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"Les défis de développement pour les villes et les régions dans une Europe en mutation" 5-7 juillet 2017, Univerisité Panteion, Athènes, Grèce LES IDÉOLOGIES DE DÉVELOPPEMENT RÉGIONAL AU QUÉBEC À TRAVERS L'ŒUVRE CINÉMATOGRAPHIQUE DES PRÊTRES-CINÉASTES, 1930-1960 Pierre-André SAVARD, Université du Québec à Montréal Contact : [email protected] Résumé Entre 1930 et 1960, des prêtres catholiques ont réalisé plus de 300 films documentaires en rapportant les réalités sociales, économiques et culturelles des régions du Québec. Diffusés devant plusieurs milliers de spectateurs du Canada français, les films de ces prêtres-cinéastes ont ainsi eu une influence certaine sur l'aménagement des territoires de la province de Québec dans le deuxième tiers du XX e siècle. Cette communication propose d'analyser la pensée de développement régional à travers les documentaires de ces prêtres originaux. Pour ce faire, nous contextualiserons d'abord ce mouvement cinématographique singulier. Ensuite, nous étudierons le discours cinématographique

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"Les défis de développement pour les villes et les régions dans une Europe en mutation"

5-7 juillet 2017, Univerisité Panteion, Athènes, Grèce

LES IDÉOLOGIES DE DÉVELOPPEMENT RÉGIONAL AU QUÉBEC À

TRAVERS L'ŒUVRE CINÉMATOGRAPHIQUE DES PRÊTRES-

CINÉASTES, 1930-1960

Pierre-André SAVARD, Université du Québec à Montréal

Contact : [email protected]

Résumé

Entre 1930 et 1960, des prêtres catholiques ont réalisé plus de 300 films documentaires en

rapportant les réalités sociales, économiques et culturelles des régions du Québec. Diffusés devant

plusieurs milliers de spectateurs du Canada français, les films de ces prêtres-cinéastes ont ainsi eu

une influence certaine sur l'aménagement des territoires de la province de Québec dans le

deuxième tiers du XXe siècle. Cette communication propose d'analyser la pensée de

développement régional à travers les documentaires de ces prêtres originaux. Pour ce faire, nous

contextualiserons d'abord ce mouvement cinématographique singulier. Ensuite, nous étudierons

le discours cinématographique de ces religieux à travers 3 grands axes soit la promotion d'un

régionalisme culturelle, la valorisation des ressources primaires et, enfin, l'apologie du modèle

coopératif. Il apparaît notamment que les prêtres-cinéastes ont proposé un développement

régional qui s'appuie essentiellement sur des facteurs endogènes des territoires québécois.

Mots clefs

Cinéma régional, idéologie de développement, prêtre-cinéaste, régionalisme

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Introduction

Au tournant des années 2000, l'historien de l'environnement John R. McNeil affirmait qu'au XX e

siècle les idées ont profondément transformé les territoires en façonnant les comportements de

millions d'individus (McNeill, 2010). Ce constat est particulièrement vrai dans le Québec d'avant

1960 ; la puissance de l'Église catholique fait d'elle une importante actrice du développement et

de l'aménagement territorial des régions. Parallèlement, l'avènement du cinéma dans le premier

tiers du XXe siècle ouvre de nouvelles perspectives rhétoriques pour diffuser le discours clérical et

ainsi influencer un public élargi. Dans ce contexte, de la fin des années 1920 jusqu'au début des

années 1960, plusieurs prêtres catholiques participent à la propagande de l'Église en réalisant de

manière autonome des centaines de films documentaires dans plusieurs régions périphériques de

la province de Québec.

Les documentaires des prêtres-cinéastes poursuivent deux objectifs. D'abord, ils rapportent au

public canadien-français les diverses réalités économiques, sociales et culturelles des régions.

Ensuite, les prêtres-cinéastes profitent de leur tribune pour transmettre une vision voire un

discours sur le développement régional du Québec. Grâce à une diffusion énergique de leurs films,

leur discours cinématographique a rejoint plusieurs centaines de milliers de spectateurs

canadiens-français. Il apparaît ainsi pertinent de revenir sur ces films afin de saisir le rapport entre

ce discours cinématographique et le développement régional du Québec. Cette communication

répondra donc à deux questions principales :

Quelles idées les prêtres-cinéastes proposent-ils en matière de développement régional?

Quelle conception de la région et de son développement les prêtres-cinéastes proposent-

ils dans leurs films?

Cet exposé se divise en trois grandes parties. Premièrement, nous présenterons notre

méthodologie de recherche et notre approche théorique et conceptuelle. Deuxièmement, nous

brosserons un portrait des prêtres-cinéastes, nous présenterons la typologie des documentaires

réalisés et nous décrirons les modes de diffusion des films. En dernière partie, nous nous

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attarderons plus longuement sur le discours cinématographique des prêtres-cinéastes. Pour ce

faire, nous mettrons l’accent sur trois principales thématiques soit l'apologie d'un régionalisme

culturelle, la mise en valeur des ressources primaires (la forêt, la pêcherie et l'agriculture, la

promotion du mouvement coopératif. Autour de ces trois thèmes, nous verrons que les prêtres-

cinéastes proposent un développement régional s'appuyant essentiellement autour des facteurs

endogènes des territoires.

1 Cadre théorique, méthode et corpus d'archives

L'étude de l'œuvre des prêtres-cinéastes s'est faite à partir d'une analyse du discours

cinématographique et des archives personnelles des religieux. Pour ce faire, nous avons analysé

l'idéologie transmise par ces films documentaires. Nous définissions le concept d'idéologie comme

des « ensembles coordonnés de valeurs, d’idées, de symboles qui légitiment une situation donnée

ou qui présentent un nouveau projet de société » (Roy, 1993). L'analyse du discours

cinématographique des prêtres permet de mettre en lumière la pensée économique et sociale qui

soutient la vision des prêtres-cinéastes de l'aménagement du territoire et du développement

régional.

Cet exposé s'appuie sur une analyse documentaire et qualitative de 175 films de sept prêtres. Les

données tirées de l’analyse des films ont par la suite été croisées avec des sources manuscrites

(correspondances, publications, articles de journaux, factures, dossiers de production, etc.) afin de

mieux saisir l'étendue de la pensée des prêtres-cinéastes et de connaître leur discours plus privé.

Par le croisement des archives, nous avons pu faire ressortir les idées principales et les idées

secondaires qui caractérisent le discours cinématographique des prêtres-cinéastes.

2 Un courant cinématographique unique au monde

Les prêtres-cinéastes forment un courant artistique singulier et sans doute unique au monde. Dans

le cadre de cette communication, l’analyse se concentre sur sept d’entre eux soit les pères Denis

Doucet et Louis-Roger Lafleur et les abbés Jean-Philippe Cyr, Thomas-Louis Imbeau, Léonidas

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Larouche, Maurice Proulx et Albert Tessier. Afin d’être succinct, une description individuelle des

prêtres est écartée. Nous brosserons plutôt un portrait de leurs caractéristiques communes. Le

tableau 1 présente cependant quelques informations biographiques sur chacun des cinéastes à

l’étude.

Deux traits communs caractérisent les prêtres-cinéastes. Premièrement, ils sont originaires de

milieux ruraux en quasi-totalité et ils n'appartiennent pas aux franges les plus pauvres de ces

milieux ; en contrepartie, aucun indice ne laisse deviner que leurs familles participaient aux cercles

élitaires notoires. En outre, hormis Louis-Roger Lafleur qui est né à Montréal, aucun ne vient d’un

grand centre urbain. L’intérêt de filmer les milieux agricoles et forestiers semble ainsi lié aux

origines rurales des religieux.

Prêtres-cinéastes Années d’activité cinématographique

Principales régions filmées

Jean-Philippe Cyr (1882-1974)

~1927-1942 Témiscouata, Bas-Saint-Laurent

Denis Doucet (1896-1988)

~1933-1953 Côte-Nord

Thomas-Louis Imbeau(1899-1984)

~1935-1945 Saguenay-Lac-Saint-Jean, Charlevoix

Louis-Roger Lafleur(1905-1973)

1936-1959 Abitibi-Témiscamingue, Mauricie

Léonidas Larouche(1907-1991)

1936-1955 Saguenay-Lac-Saint-Jean

Maurice Proulx(1902-1988)

1934-1958 Abitibi-Témiscamingue, Gaspésie, Saguenay-Lac-Saint-Jean

Albert Tessier (1895-1976)

1925-1956 Mauricie

Figure 1. Années de production et régions filmées par les prêtres-cinéastes

Deuxièmement, le milieu de l’enseignement semble avoir été propice à la formation de cinéastes

au sein du clergé. À l’exception des pères Doucet et de Lafleur, tous les religieux à l’étude ont été

enseignants pendant leur carrière cléricale. En outre, plusieurs prêtres se sont familiarisés avec la

photo ou le cinéma dans leur jeunesse passée dans les collèges, et le milieu de l’enseignement est

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propice à l’utilisation des nouvelles technologies à des fins pédagogiques (Cadotte et Meunier,

2011). Le cinéma se présente donc comme une extension naturelle de la photographie pour ces

religieux.

L’ethnologue québécois Jean Simard a décrit les prêtres-cinéastes comme un des principaux

« mouvements cinématographiques » de l’histoire du documentaire ethnologique du Québec

(Simard, 2007). Ce mouvement est pourtant non concerté puisque les prêtres ont très rarement

collaboré à la réalisation de films communs, même si que certains se connaissaient et se

côtoyaient (c’est le cas notamment des abbés Cyr et Tessier). Tout au plus, ils s’échangeaient des

conseils techniques sur le maniement de la caméra et le montage de leurs films. De fait, les

prêtres-cinéastes ont plutôt travaillé de manière autonome tout en étant conscients des

documentaires de leurs collègues. La cohérence de ce mouvement cinématographique repose

donc sur une nature, des objectifs et des thèmes filmographiques communs.

Figure 2. Les régions administratives du QuébecSource : http://images.recitus.qc.ca/main.php?g2_itemId=6364 (page consultée le 2 juin 2017)

Les prêtres ont réalisé leurs films approximativement entre 1930 et 1960. Cependant, la période

de réalisation la plus effervescente s’insère dans les décennies 1930 et 1945 à cause notamment

de l'abondance de films réalisés, de leur qualité et de la relative captivité du public régional. Qui 5

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plus est, ils sont jeunes et ont les moyens financiers pour matérialiser leur passion de cinéaste. À

l’inverse, le contexte change à partir de 1946 et entraîne une diminution de la production de films.

Certains prêtres sont alors proches de la retraite, le public régional a de plus en plus accès à des

salles de cinéma commercial et aucun membre du clergé ne prend la relève des premiers prêtres-

cinéastes.

Figure 3. Évolution de la production cinématographique des prêtres-cinéastes, 1925-1959

Les documentaires des religieux combinent des séquences de couleurs et de noirs et blancs. Ils

sont majoritairement muets à l’exception des films de Maurice Proulx qui sonorise la plupart de

ses films. Enfin, la plupart des courts-métrages durent entre 15 et 30 minutes, bien que certains

dépassent les 100 minutes. Dans l’ensemble, les prêtres-cinéastes ont tourné plus de 300

documentaires, mais une majorité d'entre eux ont été perdus ou détruit.

La distribution des films s'est faite de deux manières. D’abord, les prêtres les ont présentés sous

forme de projections commentées dans les paroisses du Canada français et dans quelques salles

de Montréal et Québec. Pour certains prêtres comme Cyr, Lafleur, Proulx et Tessier, ce mode de

diffusion leur a permis de montrer leurs œuvres devant plusieurs milliers de spectateurs

principalement entre les années 1930 à 1945. Le journal montréalais La Patrie recensait plus de

3000 projections commentées données par Albert Tessier de la fin des 1920 à 1943 1. Ensuite,

certains courts-métrages de Lafleur et Proulx ont été commandités par le Service de Ciné-

Photographique de la Province de Québec. Cet organisme gouvernemental a lui-même distribué

les documentaires à travers le Canada et dans une moindre mesure aux États-Unis et en Europe.

Les films ethnographiques du père Lafleur sur la culture et les mœurs autochtones ont

particulièrement été appréciés par le public américain. En effet, le père oblat a présenté ses films

1 Centre d'archives du séminaire Saint-Joseph (CASSJ), Fonds Albert Tessier, 0014-Q3-194 , La Patrie, 24 avril 1943.

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Date Non datés 1930-1945 1946-1960 1930-1960Nombre de films réalisés 32 99 44 175

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Mœurs des Indiens du Québec (1945) et Pêche au Kipawa (1944) devant 3000 membres de la

National Geographic Society à Washington en mars 1946.

Les films des religieux témoignent d’une évolution et d'une innovation d’une partie du clergé

québécois quant à la manière de transmettre le message clérical tout en restant dans la continuité

du discours clérical officiel (Turina, 2013). Avant les années 1930, la propagande intellectuelle était

principalement diffusée dans divers types de productions écrites comme des journaux, des

romans, des revues et des articles (Mann, 2005). L'utilisation de la pellicule cinématographique

offre de nouvelles perspectives rhétoriques et un élargissement de la portée de cette propagande

à un public plus nombreux, moins urbain et moins lettré. Contrairement à l’écrit, elles permettent

de documenter de manière ludique et distrayante les régions et les mœurs des habitants. Qui plus

est, l’encyclique Vigilanti Cura de 1936 du pape Pie XII en proposant la réalisation de films

« inspirés par les principes chrétiens » légitime l’entreprise cinématographique des prêtres.

3 Une vision du développement entre la tradition et la modernitéLes courts-métrages des prêtres-cinéastes se caractérisent par une diversité de thématiques telles

que l'environnement, la famille, la spiritualité, les Autochtones, la colonisation de l'arrière-pays,

les sciences, etc. Les religieux vont articuler ces thèmes à travers plusieurs axes qui composent le

discours filmographique. Dans le cadre de cet exposé, l'accent est mis sur trois de ces axes que

nous avons jugé plus centraux dans la pensée de développement régional des prêtres-cinéastes.

3.1 Promouvoir un régionalisme culturelle pour revaloriser la nation

Les films des prêtres-cinéastes promeuvent un patriotisme régional que les religieux nomment

régionalisme. Albert Tessier définit ce concept en 1939 :

Régionalisme est un dérivé de région, n’est-ce pas? Régionalisme signifie patriotisme. Le régionalisme, chers amis, c’est l’amour de son petit pays, l’amour de sa région particulière. [...] Nous ignorons trop notre région peut-être pour l’aimer. Connaissons-nous d’une façon complète et pratique notre ville et les nombreuses paroisses qui

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l’environnent? nos possibilités? les industries qui s’approprient à notre situation, notre initiative, notre population2?

Dans le but de faire aimer le petit pays, les prêtres-cinéastes vont inciter les Canadiens français à

aimer leurs différentes régions. En fait, pour les clercs, l'amour de la grande nation canadienne-

française est formé par l'addition des diverses régions francophones du Québec et de leurs

diverses réalités culturelles.

Les décennies 1930 à 1960 constituent une période de grandes transformations culturelles pour

les régions de la province (Linteau et al., 1989). L'industrialisation et l'urbanisation accélérée de

ses régions changent irrémédiablement les traditions, les mœurs et les coutumes des Canadiens

français. Conscient de ces changements irréversibles, le père Denis Doucet écrit :

Dans les années 30, j’ai décidé de m’acheter une caméra et pendant 25 ans, elle m’accompagnera partout. Mes films pourront ainsi témoigner des grands moments que j’ai vécus dans une région alors en pleine transformation où de nombreuses traditions ont disparu les unes après les autres. Par exemple, la scène que vous voyez représente le départ des familles des chasseurs montagnais pour leurs territoires d’hiver à la mi-août. On chargeait les canots de toutes les provisions nécessaires : la farine, le sucre, le thé, le gras, et même le poêle, et puis évidemment les femmes et les enfants... Certaines familles se dirigeaient vers la rivière Bersimis : en haut, ils rencontreront d’autres chasseurs venus du Saguenay et du Lac-Saint-Jean. D’autres iront vers la Rivière-aux-Outardes et la Rivière Manicouagan : ceux-là voisineront les Montagnais de Sept-Îles et ceux du Labrador. Évidemment, tout cela disparaîtra après la guerre avec la construction des grands barrages [...]3.

Cette conscience des changements culturels est partagée par l’ensemble des prêtres-cinéastes.

Clairvoyants et à l'instar d'autres avant eux, les religieux se sont alors engagés dans une entreprise

de collecte ethnographique afin d'immortaliser les pratiques culturelles québécoises et

autochtones (Pichette, 2013).

Cette collection ethnographique alimente le régionalisme des prêtres-cinéastes en revalorisant

certaines pratiques culturelles canadiennes-françaises jugées menacées par la modernité. L'abbé

Albert Tessier décrit l'orientation que doit prendre ce régionalisme :

2 CASSJ, Fonds Albert Tessier, 0014-Q3-187, Coupure de presse, 1939.3 Société Historique de la Côte-Nord, Fonds Denis Doucet (P012), MN/1/1,1.

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« Réveiller le passé, tout le passé, sans exclusivisme ni parti-pris; prêcher la fierté, le culte du travail, de la mise en valeur de nos richesses locales, les spirituelles d'abord, les autres ensuite; demander à chaque individu d'être une cellule active, puisant dans le milieu où elle se développe toutes les richesses que la nature et l'histoire y ont déposées... il y a là, il me semble, un mode d'agir orthodoxe et louable, une formule d'action qui, en définitive, ne peut qu'enrichir la vie canadienne.4 »

Autrement dit, la valorisation des traditions et des coutumes est mise au service du

développement économique et social des régions.

À l'écran, le régionalisme prend la forme d'un croisement entre les dimensions identitaire,

économique et sociale de la société québécoise. Dans le film Le lin du Canada (1947), l'abbé

Maurice Proulx appelle au maintien et à la revalorisation de la culture de cette herbacée. Il filme

d'abord les méthodes de culture ancestrale afin d'immortaliser des pratiques agricoles en voie

d'extinction. Ensuite, il capte sur la pellicule les nouveaux procédés agricoles issus de l'agronomie

et de l'utilisation des nouvelles machineries. Selon Proulx, ces méthodes permettent à la famille

canadienne-française d'augmenter la production de culture du lin et de diminuer la charge de

travail dans le traitement de la matière brute. En outre, l'industrialisation du traitement de la fibre

textile permet d'offrir des emplois en usines aux femmes. De retour à la maison, la mère du foyer

peut passer plus de temps à la confection artisanale de vêtements de lin qu'elle peut vendre par la

suite. Ainsi, aidée par la science, les progrès techniques et l'industrialisation, cette pratique

culturelle traditionnelle offre de nouvelles perspectives économiques à la famille paysanne et

permet aux mères de jouer un rôle économique plus important en travaillant dans les usines de

transformation et en poursuivant l'artisanat du lin.

4 CASSJ, Fonds Albert Tessier, 0014-02-48, Coupure de presse, 1935.9

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Figure 4. Une femme travaille dans une usine de traitement du lin au QuébecSource : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Le lin du Canada, 1947

Le régionalisme doit par ailleurs faire une place à la modernité afin d’être pertinent aux yeux des

Canadiens français. Dans ce contexte, la conciliation entre la tradition et modernité est une

préoccupation constante chez les prêtres-cinéastes. Ils font donc la promotion de certaines

pratiques afin de leur donner un second souffle et de réactualiser certaines traditions dans le

monde contemporain. Cette responsabilité mémorielle repose cependant sur les femmes. Dans

plusieurs films, les religieux appellent la jeunesse féminine à apprendre « l’artisanat de nos

grands-mères » par respect pour celles qui ont tant donné. Ce respect des traditions, Tessier le

pousse plus loin en faisant une analogie entre le maintien de l’artisanat et la richesse du foyer.

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Dans son film Artisanat familial (1942), il veut montrer que l’artisanat, loin d’être une vieillerie du

passé, permet aux épouses de contribuer à l’économie familiale5.

Les motivations régionalistes des prêtres-cinéastes les amènent donc à constamment vouloir

concilier la tradition et la modernité. Loin de s'opposer aux progrès matériels et industriels, les

religieux se montrent toutefois critiques quant aux ravages de la modernité dans les structures

économiques et sociales des régions. Autrement dit, des régions déracinées de leurs fondements

historiques, sociaux, économiques et culturels apparaissent comme une menace à la survie du

Canada français. Ainsi, la revalorisation et la promotion des traditions canadiennes-françaises

préservent les ouailles des dérives du progrès comme l'urbanisation excessive, la dépravation des

mœurs et la disparition de certaines pratiques culturelles et sociales.

3.2 Exploitation les ressources primaires de manières réfléchies

Les prêtres-cinéastes proposent aux citoyens des régions la maîtrise de leur économie. Pour ce

faire, ils défendent l’idée d’une mise en valeur moderne et réfléchie des ressources primaires

comme l’agriculture, la pêche et les ressources forestières.

Depuis le XIXe siècle, l'Église catholique québécoise chante les vertus de l'agriculture salvatrice

pour les Canadiens français. Les prêtres-cinéastes ne dérogent pas à ce discours clérical et ils font

de l'agriculture une thématique centrale de leur vision de développement régional. Toutefois, ils

parviennent à renouveler la rhétorique en proposant une production agricole mécanisée,

spécialisée, scientifique et, surtout, prospère. La valorisation de la paysannerie passe d'abord par

l'adoption des nouveaux procédés agricoles. Dans les films de Proulx et Lafleur, la terre est

synonyme de rentabilité lorsqu’elle est travaillée avec la machinerie adéquate et les nouvelles

techniques agronomiques. Grâce à l'augmentation de la productivité, le cultivateur peut s’enrichir

en vendant ses produits sur les marchés extérieurs. Après quelques années, le bon agriculteur qui

cultive correctement sa terre aura la certitude d’atteindre un certain niveau de confort matériel

pour lui et son foyer. Le secteur de l'acériculture témoigne bien cette nouvelle agriculture

5 Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), Centre d’archives de Trois-Rivières, Fonds Albert Tessier, Artisanat familial (P13), DVD #251, 1942.

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moderne et intégrée au marché. Le film Sucre d’érable et coopération (1950) présente une

industrie acéricole hautement mécanisée. La production du sucre d'érable est acheminée à l'usine

de transformation de la région qui, par la suite, vend les produits de l'érable à travers le nord-est

du continent américain. Les sciences comme l'agronomie et la chimie de l’environnement jouent

aussi un rôle important dans cette réussite, car elles permettent d’offrir aux consommateurs un

produit « uniforme et pur6 ». Enfin, le progrès de l’agriculture passe par la concertation accrue

avec de nouveaux corps de métiers : « Producteurs, agronomes et chimistes mettent en commun

leurs savoirs et leurs expériences. Ils rendent la culture plus productive et plus profitable7. »

À l'instar de l'agriculture, la foresterie n'échappe pas à ce discours sur une meilleure valorisation

des ressources primaires. Dans l'Est-du-Québec, l'abbé Jean-Philippe Cyr a été un fervent

défenseur de cette idée en proposant une colonisation forestière et industrielle de la région du

Témiscouata, c'est-à-dire un modèle d'occupation du territoire basé essentiellement sur

l'exploitation des forêts. Ce modèle de développement concilie une utilisation économique

rentable de la matière ligneuse à une préservation écologique des forêts. Pour ce faire, Cyr mise

beaucoup sur l'éducation et sur la formation d'ouvriers forestiers scolarisés dans les écoles de

métiers. Il a d'ailleurs fait la promotion d’une école de métiers afin que les jeunes puissent se

former et travailler dans la région du Témiscouata. Dans le film Coup d’œil sur l’industrie du bois

à Cabano, le curé insiste sur l'importance d'une main d'œuvre qualifiée et compétente afin de

répondre aux différents besoins de l'industrie forestière tant pour la coupe du bois que pour le

traitement de la matière dans les usines. Il décrit ce point de vue dans un de ses films : « Comme

le champ cultivé LA FORÊT travaillée avec intelligence produira plus et plus vite ». De fait, le génie

humain contribue a augmenter la productivité des forêts (Brisson,2015). En outre, Cyr utilise ses

films pour éduquer et sensibiliser ses paroissiens au sujet de la protection de la faune et de la flore

des milieux forestiers. L'abbé comprend l'importance cruciale de l'industrie forestière pour la

vitalité économique, sociale et culturelle de ce territoire (Bérubé, 1995). En effet, depuis le début

6 BAnQ, Centre d’archives de Québec, Fonds Maurice Proulx, Sucre d’érable et coopération (P667), S1 DFC05764 P1, 1950, <http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2280556> (27 juin 2017).7 BAnQ, Centre d’archives de Québec, Fonds Maurice Proulx, La chimie et la pomme de terre (P667), S1 DFC05760 P1, 1949, <http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2280554> (27 juin 2017).

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du XXe siècle, la région du Témiscouata vit au rythme de l’exploitation forestière et de la

compagnie Fraser. De surcroît, Cabano se distingue des autres villages québécois par sa

prédominance industrielle et ouvrière.

Par ailleurs, les films des prêtres-cinéastes poursuivent un objectif d’éducation populaire sur la

gestion et la préservation des forêts. Ils dénoncent les comportements nuisibles à la nature

comme le braconnage, la négligence qui mène à des feux de forêts et le pillage de la ressource

halieutique des lacs et du Golfe du Saint-Laurent. Dans le film Chasse et pêche à Kipawa (1943), le

père Lafleur condamne vivement les comportements destructeurs : «CHASSEURS, PÊCHEURS, Vos

lignes et vos fusils ne sont pas des engins destructeurs. Voulez-vous jouir des mêmes plaisirs

DEMAIN? En vrais sportifs, observez AUJOURD’HUI les lois de la CONSERVATION. 8 » Pour les

religieux, la société doit vivre en symbiose et dans le respect avec la nature afin de maintenir la

viabilité de l'industrie forestière et du tourisme de villégiature alors en plein essor dans le

deuxième tiers du XXe siècle.

Figure 5. Un ingénieur forestier enseigne à de jeunes agriculteurs l'importance des forêts et des arbres pour le maintien de la fertilité des terres agricoles.

Source : BAnQ, Jeunesse rurale, 1951.

8 BAnQ, Fonds ministère de la Culture et des Communication, Louis-Roger Lafleur, Chasse et pêche à Kipa-wa / Hunting and Fishing in Kipawa (E6), S7 SS2 DFC05281, 1943.

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Le discours de conservation de la nature s'inscrit dans une valorisation de l'aspect récréatif et

touristique des forêts (Choko, Lefebvre et Léger, 2013). Les religieux sont bien conscients de

l'énorme potentiel touristique et économique des forêts québécoises. À cet égard, l'abbé Tessier

appelle à la préservation des forêts pour le développement des sports de plein air comme la

pêche, la chasse, le canotage, le ski, la course de chiens, la course de canots, etc.9 Il propose en

plus le développement de nouvelles activités touristiques qui ont l’avantage de laisser intacte la

nature comme le tourisme nautique, les excursions de canot, la peinture, le film et la

photographie10. Tessier souligne enfin que la préservation de la nature « constitu[e] un capital

transformable en revenus [...] » grâce aux milliers de touristes qui feront le déplacement pour

apprécier les paysages naturels11. Le tourisme forestier représente donc une possibilité de

diversification économique régionale d'autant plus que le tourisme est une composante

importante de l’économie de consommation de masse de l’après-guerre (Archambault, 2013).

Par ailleurs, les prêtres-cinéastes insistent peu sur le développement de l'industrie minière pour

favoriser la croissance économique régionale. À l'exception des alumineries du Saguenay-Lac-

Saint-Jean, l'industrie minière apparaît négligeable dans le discours des religieux. En fait, les

prêtres sont conscients de l'aspect non renouvelable des ressources minières. À l'inverse, les

ressources agricoles, halieutiques et ligneuses, si elles sont intelligemment exploitées sont

renouvelables et pérennes.

Bref, à l’écran, la valorisation des ressources primaires passe par la mécanisation du travail,

l’industrialisation de la production ainsi que des procédés d’exploitation et de transformation qui

s’appuient sur la science. Les prêtres-cinéastes convient donc les acteurs régionaux à une marche

perpétuelle vers l’innovation et le progrès. Toutefois, cette exploitation des ressources apparaît

impossible sans des actions de conservation et une utilisation réfléchie des matières premières.

Cette conception du développement territorial garde aujourd’hui toute sa pertinence dans un

9 Albert Tessier, « Les valeurs nationales et économiques du Tourisme », Pour survivre, Québec, Comité Per-manent de la Survivance Française en Amérique / Université Laval, vol. 5, no 5, novembre 1943, p. 47.10 Ibid., p. 48.11 Ibid., p. 37.

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contexte de mondialisation de l’économie. En effet, l'innovation perpétuelle, l'éducation des

travailleurs et des travailleuses ainsi que la préservation des ressources assurent aux régions

québécoises la pérennité de leurs activités économiques.

3.3 Les coopératives, des entreprises intégrées au territoire

La coopération et le modèle coopératif forment un axe important de la pensée économique et

sociale des prêtres-cinéastes. En fait, dès leur début cinématographique dans les années 1930, les

religieux vont vanter ce modèle d'organisation économique. Pour eux, la coopération apparaît

comme le moyen le plus efficace pour un développement harmonieux et conciliant.

Tout d'abord, un contexte historique favorable explique l’apologie de la coopération par les

prêtres-cinéastes. Dès la fin du XIXe siècle, le clergé ultramontain et les élites nationalistes

québécoises ont appuyé le développement du mouvement coopératif (Lévesque et Petitclerc,

2008). Ils voient la coopération comme un instrument pour contrer la puissance du capitalisme en

permettant à la population canadienne-française de reprendre une partie du contrôle économique

qui lui a échappé. Le modèle coopératif est aussi présenté comme un outil pour que les Canadiens

français reprennent en main leur économie régionale et nationale alors contrôlée par une élite

d'affaire majoritaire anglophone et vivant à Montréal ou à l'extérieur du Québec. En outre, la

coopération apparaît comme un moyen de restaurer les anciennes solidarités détruites par

l’individualisme libéral (Boily, 2010). La Dépression des années 1930, particulière dévastatrice au

Canada, donne de la vigueur au mouvement coopératif et encourage la création de nouveaux

types d’entreprises coopératives (coopératives de crédit, d’habitation, de pêcheurs, etc.).

Parallèlement, les coopératives sont les principaux agents de mise en marché des produits

agricoles du Québec dans les années 1930 et 1940 (Lemay, 2008).

Dans ce contexte, la coopération est présentée comme une solution chrétienne pour surmonter la

crise économique et le capitalisme sauvage. À ce propos Tessier s’appuie même sur l’Évangile pour

justifier le coopératisme en 1942 : « On parle beaucoup de coopération de nos jours. L’Évangile

nous en avait révélé les grandeurs et la nécessité bien avant les économistes modernes (Tessier,

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1942). » Les films des années 1930 des abbés Proulx Tessier et du père Lafleur montrent par

exemple les coopératives des nouvelles colonies agricoles de l’Abitibi-Témiscamingue et de la

Gaspésie comme les beurreries ou les magasins généraux12. Pour l'agriculteur, les coopératives

permettent vendre leurs produits et de rejoindre plus facilement les marchés des grands centres

urbains du Canada central. Ils insistent sur la relation fructueuse entre les cultivateurs et les

coopératives agricoles.

Dans l'après-guerre, les prêtres-cinéastes élargissent leur discours. Les coopératives apparaissent

essentielles à l’intégration du secteur agricole à l’industrialisation des régions13. Ces entreprises

assurent la transformation et la standardisation des produits agricoles ainsi que la recherche et le

développement des produits issus de l'agriculture. De plus, les prêtres-cinéastes font aussi la

promotion du modèle coopératif pour d'autres secteurs économiques comme l’énergie, les

transports et la finance. Par exemple, dans le film Les Îles-de-la-Madeleine (1956) de Maurice

Proulx, la coopérative d’électricité est présentée comme la clé de la renaissance de l’archipel, car

elle aurait apporté la modernité en offrant une source d’énergie abordable. Bref, la coopération

permet aux Canadiens français la prise en main de leur économie et d’attiser la flamme

entrepreneuriale de leurs ouailles au bénéfice de la collectivité.

La pensée économique des prêtres-cinéastes apparaît aujourd'hui avant-gardiste. Des

coopératives fondées dans les années 1920 et 1930 sont aujourd'hui des géants et des chefs de

file de leur secteur comme Agropur et la Coop fédérée qui ont respectivement un chiffre d'affaires

de 6 et 9,2 milliards de dollars canadiens14. Enfin, à l'instar de la dépression des années 1930, la

crise économique de 2008 a montré que cette promotion historique du coopératisme a été

bénéfique pour les régions et le Québec. Par une vision à long terme de la croissance, des assises

financières solides et une implication active de leurs membres, les coopératives ont été

12 BAnQ, Fonds ministère de la Culture et des Communication, Louis-Roger Lafleur, Le Témiscamingue agri-cole (E6), S77 DFC85-012, 1940.13 BAnQ, Centre d’archives de Québec, Fonds Maurice Proulx, Au royaume du Saguenay (P667),S1,DFC06014,P1, 1957, <http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2280570> (27 juin 2017).14 La Coop fédérée, À propos, http://web.lacoop.coop/fr/a-propos (page consultée le 28/06/17); Agropur, Profil, http://www.agropur.com/fr/profil/ (page consultée le 28/06/17).

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étonnamment résilientes aux soubresauts de l’économie mondiale tout en contribuant à la

stabilité et à la croissance économique régionale.

Conclusion : Une conception organique du développement régional

Les idées transmises par les films documentaires des prêtres-cinéastes ont sans doute

profondément marqué la conception du développement régional au Québec en façonnant les

comportements économiques et sociaux de plusieurs milliers d'individus. Qui plus est, en

cherchant à influencer les comportements de leurs ouailles, les prêtres ont donc proposé un

modèle de développement régional qui s'appuie sur des facteurs endogènes des territoires. En

effet, la revalorisation des pratiques culturelles locales, la mise en valeur des matières premières

des diverses régions et enfin l'éloge du mouvement coopératif sont tous des composantes

endogènes des territoires de la province. Ainsi donc, le modèle de développement promu par ces

religieux s'insère dans une échelle d'action micro-économique en cherchant à influencer les

comportements des individus. À l'inverse, les prêtres-cinéastes ne font aucune place aux grandes

politiques publiques et limitent le rôle de l'État au rang de pourvoyeur de services publics comme

l'éducation et la voirie.

Pour conclure, l'idéologie de développement régional proposé par les prêtres-cinéastes apparaît

organique et intégrée. En effet, les divers problèmes économiques, sociaux et culturels

s’entrecroisent et sont en interdépendance. L'économiste Esdras Minville et l'historien Lionel

Groulx ont beaucoup défendu cette théorie l’interdépendance des problèmes. Groulx la résume

ainsi en 1945 :

[...] la vie d’un peuple n’en est pas moins organique, c’est-à-dire que tous les problèmes s’imbriquent, que “la civilisation fait corps”, et que vouloir résoudre, par exemple, le problème de l’agriculture, sans résoudre, du même coup, le problème de l’éducation rurale, le problème de la forêt, le problème de l’industrie, le problème des échanges commerciaux, ou vice versa, c’est se payer la naïveté de l’horloger qui, pour

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faire repartir une pendule brisée, se contenterait de rajuster l’une ou l’autre des aiguilles15.

Cette conception organique du développement se manifeste dans le discours des prêtres-

cinéastes par une recherche d’harmonie entre les dimensions économiques, sociales et culturelles

de la société canadienne-française. Chacune de ces dimensions forme un système distinct en

synergie avec les autres pour former le corps de la nation. Dans cette perspective, les problèmes

sociaux et économiques de la nation canadienne se résolvent de manière systémique en

commençant par la base, c'est-à-dire les individus.

Pour terminer, en misant sur l’intégrité environnementale, une rentabilité économique pérenne et

la valorisation des savoirs-faires artisanaux et modernes, les prêtres-cinéastes inscrivent le

développement régional dans ce que l'historien français Fernand Braudel appelait la longue durée

(Braudel, 1958). Alors que les territoires sont plus que jamais soumis à une logique économique et

politique du court-terme, la pensée de développement régional des prêtres-cinéastes gardent

aujourd'hui encore toute sa pertinence.

15 Lionel Groulx, « Allocution de M. le chanoine Lionel Groulx » dans Présentation de Mm. Esdras Minville, Al-bert Tessier, Eugène L’Heureux et M. le sénateur Antoine Léger : Année académique 1944-45, Ottawa, Socié-té Royale du Canada, 1945, p. 13.

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Liste des abréviations

CASSJ Centre d'archives du séminaire Saint-Joseph

BAnQ Bibliothèque et Archives nationales du Québec

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