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74 Gilles PLANTE B.A. C.C.L. LL.L M.A. PH.D. (2014) « La liberté des uns s’arrête là ou commence celle des autres » Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, Professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi Page web . Courriel : [email protected] Site web pédagogique : http ://jmt-sociologue.uqac.ca/ Dans le cadre de : "Les classiques des sciences sociales" Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web : http ://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web : http ://bibliotheque.uqac.ca/

« La liberté des uns s'arrête là ou commence celle des autres »

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  • 74

    Gilles PLANTE

    B.A. C.C.L. LL.L M.A. PH.D.

    (2014)

    La libert des uns sarrte l ou commence

    celle des autres

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole, Professeur associ, Universit du Qubec Chicoutimi

    Page web. Courriel : [email protected] Site web pdagogique : http ://jmt-sociologue.uqac.ca/

    Dans le cadre de : "Les classiques des sciences sociales"

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  • 2 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

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    Jean-Marie Tremblay, sociologue Fondateur et Prsident-directeur gnral, LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 3

    Gilles Plante LA LIBERT DES UNS SARRTE L O COMMENCE CELLE DES AU-TRES . Centre dtudes en humanits classiques. Notre-Dame-du-Mont-Carmel : La So-cit scientifique parallle, 2014, 141 pp. ISBN : 978-2-921344-38-8 Lauteur nous a accord le 1er juin 2014 son autorisation de diffuser lectroniquement cette oeuvre dans Les Classiques des sciences sociales.

    Courriel : Gilles Plante : [email protected]. Polices de caractres utilise :

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    mailto:[email protected]

  • 4 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    GILLES PLANTE

    LA LIBERT DES UNS SARRTE L O COMMENCE CELLE DES AUTRES.

    CENTRE DTUDES EN HUMANITS CLASSIQUES. NOTRE-DAME-DU-MONT-CARMEL : LA SOCIT SCIENTIFIQUE PARALLLE, 2014, 141 PP.

    ISBN : 978-2-921344-38-8

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 5

    GILLES PLANTE

    B.A. C.C.L. LL.L M.A. PH.D.

    LA LIBERT DES UNS SARRTE L O COMMENCE

    CELLE DES AUTRES

    CENTRE DETUDES EN HUMANITES CLASSIQUES

    JAPPELLE CLASSIQUE CE QUI EST SAIN. (GTHE)

    SOCIETE SCIENTIFIQUE PARALLELE INC. ISBN : 978-2-921344-36-4

  • 6 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    Limage des couvertures est de FLIXYA : KIWI_ORANGE_SOCKS-2061021.JPG http://www.flixya.com/photo/2061021/Abstract-Colors-Blue-Swipe-Freedom

    diteur : Socit scientifique parallle Inc. 4010 rue Cormier Notre-Dame-du-Mont-Carmel Qubec ISBN : 978-2-921344-36-4 Dpt lgal Bibliothque nationale du Qubec Bibliothque nationale du Canada 2e

    trimestre 2014

    Gilles Plante, 21 juin 2014 350, De la terrasse Saint-tienne-des-Grs, Qubec Canada G0X 2P0

    http://www.flixya.com/photo/2061021/Abstract-Colors-Blue-Swipe-Freedom

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 7

    TABLE DES MATIRES Avant-propos Chapitre I. Un proverbe bien connu Chapitre II. Dit dun sujet - Est dans un sujet Chapitre III. Discernement de prdicaments

    Section I. Le prdicament homme Section II. Le prdicament libert

    Chapitre IV. Discernement de postprdicaments

    Section I. Quatre postprdicaments

    1. Opposition : contradiction - privation - contrarit - relatifs 2. Priorit : temps - nature - consquence - dignit - ordre 3. Simultanit : temps - nature - consquence - dignit - ordre 4. Avoir : inhrence - contenance - possession - relation - juxtaposi-

    tion

    Section II. Quatre cas de figure Chapitre V. En guise de conclusion Autres ouvrages de lauteur Quatrime de couverture

  • 8 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 9

    [1]

    avant-propos

    Nul nest plus esclave que celui qui se croit libre sans ltre. (Johann Wolfgang von Gthe)

    Retour la table des matires

    Cher lecteur, Le domaine des humanits se caractrise de curieuse faon par rap-port aux autres domaines dtude. Chez ces derniers, on prtend que les solutions viennent finalement bout des problmes.

    Dans le domaine des humanits, ce sont les problmes qui, semble-t-il, viennent bout des solutions offertes, de temps autre, par l'un ou l'autre des auteurs, d'o des controverses, sinon interminables, du moins non encore termines ce jour, peut-tre parce que ces sujets sont inpuisables, plus souvent parce que ltude de ces sujets nest pas toujours conduites avec la rigueur quexige la sa-gesse quon dit aimer : la philosophie. Dans cette tude, je m'intresse l'expression : La libert des uns sarrte l o commence celle des autres. Elle est si souvent employe dans les conver-sations quil est rare de rencontrer quelquun qui, parmi nous, ne se lest pas fait servir un jour ou lautre, soit cette forme soit sous lune de ses variantes. Pour-tant, ce proverbe, i.e. cette locution cense exprimer une recommandation de sagesse, prsente plusieurs difficults, tel point que Johann Wolfgang von Gthe crivit : Nul nest plus esclave que celui qui se croit libre sans ltre. Dans les pages qui suivent, je conduis lexploration dune difficult. Je me con-centre sur lexpression l o , tout en examinant celles qui gravitent autour delle. Cette exploration est faite la lumire dune cole de sagesse qui naquit dans lAntiquit grecque, avec Aristote, et fut ensuite relaye par les aristotli-

  • 10 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    ciens, comme Thomas dAquin au [2] XIIIe sicle et Jean Poinsot au XVIIe sicle, pour nous parvenir aujourdhui. 1

    Selon cette cole de sagesse, lexpression : La libert des uns sarrte l o commence celle des autres. ne vaut comme philosophie , i.e. comme sa-gesse savante, que si elle est dmonstrativement vraie ; autrement, elle ne vaut que comme sagesse non savante, disons populaire . 2

    Lecteur, toi de juger si lexercice de dialectique que tu tapprtes lire ten convainc ! Saint-tienne-des-Grs, 21 juin 2014

    1 Les textes grecs sont pris du site : http ://www.remacle.org, cr par Philippe Rema-

    cle, dcd le 11 mars 2011, dont l'uvre est poursuivie par Anne-Sophie et Jean-Franois Remacle. Les textes latins sont pris du site : corpusthomisticum.org, cr par le professeur Enrique Alarcn, et soutenu par l'universit de Navarre. Les traductions franaises sont prises du site : docteur angelique, cr par le professeur Arnaud Du-mouch. Ces sites sont tous rpertoris au site cr par Guy-Franois Delaporte : tho-mas daquin. Certains autres sites sont parfois utiliss, et cits. Nous employons aussi le Dictionnaire grec-franais de mile Pessonneaux, Paris, 1953, Librairie classique Eugne Belin ; et le Dictionnaire illustr latin-franais de Flix Gaffiot, Paris, 1934, Librairie Hachette, lexilogos.

    2 Jacques et Rasa Maritain, uvres compltes Volume XVI (1900-1973), ditions universitaires Fribourg Suisse et ditions Saint-Paul Paris, 1999, p. 54.

    http://www.remacle.org/http://www.corpusthomisticum.org/iopera.htmlhttp://docteurangelique.free.fr/http://www.thomas-d-aquin.com/Pages/LiensRessources/LiensMenuCadre.htmlhttp://www.thomas-d-aquin.com/Pages/LiensRessources/LiensMenuCadre.htmlhttp://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 11

    [3]

    Chapitre I

    Un proverbe bien connu Retour la table des matires Lopinion selon laquelle : La libert des uns sarrte l o commence celle des autres. 3

    est bien connue. Elle est trs souvent employe dans les conversa-tions, tel point quelle est devenue un proverbe, i.e. une locution cense expri-mer une recommandation de sagesse. Quen est-il ?

    De quelle sorte de sagesse sagit-il ? Une sagesse savante, dont on peut dire quelle est dmonstrativement vraie, ou une sagesse non savante, disons popu-laire, dont on peut dire quelle est une opinion largement rpandue ? Dans ce proverbe, substituons le nom la libert au pronom celle , et re-formulons-le comme suit :

    (P1) : La libert des uns sarrte l o commence la libert des autres.

    Dans P1, lopposition des uns - des autres est exprime au pluriel. Or, elle peut tout aussi bien tre exprime au singulier : de lun - de lautre . Les noms singulier et pluriel renvoient ici une notion grammaticale familire : le nombre des noms. Aujourdhui, dans un monde domin par la techno-science, le nom nombre est surtout associ aux mathmatiques. Pourtant, bien antrieurement aux no-

    3 Proverbe inspir par le livre De la libert, de John Stuart Mill : Classiques des scien-

    ces sociales.

    http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.mij.del2http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.mij.del2

  • 12 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    tions de mathmatiques, la grammaire enseigna le nombre des noms que sont : le singulier et le pluriel. Or, cet enseignement de la grammaire sappuie sur une exprience fort commune, celle de ltre. Cest pourquoi la philosophie semploie depuis longtemps [4] lexamen de lopposition unit-pluralit : Il y a plusieurs nuances d'opposition entre l'unit et la pluralit. 4

    Par exemple, propos du mot pluralit , le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) crit : 1. Fait d'tre plusieurs ; 2. Grand nombre, multitude 5

    . Alors, dans l'expression une (1) pluralit , comment le fait d'tre plusieurs , au point de faire grand nombre , peut-il tre compa-tible avec une (1) ? Cest, pour le moins, paradoxal.

    Le nom nombre vient du latin numerus , o nu est la particule ngative signifiant non , alors que merus signifie seul, unique . Le nom nombre signifie littralement : non unique . Ce qui fait nombre est non unique parce que plus dun sy trouvent impliqus. Dans la mesure mme o la locution de lun - de lautre en implique plus dun, donc un non unique , il sensuit que lexpression de lun - de lautre suffit exprimer lopposition uni-t-pluralit qui nous occupe ici, puisque plus quun commence avec deux. Dans P1, qui est vis par les mots uns et autres dans des uns- des autres ? Un tre humain, un humain, un homme. Il sensuit que P1 se trans-forme en P2, et ce, sans modification apporte au sens de la phrase, comme suit :

    (P2) : La libert dun homme sarrte l o commence la libert dun autre homme.

    Lopposition contenue dans de lun - de lautre , transforme en dun homme - dun autre homme , exprime une altrit entre un - [5] un autre , et ce, mal-gr que le mme mot homme leur soit appos : un homme - un autre homme . Malgr que cet homme dsign par un homme soit autre que cet autre homme dsign par un autre

    4 Mtaphysique dAristote, traduite par J. Barthlmy Saint-Hilaire, Tome troisime,

    Paris, 1879, Librairie Germer-Baillire et Cie,

    homme , lun et lautre sont dsigns par

    Remacle. 5 Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales,

    http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque10.htmhttp://www.cnrtl.fr/definition/pluralit%C3%A9

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 13

    le mme mot homme , dune part, et aussi par le mme mot un , dautre part : un homme - un autre homme

    .

    Il sensuit que le mot un est porteur de deux significations.

    a) La premire porte sur lunit numrique un (1) homme , unit numrique qui est spare dune autre unit numrique exprime dans un (1)

    autre homme . Remarquons quune seule et mme notion, celle de unit nu-mrique , sert dsigner deux units numriques, donc plus quune, alors que lunit de la notion nest pas affecte. Nous y revenons plus bas.

    b) La seconde porte la signification dune altrit, celle que nexprime expres-sment que un (1) autre homme , et ce, malgr que, dans un (1) homme , il est clair que cet homme est bien autre que cet homme vis par un (1) autre

    homme , et ce, malgr que le mot autre mis en italique la ligne prcdente ne soit pas expressment exprim dans un (1) homme .

    Il sensuit encore que cette sparation de deux units numriques naffecte pas lunit de la ressemblance entre les deux ressemblants jouissant chacun de lunit numrique, ressemblance que dsigne le mme mot homme qui leur est appos. Bref, lunit de lespce homme nest pas affecte par la spara-tion des deux units numriques : bien quil y ait deux (2) hommes, chacun (chaque 1) de ces deux (2) hommes est homme selon une mme espce. Par ailleurs, malgr que lespce homme soit une et quelle soit prdicable de ces [6] deux units numriques, cette unit de lespce est impuissante rduire les deux units numriques une seule unit numrique. 6

    6 Aristote, Topiques, traduction franaise de Yvan Pelletier : [103a06] En premier de

    tout, on doit dfinir, propos de la mme [chose], de combien de manire cela se dit. Or cela tiendrait lieu d'endoxe [opinion] qu' le prendre sommairement, on divise de trois manires le fait d'[tre] la mme [chose] ; de fait, nous avons coutume d'attribuer numriquement, spcifiquement ou gnriquement d'[tre] la mme [chose]. Numri-quement, c'est ce pour quoi il y a des noms divers alors que la chose [signifie] est [103a10] unique, par exemple une pelisse et un manteau. Spcifiquement, par ai-lleurs, c'est tout ce qui, pour divers que ce soit, demeure indiffrent quant son esp-ce, comme : un homme [est la mme chose] qu'un homme, un cheval qu'un cheval ; en effet, tout ce qui est de nature se retrouver sous la mme espce est dit la mme

  • 14 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    Les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre

    homme , dautre part, tant ainsi entendues, comment les entendre dans lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme. ?

    Autrement dit, la manire dentendre les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre

    homme , dautre part, affecte-t-elle la manire dentendre les deux occurrences de la locution la libert dans P3 ? Si oui, comment ?

    Do deux questions nous viennent lesprit :

    Question 1 : La manire dentendre les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre

    Question 2 : Si oui, comment la manire dentendre les locutions un

    homme , dautre part, affecte-t-elle la manire dentendre les deux occurrences de la locution la libert ?

    (1) homme , dune part, et un (1) autre

    homme , dautre part, affecte-t-elle la manire dentendre les deux occurrences de la locution la libert ?

    [chose] spcifiquement. Semblablement encore, la mme [chose], gnriquement, c'est tout ce qui se retrouve sous le mme genre ; par exemple : un cheval [est la mme chose] qu'un homme. Remacle.

    http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/topiques.htm#VII

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 15

    [7]

    Chapitre II

    Dit dun sujet est dans un sujet Retour la table des matires Nous dsirons rpondre deux questions :

    Question 1 : La manire dentendre les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre

    homme , dautre part, affecte-t-elle la manire dentendre les deux occurrences de la locution la libert dans lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme. ?

    Question 2 : Si oui, comment la manire dentendre les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre

    homme , dautre part, af-fecte-t-elle la manire dentendre les deux occurrences de la locution la libert dans lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme. ?

    P3 est extraite de P2 :

    (P2) : La libert dun homme sarrte l o commence la libert dun autre homme.

    Pour rpondre adquatement ces deux questions, il importe de connatre la distinction qui simpose entre dit dun sujet et tre dans un sujet :

  • 16 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    Parmi les tres, les uns sont affirms dun sujet, tout en ntant dans aucun sujet : par exemple, homme est affirm dun sujet, savoir dun certain homme, mais il nest dans aucun sujet. Dautres sont dans un sujet, mais ne sont affirms daucun sujet (par dans un sujet, jentends ce qui, ne se trouvant pas dans un sujet comme sa partie, ne peut tre spar de ce en quoi il est) : par exemple, une certaine science grammaticale existe dans un sujet, sa-voir dans lme, mais [8] elle nest affirme daucun sujet ; et une cer-taine blancheur existe dans un sujet, savoir dans le corps (car toute couleur est dans un corps), et pourtant elle nest affirme daucun su-jet. Dautres tres sont la fois affirms dun sujet et dans un sujet : par exemple, la Science est dans un sujet, savoir dans lme, et elle est aussi affirme dun sujet, la grammaire. Dautres tres enfin ne sont ni dans un sujet, ni affirms dun sujet, par exemple cet homme, ce cheval, car aucun tre de cette nature nest dans un sujet, ni affirm dun sujet. Et, absolument parlant, les individus et ce qui est numriquement un ne sont jamais affirms dun sujet ; pour certains toutefois rien nempche quils ne soient dans un sujet, car une certaine science grammaticale est dans un sujet [mais nest affirme daucun sujet]. 7

    Pourquoi importe-t-il de connatre la distinction qui simpose entre dit dun sujet et tre dans un sujet ? Dabord, parce que la distinction qui simpose entre dit dun sujet et tre dans un sujet est indispensable pour saisir que, en ce qui concerne lunit numrique ex-prime par dun (1) homme - dun (1) autre homme , les individus et ce qui est numriquement un ne sont jamais affirms dun sujet , bien que, pour cer-tains toutefois rien nempche quils ne soient dans un sujet . 8

    [9] 7 Aristote, Catgories, 1a 20 - 1b 9, nouvelle traduction pour Internet par soeur Pascale

    Nau, sur la base de la version grecque, la traduction Vrin et la traduction anglaise de E. M. Edghill, dition Docteur Anglique.

    8 En logique aristotlicienne, seul un prdicat universel peut tre dit dun sujet, mme si ce sujet est singulier, et ce, parce que tout prdicat doit tre de rang suprieur dans la hirarchie des universels constituant un prdicament : v.g. Pierre est homme.

    http://docteurangelique.free.fr/

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 17

    Ensuite, parce que la distinction qui simpose entre dit dun sujet et tre dans un sujet est indispensable pour situer libert et homme dans lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme , et ce, en faisant abstraction de tout ce qui concerne lunit numrique exprime dans dun (1) homme - dun (1) autre homme . La locution tre dans un sujet prend ici une acception prcise : par dans un sujet, jentends ce qui, ne se trouvant pas dans un sujet comme sa partie, ne peut tre spar de ce en quoi il est , crit Aristote. Et, plus loin, il ajoute encore une prcision : Ne soyons donc pas troubls du fait que les parties des subs-tances sont dans le tout comme dans un sujet, avec la crainte de nous trouver alors dans la ncessit dadmettre que ces parties ne sont pas des substances. Quand nous avons dit que les choses sont dans un sujet, nous navons pas en-tendu par l que cest la faon dont les parties sont contenues dans le tout. 9

    En ce qui concerne homme , Aristote crit : Parmi les tres, les uns sont [dits] dun sujet, tout en ntant dans aucun sujet : par exemple, homme est [dit] dun sujet, savoir dun certain homme, mais il nest dans aucun sujet. En est-il ainsi dans P3 ? Il est clair quil nest dans aucun sujet . Sil en tait autrement, homme serait dit dun sujet distinct de lui-mme. Dans P3, quen est-il de libert , ici dit propos de lhomme dans la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme , et ce, en faisant abstraction de tout ce qui concerne lunit numrique exprime par dun (1) homme - dun (1) autre homme ?

    9 Aristote, Catgories, 3a 28, nouvelle traduction pour Internet par soeur Pascale Nau,

    sur la base de la version grecque, la traduction Vrin et la traduction anglaise de E. M. Edghill, dition Docteur Anglique.

    http://docteurangelique.free.fr/

  • 18 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    [10] La libert est-elle :

    a) ce qui, ne se trouvant pas dans un sujet [ici lhomme] comme sa par-tie, ne peut tre spar de ce en quoi [elle] est , ou

    b) ce qui, se trouvant (...) dans un sujet [ici lhomme] comme sa partie , est dans le tout comme dans un sujet , et ce, la faon dont les parties sont contenues dans le tout pertinent ?

    La rponse dAristote est que la libert ne peut tre spare du sujet en quoi elle est, soit un sujet dit homme, mais quelle ne se trouve pas dans ce sujet dit homme comme sa partie . Il sensuit que la libert est la fois affirms dun sujet et dans un sujet , comme lest la science dans : la Science est dans un sujet, savoir dans lme, et elle est aussi affirme dun sujet, la grammaire . propos de lopposition contenue dans P3 : la libert dun (1) homme - la liber-t dun (1) autre homme , notre tche consiste dabord en un examen de la consquence suivante :

    a) si homme est [dit] dun sujet, savoir dun certain homme, mais [qu]il nest dans aucun sujet , bien que ce sujet soit un tout avec des parties la faon dont les parties sont contenues dans le tout ;

    b) et si libert est la fois affirm dun sujet et dans un sujet ,

    comme dans : la Science est dans un sujet, savoir dans lme, et elle est aussi affirme dun sujet, la grammaire ;

    c) alors libert est la fois affirm dun sujet et dans un sujet ,

    comme la [libert] est dans un sujet, savoir dans lme, [elle-mme partie du tout dit homme, et ce, la faon dont les parties sont contenues dans le tout ], et elle est aussi affirme dun sujet, la [facult de choix rflchi] .

    [11]

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 19

    Et, elle consiste ensuite tablir si, compte tenu du paragraphe prcdent, la manire dentendre les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre

    homme , dautre part, affecte ou naffecte pas la manire dentendre les deux occurrences de la locution la libert dans lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme.

    Pour ce faire, il convient de rappeler que la catgorie selon le nom quAristote donne aux attributs univoques de ltre nest autre que ce que les latins ont nomm prdicament (prdicamentum), o apparat nettement le mot pr-dicat , qui est joint au suffixe ment venant lui-mme du verbe memini (avoir lesprit). Dans son trait intitul Catgories , Aristote divise son expos en quinze cha-pitres. Les trois premiers (1 3) traitent de ce que lcole aristotlicienne a reu comme tant la doctrine des antprdicaments : les antprdicaments exposent les conditions requises au discernement, la constitution et la coordination des divers prdicaments. Les six derniers (10 15) traitent de ce que la mme cole a reu comme tant la doctrine des postprdicaments : les postprdicaments exposent les modes dopposition qui suivent des divers prdicaments. Les autres chapitres exposent chacun des dix prdicaments. La doctrine des antprdicaments, prdicaments et postprdicaments dtermine le tissu argumentatif dun syllogisme, tissu qui aussi dtermin par les proprits logiques des propositions. On distingue le prdicament dit logique , tel quexpos au trait dAristote intitul Catgories , et le prdicament dit m-taphysique , tel que notamment expos aux livres V et surtout X du trait dAristote intitul Mtaphysique . Ainsi, dans la dmonstration, on aura les principes dits communs et les principes dits propres dont Aristote parle la ligne 76a 36 du trait intitul Seconds analytiques : [12]

    Parmi les principes dont on se sert dans les sciences dmonstratives, les uns sont propres chaque science, et les autres communs : mais

  • 20 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    cest une communaut danalogie, tant donn que leur usage est li-mit au genre tombant sous la science en question. 10

    Le prdicament dit mtaphysique est pris du point de vue de ltre dont lessence de la quiddit est distincte de son acte dtre, bref de ltre dit fini , parce que dfinissable en termes de genre et de diffrence. Chacun des dix modes de ltre dit fini est un prdicament dit mtaphysique : substance, quantit, qualit, action, passion, relation, o, quand, position, avoir. Par exemple, la substance tire son nom substance de ce que son opration propre consiste soutenir (sub-stare) dans ltre les neuf autres, dits accident de la substance . Cest ainsi que le prdicament substance est dit dun sujet sans pouvoir tre dans un sujet puisquil est le prdicament qui soutient dans ltre les neuf autres, titre de sujet de ces neuf autres. Par contre, les neuf autres sont dits dun sujet et sont dans un sujet puisquils sont soutenus par le prdicament substance , qui est leur sujet. Le prdicament dit logique est pris du point de vue du discours portant sur les modes de ltre dit fini ; il articule lordonnance (ordre de rangement) des genres et des diffrences affectant ces modes pour constituer des espces bien formes : le chapitre 3 du trait intitul Catgories en expose le cur. Les deux questions que nous avons formules plus haut propos de lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme concernent : [13]

    le discernement du prdicament pertinent homme et le discernement du prdicament pertinent libert , dune part, ce qui formera la matire du chapitre III,

    et le discernement du ou des postprdicaments pertinents lopposition quexprime P3, dautre part, ce qui formera la matire du chapitre IV.

    10 Aristote, Les Seconds Analytiques, Nouvelle traduction pour Internet par Pascale-

    Dominique Nau, selon la version grecque, la traduction Vrin et celle de G. R. G. Mu-re, Edition Docteur Anglique.

    http://docteurangelique.free.fr/

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 21

    On distingue quatre antprdicaments : 1. la distinction entre : univoque, quivoque, analogue, dnomination (in-

    trinsque ou extrinsque) ; 2. la distinction entre : complexe (plusieurs essences dans la quiddit :

    homme blanc), incomplexe (une seule essence dans la quiddit : homme) ;

    3. la distinction entre : tre dit dun sujet, tre dans un sujet ; 4. la distinction des genres par leurs diffrences, pour concevoir des es-

    pces. Pour tre dans un prdicament, un tre doit tre : rel, fini, univoque, in-

    complexe, et complet (former un tout). On distingue quatre postprdicaments : 1. la notion dopposition : de contradiction, de privation, de contrarit,

    de relatifs ; 2. la notion de priorit : de temps, de nature, de consquence, de digni-

    t, dordre ; 3. la notion de simultanit : de temps, de nature, de consquence, de

    dignit, dordre ; 4. la notion davoir : par inhrence, par contenance, par possession, par

    relation, par juxtaposition.

  • 22 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    [14]

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 23

    [15]

    Chapitre III

    Discernement de prdicaments Retour la table des matires Nous dsirons rsoudre le problme de discernement qui obstrue notre re-cherche dune rponse deux questions :

    Question 1 : La manire dentendre les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre

    homme , dautre part, affecte-t-elle la manire dentendre les deux occurrences de la locution la libert dans lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme. ?

    Question 2 : Si oui, comment la manire dentendre les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre

    homme , dautre part, af-fecte-t-elle la manire dentendre les deux occurrences de la locution la libert dans lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme. ?

    Pour savoir si la manire dentendre les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre homme , dautre part, affecte ou naffecte pas la manire dentendre les deux occurrences de la locution la libert dans lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme , il simpose de bien saisir ce quest le prdicament homme et ce quest le prdicament libert , dune part, et de bien saisir lopposition qui les situent lun par rapport lautre, ce qui revient les situer selon le ou les post-prdicaments pertinents.

  • 24 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    Cest ce que nous avions dj annonc comme tant tablir, en crivant que, propos de P3 : la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme , nous avions pour tche dexaminer la consquence suivante : [16]

    a) si homme est [dit] dun sujet, savoir dun certain homme, mais [qu]il nest dans aucun sujet , bien que ce sujet soit un tout avec des parties la faon dont les parties sont contenues dans le tout ;

    b) et si libert est la fois affirm dun sujet et dans un sujet , comme

    dans : la Science est dans un sujet, savoir dans lme, et elle est aussi affirme dun sujet, la grammaire ;

    c) alors libert est la fois affirm dun sujet et dans un sujet , comme

    la [libert] est dans un sujet, savoir dans lme, [elle-mme partie du tout dit homme, et ce, la faon dont les parties sont contenues dans le tout ], et elle est aussi affirme dun sujet, la [facult de choix rfl-chi] ;

    pour ensuite tablir si la manire dentendre les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre

    homme , dautre part, affecte ou naffecte pas la manire dentendre les deux occurrences de la locution la libert dans lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme.

    Do le plan suivant pour la suite du chapitre III :

    Section 1 : Le prdicament homme Section 2 : Le prdicament libert

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 25

    [17]

    Section I. le prdicament homme

    Retour la table des matires Homme est [dit] dun sujet, savoir dun certain homme, mais il nest dans aucun sujet , bien que le dit sujet, qui est substance, est un tout avec des parties la faon dont les parties sont contenues dans le tout pertinent, avons-nous crit plus haut. Nous avons aussi crit que le prdicament dit mtaphysique nomme chacun des dix modes de ltre dit fini : substance, quantit, qualit, action, passion, relation, o, quand, position, avoir. Lexpression mode de ltre renvoie la distinction qui simpose entre dit dun sujet et tre dans un sujet. Nous avons vu que ce qui se dit dun sujet peut soit ne pas tre dans un sujet soit tre dans un sujet. Par exemple, considrons lexpression sapin vert . Le prdicat sapin se dit dun sujet, de tout sapin, mais il nest pas dans un sujet : on dit alors que le mode dtre du sapin est celui davoir ltre en soi, et non davoir ltre dans un autre. Par contre, le prdicat vert se dit dun sujet, de tout sapin vert, et il est dans un sujet, ici nomm sapin : on dit alors que le mode dtre de vert est celui davoir ltre dans un autre, et non davoir ltre en soi. 11

    Parmi les dix modes de ltre dit fini , les prdicaments dits mtaphy-siques , seule la substance a celui davoir ltre en soi. Tous les autres ont celui davoir ltre dans un autre. 11 Dans lexpression vert fonc , le prdicat fonc est dit avoir ltre dans un au-

    tre, ici vert qui est dit avoir ltre en soi. Dans sapin vert fonc , fonc est dit avoir ltre dans un autre, ici vert qui est dit avoir ltre en soi du point de vue de fonc , mais qui est dit avoir ltre dans un autre du point de vue de sapin . Et ce, du point de vue du prdicament dit logique seulement.

  • 26 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    [18] Le prdicament dit logique qui concerne le prdicament dit mtaphysique de substance a t tudi par Porphyre de Tyr (234-305 A.D.), un philosophe devenu clbre pour son arbre de Porphyre. Alain Mille nous en offre cette pr-sentation 12

    :

    Genre suprme SUBSTANCE

    Diffrence matrielle immatrielle

    Genre subordonn CORPS ESPRIT

    Diffrence anim inanim

    Genre subordonn ETRE VIVANT MINERAL

    Diffrence sensible insensible

    Genre proche ANIMAL PLANTE

    Diffrence rationnel irrationnel

    Espce HUMAIN BETE

    Les rgles selon lesquelles larbre de Porphyre est construit ont t crites par Aristote en ces termes :

    Quand une chose est attribue une autre comme son sujet, tout ce qui est affirm du prdicat devra tre aussi affirm du sujet : par exemple, homme est attribu lhomme individuel, et, dautre part, animal est attribu homme ; donc lhomme individuel on devra aussi attribuer [19] animal, car lhomme individuel est la fois homme et animal. Si les genres sont diffrents et non subordonns les uns aux autres, leurs diffrences seront elles-mmes autres spcifiquement. Soit ani-mal et science ; pdestre et bipde, ail et aquatique sont des diff-rences de animal. Or aucune de ces diffrences nest une diffrence pour science, car une science ne se diffrencie pas dune science par le fait dtre bipde.

    12 http://liris.cnrs.fr/amille/enseignements/DEA-ECD/ontologies/notion_ontologie.htm

    ARBRE DE PORPHYRE

    http://liris.cnrs.fr/amille/enseignements/DEA-ECD/ontologies/notion_ontologie.htm

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 27

    Par contre, dans les genres subordonns les uns aux autres, rien nempche que leurs diffrences soient les mmes, car les genres plus levs sont prdicats des genres moins levs, de sorte que toutes les diffrences du prdicat seront aussi des diffrences du su-jet. 13

    la dernire ligne de la table fournie par Alain Mille, nous lisons : Espce : Humain . Aux deux lignes qui prcdent, nous lisons Genre proche : Ani-mal , soit le genre pertinent lespce homme (humain), et Diffrence : rationnel , soit la diffrence pertinente lespce homme (humain). la dernire ligne de la table fournie par Alain Mille, nous lisons aussi : Es-pce : Bte . Aux deux lignes qui prcdent, nous lisons Genre proche : Ani-mal , soit le genre pertinent lespce bte , et Diffrence : irrationnel , soit la diffrence pertinente lespce bte . La ligne oblique reliant Humain, rationnel, Animal, sensible, Vivant, anim, Corps, matriel, Substance est une reprsentation graphique de la rgle : [20]

    Dans les genres subordonns les uns aux autres, rien nempche que leurs diffrences soient les mmes, car les genres plus levs sont prdicats des genres moins levs, de sorte que toutes les diffrences du prdicat seront aussi des diffrences du sujet.

    De lhomme, dont on dit quil est animal rationnel (sa dfinition par ses par-ties dites mtaphysiques), non seulement on peut, mais on doit aussi dire quil est : vivant , corps , substance , parce que ces genres plus levs sont prdicats des genres moins levs , dune part, et que toutes les diff-rences du prdicat seront aussi des diffrences du sujet , sujet dont homme est dit, dautre part. De plus, de lhomme, dont on dit quil est animal rationnel (sa dfinition par ses parties dites mtaphysiques), et dont on doit aussi dire quil est : vivant ,

    13 Aristote, Catgories, 1b 10 - 24, nouvelle traduction pour Internet par soeur Pascale

    Nau, sur la base de la version grecque, la traduction Vrin et la traduction anglaise de E. M. Edghill, dition Docteur Anglique.

    http://docteurangelique.free.fr/

  • 28 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    corps , substance , parce que ces genres plus levs sont prdicats des genres moins levs , ces genres plus levs sont autant de parties du tout essentiel animal rationnel , et ce, la faon dont les parties sont contenues dans le tout . videmment, il simpose de prendre garde la faon

    dont les parties sont con-tenues dans le tout , ce qui fonde la distinction entre : le tout logique (luniversel prdicable), le tout physique (parties : matire, forme), le tout mtaphysique (par-ties : genre, diffrence), le tout intgral (parties : parties intgrantes), le tout po-testatif (parties : puissances actives).

    Ainsi, de lhomme, dont on dit quil est animal rationnel (sa dfinition par ses parties dites mtaphysiques : genre, diffrence), non seulement on peut, mais on doit dire quune partie de lui est corps ( en grec, ). Quest-ce quun pour Aristote, un philosophe qui sexprime en grec ? la ligne 1052a 15 de son trait intitul Mtaphysique, Aristote crit : [21]

    1. , ' . 2. [20] , ' , , [25] . 3. , , , , . 14

    14 Mtaphysique dAristote, traduite par J. Barthlmy Saint-Hilaire, Tome troisime,

    Paris, 1879, Librairie Germer-Baillire et Cie,

    Remacle.

    http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque10gr.htm#13

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 29

    Jean Tricot en propose cette traduction franaise :

    LUn [ ] se prend en plusieurs sens : nous lavons expos prc-demment dans le livre des diffrentes acceptions [livre V]. Mais ces modes nombreux se peuvent ramener, en somme, sous quatre chefs principaux, qui embrassent tout ce qui est dit un primordialement et en soi [ ' ], et non par accident [ ]. Il y a dabord le continu [ ], soit en gnral [ ], soit, surtout, le continu naturel [ ], et qui ne rsulte pas dun contact , ni dun lien extrieur. Et, parmi les tres continus, celui-l a plus dunit et est antrieur, dont le mouvement est plus indivisible et plus simple [ ]. Il y a encore unit, et mme plus dunit, dans ce qui est un tout [ ] et qui a une configuration et une forme [ ], surtout si le tout est tel naturellement [22] [ ] et nest pas, ce qui est joint par la colle, par un clou, par un lien, le rsultat de la contrainte ; autrement dit, si le tout porte en lui-mme la cause de sa propre con-tinuit [ ] : et une chose est telle parce que son mouvement est un et indivisible dans le lieu et dans le temps [ ]. Il en rsulte manifestement que sil existe une chose possdant par nature un principe de mouvement du premier genre et premier dans ce pre-mier genre, savoir la translation circulaire, cette chose est la pre-mire de toutes les grandeurs qui sont unes. 15

    Examinons limage ci-aprs, qui reproduit une exprience fort commune, celle que nous avons du corps humain. 16

    15 Aristote, La Mtaphysique, Tome II, nouvelle dition entirement refondue, avec

    commentaire par J. Tricot, Paris, 1981, Librairie philosophique J. Vrin.

    16 Cette image provient de : Talent Paperblog.fr.

    http://talent.paperblog.fr/2772547/dessiner-ou-peindre-le-corps-humain-elements-d-anatomie-partie-n-1/http://talent.paperblog.fr/2772547/dessiner-ou-peindre-le-corps-humain-elements-d-anatomie-partie-n-1/

  • 30 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    Nous y discernons un continu naturel, (...) qui ne rsulte pas dun contact, ni dun lien extrieur . Il y a l unit, [et ce,] dans ce qui est un tout et qui a une configuration et une forme . Ds lors, le tout porte en lui-mme la cause de sa propre continuit , et lun des noms [23] de cette cause est : (en franais, corps) Et cette chose [quest le corps] est telle parce que son mouvement est un et indivisible dans le lieu et dans le temps , ce qui va prendre de limportance pour notre propos comme nous allons bientt le voir. Pour le moment, concentrons-nous sur la notion de continu naturel , et, pour ce, allons lire ce qucrit Aristote propos du tout la ligne 1023b 25 du trait intitul La Mtaphysique :

    1 , 2 . , [30] , ' , , 3 , , , , . ' , , .

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 31

    4. [1024a] , , , , . 5. , , [5] , . 6. , ' , . 7. ' ' , [10] , . 17

    [24] Pascale-Dominique Nau en propose la traduction suivante :

    Le mot Tout se dit dune chose laquelle il ne manque aucune des parties qui la constituent dans sa totalit naturelle ; et aussi du conte-nant, qui enveloppe les choses contenues, de telle sorte que ces choses forment une certaine unit. Ceci encore peut sentendre de deux manires : ou bien chacune des choses contenues est une unit individuelle ; ou bien lunit ne rsulte que de lensemble de ces choses. Ainsi, luniversel, et en gnral ce qui est exprim comme formant un tout, est universel, en ce sens quil renferme plusieurs termes chacun desquels il peut tre attribu, et que tous ces termes nen sont pas moins chacun une unit indivi-duelle : par exemple, un homme, un cheval, un dieu, parce quon peut dire de tous quils sont des tres anims. Dans le second sens, le mot Tout sapplique au continu et au fini, quand lunit rsulte de plusieurs parties intgrantes qui existent tout au moins en puissance dans le continu, lorsquelles ny sont pas abso-lument relles. Et ici, cette nuance du mot Tout se trouve bien plutt dans les choses que cre la nature que dans les produits de lart. D-j, nous lavons fait remarquer plus haut propos de lUn, quand nous avons dit que la totalit dune chose est une sorte dunit. En un autre sens, comme la quantit a un commencement, un milieu et une fin, on emploie le mot Tout au sens numrique l o la position des parties, que les choses peuvent avoir, ne fait aucune diffrence ; mais on le prend au sens de Totalit l o la position fait une diff-rence.

    17 Mtaphysique dAristote, traduite par J. Barthlmy Saint-Hilaire, Tome troisime,

    Paris, 1879, Librairie Germer-Baillire et Cie, Remacle.

    http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique5fr.htm#XXVI

  • 32 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    Dans les cas o ces deux conditions la fois sont possibles, on ap-plique aux choses le mot Tout pris, soit numriquement, soit dans le sens de totalit. Les deux nuances du mot Tout sont possibles toutes les fois que le dplacement ne change rien la nature de la chose qui reste la mme, et qui ne change que de forme, comme il arrive pour de la cire, ou pour un vtement. On peut dire galement de ces [25] choses Tout, soit au sens numrique, soit au sens de Totalit ; car elles ont ces deux caractres. Mais en parlant de leau, des liquides ou du nombre, on emploie le mot Tout au sens numrique ; mais on ne dit pas Tout le nombre, Toute leau, dans le sens de totalit, si ce nest par mtaphore. On dit Tous au pluriel numriquement, quand il sagit dobjets aux-quels le mot Tout peut sappliquer au singulier, pour quils forment une unit ; et le mot Tout sy applique, parce quon les considre comme des objets spars. Par exemple, Tout ce nombre, Toutes ces uni-ts. 18

    Arrtons-nous dabord ce passage : Ce qui est exprim comme formant un tout est universel, en ce sens quil renferme plusieurs termes chacun desquels il peut tre attribu, et que tous ces termes nen sont pas moins chacun une uni-t individuelle : par exemple, un homme, un cheval, un

    dieu, parce quon peut dire de tous quils sont des tres anims

    Nous retrouvons ici un dveloppement que nous avons fait ds le dbut propos de P2 : La libert dun homme sarrte l o commence la libert dun autre homme. Lopposition contenue dans dun homme - dun autre homme , ex-prime une altrit entre un - un autre , et ce, malgr que le mme mot homme leur soit appos. Il sensuit que la premire occurrence du mot un est porteuse de deux signifi-cations : [26]

    a) La premire porte sur lunit numrique un (1)

    18 Aristote, La Mtaphysique, Nouvelle dition pour Internet par Pascale-Dominique

    Nau, partir de la version grecque, de la traduction Vrin et la traduction de Voilquin (Gallimard), Donostia - San Sebastin, 2008,

    homme , unit num-rique qui est spare dune autre unit numrique exprime dans un

    Docteur Anglique.

    http://docteurangelique.free.fr/

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 33

    (1)

    autre homme . Cest ainsi quune seule et mme notion universelle, celle de unit numrique , sert dsigner deux units numriques, donc plus quune, alors que lunit de la notion nest pas affecte.

    b) La seconde porte la signification dune altrit, celle que nexprime ex-pressment que un (1) autre homme , et ce, malgr que, dans un (1) homme , il est entendu que cet homme est bien autre que cet homme vis par un (1) autre

    homme , et ce, malgr que le autre ici mis en italique ne soit pas expressment exprim dans un (1) homme .

    Il sensuit encore que cette sparation de deux units numriques naffecte pas lunit de la ressemblance entre ces deux ressemblants jouissant chacun de lunit numrique, ressemblance que dsigne le mme mot homme qui leur est appos. Arrtons-nous ensuite cet autre passage : Le mot Tout se dit dune chose laquelle il ne manque aucune des parties qui la constituent dans sa totalit natu-relle ; et aussi du contenant, qui enveloppe les choses contenues, de telle sorte que ces choses forment une certaine unit. Limage ci-contre 19

    nous prsente les organes internes du corps humain. Il est certain que le mot Tout se dit dune [telle] chose [quest un corps humain ainsi considr] laquelle il ne manque aucune des parties [organiques] qui la consti-

    tuent dans sa totalit naturelle ; et aussi du con-tenant, qui enveloppe les choses contenues, de telle sorte que ces choses forment une certaine [27] unit . Et, il est vident que le contenant que reprsente limage prcdente complte bien notre reprsentation de la totalit natu-relle pertinente.

    Arrtons-nous enfin cet autre passage, qui complte le prcdent : Le mot Tout sapplique au continu et au fini, quand lunit rsulte de plusieurs parties

    19 Okux.org.

    http://okux.org/les-organes-du-corps-humain/

  • 34 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    intgrantes qui existent tout au moins en puissance dans le continu, lorsquelles ny sont pas absolument relles [pas encore dveloppes en acte]. Et ici, cette nuance du mot Tout se trouve bien plutt dans les choses que cre la nature que dans les produits de lart. Le mot Tout sapplique au continu et au fini, quand lunit rsulte de plusieurs parties intgrantes de telle faon quil ne manque aucune des parties qui [le] constituent dans sa totalit naturelle , si bien que ce continu et fini se pr-sente comme un tout intgral accompli. Cest ainsi que, dans lopposition dun homme - dun autre homme , on trouve un (1) homme et un (1) autre homme constitus chacun comme un tout intgral, mais un tout intgral distinct du tout dit universel en ce sens quil renferme plu-sieurs termes chacun desquels il peut tre attribu, et que tous ces termes nen sont pas moins chacun une unit individuelle . Et cest l ce quest un pour Aristote : un tout intgral. Venons-en cette chose [quest le corps et qui] est telle [i.e. un tout (qui) porte en lui-mme la cause de sa propre continuit , et ce,] parce que son mou-vement est un et indivisible dans le lieu et dans le temps . Lorsquil commente ce passage crit par Aristote, Thomas dAquin sexprime en ces termes :

    [28] Deinde cum dicit tale vero ostendit rationem unitatis in istis duobus modis ; dicens, quod aliquid est tale et continuum et unum, eo quod motus eius est et unus et indivisibilis, loco et tempore. Loco quidem, quia versus quamcumque partem loci movetur una pars continui et alia. Tempore vero, quia quando movetur una, et alia. 20

    John P. Rowan en propose la traduction anglaise suivante :

    1927. And a thing is such [3] : Then he clarifies the meaning of unity contained in these two senses of the term one. He says that a thing is

    20 Thomae de Aquino, Sententia Libri Metaphysicae, lib. 10 l. 1 n. 8, corpusthomisti-

    cum.org.

    http://www.corpusthomisticum.org/cmp10.html#83498http://www.corpusthomisticum.org/cmp10.html#83498

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 35

    such, i.e., continuous and one, because its motion is one and indivisi-ble both as to place and to time ; as to place, because whithersoever one part of a continuous thing is moved another part is also moved ; and as to time, because when one part is moved an other is also moved. 21

    Ce dveloppement nous introduit au problme du lieu. Quest-ce que le (lieu) pour Aristote ? Quest-ce que le (mouvement local : , translation, transport) pour Aristote ? Notre traduction du texte latin crit par Thomas dAquin se prsente ainsi :

    Ensuite, lorsquil dit tale vero, il montre la notion commune de lUn [ra-tionem unitatis] en ces deux modes : en disant quune chose [aliquid] est telle [tale] quun continu fini [continuum et unum], parce que [eo quod] son mouvement [motus ejus] est et un et indivisible [est et unus et indivisibilis], selon le lieu et le temps [loco et tempore]. Selon le lieu [loco quidem], parce que [quia], vers quelle partie dun lieu [versus quamcumque partem loci] quest mue une partie dun continu [movetur una pars continui], une autre lest [et alia]. Selon le temps [tempore vero], parce que [quia] lorsque lune est mue [quando movetur una], une autre lest [et alia].

    [29] Si Jeannot Lapin se dplace du point A au point B, son oreille gauche se dplace aussi du point A au point B, de mme que son oreille droite, sa patte avant gauche, etc. 22

    Bien sr, cette assertion nous semble tre dune banalit accom-plie. Mais, elle revt une importance majeure pour quiconque sintresse la philosophie de la nature.

    21 Commentaire du Livre des Mtaphysiques dAristote (1268-1272), Traduction de

    John P. Rowan, 1961, U.S.A. Dumb Ox Books, Docteur Anglique. 22 Limage est prise de : Alyon.org.

    http://docteurangelique.free.fr/http://www.alyon.org/InfosTechniques/biomedical/biologie/animale/sauts_animaliers.html

  • 36 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    Ainsi, dans quel trait Aristote aborde-t-il ces questions ? J. Barthlmy Saint-Hilaire, qui le nomme Leons de Physique , nous met en garde comme suit :

    Simplicius nous apprend, dans la prface de son commentaire, que ce titre n'tait pas le seul qui ft donn l'ouvrage d'Aristote. Selon Adraste, dont Simplicius cite le livre sur l'Ordre des uvres d'Aristote, on intitulait la Physique de diffrentes manires. Tantt on l'appelait : Des principes ; tantt : Leons de Physique. Parfois encore ou em-ployait des titres particuliers pour les livres divers. Les cinq premiers runis taient intituls : des Principes ; les trois derniers : Du Mouve-ment. Ces deux derniers titres sont presque les seuls qui soient cits par Aristote lui-mme ; par exemple, dans le Trait du ciel, livre I, chapitre 5, dit. de Berlin, page 272, a, 30 ; ibid. ch. 6, dit. de Berlin, p. 274, a, 21 ; id. livre III, ch. 1, dit. de Berlin, p. 299, a, 40. Aristote parle aussi trs souvent dans la Mtaphysique de son Trait sur la na-ture. J'ai prfr le titre de Leons de Physique tous les autres, afin de conserver le souvenir de la tradition, au moins en partie, puisqu'en gnral cet ouvrage est connu sous le nom de Physique d'Aristote Le titre le plus convenable est celui que donnent quelques manuscrits : [30] Des Principes de la nature ; mais ce titre, que Pacius recom-mande avec raison, n'a pas prvalu. 23

    En quoi le titre qui intitule un ouvrage sans titre, dirons-nous dans les pages qui suivent, importe-t-il ? Quel est lintrt dune telle enqute sur le titre dun ou-vrage prim ? En effet, aujourdhui, il existe toute une littrature qui nous raconte que, depuis Galile, une nouvelle physique a rendu obsolte la physique dAristote. Or, ds le second chapitre du Livre I de louvrage o Aristote aborde les questions du (lieu) et du (mouvement local : , translation, transport), un ouvrage contenant huit livres, la ligne 184b 15, il crit :

    1. ' , , , , , , ' ,

    23 Physique dAristote ou Leons sur les principes gnraux de la nature, traduit en

    franais par J. Barthlmy Saint-Hilaire, Tome I, Paris, 1862, Librairie philosophique de Lagrange, Remacle ; nous sommes lauteur de la mise en italique de certains ca-ractres.

    http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/phys1.htm

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 37

    , , , , , , , . 2. , , , , . 3. , ' , [31] , . . 4. ( , ), 5. , , ' , ' . 6. ' ' . 7. ' , ' , , , , 8. ' , , .

    J. Barthlmy Saint-Hilaire en propose la traduction suivante :

    1. Ncessairement il doit y avoir dans l'tre ou un principe unique ou plusieurs principes. En supposant que ce principe soit unique, il doit tre, ou immobile, comme le prtendent Parmnide et Mlissus, ou mobile, comme l'affirment les Physiciens, soit qu'ils trouvent ce pre-

  • 38 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    mier principe dans l'air, soit qu'ils le trouvent dans l'eau. En admettant qu'il y a plusieurs principes, ces principes sont en nombre fini et infini ; s'ils sont finis, mais en tant toujours plus d'un, ils sont alors deux, trois, quatre ou tel autre nombre ; s'ils sont infinis, ils peuvent tre comme l'entend Dmocrite, d'un seul et [32] mme genre, ne diffrant qu'en figure et en espce ; ou bien ils vont mme jusqu' tre con-traires. 2. C'est encore une tude toute pareille que font les philosophes qui recherchent quel est le nombre des tres ; car ils recherchent d'abord si la source d'o sortent les tres et les choses, est un principe unique, ou bien si ce sont plusieurs principes ; puis en supposant qu'il y ait plusieurs principes, ils se demandent s'ils sont finis ou infinis. Par consquent, c'est rechercher encore si le principe et l'lment des choses est unique, ou s'il y en a plusieurs. 3. Cependant, tudier cette question de savoir si l'tre est un et im-mobile, ce n'est plus tudier la nature ; car de mme que le Gomtre n'a plus rien dire un adversaire qui lui nie ses principes, et que cette discussion appartient ds lors une autre science que la go-mtrie ou une science commune de tous les principes, de mme le philosophe qui s'occupe des principes de la nature, ne doit pas accep-ter la discussion sur ce terrain. Du moment, en effet, que l'tre est un, et un au sens d'immobilit o on le prtend, il n'y a plus, proprement dire, de principe, puisqu'un principe est toujours le principe d'une ou de plusieurs autres choses. 4. Examiner si l'tre est en ce sens, revient tout fait discuter telle autre thse tout aussi vaine, parmi celles qui ne sont avances que pour le besoin de la dispute, comme la fameuse thse d'Hraclite. Au-tant vaudrait soutenir que l'tre entier se concentre dans un seul indi-vidu de l'espce humaine. 5. Au fond, c'est simplement rfuter un argument captieux, dfaut que prsentent les deux opinions de Mlissus et de Parmnide ; car elles reposent toutes deux sur des prmisses fausses, et elles ne concluent pas rgulirement. Mais le raisonnement de Mlissus est encore le plus grossier, et il ne peut pas mme causer la moindre h-sitation ; car il suffit d'une seule donne absurde pour que toutes les consquences le soient galement ; et c'est une chose des plus fa-ciles voir. [33] 6. Quant nous, posons comme un principe fondamental que les choses de la nature, soit toutes, soit quelques-unes au moins sont

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 39

    soumises au mouvement ; et c'est l un fait que l'induction ou l'obser-vation nous apprend avec toute vidence. 7. Mais, en mme temps, nous ne prtendrons point rpondre toutes les questions, et nous ne rfuterons que les erreurs que l'on commet dans les dmonstrations en partant des principes ; nous lais-serons de ct toutes celles qui n'en partent pas. C'est ainsi, par exemple, que c'est au gomtre de rfuter la dmonstration de la quadrature du cercle par les segments ; mais le gomtre n'a plus rien faire avec celle d'Antiphon. 8. Nanmoins, comme sans traiter prcisment de la nature, ces philosophes touchent des questions physiques, il sera peut-tre utile d'en dire ici quelques mots : car ces recherches ne laissent pas que davoir leur ct de philosophie.

    Aristote situe les doctrines proposes par des philosophes qui lont prcd, et ce, par opposition la sienne. Alors que les doctrines de ses devanciers porte sur ltre ( ), la sienne porte sur la nature ( ). De ce long pas-sage, retenons :

  • 40 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    1. Ncessairement il doit y avoir dans l'tre [ ] ou un principe unique

    ou plusieurs principes :

    1.1. en supposant que ce principe soit unique, il doit tre : 1.1.1. ou immobile, comme le prtendent Parmnide et M-

    lissus ; 1.1.2. ou mobile, comme l'affirment les Physiciens, dont H-

    raclite et sa fameuse thse [On ne se baigne pas deux fois dans le mme fleuve] ;

    1.2. en supposant qu'il y a plusieurs principes, ces principes sont

    en nombre fini et infini : [34]

    1.2.1. s'ils sont finis, mais en tant toujours plus d'un, ils sont alors deux, trois, quatre ou tel autre nombre ;

    1.2.2 s'ils sont infinis, ils peuvent tre, comme l'entend D-mocrite, d'un seul et mme genre, ne diffrant qu'en figure et en espce [atomisme, plein-vide] ; ou bien ils vont mme jusqu' tre contraires.

    2. Cependant, tudier cette question de savoir si l'tre est un et immobile,

    ce n'est pas tudier la nature ( ) comme moteur du mouvement naturel. Et l est limportance du sujet tudi dans louvrage sans titre, et lintrt de son titre sil doit exprimer le dit sujet.

    Or, tudier la nature ( ), cest le projet qui anime Aris-tote lorsquil crit louvrage au titre incertain. Et ce projet implique une question de mthode parce que, de mme que le Gomtre n'a plus rien dire un ad-versaire qui lui nie ses principes, et que cette discussion appartient ds lors une autre science que la gomtrie ou une science commune de tous les prin-cipes [ ], de mme le philosophe qui s'occupe des prin-cipes de la nature, ne doit pas accepter la discussion sur ce terrain.

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 41

    Le sujet prcis sur lequel porte louvrage dAristote, savoir , sujet qui le distingue de Parmnide et de Mlissus, tient en cette courte phrase :

    Quant nous, posons comme un principe fondamental que les choses de la nature [ ], soit toutes [ ], soit quelques-unes [ ] au moins, sont soumises au mouvement [ ] ; et c'est l un fait que l'induction [35] [ ] nous apprend avec toute vidence [ ]. 24

    Comment en traite-t-il ? Aristote rpond : (...) . ; ces recherches ne laissent pas que davoir leur ct de philosophie. Si ces recherches ne laissent pas que davoir leur ct de philosophie , de quoi est fait ce ct de philosophie ? Et la rponse dAristote se trouve la ligne 193b 22 :

    1. , ( , ). (...) 4 , ' , , . 5 . 25 26

    24 Sur la science des principes : Aristote, Mtaphysique,1059a 18 :

    , [20] ' , ' , ' , ;

    Que la philosophie soit prcisment la science des principes, c'est une vrit qui ressort de ce que nous avons dit, en discutant les thories relatives aux principes que d'autres philosophes ont exposes. Mais on peut se demander si la philosophie est une science unique, ou si plutt elle ne se forme pas de plusieurs sciences. Si elle ne for-me qu'une seule science, on doit se rappeler qu'il n'y a jamais qu'une seule et unique science pour les contraires. Or, les principes ne sont pas contraires entre eux. D'un au-tre ct, si la philosophie ne forme pas une seule et unique science, quelles sont les sciences dont elle se compose ? Remacle.org.

    25

    http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque11gr.htm#11

  • 42 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    J. Barthlmy Saint-Hilaire en propose la traduction suivante : [36]

    1. Aprs avoir parcouru toutes les acceptions du mot de nature [ ], nous devons dire maintenant en quoi l'tude des mathmatiques diffre de l'tude de la physique [ ] ; car les corps de la nature ont [ ] des sur-faces [ ], des solidits [ ], des lignes et des points [ ], qui sont les objets particuliers des recherches du mathmaticien [ ]. (...) 4. Le mathmaticien [ ], quand il tudie les surfaces, les lignes et les points [ ], ne s'en occupe pas en tant que ce sont l les limites d'un corps naturel [ ' ], et il ne regarde pas davantage aux proprits qui peuvent accidentellement leur appartenir en tant que ces proprits appartiennent des tres rels [ ] : aussi il peut abstraire ces notions [ ], que l'entendement, en effet, spare sans peine du mouvement [ ] ; et cette abstraction, qui n'amne aucune diffrence [ ], n'est pas faite pour produire d'erreur [ ]. 5. C'est l ce que font prcisment aussi ceux qui admettent le systme des Ides, sans d'ailleurs s'en apercevoir [ ] ; car ils abstraient les choses physiques, qui sont bien moins susceptibles d'abstraction que les choses mathmatiques [ ].

    tudier la nature ( ) avec son ct de philosophie , prend pour sujet dtude les corps de la nature [ ] qui ont des surfaces [ ], des solidits [ ], des lignes et des points [ ] . Cette tude des corps de la nature [ ] faite par le philosophe de la nature se distingue de celle que conduit le math-maticien en ce quelle : [37] 26 Physique dAristote ou Leons sur les principes gnraux de la nature, traduit en franais par J. Barthlmy Saint-Hilaire, http ://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/phys22.htm

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 43

    tudie les surfaces, les lignes et les points , s'en occupe (...) en tant que ce sont l les limites d'un corps naturel [ '

    ] , et regarde (...) aux proprits qui peuvent accidentellement leur apparte-

    nir en tant que ces proprits appartiennent des tres rels [ ] .

    Tout a comme accident propre dtre ; et tout a comme accident propre dtre . Comme tout ce qui est affirm du prdicat devra tre aussi affirm du sujet 27

    , il sensuit que tout , ayant comme accident propre de premier ordre dtre , aura comme ac-cident propre de second ordre dtre .

    Nous avons vu que chacun de ses dix modes de ltre dit fini est un prdica-ment dit mtaphysique : substance, quantit, qualit, action, passion, rela-tion, position, o, quand, avoir. La substance, qui est dite dun sujet sans tre dans un sujet, est premire en ce quelle soutient dans ltre les neuf autres pr-dicaments, qui sont dits dun sujet et sont dans un sujet, soit la substance. Or, il existe une ordonnance, un ordre de rangement, qui rgit ces neuf autres prdicaments et qui les situe lun par rapport lautre. Par exemple, la ligne 4b 20 du trait intitul Catgories , Aristote crit : En outre, la quantit est constitue soit de parties ayant entre elles une position lune lgard de lautre, soit de parties nayant pas de position lune lgard de lautre. 28

    Le prdica-ment position [38] est un accident de second ordre qui suit de ltendue, ac-cident de premier ordre de la substance, dans cet exemple.

    Autre exemple : tout corps, comme substance, a la quantit comme accident de premier ordre, la qualit comme accident de second ordre. La relation ayant pour fondement la quantit est un accident de second ordre par rapport elle ; la rela-tion ayant pour fondement le couple action-passion (relation cause-effet) est un

    27 Aristote, Catgories, 1b 10 - 24, nouvelle traduction pour Internet par soeur Pascale

    Nau, sur la base de la version grecque, la traduction Vrin et la traduction anglaise de E. M. Edghill, dition Docteur Anglique.

    28 Aristote, op. cit., 4b 20.

    http://docteurangelique.free.fr/

  • 44 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    accident de quatrime ordre : 1e. quantit, 2e. qualit, 3e. action-passion, 4e

    . rela-tion.

    Tout a comme accident propre dtre ; tout corps naturel est un solide limit par une une surface. Le mot franais solide , qui traduit ici le mot grec , prend, de ce fait, une signification prcise qui diffre de certaines autres acceptions cou-rantes. Cest ainsi quon oppose souvent trois tats de la matire 29

    : solide, liquide, gazeux. Dans l'tude de la physique , selon son ct de philoso-phie , celle que conduit Aristote, la matire est un principe du corps naturel qui, lui, est toujours un solide limit par une une surface, parce quil est continu et fini. Ainsi, leau est un corps, lair est un corps, et ces deux corps sont solides au sens de .

    Leau, quelle soit liquide, glace ou vapeur, est solide au sens de . Pour le saisir, il convient de le comparer avec strophonie : Ensemble des procds de transmission ou d'enregistrement, de reproduction et de diffusion des sons permettant l'auditeur [39] de reconstituer la rpartition spatiale des sources sonores et d'obtenir ainsi l'impression de relief acoustique (abrv. usuelle stro). 30

    Les parties de leau, comme corps naturel solide, sont dune nature ( ) telle que, ncessairement, elles se rpartissent les unes lextrieur des autres, et ce, conformment la dfinition mme de la quantit continue, de ltendue : ltendue est laccident attribuant au corps, en tant que tout intgral, davoir des parties intgrantes, parties intgrantes qui sont les unes lextrieur des autres, dune part, et parties intgrantes dont les extrmits se confondent en une seule et mme limite, dautre part, lexclusion des extrmits constituant la surface 29 Le mot matire vient du nom latin materia , o le mot mater , qui signifie

    mre, est manifestement prsent. La matire est mre du multiple. Par contre, la for-me engendre lUn, contraire du multiple ; elle nest donc en rien matire, par dfini-tion. Chez nos contemporains, le mot matire prend une autre signification qui, chez Aristote, est plutt appele : corporel. Pour Aristote, la matire, titre de princi-pe du corps naturel, ce pourquoi il a des parties intgrantes, nexiste pas en dehors du corps dont elle est un des principes, lautre tant la forme.

    30 Centre national de ressources lexicales et textuelles.

    http://www.cnrtl.fr/definition/st%C3%A9r%C3%A9o

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 45

    de ce tout intgral limite qui en fait un tout intgral fini prcisment par ce qui est la surface ( ) dun tout intgral, et limite qui cause que deux touts intgraux font nombre ; le nombre, comme accident rel, nat de la discontinuit de deux touts intgraux. Par ailleurs, la prsence dun gaz en expansion lors dune explosion, alors que le souffle de lexplosion se dploie, rend bien comment un gaz est solide au sens de . Le vent qui abat le chne est aussi solide au sens de . Cest ainsi que, la ligne 227a 10 de louvrage intitul Des Principes de la na-ture, selon la recommandation de Pacius, Aristote crit :

    , ' , , . ' . 31

    [40] Henri Carteron en propose la traduction suivante :

    Le continu [ ] est dans le genre du contigu [ ] ; je dis quil y a continuit [ ' ], quand [ ] les limites [ ] par o les deux choses se touchent [ ] ne sont quune seul et mme chose [ ], et, comme lindique le nom [ ], tiennent ensemble [ ] ; or cela ne peut se produire quand les extrmits sont deux. 32

    Plus loin, la ligne 227a 23, Aristote emploie le nom (symphyse) dans ce passage :

    , , .

    31 Physique dAristote ou Leons sur les principes gnraux de la nature, traduit en

    franais par J. Barthlmy Saint-Hilaire, Remacle.org. 32 Aristote, Physique, texte tabli et traduit par Henri Carteron, Troisime dition revue

    et corrige, Paris, 1961, Socit ddition Les belles lettres , Docteur Anglique.

    http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/phys55.htmhttp://docteurangelique.free.fr/

  • 46 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    Henri Carteron en propose la traduction suivante :

    Par suite, la symphyse des extrmes exige leur contact, tandis que les choses en contact ne sont pas naturellement en symphyse, et l o il ny a pas contact, il ny a videmment pas non plus de symphyse.

    Que faut-il entendre par symphyse ? Le mot franais symphyse semploie aujourdhui en mdecine : en anatomie, connexion entre deux os relis par une articulation fibro-cartilagineuse peu mobile ou par une ossification complte ; en pathologie, accolement anormal de deux lments organiques, notamment les feuillets d'une sreuse 33

    [41] Sauf que le mot grec , manifestement compos de et , offre une signification vidente : est driv de , la prposition avec qui exprime une unit ; et est le nom grec na-ture . Sont en symphyse les parties dun tout intgral dont la nature exige la continuit de ses parties ; cette nature, cest ltendue.

    33 Centre national de ressources lexicales et textuelles,

    http://www.cnrtl.fr/definition/symphyse

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 47

    Tout a comme accident propre dtre , par symphyse. Tout corps naturel a comme accident propre dtre solide avec une surface qui le limite, par symphyse. Tout corps naturel a ltendue, par symphyse. Tout corps naturel est tendu, par symphyse. Tout corps naturel stend, par symphyse.

    Tout corps naturel, comme cause, a pour premier effet propre de stendre par symphyse.

    Nous sommes maintenant en mesure de saisir ce quest, pour Aristote, la quiddi-t du . Pour ce faire, il convient de partir de la quiddit de cet accident quest ltendue, comme lexpose Jean Poinsot, en ces termes :

    Secundum est : Ad ipsam rationem quantitatis intrinsecam pertinere extensionem quantitativam, quae sit radix et aptitudo fundamentalis ad istas formalitates et affectiones extensionis in ordine ad locum ; petit enim quantitas quantum est ex se replere locum, non esse penetra-tive, esse formaliter divisibilem, et similia ; sunt enim isti modi conna-turales quantitati. Unde sententia, quae affirmat consistere quantita-tem in extensione habente aptitudinem ad replendum locum et non se penetrandum, verissima est, sicut etiam consistit in aptitudine ad mensuram et divisibilitatem, sed diminuta, [42] quia explicat naturam rei, non per id quod dicit formaliter, sed per id quod petit radicaliter. Difficultas autem est, in quo consistat formaliter ista radix. 34

    Yves R. Simon, John J. Glanville, G. Donald Hollenhorst en proposent cette tra-duction anglaise :

    34 Jean Poinsot, Cursus philosophicus thomisticus, Nova Editio, Tomus Primus, Logica,

    Parisiis, 1883, Ludovicus Vives, Editor, Secunda Pars Artis Logic, Q. XVI, De quantitate, Art. 1 Qu sit propria et formalis ratio quantitatis.

  • 48 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    (2) Quantitative extension pertains intrinsically to the concept of quan-tity. It is the root and the foundation or those formalities and affections of quantity which are relative to place. Quantity, by nature, tends to fill place, opposes penetration, tends to be formally divisible, etc. These are modes connatural to quantity. The theory that quantity consists in an extension apt to fill place and to oppose penetration is perfectly true. Yet it is a weakened expression of the truth, since, instead of considering what the nature to be explained means formally, it consid-ers what this nature demands radically. The same remark holds for the theory that quantity consists in aptitude to be a measure or to be di-visible. The problem is to find out what formally constitutes the root of those properties. 35

    Notre traduction franaise du texte latin se lit ainsi :

    Appartient intrinsquement la notion mme de quantit l'extension quantitative [ltendue], qui est la racine et laptitude fondamentale [de la quantit du corps] ces formalits et ces dispositions de lextension [action de se rpandre] ordonne au lieu. Car, la quantit [du corps], par nature, tend de soi remplir le lieu, ne pas tre pntre [par la quantit dun autre corps], tre formellement divisible, et autres semblables. Ce sont, en effet, des modes connaturels la quantit. De l, lopinion [sententia] selon laquelle la quantit consiste en une extension apte remplir le lieu [43] et s'opposer la pntration est parfaitement vraie, de mme quelle consiste aussi en une aptitude la mesure et la divisibilit, mais [cette opinion est] affaiblie [di-minuta], parce quelle explique la nature de la ralit [ltendue relle du corps], non par ce quelle en dit formellement [non per id quod dicit formaliter], mais par ce quelle exige radicalement [per id quod petit radicaliter]. Tandis que la difficult [ rsoudre formellement, per id quod dicit formaliter], cest ce en quoi consiste formellement cette ra-cine [in quo consistat formaliter ista radix].

    Chez Jean Poinsot, cette difficult connatre ce en quoi consiste formel-lement cette racine voque le problme de labstraction dont Aristote dit, la ligne 193b 22 de son ouvrage, comme nous lavons vu plus haut :

    4. Le mathmaticien, quand il tudie les surfaces, les lignes et les points, ne s'en occupe pas en tant que ce sont l les limites d'un corps naturel, et il ne regarde pas davantage aux proprits qui peuvent ac-

    35 The Material Logic of John of Saint-Thomas, Basic Treatises, translated by Yves R.

    Simon, John J. Glanville, G. Donald Hollenhorst, Chicago and London, 1955, The University of Chicago Press, p. 255.

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 49

    cidentellement leur appartenir en tant que ces proprits appartien-nent des tres rels : aussi il peut abstraire ces notions, que l'enten-dement, en effet, spare sans peine du mouvement ; et cette abstrac-tion, qui n'amne aucune diffrence [en gomtrie], n'est pas faite pour produire d'erreur. 5. C'est l ce que font prcisment aussi ceux qui admettent le systme des Ides, sans d'ailleurs s'en aperce-voir ; car [ceux qui admettent le systme des Ides] abstraient les choses physiques, qui sont bien moins susceptibles d'abstraction que les choses mathmatiques.

    Autrement dit, il existe une difficult dans la recherche et la saisie de la quid-dit quest ltendue, cet accident de premier ordre du corps envisag comme cause du fait que le concerne un accident de second ordre : le o . Sil est facile dabstraire un lieu gomtrique (notamment un espace) pour mieux le connatre, puisque le gomtre tudie la quantit abstraite, il nen va plus de mme pour un lieu naturel, celui que comble la quantit concrte ; tudier la nature ( [44] ) avec son ct de philosophie , se heurte cette difficult . Malgr cette difficult , quel rsultat aboutit Aristote lorsquil explique la nature de la ralit [ltendue relle du corps] (...) par ce quelle exige radicale-ment si la quantit consiste en une extension apte remplir le lieu , comme le dit Jean Poinsot ? La rponse dAristote se trouve au Livre IV de louvrage sans titre. Nous ne lexaminerons pas en dtail parce quune telle tche d-passerait de beaucoup les limites du sujet que nous sommes tudier et qui im-plique un certain l o . Cette rponse dAristote se trouve la ligne 208a 27 de louvrage Des principes de la nature, selon la recommandation de Pacius :

    1 ' , , , . 2 ( ;) 3 , . 4 ' . 36

    36 Physique dAristote ou Leons sur les principes gnraux de la nature,

    Remacle.org.

    http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/phys41.htm

  • 50 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    Henri Carteron en propose la traduction suivante :

    Quand il en vient ltude du lieu, le physicien [le philosophe de la na-ture] doit, tout comme au sujet de l'infini, rechercher s'il existe ou non, et quel titre, et ce qu'il est. Selon lopinion commune, en effet, les tres sont, comme tels, quelque part, car le non-tre nest nulle part : o est le bouc-cerf, le sphinx ? Puis le plus gnral et principal mou-vement est le mouvement selon le lieu (dans notre terminologie, le transport). Mais la question de savoir ce que peut [45] bien tre le lieu est pleine de difficults ; en effet, il napparat pas unique qui lexamine selon toutes ses proprits. 37

    Remarquons bien la phrase : ( ). Selon lopinion commune, en effet, les tres sont, comme tels, quelque part, car le non-tre nest nulle part. tudier la nature ( ) avec son ct de philosophie , saccomplit en considrant les tres [naturels] et le non-tre pertinent. la ligne 208b 1, Aristote poursuit en ces termes :

    , , , , , , . 38

    Henri Carteron en propose la traduction suivante : Que donc le lieu existe, on le connat clairement, semble-t-il, au rem-placement : l o maintenant il y a de leau, l mme, quand elle en part comme dun vase, voici de lair qui sy trouve et, tel moment, une autre espce de corps occupe le mme lieu : cest que, semble-t-il, [le lieu] est une chose autre que celles qui y surviennent et sy rem-placent, car l o il y a maintenant de lair, l il y avait tout lheure de

    37 Aristote, Physique, texte tabli et traduit par Henri Carteron, Troisime dition revue

    et corrige, Paris, 1961, Socit ddition Les belles lettres , Docteur Anglique. 38 Physique dAristote ou Leons sur les principes gnraux de la nature, Remacle.org.

    http://docteurangelique.free.fr/http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/phys42.htm

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 51

    leau ; par suite, il est clair que le lieu est quelque chose [46] dautre que les deux corps qui y entrent et en sortent en se remplaant. 39

    Nous avons mis l o , associ corps , en caractres gras puisque le sujet que nous sommes tudier implique prcisment un certain l o . Dans son texte, Aristote dclare aussi que, au remplacement, on connat clai-rement, semble-t-il, que le lieu existe , ce qui recoupe un aspect important de notre sujet, le (mouvement local : , translation, trans-port) : l o il y a maintenant de lair, l il y avait tout lheure de leau . Mais, la dclaration dAristote est affaiblie par lexpression : semble-t-il . Lexpression au remplacement nomme le signe grce auquel on connat clairement, semble-t-il, que le lieu existe ; mais, le semble-t-il empche en-core de qualifier ce signe selon quil est soit irrfutable , soit rfutable . Plus loin, il se prononcera pour une qualification en termes de irrfutable ( ), comme nous le verrons bientt. 40

    Rappelons-nous que nous cherchons une rponse la Question 1 :

    La manire dentendre les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre

    homme , dautre part, affecte-t-elle la manire dentendre les deux occurrences de la locution la libert dans lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme. ?

    [47] Il est dj clair que la manire dentendre les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre

    homme , dautre part, affecte la manire dentendre les deux occurrences du nom homme dans lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme.

    Rappelons-nous aussi que nous cherchons une rponse la Question 2 :

    39 Aristote, Physique, texte tabli et traduit par Henri Carteron, Troisime dition revue

    et corrige, Paris, 1961, Socit ddition Les belles lettres , Docteur Anglique. 40 Aristote, Rhtorique, 1357b 1-20, Remacle.org ; Premiers analytiques, 70a 1 - 70b 5,

    Remacle.org.

    http://docteurangelique.free.fr/http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/rheto1.htm#IIhttp://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/analyt227.htm

  • 52 La libert des uns sarrte l o commence celle des autres

    Si oui, comment la manire dentendre les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre

    homme , dautre part, affecte-t-elle la manire dentendre les deux occurrences de la locution la li-bert dans lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme. ?

    Il est aussi dj clair que la manire dentendre les locutions un (1) homme , dune part, et un (1) autre

    homme , dautre part, affecte la manire dentendre les deux occurrences du nom homme dans lopposition quexprime : (P3) la libert dun (1) homme - la libert dun (1) autre homme. , et ce, selon que chacun de ces hommes est un tout intgral dont ltendue comble un lieu, celui quoccupe chacun deux.

    Ds lors, sous rserve de lexpression semble-t-il , en cas de remplacement d un (1) homme par un (1) autre homme, l o il y a maintenant [un (1) homme], l il y avait tout lheure [un (1) autre

    homme] ; par suite, il est clair que le lieu est quelque chose dautre que les deux corps qui y entrent et en sortent en se remplaant .

    Lexpression semble-t-il situe la dclaration dAristote selon la vraisemblance. Or, lanalyse, le vraisemblable peut parfois, pas toujours, tre rsolu au vrai, comme il peut aussi tre rsolu au faux. Quen est-il de lexpression semble-t-il eu gard nos deux questions ? [48] Sa rsolution analytique en ses prin-cipes aboutit au vrai, comme nous allons maintenant le voir. la ligne 212a 7 de louvrage Des Principes de la nature, selon la recommanda-tion de Pacius, Aristote nous prvient que cest une grande et difficile question de comprendre le lieu , en ces termes :

    26 , . , . 27 ' , . , ,

  • La libert des uns sarrte l o commence celle des autres 53

    . ' , . 28 , ' . (...) 2 . 3 . 4 , , , . 41

    Henri Carteron en propose la traduction suivante :

    Il semble que ce soit une grande et difficile question de comprendre le lieu, parce quil donne lillusion dtre la matire et la forme, et parce que le dplacement du corps transport se produit lintrieur dune enveloppe qui reste en repos ; le lieu parat en effet pouvoir tre une autre chose, intermdiaire, indpendante des grandeurs en mouve-ment. [49] cela contribue lapparence que lair est incorporel ; le lieu parat tre, en effet, non seulement les limites du vase, mais ce qui est entre ces limites, considr comme vide. Dautre part, comme le vase est un lieu transportable, ainsi le lieu est un vase quon ne peut mou-voir. Par suite, quand une chose, intrieure une autre qui est mue, est mue et change de place, comme un navire sur un fleuve, elle est, par rapport ce qui est lenveloppe, plutt comme dans un vase que dans un lieu. Le lieu veut tre immobile, aussi est-ce plutt le fleuve dans son entier qui est le lieu, parce que dans son entier il est immo-bile. Par suite, la limite immobile immdiate de lenveloppe, tel est le lieu. (...) Autre consquence : le lieu parat tre une surface et comme un vase : une enveloppe. En outre, le lieu est avec la chose, car avec le limit, la limite. 42

    La grande et difficile question ici pose est celle de comprendre [ce quest] le lieu ( ), ce quest sa quiddit : Quest-ce que le lieu ? Et la rponse une telle question consiste noncer lessence de cette quiddit, et ce, en une dfinition. Aristote nonce lessence de cette quiddit quest le lieu dans les termes de cette dfinition : la limite immobile immdiate de lenveloppe, tel est le lieu :

    41 Physique dAristote ou Leons sur les principes gnraux de