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DANS CE DOSSIER « Il est urgent de rebâtir du commun » La morale laïque face à l’individualisme La morale laïque contre l’« ennemi intérieur » « La morale laïque sera forcément une morale qui questionnera la société » Cours de morale non confessionnelle : l’expérience belge Les enfants, naturellement philosophes Des ateliers philo, dès la maternelle Rédacteurs en chef du dossier : Ariane Ioannides et Richard Robert LES IDÉES EN MOUVEMENT LE MENSUEL DE LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT N° 204 DÉCEMBRE 2012 9. dOssier A-t-on besoin de morale laïque ? L e projet d’introduire à l’école des cours de morale laïque fait débat, c’est le moins qu’on puisse dire. Et ce débat n’est pas facile à lire, car il brouille les lignes de clivage habituelles, notamment les frontières politiques. Le sentiment qui domine, en fin de compte, est une certaine désorientation. C’est précisément pourquoi nous avons composé le présent dossier : non pas pour gommer la controverse, mais pour l’éclairer. Avant même de s’engager dans la discussion, on peut s’interroger sur la pertinence même d’un tel débat. La question se posait-elle ? Et se posait-elle en ces termes ? Car il ne faut pas se dissimuler que le projet ministériel fleure bon la III e République. Si, à la Ligue de l’enseignement en particulier, on peut être sensible aux références à Jaurès ou à Buisson, la position des institutions par rapport à la société a beaucoup évolué entre-temps. Un élément notamment mérite d’être mentionné. La République de Ferry était en quête de légitimité. L ’école publique, en particulier, était engagée dans une concurrence avec l’enseignement catholique et il s’agissait pour elle de ne pas laisser aux congrégations ce que les écono- mistes nommeraient aujourd’hui un avantage comparatif. La figure de l’instituteur laïque doit beaucoup à celle du curé. Elle s’y oppose, mais elle s’en inspire. De la même façon, la laïcité, conçue théoriquement comme une manière de se dégager des opinions religieuses, ne s’est pas contentée de les renvoyer à l’espace privé : elle a occupé la place laissée vacante, et les instituteurs ont récité un catéchisme répu- blicain avec une forte composante morale. Non sans raison : un enseignement dégagé de toute référence morale n’aurait jamais pu s’impo- ser. Nous n’en sommes plus là, et c’est justement pour cela que le projet actuel fait débat : l’idée que l’école se mêle de morale est devenue gênante. En ce sens, la laïcité a gagné la partie. Et on peut s’en féliciter ! Pourquoi alors reposer la question de la morale, et réengager la République dans une « question morale » qu’elle visait précisément à neutraliser ? À cela il y a deux réponses, toutes deux politiques. L ’une est franchement douteuse, l’autre a sa pertinence. Ce qui est douteux, c’est de concevoir la morale laïque comme un combat culturel mené contre d’autres morales, plus précisément celle prônée par l’islam, qui serait en passe d’envahir l’espace public et menacerait l’existence même de la République. Cette vision pro- cède d’amalgames et d’exagérations dont l’horizon est le spectre d’une islamisation de l’Europe, évoqué par des illuminés et repris mezzo voce par une partie du corps politique. Or la question qui se pose à notre société est bien différente : elle porte sur la dimension multi- culturelle de la société d’aujourd’hui, sur l’émergence et l’affirmation d’identités culturelles qui sont sorties de l’invisibilité. Il ne s’agit de nier ni les frottements, ni les dérives qui existent : les enseignants en savent quelque chose. Mais l’enjeu est aujourd’hui de trouver la bonne formule pour accueillir les différences et pour les articuler aux règles communes. Nier ces différences ou s’y attaquer frontalement n’a pas de sens, cela ne conduira qu’à leur radicalisation. La question morale est constamment posée, tentons d’y répondre ensemble, aujourd’hui comme hier. La laïcité a son mot à dire dans la définition de ce nouveau « vivre ensemble », et elle constitue même une chance historique pour notre pays, par rapport à certains de ses voisins qui ne disposent pas de la même tradition politique. Mais c’est précisément ici qu’entre en jeu un nouveau problème. L ’extrême droite française, dont une bonne partie du corps doctrinal a été constituée contre les valeurs de la démocratie moderne, a entrepris une métamorphose qui l’amène à s’emparer des thèmes de la République et à se draper dans le vocabulaire de la laïcité pour mieux faire passer son message d’intolérance. Il y a là un piège, et c’est précisément contre ce piège qu’a été pensé le projet de morale laïque. Contre ceux qui alimentent la division et le conflit, il est urgent, dit Vincent Peillon, de re- bâtir du commun. Il a raison. On peut discuter de la pertinence de la solution proposée mais, assurément, le débat méritait d’être ou- vert. Place à la discussion, donc ! Richard Robert © Thierry Ardouin/Tendance Floue

© Thierry Ardouin/Tendance Floue - Nord Pas de Calais · le vocabulaire de la laïcité pour mieux faire passer son message d’intolérance. Il y a là un piège, et c’est précisément

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dans CE dossiER

● « Il est urgent de rebâtir du commun »

● La morale laïque face à l’individualisme

● La morale laïque contre l’« ennemi intérieur »

● « La morale laïque sera forcément une morale qui questionnera la société »

● Cours de morale non confessionnelle : l’expérience belge

● Les enfants, naturellement philosophes

● Des ateliers philo, dès la maternelle

Rédacteurs en chef du dossier : Ariane Ioannides et Richard Robert

LES IDéES EN MOuVEMENT LE MENSuEL DE LA LIGuE DE L’ENSEIGNEMENT N° 204 DéCEMBRE 2012 9.

dOssier

a-t-on besoin de morale laïque ?Le projet d’introduire à l’école des cours de morale laïque fait débat, c’est le moins qu’on puisse dire. Et ce débat n’est pas facile à

lire, car il brouille les lignes de clivage habituelles, notamment les frontières politiques. Le sentiment qui domine, en fin de compte, est une certaine désorientation. C’est précisément pourquoi nous avons composé le présent dossier : non pas pour gommer la

controverse, mais pour l’éclairer.Avant même de s’engager dans la discussion, on peut s’interroger sur la pertinence même d’un tel débat. La question se posait-elle ?

Et se posait-elle en ces termes ?Car il ne faut pas se dissimuler que le projet ministériel fleure bon la IIIe République. Si, à la Ligue de l’enseignement en particulier, on

peut être sensible aux références à Jaurès ou à Buisson, la position des institutions par rapport à la société a beaucoup évolué entre-temps. Un élément notamment mérite d’être mentionné. La République de Ferry était en quête de légitimité. L’école publique, en particulier, était engagée dans une concurrence avec l’enseignement catholique et il s’agissait pour elle de ne pas laisser aux congrégations ce que les écono-mistes nommeraient aujourd’hui un avantage comparatif. La figure de l’instituteur laïque doit beaucoup à celle du curé. Elle s’y oppose, mais elle s’en inspire. De la même façon, la laïcité, conçue théoriquement comme une manière de se dégager des opinions religieuses, ne s’est pas contentée de les renvoyer à l’espace privé : elle a occupé la place laissée vacante, et les instituteurs ont récité un catéchisme répu-blicain avec une forte composante morale. Non sans raison : un enseignement dégagé de toute référence morale n’aurait jamais pu s’impo-ser. Nous n’en sommes plus là, et c’est justement pour cela que le projet actuel fait débat : l’idée que l’école se mêle de morale est devenue gênante. En ce sens, la laïcité a gagné la partie. Et on peut s’en féliciter !

Pourquoi alors reposer la question de la morale, et réengager la République dans une « question morale » qu’elle visait précisément à neutraliser ? À cela il y a deux réponses, toutes deux politiques. L’une est franchement douteuse, l’autre a sa pertinence.

Ce qui est douteux, c’est de concevoir la morale laïque comme un combat culturel mené contre d’autres morales, plus précisément celle prônée par l’islam, qui serait en passe d’envahir l’espace public et menacerait l’existence même de la République. Cette vision pro-cède d’amalgames et d’exagérations dont l’horizon est le spectre d’une islamisation de l’Europe, évoqué par des illuminés et repris mezzo voce par une partie du corps politique. Or la question qui se pose à notre société est bien différente : elle porte sur la dimension multi-culturelle de la société d’aujourd’hui, sur l’émergence et l’affirmation d’identités culturelles qui sont sorties de l’invisibilité. Il ne s’agit de nier ni les frottements, ni les dérives qui existent : les enseignants en savent quelque chose. Mais l’enjeu est aujourd’hui de trouver la bonne formule pour accueillir les différences et pour les articuler aux règles communes. Nier ces différences ou s’y attaquer frontalement n’a pas de sens, cela ne conduira qu’à leur radicalisation. La question morale est constamment posée, tentons d’y répondre ensemble, aujourd’hui comme hier.

La laïcité a son mot à dire dans la définition de ce nouveau « vivre ensemble », et elle constitue même une chance historique pour notre pays, par rapport à certains de ses voisins qui ne disposent pas de la même tradition politique. Mais c’est précisément ici qu’entre en jeu un nouveau problème. L’extrême droite française, dont une bonne partie du corps doctrinal a été constituée contre les valeurs de la démocratie moderne, a entrepris une métamorphose qui l’amène à s’emparer des thèmes de la République et à se draper dans le vocabulaire de la laïcité pour mieux faire passer son message d’intolérance. Il y a là un piège, et c’est précisément contre ce piège qu’a été pensé le projet de morale laïque. Contre ceux qui alimentent la division et le conflit, il est urgent, dit Vincent Peillon, de re-bâtir du commun. Il a raison. On peut discuter de la pertinence de la solution proposée mais, assurément, le débat méritait d’être ou-vert. Place à la discussion, donc !

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.10 LES IDéES EN MOuVEMENT LE MENSuEL DE LA LIGuE DE L’ENSEIGNEMENT N° 204 DéCEMBRE 2012

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débat

« il est urgent de rebâtir du commun »À la fin du mois d’août, Vincent Peillon a annoncé vouloir instaurer une « morale laïque (…) du plus jeune âge au lycée ». Depuis, le ministre de l’Éducation nationale a lancé une mission 1 pour réfléchir aux contours d’un enseignement. Il répond à nos questions.

Les Idées en mouvement : Quelle est votre définition de la morale laïque ?

Vincent Peillon : C’est tout simplement celle qu’en donnait Jaurès. La morale laïque, c’est une morale indépendante – non pas opposée, mais indépendante – de toute croyance religieuse préa-lable. Une morale qui repose sur la raison, l’universalisme, l’huma-nisme et qui postule que pour « sentir et comprendre ce que vaut d’être homme et à quoi cela engage », il n’y a besoin de se mettre sous l’égide d’aucun dogme particulier. Pour trans-mettre cette morale, ces valeurs, ce sens de la justice, cette ré-flexion sur le bien et le mal – con-trairement à ce qu’affirmait le précé-dent président de la République – les prêtres ne sont pas supérieurs aux instituteurs. C’est la morale de la République, la morale de la liberté, une liberté « réglée par le devoir » ; la morale de l’égalité qui pose l’égale dignité de tous les ci-toyens et garantit l’égal traitement de tous les élèves ; la morale de la fraternité, du respect mutuel, de la solidarité qui compte parmi les valeurs essentielles que l’école doit transmettre.

En quoi la morale laïque a-t-elle une actualité particulière en 2012 ?

Vous le savez bien : notre pays traverse une crise de sens sans précédent. Le débat insensé sur l’identité nationale, la stigmatisa-tion des uns et des autres comme seule réponse à une forme de cris-pation identitaire et religieuse, ont profondément troublé nos conci-toyens. On entend aujourd’hui des choses effarantes dans la bouche de certains qui prétendent défendre la laïcité, alors qu’ils ne cherchent en réalité qu’à alimen-ter la division et le conflit. Ces divisions, comme toujours, se nourrissent de l’ignorance : de l’ignorance de l’autre, mais aussi et surtout, de l’ignorance de ce qui nous unit, de ce qui fait de

nous un peuple, une nation. Il est urgent de rebâtir du commun, par le savoir, par la raison. Cela a tou-jours été la mission historique de l’école, en France plus que par-tout ailleurs. Au moment où notre pays doute, où notre pacte répu-blicain se fissure, nous devons re-nouer le fil de cette histoire. L’en-seignement de la morale laïque y contribuera.

Concernant son enseignement à l’école, ne faut-il pas en faire un des grands référentiels interdisciplinaires commun à tous les enseignements plutôt qu’une discipline spécifique ?

La question du périmètre et des modalités de cet enseigne-ment est au cœur du travail que j’ai confié à la mission sur la mo-rale laïque. Aujourd’hui, il existe une « instruction civique et mo-rale » en primaire. Mais cette di-mension morale disparaît ensuite

de l’éducation civique au collège, et de l’ECJS (éducation civique, juridique et sociale) au lycée : ce n’est pas cohérent. Il faut davan-tage de lisibilité, davantage de progression. Je souhaite égale-ment que cet enseignement soit évalué, tout au long de la scola-rité. Cela ne veut pas dire, évi-demment, qu’il y aura des profes-seurs de morale. Au contraire, je suis convaincu que l’ensemble de la communauté éducative doit s’en saisir : la mission de former des citoyens responsables et libres incombe à tous ses membres. D’autant plus que ces sujets se prêtent particulièrement bien à la pédagogie de projet, à l’interdisci-plinarité. Une réflexion sur l’éga-lité fille-garçon par exemple, a tout à gagner à un regard croisé entre les enseignants de plusieurs disciplines et la vie scolaire. De même sur la laïcité, ce sont toutes les disciplines – et pas seulement

l’histoire – qui peuvent être con-voquées… La morale laïque, c’est l’affaire de tous. n

1. Alain Bergounioux, historien et secrétaire national PS en charge de l’éducation, Rémy Schwartz, conseiller d’état et rapporteur général de la commission « Stasi » sur la laïcité en 2003 et Laurence Loeffel, professeur de philosophie à l’université Lille-III, sont les trois membres de la mission de réflexion sur la morale laïque. Ils rendront leurs travaux sous forme d’un rapport fin mars 2013.

on a l’habitude de faire remonter l’ensei-gnement de la morale laïque à Ferry, Buisson, Paul Bert, les pères fondateurs

de l’école républicaine, mais on pourrait aussi citer Renouvier, Fouillée, Guyau, qui, chacun à leur manière, s’employèrent à fournir les élé-ments de cette morale. Morale, car il s’agit de transmettre un certain nombre de valeurs et de façonner des comportements. Laïque, moins dans son contenu propre, laquelle est le fonds commun de la morale sociale traditionnelle

(« la bonne vieille morale de nos pères », dira Ferry), mais dans sa présentation et son arti-culation, qui ne doit rien à l’enseignement de l’église et à la Révélation consignée dans les textes sacrés. À tel point qu’une des premières querelles auxquelles elle donna lieu fut celle des devoirs envers Dieu. Certains des républi-cains anticléricaux (il est vrai, imprégnés de spiritualisme déiste) voulurent inscrire dans cette morale des « devoirs envers Dieu », fon-dés sur une analyse purement profane. C’en

était trop pour les cléricaux, qui se voyaient ainsi concurrencés sur leur propre terrain : la tentative fut abandonnée sous leur pression. Mais cette escarmouche reste significative de l’ambition qui habitait alors la morale laïque : construire une morale en tout point identique à la morale traditionnelle (ou dominante), qui s’impose par les seuls outils de la raison humaine.

unE éCoLE sans diEu Mais pas sans MoRaLE

Ils n’innovaient d’ailleurs pas complète-ment sur ce point et retrouvaient les tentatives qui avaient été au début du siècle celles de Cousin et de Guizot, quoique nettement moins en rupture avec le catholicisme. Simple-ment, ces derniers retrouvaient par les voies de la seule philosophie une doctrine analogue à celle de l’église. Pendant longtemps, ce fut ainsi un mixte de positivisme comtien et de criticisme kantien qui servit de philosophie sous-jacente à cet enseignement moral. Et c’est bien le même fonds philosophique que la IIIe République vint réactiver, avec la ferme conviction que « l’école sans Dieu » n’était pas, au contraire, une école sans morale, et même

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La morale laïque face à l’individualismeL’enseignement de la morale laïque, ou mieux, l’éducation morale laïque, a une longue tradition. Aujourd’hui, cette morale doit affronter un individualisme relativiste, qui ne reconnaît que peu de règles morales communes.

LES IDéES EN MOuVEMENT LE MENSuEL DE LA LIGuE DE L’ENSEIGNEMENT N° 204 DéCEMBRE 2012 11.

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pouvait l’emporter sur sa rivale du point de vue de son élévation morale.

unE soCiété tRavERséE paR LEs quEstions MoRaLEs

La difficulté contemporaine est tout autre : l’éducation morale doit avant tout affronter non une conception concurrente, quoique clé-ricale, mais un individualisme relativiste qui ne reconnaît que peu de règles morales com-munes, sinon de réciprocité formelle. De là le soupçon maintes fois formulé qu’une telle mo-rale soit une entreprise de moralisation à des-tination des classes « dangereuses », une façon de les soumettre à la norme sociale. Chacun règle sa vie comme il l’entend et l’idée de laï-cité est progressivement et insensiblement de-venue synonyme d’abstention envers les ques-tions morales en général. Notre acceptation de règles communes se limite à leur utilité prag-matique (ne pas tous parler à la fois, sous peine de cacophonie), et nous ne saurions aller au-delà par crainte d’attenter à la liberté des consciences. Pourtant, de nombreuses ques-tions morales ne cessent de se poser et de ta-rauder notre société, à tel point que nous mul-tiplions les instances spécifiques ou les

déontologies particulières, dans tous les do-maines : bioéthique bien sûr, mais aussi conduite des affaires, ou comportement des hommes et femmes politiques. Il n’est pas sûr que l’abstention envers toute réflexion morale soit le meilleur moyen de s’y préparer. Après tout la question de la justice fiscale n’est pas qu’une question d’efficacité économique de telle ou telle mesure, et il peut paraître mora-lement inacceptable de parler d’« exil fiscal ». Et ce n’est pas là moraliser les pauvres.

● Joël Roman

Pour aller plus loin, consulter les ouvrages et les textes issus des trois colloques sur la morale laïque organisés par la Ligue de l’enseignement : Quelle place pour la morale ?, éditions Desclée de Brouwer, 1994. École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Laurence Loeffel (dir.), Presses universitaires du Septentrion, 2009.Les actes du colloque de 2011 « Pourquoi et comment faut-il développer une culture éthique à l’école publique ? », co-organisé avec l’association Confrontations, sont prévus aux éditions Privat. un blog : http://ethique-ecole.hautetfort.com présente quelques aspects de ce travail en cours.

La morale laïque contre l’« ennemi intérieur »Le retour de la morale laïque à l’école ne fait pas l’unanimité. Pour le philosophe Ruwen Ogien 1, le projet de Vincent Peillon est confus et conservateur. Il va même plus loin en l’accusant d’être dirigé contre des « ennemis intérieurs qui ne partageraient pas les valeurs de la République ».

Peu après mai 1968, l’ensei-gnement de la morale dis-parut des écoles, avec les

blouses grises et les bonnets d’âne. À part quelques fétichistes, personne, depuis, n’a insisté pour réclamer le retour de l’uniforme et des châtiments grotesques. Mais le projet de faire revenir la morale à l’école est devenu une obses-sion, à telle enseigne que François Béguin pouvait à juste titre évo-quer récemment « l’éternel retour de la morale à l’école ». Le dernier projet en date, celui de Vincent Peillon, se distingue surtout par son appellation. Ce n’est pas la

morale qui sera enseignée, mais la morale « laïque ». Ce projet est aussi confus que les précédents.

Tout d’abord, derrière l’idée de morale laïque, telle que la conçoit le ministre de l’Éducation, il y a la croyance que si on laisse les enfants réfléchir rationnelle-ment, penser librement, en de-hors de tout dogme religieux ou politique, ils reconnaîtront né-cessairement la grandeur des « valeurs de la République » : so-lidarité, altruisme, générosité, dé-vouement au bien commun, etc. Cette croyance est naïve. La raison est malheureusement insuffisante

pour justifier les « valeurs de la République ». Même si c’est re-grettable, la réflexion rationnelle peut parfaitement aboutir à rendre attrayantes des valeurs comme l’égoïsme, la concurrence achar-née, la récompense au mérite, et même l’argent. On peut rejeter ces valeurs au nom du « vivre en-semble », mais on ne peut pas dire qu’elles sont irrationnelles.

Confusion du JustE Et du biEn

Ensuite, le projet du ministre de l’Éducation confond la ques-tion du juste et celle du bien. La

première concerne nos rapports aux autres : dans quelle mesure sommes-nous respectueux, équi-tables, etc. ? La seconde est diffé-rente. Elle est celle de savoir ce qu’on va faire de soi-même : du style de vie qu’on veut mener, du genre de personne qu’on doit être, des ingrédients de la vie « bonne » ou « heureuse ». Faut-il être un épargnant raisonnable ou un flambeur ? Un lève-tôt qui essaie d’en faire le plus possible, ou un lève-tard qui essaie d’en faire le moins possible ? On peut concevoir un certain accord entre tous les citoyens sur l’importance du respect d’autrui, de l’équité ou de la réciprocité dans les rela-tions interpersonnelles, c’est-à-dire du juste. C’est plus difficile à envisager pour le bien person-nel, la vie bonne, ou le sens de la vie. Pour éviter d’imposer des conceptions controversées du bien personnel à l’école, seule l’instruction civique, qui ne s’en-gage pas de ce point de vue, de-vrait y être envisagée. L’enseigne-ment de la morale, au sens de l’éducation à la vie bonne ou heureuse, ne devrait pas y avoir de place.

Bref, le projet est si bancal in-tellectuellement qu’on est bien obligé de se poser des questions sur le but qu’il vise vraiment. Je me permets une hypothèse.

Autrefois, les cours de morale étaient censés préparer les enfants de la République à devenir de braves petits soldats, courageux et disciplinés, bouleversés à la vue du drapeau national, connaissant La Marseillaise par cœur, et prêt à verser l’« impôt du sang » pour défendre la patrie contre ses enne-mis extérieurs.

unE pEnséE ConsERvatRiCE suR L’éCoLE

Aujourd’hui, l’enseignement de la morale semble plutôt dirigé con-tre un ennemi intérieur, une classe dangereuse qui ne partagerait pas les « valeurs de la République ».

Lorsque le ministre proclame un peu partout dans la presse qu’il est nécessaire de restaurer un en-seignement de morale « laïque » à l’école, ce n’est évidemment pas parce qu’il s’inquiète de l’immora-lité des élèves de Louis-Le-Grand ou d’Henri-IV !

Le projet est plutôt dirigé con-tre les « barbares » des quartiers défavorisés.

Il vise aussi à séduire ceux que le flot de propos alarmistes sur la violence scolaire et la « montée de l’intégrisme » inquiète ou effraie.

Le ministre de l’Éducation na-tionale consacre ainsi l’hégémonie de la pensée conservatrice sur le sujet de l’école, comme d’autres ministres de gauche l’ont consa-crée, par leurs déclarations, sur les questions du travail sexuel, de l’homoparentalité, de l’immigra-tion, et de la sécurité.

C’est une tendance qu’il faut, à mon avis, combattre sans se lasser.

● Ruwen ogien

1. Ruwen Ogien est philosophe, directeur de recherche au CNRS, membre du Centre de recherche Sens, éthique, Société. Ses travaux portent notamment sur la philosophie morale et la philosophie des sciences sociales. Il a publié de nombreux ouvrages, dont L’Éthique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes (Gallimard, 2007) et plus récemment L’Influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine et autres questions de philosophie morale expérimentale (Grasset, 2011).

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REgaRds CRoisés

« La morale laïque sera forcément une morale qui questionnera la société »Ni métaphysique, ni imposée et encore moins parfaite, la morale laïque n’est pas une vieille marotte pour endormir les craintes d’une société en manque de repères. Pour Guy Coq 1, philosophe, et Jean Baubérot 2, historien et sociologue, éduquer à l’éthique s’inscrit pleinement dans le projet sur la refondation de l’école. Et il appartient à tous les citoyens de fonder cette morale commune.

Les Idées en mouvement : Vous plaidez tous deux pour un retour de la morale laïque. Pourquoi ? Quelle en serait votre définition et quelle est son actualité aujourd’hui ?

Jean Baubérot : Le terme « morale laïque » est l’expression d’une filiation historique et à ce titre, il me paraît légitime. La créa-tion progressive d’une morale laïque s’est faite au moment de la laïcisation de l’école publique et plus largement de la société, pour remplacer le cours de morale reli-gieuse assuré par le clergé. Elle est aussi liée à l’exode rural et à la né-cessité de créer des citoyens libres et autonomes dans un environne-ment nouveau, puisque la ville n’était pas ce lieu de solidarité et de surveillances mutuelles qu’était la campagne.

De ce cours de morale laïque ne reste aujourd’hui que le mo-ment de son déclin, après la Se-conde Guerre mondiale, avec « la petite phrase »… Or à l’origine, il était beaucoup plus ambitieux no-tamment sur certains grands thèmes qu’on peut encore actua-liser (réciprocité entre droits et devoirs, entre liberté et responsa-bilité, dignité inconditionnelle de l’être humain, solidarité). On peut donc s’inscrire dans cet héritage en le renouvelant.

« Il ne faut pas que ce soit une morale totale, imposée par le haut. »Aujourd’hui comme hier, une

société n’est pas une juxtaposition d’individus. Et si on prend l’optique de la morale laïque, le lien social entre ces individus n’est pas qu’un lien d’intérêt commun. L’intérêt commun ipso facto ne fait pas une société pacifiée. Le lien social a éga-lement une dimension éthique, morale. Enfin, une morale laïque n’est pas une morale concurrente des morales religieuses et confes-sionnelles. Elle a pour but d’être partagée par l’ensemble de la so-ciété mais avec du débat. Il ne faut

pas que ce soit une morale totale, imposée par le haut. C’est une morale trouée. Pour résumer : c’est un réseau de préoccupations morales communes que doivent avoir les gens qui font société.

Guy Coq : La question de la morale laïque est liée à celle de la République. La séparation de l’école et de l’église prépare l’ins-tauration de la République com-me un ordre qui n’est plus soumis au religieux. La morale laïque est donc une partie essentielle de la laïcité.

Les questions sont les sui-vantes : une société peut-elle se passer de repères moraux com-muns ? Est-ce que l’ordre juridique se suffit à lui-même ? N’y a-t-il pas une sphère intermédiaire ?

Premier constat : le droit lui-même s’effondrerait s’il n’était soutenu par une certaine obliga-tion morale ; deuxième constat : le parfait légaliste, celui qui n’agi-rait qu’en appliquant les lois, serait, pour reprendre l’expres-sion de Comte-Sponville « un salaud légaliste » 3. En effet, il n’y a pas de lois qui interdisent l’égo-ïsme, l’intolérance, le mépris, la haine… S’imposent ici des en-jeux moraux. Troisième point : il n’y a pas de limite démocra-tique à la démocratie ; la volonté du peuple n’a pas de « sur-loi » car c’est encore lui qui changera la Constitution.

Nos sociétés ne sont plus uni-fiées ni par une religion commune ni par un pouvoir dur : l’espace commun ne peut se faire qu’à un niveau éthique. Il ne s’agit pas d’en faire une morale complète car il y a des éléments de morale commune et de morale person-nelle. Mais on peut identifier un certain nombre de principes.

Pourquoi l’appeler morale laïque ? Parce qu’elle ne découle pas d’une commune conviction religieuse et qu’elle provient de la société et de la décision des hommes de s’entendre sur des cri-tères. Il appartient à tous les ci-toyens de cette morale commune de la fonder. C’est une fondation plurielle.

Si c’est aux citoyens de chaque époque de la fonder, la morale laïque est donc temporaire ? Peut-elle, par ailleurs, cohabiter avec les morales convictionnelles ?

Jean Baubérot : Oui et non. Je le disais plus tôt : il faut insister sur l’historicité, surtout dans une époque où on a tendance à cher-cher les racines par peur de l’ave-nir. Qu’est-ce que l’historicité ? Ce sont les changements amenés par les sociétés françaises dans tous les domaines, y compris celui de la morale. Aujourd’hui par exemple, on ne serait pas dans les silences des débuts de la morale laïque de la fin du XIXe siècle sur le thème des relations entre sexes.

C’est pourquoi je préfère par-ler de valeurs partagées plutôt que de valeurs communes pour insis-ter sur le fait qu’elles sont en débat dans leur concrétisation. Le commun résulte d’un partage et oui, il est temporaire. Il a à re-questionner. C’est là qu’il peut y avoir une tension entre cette mo-rale laïque et des morales convic-tionnelles, qui, elles, estimeront être fondées sur des absolus anthropologiques.

Guy Coq : Il y a derrière les valeurs communes, certaines de portée universelle, des options anthropologiques, par exemple : l’unité et l’identité de l’espèce hu-maine, la liberté comme caractère essentiel de l’humanité. Ces op-tions anthropologiques émergent dans l’histoire, mais, à une époque donnée, elles s’imposent comme des repères supérieurs, quasi universalisables.

Jean Baubérot : Je suis d’ac-cord mais j’insisterais sur la ma-nière dont se concrétise cette référence à l’humanité, et qui amène des limites. Je ne suis pas contre les limites, mais je dis qu’à chaque période, c’est à la société de définir les limites qui sont liées à cette notion d’humanité. Il n’y a pas, une fois pour toutes, un ordre naturel. La tension est féconde dans une société laïque et démocratique mais on ne peut pas accepter que certains groupes veuillent imposer à l’ensemble de

la société leur conception de l’ordre naturel. Et ça, c’est le débat de la laïcité depuis le début de la laïcité ! Il faut aussi recon-naître que dans une société qui se voulait chrétienne, il y a aussi eu cette dynamique de changement moral (voir les dé-bats anciens sur le divorce, la contraception).

Guy Coq : Actuellement, en Europe occidentale, on ne voit pas la force d’imposition possible, même de l’église catholique. Par ailleurs, les religions peuvent aussi participer, comme les philo-sophies, à mettre en place du commun. C’est aussi une forme de laïcité. À une condition : qu’on ne prétende pas le faire au nom de la foi. Et puis, il faut faire la part des choses. Il y a tout un champ de la réflexion morale qui découle de la vie personnelle des gens, où ils ont une grande liberté d’op-tions. Et il y a un domaine où il faut du commun. Pour que la so-ciété perdure, qu’elle soit le moins

injuste possible, elle doit fonder des références morales. On ne contraint pas l’individu mais il faut une reconnaissance offi-cielle des fondements de cette société.

Une société n’est pas n’im-porte quoi. Elle trouve sa cohé-rence d’une certaine façon faute de quoi le pluralisme n’est pas le pluriel. Le pluralisme culturel n’est pas une fin en soi. C’est un état de fait. Respecter la pluralité des gens oui, mais il faut faire so-ciété, une même société. En ré-sumé : il faut que les gens qui se réclament d’une différence cultu-relle acceptent d’assumer des élé-ments de culture commune autre-ment on est dans la fragmentation, la société éclate.

Si on poursuit votre raisonnement, la morale laïque pourrait remettre en partie en cause la société ? Cela semble un peu contradictoire surtout à l’école…

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Jean Baubérot : Pas vrai-ment. Prenons un fait : la société française, juridiquement, fonc-tionne selon le principe de l’éga-lité hommes-femmes. À partir de là, on peut faire un premier constat qui est que dans certaines religions, cela ne fonctionne pas ainsi (dans la religion catholique, une femme ne peut pas être prêtre, sur le mur des Lamenta-tions, les femmes se battent pour avoir le même espace que les hommes, à la mosquée, les hom-mes et les femmes sont séparés, etc.) : la société accepte donc qu’il y ait des sous-groupes qui fonctionnent autrement. Deu-xième constat : la société fonc-tionne-t-elle selon le principe de l’égalité hommes-femmes ? C’est là qu’intervient la remise en question de la société. Un exemple récent vient illustrer mon propos : le fait qu’Éric Raoult, le rapporteur sur le voile intégral, qui se fait le héraut de l’égalité hommes-femmes, soit mis en examen pour violence conjugale… La morale laïque peut avoir un effet boomerang. La morale laïque à l’école ques-tionnera forcément l’école et la manière dont elle fonctionne.

Guy Coq : C’est pour cela qu’on ne peut pas accuser le pro-jet de Vincent Peillon de morali-sation. Ici, il s’agit d’apprendre aux gens à se faire la morale à eux-mêmes et à dégager les enjeux fondamentaux de valeurs de la société. Dans une société libre, il y a une pluralité de valeurs contradictoires (celles du publici-taire, du trader). Il y a au sein même de l’école des contre-va-leurs. On n’est pas ici dans le débat « valeurs ou pas valeurs », on est dans le conflit de valeurs. Et l’éducation morale doit travail-ler dans ces conflits.

Jean Baubérot : Pourquoi la morale laïque historique est morte ? Parce que, peut-être, n’a-t-elle pas assez assumé cet effet boomerang. À l’époque les écoles n’étaient pas mixtes, on ensei-gnait aux filles et aux garçons la même éducation à la citoyenneté, sans jamais dire aux filles qu’elles n’étaient pas citoyennes, sans droit de vote. Que se passait-il alors dans la tête des institu-trices ? Avaient-elles tellement intériorisé cette différence ou avaient-elles une stratégie plus subtile, ce que je crois, en se disant qu’en enseignant la ci-toyenneté, les filles allaient d’elles-mêmes s’apercevoir du problème ? Autre explication de ce déclin de la morale laïque : il y a eu, à cette époque, une exal-

tation de la nation et du patrio-tisme. À partir des années 30, on se rend compte que la Grande Guerre est une victoire mais aussi la victoire à la Pyrrhus de la mo-rale laïque. Les officiers catho-liques, qui avaient été à l’école privée et à qui on avait enseigné qu’une école sans dieu était une école immorale, se sont aperçus que leurs soldats étaient soli-daires, braves avec des qualités morales incontestables… À la Pyrrhus, car cette jeunesse mo-rale a été formée pour une guerre qui a fait un million de morts. Une guerre qui a montré que le progrès technique pouvait abou-tir au progrès dans la mort, alors qu’il y avait, dans la morale laïque, l’idée d’un lien entre pro-grès technique et progrès moral.

Aujourd’hui, il ne faut plus faire d’impasse : la morale laïque sera forcément une morale qui questionnera la société, l’État… Comme le disait Condorcet : « Il faut qu’en aimant les lois, on sache les juger. » Le fondement actuel, c’est le préambule de la Constitu-tion et sa réactualisation. La Constitution ne prétend pas être un fondement métaphysique.

« Croire en la vertu de l’éducation, c’est aussi un des fondamentaux de l’idée républicaine. »

Quelle est la place de la morale laïque à l’école ?

Guy Coq : Une morale à l’école doit d’abord avoir comme visée une culture de la conscience personnelle et de la capacité éthique de chaque être. Et ce, en toute liberté. Il ne s’agit pas de lui inculquer quelque morale que ce soit. Le modèle, c’est l’ensei-gnement philosophique où l’on prétend initier à la méthode phi-losophique en traversant les diffé-rents argumentaires de manière rationnelle et avec un esprit cri-tique. C’est effectivement un tra-vail d’éducation puisqu’il s’agit d’aider à faire naître des per-sonnes autonomes.

La morale laïque doit se trans-mettre et s’inculquer. Même si c’est une morale que la société dé-mocratique est censée produire, la société a tout de même besoin que certains de ses repères soient pro-posés à l’assentiment des plus jeunes. S’il n’y a pas de culture éthique, je préfère cette notion à la celle de morale d’ailleurs, il n’y a pas accession aux valeurs communes.

Comment cette culture de l’éthique peut-elle prendre forme dans l’école ?

Jean Baubérot : Il ne faut pas opposer l’idée d’activités spéci-fiques, que je préfère d’ailleurs à l’idée de cours, et puis celle de la globalité. Si j’ai bien compris le ministre, il veut réduire de 6 à 5 heures le temps scolaire quoti-dien et aménager un temps pour des activités. Dedans, il pourrait y avoir un aspect de réflexivité mo-rale, dispensé sous différentes formes. Par exemple, il y avait dans les cours de morale classique du début du XXe siècle, des cours sur la différence entre la calomnie et la médisance. La possession de la langue et des outils argumenta-tifs fait partie de la réflexivité mo-rale. Vu l’ensemble des messages que l’on reçoit avec la communi-cation de masse, cela me semble très important. Enquêtes, prépa-rations d’exposés, théâtre, fo-rums… sont des choses qui peuvent provoquer des discus-sions entre élèves et entre élèves et professeurs.

Guy Coq : Il y a des parties un peu didactiques qui doivent s’intégrer, notamment tout ce qui tourne, en effet, autour de l’ap-prentissage du vocabulaire : savoir utiliser les mots, les distinguer, de-venir capable d’une argumentation dans le champ de l’éthique. Avant de penser à faire taire l’autre, il faut le reconnaître comme un alter égo, lui aussi porteur d’une argumenta-tion. Ce n’est pas en tuant l’autre qu’on tue ses idées. Le but de l’éducation éthique n’est pas de ré-soudre le problème de la violence mais il s’agit de faire qu’à l’école, qui est le lieu de la réflexion, l’éthique devienne une forme consciente. Sur le débat sur la bioéthique, donner les argumen-taires des deux écoles qui s’af-frontent et accepter d’entendre les raisons de l’autre, sur des grands sujets qui divisent l’humanité. La morale laïque ne va pas trancher entre ce qui est bien et ce qui est juste, mais il y a des impératifs de justice qui affleurent par rapport aux lois qui existent.

Jean Baubérot : Le débat dé-mocratique n’est pas un débat ab-solu ! La formation sera extrême-ment importante. Le souci : pouvoir montrer qu’il y a une cer-taine cohérence interne dans le débat démocratique même si ce débat n’est pas absolu. Comme le dit Guy Coq, l’école ne va pas trancher mais engager le débat, en secondaire, sur le mariage homo-sexuel, l’adoption… La mission aura à délimiter le périmètre et la progressivité de ces sujets. Quant

à son évaluation, elle ne pourra pas se faire sur des critères classiques.

La morale aurait-elle disparu de l’école ? Une école imparfaite est-elle en mesure de l’inculquer ?

Guy Coq : Il y en a déjà, pour le meilleur et pour le pire. L’école a fait beaucoup pour que le ra-cisme recule par exemple. Sans qu’il y ait de grandes leçons là-dessus, elle accueille à égalité tous les enfants, quelle que soit leur origine. L’institution a eu un côté vertueux en elle-même. L’école peut-être porteuse de justice.

Jean Baubérot : Si la morale laïque était la seule réforme de l’école, on pourrait l’accuser de moralisation. Mais c’est cohérent avec un projet global. Bien sûr, ce sont les 12 travaux d’Hercule mais si on veut que l’école ne reproduise plus des inégalités, ce qui est le but de la réforme, il faut faire un pari de l’utopie qui peut réussir. On ne peut changer les choses que s’il y a du volontarisme. C’est une pièce essentielle du projet.

Guy Coq : Tout à fait. On ne peut pas attendre que les institu-tions soient toutes justes pour que les hommes deviennent justes. On ne va pas supprimer en quelques mois l’échec de ces mil-liers de jeunes qui sortent démolis de l’école. Mais même une insti-tution éducative qui n’est pas par-faite peut être porteuse de choses très positives. Mettre de l’éduca-tion éthique dans l’école aura pour effet un retour sur la morale

même des agents de l’école qui de-vront essayer de mettre leur parole en harmonie avec le message. Oui, il faut faire le pari d’une espérance possible. Croire en la vertu de l’éducation, c’est aussi un des fon-damentaux de l’idée républicaine en France. Il faut créditer l’école de la possibilité d’ouvrir à des idéaux, de faire progresser la société. Les institutions fortes, les « officiels » ont la responsabilité d’un discours. Quand Vincent Peillon affirme que certaines valeurs sont plus impor-tantes que d’autres « la connais-sance, le dévouement, la solidarité plutôt que les valeurs de l’argent, de la concurrence et de l’égoïsme », c’est courageux. Je reprends ce qu’il dit : « Il faut assumer que l’école exerce un pouvoir spirituel dans la société. »

Jean Baubérot :… En préci-sant que ce pouvoir spirituel est troué, qu’il n’est pas global.

● propos recueillis par ariane ioannides

1. Guy Coq est spécialiste de la philosophie de l’éducation. Il est membre de la rédaction de la revue Esprit. Il est l’auteur, entre autres, de La laïcité, principe universel, Le Félin, 2005 et de La démocratie rend-elle l’éducation populaire ?, Parole et silence, 2000. 2. Jean Baubérot a été titulaire de la chaire d’Histoire et sociologie de la laïcité à l’école pratique des hautes études, de sa création (1991) à 2007. À lire : La Morale laïque contre l’ordre moral, Seuil, 1994. Son dernier ouvrage : La laïcité falsifiée, La Découverte, 2012. 3. André Comte-Sponville, Le capitalisme est-il moral ?, Albin Michel, 2004.

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téMoignagE

Cours de morale non confessionnelle : l’expérience belgeNadia Geerts 1 est une militante laïque belge. Maître-assistante en philosophie à la Haute école de Bruxelles, elle a enseigné pendant 20 ans la morale non confessionnelle dans l’enseignement secondaire. Petit résumé sur ces cours en vigueur chez nos voisins depuis 1958.

Depuis le Pacte scolaire de 1958, les établissements scolaires publics – « officiels », selon la terminologie

belge – ont l’obligation d’organiser, pen-dant toute la scolarité obligatoire, des cours de religion et de morale non confession-nelle, et ce, à raison de deux heures par semaine.

Concrètement, les parents – ou les élèves eux-mêmes s’ils sont majeurs – doivent donc choisir entre six cours diffé-rents. Il s’agit des cours de religion catho-lique, protestante, orthodoxe, islamique et israélite et du cours de morale non confes-sionnelle. Ce choix peut être modifié à chaque début d’année scolaire.

Rappelons en effet que la Belgique, contrairement à la France, reconnaît et fi-nance les cultes, parmi lesquels la « laïcité organisée ». Outre les six déjà cités, il y a encore l’anglicanisme et, depuis peu, le bouddhisme.

unE foRMation MoRaLE pouR dévELoppER L’EspRit CRitiquE

À l’origine, ce cours fut mis sur pied pour répondre à la demande de parents qui ne se réclamaient d’aucune confession religieuse et souhaitaient voir dissociées la morale et la religion, contre l’idée, prévalant encore durant la première moitié du XXe siècle, selon laquelle seule la religion permettait d’inculquer une morale aux enfants.

Ainsi, le programme du cours de mo-rale non confessionnelle décrit l’esprit de ce cours de la manière suivante : « Dans un esprit de fraternité, de tolérance et avec un souci constant d’objectivité, le cours de morale à l’école primaire exercera les en-fants dont les parents se réclament d’une forme de pensée laïque à résoudre leurs problèmes moraux sans se référer à une puissance transcendante ni à un fondement absolu par le moyen d’une méthode de ré-flexion basée sur le principe du “libre exa-men” » 2. Il privilégie les trois objectifs sui-vants : formation de l’esprit critique, entraînement à la communication et pra-tique de la coopération.

Au niveau secondaire, les termes du programme et la méthode de réflexion mo-bilisée sont les mêmes. Le cours de morale se propose ainsi « d’amener les adolescents à un état d’autonomie et de disponibilité, qui leur permette d’aboutir à des prises de position personnelles et responsables, dans tous les cas où, confrontés à des problèmes tant individuels que sociaux, ils se trouvent dans l’obligation de faire un choix. Dans

cette perspective, la formation morale se présente comme un entraînement à la prise de décision. » 3. Le cours de morale non confessionnelle vise donc le développe-ment de l’esprit critique, dans une perspec-tive de libre examen et de refus de tout dogmatisme, dans le but de permettre la prise de décision et d’orienter l’action.

En paRaLLèLE… dEs CouRs dE MoRaLE RELigiEusE

Apprendre à penser par soi-même, en d’autres termes, constitue le but ultime de ce cours. Dans cette perspective, on peut s’étonner que ce cours soit organisé en pa-rallèle avec des cours de religion visant à inculquer une morale religieuse aux élèves. En effet, dans la perspective laïque qui est la mienne, l’école officielle ne devrait pas contribuer à l’édification religieuse des élèves qu’elle accueille. Qui plus est, ne de-vrait-on pas considérer que penser par soi-même est une compétence digne d’être développée chez tous les élèves, quelles que soient leurs convictions religieuses éventuelles ?

C’est pour ces deux raisons que, depuis quelques années, des voix s’élèvent en Bel-gique pour réclamer le remplacement de ces cours très improprement appelés « phi-losophiques » par un cours commun à tous, dont le programme du cours de mo-rale non confessionnelle pourrait utilement servir de base à la construction. En effet, de la première année de primaire à la dernière année de l’enseignement secondaire, le cours de morale est un espace de réflexion et d’échange réellement privilégié. Les thèmes traités sont très divers : de « Faut-il suivre la mode ? » à « Faut-il toujours dire la vérité ? » en passant par « L’homme est-il un animal comme les autres ? » ou « Peut-on critiquer les religions ? ». Le cours de morale peut aussi débattre du mariage ho-mosexuel ou du suicide assisté. Même si en Belgique les lois ont été promulguées, les élèves n’en comprennent pas forcément la légitimité.

CoMbLER unE LaCunE iMpoRtantE En fRanCE

Comme le rappelait Vincent Peillon : « Le but de la morale laïque est de permettre à chaque élève de s’émanciper car le point de départ de la laïcité, c’est le respect absolu de la liberté de conscience. Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, so-cial, intellectuel, pour après faire un choix. »

Qu’il s’agisse de l’actuel cours de morale

non confessionnelle belge ou du cours de morale laïque français, il s’agit d’éviter à toute force le piège du moralisme, autre-ment dit cette posture dogmatique qui pré-tend affirmer « d’en haut » ce que sont le bien et le mal, le juste et l’injuste. Un bon cours de morale ne saurait apprendre que penser, mais devrait en revanche impérati-vement apprendre à penser. Il s’agit, autre-ment dit, de donner des outils aux élèves pour qu’ils soient capables de développer leur autonomie individuelle et leur esprit critique, et ce dans une perspective d’ac-tion. En effet, la finalité ultime d’un tel cours n’est pas de fabriquer des encyclopé-distes coupés du réel, mais de favoriser l’émergence d’une pensée tournée vers l’ac-tion. À cet égard, on peut regretter, me semble-t-il, que le système français n’ait jusqu’ici prévu qu’un cours d’instruction civique en primaire, et un cours de philo-sophie en terminale. Entre les deux : rien. Et ce, à un âge où les adolescents sont tra-versés et parfois profondément bouleversés par des questions existentielles, et où leur jugement moral autonome se construit et s’affine, comme l’a bien montré le psycho-logue américain Lawrence Kohlberg.

pREndRE à bRas-LE-CoRps La quEstion du « vivRE EnsEMbLE »

C’est pour cette raison que je salue l’ini-tiative de Vincent Peillon, qui, si elle réussit à éviter le piège du moralisme énoncé plus haut, pourrait bien combler une lacune im-portante dans la formation des adultes de demain.

Vincent Peillon a, en outre, clairement

motivé sa proposition par, entre autres choses, la recrudescence du racisme et de l’antisémitisme dans le milieu scolaire. Je vois donc dans son projet une tentative de prendre à bras-le-corps la question du « vivre ensemble », qui traverse la France comme la Belgique. Pour simplifier, on peut dire que la Belgique répond à cette question par la polarisation, le cloisonne-ment, la segmentation – chacun dans son cours « philosophique », et à la sortie, on sera capable de vivre ensemble – et que la France y a jusqu’ici répondu en évacuant la question de la morale – religieuse ou non – de la sphère scolaire. Il est peut-être temps d’expérimenter une troisième voie : celle d’une morale laïque pour tous, non qu’elle serait irréligieuse, mais qu’elle viserait au développement de l’autonomie de juge-ment de chacun, indépendamment de tout corpus dogmatique.

● nadia geerts

1. Nadia Geerts anime son blog : http://nadiageerts.over-blog.com 2. et 3. L’intégralité de ces programmes est disponible sur le site de la Restode (Réseau d’enseignement organisé par la fédération Wallonie-Bruxelles) : www.restode.cfwb.be

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L’ idée était d’abord d’évaluer l’acquisi-tion du langage chez les petits. « Il s’agissait aussi de les sensibiliser au

“devenir élève”, et de faire un apprentissage de la conceptualisation. » Découvrant la philoso-phie pour enfants, Fabienne fait quelques re-cherches sur les différentes méthodes d’anima-tion de ce type d’ateliers et s’arrête sur celle de Jacques Lévine, fondateur de l’AGSAS. « Le dispositif Lévine est très codifié, comme un rituel. Les ateliers sont de 10 minutes hebdo-madaires, ce qui est bien pour les petits. Ils sont enregistrés et je les retranscris intégrale-

ment. Avant de lancer la discussion, les règles sont rappelées : on se présente quand on prend la parole, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, personne n’est obligé de parler… La question est ensuite posée, sur des thèmes très divers : À quoi sert la publicité ? Pourquoi les hommes ont-ils inventé les puni-tions ?… Dès lors, je n’interviens quasiment plus, sauf en cas de réactions inadmissibles (racisme), ou pour reformuler si c’est peu compréhensible. »

En cours d’année, Fabienne constate la complexification du langage des enfants et les

marques de l’échange dont il s’enrichit. « Dès le milieu de l’année, des phrases comme “je ne suis pas d’accord avec toi, parce que…” appa-raissent. Cela devient peu à peu de vrais débats. »

Fabienne est plutôt favorable au retour de la morale laïque à l’école. « C’est riche, mais ça ne s’évalue pas. Si la morale laïque devenait une matière à part entière, je ne vois pas com-ment on pourrait l’évaluer. »

● s.b.

ExpéRiEnCEs

Les enfants, naturellement philosophesAfin de développer l’esprit critique des enfants et de leur faire découvrir les règles du « vivre ensemble », certains enseignants organisent des ateliers philosophiques. Pas d’enseignement, ni de « morale », juste du questionnement.

assis en cercle autour d’une bougie, un groupe d’en-fants de 3 à 4 ans attend le

thème de la réflexion du jour. La liberté. Ça veut dire quoi, la li-berté, pour des tout-petits ? « C’est quand on a le droit de faire tout ce qu’on veut. » « Non, parce que si tu fais quelque chose de grave, tu vas en prison », répond une élève. « On peut faire tout ce qu’on veut mais pas n’importe quoi », complète une autre. Cette scène est extraite du film Ce n’est qu’un début. Sorti en 2010, il suit pen-dant deux ans les ateliers à visée philosophique de l’école Jacques Prévert au Mée-sur-Seine, en Seine-et-Marne. Outre leurs ré-ponses riches, spontanées, perti-nentes, les enfants apprennent à s’écouter et surtout à penser par eux-mêmes.

Préparer les élèves à devenir des citoyens responsables fait par-tie des missions fondamentales de l’école. Développer l’esprit cri-tique des enfants et des jeunes, leur pensée réflexive en découle logiquement. Dans le but de sus-citer le questionnement chez les enfants sur des sujets de société afin qu’ils s’en approprient mieux les valeurs, un nombre grandissant d’enseignants fait appel à la philo-sophie pour enfants. Loin de l’idée d’inculquer des comportements.

L’appREntissagE dE La disCussion

Le philosophe et pédagogue américain Matthew Lipman est le premier à promouvoir la philoso-phie pour enfants dans les années 1970. En France, c’est surtout à la fin des années 1990 qu’ensei-gnants et chercheurs commencent à s’intéresser à ces expériences. Michel Tozzi, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’uni-versité Montpellier 3, fait partie de ces précurseurs. Trois courants ont convergé au même moment, autour de 1996, se souvient-il : « La méthode Lipman s’implante d’abord aux IUFM de Caen et de Clermont-Ferrand grâce à Marc Bailleul et Emmanuelle Auriac. Pa-rallèlement, Jacques Lévine, psycho-logue et psychanalyste, expérimente aussi une méthode à Lyon par le biais de son Association des groupes de soutien au soutien (AGSAS), pen-dant que Jean-Charles Pettier ins-

taure des formations à l’IUFM de Créteil. » Michel Tozzi promeut ce dernier courant et élabore une méthode à part entière, avec Alain Delsol et Sylvain Connac : la dis-cussion à visée démocratique et philosophique (DVDP).

La DVDP articule l’éducation à la citoyenneté, plus centrée sur l’apprentissage du débat, et le courant philosophique, héritier de Lipman, alors que la mou-vance plus psychanalytique in-siste sur la reconnaissance de l’en-fant en tant que sujet. « Si l’on regarde les programmes d’éducation civique ou de littérature, on se rend compte que les objectifs sont les mêmes que la DVDP, précise Mi-chel Tozzi : développer l’écoute de l’autre, du “vivre ensemble”, l’usage public de la langue… La philo est

transversale : c’est à la fois de l’édu-cation à la civilité et un développe-ment de la pensée réflexive. Si la morale laïque s’inscrivait dans une démarche de “laïcité de confronta-tion”, à la Paul Ricœur, pour discuter de ce sur quoi nous ne sommes pas d’accord, elle pourrait avoir du sens, et les DVDP seraient là des plus pertinentes. »

« MaintEniR La fLaMME du quEstionnEMEnt »

Tourné vers une méthode plus purement philosophique, Gilles Geneviève a découvert la mé-thode Lipman dès 1998 lors d’un stage à l’IUFM de Caen. Profes-seur des écoles, il en applique les enseignements immédiatement, avec quelques aménagements. À ses « discussions philoso-

phiques », lui, veut conférer la forme d’un échange socratique libertaire en donnant la plus grande liberté possible aux jeunes dans le choix des thèmes et le dé-roulement de la discussion. « Ti-tulaire d’un poste surnuméraire comme il en existait dans les ZEP du Calvados à l’époque, j’ai pu prati-quer des moments de discussion phi-losophique dans une bonne partie des classes de mon école, du CP au CM2. » Pour lui, même s’il est dif-ficile de « distinguer ce qui est attri-buable à l’évolution naturelle de l’enfant de ce qui relèverait des dis-cussions, des progrès sont notables dans la prise de responsabilité et l’autonomie ». Le but de ces ate-liers est d’aider à développer une aptitude à appréhender le monde. « Il s’agit de maintenir la flamme du

questionnement philosophique qu’ils ont naturellement. À l’inverse de l’idée de morale, qui implique une notion de bien et de mal, d’inculquer des comportements, plutôt que d’ap-prendre aux élèves à mettre en adé-quation leur pensée et leurs actes. C’est toujours beaucoup moins effi-cace de dire que le mensonge c’est mal plutôt que de les laisser réfléchir à la question. Toute injonction – ce qu’est la morale – génère le désir de transgression. »

Si les débuts ont été tardifs en France, les ateliers philoso-phiques ont pris de l’ampleur. L’Unesco héberge désormais les colloques sur les Nouvelles pra-tiques philosophiques à l’école et dans la cité, et encourage la phi-losophie sous toutes ses formes comme moyen d’éduquer à la dé-mocratie. « Depuis dix ans, beau-coup de formations se sont dévelop-pées dans les IUFM, confirme Michel Tozzi. Les enseignants les suivent pour mieux atteindre les ob-jectifs du programme. » Si la pra-tique est encore loin d’être géné-ralisée, chaque praticien essaime largement. Ce n’est qu’un début.

● stéphanie barzasi

Pour aller plus loin : - L’AGSAS : agsas.free.fr - Gilles Geneviève : gillg14.free.fr - Michel Tozzi : www.philotozzi.com

des ateliers philo, dès la maternelleFabienne Rioualen, professeur des écoles dans le Var depuis 1990, a mis en place des ateliers philosophiques dans ses classes depuis une dizaine d’années, d’abord en CP puis en grande section de maternelle.