26
LES TROIS FUTURS TYPES DU GRAND PARIS UN CLASSEMENT À PARTIR DU SYSTEME ÉCONOMIQUE SPATIAL URBAIN Jacques Stambouli, socio-économiste, chercheur associé, Laboratoire Géographie-Cités, UMR 8504, Université Paris 1, « Il faudrait parler de tâtonnements, de flair, de soupçon, de hasard, de rencontres fortuites ou provoquées ou fortuitement provoquées. (…) Dans le tas, il doit bien y en avoir un qui va venir préciser ce flottement, cette hésitation, cette agitation qui, plus tard, « voudra dire quelque chose ». Georges Perec, Penser/Classer, Essais, Points, Editions du Seuil, 2003, pp. 172-173. Dans le cadre de la préparation d’un ouvrage d’économie spatiale et urbaine sur la ville comme système économique spatial complexe, j’ai voulu savoir si l’entrée par les systèmes économiques complexes permet d’analyser le futur des villes actuelles dans le cas d’une grande métropole comme celle du Grand Paris. La théorie des systèmes économiques complexes permet de clarifier la question. Elle permet des entrées par les grands acteurs-décideurs, que sont les habitants, les dirigeants des entreprises privées et les dirigeants de l’Etat, en s’appuyant sur les analyses du linguiste Austin (1970) concernant la performativité des discours en matière d’urbanisme, remises au goût du jour par le sociologue urbain Fijalkow (2017). Les résultats, à partir de la question de la localisation des nouveaux emplois et d’une analyse des discours urbains de ces trois types d’acteurs, dégagent trois types de futurs socio- économiques simplifiés pour le Grand Paris : la ville de la redistribution centralisée par l’Etat, dénommée « Grand Paris Express »; la ville de l’échange marchand par les entreprises privées, dénommée « Smart City privatisée » ; et la ville de la réciprocité entre habitants et espaces naturels, régulée démocratiquement, dénommée « ville écologique démocratique ». 1

asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

  • Upload
    lyminh

  • View
    213

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

LES TROIS FUTURS TYPES DU GRAND PARISUN CLASSEMENT À PARTIR DU SYSTEME ÉCONOMIQUE SPATIAL URBAIN

Jacques Stambouli, socio-économiste, chercheur associé, Laboratoire Géographie-Cités, UMR 8504, Université Paris 1,

« Il faudrait parler de tâtonnements, de flair, de soupçon, de hasard, de rencontres fortuites ou provoquées ou fortuitement provoquées. (…) Dans le tas, il doit bien y en avoir un qui va venir préciser ce flottement, cette hésitation, cette agitation qui, plus

tard, « voudra dire quelque chose ». Georges Perec, Penser/Classer, Essais, Points, Editions du Seuil, 2003, pp. 172-173.

Dans le cadre de la préparation d’un ouvrage d’économie spatiale et urbaine sur la ville comme système économique spatial complexe, j’ai voulu savoir si l’entrée par les systèmes économiques complexes permet d’analyser le futur des villes actuelles dans le cas d’une grande métropole comme celle du Grand Paris.

La théorie des systèmes économiques complexes permet de clarifier la question. Elle permet des entrées par les grands acteurs-décideurs, que sont les habitants, les dirigeants des entreprises privées et les dirigeants de l’Etat, en s’appuyant sur les analyses du linguiste Austin (1970) concernant la performativité des discours en matière d’urbanisme, remises au goût du jour par le sociologue urbain Fijalkow (2017).

Les résultats, à partir de la question de la localisation des nouveaux emplois et d’une analyse des discours urbains de ces trois types d’acteurs, dégagent trois types de futurs socio-économiques simplifiés pour le Grand Paris : la ville de la redistribution centralisée par l’Etat, dénommée « Grand Paris Express » ; la ville de l’échange marchand par les entreprises privées, dénommée « Smart City privatisée » ; et la ville de la réciprocité entre habitants et espaces naturels, régulée démocratiquement, dénommée « ville écologique démocratique ».

I. Les futurs du Grand Paris et la question centrale de la localisation des nouveaux emplois.

Le Grand Paris se construit aujourd’hui de façon chaotique, avec le projet de Schéma Directeur Régional, élaboré en 2007 par la Région Ile-de-France (SDRIF), adopté en 2013 avec des modifications négociées de la part de l’Etat, et des remarques de la part de la Chambre de Commerce et d’Industrie, ayant pour horizon 2030 ; avec la création du « syndicat mixte de Paris Métropole » en 2009 à l’initiative de la Ville de Paris, qui est à la fois commune et département et divers projets de la Ville, visant à « repenser Paris » ; avec la création, par l’Etat, de la Société du Grand Paris en 2010, pour un nouveau réseau de métro automatique francilien ; avec la mise en place, par le Parlement et l’Etat, de la Métropole du Grand Paris, dans le cadre de la loi MAPTAM (Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles) de 2014 ; enfin par la persistance de luttes urbaines

1

Page 2: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

localisées des habitants contre divers « projets inutiles » ou très contestés (la ZAC Bercy-Charenton dans le 12e arrondissement sur 80 hectares, EuropaCity dans le triangle de Gonesse dans le nord de Paris par exemple) de la part d’associations environnementales locales ou régionales trouvant des relais dans les élus locaux.

Divers acteurs agissent de façon conflictuelle (Etat, Région, département de Paris, entreprises privées, élus locaux, mouvements sociaux divers) autour de l’avenir du Grand Paris. Ces acteurs participent à des consultations diverses, notamment à partir des travaux des équipes pluridisciplinaires d’architectes et d’experts. Ces consultations donnent chacune des visions différentes des futurs du Grand Paris (APUR, 2009 ; Callebaut, 2015).

Pourtant, comme le remarque l’urbaniste Marc Wiel (2010), dans son ouvrage sur le Grand Paris, « le nœud du conflit se situe dans l’encadrement de la géographie de l’emploi au sein de la région », donc autour de questions socio-économiques concernant la force de travail, qui ne sont souvent qu’esquissées par les architectes urbanistes et leurs équipes ou par les experts de l’aménagement.

Il s’agit, en effet, entre les différentes institutions et acteurs concernés, de l’affectation des biens et services économiques et des revenus que ces emplois produisent : par le biais d’impôts locaux et d’emplois publics pour les collectivités territoriales ; par le biais de profits et de rentes localisées pour les entreprises privées ; par le biais de revenus monétaires pour les habitants et de coûts monétaires et monétarisés, par exemple concernant de temps de transports domicile-travail.

Il s’agit aussi de l’impact de ces emplois localisés sur l’économie, la sociologie et la géographie des territoires dont ces institutions élues ou ces administrations ont la charge ou que ces habitants vivent dans leur quotidien, notamment en termes de rentes foncières différenciées (certains territoires se valorisent, d’autres se dévalorisent).

Il s’agit de l’affectation spatiale de la force de travail, comme facteur de production, dans un territoire donné. Une affectation qui a lieu dans une double contexte : celui d’un chômage de masse toujours pesant ; et celui d’une révolution sociotechnique informationnelle numérique en cours, concernant la force de travail par le biais des innovations liées à l’information numérique et à l’espace informationnel d’Internet.

Dans le cadre de cet article, nous esquisserons les réponses pour donner des grandes lignes, fixant des typologies simplifiées des futurs du Grand Paris, conçu comme un grand bassin d’emplois d’une région urbaine métropolitaine, la Région Ile-de-France.

Nous nous appuierons sur les apports de l’économie territoriale (Pecqueur, 2013) et de l’économie des villes (Bourdeau-Lepage, Huriot, 2009) et sur la géographie économique (Mérenne-Schoumaker,2002), dans le cadre d’une socio-économie urbaine intégrant l’environnement naturel et rural.

La métropole du Grand Paris correspondra ici à la ville agglomérée dans la région urbaine de l’Ile-de-France. Nous ne séparerons pas, dans les interactions étudiées, la ville agglomérée de sa région institutionnelle. Car cette ville métropole, comme « ville-mère », incarne des

2

Page 3: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

territoires plus vastes que cette zone agglomérée : dans le cas de Paris, l’ensemble de la France comme capitale nationale ; et l’ensemble de la région Ile-de-France, comme noyau urbain de cette région.

Dans la suite de cet article, nous parlerons donc du Grand Paris en l’intégrant à la région Ile-de-France (12,1 millions d’habitants, 6,2 millions d’emplois, 1297 communes et arrondissements en 2017 selon l’INSEE).

La métropole du Grand Paris, au sens de la loi Maptam, ne retient qu’une partie de la zone agglomérée (6,9 millions d’habitants, soit 131 communes avec, en gros, Paris, les départements limitrophes et les aéroports).

Mais cette délimitation est contestée à la fois par certains géographes et par l’institution régionale elle-même qui pensent que l’on ne peut pas délimiter cette zone agglomérée sans la relier au reste de la région, qui est l’unité pertinente, en termes de bassin d’emplois, de transports et de vie économique quotidienne.

La zone agglomérée ou « unité urbaine », définie, selon l’INSEE comptait en 2014, 412 communes et 10,7 millions d’habitants. L’unité urbaine, selon l’INSEE, est le territoire d'une ou de plusieurs communes, dont plus de la moitié de la population réside dans une zone d'au moins 2 000 habitants et dans laquelle aucune habitation n'est séparée de la plus proche de plus de 200 mètres.

II. Eléments théoriques sur la localisation des emplois en urbanisme et dans le cas du Grand Paris

1°) Les cadres explicatifs majeurs de la localisation des emplois selon la géographie économique

Pour ce qui concerne les industries, que l’on peut élargir globalement aux services liés, trois grands cadres explicatifs majeurs sont avancés par la littérature pour expliquer la localisation des emplois (Merenne-Schoumaker, 2002) :

- Les cycles longs de type Kondratieff-Schumpeter, liés aux grappes d’innovations. Nous sommes effectivement, après la phase fordiste d’expansion économique de 1945-1975 et sa phase de dépression de 1975 à 1995, entré dans un nouveau cycle d’expansion économique de 1995 à aujourd’hui. Ce cycle long se place dans le cadre des grappes d’innovations liées à la numérisation des informations et à leur diffusion dans le nouvel espace d’Internet. Ces innovations affectent le contenu des emplois créés et des emplois détruits.

- Les effets externes positifs de proximité et d’agglomération. Les emplois ont tendance à s’agglomérer dans certains lieux et selon différentes échelles spatiales, notamment celle de territoires particuliers de la région urbaine de l’Ile-de-France, rendant certains espaces spécifiques. Certains pôles d’emplois se développent (par exemple Saclay-Orsay au sud, La Défense-Nanterre à l’Est, la Plaine-Saint-Denis au Nord) tandis que d’autres ont régressé (à l’ouest, les sites de l’industrie automobile

3

Page 4: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

fordiste de Renault-Billancourt ou de Citroën- Javel-Paris 15e) créant de nouvelles opportunités pour de l’habitat résidentiel (15e arrondissement) ou des lieux culturels (Billancourt). Ces effets affectent la localisation, au sein de la métropole du Grand Paris, des emplois créés et détruits.

- Les processus stratégiques qui conduisent les décideurs, dans certaines conditions socio-économiques (transports, matières premières, énergies, marchés, force de travail disponible, éléments naturels) à implanter des emplois, pouvant s’agglomérer à tel endroit plutôt qu’à tel autre. Ces processus permettent de comprendre la logique interne pour les décideurs, selon des valeurs et des motivations, des emplois créés ou détruits, dans la métropole et par rapport à d’autres métropoles ou localisations comparables en concurrence ou coopération.

Ces trois explications de la littérature nous amènent à nous intéresser aux acteurs décideurs du système économique spatial urbain, devant créer ou détruire des emplois dans un contexte de mutation socio-économique lié aux innovations du numérique et d’Internet (cycle Kondratieff) en tenant compte des effets externes de proximité et d’agglomération.

Comme ces acteurs sont multiples et interagissent entre eux, nous les représenterons dans le cadre plus général d’un système économique spatial urbain (SESU) que nous avons présenté dans d’autres communications, concernant la ville de longue durée.

2°) L’apport intégrateur de l’analyse par le système économique spatial urbain

Le système économique spatial urbain (SESU) se compose, comme tout système complexe, selon les théories de Jean-Louis Le Moigne (1990) :

- d’un sous-système socio-économique opérant O, agissant sur son environnement extérieur et produisant des biens et des services à l’intérieur du système urbain, éventuellement exportés vers son environnement. Il comprend donc les entreprises, les administrations dont l’activité principale est économique, fournissant des biens et des services nécessaires aux sociétés humaines ;

- d’un sous-système d’information I, informant le système économique spatial urbain sur son environnement et le régulant en interne ;

- d’un sous-système de décision D, comprenant les acteurs de la décision socio-économique urbaine.

Ces différents sous-systèmes sont reliés par des réseaux sociotechniques R (de communication de l’information, de transports de biens et services) pour former un tout différencié dans un espace donné où il se différencie de son environnement.

Le système économique spatial urbain s’insère dans deux types d’environnements spatialisés, considérés sous l’angle socio-économique :

- l’espace rural (ER) où prédominent les activités socio-économiques agricoles et d’élevage ;

4

Page 5: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

- l’espace naturel (EN), où prédomine la reproduction des écosystèmes naturels (hydrosphère, lithosphère, atmosphère), même si cette reproduction est fortement dépendante des activités humaines.

Le système économique spatial urbain (SESU) apparaît donc sous la formule d’un espace complexe et composite (OIDR), inséré dans d’autres espaces eux-mêmes complexes et composites ER/EN.

Cette grille d’analyse systémique s’applique au système socio-économique urbain de la région urbaine de l’Ile-de-France, assimilée ici au Grand Paris ou zone agglomérée de Paris dans la région Ile-de-France. L’espace socio-économique urbain du Grand Paris (sa zone agglomérée urbanisée) s’insère dans un espace rural (ER) et dans un espace naturel (EN) de la région Ile-de-France.

Dans le système opérant O du SESU, nous distinguerons le sous-système O1 des habitats ou secteurs résidentiels, qui offre des services (logement, crèches, écoles…) pour les habitants du SESU ; et le sous-système O2 des activités socio-économiques autres que l’habitat, comprenant la plupart des emplois de l’industrie et des services.

Dès lors, la question de la localisation géographique des emplois dans la métropole du grand Paris dépend, dans des conditions socio-économiques données, des relations dynamiques entre les sous-systèmes O1 (habitats) et 02 (emplois) reliés par les réseaux de transports R et d’information I, selon des processus de décision des acteurs du sous-système D. Le tout en lien avec l’espace naturel EN qui sert de substrat fondamental à l’espace urbain et avec l’espace rural ER qui alimente l’espace urbain.

L’analyse par le système économique spatial urbain permet d’intégrer les trois explications de la littérature sur la localisation des emplois dans une métropole dans un cadre plus articulé et plus interactif où le système de décision D sous contraintes est mieux mis en évidence.

3°) Les trois grands décideurs types en urbanisme et pour le Grand Paris d’après leurs discours. Les « modèles idéaux ».

Les acteurs du sous-système de décision D de système économique spatial urbain du Grand Paris, dans leurs conflits et leurs débats sur l’urbanisme parisien, ont publié un certain nombre d’ouvrages (livres, rapports, documents…), organisé des débats, suscité des études de la part d’experts. Comme l’écrit Fijalkow (2017, pp. 9-11), « l’urbanisme se nourrit d’idéologies, de théories, de doctrines et de discours. … Qu’ils soient tournés vers le passé ou le futur, la puissance des discours réside dans leur capacité à se référer à des stéréotypes, lorsqu’il s’agit de la réappropriation des quartiers anciens ; à des archétypes lorsqu’il s’agit par exemple de refonder ou redynamiser les espaces ; à des modèles idéaux lorsqu’il s’agit de faire émerger des nouveaux modes d’habiter ».

Nous voulons donc définir plus précisément les « modèles idéaux » des grands acteurs du grand Paris.

5

Page 6: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

Ces discours types proviennent de trois types d’acteurs du système économique urbain, d’après le classement de Castillo et Fijalkow (2017) : « les usagers, les décideurs, les concepteurs de la ville ». Ces discours ont un effet performatif sur la production de l’urbain, selon le modèle du linguiste Austin, « Quand dire, c’est faire » (Austin, 1970).

Nous définirons plus précisément ces trois types d’acteurs comme les habitants et leurs associations plutôt que les « usagers » ; les décideurs économiques des entreprises privées plutôt que les « décideurs » dans la mesure où les trois types d’acteurs cités décident par le caractère performatif de leurs discours ; et les acteurs urbains de l’Etat et des collectivités territoriales plutôt que les « concepteurs », dans la mesure où ils sont liés par leurs fonctions à l’Etat central français et aux collectivités locales, comme « techniciens » ou « chercheurs » dans le domaine de l’urbanisme.

L’étude attentive des projets de chacun de ces trois types acteurs décideurs nous permettra de dresser une typologie des « modèles idéaux » qu’ils proposent comme futurs du Grand Paris d’un point de vue socio-économique, du Grand Paris.

III. Analyse empirique. Les « modèles idéaux » des grands acteurs du Grand Paris

Afin de dégager des modèles idéaux types pour les trois grands acteurs du grand Paris (Etat, entreprises privées, habitants), nous avons fait des tas à partir d’ouvrages sur le sujet, en fonction des points de vue de ces grands acteurs. Puis à partir de ces tas, nous avons recherché les formules les plus générales, quitte à les simplifier et à les épurer, illustrant le futur pour chaque grand acteur, en utilisant la grille d’analyse du système économique spatial urbain.

1. Le Grand Paris de L’Etat et des administrations publiques centrales : le « Grand Paris Express ».

C’est l’Etat qui a élaboré, depuis le premier schéma datant de 1934 jusqu’au Schéma Directeur de 1994, la planification urbaine de la région Ile-de-France. La vision constante de l’Etat est celle d’une région polycentrique : la commune/département de Paris (2 millions d’habitants environ) est équilibrée par des centres secondaires, comme les villes nouvelles lancées dans les années 1960, les préfectures des nouveaux départements de la région, créées en 1964 en découpant le grand département de la Seine qui comprenait Paris et sa banlieue. Il est instauré une hiérarchie entre les centres, reliés par des transports performants pour garantir une croissance économique forte (Orfeuil, Wiel, 2012).

Le nouveau schéma directeur régional d’Ile-de-France (SDRIF), élaboré en 2004-2008, est confié par les lois de 1995 et de 1999, à la région Ile-de-France, en co-pilotage avec l’Etat. Le Syndicat des Transports d’Ile-de-France (STIF), qui gère les transports collectifs de la région, cesse d’être un organisme d’Etat : il est placé sous l’autorité de la Région.

Le projet de de schéma directeur, élaboré par la Région, ne convient pas à l’Etat, qui en bloque juridiquement la promulgation en ne le transmettant pas au Conseil d’Etat. Les critiques de l’Etat portent sur le manque d’ambition en matière de croissance économique et

6

Page 7: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

en matière de réseaux de transports. La présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012) va illustrer ce volontarisme socio-économique. Le Président de la République dit, dès juin 2007, qu’il ne souhaite pas l’adoption du schéma directeur régional avant l’adoption d’un plan stratégique pour l’aménagement de l’Ile-de-France. Par la loi, il crée la Société du Grand Paris, où il nomme un Préfet, Christian Blanc, ancien dirigeant de la RATP (société dirigée par l’Etat pour les transports collectifs). Cette société qui se perpétue jusqu’à aujourd’hui a pour but de construire un métro automatique en rocade en Ile-de-France, pour desservir les grands pôles d’habitats, les nouvelles gares TGV, les aéroports et les neufs pôles de développement économiques spécialisés (« clusters »).

Cette vision urbaine pour le Grand Paris est théorisée par Christian Blanc (2015, pp.285-286) : « Le projet du Grand Paris nécessitait une vision différente (du SDRIF Régional). Le réseau (de transports) devait être conçu non plus pour Paris, ou pour la ceinture de Paris, mais pour être le réseau principal d’une agglomération de 10 millions d’habitants et participer à ses objectifs de développement. Sa conception était en rupture avec le modèle historique de développement radial à partir du centre de Paris. Il s’agissait de créer une métropole cohérente, pouvant s’appuyer sur plusieurs centres, en accompagnant la structuration de grandes polarités autour de Paris, organisées en espaces de vie, en villes et en espaces propices à l’innovation et à la création. Le réseau devait desservir des territoires économiques, des pôles d’emplois et d’habitats existants ou à créer. Désenclavement et complémentarité avec le réseau actuel étaient les mots d’ordre. (…) Ce fut la double boucle, que certains esprits facétieux appelleront « le grand huit ». (…) Le réseau de métro automatique du Grand Paris, d’une longueur de 130 km, allait devenir la nouvelle épine dorsale du Grand Paris ».

On peut, à partir de ces propos, et de la littérature étatique sur le Grand Paris, caractériser selon la grille d’analyse du SESU, de la manière suivante.

7

Page 8: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

Le projet de l’Etat pour le Grand Paris est symbolisé par le « Grand Paris Express » : un métro automatique de 155 km de ligne au moins desservant des grands pôles économiques

Composantes du SESU Objectifs affichés pour le Grand ParisO1- Habitats Croissance des logements privés et publics.

Construire 70 000 logements par an.O2- Activités économiques Croissance économique forte, entraînée par

des pôles spécialisés, compétitifs dans la concurrence mondiale

R – Réseaux de transports et d’information 130 km au départ, 155 km environ aujourd’hui de métro automatique desservant 68 stations à horizon 2025-2030, dont les pôles spécialisés, les habitats en croissance. Vitesse commerciale prévue : 56 km/heure. Coût estimé (2016) : 24,7 Milliards d’euros

I-Information / Communication/ Symbolique

« Le grand huit », les lignes nouvelles de métro automatique, le Grand Paris Express

D- Grands acteurs. Types de décisions et moyens de mise en œuvre.

Etat- Société du Grand Paris/ Décisions centralisées/ Moyens : recettes fiscales, emprunts de long terme, rente d’aménagement

ER- Espace rural Maintenu si possible mais diminué dans les pôles (exemple Saclay)

EN – Espace naturel Patrimoine naturel préservé mais faiblement pris en compte

Composants essentiels du modèle idéal de ville

R : Le réseau de transports automatisés O2 : les pôles économiques spécialisés suivant les « clusters » (Etat/ Recherche/ entreprises)Espace pris en compte : d’abord l’espace réseau lié aux nouveaux moyens de transports dirigés par les hauts fonctionnaires de l’Etat central.La création d’emplois se fera dans les pôles spécialisés et par la construction du métro et entraînera la croissance (115 000 emplois prévus par an pendant 20 ans soit 2,3 millions d’emplois)

8

Page 9: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

innovants et des grandes zones d’habitats de la zone agglomérée dans un espace multipolaire. Le modèle de ville est celui d’une ville centralisée par l’Etat, desservant par un métro automatique, « Grand Paris Express », des clusters innovants qui seront créateurs d’emplois.

2. Le Grand Paris des entreprises privées et de leurs représentants : « Smart City privatisée ».

Le deuxième type de grands décideurs est formé par les grandes entreprises privées, nombreuses et influentes dans la région Ile-de-France. Elles sont représentées par la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Ile-de-France, qui dit se faire la voix des 800 000 entreprises de la région, formant 25 % du PIB national (site CCI-IdF consulté le 27 juin 2017).

Le site de la CCI comprend tout un onglet sur le Grand Paris, avec analyses et préconisations. Ces dernières sont basées sur le discours du marketing territorial (Vallérugo, Noisette,2010), qui voit le Grand Paris comme un territoire en concurrence à l’échelle mondiale avec d’autres territoires, dont il faut développer l’attractivité en mettant en valeur ses atouts compétitifs au bénéfice des entreprises de la région et des créations d’emplois dans les secteurs innovants.

Pour le Grand Paris, la CCI préconise, sur son site, « six axes stratégiques : 1. Construire une communication stratégique cohérente (…) 2. Identifier les spécificités des pôles attractifs (…) 3. Booster l’attractivité des pôles par les grands projets (Grand Paris Express, Jeux Olympiques de 2024, Exposition Universelle de 2025). 4. Monter en gamme pour l’offre de bureaux (…) 5. Favoriser la mixité bureaux/commerces/logements (…) 6. Renforcer les infrastructures numériques et de transports ».

Pour la CCI et ses entreprises, le Grand Paris, avec son métro automatique, sa planification spatiale par les administrations publiques est une opportunité d’investissements de 100 milliards d’euros, qui doit bénéficier aux entreprises privées de la région, dans l’immobilier, le bâtiment, le tourisme, l’énergie, les télécommunications et tous les secteurs économiques innovants. Il s’agit de construire « une métropole de rang mondial, répondant aux défis du numérique et de la transition énergétique ».

La CCI sur son site, de même que la revue trimestrielle « Objectif Grand Paris » revue indépendante mais comportant de nombreux publi-reportages sur les réalisations des grandes entreprises privées de la région, développe une information positive sur les projets innovants localisés dans la région, en partenariat avec les aménageurs publics afin de les mettre en exemple dans une évaluation permanente. On y voit apparaître SNCF-Immobilier, l’Agence de développement du Val-de-Marne, Paris-Saclay « vitrine universitaire », « Paris terre d’accueil des start-ups internationales » (n° spécial « le Grand Paris, accélérateur de croissance », Objectif Grand Paris n° 9, mars 2015). Ou dans une autre revue du même style, apparaît « EuropaCity, le projet qui divise » (Grand Paris Développement, mai 2017).

EuropaCity, le projet de morceau de ville organisée par le groupe de distribution Auchan sur 80 hectares à côté de l’aéroport de Roissy fait l’objet d’une grande attention, ayant suscité la publication d’un livre. Car « le commerce physique est en crise totalement bousculé par le

9

Page 10: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

numérique. Il doit proposer une expérience nouvelle où culture, loisirs et lien social prennent le pas sur l’acte d’achat ; il doit se réenchanter, faire rêver. C’est ce que veut faire Auchan avec ce méga-chantier de 80 hectares à Gonesse, à côté de Roissy, où, en 2024, 12 000 employés accueilleront les 30 millions de visiteurs attendus » (Vallérugo, dir., 2016).

Et son co-auteur, Jean-Michel Guénod, urbaniste-architecte ajoute : « l’ambition d’EuropaCity est bien de créer de l’urbanité et de la centralité, son original paradigme programmatique relève clairement des « hybridations de fonctions » annonciatrices pour Pierre Veltz d’une révolution urbaine en marche qui « invente » - encore dans les marges- un avenir profondément différent. (…) La nature et le contexte urbain d’EuropaCity, son mode de mise en œuvre le classent à l’évidence dans le cercle des grands projets-catégorie d’initiative privée, et ce, nonobstant les spécificités, qui lui confèrent de surcroît un caractère de prototype ».

Les prototypes sont le sujet d’étude de Vincent Callebaut, architecte. « En collaboration avec les ingénieurs de Setec Bâtiments1, j’ai conçu huit prototypes de tours mixtes susceptibles de prendre place dans les quartiers de Paris selon leur style.(…) A partir de 2020, les bâtiments à énergie positive devraient devenir la norme. La révolution est bien en marche ! Le projet Paris Smart City 2050 vise avant tout à dresser des perspectives d’évolution et d’intégration des immeubles de grande hauteur dans un tissu patrimonial. Place à l’archibiotic ! ». (Callebaut, 2015).

Nous pouvons classer ces discours, de celui plus sérieux des cadres de la CCI et des enseignants de l’Essec-Business School, à celui, plus lyrique, de l’architecte Callebaut, qui se qualifie à la fois de « visionnaire » et « d’éco-responsable », selon les composants du système économique spatial urbain

1 Société française d’ingénierie dont le CA est de 253 millions d’euros en 2015 avec 2400 collaborateurs (source : site de l’entreprise).

10

Page 11: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

Composants du SESU Objectifs affichés pour le Grand ParisO1 – habitats Produire plus de logements rentablesO2 – activités économiques autres qu’habitats

Développer les activités économiques privées innovantes concurrentielles à l’échelle mondiale

I – Information/ Communication/ Symbolique

Développer les réseaux numériques en partenariat public/privé / Faire la « ville intelligente » (« smart city »)

D – Décideurs/ Grands acteurs Les dirigeants des entreprises privésLes élus pro-business

R – Réseaux Les réseaux du numérique à développer, les réseaux de transports à améliorer

ER L’espace rural est inclus en partie dans l’espace urbain grâce aux nouvelles technologies

EN L’espace naturel est une ressource à exploiter dans le cadre du marché

Composants essentiels du modèle idéal de ville

O2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande hauteur, zones d’aménagements gérées par le privé (EuropaCity)

Le modèle type de Grand Paris des décideurs économiques des grandes entreprises privées est celui d’une ville « intelligente » (smart), d’ampleur mondiale car compétitive à l’échelle mondiale, privatisée en partie pour et par ses grandes entreprises multinationales, créatrices d’emplois. La puissance publique doit fournir des espaces pour des opérations d’aménagement privées ciblées et rentables, notamment dans les services (tours de bureaux, grands centres commerciaux) permettant la croissance des échanges marchands. Les entreprises privées peuvent même proposer aux élus des quartiers clés-en main comme EuropaCity, le quartier d’Auchan (grande distribution) dans le triangle de Gonesse. Les entreprises privées des grands réseaux (eaux, télécommunications, énergie) peuvent gérer une bonne partie de la ville à la place des fonctionnaires territoriaux.

Le modèle de Grand Paris des entreprises privées est celui de la ville innovante et intelligente de rang mondial (« Smart City »), portée par ses entreprises privées, en partenariat avec les administrations publiques.

Nous retrouvons là la description de l’architecte-urbaniste David Mangin (2004, p. 160) sur la ville franchisée par les grandes entreprises privées : « la grande victoire du système qui s’est mis en place ne serait-elle pas d’avoir réussi à faire converger, à l’échelle des secteurs, les systèmes de circulation et de marchandisation des produits, tout en plaçant les villes dans une logique de marketing ? Parce que la ville doit « se vendre », les élus sont peu enclins à

11

Page 12: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

proposer des projets urbains ou territoriaux, sources potentielles de hausses d’impôts, de contentieux et parfois de conflits avec l’électeur. Ils accepteront donc facilement des produits clés-en-main au centre-ville, au nom du maintien de l’emploi. »

3. Le Grand Paris des habitants et de leurs associations d’usagers : la « ville écologique démocratique ».

Les projets des habitants devraient fixer, éventuellement de façon contradictoire dans un débat démocratique, un modèle souhaitable de ville, en particulier pour le Grand Paris.

Ce n’est pas le cas. L’Etat central, la métropole du Grand Paris qu’il a mise en place selon la loi Maptam, ne sont pas élus par les habitants de la région Ile-de-France. L’Etat dépend d’élections nationales où les enjeux parisiens sont peu présents directement, d’autant plus que la majorité des électeurs n’habitent pas cette région. La métropole du Grand Paris n’est pas, pour le moment, élue au premier degré mais composée de grands élus désignés par les élus locaux de façon assez opaque. Le premier projet type de ville « Grand Paris express » a été certes soumis à concertation, mais non à délibération démocratique parmi les électeurs. Quant au deuxième projet type, « Smart City », défendu par les entreprises privées, il n’a jamais été débattu démocratiquement non plus, mais s’impose au fur et à mesure des projets réalisés d’aménagement en partenariat public-privé. La seule institution élue tous les cinq ans, à l’échelle du Grand Paris, est le Conseil Régional, qui est doté d’un exécutif. Celui-ci oriente le développement économique, les transports et la formation de la région. Ses orientations sont soumises au débat public avec élections à la clé. Cependant les moyens financiers de la Région sont réduits : son budget était, en 2017, de 5,25 milliard d’euros (dont 1,5 milliards pour les transports), inférieur au budget de la Ville de Paris (9,38 milliards en 2017). La Région a la compétence sur les transports collectifs. Mais la Société du Grand Paris, qui construit le métro automatique, « Grand Paris-Express » est une société étatique, de même que les grands opérateurs de transports collectifs que sont la RATP et la SNCF. Ces entreprises publiques travaillent avec la Région, mais ne dépendent pas économiquement d’elle, étant subordonnées à l’Etat.

A l’occasion de la confection du Schéma Directeur de l’Ile-de-France (SDRIF), élaboré pour la première fois sous la direction de la région, en 2004-2008, une conception du Grand Paris, différente de celle de l’Etat et des grandes entreprises privées, a émergé de la part des élus régionaux, en lien avec un certain nombre d’associations, sous la direction d’une « élue verte et ouverte » (Orfeuil, Wiel, 2012, p.51), géographe de profession, Mireille Ferri.

Même si ce projet a été revu par l’Etat pour y intégrer le métro du « Grand Paris Express », la région, le projet initial de SDRIF 2008, amendé et adopté en 2013, en intégrant les contributions des associations, dessine un autre modèle type de Grand Paris.

Dans son préambule, le SDRIF affirme que « le schéma directeur de la région d’Île-de-France a pour objectif de maîtriser la croissance urbaine et démographique et l’utilisation de l’espace tout en garantissant le rayonnement international de cette région. Il précise les moyens à mettre en œuvre pour corriger les disparités spatiales, sociales et économiques de

12

Page 13: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

la région, coordonner l’offre de déplacement et préserver les zones rurales et naturelles afin d’assurer les conditions d’un développement durable de la région ».

Le SDRIF ne fixe pas un budget ni des objectifs économiques quantitatifs. Il fixe une cohérence spatiale de la région, à l’horizon 2030, en délimitant les zones à urbaniser, les espaces naturels et les espaces ruraux, avec la localisation des infrastructures de transports. Par la suite, les divers documents d’urbanisme de la région doivent être compatibles avec le SDRIF. Si l’Etat veut déroger au SDRIF, il peut cependant déclarer certains espaces « Opération d’Intérêt National » (OIN) avec des Contrats d’Intérêt National. 15 OIN sont en cours en Région Ile-de-France, notamment dans les « clusters » définis par l’Etat (« Plateau de Saclay », au sud ; « Plaine de France » et « Corridor aéroportuaire », au nord).

Du point de vue du modèle type, le SDRIF s’inscrit dans le cadre du développement urbain durable, ou de la ville écologique. Il est parmi les modèles types évoqués, le seul se référant explicitement à la démocratie, dans la mesure où il s’appuie sur les travaux des élus en lien avec les associations locales et régionales.

La principale association de défense de l’environnement, France Nature Environnement, qui regroupe régionalement de nombreuses associations locales, a d’ailleurs défendu, à l’occasion du débat sur le SDRIF 2008, un projet d’éco-région urbaine, sous la coordination de Pierre Merlin, géographe et professeur émérite à l’Université Paris 1 (Merlin, 2007).

En combinant la lecture du SDRIF (2013) et l’ouvrage de France Nature Environnement, on peut analyser, par le bais des composants du Système économique spatial urbain, un troisième type de Grand Paris, porté à la fois par les élus locaux et régionaux et par les associations de défense de l’environnement naturel.

13

Page 14: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

14

Composants du SESU Objectifs pour le Grand Paris

O1- Habitats Densifier l’habitat dans la zone déjà urbanisée pour éviter l’étalement urbain (SDRIF)

O2- Activités économiques autres qu’habitats

Mixité fonctionnelle. « Dans les territoires porteurs d’un développement économique riche en emplois, la croissance de l’offre de locaux destinés à l’activité doit être accompagnée d’une augmentation proportionnelle de l’offre de logements » (SDRIF).

I-information, télécommunications, symboles

« développement durable de la région » (SDRIF) ; « l’éco-région, une utopie constructive» (France Nature Environnement).

D- Décideurs Elus locaux et régionaux plus associations

R-Réseaux de transports Transports collectifs électriques en voie réservées (notamment tramways, métro) plus marche et vélos. Réduction de la place de l’automobile individuelle (SDRIF, FNE)

ER-Espace rural Multifonctionnalité des espaces agricoles à préserver : « les espaces agricoles franciliens, supports pour des productions alimentaires ou non alimentaires, sont également des espaces de nature, de ressourcement, de calme, d’intérêt paysager ». (SDRIF)

E N- Espaces naturels Préservation et continuités : « le maintien ou la restauration des continuités écologiques ». (SDRIF)

Eléments essentiels Planification spatiale, espaces et facteurs naturels, concertation démocratique, transition écologique

Page 15: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

Nous appellerons ce modèle celui de la « ville écologique démocratique » : écologique, parce que son entrée principale d’un point de vue systémique est celle de la préservation de l’environnement naturel régional ; démocratique, parce que ce modèle est soumis, dans le cadre du Conseil Régional élu, à la délibération démocratique, à la différence des deux autres modèles.

La faiblesse essentielle de ce modèle tient à la faiblesse économique de la région, par rapport à l’Etat et aux grandes entreprises privées. Elle a dû céder à l’Etat en 2008-2013 pour amender son projet. La force de ce modèle tient à sa légitimité démocratique et au pouvoir d’action des associations.

Ajoutons un autre élément, très contraignant : les facteurs naturels, comme le climat qui se réchauffe, la biodiversité qui se raréfie, les sources d’énergie fossiles qui deviennent dangereuses, sont des « actifs » majeurs de l’environnement du système économique spatial urbain aujourd’hui.

Car ces facteurs naturels peuvent saper les fondements de la vie en ville, dans le cadre du Grand Paris et provoquer des prises de conscience des habitants et des élus en faveur d’un modèle de ville plus écologique et moins marchand ou étatisé : pollutions permanentes de l’air liées aux transports routiers thermiques diesel ou essence, maladies liées à l’alimentation de l’agriculture intensive, pénuries d’eau douce pour l’agriculture du fait du réchauffement climatique, épisodes extrêmes plus fréquents comme les tempêtes (1999), ou les canicules (2003, 2017), voire accidents nucléaires de centrales vieillissantes (Nogent sur Marne).

Conclusion : les trois formes d’intégration institutionnelle de la force de travail dans les systèmes économiques spatiaux urbains

Nous avons trouvé trois modèles types de villes pour le Grand Paris aujourd’hui, à partir des trois acteurs principaux de la ville définis par Fijalkow (2017) et des discours de ces acteurs, analysés dans le cadre du système économique spatial urbain.

Nous sommes partis de l’enjeu principal du Grand Paris, du point de vue socio-économique, dans la conjoncture présente : la localisation spatiale des emplois.

Les trois modèles de ville nous semblent correspondre aux moyens économiques réels qu’ont les principaux acteurs pour agir sur l’espace urbain et y gérer la force de travail en fonction de leurs objectifs.

Ces moyens correspondent aux trois formes d’intégration institutionnelle des biens, des services et des facteurs de production, définis par Karl Polanyi (2011) : la redistribution, l’échange marchand, la réciprocité.

15

Page 16: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

La redistribution, suppose l’existence d’un centre social qui s’approprie et positionne les biens et services économiques, les facteurs de production pour les redistribuer ensuite. Pour l’Etat central français, selon le modèle « Grand Paris Express », il s’agit de construire la ville au moyen de la redistribution, c’est-à-dire par les impôts prélevés par l’Etat et réinvestis dans un système de transports publics innovants, le métro automatique du Grand Paris. Son modèle de ville, d’un point de vue socio-économique, est fondé sur la redistribution des richesses créées par le centre étatique vers les réseaux de transports qui seront créateurs de lieux innovants, créateurs d’emplois.

L’échange suppose des relations de positionnement et d’appropriation des biens et des services, des facteurs de production entre deux personnes ou groupes sociaux qui en tirent chacun un avantage. Pour les entreprises privées, selon le modèle « Smart City », il s’agit de construire la ville au moyen de l’échange marchand, c’est-à-dire par l’achat de la force de travail humaine dans des espaces donnés valorisables et valorisant pour les transactions marchandes. Leur modèle de ville est fondé sur l’échange marchand entre les entreprises et leurs clients comme avec leurs fournisseurs de force de travail, cet échange étant créateur d’emplois dans des espaces rentables et innovants.

La réciprocité, suppose l’existence de deux groupes sociaux symétriques qui ont des obligations économiques similaires concernant les relations économiques de position et d’appropriation. Pour les habitants et les élus locaux, selon le modèle de « Ville écologique démocratique », il s’agit de construire la ville au moyen de la réciprocité. Réciprocité entre les personnes : la réciprocité dans le cadre égalitaire de la démocratie politique entre les citoyens où chacun peut être électeur et élu. Réciprocité des acteurs de la ville comme système socio-économique avec les facteurs naturels, ces derniers étant des « actifs » à préserver, à ménager dans le cadre d’un développement urbain durable. Réciprocité entre la génération présente et les générations futures, afin de transmettre par la génération présente un espace naturel vivable aux générations futures sur la longue durée.

La question des emplois est peu traitée dans ce cas-là, malgré la conjoncture de chômage de masse. Elle est cependant implicite : il s’agit de créer des emplois dans le cadre de la transition écologique estimée nécessaire. Différentes études économiques associatives (Plate-forme climat emplois, sur le site de l’association ATTAC) et universitaires (Quirion,2013) montrent que cette transition écologique est créatrice d’emplois, mais pas du même type que les emplois de la ville marchande ou que ceux de la ville de la redistribution centralisée.

Nous avons donc mis en évidence, à partir de l’exemple du Grand Paris et de la question de la localisation de la force de travail, trois modèles socio-économiques types de ville aujourd’hui, qui peuvent se combiner dans le temps, selon les rapports de force socio-économiques et la situation écologique de la ville : la ville de la redistribution centralisée par l’Etat « Grand Paris Express » ; la ville de l’échange libéralisé par les entreprises privées « Smart City privatisée » ; et la ville de la réciprocité régulée par les élus locaux et régionaux et les habitants associés, la « ville écologique démocratique ». Reste à savoir si ces trois modèles contemporains, mis en évidence pour le Grand Paris, peuvent s’appliquer à d’autres métropoles…

16

Page 17: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

Bibliographie sommaire

Documents officiels disponibles sur Internet 1. SDRIF 2030, Schéma directeur de la Région | Région Île-de-Francehttps://www.iledefrance.fr/competence/schema-directeur-region2. Société du Grand Parishttps://www.societedugrandparis.fr/3. LOI Maptam n° 2014-58 du 27 janvier 2014 - Legifrancehttps://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000028526298

Ouvrages, études et articles institutionnels ou universitaires

1. APUR (Atelier Parisien d’Urbanisme,2009), Une petite synthèse du Grand Pari(s) de l’agglomération parisienne. A partir des propositions élaborées par les 10 équipes pluridisciplinaires dans le cadre de la consultation sur le grand pari de l’agglomération parisienne, Paris Projet n° 39.

2. Austin, J-L (1970), Quand dire, c’est faire, Ed. Seuil, Paris.3. Blanc, Christian (2015), Paris, ville monde, Ed. Odile Jacob, Paris.4. Bourdeau-Lepage, Lise, HURIOT, Jean-Marie (2009), Economie des villes contemporaines,

Economica, Paris5. Callebaut, Vincent (2015), Paris 2050, Les cités fertiles face aux enjeux du XXIe siècle, Ed.

Michel Lafon, Neuilly-sur-Seine.6. Fijalkow, Yankel, (dir.) (2017), Dire la ville, c’est faire la ville, Ed. Septentrion, Lille.7. Grand Paris Développement, numéro 19, printemps mai 2017, « Pour /contre sur le

projet EuropaCity » pp.40-41.8. Le Moigne, Jean-Louis (1990), La modélisation des systèmes complexes, Dunod, Paris.9. Mangin, David (2004), La ville franchisée, Formes et structures de la ville contemporaine,

Editions de la Villette, Paris.10. Merlin, Pierre (2007), L’éco-région d’Ile-de-France, un utopie concrète, La Documentation

française, Paris.11. Merenne-Schoumaker, Bernadette (2002), La localisation des industries. Enjeux et

dynamiques, Presses Universitaires de Rennes, Rennes.12. Pecqueur, Bernard, Courlet, Claude (2013), L’économie territoriale, Presses Universitaires

de Grenoble, Grenoble.13. Objectif Nouveau Grand Paris, numéro 9, mars 2015. « Le grand Paris, accélérateur de

croissance », Ed. Eurocom, Paris. 14. Orfeuil, Jean-Pierre, Wiel, Marc (2012), Grand Paris, Sortir des illusions, approfondir les

ambitions, Ed. Scrineo, Paris.15. Perec, Georges (2003), Penser, classer. Ed. Seuil, Paris.16. Polanyi, Karl (2011), La subsistance de l’homme, la place de l’économie dans l’histoire et

la société, Flammarion,17. Quirion Philippe (2013) L’effet net sur l’emploi de la transition énergétique en France :

Une analyse input-output du scénario négaWatt , Cired n° 46-2013.

17

Page 18: asrdlf2017.comasrdlf2017.com/.../envoitextefinal/auteur/textedef/75.docx · Web viewO2 : les activités économiques des entreprises privées avec des projets : immeubles de grande

18. Vallérugo, Franck (dir.), Gonguet, Jean-Pierre, Guénod, Jean-Michel (2016), Europa City, l’aventure d’un projet, Ed. l’Aube/ Essec Business School, La Tour d’Aigues.

19. Vallérugo, Franck, Noisette, Patrice (2010), Un monde de villes, le marketing des territoires durables, Ed.l’Aube/ Essec Business School, La Tour d’Aigues.

20. Wiel, Marc (2010), Le Grand Paris, Premier conflit né de la décentralisation, L’Harmattan, Paris.

18