20

« Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2

Page 2: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 2

Page 3: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 3

« Les perceptions des sens et les jugements de

l’esprit sont des sources d’illusion et des causes d’incertitude » Anatole France – Extrait de [Crainquebille].

D’aucuns pourraient penser : « Voilà une entrée en matière pour le moins emphatique, pour un livre qui se dit être un roman ! ». J’en conviens, et comme je ne veux pas vous le voir refermer dés cette première ligne lue, je vous invite juste à remiser cette citation dans un coin de votre esprit. Qui sait ! Peut-être que dans quelques chapitres, elle sera révélera à vous, s’imposera, pour vous offrir tout son sens et vous guider pas à pas, jusqu’à atteindre l’instant singulier où vous passerez de l’illusion d’un savoir à la certitude d’une réalité enfin comprise.

Qui suis-je ? Vous n’aurez que faire de savoir qui je suis. Je vous l’assure ! S’il est un intérêt que je sois, ce n’est pas de part mon identité, mais plutôt, et seulement par le rôle qui m’a été donné dans ce roman. Je suis le narrateur, le conteur de cette incroyable réalité. Je suis, parce que vous avez ouvert ce livre et parce qu’avec ce geste au demeurant insignifiant, vous me donnez le droit d’exister au travers de votre regard qui reflète le mien. C’est

Page 4: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 4

ensemble que nous avancerons dans ce récit. C’est ensemble, que nous verrons nos destins se confondre par cette mise en abyme, tels deux miroirs situés l’un face à l’autre qui se renvoient leur reflet à l’infini.

Tout cela vous paraît peut-être une présentation tout aussi emphatique que la citation utilisée dès les premières lignes de ce roman ? Comment pourrais-je donc, vous la faire comprendre le plus simplement du monde ?

Si je vous parle d’une boîte de « vache qui rit », ça vous en dit davantage ?

Je vous ai parlé de mise en abyme, non ? Et bien, elle en est un exemple des plus significatifs !

Ne voit-on pas sur cette célèbre boîte, une vache qui porte fièrement des boucles d’oreilles, qui ne sont ni plus ni moins que des boîtes de vache qui rit, sur lesquelles on voit la vache, elle-même… ?

Et bien voilà donc, ce qu’est une mise en abyme, et en conséquence ce que nous sommes l’un pour l’autre. Durant cet acte de présentation qui fut le mien, je n’ai fait qu’énoncer, la représentation de ce que nous sommes dorénavant l’un pour l’autre.

Un, deux, la conjonction de deux êtres, la fusion de l’un avec l’autre pour ne faire qu’un, une gémellité illusoire ou plutôt l’illusion d’un autre qui ne serait que le reflet de soi. Je vous laisse la liberté d’en apprécier la perception et je vous invite dorénavant à vivre notre histoire.

Page 5: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 5

Premier mouvement

Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres, d’obligation même, de venir se recueillir devant ce corps inerte et s’offrir ainsi l’illusion d’un dernier au revoir à un être aimé ou pour le moins connu.

Je me suis toujours interrogé sur la finalité d’une telle attitude. Devons-nous y voir la marque d’un profond respect que l’on désire offrir à cet être qui nous a quitté, ou plus trivialement, n’est-ce pas là une fois encore, la preuve indéniable d’un égocentrisme exacerbé qui ferait qu’inconsciemment ou consciemment en venant ainsi célébrer cet être, on s’attache davantage à montrer aux autres, combien est grande notre peine pour affirmer toujours davantage notre rang dans ce cercle, qu’il soit social ou tout simplement familial ?

Je me souviens donc, de ce Lundi 2 février 2003. Durant le week-end, il avait appris le décès de cet homme qu’il connaissait à peine mais qu’il se devait cependant d’aller veiller à son chevet au 28 de la rue Courcelle à Paris. Ce n’est pas le chagrin qui le mena

Page 6: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 6

vers cette adresse mais plutôt l’obligation de savoir se montrer présent auprès de cette famille en deuil. Auprès de cette famille d’industriels qui lui offrait déjà depuis une petite vingtaine d’années l’assurance d’un salaire très honorable qui l’avait projeté dès l’âge de 23 ans dans le cercle très fermé des jeunes cadres supérieurs au 100 KE de revenu annuel.

Sa vie se résumait alors à cette volonté délibérée de vouloir afficher aux yeux de tous, la réussite professionnelle qui était la sienne en s’affublant de tous les signes extérieurs de richesse que notre bonne vieille société de consommation aime à s’imposer. Dixit un célèbre publicitaire dont les initiales pourraient être U.V, il eut le plaisir d’arborer une Rolex à son poignet alors qu’il n’avait pas encore fêté ses vingt cinq premiers printemps.

Devant la porte d’un magnifique hôtel particulier, il réajusta le nœud anglais de sa cravate et il s’engagea sous la voûte d’un large porche en pierres de taille, qui donnait sur une vaste cour au sol de graviers qui semblaient avoir été minutieusement trillés selon un gabarit savamment défini et pensé.

Il avala alors les quelques cinquante marches qui le séparaient du malheureux défunt que l’on exposait, pour arriver dans une immense pièce que j’aurais pu prendre pour une salle de réception si elle n’avait pas accueilli en son cœur un majestueux lit à baldaquin sur lequel était étendu cet homme d’une petite quarantaine d’années.

La veuve, l’accueillit dans la pièce et le remercia de sa venue. Pour sa part, il se débarrassa promptement des condoléances d’usage pour se fondre rapidement dans une masse de personnes regroupées au fond de cette pièce, près d’une fenêtre

Page 7: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 7

sur laquelle un lourd rideau de velours sombre avait été tiré.

Plus qu’une veillée funéraire, ce rassemblement incongru aurait pu lui faire penser à un conseil d’administration hebdomadaire, tant il y avait là, de personnes qu’il côtoyait au quotidien, et qui honnêteté oblige, se retrouvaient ici, pour des raisons aussi intéressées que les siennes.

Quoi qu’il en soit, c’eut été leur donner beaucoup d’importance de penser que cette famille qui les accueillait, puisse trouver en leur présence un réconfort quel qu’il soit. Ils connaissaient tous, les raisons qui les avaient menées ici, et cette famille qui avait organisé cette hypocrite mascarade, le savait tout autant qu’eux. L’un comme l’autre y trouvaient un intérêt, une obligation à remplir, pour satisfaire des ambitions pas si éloignées l’une de l’autre. S’il était là aujourd’hui, c’était sans nul doute possible pour affirmer sa position au sein de cette compagnie et flirter un tant soit peu, avec cette intimité familiale. Si cette famille elle, le recevait, les recevait, n’était-ce pas aussi pour affirmer toujours davantage le rang qui est le sien au sein de cette société ?

L’amour porté, le respect montré, ne se résument-ils pas souvent aux nombres de signatures consignées sur un registre de condoléances ?

Et bien là, je vous l’assure, cet homme était très, très, aimé, très, très respecté à en croire le bottin sur lequel il vint apposer, tel un énième tartuffe, quelques mots identifiés par une signature qui s’attachait à être la plus lisible possible.

Je me souviens de ces regards, de ces sourires qui se voulaient cordiaux pour mieux étouffer un

Page 8: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 8

agacement qui pourrait se résumer en une seule et unique phrase : « Ah merde ! Il est venu lui aussi ! »

Et oui ! Il est venu, lui aussi ! La fourberie n’est pas réservée qu’à certaines personnes, elle fait partie de la condition humaine et qui plus est, s’il nous arrive de nous en défendre, n’est-ce pas là, la preuve ultime de notre subornation ?

Ceci-dit, cette situation ne manquait pas de piment, dois-je dire ! Aux quatre coins de cette chambre funéraire, il retrouvait des employés comme lui, mais aussi de sérieux concurrents, de sérieux adversaires sans foi ni loi, prêts à tout pour assouvir leurs ambitions, et qui contre toute attente, se retrouvaient aujourd’hui unis dans une prétendue même peine.

Cependant ce qui fut le plus troublant je l’avoue, ce ne fut pas, l’hypocrisie qui transpirait de chacun des pores de ce groupe d’acteurs ; Ce ne fut pas non plus, le visage de cette veuve éplorée qui s’évertuait à faire bonne figure, entre un beau-père et une belle-mère trop engoncés dans leur rôle d’aristocrates coincés qui s’interdisent de montrer, ne serait-ce que le semblant d’une émotion. Non, ce qui me troubla, ce fut ce bambin, âgé tout au plus de quatre petites années, qui était là, au pied de ce grand lit.

Le tableau était des plus surprenants. Comme une photo extraite du « Look magazine » de 1963, ce jeune bambin semblait rejouer ici, ce célèbre cliché d’un adorable John-John, fils de John Fitzgerald Kennedy, qui fut immortalisé jouant sous le bureau de son père, alors que ce dernier travaillait dans son emblématique bureau ovale à la Maison-Blanche.

Ici, le John-John était remplacé par ce bambin, à la démarche mal assurée et aux longues anglaises

Page 9: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 9

dégoulinantes sur le visage. Le JFK travaillant à son bureau au zénith de sa popularité, était lui remplacé, par un père dorénavant absent et réduit à ce corps inerte qui se devait d’être contemplé.

Mais pourquoi, une telle mise en scène ? Pourquoi, cette famille se jouait-elle de l’innocence de cet enfant pour l’exhiber ainsi aux yeux de tous ? Serait-ce, juste dans un souci de s’assurer une dramaturgie à la hauteur d’une mise en scène savamment orchestrée, et dont ils étaient à la fois les spectateurs et les acteurs ?

Voici donc rapidement planté le décor. Au risque de me répéter, utiliser ici le terme de décor pourrait choquer certains d’entre vous, pourtant, je pense en toute objectivité que je ne pourrais trouver meilleur terme pour qualifier ce lieu dans lequel il se trouvait.

Pour prendre réellement la mesure de la chose, il suffirait de vous mettre quelques minutes en situation. Imaginez par exemple, que vous soyez confortablement assis dans votre salon, charentaise aux pieds, fidèle Médor avachi près de votre cheminée et Madame, en robe de chambre matelassée, allongée nonchalamment sur le canapé à votre droite, qui ne cesse de s’évertuer à trouver la position la plus adéquate pour caser sa tête sur un large oreiller qui n’a semble-t-il pas été étudié pour recevoir une telle ogive surmontée de bigoudis en mousse.

Ça y est, vous y êtes ? Bien ! Imaginez maintenant, que vous soyez en

train de regarder la télévision et non pas en train de me lire.

Page 10: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 10

Vous n’avez donc pas lu cette scène mais elle vous a été déclamée par une troupe d’acteurs et ce, durant la retransmission de la célèbre émission : « Au théâtre ce soir ».

Le rideau n’est pas encore baissé et la retransmission s’achève par la présentation de cette troupe et par le célèbre : « les décors sont de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell ».

Que pourriez-vous alors penser si ce n’est, superbe décor, superbes costumes, et jeu d’acteur particulièrement bluffant !

En reprenant une célèbre phrase de Jean-Louis Barrault extraite des « Nouvelles réflexions sur le théâtre », je dirais en péroraison : « Contentons-nous de dire que le théâtre, comme la vie, est un songe, sans trop nous soucier du mensonge »

Quoi qu’il en soit, et même si j’ai pu par cette allégorie vous livrer l’ambiance de cette scène, je ne peux conclure ce premier acte sans revenir sur ce bambin qui joue au pied de son défunt père, avec deux cubes en bois sur lesquels sont gravées des lettres de l’alphabet.

À la lecture de ces dernières lignes vous pourriez penser que la représentation est maintenant achevée et que dans quelques minutes, acteurs et spectateurs vont quitter le siège de ce rendez-vous théâtral.

Seul souci, ce bambin ! Pourquoi ? Et bien tout simplement, parce qu’il semble

prendre un malin plaisir à vouloir démonter tout l’argumentaire qui fut le mien pour vous livrer cette impression ressentie de représentation théâtrale maintenant achevée.

Page 11: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 11

Comme chacun sait, il est une tradition et ce, plus particulièrement française, de frapper trois coups avec un bâton appelé brigadier sur le plancher d’une scène avant le début d’une représentation. Les explications d’une telle tradition sont diverses et variées. La plus commune est terre-à-terre serait que ces trois coups soient frappés pour attirer l’attention des spectateurs, et ainsi annoncer le début du spectacle. Si l’on s’attache à une explication plus moyenâgeuse et théologique, nous savons que ces trois coups peuvent symboliser la Trinité, la fin du mystère.

Seul problème dans un cas comme dans l’autre, ils sont frappés comme le préambule de quelque chose et non pas comme une fin.

Ainsi, si pour ma part, j’eus pensé que cette pièce soit finie, ce bambin, lui, n’a de cesse semble-t-il, de vouloir nous signifier le contraire en projetant ses deux petits cubes en bois qui viennent frapper simultanément le plancher de cette chambre, dans une eurythmie à faire pâlir la précision légendaire d’une horloge helvétique.

Serait-ce pour lui, un moyen d’attirer notre attention ? Oui ! Pourquoi pas ! Mais honnêtement je ne pense pas ! Par cet acte délibéré, par ce regard plongé dans le vide vers ce lit de mort, cet enfant ne semble pas s’adresser à nous.

Alors contre toute dialectique théologique, si trois coups frappés symbolisent dit-on, la fin du mystère, en ce qui nous concerne, je dirai que c’en était ici, que le début.

Page 12: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 12

Page 13: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 13

Deuxième mouvement

La F.A.A, voilà ce qui justifiait en fait la présence de toutes ces personnes au chevet de ce pauvre homme. La French Army Assistance, dernier hommage consacré d’un vieil homme à un pays qui vint libérer la France. Un homme, une famille, marqués à tout jamais par un conflit, par une guerre mondiale qui vint balayer d’un coup de botte l’intime conviction de millions de français qui s’étaient jurés vingt-et-un ans plus tôt, que ce serait la « der des der ».

Gustave de Chambont, tel est son nom. De Chambont et Fils, tel était le nom de cette fabrique quasi artisanale, jusqu’alors spécialisée dans la confection d’ustensiles de cuisine. Gustave de Chambont, génial homme d’affaire ou opportuniste éclairé ? Nul ne le saura jamais ! L’histoire familiale, elle, aime se rappeler que cette famille d’aristocrates sut marquer de son empreinte l’Histoire, en sachant en quelques mois sacrifier vingt années de bons et loyaux services au bien-être domestique de ces dames pour se muter en l’un des principaux fournisseurs d’armes antichar. L’Histoire, elle, ne précise pas, s’il

Page 14: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 14

s’agissait de Panzerfaust allemand ou de Bazooka américain. Elle préfère s’attacher à affirmer que cette compagnie eut un rôle majeur dans l’élaboration et le développement des premiers canons sans recul.

Une petite entreprise familiale, qui sut trouver sa place dans l’élite industrielle de notre pays quand d’autres furent contraints de trouver la leur sur l’un des innombrables monuments aux morts que l’on s’attache à fleurir, le 8 mai.

Une entreprise familiale à la raison sociale patriarcale qui décida un beau matin de mai, de se rebaptiser, « French Army Assistance », en hommage dit-on, à ce pays libérateur qui marchait sur les Champs-Élysées. Les polémiques furent certes nombreuses, tout comme les virulents détracteurs qui ne tardèrent pas à afficher très rapidement leurs doutes sur tous ces zéros qui vinrent jour après jour s’agglomérer à un capital jusqu’alors réduit à dix centaines d’unités après la virgule.

Gustave de Chambont n’était pas cet homme allongé sur ce lit. Gustave de Chambont n’était pas ce prétexte abjecte qui laissait espérer à ces gens que leur présence en un tel moment puisse affirmer davantage leur rang dans cette compagnie. Gustave de Chambont n’était qu’un vieux-beau à tutelle, que l’on aime exhiber telle une cocarde sur le pare-brise d’une voiture officielle. Il est ce père qui regarde aujourd’hui sans émotion le corps de ce dernier fils que l’on vient de lui arracher. Ce fils, ce numéro 3, reflet d’un numéro 2 que la vie lui avait déjà soustrait, treize ans auparavant.

Lui, l’homme à l’exponentielle fortune, se voyait aujourd’hui réduit à l’un des calculs les plus basiques et sommaires qui puissent être ! Aucun besoin de

Page 15: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 15

faire appel à des bureaux d’étude, à des conseillers en placement, à des experts à calculette.

Deux, moins, un, égal, un ! Un, moins, un, égal, zéro !

Le calcul est aisé même pour un homme que l’on s’est attaché à protéger de lui-même il y a treize ans déjà. Un homme mis sous tutelle selon la volonté expresse de deux enfants soucieux dit-on, de préserver la dignité de leur père. Quoi qu’il en soit, ces deux fils certainement trop convaincus par l’hégémonie de leur autorité prescrite, avaient arrogamment omis de considérer que nul n’est maître de sa propre destinée. Il y a treize ans, Gustave de Chambont perdait son aîné, âgé de 49 ans, et le voilà aujourd’hui à recevoir les condoléances pour son petit dernier, âgé lui aussi, de 49 ans.

Antoine, puis Victorien, unis dans un même destin, unis dans le même reflet d’une mort commandée par trois lettres révélées lors de l’autopsie. A.V.C, telle en était l’origine, et comme si la vie voulait se jouer d’un ultime pied de nez, cet Accident Vasculaire Cérébral reprenait dans son abrégé, l’identité même, de ces deux hommes qu’il avait emportés. Antoine et Victorien de Chambont, unis dans une même mort, unis dans une même destinée, unis dans le même abrégé.

Page 16: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 16

Page 17: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 17

Troisième mouvement

Un doute quel qu’il soit, se veut être l’élément révélateur d’une émotion, qui trouve son origine dans les fonctions cognitives qui siègent en chacun de nous. Comment pourrait-il en être autrement, avec ces quelques premières pages que je vous ai proposées ? Elles ne sont et ne peuvent être, que le produit d’une émotion ressentie face à ce monde que je vous fais découvrir et que je découvre simultanément avec vous. Elles ne sont qu’un sentiment, qu’une perception certainement subjective d’une réalité qui j’espère viendra néanmoins s’imprégner en vous, pour qu’ensemble, nous puissions en interpréter le sens caché.

Pourquoi ? Et bien tout simplement car oui, il doit y avoir

dans tout cela quelque chose de caché ! Un mystère, une intrigue qui méritent que l’on s’y attarde ! Une histoire, un destin qui ne peuvent se satisfaire d’un compte-rendu médico-légal.

Antoine de Chambont, Président Directeur Général de la F.A.A fut victime d’un accident vasculaire cérébral qui n’a pu être récupéré. L’accident est survenu alors qu’il était en train de clôturer

Page 18: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 18

l’Assemblée Générale Extraordinaire des Actionnaires du 12 Août 1990.

Victorien de Chambont, Président Directeur Général de la F.A.A connut à son tour un même accident vasculaire cérébral qui n’a pu être, lui aussi récupéré, et ce durant cette fois-ci l’Assemblée Générale Extraordinaire des actionnaires en date du 30 janvier 2003.

Un singulier funeste destin qui treize ans plus tard a trouvé son pluriel.

S’agit-il d’une malheureuse coïncidence ? Comment pourrait-il en être autrement ? Si l’on s’attache au procès verbal d’autopsie, il s’agit pour l’un, comme pour l’autre, d’une mort naturelle causée par un AVC, qui comme dans 90% des cas s’est révélé être sans causes précises identifiables.

Comme chacun sait, l’AVC frappe, la plupart du temps de façon inattendue. Il correspond à un arrêt brutal de la circulation sanguine au niveau du cerveau. En France par exemple, 130 000 personnes en sont victimes chaque année et près de 50 000 en meurent. La plupart du temps il est dû à un caillot dans une artère.

En ce qui concerne nos deux frères, ce fut une hémorragie qui se caractérise par la rupture des parois d’un vaisseau. Même si ce type d’AVC est moins courant, il n’en est pas moins banal. Une question pourrait alors se poser. Si on ne peut relever aucune cause précise et identifiable concernant l’accident vasculaire subi par nos deux hommes, y avait-il néanmoins, pour l’un comme pour l’autre, un terrain plus ou moins favorable ?

Page 19: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 19

Les AVC sont parfois liés à une mauvaise hygiène de vie (Tabagisme, obésité).

Non ! Antoine comme Victorien ne fumaient pas et n’avaient même, jamais fumé. Depuis leur plus jeune âge, ils n’ont eu de cesse de s’astreindre à une hygiène de vie telle, que très souvent c’en était même devenu risible aux yeux de leurs amis les plus proches. Jamais un excès, jamais moins de 8 heures de sommeil, jamais un kilo de trop !

Les AVC peuvent aussi survenir du fait de l’hérédité et de certaines maladies spécifiques : Hypertension artérielle, hypercholestérolémie, fibrillation auriculaire ou encore, troubles de la coagulation sanguine.

Voilà ici, un point d’orgue, l’hérédité. Cependant en ce qui les concerne, de quelle hérédité parle-t-on ?

S’il s’agit du fait qu’ils soient frère, j’en conviens, mais est-ce pour cela un facteur déterminant ? Non, je ne pense pas, car rien dans leur patrimoine génétique ne pouvait laisser envisager une telle fin. Aucune hypertension artérielle, aucune hypercholestérolémie, aucune fibrillation auriculaire, aucun trouble de la coagulation sanguine, en résumé aucune maladie ou malformation déclarée.

En conclusion, deux hommes en parfaite santé à qui la vie avait semble-t-il tout donné sans aucune concession si ce n’est un beau jour, un bel AVC sans causes précises et identifiables.

Pourquoi devrions-nous donc voir en cette malheureuse fin plus qu’une coïncidence ?

Page 20: « Les perceptions des sens et les jugements de · 2013. 7. 11. · Avant de donner les derniers sacrements à un être défunt, il est d’usage pour certains, de coutume pour d’autres,

2 20

Parce que comme l’écrivit Gaston Leroux, je pense que : « Les coïncidences sont les pires ennemis de la vérité »1

Ce serait trop simple de tout leur attribuer sans essayer pour le moins d’analyser la situation et s’attacher ainsi à douter avant d’accepter.

C’est vrai, à ce jour, il ne s’agirait que de deux vulgaires AVC, et si pourtant, il y avait là, quelque chose d’autre, un élément, un indice qui pourraient ne serait-ce que faire vaciller cette fallacieuse affliction qu’a l’Homme de se retrancher derrière les ressources de la dialectique, pour s’affubler d’un raisonnement arbitraire, qui se réduirait à expliquer, l’inexpliqué par un : « Ce n’est qu’une coïncidence » ?

Beaucoup de choses ne seraient alors que le fruit du hasard, et par cela même, cela ne ferait qu’affirmer toujours davantage le manque efficient de compréhension de la relation entre la cause et l’effet.

Alors là, nous ne sommes pas sortis de l’auberge ! Oui, oui, je vous l’assure ! J’ai bien compris à quoi

vous pensez. J’ai bien compris ce qui vous fait trépigner ainsi devant moi. Vous n’avez qu’une hâte que je me taise pour vous laissez exposer votre raisonnement.

Vous pensez certainement avoir résolu cette énigme, et pouvoir ainsi crier haut et fort, qu’il n’était

1 Extrait de : « Les Mystères de la chambre jaune » Le Mystère de la chambre jaune est un roman policier de Gaston Leroux publié la première fois dans le supplément littéraire de l’Illustration à partir du 7 septembre au 30 novembre 1907 et en volume en 1908. Il est l’un des modèles des romans de type « énigme en chambre close ».