,jem’inquiètepourvotrefille,alors,s’ilvousplaît,oubliezvotrecolèreuneminuteet

dites-moisielleestlà.Elleressortunpeu,mepointeundoigtsurlapoitrine.—Cessedememenacer!Bonsang.Brusquement,jelabousculeetrouvrelaported’uncoupdepied.Là,c’estl’odeurquimeprendaux

tripes. Fétide.Ça empeste la cigarette. Je retiensmon souffle et entre dans le salon.Une bouteille dewhiskyouvertetraînesurlebar,àcôtéd’unverrevide.Unemassedecourrierattendsurlatable,desjoursetdes joursdecourrier, semble-t-il.Àcroirequecette femmese fichedecequ’ilcontient.UneenveloppeestadresséeàCharlie.

Jem’apprêteàlasaisirquandj’entendslespaslentsdelafemmequirevientderrièremoi.Jemeprécipitedanslecouloir,aperçoisdeuxportesàmadroite,uneàmagauche.J’ouvrecelle-là,alorsquelamèredeCharliesemetàcrier.Tantpis,j’entrequandmêmeetcrieàmontour:

—Charlie!Je sais bien qu’elle n’est pas là mais j’espère encore me tromper. Sinon, je ne vois pas où la

chercher.Jenemerappelleaucundesendroitsquenousfréquentionsensemble.EtCharliesansdoutepasnonplus.—Silas!hurlesamèresurleseuildelachambre.Sorsdelà!Va-t’enouj’appellelapolice.Elle disparaît, sans doute pour aller décrocher un téléphone. Je continue à chercher… je ne sais

mêmepasquoi.Àl’évidence,Charlien’estpaslà,maisjeregardequandmême,enespéranttrouverunindicequelquepart.

JesaisquellepartiedelachambreoccupeCharlie,grâceàlaphotodelagrilleau-dessusdesonlit.Celledontjeseraisl’auteur.

Etpuisjemesouviensqu’elleamentionnéungrenierauquelonaccédaitparleplacard.Jel’ouvreet découvre en effet une petite trappe au plafond. On dirait qu’elle se servait des étagères en guised’échelle.Jecrieencore:

—Charlie!Rien.—Charlie,tueslà-haut?Alorsquejevérifiedupiedlasoliditédel’étagèredubas,quelquechosefrappelecôtédematête.

Jemeretournemaisplongeenvoyantarriveruneassiettequivients’écrasercontrelemur.—Va-t’en!crielafemme.Ellesemblechercherautrechoseàlancersurmoi,alorsjelèvelesbras,commesijemerendais.—C’estbon,dis-je,jepars.Elles’écartepourmelaissersortirmaiscrieànouveaudèsque j’atteins l’entrée.Aupassage, je

prendslalettreadresséeàCharlie,sansmedonnerlapeinededireàsamèrequ’ellem’appellesijamais

Page 107: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

ellerentre.Jereprendsmavoiture,descendslarue.Oùpeut-ellebienêtre?J’attendsdemetrouveràquelqueskilomètresavantdemegarerpourvérifierunenouvellefoisson

téléphone.Landonadit l’avoirentendusonnersousmonsiège.Jepasse lamainpar terre,ensorsunecanettedesodavide,unechaussureet,enfin,sonportefeuille.Jel’ouvre,fouille,maisnedécouvreriendespécial.

Ellesetrouvejenesaisoù,sanstéléphone,sansargent.Elleneconnaîtaucunnuméroparcœur.Siellen’estpasrentréechezelle,oùa-t-ellepualler?

Jetapesurlevolant.—Merde,Silas!Jamaisjen’auraisdûlalaisserpartirseule.C’estmafaute.Jereçoisuntextosurmontéléphone.DeLandon,quidemandepourquoijesuisparti.Jelereposeetaperçoisalorslalettrequej’aiprisechezCharlie.Pasd’adressedel’expéditeur.Le

cachetdeladateindiquemardi—laveilledujouroùcelanousestarrivé.J’ouvrel’enveloppe,ytrouveplusieursfeuilletspliésensemble.Audosdupremier,onaécrit:«À

ouvririmmédiatement».Jeledéplieettombeaussitôtsurlesdeuxnomsécritsenhautdelapage.

CharlieetSilas

C’estadresséànousdeux?Jecontinuedelire.

Sivousnesavezpaspourquoivouslisezça,c’estquevousaveztoutoublié.Vousnereconnaissezpersonne.Mêmepasvous.

Veuilleznepasvousaffoleret lisezcette lettreenentier.Nousallons toutvousraconter,c’est-à-direpasgrand-chosepourlemoment.

C’estquoi,ça?Mesmainscommencentàtrembleralorsquejepoursuismalecture.

Nousnesavonspasvraimentcequis’estpassé,maisnouscraignonsque,sinousnelenotonspas,celaneseproduiseencore.Aumoins,unefois toutnotéetdistribuéenplusieursendroits,nousseronsmieuxpréparéssiceladevaitseproduireencore.

Page 108: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Sur les feuilles jointes, vous trouverez toutes les informations que nous possédions. Cela vousrendrapeut-êtreservice.

~CharlieetSilas

Jeregardelesnomsaupieddelapagejusqu’àcequemavisionsebrouille.CharlieetSilas.Etpuisànouveauceuxquisontécritsenhaut.CharlieetSilas.Ons’estécritunelettreànous-mêmes?Çanetientpasdebout.Sions’estécritunelettreànous-mêmes…Jepasseauxfeuillesquisuivent.Lesdeuxpremièresportentdesinformationsquejeconnaisdéjà:

nosadresses,nosnumérosdetéléphone,notrelycée,lescoursqu’onfréquente,lesnomsdenosfrèreetsœur,ceuxdenosparents.Jelistoutcelaaussivitequepossible.

Àlatroisièmepage,mesmainstremblenttellementquej’aidumalàendéchiffrerl’écriture.Jelaposesurmesgenouxpourfinirdelalire.Cesontdesinformationspluspersonnelles–unelistedechosesquenousavonsdéjàdéterminéessurnous,lanaturedenotrerelation,depuiscombiendetempselledure.LalettrementionneaussilenomdeBrian,quelqu’unquinecessed’envoyerdestextosàCharlie.Jesautetoutesleschosesquejeconnaispourarriveraubasdecettetroisièmepage.

Lespremierssouvenirsquenouspuissionsévoquerremontentausamedi4octobre,versonzeheuresdumatin.Onestaujourd’huiledimanche5octobre.Nousallonsfaireunecopiedecettelettrepournousmaiségalementenposterdescopies,pourplusdesécurité.

Jepasseàlaquatrièmepage,datéedemardi7octobre.

Ça a recommencé. Cette fois-ci, ça s’est passé lundi 6 octobre, pendant le cours d’histoire. Ilsemblequecesoitarrivéàlamêmeheure,quarante-huitheuresplustard.Nousn’avonsrienàajouteràlalettre.Nousavonschacunfaitdenotremieuxpourresteréloignésdesamisetdelafamilledepuishier,en faisant croire qu’on était malades. Nous avons échangé toutes les informations que nous pouvionsavoir,mais jusque-là, il sembleque ce soit arrivédeux fois.Lapremière, samedi, la deuxième lundi.Nous aurions aimé en savoir davantage,mais nous flippons parce que nous ne savons pas quoi faire.Commeladernièrefois,nousallonsnousenvoyerdescopiesdecettelettre.IlyenauraaussiuneautrecopiedanslaboîteàgantsdelavoituredeSilas.C’estlepremierendroitquenousavonsvérifiécettefois-ci,alorsilyadeschancespourquevousregardiezencorelà-dedans.

Jen’aijamaisregardédanslaboîteàgants.

Page 109: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

Nousgarderonsleslettresoriginalesdansunendroitsûrpourquepersonnenelesemporte.Car,siquelqu’unlesvoit,ousedoutedequelquechose,onnousprendrapourdesfous.ToutsetrouveradansuneboîteaufonddelatroisièmeétagèreduplacarddelachambredeSilas.Sicettehistoirecontinue,ilyaunechancepourqueçarecommencemercrediàlamêmeheure.Danscecas,cettelettredevraitvousarriveràtouslesdeuxcejour-là.

Jevérifiedenouveaulecachetdeladatesurl’enveloppe.Çaaétéenvoyétrèstôtmardimatin.Etc’estexactementmercrediàonzeheuresquetoutnousestarrivé.

Sivoustrouvezquelquechosequipuissenousaider,ajoutez-leàlapagesuivante,jusqu’àcequ’onsachecequiaprovoquétoutça.Etcommentl’arrêter.

Jepasseàladernièrepage,maiselleestvide.Je regarde lapendule. Ilestdixheurescinquante-sept.Onestvendredi.Çanousestarrivé ilya

presquequarante-huitheures.

Mapoitrinesesoulève.

Cen’estpaspossible.

Quarante-huitheuresquivontdisparaîtredansmoinsdetroisminutes.J’ouvremaconsoleà la recherched’unstylo,n’en trouvepas,etmepenchealorsvers laboîteà

gants.Toutdesuite,jevoissurledessuslamêmelettreavecnosnoms,àCharlieetàmoi.Jelasoulèveettrouvedessousplusieursstylos,alorsj’enprendsunetdéposelapagecontrelevolant.

J’écris :Ça a recommencé.Mesmains tremblent tellement que je laisse tombermon stylo. Je leramasseetmeremetsàécrire:

Mercredi8octobre,àonzeheures,Charlieetmoiavonsperdu lamémoirepour la troisièmefoisd’affilée,semble-t-il.Chosesquenousavonsapprisescesdernièresquarante-huitheures:

–Nospèrestravaillaientensemble.

–LepèredeCharlieestenprison.

J’écrisaussiviteque jepeux,enessayantdedéterminerquelspoints jedoisnoterd’abord– lesplusimportants,parcequejevaismanquerdetemps.

Page 110: © Colleen Hoover & Tarryn Fisher, 2016 - ekladata.comekladata.com/xAH3SWfQMMbZRCkoJnp2vzIg_N0/Never... · Les livres tombent sur le sol recouvert de linoléum moucheté. Ils dérapent

–Nous avons rencontré une cartomancienne surSt. PhilipStreet.Çapourrait valoir la peined’yretourner.

–Charlieamentionnéunefilleaulycée,qu’elleappellelaCrevette.Ellevoudraitluiparler.

–Charlieaungrenierdansleplacarddesachambre.Elleypassebeaucoupdetemps.

J’ai l’impressionquejeperdsmontemps.Quejen’ajouteriend’importantàcettefichueliste.Sic’estvraietqueçadoivesereproduire,jen’auraipasletempsd’envoyerunelettre,encoremoinsd’enfairedescopies.Espéronsque,sijelagardeàlamain,jesoisassezmalinpourlalireaulieudelajeter.

Jemordillemonstylopourmeconcentrersurcequejevaisécrire.

–Onagrandiensemblemais,maintenant,nosfamillessedétestent.Ellesneveulentplusqu’onsevoie.

– Silas couchait avec la conseillère d’orientation, Charlie avec Brian Finley. On a rompu avecchacund’eux.

–Landonestunfrèregénial,tudevraispouvoirluifaireconfiancesibesoinest.

Je continue à écrire. Je parle des tatouages, de l’ElectricCrush, d’Ezra et de tout ce dont jemesouviensdecesdernièresquarante-huitheures.

Lapenduleindiquedixheurescinquante-neuf.

Charlie n’est pas au courant pour cette lettre. Si tout y est exact jusque-là, si tout cela nous estvraimentarrivédepuissamedi,celasignifiequ’ellevaoubliercequ’elleaappriscesdernièresquarante-huitheures.Etjen’aipaslamoindreidéedel’endroitoùellesetrouve.Nicommentlaprévenir.

J’aiunedernièrechoseàécrire:

–CharlieaprisuntaxisurBourbonStreethiersoiretpersonnenel’avuedepuis.Ellen’estpasaucourantpourcettelettre.Trouve-la.C’estlapremièrechosequetudoisfaire.S’ilteplaît.

Àsuivre…