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Kentron, n o 28 – 2012, p. 131-158 L’« ANONYME » : UN PALIMPSESTE DÉMOCRITÉEN DANS LE PROTREPTIQUE DE JAMBLIQUE ? L’histoire du protreptikos logos, le discours d’exhortation à la vertu ou à la philosophie, que l’on croie ou non à une origine sophistique 1 du genre, est difficile à cerner, en raison de l’absence d’une définition théorique ancienne du genre, de la rareté des œuvres qui portent cet intitulé et de l’incertitude sur l’authenticité des titres transmis par la tradition. L’abondance du registre de προτρέπω, προτροπή dans une œuvre est toutefois le critère le plus ouvert à la diversité des formes choisies et des sujets traités. Ainsi peut-on voir que ce type de discours a été mis en scène de façon originale par Platon dans plusieurs dialogues 2 , mais également qu’Isocrate s’en réclame 3 . L’Antidosis d’Isocrate apparaît d’ailleurs comme le pendant et le rival d’un Protreptique perdu d’Aristote 4 , sur lequel nous reviendrons. Le plus ancien Protreptique conservé, désigné comme tel par son auteur lui-même 5 , est l’œuvre d’un apologiste chrétien, Clément d’Alexandrie, qui, vers 190 après J.-C., s’adresse aux Grecs pour les détourner du paga- nisme et les tourner vers la foi chrétienne 6 ; nous avons aussi, à peu près contemporain, de Galien, un Protreptique à l’étude de la médecine entre tous les arts 7 . Le Protreptique de Jamblique, plus tardif encore, est malgré tout le plus ancien représentant conservé d’une exhortation proprement philosophique se revendiquant vigoureusement 8 de ce 1. Cette origine traditionnellement admise a été récemment contestée par Van der Meeren 2002, qui croit à une origine philosophique. 2. Voir Festugière 1973. 3. 14 occurrences du verbe προτρέπειν avec pour régime la vertu, la philosophie, la bienfaisance, 1 occurrence de προτρεπτικοὶ λόγοι. 4. Hutchinson & Johnson 2008. 5. Clément d’Alexandrie, Stromates, VII, 4, 22, 3 : ἐν τῷ Προτρεπτικῷ ἐπιγραφομένῳ ἡμῖν λόγῳ. 6. Voir Pouderon 2008, 227-251, pour les rapports entre apologie et protreptique chez les premiers apologistes. 7. Voir la notice introductive de Boudon-Millot 2000, 6, qui établit l’unicité du Protreptique, dont la première partie, consacrée aux arts en général, est seule parvenue jusqu’à nous, tandis que l’existence d’un protreptique spécifique à la médecine est attestée, deuxième partie d’un seul et même traité. 8. L’incertitude sur l’authenticité du titre est, à notre avis, complètement levée par l’abondance du vocabulaire de la προτροπή sous toutes ses formes (66 occurrences dans le Protreptique, 5 seulement

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  • Kentron, no 28 2012, p. 131-158

    L ANONYME : UN PALIMPSESTE DMOCRITEN DANS LE PROTREPTIQUE DE JAMBLIQUE ?

    Lhistoire du protreptikos logos, le discours dexhortation la vertu ou la philo sophie, que lon croie ou non une origine sophistique 1 du genre, est difficile cerner, en raison de labsence dune dfinition thorique ancienne du genre, de la raret des uvres qui portent cet intitul et de lincertitude sur lauthenticit des titres transmis par la tradition. Labondance du registre de , dans une uvre est toutefois le critre le plus ouvert la diversit des formes choisies et des sujets traits. Ainsi peut-on voir que ce type de discours a t mis en scne de faon originale par Platon dans plusieurs dialogues 2, mais galement quIsocrate sen rclame 3. LAntidosis dIsocrate apparat dailleurs comme le pendant et le rival dun Protreptique perdu dAristote 4, sur lequel nous reviendrons. Le plus ancien Protreptique conserv, dsign comme tel par son auteur lui-mme 5, est luvre dun apologiste chrtien, Clment dAlexandrie, qui, vers 190aprsJ.-C., sadresse aux Grecs pour les dtourner du paga-nisme et les tourner vers la foi chrtienne 6 ; nous avons aussi, peu prs contemporain, de Galien, un Protreptique ltude de la mdecine entre tous les arts 7. Le Protreptique de Jamblique, plus tardif encore, est malgr tout le plus ancien reprsentant conserv dune exhortation proprement philosophique se revendiquant vigoureusement 8 de ce

    1. Cette origine traditionnellement admise a t rcemment conteste par Van der Meeren 2002, qui croit une origine philosophique.

    2. Voir Festugire 1973.3. 14occurrences du verbe avec pour rgime la vertu, la philosophie, la bienfaisance,

    1occurrence de .4. Hutchinson & Johnson 2008.5. Clment dAlexandrie, Stromates, VII,4, 22, 3: .6. Voir Pouderon 2008, 227-251, pour les rapports entre apologie et protreptique chez les premiers

    apologistes.7. Voir la notice introductive de Boudon-Millot 2000,6, qui tablit lunicit du Protreptique, dont la

    premire partie, consacre aux arts en gnral, est seule parvenue jusqu nous, tandis que lexistence dun protreptique spcifique la mdecine est atteste, deuxime partie dun seul et mme trait.

    8. Lincertitude sur lauthenticit du titre est, notre avis, compltement leve par labondance du vocabulaire de la sous toutes ses formes (66occurrences dans le Protreptique,5 seulement

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    genre . Sa date ne peut tre exactement dtermine: disciple de Porphyre, lui-mme disciple de Plotin, le Syrien Jamblique a vcu de 245 325 environ.

    Le trait de Jamblique est le second livre dune ample synthse pythagoricienne qui en comporte dix ; le premier trait de cette est la Vita pythagorica, combinant une biographie de Pythagore et lexpos de lidal de vie pythagori-cien ; les troisime et quatrime livres conservs sont consacrs la mathmatique pythagoricienne, comme ltaient aussi les traits perdus qui tudiaient la science des nombres dans la physique, lthique, la thologie, puis dans la gomtrie, la musique et lastronomie 9.

    Lexhortation la philosophie qui constitue le second trait se prsente comme lassemblage de nombreux passages plus ou moins tendus, emprunts divers philosophes, qui ne sont pas nomms ; aussi a-t-on pu parler de centon son sujet (Bywater 1869). Un cas particulirement complexe est celui du long chapitre20, lavant-dernier du trait. Le savant F.Blass y a reconnu, en 1889, juste aprs la parution chez Teubner de ldition Pistelli, une dizaine de pages provenant dun crit, selon lui sophistique, de la seconde moiti du VesicleavantJ.-C., pour lequel diverses identifications ont t proposes, sans quun accord ait pu stablir: cest ce texte que lon dsigne comme l Anonyme . On a cru pouvoir y reconnatre Antiphon, Hippias, Protagoras, Critias, Antisthne, Prodicos, Thramne, Isocrate et enfin Dmocrite. Un examen trs complet de la question se trouve dans les ouvrages rcents de D.Musti et M.Mari, et dautre part dA.Ciriaci 10.

    Dans lclairage particulier de lemprunt 11, nous souhaiterions chercher voir si ltude des intentions et des procds de lemprunteur peut contribuer privil-gier lune des pistes proposes, lattribution de ces pages Dmocrite, nos yeux la plus plausible, en dpit de lnorme difficult dialectale laquelle elle se heurte, puisque tous les fragments qui sont attribus au grand atomiste ont pour vhicule le dialecte ionien.

    dans le reste de luvre).9. Voir les reconstitutions de Dalsgaard Larsen 1972, et de Brisson et Segonds 1996.

    10. Musti & Mari 2003, 73-108 ; Ciriaci 2011, 28-51. Les auteurs des deux livres divergent dailleurs compltement sur la datation de lAnonyme: Musti & Mari, rompant avec la position traditionnelle, penchent pour le milieu du IVesicle, voir particulirement Mari, commentaire du chapitre7, le chapitre conomique , 254-281 ; position vivement conteste par Ciriaci 2011, 60-68, en raison de la coloration fortement marque dionismes que prsente lattique de lauteur inconnu.

    11. Nous avons adopt, pour les passages appartenant en propre Jamblique, le texte et la traduction des Places (1989, CUF) ; pour les fragments appartenant en propre lAnonyme, nous avons fait choix du texte de Diels-Kranz (DK), retenu par les diteurs du TLG, et nous en donnons une traduction personnelle. Une liste dtaille des correspondances entre nos rfrences au texte de DK et la pagination de ldition des Places (1989, CUF) est donne en tte des indications bibliographiques.

  • L Anonyme de Jamblique: un palimpseste dmocriten ?

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    Lemprunt dans la perspective de lexgse philosophique et du syncrtisme

    Avant daborder ltude de ce texte dauteur inconnu, il est ncessaire denvisager le traitement de lensemble des textes identifis dans le Protreptique. Considrer luvre comme un pur centon ne rend pas justice lauteur, ni pour ce qui est de lintention qui prside lemprunt, ni pour ce qui est de la forme donne luvre.

    La perspective de Jamblique est volontairement modeste et clectique dans sa volont dapologie du pythagorisme. E.des Places et A.Ph.Segonds font un rappro-chement clairant avec des propos tirs du 4elivre de la , Commentaire sur lintroduction mathmatique de Nicomaque, nous navons pas pour dessein de dire des choses nouvelles, mais les opinions des auteurs antiques 12. Lintention qui prside au Protreptique est souligne par deux fois lorsque lauteur prsente larchitecture de son livre, dabord dans une liste de rubriques, qui semble bien tre authentique 13, place en tte du trait, puis dans le prambule qui en dfinit lintention et la progression (1 et 2): lauteur annonce quil veut partir des notions communes et des maximes familires (les expressions , y sont rptes jusqu lobsession) concernant lducation intellectuelle et morale, qui prpare lme tout ce qui participe du bien ( ). Ce bien est demble propos (chapitre3), dans toute sa plnitude, par lexpos dautres maximes contenues dans les Vers dor, o la fin de lhomme est dfinie comme la vie de batitude propose par les dieux aux hommes . Puis lex-hortation proprement dite commence par une incitation commune qui ne privilgie aucune cole, avant un expos intermdiaire qui mlera incitations communes toute philosophie et doctrines pythagoriciennes pour aboutir, dpassant les notions exotriques, au dernier degr de lascension, lexpos de lexhortation proprement pythagoricienne par les symboles. Lauteur se met donc au service du pythagorisme, philosophie suprme laquelle concourent tous les systmes philosophiques, dans une perspective vritablement syncrtiste.

    En dpit de leffacement volontaire de lauteur, ce plan vigoureusement dessin, mme sil nest pas toujours ais suivre dans le dtail, porte bien videmment la marque originale de Jamblique dans le choix et lagencement des extraits ainsi incorpors, mais aussi dans les sutures plus ou moins longues qui assemblent les extraits, soit quelles rsument un texte, soit quelles soulignent ou annoncent les articulations des passages cits, soit que, plus dveloppes, elles relvent de ce que

    12. Cf. des Places 1989, intr. p.9. In Nic., 5,22-23 ( , , texte grec de ld. Pistelli Klein, TLG).

    13. Voir la note de Segonds dans des Places 1989, 155.

  • Michelle Lacore

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    B.Dalsgaard Larsen 14 nomme judicieusement la paraphrase exgtique . Lrudit danois souligne ce propos limportance du commentaire dans lenseignement de la philosophie tel que le conoit Jamblique ; il voit en lui un reprsentant de lexgse pure . Jamblique a t un grand exgte de Platon et dAristote, comme le rappelle, la fin du livre, une annexe regroupant tous les fragments pars de commentaires de Platon et dAristote attribus au philosophe Jamblique, au grand Jamblique, au divin Jamblique par Olympiodore, Proclus, Simplicius, entre autres.

    Il y a donc la fois chez Jamblique une profonde imprgnation par la philosophie des grands matres, une matrise intellectuelle de leur pense et la volont de dpas-ser leurs divergences pour les intgrer dans une vaste synthse. Limprgnation de Jamblique par ses auteurs favoris marque le style mme de son expos: au-del dune certaine verbosit un peu scolaire ou catchtique parfois, ce que nous appellerions volontiers le tissu conjonctif de lexpos mriterait une tude de dtail, car il recle nombre de courtes citations implicites, marques, dans le style mme de Jamblique, de son intimit avec les grands textes, qui pourraient tre rapproches des citations implicites de potes si nombreuses dans le texte de Platon. Ce traitement particulier des textes originaux la fois complique lidentification prcise des sources et en mme temps oblige rendre justice Jamblique lui-mme, dont on ne peut considrer le trait simplement comme une carrire dautres auteurs perdus 15. Le souci de faire uvre personnelle en assurant la cohsion de lensemble des citations imbriques fait du Protreptique tout entier un gigantesque palimpseste, la fois au sens littral, palographique, et au sens stylistique donn ce mot par les chercheurs modernes attachs lintertextualit: le trait de Jamblique combine citations explicites peu nombreuses et, lexception dArchytas, de longueur rduite, citations non dclares trs amples et trs nombreuses mais non plagiats cependant et innombrables allusions. De plus la volont de syncrtisme rend difficile par exemple la tche des spcialistes la recherche des fragments du Protreptique perdu dAristote, inclus dans le Protreptique de Jamblique: ils doivent faire la part entre le jeune Aristote platonisant quils croient retrouver et une certaine contamination entre Platon et Aristote, fruit de lenseignement de lcole noplatonicienne.

    La place de lAnonyme dans le Protreptique et son contenu

    La place dvolue au chapitre20 rsulte de la combinaison de lascension mnage par Jamblique pour amener son lecteur vers les symboles pythagoriciens avec un trs ancien procd de composition annulaire, qui organise une symtrie entre le dbut

    14. Dalsgaard Larsen 1972, 117.15. Schnberger 1984, met ainsi en garde contre une lecture sous-estimant les mrites artistiques du

    trait, dans lintroduction sa traduction de luvre.

  • L Anonyme de Jamblique: un palimpseste dmocriten ?

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    et la fin du trait: le chapitre21 ( Symboles ) rpond au chapitre3 ( Vers dor ), de surcrot un second anneau, intrieur au premier, fait du chapitre20 le pendant du chapitre4 (o Jamblique cite nommment et longuement Archytas de Tarente).

    Le trait dArchytas considr dailleurs comme inauthentique par les commentateurs modernes qui le classent parmi les crits pythagoriciens dpoque hellnistique 16 est choisi pour ouvrir lexpos des exhortations sotriques et scientifiques qui enseignent les essences primordiales et tournent les esprits vers leur tude thologique et intellective .

    Le chapitre20, orient non plus vers la contemplation mais vers la vie dans la communaut humaine, est prsent comme lexpos de principes ou conseils ( 17), qui constituent un guide relatif la faon de vivre . Il souvre sur des thmes chers Jamblique: la pratique de la pit (condition de lassimilation du fidle lobjet de son culte ) et le respect de la vrit, lgard des dieux et des hommes, fruits de la philosophie. Puis Jamblique ajoute ( deux fois) la connaissance de la valeur et de lusage des lois, fruit de la vertu, elle-mme fruit de la philosophie, ainsi que la conduite observer dans la frquentation des hommes, reposant sur le discernement et le courage. La conti-nuit non vidente avec les dveloppements prcdents de haute spculation emprunts Platon est assure, de faon appuye, par des conclusions partielles moralisatrices introduites par Jamblique, qui trononne ainsi lexpos en martelant la ncessit de la pratique de la philosophie 18 () comme condition de laccomplissement humain voqu. Alors que le texte mme de lAnonyme ne comporte aucune mention de mais seulement de et quil joue sur les deux sens de , excellence, valeur humaine accomplie, ou bien vertu, une exception prs tous les commentaires intercals par Jamblique comportent ce registre 19.

    Le premier fragment tudie les deux composantes de laccomplissement parfait en tout domaine (sagesse, bravoure, loquence, vertu dans son ensemble ou dans lune de ses parties), qui sont le don naturel et leffort prolong.

    Le second prsente les conditions de lacquisition de la ou du , qui correspondent la reconnaissance par autrui de la valeur que lon possde. La

    16. dits par Thesleff 1965.17. CUF, 121, le chapitre20 souvre sur lannonce de .18. , , apparaissent avec la mme frquence que dans lensemble

    du trait (13occurrences en 10pages sur un total de 151 en 120pages) dans ce chapitre20, mais uniquement dans les raccords de Jamblique.

    19. Entre les fragments 1 et 2, CUF, 123, l.4 ; entre 2 et 3, 124, l.13 et 16 ; entre 3 et 4, 125, l.15 et 16 ; entre 5 et 6, 126, l.15 ; entre 6 et 7, se place la suture exceptionnelle, 128, l.5 9, que nous tudions plus loin.

  • Michelle Lacore

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    concidence dsirable entre lapparence et ltre de la personne, deux fois prsente (1 et 4) dans le passage ( apparatre tel que lon est , puis tre tel que lon parat ) est dabord envisage sous langle de laspiration la reconnaissance par lhomme accompli puis de la reconnaissance effective de sa valeur par les autres. La pers-vrance est l encore lunique moyen de dsarmer la mfiance et la malveillance (), que seule la longueur du temps 20 finit par rduire limpuissance.

    Le troisime fragment dfinit les fins poursuivre par lhomme accompli et les moyens utiliser, qui doivent tre conformes au bien. La valeur humaine trouve son accomplissement dans le service du grand nombre, non par des libralits ncessairement entaches de vilenie (soit dans la reconstitution de largent dpens, soit par lindigence qui menacerait le donateur), mais par le seul don inpuisable, le soutien apport aux lois et au droit, unique ressort de la cohsion de la socit.

    Les fragments4 et 5 affirment la ncessit de la force dme pour rsister, linverse du courant gnral, deux tentations: lattrait de largent () et lattachement la vie (). Le traitement des deux thmes repose sur la ring-composition, avec une dfinition en deux temps symtriques des deux faiblesses combattre en 1 et 2, suivie dun dveloppement qui reprend dabord le deuxime thme (largent) ; puis, dans le fragment5, le thme prsent le premier (lattachement la vie), entrane une ample rfutation, de tonalit hroque 21, centre sur lternit de la gloire vhicule par la parole humaine ( 22) qui compense la brivet de la vie.

    Le fragment6 affirme linscription de la loi dans la nature de lhomme et condamne la force appuye sur la volont de puissance (), qui tient pour lchet la soumission aux lois. Pareille attitude est dnonce comme la source des plus grands maux parce que contraire la nature de lhomme, incapable de vivre isol mais aussi incapable de vivre avec ses semblables sans loi, avec un traitement original du thme de lhomme des origines, cher aux penseurs de la deuxime moiti du Vesicle. La possibilit de lexistence dun surhomme est nie par limage de lhomme dacier, dont la force surnaturelle ne saurait prvaloir contre lhostilit de lensemble de lhumanit attache aux lois 23. Une ncessaire solidarit entre la justice et la force, inverse du pessimisme des Penses de Pascal, est affirme ici

    20. 7occurrences de ou de ses drivs.21. Avec des chos potiques homriques, lyriques, tragiques, relevs en dtail dans notre article de

    1997, 414, n.63.22. Ce terme, avant lAnonyme de Jamblique, napparat que 4fois chez Pindare, 1fois chez Simonide,

    1fois chez Thucydide, 1 chez Euripide, dans un contexte funraire pour les trois derniers exemples. Le verbe est exclusivement potique, ladjectif appartient la prose.

    23. Ltude de cette mtaphore utilise la fois par lAnonyme et par Platon, avec des valeurs trs diffrentes tait lobjet de notre article de 1997.

  • L Anonyme de Jamblique: un palimpseste dmocriten ?

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    puisque, selon lAnonyme, la force ne peut se conserver comme telle que grce la loi et la justice.

    Le fragment7 enfin, le plus long, est une mditation antithtique sur leunomie (la bonne lgislation) et lanomie (labsence de lois ou la violation des lois). Ce long dveloppement, de tonalit solonienne, est travers aussi daperus dun moder-nisme fulgurant: ainsi le premier bienfait de leunomie est dordre conomique et social. La confiance, qui avait t voque, en II,2, comme la condition permettant lhomme accompli de recevoir la considration quil mrite, devient ici la source de la paix sociale, grce la circulation de largent et aux harmonieuses relations quelle permet entre riches et pauvres. Leunomie libre le temps humain des tracas judiciaires et favorise les vraies activits de la vie. Sommeil et veille sont galement sereins et ouverts lesprance. La menace de la guerre pse moins sur les hommes qui bnficient de bonnes lois.

    Lanomie au contraire te tout loisir aux hommes, prisonniers des tracas judi-ciaires ; la mfiance engendre la thsaurisation et le refus des relations entre riches et pauvres aggrave le malheur des dfavoriss, tout en rendant vulnrable aux complots la prosprit des hommes favoriss par le sort. La menace de la guerre saccrot et, pire mal encore, celle de la , la sdition. Sommeil et veille sont galement troubls. Enfin lanomie prpare, par le dveloppement de la volont de puissance (), lavnement de la tyrannie (VII,13). La ruine de la loi qui sert lintrt de la masse permet en effet au tyran ou au roi dimposer son pouvoir personnel () en apparaissant comme celui qui restaure la loi 24 sans laquelle les hommes ne sauraient vivre. Ici reparat limage de lhomme dacier ; le surhomme nexiste pas, mais le tyran, homme de chair et de sang, se sert de la loi pour asseoir son pouvoir personnel ( ) VII,16, avec la complicit inconsciente de la masse, victime de sa propre anomie.

    Le chapitre20 sachve sur une conclusion de Jamblique, trahi par son ton de prdicateur, conclusion certes vigoureuse mais bien loigne de la puissante originalit du penseur chez qui il a puis ces analyses. Cette conclusion affirme la prminence universelle de la loi dsigne comme le discours droit (ou la droite raison) , dernier mot de la philosophie commune, immdiatement suivi de lexpos des symboles pythagoriciens. Or l apparaissait dj dans le fragment introducteur dArchytas de Tarente, dans une perspective thologique, ( la divinit est commencement, fin et milieu de tout ce qui saccomplit selon la justice et la droite raison ), et ainsi, avec la conclusion du chapitre20, le cercle se trouve referm.

    24. Nous suivons, pour ce passage difficile, linterprtation de Roller 1931, 53: im Gegensatz dazu aber, wenn er das, was aufgehrt hat, zu existieren, wieder einsetze, dann knnte er wohl Alleinherrscher werden . Cette interprtation est corrobore par Schnberger 1984.

  • Michelle Lacore

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    LAnonyme et les autres emprunts de Jamblique Problmes stylistiques et linguistiques

    En dpit de lentreprise dunification philosophique et littraire de ses emprunts mene par Jamblique, la situation de lAnonyme est absolument originale par rapport au sort fait aux autres auteurs cits, soit anonymement (Platon et Aristote), soit nommment (Archytas).

    Les emprunts Platon sont massifs (au moins un tiers du Protreptique) et dune fidlit textuelle rigoureuse. Ils ont t signals par les scholiastes puis par les rudits humanistes au fil des ditions (dailleurs peu nombreuses) du trait: celle dArcerius en 1598, celle de Kiessling en 1813, celle de Pistelli en 1888, dont la pagination sert encore de rfrence aux ditions plus rcentes. Lanonymat ici ne peut videmment relever dune volont de dissimulation, sagissant de pages particulirement clbres des grands dialogues platoniciens.

    B.Dalsgaard Larsen, tudiant lactivit dexgte de Jamblique, a privilgi dans son tude les emprunts lEuthydme, sans doute parce que lintervention exgtique de Jamblique y tait plus manifeste. Il reproduit sur deux colonnes le texte de Jamblique et celui de Platon pour suivre la faon dont Jamblique rsume le texte, parlant ce propos de reproduction condense . Il sagit dun dialogue extraordinairement lent et diffus dont Jamblique rsume grands traits les acquis en reprenant et l des expressions platoniciennes. Cependant, tout en relevant limportance des emprunts au Phdon, au Thtte, RpubliqueVII, au Gorgias, au Mnexne et aux Lois dans les chapitres13 15, puis 1719, A.Dalsgaard Larsen note simplement que le choix des extraits de Platon met laccent sur lexhortation la vraie vie philosophique, une contemplation toujours en progrs, et quainsi Jamblique souligne les aspects pythagoriciens de la pense de Platon .

    Or il nous semble que le dtail de linsertion, dans le chapitre15 du Protrep-tique 25, du mythe de la caverne (RpubliqueVII) mrite plus dattention. Les mmes remarques valent dailleurs pour linsertion des pages clbres du Thtte sur latopie du philosophe, nous lavons constat, et du Gorgias sur le but de la vie philosophique, ou bien sr celles du Phdon, que nous navons pas tudies daussi prs.

    La fidlit textuelle de Jamblique dans lexpos du mythe de la caverne est si totale que les diteurs de Platon font figurer ses leons dans leur apparat critique. Nous avons not cependant la prsence de quelques formes post-classiques subs-titues aux formes classiques attestes dans les manuscrits de Platon. Par ailleurs la transposition du dialogue en un discours suivi nest pas dpourvue de finesse, contrairement ce qui est dit parfois. Certes le dialogue platonicien original est, ici tout particulirement, un monologue seulement coup de trs brves remarques

    25. CUF, 105, l.28 111, l.3, cinqpages restituant Rpublique 514a-519.

  • L Anonyme de Jamblique: un palimpseste dmocriten ?

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    de linterlocuteur ; Jamblique na donc aucune difficult faire disparatre tous les verbes en incise qui marquent le changement dinterlocuteur (, , ). Cependant les autres marques de dialogue, quoique plus essentielles, ne sont nullement supprimes: ainsi sont conservs des impratifs ou des indicatifs la 2epersonne destins attirer lattention de linterlocuteur (, , , ; vois, crois-tu, rflchis, que penses-tu quil dirait ? ).

    Loin de tmoigner dune ngligence de Jamblique, comme lont dit certains commentateurs, cette place faite linterlocuteur saccorde parfaitement avec le tour personnel de son expos, o la premire personne du singulier ou du pluriel est frquente, ce qui suppose ladresse un destinataire. Ce dialogue implicite est dailleurs constitutif du genre protreptique: il faut peut-tre voir l, notre avis, une explication du fait que les rudits qui ont retrouv des fragments du Protreptique dAristote dans celui de Jamblique, ne sont pas en mesure de dire avec certitude sil sagissait ou non dun dialogue.

    La fidlit de Jamblique au texte de Platon sert de guide aux recherches mthodiques de D.S.Hutchinson et M.R.Johnson 26, actuellement engags dans la recherche de fragments inaperus jusquici du Protreptique dAristote. partir dune tude attentive de tous les emprunts Platon, qui leur a permis den isoler presque chirurgicalement les interventions personnelles de Jamblique dans ce quils nomment opening , brigde(s) , closing entre les diffrents lments, ils sappuient sur la familiarit ainsi acquise avec le style particulier de Jamblique pour le reconnatre dans les chapitres aristotliciens et identifier par soustraction les lments proprement aristotliciens. Nos recherches limites au seul Anonyme nous ont toutefois permis dentrevoir la difficult de leur entreprise, comme nous le montrerons plus loin par quelques exemples tirs du tissu conjonctif qui cimente les diffrents extraits de lauteur inconnu.

    Pour ce qui est du troisime anonyme du trait de Jamblique, ce nest pas lisole-ment de ses fragments, ralis depuis longtemps par F.Blass et jamais contest, qui est problmatique, mais bien les modalits de son insertion dans le Protreptique, beaucoup plus heurte, linguistiquement dabord, que celle des grandes pages pla-toniciennes. Le dialecte marqu dionisme de lAnonyme tranche avec la langue de Jamblique, presque uniformment attique dans le Protreptique. Cest prcisment le point sur lequel sest appuy F.Blass pour isoler le fragment et proposer des rapprochements entre la langue de lAnonyme et lattique ancien de Thucydide ou Antiphon, avec des traits ioniens conservs comme le -- l o lattique classique a --, des formes initiale en -. Cette coloration dialectale attique avait orient

    26. Hutchinson & Johnson 2005, 203-242, pour ltude des Plato chapters13-19 et lannonce de la mthode applique aux Aristotles chapters 6-12 ).

  • Michelle Lacore

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    F.Blass vers Antiphon 27, au terme dune dmonstration qui tablissait que lauteur inconnu appartenait la deuxime moiti du Vesicle avantJ.-C., identification carte par les commentateurs postrieurs en raison des divergences profondes entre Antiphon le sophiste 28 et lAnonyme concernant le respect de la loi.

    Outre les citations des Vers dor (chapitre3) et des Symboles pythagoriciens (chapitre21) qui usent de la langue dHomre et des tragiques, il existe une autre exception significative latticisme de Jamblique, les fragments dArchytas, le seul auteur nommment cit, dont cinq fragments occupent le chapitre4 29, pendant de notre chapitre20. Le traitement de ces fragments (deux pages et demie environ au total) est exactement linverse de celui qui est appliqu lAnonyme: ils sont tous rapports au style direct (introduit par ou ) et le dialecte dorien y est scrupuleusement conserv. Cependant le dorien dArchytas est comme traduit dans les commentaires, qui glosent sur le contenu de chaque fragment, vritablement dpec et rpt sous une forme atticise ; on a l des commentaires vraiment exgtiques qui sefforcent dclairer la pense rapporte, en commenant par liminer la difficult matrielle du dialecte.

    Or, si Jamblique fait preuve dun si littral respect du texte de Platon et dArchytas, il en va tout autrement pour notre Anonyme. En regard de la prcision scrupuleuse de Jamblique dans la retranscription de certaines pages de Platon, la structure grammaticale des pages attribues lAnonyme est dun relchement qui na pas dquivalent dans le reste du Protreptique, sans que pourtant cette ngligence parvienne dnaturer la vigueur et loriginalit de la pense, qui se marque la fois par la cohrence du dveloppement et par des recherches dexpression magis-trales. Il faut dabord signaler la complexit de lentrelacement entre les sutures et commentaires de Jamblique et le texte de lauteur quil reproduit, ce qui introduit une difficult supplmentaire et artificielle lorsque lon isole les fragments de lauteur inconnu, avec parfois de menues divergences entre les commentateurs depuis F.Blass 30.

    27. De Antiphonte sophista Iamblichi auctore, Blass 1889, 3 ; Blass se livre ensuite, p.4-9, une tude attentive du vocabulaire de lAnonyme.

    28. Voir le fragment fameux (Gernet 4) du : Ainsi celui qui transgresse les rgles lgales, sil le fait linsu des hommes qui les ont tablies par leur convention, est indemne de honte et de chtiment ; sil est dcouvert, non (Traduction Gernet 1923). Moulton 1974, 129-139, propose une valuation nuance des rapports entre Antiphon et Dmocrite sur le problme de la loi.

    29. CUF, chapitre4, 48-55.30. Ainsi Cole 1961, 153-154, largissant une suggestion de Cataudella, suggre-t-il la prise en compte

    dune partie de l introduction de Jamblique au chapitre20 (sur les hommes de nature bestiale ) quil rapproche de thses dmocritennes. Le rapprochement ne nous parat pas convaincant, en contradiction mme avec la position de lAnonyme sur la nature humaine.

  • L Anonyme de Jamblique: un palimpseste dmocriten ?

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    Llment le plus droutant est la bizarrerie du style indirect prsent dans le chapitre20. Aprs Blass et Diels, R.Cadiou 31 a signal ce discours indirect, sans toutefois en relever les anomalies.

    Certes, lon connat la grande souplesse du style indirect grec, dont J.Humbert 32 souligne quil se rduit souvent des touches espaces qui rappellent, en se servant de linfinitif, quil sagit des paroles ou de la pense dun autre ; mais cette souplesse nexclut nullement la rigueur, comme le montre lexemple quil choisit: lchange de notes diplomatiques entre Athniens et Thbains lors de la bataille de Dlion (Thucydide IV,98 et 99).

    Or la syntaxe de Jamblique, dans la retransmission de lAnonyme, outrepasse coup sr les tolrances de la souplesse du style indirect grec. Le discours indirect apparat sans mot introducteur, verbe ou substantif mme implicite, avec une principale linfinitif en I,1, puis se poursuit en I,2 ; tandis quen I,3, la deuxime partie de la mme phrase est au style direct, continu en II ; en III,1, le style indi-rect est introduit rgulirement par une conjonction compltive dans la suture de Jamblique videmment omise dans ldition du texte propre de lAnonyme , , ( voici de surcrot une exhortation qui tend la mme fin et assure que ) ; que la compltive personnelle (introduite par ) fasse ensuite place une infinitive est admis par la syntaxe classique. Le retour au style direct de III,2, rendrait plausible que cette phrase soit une insertion personnelle de Jamblique, dautant que lexpression est assez plate. III,3 et 4 mlangent allgrement les deux types dexpression. Fin de III,4 milieu de6, le style direct reprend ses droits pour seffacer en fin de6 (une infinitive libre). IV etV sont au style direct. Les mmes -coups, quil serait fastidieux dnumrer, se succdent dans les chapitresVI etVII, particulirement importants pour la pense. Le style indirect est dailleurs parfois hriss de difficults, y compris un locus desperatus VII,5. Lemploi de ce style indirect trange, par un auteur qui ne cite pas ses sources, est pour le moins surprenant puisquil attire lattention sur le fait mme de lemprunt.

    On ne peut mme pas dire avec certitude si ces fragments insrs au prix dune syntaxe rude proviennent dune seule uvre, ce qui est nanmoins probable. Quelles que soient les difficults en tout cas, en dpit des fcheuses distorsions introduites par la transmission, il est clair que lauteur est un penseur et un styliste rigoureux, offrant un vif contraste avec le tissu conjonctif du Protreptique qui environne les fragments. Concernant lAnonyme en effet, lintention syncrtiste de lexgse jamblichenne savre particulirement dcevante.

    31. Cadiou 1950, 67.32. Humbert 1960, 194, 322.

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    Les ajouts de Jamblique qui introduisent lensemble, servent de ciment entre les diffrents morceaux du puzzle, ou proposent une conclusion, ont souvent une tonalit dcale par rapport aux dveloppements de lAnonyme. Ainsi lintroduction du chapitre20 (Pistelli 94 et dbut de 95) commence-t-elle par affirmer la primaut de la pit et, dans un long paragraphe sur la vertu et la philosophie, martle deux reprises leur importance pour la participation aux biens divins et humains. Ceci offre un total contraste avec le silence absolu de lAnonyme sur les dieux, sur lequel nous reviendrons. Il y a ici comme un effort pour ter son tranchant une pense puissante et originale. Certaines sutures, plusieurs reprises, jurent avec le texte lui-mme, dautant plus quelles portent une empreinte platonicienne ou aristotlicienne et relvent dun vritable tour de force syncrtiste. Ainsi entre les fragmentsIII etIV 33 figure cette articulation:

    , .

    Si cest la philosophie qui livre gnreusement le droit usage de toutes les choses de la vie et la distribution lesprit que lon appelle loi, il ne reste rien dautre que de philosopher vraiment quiconque dsire participer la vie la plus parfaite 34.

    Le rapport parat un peu forc avec la mise en garde de lAnonyme contre la ten-tation dassimiler la bienfaisance des dons dargent, quil oppose au devoir, pour se rendre utile aux hommes, de se mettre au service des lois et du droit. Le rapprochement, ingnieux, est cependant troublant: dans le texte des LoisIV, la loi ainsi dfinie est la gestion des affaires humaines qui se conforme au modle divin du rgne de Cronos.

    Une autre suture discordante apparat entre les fragmentsIV etV 35. Nous engloberions dailleurs volontiers dans la suture la dernire phrase admise dans ldition Diels-Kranz du fragmentIV qui passe, de la recherche de largent comme protection et moyen de se procurer le pouvoir, largent convoit comme source dune gloire extrieure, avec une expression atteste, en dehors de lAnonyme, pour la premire fois chez Platon 36. Cette touche platonicienne est confirme par les lignes suivantes qui amplifient le thme de lindpendance, lgard des passions (terme absent du vocabulaire de lAnonyme) et des biens extrieurs, de lhomme pourvu de la vritable .

    33. CUF, Protreptique, 125, l.13-18, avec une variation l.15 sur lexpression platonicienne (Lois714a).

    34. Traduction des Places 1989, modifie.35. CUF 126, l.12-14, puis 15-17.36. Phdon, 114e.

  • L Anonyme de Jamblique: un palimpseste dmocriten ?

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    galement troublante est la dissonance entre le fragmentV et le commentaire de jonction avecVI 37. Lincitation, de tonalit hroque 38, au mpris de la mort, qui permet lhomme accompli lchange dune vie mortelle contre une gloire ternelle et immortelle, est reprise par des considrations puises dans le Phdon sur la philosophie et sur son rle ( elle prpare la vie immortelle et sans fin 39). Or la gloire seule, et non lme, est dans la perspective de lAnonyme, immortelle.

    De mme, dans ce chapitre20 qui na rien a priori daristotlicien la suture entre les fragmentsVI etVII comporte les mots typiquement aristotliciens / :

    mme si aucun avantage extrieur ne devait en provenir, mme sil devait en rsul-ter humainement des dommages, il vaut la peine de pratiquer la justice, avec la conviction que l est le bien universel le plus prcieux 40.

    Nous avions pens dans un premier temps 41 que cette suture, qui permet des rapprochements intressants avec le De officiis de Cicron, pourrait tre rendue lAnonyme. Cela nous parat maintenant hautement improbable, tant donn labondance de ces termes chez Aristote (20occurrences de chacun de ces deux mots), en raison aussi des rapprochements qui simposent lesprit avec la notion de l, lquit, dfinie dans lthique Nicomaque 42. Cette suture, sans rapport clair avec le dveloppement prcdent de lAnonyme sur la dfaite finale du surhomme face la communaut rassemble, illustre bien, au-del mme du style, limprgnation profonde de Jamblique par laristotlisme. La divergence entre la suture et le texte prcdent illustre aussi, nous semble-t-il, le syncrtisme dans sa pratique et ses limites.

    LAnonyme et ses contemporains

    LAnonyme apparat donc trs singulier par ltat du texte qui nous est propos mais aussi par ses thmatiques que Jamblique peine visiblement ajuster son dessein,

    37. CUF, 126, l.27 127, l.4.38. Voir supra n.21. La rfrence la plus vidente est homrique: Sarpdon exhortant Glaucos, Iliade,

    XII,322-325.39. CUF, 127, traduction des Places 1989.40. CUF, 128, traduction personnelle.41. Voir notre article Lacore 1997, 417, n.81.42. thique Nicomaque, V,1138a. Voir les commentaires de Romilly 1979, 189-196 sur l et

    la aristotliciennes.

  • Michelle Lacore

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    car il sagit dune pense forte, capable de rsister aux alas de sa transmission. Le problme de lidentification de lauteur est dautant plus irritant.

    J.de Romilly, qui a souvent trait de lAnonyme, dont elle avait envisag de faire une dition commente, a tudi, dans un article important 43, les affinits entre les recherches stylistiques de lAnonyme et celles de Thucydide. Cette parent a t galement reconnue par M.Untersteiner, qui, partant de lhypothse que lAnonyme tait Hippias, a rattach, dans son dition commente 44, au texte de lAnonyme extrait de Jamblique, un chapitre dauthenticit parfois conteste de Thucydide III,84, lvocation terrible de la de Corcyre. Outre la langue et le vocabulaire tudis depuis le dbut du XXesicle, J.deRomilly relve des procds de style analogues chez lAnonyme et Thucydide (got pour les substantifs abstraits, rigueur de lexpression obtenue par le choix des verbes composs, recherche de la variatio).

    Cette tude prcise rpond aux reproches de pauvret et maladresse dexpression que H.Gomperz 45 adressait ces pages. notre avis, les reprises que lon relve dans ce texte, tout particulirement la reprise de limage de lhomme dacier, ne sont pas des rptitions traduisant le manque dinspiration mais des vestiges qui subsistent, en dpit dune transmission mutilante, de la cohrence dun dveloppement puissant, capable dembrasser la fois la question des origines de la socit humaine (o lhomme dacier na pas sa place) et celle du surgissement de la tyrannie, o toute aura de surhomme est refuse au tyran. On peut aussi galement noter la matrise parfaite de lantithse traditionnelle dans le dveloppement sur leunomia et lanomia.

    La conviction que lAnonyme est en fait non seulement un styliste mais un pen-seur de tout premier plan (comme les deux autres grands anonymes du Protreptique) a guid Q.Cataudella 46, le plus ardent dfenseur de lattribution de ces pages Dmocrite, puis ses successeurs, parmi lesquels A.Cole 47, qui croit cependant un disciple athnien de Dmocrite.

    Les limites de la comparaison avec les fragments de Dmocrite

    Cest naturellement dans la substance du texte quil faut rechercher les conver-gences, mais cette recherche est complique par la pauvret des fragments qui nous sont parvenus des uvres thiques de Dmocrite et certains traits tranges

    43. Romilly 1980, 19-34. Lauteur cite, p.20, les tudes de Tpfer, Die sogennanten Fragmente des Sophisten Antiphon bei Iamblichos. Eine kritisch-exegetische Studie (Schulprogramm Arnau, 1901-1902) et Zu der Frage ber die Autorschaft des 20. Kapitels des Iamblichischen Protreptikos (Schulprogramm Gmunden, 1906-1907) ainsi que la thse de Roller 1931.

    44. Untersteiner 1954, 141-147.45. Gomperz 1912, 89.46. Cataudella 1932, 5-22 ; 1937, 182-210 ; 1950, 74-106.47. Cole 1961, 150-155.

  • L Anonyme de Jamblique: un palimpseste dmocriten ?

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    de la transmission: les fragments ne sont jamais attribus une uvre spcifique, alors mme quune liste de ces traits 48, tablie par Thrasylle, a t transmise par Diogne Larce. Ces fragments prsentent dailleurs curieusement le dfaut, relev par C.Farrar 49, dtre dforms et mutils par la transmission, parfois syntaxique-ment incomplets et rduits des infinitifs. Ce trait les rapproche de lAnonyme, puisque nous avons vu quil se caractrise par un style indirect truff danomalies. Or ce dfaut apparat dans lun des fragments les plus importants pour la dfinition de lthique dmocritenne (fr.B84), qui, de surcrot, se prsente sous plusieurs avatars, tous imparfaits comme le fait remarquer S.Luria propos des fragments fr.B244, 84 et 264, regroups dans son dition qui complte et renumrote les fragments (fragment Luria 604 50).

    La lecture de lAnonyme fait dcouvrir un texte travers par des thmatiques, certes partages par beaucoup de penseurs contemporains, mais vigoureusement prsentes chez Dmocrite, mme si lon ne relve malheureusement aucune con-cidence frappante dexpression. Ces rapprochements ont t faits par de nombreux commentateurs, nous les rappellerons rapidement: limportance de lducationy est souligne (fr.B33):

    Nature et ducation sont choses trs voisines. Car il est vrai que lducation trans-forme lhomme et cette transformation confre lhomme sa nature () 51.

    appuye sur la valeur du :

    fr.B182 .ce nest que grce leffort que ltude conquiert les belles choses.

    Nombreux sont les fragments clbrant la loicomme profitable la vie des hommes pourvu quils acceptent de sy soumettre (fr.B248), en particulier comme seul moyen de prvenir le (fr. B 245):

    Les lois ninterdiraient pas chacun de vivre selon son penchant (), si les gens ne se faisaient pas tort mutuellement. Car cest lenvie qui est au commence-ment de la discorde.

    Mais lloge dmocriten de la loi, en opposition absolue la position dAntiphon, engage aussi lthique personnelle, tmoignant dune lvation de

    48. Voir une tude trs approfondie de cette liste et des autres indications transmises par la tradition dans Leszl 2007, 11-76.

    49. Farrar 1988, 193-194.50. Luria 2007, 1290-1291.51. Traduction Dumont 1988, pour tous les fragments de Dmocrite, sauf indication contraire.

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    pense qui nest pas infrieure celle de Socrate. Il sagit du fragment que nous venons de mentionner pour ses difficults textuelles (fr.B264):

    On ne doit pas manifester davantage de 52 devant les autres que devant soi-mme, ni davantage mal agir, si cette action doit demeurer ignore au lieu dtre connue de tous. Cest devant soi-mme que lon doit manifester le plus de , .et la loi qui simpose lme est de ne rien faire de malhonnte.

    Les fragments de Dmocrite prconisent aussi lusage intelligent des richesses (fr.B282) et les secours que les riches doivent aux pauvres pour assurer la concorde (fr.B255) en mettant fin lisolement:

    , ,

    Lorsque ceux qui ont les moyens prennent sur eux de venir en aide ceux qui nont rien, de les secourir, de leur rendre service, cela implique la piti, la fin de lisolement, le compagnonnage, le secours mutuel, la concorde entre les citoyens et dautres biens 53

    Dans le domaine de lthique personnelle, le refus manifest par lAnonyme de laccaparement par les affaires lies une vie politique malsaine et lapologie du loisir disponible pour laccomplissement personnel saccordent avec lloge dmocriten de la tranquillit (fr.B3) et le refus des tracas de la vie publique (fr.B253).

    La srnit de lhomme juste fait cho la description de la vie sous le rgime de leunomia:

    fr. B 174 . , , , .

    Lhomme heureux, port accomplir des actions justes et lgales, est jour et nuit rjoui, sr de lui et sans souci. Mais celui qui ne tient pas compte de la justice et

    52. Traduction Dumont 1988 modifie: le terme grec est . Le fragment est un exemple de construction linfinitif sans verbe introducteur (les traducteurs restituent ou ). Mais le dialecte est bien ionien.

    53. Traduction Dumont 1988 modifie.

  • L Anonyme de Jamblique: un palimpseste dmocriten ?

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    naccomplit pas ses devoirs, trouve en toutes choses sujet de saffliger lorsquil y repense: il connat la crainte et se blme lui-mme.

    La dfense de la dmocratie et lhorreur de la tyrannie sont aussi des thmes chers Dmocrite, qui vivait Abdre sous un rgime dmocratique 54. En tmoi-gnent les fragments B251 et 252:

    La pauvret en rgime dmocratique est aussi prfrable au prtendu bonheur en rgime tyrannique que la libert lest la servitude.Une cit bien administre est la meilleure des sauvegardes: cest en cela que tout repose ; son salut constitue le salut de tout et sa ruine la ruine de tout.

    Loriginalit de lAnonyme: labsence des dieux

    Cependant ces parallles fragmentaires sont, il faut bien le reconnatre, assez limits et dcevants. Il semble plus fructueux dexaminer loriginalit des grands dvelop-pements de lAnonyme. Le plus frappant demble est la rfrence exclusive la loi humaine et labsence de toute rfrence, ft-elle polmique, aux dieux ou la divinit.

    Lvocation des origines de lhumanit est dpourvue de toute rfrence mythique, manifestant une totale rationalisation dans le traitement de ce thme, qui reprsentait dj pourtant une rvolution intellectuelle par rapport aux mythes de lge dor.

    La dimension mythique et religieuse reste marque lorsque, dans le Promthe enchan dEschyle 55, Promthe revendique toutes les inventions qui ont permis lhomme dmerger de sa misrable confusion originelle. Le mythe de Protagoras, dans le dialogue platonicien qui porte son nom, conserve lui aussi une coloration mythique: le sophiste donne un rle dcisif aux dieux, non seulement dans la cration de lespce humaine, mais aussi dans le passage de la dispersion primitive de lhumanit la constitution de cits, rendue possible par les dons que Herms communique aux hommes de la part de Zeus, et , la pudeur et la justice. Certes il ne sagit chez Protagoras que de dieux de papier : mme si la tradition suivant laquelle Protagoras fut accus dimpit est considre comme peu fiable, lun des rares fragments ne provenant pas de Platon tmoigne de lagnosticisme du sophiste 56. Or Protagoras est lune des identifications proposes pour lAnonyme et il existe, selon la tradition, des liens mal dfinis entre Dmocrite et Protagoras, tous deux originaires dAbdre, lun ayant peut-tre t llve de lautre.

    54. Voir Robinson 2007, 112-113.55. Promthe enchan, v.447-468.56. Fr.B8 dun Trait sur les dieux: Touchant les dieux, je ne suis pas en mesure de savoir ni sils

    existent, ni sils nexistent pas

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    Dans sa reprsentation des origines de lhumanit, lAnonyme se refuse abso-lument la facilit du mythe et met son lecteur en prsence dune sorte dpure parfaitement abstraite, qui relve uniquement du raisonnement logique, presque physique, avec pour pivot la notion de la force des choses (), notion capitale de la physique et de la cosmologie dmocritennes 57. Cette abstraction saccompagne dune variation audacieuse, parfaitement rationaliste, sur le nomos basileus, que Pindare 58 avait clbr comme la loi de Zeus qui rconcilie le droit et la force, en justifiant la violence du rapt des bufs de Gryon par Hracls 59. Chez lAnonyme cette loi souveraine est la loi de la socit des hommes:

    Car sil est vrai que les hommes sont par nature incapables de vivre isols et que cest en cdant la ncessit quils se sont rassembls, que leur vie tout entire et les arts qui la favorisent ont t invents par eux, quil leur est impossible dtre ensemble et de vivre dans labsence de lois (car un dommage en rsulterait pour eux pire que la vie dans lisolement), . .cest en raison de ces contraintes que la loi et le droit rgnent chez les hommes et ils ne sauraient aucunement en tre dplacs ; car cest leur enracinement dans la nature qui fait leur puissance 60.

    Or les commentateurs ont souvent vu en Dmocrite la source directe dun cha-pitre de Diodore de Sicile 61 qui, partant dune vocation cosmologiste mcaniste des origines du monde, voque en termes de dcouvertes purement humaines les progrs de lhumanit depuis des origines bestiales, texte inclus par Diels, convaincu par la dmonstration de J.Reinhardt (1912), dans les fragments de Dmocrite. Le texte de Diodore, qui se borne aux progrs techniques et matriels de lhumanit, nvoque que le langage comme lien social dans des communauts rduites, et reste muet sur la loi, apparat plutt complmentaire de la perspective de lAnonyme de Jamblique. Lattribution de ce texte Dmocrite a suscit depuis 1928 (J.H. Dahlmann) dpres dbats. Au terme dun commentaire trs prudent, J.Salem conclut en faveur dune

    57. Voir Salem 2002, 77-88, le hasard: un sobriquet de la ncessit .58. Fr. Maehler 169a.59. Voir le commentaire de Romilly 1971, 63-69.60. Fragment VI,1, CUF 127, avec une divergence de texte. Notre traduction sappuie sur la leon

    retenue par Diels-Kranz, et dj par Kiessling 1813.61. Bibliothque historique, I,7-8, inclus par Diels dans les fragments de Dmocrite fr.DKB5. Luria

    2007 (fragment 558, p.697 et commentaire p.1221-1225) rend compte des objections mais soutient vigoureusement cette classification. Vernire 1993, Bibliothque historique, I, notice, 6, rejette au contraire cette attribution.

  • L Anonyme de Jamblique: un palimpseste dmocriten ?

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    empreinte dmocritenne 62. Le texte de lAnonyme nous parat cependant beaucoup plus vigoureux que le passage de Diodore dans laffirmation de lenracinement de la loi dans la nature, lexpression nous parat en effet englober les deux valeurs de justement distingues par C.C.W.Taylor 63 dans la pense de Dmocrite, convention normative et loi positive. Le commenta-teur estime dailleurs que les ides essentielles de lAnonyme sont prsentes in a comparatively inexplicit form chez Dmocrite.

    Chez lAnonyme, les dieux sont absents et linvention des lois suffit par elle-mme assurer la solidarit harmonieuse de la socit humaine. Sa faon dignorer les dieux est encore plus radicale que le cynisme de Critias 64 (auquel on a propos de lidentifier), qui fait des dieux une invention humaine astucieuse, destine ruiner par la terreur le sentiment dimpunit des coupables de transgressions secrtes.

    Cette absence totale des dieux combine une foi absolue dans lobissance aux lois pourrait orienter vers Dmocrite, souvent considr comme athe dans lAntiquit, encore que les spcialistes modernes se montrent, en ltat actuel des fragments, trs prudents sur lathisme de Dmocrite 65 et que la question de la solidarit entre la physique atomiste matrialiste de Dmocrite et ses positions thiques soit toujours dbattue 66.

    Pourtant il est tentant de rapprocher de la conception dmocritenne des atomes sphriques qui constituent lme, la remarque de lAnonyme expliquant lattachement la vie de lhumanit ordinaire: une position non idaliste sur les rapports de lme et du corps se manifeste dans un des loci desperati du passage, que le contexte permet cependant dinterprter assez srement, il sagit de IV,2:

    , , 67. .ils sont attachs la vie parce que leur existence se rsume ce souffle de vie ; ils le mnagent donc et en sont pris par amour de lexistence et par les habitudes de leur ducation.

    62. Salem 2002, 267-278.63. Taylor 2007, 5. Voir galement Taylor 1999, 229-230 pour lintgration forte de nomos et phusis

    chez Dmocrite.64. Frag. 48 (Sisyphe).65. Voir par exemple Salem 2002, 293-300. Voir aussi le chapitre5 de Zeppi 2011, Dmocrite entre

    athisme et polythisme .66. Voir Warren 2007, 87-104 et Nill 1985, 75-91.67. Amendement conomique, mais rude, retenu par Diels (DK) tous les manuscrits ont

    .

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    Or lAnonyme nobjecte rien cette identification (et rduction) de lme au souffle vital et blme uniquement les conclusions de lchet qui en sont tires. Le rapprochement simpose avec un passage du dbut du trait De lme dAristote o le philosophe rappelle la thorie de Dmocrite et de son cole sur lme (I,2, 404a):

    . .

    Ils font donc lassomption que lme est ce qui fournit aux animaux leur mouvement. Cest pourquoi galement, selon eux, la norme de la vie, cest la respiration 68.

    Le rapport avec Platon

    Le rapport de lAnonyme et de Platon est, lui, notre avis certain et franchement conflictuel de la part du second 69. Nous lavons constat en tudiant, dans un article consacr la mtaphore de lhomme dacier, la faon dont Platon (Rpublique II,360b) reprend cette mtaphore pour la retourner: chez lui lhomme dacier nest plus le surhomme impensable de lAnonyme, mais le sage la vertu inbranlable. Mais dautres analyses de lAnonyme trouvent un cho qui est une remise en cause de la part de Platon.

    LAnonyme prend place dans un courant de pense qui sinterroge sur les dif-frents rgimes politiques, dont la premire manifestation se trouve dans Hrodote III,80-82, le dbat entre Otans, Mgabyze et Darius, sur le choix entre monarchie, oligarchie et dmocratie. LAnonyme, cependant, reste un peu en retrait, se conten-tant dopposer le pouvoir personnel, tyrannique ou royal indiffremment, au rgime qui sert lintrt du grand nombre (VII). On peut dailleurs remarquer labsence de vocabulaire strictement institutionnel dans le dveloppement, le seul terme qui sen approche est , 3fois en VII. Cependant lanalyse de la mthode qui permet au tyran de sinstaller fait cho aux paroles de Darius un homme stant fait le protecteur du peuple met fin aux agissements [] admir par le peuple, il est proclam monarque .

    Platon au contraire, lorsquil analyse le surgissement de la tyrannie au LivreVIII562-569 de la Rpublique, voit, comme terreau unique de la tyrannie, une dmocratie drgle et son attaque est meurtrire: aucun autre rgime ne peut donner lieu la constitution dune tyrannie, sinon la dmocratie ; la libert parvenue aux plus hauts sommets donne naissance la servitude la plus tendue et la plus sauvage 70.

    68. Traduction Bods 1993.69. Les rapports entre Platon et lAnonyme sont tudis par Cole 1961, 144-150.70. Rpublique 564a, traduction Robin 1950.

  • L Anonyme de Jamblique: un palimpseste dmocriten ?

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    Chez lAnonyme, la forme politique du rgime anomique nest pas explicitement prcise, bien que le contexte suggre plutt un rgime dmocratique, et par ailleurs monarchie et tyrannie sont confondues dans le mme rejet. Platon au contraire oppose lun lautre les deux rgimes de pouvoir personnel, voir en particulier le Politique 301a.

    Mme les accents hroques de lAnonyme incitant ne pas mnager sa vie et prfrer la gloire une survie dshonore, trouvent un cho ironique dans la clbre prosopope des morts leurs fils, recueil de lieux communs, qui conclut loraison funbre du Mnexne 71, lintention ironique de ce dialogue nous semblant indubitable 72. Il y a mme quelques rapprochements trs prcis dans lexpression:

    , (e.), , , . ,

    le souvenir de nos paroles doit vous inciter, quelle que soit lactivit que vous pratiquez, la pratiquer avec laccompagnement de la vertu, sachant bien que faute de cela toute possession et toute occupation sont honteuses et viles ; car la richesse ne procure pas dclat qui la possde accompagne de lchet 73

    La notion de (sexercer, pratiquer) revient plusieurs fois dans lAnonyme et la subordination des divers avantages extrieurs aussi bien que des accomplisse-ments personnels la vertu est aussi affirme par lui.

    Plus nette encore et illustrant deux conceptions de la vertu est lopposition de Platon limportance que lAnonyme attache la , particulirement vigoureuse la fin du Gorgias (527d), o Socrate incite Callicls accepter labjection comme prix de sa pratique de la vertu:

    Laisse-toi mpriser, traiter dinsens ; souffre mme que lon tinsulte, si lon veut [] ; tu nen prouveras aucun mal, si tu es vraiment un honnte homme, appliqu lexercice de la vertu ( ).

    La conception de l de lAnonyme est trangre la dimension absolue de lidalisme platonicien. J.deRomilly discerne chez ce penseur une premire tape de laffranchissement de la rflexion morale ici encore proche de la rflexion poli-tique, son affranchissement total ntant ralis que chez Platon. Les antagonismes que nous avons relevs traduisent notre avis clairement une prise de position de Platon contre ce penseur, son contemporain, mais plus g, puisque son uvre lui

    71. Mnexne, 246e.72. Voir Clavaud 1980.73. Traduction personnelle.

  • Michelle Lacore

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    tait connue, nous pensons lavoir tabli pour la mtaphore de lhomme dacier. Il devait sagir dun adversaire considrable. Or Platon est, de faon surprenante, muet sur Dmocrite, le cadet de Socrate dune dizaine dannes ; il est impossible quil ne lait pas connu. Par ailleurs, la tradition a conserv (ou invent ?) le souvenir de lhostilit de Platon, lui prtant mme le souhait de voir brler tous les ouvrages de Dmocrite 74. Une explication plus honorable au silence de Platon alors mme que le Time tmoigne du fait quil connaissait latomisme est propose par C.Chiesa 75: selon ce commentateur, Dmocrite partage le sort dAnaximne, Anaximandre, Archytas et dautres encore, qui ne sont jamais nomms non plus par Platon et cette non-citation sexpliquerait par un souci de prserver la dignit philosophique, qui saccommode mal de la volont subjective de citer, de se rfrer, de nommer ou de polmiquer , et la recherche de la vrit objective: une recherche qui est celle de la raison [] essentiellement anonyme .

    Une dernire piste, non ngligeable, a t ouverte par Q.Cataudella et A.Cole: elle consiste sintresser la postrit de ce texte, cest--dire aux ressemblances saisissantes que prsentent avec lui des dveloppements du LivreII du De officiis de Cicron, qui nvoque pourtant que le stocien Pantius comme source. Les thmes communs aux deux sont comments par A.Cole 76. La question est reprise dans un commentaire rcent du De officiis 77, qui tout en dclarant la question peu claire, attire lattention sur des concidences trs prcises propos de II,15 (progrs de lhumanit), II44-45 (concidence tre / paratre), et surtout II52-64, la liberalitas, avec toutes les nuances ncessaires sagissant dpoques si diffrentes.

    En dpit du problme linguistique dont limportance est relativise par la corrup-tion qui entache la transmission des fragments assurs de Dmocrite les parallles existant entre les analyses de lAnonyme et la rflexion thique de Dmocrite, comme lensemble des rapprochements ou confrontations que lon peut tablir entre lAnonyme et les contemporains de Dmocrite, plaident notre avis en faveur de lattribution Dmocrite des fragments isols par F.Blass, peut-tre au trait (Sur la valeur humaine), dont le titre figure avec une forme attique notable 78 dans le catalogue de Thrasylle reproduit par Diogne Larce. Le problme des intermdiaires entre Dmocrite et Jamblique reste entier, mais tout

    74. Ferwerda, 1972, 337-378, rfute cette tradition et procde une comparaison nuance des deux philosophes.

    75. Chiesa 2004.76. Cole 1961, 127-144, la suite de Cataudella.77. Dyck 1996.78. Il est noter que ce catalogue prsente un mlange de titres en dialecte ionien et attique:

    et , et .

  • L Anonyme de Jamblique: un palimpseste dmocriten ?

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    dans le texte de lAnonyme, de son atticisation incomplte au style indirect corrompu qui le dfigure, suggre quil sagit dune citation de citation. Si lauteur inconnu est bien Dmocrite, ce chapitre20 pourrait tmoigner du fait que la tradition textuelle tait dj notablement altre lpoque de Jamblique.

    La prsence de Dmocrite dans un trait plac sous le signe de la pense de Pythagore, et en rplique complmentaire un philosophe pythagoricien nomm-ment dsign, Archytas, na rien de surprenant en soi. Quantit de tmoignages anciens lient Pythagore et aux Pythagoriciens le nom de Dmocrite, spcifiquement dans le domaine de lthique. Le plus intressant est sans doute la liste des ouvrages de Dmocrite tablie par Thrasylle, selon Diogne Larce 79, qui comportait, parmi les ouvrages thiques, un Pythagore ; Jamblique lui-mme prtend (Vie de Pythagore 104) que Leucippe, le matre de Dmocrite, dans sa jeunesse suivit lenseignement de Pythagore g 80 et au premier chapitre du De mysteriis, il nomme quatre vnrables anciens parmi les Grecs qui ont tir profit de la science gyptienne: Pythagore, Platon, Dmocrite et Eudoxe ; Dmocrite se trouve ainsi inclus dans un quatuor pythago-ricien. La prsence dun long extrait de Dmocrite, cette place du Protreptique, naurait donc rien dinvraisemblable. Par ailleurs la stature immense de Dmocrite aux yeux des Anciens 81, qui pouvaient encore lire son uvre autrement que par des fragments toujours frustrants, quel que soit leur intrt, fait de lui une source aussi digne de figurer dans le Protreptique que Platon et Aristote, bien plus que les diffrents sophistes que lon a proposs.

    La matrise de lauteur inconnu parat extraordinaire dans lassociation de lhritage potique 82 et gnomique (tudi par nous prcdemment) et dune pense originale dun pessimisme marqu mais serein, sur les rapports sociaux entre llite et le grand nombre, tonnamment moderne pour ce qui est du lien tabli entre lharmonie sociale et la circulation de largent, dune puissance confondante sur les origines de la tyrannie, le tout manant dun vritable zlateur de la loi, dune loi purement humaine toutefois.

    Michelle LacoreUniversit de Caen Basse-Normandie

    79. Vies et doctrines des philosophes illustres IX, 38. Voir Leszl 2007, 28.80. Voir sur les rapports entre Dmocrite et les pythagoriciens, Salem 2002, 47-48.81. Voir lintroduction de Salem 2002, dplorant que Dmocrite nait pas reu des modernes, y compris

    les spcialistes des pr-socratiques, toute lattention quil mrite.82. Nous ne pouvons que rappeler ici lattachement hautement avou de Dmocrite la et

    au gnie dHomre, voir, par exemple, la dernire section des fragments dans le regroupement de Luria 2007, La poesia e le arti , 846-859.

  • Michelle Lacore

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