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duongkhanh
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Ce livre a ötö prdcddemment publi.d
aux dditions Fata Morgana en 1994.
@ Ed;t;ons Gallimard, 2002.
Je me souviens d'un jeune homme- un homme enco re jeune - empöchd demourir par la mort möme et peut-ötreI'erreur de l'injustice.
Les Allids avaient rdussi ä prendre piedsur le sol frangais. Les Allemandr, ddjävaincus, luttaient en vain avec une inuti-le fdrocitd.
Dans une grande maison (1. Chäteau,disait-on), on frappa ä la porte plutöttimidement. Je sais que l, jeune hommevint ouvrir ä des hötes qui sans doutedemandaient secours.
Cette fois, hurlement : u Tous dehors. )
un lieutenant nazi, dans un frangais
honteusement normal, fit sortir d'abord
les personnes les plus ägdes, puis deux
jeunes femrnes.n Dehors, dehors. )) Cette fois, i l hur-
lait" Le jeune homme ne cherchait pour-
tant pas ä fuir, mais avanEait lentement'
d'une maniöre presque sacerdotale. Le
l ieutenant le secol lä, lui montra des
douilles, des balles, il y avait eu manifes-
tement combat, l. sol dtait un sol guerrier.
Le lieutenant s'dtrangla dans un langa-
ge bizarre, et mettant sous le nez de
l 'homme ddjä moins jeune (ot viei l l i t
vite) les douilles, les balles, une grenad.,
cria distinctement : u Voilä ä quoi Yolls
ötes parvefttl. ))
Le nazi mit en rang ses hommes Pouratteindfe, selon les rögles, la c ible hu-
maine. Le jeune homme dit : u Faites au
moins rentrer ma famille. , Soit : la tante
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(94 ans), sä möre plus jeune, sä smur etsa bel le-smur, un long et lent cortöBe,si lencieux, comrne si tout dtait ddjäaccompli.
Je sais le sais -je que celui quevisaient döjä, les Allemands, n'attendantplus que I'ordre final , öprouva alors unsentiment de ldgöretd extraordinaire, unesorte de bdatitude (rien d"'heureux cepen-dant), alldgresse souveraine ? La ren-contre de la mort et de la mort ?
A r" place , je ne chercherai pas ä analy-ser ce sentiment de ldgöretd. I l dtaitpeut-ötre tout ä coup invincible. Mort
immortel. Peut-ötre I 'extase. Plutöt lesentiment de compassion pour I 'huma-nitd souffrante, 1. bonheur de n'ötre pasimmortel ni dternel. Ddsormais, il fut lidä la mort, pa;r une amitid subreptice.
A cet instant, brusque retour aumonde, dcl ata le bruit consictdrable
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d'une proche bataille" Les camarades du
maquis voulaient porter secours ä celui
qu'ils savaient en danger. Le lieutenant
s'dloigna pour se rendre comPte. Les
Allemands restaient en ordre, pröts ä de-
meurer ainsi dans une immobilitd qui ab
rötait le temps.Mais voici que I'un d'eux s'approcha et
dit d'une voix ferme : u Nous, pas alle-
mands, russes )), et, dans une sorte de
rire : (( armde Vlassov )), et il lui fit signe
de disparaitre.
Je crois qu'il s'dloigträ, toujou,rs dans le
sentiment de ldgöretd, ätl point qu'i l se
retrouva dans un bois dloignd, nommd
u Bois des bruyöres r, oü il demeura abri-
tö par les arbres qu' i l connaissait bien.
C'est dans le bois dpais que tout ä coup,
et aprös combien de temps, il retrouva le
sens du rdel. Partout, des incendies, une
suite de feu continu, toutes les fermes
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brülaient. un peu plus tard., il apprit quetrois jeunes gens, f i ls de fermiers, biendtrangers ä tout comb aL et qui n'avaientpour tort que leur jeunesse, avaient ötöabattus.
Möme les chevaux gonflds, sur laroute, dans les champs, attestaient uneguerre qui avait durd. En röalitö, com-bien de temps s'dtait-il dcould ? Quand lelieutenant dtait revenu et qu'i l s'dtaitrendu compte de la disparition du jeune
chätelain, pourquoi la colöre, la rage, neI'avaient-elles pas poussd ä brüler leChäteau (i*mobile et majestueux) ?C'est que c'ötait le Chäteau. Sur la faEa-de ötait inscrite, comme un souvenirindestructible, la date de L807. Etait- i lassez cultivd pour savoir qlre c'ötait l'an-nde fameuse de Idna, lorsque Napoldon,sLlr son petit cheval gris, pässait sous lesfenötres de Hegel qui reconnut en lui
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( l 'äme du monde r, ainsi qu'il I 'dcrivit äun ami ? Mensonge et vdritd, car, commeF{egel I'dcrivit ä un autre ami, le sFrangais pil lörent et saccagörent sa de-meure. Mais Flegel savait distinguerl'empirique et I'essentiel. En cette annde1,944, l . l ieutenant nazi eut pour leChäteau le respect ou la cons idörationque les fermes ne suscitaient pas. Pour-tant on fouilla partout. On prit quelqueargent ; dans une piöce sdp aröe, u lachambre haute r, Ie lieutenant trouva despapiers et une sorte d'dpais manuscritqui contenait peut-ötre des plans deguerre. Enfin il partit" Tout brülait, saufle Chäteau. Les Seigneurs avaient ötööpargnds.
Alors commenga sans doute pour lejeune homme le tourment de I'injustice.Plus d'extase; le sentiment qu' i l n'dtaitvivant que parce que) möme aux yeux
des Russes, i l appartenait ä une classenoble.
C'dtait cela, la guerre : la vie pour lesuns, pour les autres, la cruautd de I'assas-sinat.
Demeurait cependant, äLr moment oüla fusillad.e n'dtait plus qu'en attenre , lesentiment de ldgö retö que je ne sauraistraduire : l ib örö de la vie ? l ' infini quis'ouvre ? Ni bonheur, ni malheur. I{iI 'absence de crainte et peut-ötre ddjä lepas au-delä. Je sais , j'imagine que ce sen-timent inanalyrable changea ce qui luirestait d'existence. Comme si la morthors de lui ne pouvait ddsormais que seheurter ä la mort en lui. u Je suis vivant.Non, tu es mort. >>
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Plus tard, revenu ä Paris, il renconrraMalraux. Celui-ci lui raconra qu'il avaitötö fart prisonnier (sans ötre reconnu),qu'i l avait rdussi ä s'dchapper, rour enperd.ant un manuscrit. u Ce n'dtaient quedes rdflexions sur I'arr, faciles ä reconsti-tuer, tandis qu'un manuscrit ne sauraitl'ötre. , Avec Paulhan, il fit faire des re-cherches qui ne pouvaienr que resrervaines.
Qu'i*porte. Seul demeure le senti-ment de ldgör etö qui esr la morr mömeou, pour le dire plus prdcisdmeor, I ' ins-tant de ma mort ddsormais toujours eninstance.
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