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Evangile de Jean

Anselm GRUN, 2004

Jésus : la porte vers la vie

C'est à cette détresse fondamentale des êtres d'aujourd'hui que l'Evangile de Jean veut répondre. A celui qui est intérieurement mort, qui a perdu le contact avec son centre spirituel, il montre le chemin de retour à la vraie vie.

Lorsqu'il nous donne la vie intérieure, nous recevons notre part de l'impérissable; notre vie renvoie alors, au-delà d'elle-même, à la vie divine.

Jésus, nous invite à ouvrir les yeux et à découvrir derrière les apparences la véritable nature des choses. Il est lui-même la vérité, et c'est par lui que nous entrons en contact avec cette véritable réalité.

Qui se délivre de ses illusions connaît le véritable salut. Il cesse de graviter autour de son ego, il entre en contact avec l'être authentique, il ne fait plus qu'un avec son Soi, avec Dieu et avec la réalité. La mystique est toujours l'expérience de cette accession à l'unité. « Devenir-un », « être-un » : expériences que Jésus voudrait nous apprendre à vivre.

L'Evangile de Jean est un texte symbolique : tout ce qu'il nous rapporte apparaît comme « signe d'une réalité mystérieuse », autre, plus profonde. L'eau symbolise la vie, le renouveau, la purification, mais aussi l'inondation et la destruction.

Jean met dans la bouche de Jésus des paroles qui renvoient certes à la réalité extérieure, mais aussi à une réalité intérieure, qui touche le cœur des hommes (Le pain, la porte, le cep de vigne...).

Le thème fondamental de la symbolique johannique, c'est que Dieu s'est fait homme en Jésus-Christ, que le divin s'est uni à ce qui relève de la terre. Cette unité de l'homme Jésus et de Dieu nous invite à devenir plus grands que ce que nous sommes, à découvrir notre véritable dignité humaine. Dans son langage imagé, Jésus nous montre notre nature profonde. Il s'exprime en symboles: il rassemble ce qui était séparé, parce qu'en lui s'unissent l'homme et Dieu.

L'Evangile de Jean est un texte mythique, parlant souvent par énigmes. Ce qui est au-dessus ne peut se formuler que dans le langage du mythe, qui jette une lumière dans les profondeurs de la réalité. Ces paroles énigmatiques que l'entendement ne peut saisir nous obligent à penser au-delà de l'intellect pour pressentir l'indicible fondement de toutes choses.

La vérité de ce langage se révèle immédiatement ou bien elle reste énigmatique, comme étrangère. Elle ne s'ouvre qu'à l'initié. Sur cette terre, nous ne pouvons parler de Dieu que par énigmes.

L'Evangile de Jean est un récit dramatique. L'action dramatique se déploie surtout dans les scènes dialoguées où se constituent peu à peu deux groupes: ceux qui croient en Jésus et ceux qui le rejettent. L'Evangile de Jean vise à conforter les lecteurs qui ont pris le parti de Jésus, à leur donner courage et consolation et à les éclairer sur leur existence dans la foi chrétienne. Pour Jean, la foi est un processus d'apprentissage permanent : la foi demande à être constamment approfondie, afin de pouvoir se maintenir dans un environnement incroyant.

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Jean n'occupe aucune fonction dans l'Eglise, mais est considéré dans sa communauté comme le témoin par excellence, celui qui initie au mystère de Jésus-Christ et dévoile la dimension profonde des évènements. Au-delà de ce monde, il existe une autre réalité sur laquelle nous pouvons fonder notre vie.

L'expérience mystique est salutaire et libératrice pour l'homme : il ne devient tout à fait lui-même qu'en faisant l'expérience de Dieu, grâce à laquelle il se rencontre et se découvre lui-même en Dieu. Faire l'expérience de Dieu, c'est toujours d'abord sentir que nous sommes vivants. La vie est toujours en rapport avec le jaillissement d'une source qui lui conserve une éternelle fraicheur. Dieu lui-même est la source, d'où émane notre vie d'homme, qui nous féconde et féconde le monde.

Dieu est lumière : je ne peux voir clair dans ma vie qu'en Dieu, que seul Jésus, le véritable Logos, peut dissiper en moi les ténèbres et le non-sens. Le Christ est la lumière qui luit dans les ténèbres, qui veut éclairer les abîmes obscurs de notre âme afin que nous ayons le courage d'en voir toute la vérité. Cette illumination est le but de tout cheminement spirituel. Avec Jésus, la vraie lumière est entrée dans le monde : « Elle est venue chez elle et les siens ne l'ont pas reçue » (1, 11), « Mais à tous ceux qui l'ont reçue, elle a donné le pouvoir d'être enfants de Dieu, et ceux qui font confiance à son nom ne sont plus nés du sang, ni de la volonté charnelle ou virile, mais de Dieu » (1, 12-1).

Qui est né de Dieu, est « né là-haut », il se sait aimé de Dieu, il se sait bienvenu, accepté sans conditions. « La parole a pris chair, parmi nous elle a planté sa tente » (1, 14). C'est là le cœur du message de Jean.

Ce qui s'est alors passé a transformé le monde à jamais; depuis lors, Dieu veut s'incarner, prendre chair en chacun de nous.

C'est la foi qui fait de nous des voyants; elle consiste à voir Dieu dans l'homme Jésus. En Jésus, Dieu se penche vers les hommes avec douceur et tendresse. En même temps, nous faisons en Jésus l'expérience de la fidélité de Dieu, en qui nous pouvons avoir confiance.

En Jésus, le voile qui enténèbre et dissimule l'essence de notre humanité s'écarte; en lui nous reconnaissons ce que nous sommes vraiment, notre origine première; en lui nous reconnaissons Dieu, fondement premier et ultime de tout ce qui est et donc de notre existence humaine. « Dieu personne ne l'a jamais vu, mais le Fils unique, Dieu, appuyé contre le cœur du Père, l'a raconté » (1, 18). En Jésus, nous sommes admis dans l'intimité du Père et reposons pour ainsi dire sur son cœur.

Le Témoignage des premiers disciples (1, 35-5)

Ces disciples symbolisent les chrétiens que nous sommes. Les disciples vivent des expériences que nous devons vivre nous-mêmes, au fil de notre évolution spirituelle. Ces disciples sont toujours conduits vers Jésus par des médiateurs. Nous aussi, pour accéder au Christ, nous avons besoin des autres, « chercher et trouver, venir et voir ».

Il s'agit de chercher Jésus, en suivant les traces de notre désir profond, à l'affût de ce qui peut toucher notre cœur. Si nous cherchons, nous trouverons; mais il nous faut atteindre Jésus pour voir qui il est en vérité. Cette vision culmine dans le verset 1, 51 : « Vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre tout au-dessus du Fils de l'homme ». Nous reconnaissons en lui le lien entre le ciel et la terre, entre Dieu et les hommes.

Etre disciple implique d'expérimenter par soi-même en compagnie de Jésus : « Venez, vous verrez » (1, 39), regarder Jésus et voir en lui Dieu lui-même.

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« C'était environ la dixième heure ». Dix est le nombre de l'achèvement, de l'Incarnation, de la complétude atteinte, de la prophétie réalisée, c'est le nombre parfait. Devenir disciple signifie devenir un être humain complet, être initié au mystère de l'hominisation et de l'aspiration si profondément humaine à l'achèvement et au salut, enfin réalisée. Si je demeure où demeure Jésus, mon humanité s'accomplit, j'accède à la complétude et au salut, je parviens au but.

Les Noces de Cana (2, 1)

Le vin vient à manquer: Ils n'ont plus l'amour. Ce qui importe avant tout à Jean, ce n'est pas la rédemption du péché, c'est la délivrance de cette incapacité d'aimer. C'est Marie qui provoque le miracle de la transformation. Elle est la porte par où passe Jésus pour aller vers les hommes.

Les marchands chassés du Temple (2, 13)

Les synoptiques situent cette scène peu avant la Passion. Si Jean place son récit au début de l'action de Jésus c'est pour nous donner une clé de compréhension de tout ce qui va suivre.

Dans la purification du Temple, Jésus donne un signe lumineux montrant ce qu'est la vraie Pâque. La fête de Pâque évoque déjà la mort de Jésus: alors sera sacrifié le véritable agneau pascal. Par la mort de Jésus, c'est le temple du corps humain qui est purifié. Par son amour, notre corps est rétabli dans son état originel et nous redevenons vraiment les temples de Dieu. Jésus nous purifie de tout ce qui s'était installé en nous : la faute, l'animalité, l'avidité, la manie de nous comparer aux autres. Etre un marché ou un Temple de Dieu: telle est l'alternative.

L'histoire de la purification du Temple est une image qui guérit, quand je l'accueille en moi, j'expérimente le salut venu par Jésus Christ.

L'entretien avec Nicodème (3, 1-1)

Nicodème va voir Jésus la nuit. La nuit représente ici les ténèbres intérieures, l'occultation du sens. Jésus lui dit; « eh bien oui, il faut être né là-haut pour voir le Royaume de Dieu » (3, 3).

Il ne s'agit pas là seulement de la double origine de l'homme né tout à la fois de la terre et de Dieu, mais aussi de l'évocation de la renaissance. C'est une image du cheminement intérieur qui mène l'être humain vers sa véritable identité, le Soi. Le moi en tant que faux centre de la personnalité est remplacé par un centre nouveau, le vrai.

« Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'esprit est Esprit » (3, 6). C'est l'origine de l'homme qui importe pour Jean. La renaissance est l'éveil spirituel à la vraie réalité. Renaître, ce n'est pas devenir moralement meilleur, c'est entrer en contact avec cette véritable origine. La véritable nature de l'homme, c'est d'être né de Dieu. Tout homme est une créature de Dieu. Celui qui est né d'en haut, de l'esprit, se conçoit lui-même comme

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ayant son fondement ultime en Dieu même.

« Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix sans savoir d'où il vient ni où il va. Ainsi va tout homme né du Souffle » (3, 8). La renaissance est aussi incompréhensible que le vent, insaisissable et non maîtrisable et se manifestant pourtant à ses effets. Qui est né de Dieu se comporte autrement, de lui émane un autre rayonnement; il est libre, il est vivant, traversé par un torrent de vie.

Ma véritable origine, c'est le ciel. Mon centre est de nature spirituelle. Ce qui règne en moi, ce n'est plus l'ego centré sur lui-même, c'est le vrai Soi, dans lequel s'est empreinte l'image de Dieu et qui se soustrait à toute connaissance humaine.

Le Ministère de Jésus (3, 14-21)

A partir de la mort de Jésus, Jean développe une théologie de notre délivrance par le Christ. Il interprète l'élévation de Jésus sur la Croix par référence à l'histoire du serpent d'airain (Nb 21, 1-9). Qui regarde Jésus crucifié est guéri de ses blessures. Pour Jean, Jésus est le médecin divin ainsi suspendu, blessé. Les grecs considéraient que seul le médecin blessé a le pouvoir de guérir.

Selon Jean, la rédemption consiste avant tout dans la guérison de nos blessures et la métamorphose de la mort. Qui voit Jésus en Croix voit la vérité en face et possède la vie éternelle (3, 15). « Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son fils unique, afin que tous ceux qui s'en remettent à lui ne meurent pas et vivent la vie sans fin » (3, 16). Ce verset dévoile le fondement de l'Incarnation et de la Passion: l'amour de Dieu pour le monde.

Jésus ne vient pas pour juger le monde mais pour le sauver. La foi en Jésus c'est déjà le salut. La vraie vie est à notre portée en Jésus. Qui ne croit pas en Jésus n'a pas compris ce qu'elle est.

« Celui qui soutient la vérité tend vers la lumière et ses actions se voient, car Dieu en est le maître d'œuvre » (3, 21). Soutenir la vérité, c'est progresser vers le réel dans sa vérité, et vivre en conséquence.

L'entretien avec la samaritaine près du puits de Jacob (4, 1-26)

Si nous accueillons Jésus, il devient pour nous cette eau qui rafraîchit et guérit. Il nous met en contact avec notre source intérieure, dont trop souvent nous sommes coupés.

Après la soif de vie vient l'aspiration à l'amour : « Va d'abord chercher ton homme et reviens » (4, 16), « Tu as raison de dire que tu n'as pas d'homme, tu en as eu cinq et celui avec qui tu es en ce moment n'est pas ton homme, tu ne mens pas » (4, 17-18). Ces 6 hommes sont l'image d'une relation imparfaite entre l'homme et la femme. Ils figurent la soif de vie inapaisée de cette femme et l'illusion de voir une aspiration infinie comblée par des êtres finis. Les 6 hommes en appellent un 7ème : Jésus, qui nous a donné son cœur et l'a laissé transpercer pour nous. De ce cœur transpercé son amour coule en nous, c'est sur la Croix que se manifeste l'accomplissement de l'amour.

« Je vois que tu es un prophète, Seigneur... Nos pères ont adoré sur cette montagne. Vous autres, vous dites que c'est à Jérusalem qu'il faut adorer » (4, 20). L'heure vient, dit Jésus où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. Il faut que l'homme renaisse de l'esprit et qu'il présente à Dieu la vérité de son être.

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La guérison de l'infirme (5, 1-9)

Jean ne rapporte que 3 cas de guérison :celui du fils d'un fonctionnaire royal (4, 43-54)celui du paralytique (5, 1-18)celui d'un aveugle né (9, 1-12)

Aveugles, paralytiques, infirmes, autant de symboles de notre situation psychique. Aveugles, nos yeux sont fermés à la vérité. Nous sommes paralysés par l'angoisse. Nos blessures bloquent notre âme dans son évolution.

Jésus demande au paralytique au bord de la piscine de Bétheseda : « Veux-tu guérir ? » (5-6). Il invite ce malade à affronter la vie : « Lève-toi, prends ta paillasse et marche » (5, 8). Jésus lui donne la confiance nécessaire. Encouragé, il essaie et réussit.

Jésus, guérit par sa parole qui met le paralytique en contact avec la source intérieure qui peut jaillir en lui, la source du St. Esprit. Jean est convaincu que la vraie cause de la maladie est d'être coupé du flot de cette source, que la vraie guérison survient quand le malade a de nouveau part à la vie divine.

Chaque eucharistie manifeste le pouvoir de guérison et de régénération que Dieu exerce sur l'homme. Sa seule Parole éveille en l'homme la vie par le contact avec la source intérieure.

Le discours de Capharnaüm (Le pain de l'Eucharistie) (6, 22-59)

Jésus n'a pas relaté l'institution de l'Eucharistie à l'occasion de la Sainte Cène. A la place, il nous rapporte le discours sur le pain après 2 nouveaux « signes » donnés par Jésus : la multiplication des pains et la marche sur la mer. Jésus attire l'attention sur ce qui est le centre de l'Eucharistie : la rencontre personnelle avec Jésus, le Christ, et à partir d'elle, la rencontre entre les hommes dans l'amour.

Dans ce discours, il s'agit de Jésus-Christ en tant que véritable pain descendu du ciel. La consommation de ce pain ne s'accomplit pas dans la seule Eucharistie, mais aussi dans la foi et la relation intérieure avec la personne de Jésus. Jean veut montrer qu'il existe un rapport étroit entre le sacrement et la foi : « Je suis le pain qui fait vivre. Qui me rejoint n'aura plus jamais faim; qui s'en remet à moi n'aura plus soif » (6, 35).

La relation personnelle avec Jésus nous conforte dans cette traversée du désert qu'est notre vie : « Me faire confiance, c'est vivre sans fin » (6, 47), « Je suis le pain vivant, celui qui vient du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il reste en vie » (6, 51).

« Le pain que je donnerai pour que vive le monde, c'est ma chair » Jésus affirme ici qu'il va donner sa vie terrestre, se donner lui-même, pour la vie du monde, pour que nous ayons la vie éternelle. Jésus est le vrai Agneau pascal dont le sacrifice nous donne la vie.

« Car ma chair est une vraie nourriture et mon sang une vraie boisson, qui absorbe ma chair et boit mon sang habite en moi et moi en lui » (6, 55-56). L'Eucharistie exprime concrètement la foi en Jésus, pain de vie. La mastication renvoie toujours à la méditation, la rumination intérieure de la Parole de Dieu. Avec ce pain nous mangeons l'amour de Dieu, devenu homme, pour en être pénétrés et transformés. Jésus est en moi et je suis en lui. Telle est la vie éternelle, divine, tel est l'amour divin qui nous transforme. Ignace d'Antioche appelle l'Eucharistie, la médication d'immortalité.

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Là où les synoptiques parlent de l'institution de l'Eucharistie, Jean, lui, relate le lavement des pieds (13) : celui-ci est donc une image de l'Eucharistie. Le lavement des pieds n'est pas seulement une purification, mais aussi la guérison des blessures. L'expérience qu'il nous est donné de faire dans l'Eucharistie, c'est que, purifiés, nous sommes acceptés tout entier.

Le déjeuner du Ressuscité avec ses disciples, au bord du lac de Tibériade (21, 9-13)

est la dernière scène que Jean consacre à l'Eucharistie. Jésus ne donne pas seulement du pain, mais aussi du poisson. Le poisson, c'est l'aliment de l'immortalité que nous tend Jésus, celui qui nous donne part à la vie divine, impérissable, incorruptible, du Ressuscité.

Jésus et la femme adultère (8, 1-11

Jésus prend ici le parti de la femme comme égale de l'homme en dignité. Jésus ne se laisse pas prendre au piège; il agit avec la souveraineté et la liberté intérieure qui lui sont propres. Il se baisse et écrit du doigt sur le sol. Il se recentre sur son Soi, ce qui lui permet de réagir de manière originale à une situation quasiment inextricable.

« Que celui qui n'a jamais commis de faute jette sur elle la première pierre » (8, 7) Une phrase empreinte de souveraineté, où parlent sa sagesse, sa douceur et sa miséricorde : « Moi non plus, je ne condamne pas. Va, ne sois plus infidèle désormais » (8, 11). Il ne l'excuse pas, il lui pardonne et lui fait confiance pour qu'elle mène une vie plus conforme à sa dignité, entrevue jusque dans son péché.

La vérité qui libère (8, 30-36)

Selon Jean, le péché ne consiste pas à enfreindre des commandements, mais à se fermer face à Jésus. C'est la foi qui décide de tout; croire signifie passer de ce monde dans l'autre, traverser la surface, l'apparence, et voir la réalité.

La foi n'est pas ce que l'on possède, mais ce qui advient. Il ne s'agit pas de savoir si j'ai la foi, mais si je recommence sans cesse à croire, à voir en Jésus celui qui m'introduit au monde de Dieu.

Celui qui croit est passé des ténèbres à la lumière et porte en lui, dans la foi, la vie éternelle; c'est seulement alors qu'il commence à vivre en vérité. Qui demeure en la Parole de Jésus connaît la vérité, en contact avec elle, il est dans la vérité « et la vérité vous rendra libres » (8, 32). La vérité nous renvoie à la vraie réalité, celle de Dieu. La vérité fait don à l'homme de la lumière sur lui-même; dans la vérité, il se connaît tel qu'il est, et cela signifie qu'il est libre. Libéré du monde des apparences, des illusions, de son passé, de son moi égotique. Jésus est celui qui ouvre les yeux de l'être humain à la vraie réalité, celle de Dieu, et le dégage donc de la réalité extérieure en le mettant en contact avec son vrai Soi, lequel est libre. Nous sommes simplifiés, tout simplement, présents à l'instant, reposant au sein de l'être dans sa pureté, qui est la vérité et la liberté.

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La guérison d'un aveugle-né (9, 1-12)

Nous sommes des aveugles nés qui nous refusons à voir la réalité telle qu'elle est. Jésus est la vraie lumière qui vient en ce monde, apporte la clarté dans notre existence, ouvre nos yeux à la vraie réalité : « Rabbi, à qui la faute s'il est né aveugle, à lui ou à ses parents » (9, 2), « Ni à lui ni à ses parents, c'est pour que l'action de Dieu se manifeste à travers lui » (9, 3).

La question de la faute est accessoire; ce qui est décisif, c'est qu'à travers cet aveugle, Dieu se manifeste : « Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde » (9, 5). Cela dit Jésus met de la boue sur les yeux de l'aveugle et lui dit d'aller se laver à la piscine de Siloé (nom qui signifie : envoyé), (9, 6-7). Pour voir, l'aveugle doit aller à Jésus, avec toute sa crasse, et s'en laver dans son amour.

L'usage est de lire cet Evangile à l'occasion des baptêmes. L'Eglise primitive appelait le baptême « phôtismes » : illumination, car il nous conduit dans la lumière.

Le Bon Pasteur (10, 1-18)

Jésus s'identifie d'abord avec la porte, puis avec le berger. Tout ce discours s'articule sur l'affirmation 4 fois énoncée : « Je suis », « Je suis la porte », la porte des brebis. La porte, symbole du passage d'un plan à un autre, de la terre au ciel. Jésus est la porte qui nous permet d'accéder à notre cœur, qui nous met en contact avec notre être profond, notre centre. Après avoir dit par 2 fois « Je suis la porte » Jésus dit encore 2 fois « Je suis le bon berger », « le bon berger se dépouille corps et âme pour ses brebis » (10, 11)

Par cette image du bon berger, Jésus évoque sa mort: il ne meurt pas en expiation de nos péchés, mais en signifiant qu'il est là pour nous, ses brebis, afin de nous protéger contre les loups, contre les dangers de l'existence.

Jean ne dit pas que Jésus sacrifie sa vie, mais qu'il la met en jeu pour les siens. Le véritable motif de la mort de Jésus est son amour pour les hommes. Dans son discours d'adieu il dira: « Il n'est pas d'amour plus grand que celui-ci: quitter la vie pour ceux qu'on aime » (15, 1). S'il peut donner sa vie pour ceux qu'il aime, c'est qu'il se sait aimé par le Père, jusque dans sa mort.

Jean ne voit pas dans la mort de Jésus un acte expiatoire; la notion de faute n'apparait même pas ici. Jean ne sépare jamais la mort de la résurrection, toutes deux expression de l'amour infini et inconditionnel de Dieu pour les hommes et de celui de Jésus pour les siens, fondé sur l'amour que le Père a pour lui : « Voilà pourquoi je suis aimé de mon Père, parce que je donne ma vie, et qu'après je la reprends » (10, 17).

Dieu nous appelle à devenir, à notre tour pour d'autres, la porte et le bon berger. Mais un tel amour n'est possible que si j'ai d'abord su prendre l'amour que mes parents m'ont donné et que Jésus fait ruisseler en moi. Nous avons besoin d'un équilibre sain entre donner et prendre.

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La Résurrection de Lazare (11, 1-44)

Septième et dernier « signe » accompli par Jésus. Il s'y montre maître de la vie et de la mort. Cette histoire fait apparaître que le chrétien est d'ores et déjà ressuscité ; là où agit Jésus, la mort perd son pouvoir sur nous. Le but de Jésus est de nous conduire de la mort vers la vie. « C'est moi la résurrection et la vie. Qui s'en remet à moi vivra, même s'il meurt, tout être vivant qui s'en remet à moi ne meurt plus » (11, 25-26).

Bien sûr, notre corps matériel mourra, mais la vie dont nous avons fait l'expérience en Christ ne peut pas être anéantie. Pour Jean, la résurrection n'a pas lieu seulement après la mort; elle est, ici déjà, une toute nouvelle façon d'exister.

La résurrection de Lazare est un signe de la gloire de Dieu, ainsi que de ce qu'il accomplit en nous. Jésus est d'ores et déjà pour nous la résurrection et la vie; pour qui croit en Jésus, la vie et la mort telles que nous les connaissons n'ont plus tant d'importance. Déjà ici-bas nous vivons au-delà du seuil d'une autre réalité, impérissable.

L'onction de Béthanie (12, 1-8), 6 jours avant la Pâque

Marie oint les pieds de Jésus « et la maison entière embaumait » (12, 3). L'amour de Dieu, qui s'accomplit dans la mort de Jésus, répand un agréable parfum, toute la maison, toute l'Eglise, le monde entier en sont remplis et transformés.

Selon les Pères de l'Eglise, cette scène fait apparaître que depuis la mort et la résurrection de Jésus, le parfum de la connaissance (gnose) emplit le monde. Par ces images Jean nous suggère que la réalité divine est perçue par tous les sens: on peut la voir, l'entendre, la toucher, la goûter et la sentir. La trace de Dieu dans l'âme humaine, c'est ce parfum, ce goût nouveau de la vie, cette joie.

Judas, lui, ne comprend pas la prodigalité de Marie, voyant tout sous l'angle de la rationalité. L'image de l'onction révèle que l'amour qui s'accomplit dans la Passion et la Résurrection échappe à tout calcul; il est prodigue, déraisonnable, incompréhensible pour l'homme froidement rationnel, accessible à celui-là seul qui sait aimer.

Le dernier discours public de JésusL'annonce de sa glorification par sa mort (12, 20-36)

« L'heure est venue où le Fils de l'homme doit resplendir » (12, 23). Le message caractéristique de Jean, c'est que la gloire de Jésus apparaît précisément sur la croix, visible par tous. Le point culminant de la Révélation, c'est la croix, où sa gloire apparaît au monde entier.

« Le grain de blé tombé en terre, s'il ne meurt pas reste tout seul, mais s'il meurt, il donne beaucoup d'épis » (12, 24). Le chemin qui nous mène à notre humanité, nous ne pouvons y accéder que si nous sommes prêts à mourir, à nous déprendre de nous-mêmes; Notre vie ne devient féconde que si nous cessons de nous y cramponner.

« Qui aime sa vie la perdra mais qui ne l'aime pas en ce monde ci la garde pour la vie à venir » (12, 25 ), « Ma gorge se serre à présent. Que dire ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais non ! C'est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci. Père glorifie ton nom ! ».

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Quand se met à luire au plus fort de ma peur la confiance, dans l'amertume l'amour, dans le désespoir l'espérance, Dieu illumine ce monde. « Alors, du ciel, une voix est venue: Il resplendit déjà et je le ferai encore resplendir » (12, 28).

« Dès à présent le Prince de de monde est expulsé » (12, 31). Toutes les puissances de ce monde sont désarmées: l'argent, le sexe, la course au pouvoir et au prestige, surgit un autre monde, où les hommes peuvent vivre ensemble une vie vraiment humaine. « Quand j'aurai été hissé, je tirerai tous les hommes jusqu'à moi » (12, 32).

De l'amour qui se révèle dans cette mort, nul n'est exclu. Sur la croix, Jésus rassemble les brebis éparses d'Israël, mais aussi tous ceux qui, disséminés à travers le monde, ont soif d'unité de salut et de complétude.

« La lumière est avec vous pour peu de temps encore. Marchez tant que vous avez a lumière afin que la nuit ne s'empare pas de vous. Celui qui marche dans le noir ne sait pas où il va. Tant que vous avez la lumière, faites confiance à la lumière et devenez ses enfants »(12, 35-36). Jésus est mort pour faire de nous des enfants de la lumière.

Le lavement des pieds (13, 1-15)

Il est comme un porche ouvrant sur le récit de la Passion et de l'amour accompli. Jésus sait « l'heure venue de passer de ce monde à son Père » (13, 1). C'est une image de notre existence chrétienne: en Jésus, nous passons nous aussi déjà dans la sphère divine. Nous sommes encore dans le monde mais en lui nous participons déjà de l'autre, de la gloire vers laquelle Jésus s'en est allé sur la croix. Croire, pour Jean, revient à effectuer nous aussi déjà ce passage; seule notre appartenance à la sphère divine fait de nous de vrais vivants, libres, éveillés, réveillés, capables de voir et d'aimer. Jean récapitule toute l'action de Jésus en une seule phrase : « Jésus aima les siens qui étaient de ce monde, et il les aima jusqu'à l'extrême » (13, 1).

L'amour divin de Jésus se donne sans condition et va jusqu'à l'ultime accomplissement dans la mort, voilà ce que Jean nous révèle par le lavement des pieds et la Passion. Par sa mort, Jésus nous initie au mystère de son amour total divin. L'amour divin nous purifie et nous guérit en nous libérant de l'attachement au monde.

« Si votre Seigneur, votre Maître, vous lave les pieds, c'est que vous aussi devez-vous laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai montré l'exemple pour qu'à votre tour vous le fassiez » (13, 13-15).

Mais laver les pieds signifie davantage encore que nous mettre au service les uns des autres; comme Jésus, nous devons nous pencher avec amour vers nos frères et nos sœurs pour les toucher et les purifier là où ils sont souillés et ne peuvent s'accepter eux-mêmes. Qui se sent aimé inconditionnellement se sent déjà pur, ses sentiments de culpabilité, de dévalorisation et de mépris de lui-même cessent de le déchirer.

Les adieux de Jésus (14, 1-14)

Ils sont à l'image de notre vie, ce passage permanent. Jésus nous accompagne dans ces changements de lieu. C'est par l'Esprit que Jésus reste avec les siens. L'Esprit est la présence du Glorifié auprès de ceux qui, dans la foi, sont introduits au Royaume.

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Le message essentiel des discours d'adieu est l'invitation à croire. Le passage vers le Père n'est possible que dans la foi. La foi nous donne une ferme assurance, la quiétude intérieure et la solidité d'un cœur qui connaît Dieu et se fonde en lui.

Dans les versets 14, 1-4, Jésus évoque les nombreuses demeures de la maison de son Père. « Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie; personne ne va vers le Père sans passer par moi » (14, 5-6).

Regardant Jésus, écoutant sa Parole nous sommes en route vers Dieu. La foi est un chemin, un mouvement, une dynamique intérieure tournée vers Dieu et qui nous maintient en vie.

Jésus est lui-même la vie, il fait surgir la possibilité d'une vie authentique reliant le ciel et la terre. Il est la vérité comme l'évidente réalité de Dieu. En lui est retiré le voile qui nous dissimulait Dieu et sa lumière. Qui suit le chemin qu'est Jésus ne possède pas la vérité, il vit de la vérité, il vit vraiment; en contact avec le réel auquel il s'est éveillé, avec le mondetel qu'il est. Dans le visage de Jésus, il contemple la gloire de Dieu et est invité à le présenter aux autres. Jésus affirme qu'en lui le Père se révèle dans toute sa vérité, mais cela n'exclut pas d'autres voies de salut, qui le préfigurent. Jésus ne nous donne pas d'arguments pour que nous nous placions au-dessus des autres.

Jésus console ses disciples (14, 15-23)

Jean ne parle pas seulement de l'amour de Jésus pur nous, mais aussi du nôtre pour lui. Etre chrétien, c'est établir une relation personnelle avec Jésus: thème typiquement johannique, que ne connaissent ni les synoptiques ni Paul.

Cette relation consiste à observer ses commandements et ses paroles, à entrer par la médiation dans son esprit pour devenir capables d'amour. Aimer Jésus, c'est vivre en plein éveil, marcher dans la lumière et donc vivre selon le commandement : « Aimez-vous les uns les autres ». Il s'agit d'un long cheminement; il nous faut prendre conscience de notre égocentrisme invétéré, lui ôter son pouvoir et atteindre en nous ce centre d'où l'amour peut couler. La Parole et l'exemple de Jésus ne nous transformeront pas seulement nous-mêmes, ils agiront aussi sur la société.

Pour que nous soyons en relation avec lui, il nous envoie son Esprit, le Paraclet, qui signifie le conseiller, l'intercesseur, le défenseur en justice. C'est l'esprit de vérité, qui écarte le voile et nous ouvre les yeux; il nous assiste sur la voie de l'éveil, perpétue la présence de Jésus parmi nous, nous rend capable de l'aimer; c'est là le plus grand mystère de l'Eglise : « Si quelqu'un m'aime, il observera mes paroles, il sera aimé de mon Père et nous irons habiter en lui » (14, 23).

Demeurant dans la gloire auprès de son Père, Jésus a établi aussi en nous, par l'Esprit, une demeure indestructible. Il demeure dans nos cœurs. En nous quittant, Jésus approfondit la communion où nous pouvons être avec lui, il fait partie de notre être même, au plus profond. Il vit, il est là, et sa résurrection nous fait déjà participer à cette vie divine que le monde ne voit ni ne comprend. Le cœur même du christianisme, pour Jean, c'est l'étonnant miracle de la Venue de Dieu chez les hommes. Si les discours d'adieu sont centrés sur ce thème, c'est afin que le lecteur puisse sentir toujours plus que Dieu est en lui et qu'il est en Dieu. Nous pouvons alors accéder à notre vérité, à notre soi, y être chez nous.

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La Parabole de la vigne véritable (15, 1-17)

Jésus explique comment la présence de Dieu en l'homme le transforme et féconde corps et âme. Dans l'Ancien Testament, la vigne représente le peuple d'Israël. Jésus, qui se nomme lui-même la vigne véritable, est la vérité de ce peuple; en lui se réalise la Promesse : Dieu vit au milieu du peuple qui accomplit les commandements et porte des fruits.

Les grecs ainsi aimaient cette image de la vigne: Dionysos est le dieu du vin et de l'extase, le vin est son sang. Sans extase, l'être humain dépérit, confiné dans la coquille de son égo.

Jean nous enseigne la voie chrétienne vers l'extase, la sortie de nous-même: par l'union avec le Christ, nous faisons exploser les limites étroites du moi et entrons en contact avec la créativité illimitée de notre Centre. Le Christ est le véritable Dionysos qui nous libère d'une religion de la Loi et nous mène vers une « éthique de la créativité », selon l'expression de Berdiaev.

Dès le début du IIIème siècle, Origène avait déjà interprété en ce sens l'image de la vigne; la Parole de Jésus est comme un vin qui « éveille en nous le sentiment d'être inspirés et nous emplit d'une ivresse non pas déraisonnable mais divine » ; la spéculation mystique « réjouit le cœur et provoque chez qui la reçoit l'enthousiasme et la joie dans le Seigneur » (Origène, 33).

La source de la vraie vie, c'est moi, dit Jésus, qui demeure en moi porte de vrais fruits, sa vie a un sens.

Trois thèmes s'entremêlent: demeurer « dans la vigne », porter des fruits, émonder la vigne. Nous devons demeurer en Jésus pour qu'il demeure en nous et nous féconde. Le vrai fruit c'est l'amour qui rayonne à travers nos paroles. L'amour porte du fruit si nous sommes en contact avec notre Centre, si le Christ est devenu ce centre, notre Soi : « Habitez mon amour » (15, 9)

Ce que dit Jésus de la joie parfaite qu'il nous dispense, émane d'une expérience intérieure. Cette joie, c'est la réponse à l'amour inconditionnel de Jésus; elle dilate notre âme en éveillant son potentiel vital. Jésus appelle ses disciples « amis » : « Il n'est pas d'amour plus grand que celui-ci: quitter la vie pour ceux qu'on aime » (15, 13). Cette amitié est un pur don; par elle, l'amour coule en nous comme d'une source. Elle nous montre notre dignité. Nous sommes initiés à tous les mystères de cet ami divin. Nous ne devons pas, en raison de nos péchés, nous sentir coupables de sa mort; elle nous rend plus proche encore et scelle à tout jamais notre amitié, tout en nous montrant quelle importance nous avons pour lui.

La prière de Jésus (en tant que grand-prêtre) (17, 1-5 et 20-26)

Jésus, prenant congé de ses disciples, récapitule toute son action en une prière qui constitue la réplique du prologue. Depuis David Chytreus (1531-1600) on considère que Jésus prononce cette prière en qualité de grand prêtre. Jésus y apparaît comme l'intercesseur qui parle pour les siens. Il indique une fois encore le sens qu'ont eu par lui tous ses actes: faire éclater en ce monde la gloire de Dieu, par son amour pleinement accompli sur la croix.Il désire aussi nous donner part dès maintenant à la vie éternelle.

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Dans cette prière si personnelle, la vie que Jésus nous propose apparaît comme une relation d'intimité avec le Père et le Fils, nous sommes impliqués dans leur amour réciproque. Tel est le point culminant du message.

Jésus se réjouit visiblement que soit venue cette heure vers laquelle l'Evangile de Jean tout entier est orienté: celle où, sur la croix, il est glorifié par Dieu et fait apparaître dans sa plénitude l'éclat de la lumière divine. Il a assumé jusqu'au bout la mission de l'amour; il ne s'est pas placé lui-même au centre, mais a révélé le Père : « Vivre toujours c'est te connaître, toi, seul Dieu véritable, ainsi que ton envoyé, Jésus-Christ » (17, 3).

La vie éternelle est la découverte du vrai Dieu. En révélant le Père, Jésus accomplit une œuvre salutaire qui guérit notre âme et nous donne la vraie vie. Dieu n'est présent que là où il y a de la vie, nous ne rencontrons le Dieu Jésus que quand nous nous sentons vivants; si nous n'éprouvons qu'angoisse, étouffement, nous en sommes restés aux projections que nous nous sommes faites de Dieu. L'œuvre de Jésus tout au long de sa vie a consisté à glorifier Dieu; en cet instant, il désire ardemment que Dieu le glorifie à son tour et le reprenne en la gloire qu'il avait auprès de lui « avant que le monde fût » (17, 5).

Concluant sa prière, Jésus prie non seulement pour la communauté de ses disciples mais aussi pour la communauté ecclésiale de tous les temps, dont l'unité lui tient à cœur. Si cette unité revêt tant d'importance pour Jésus, c'est parce qu'en elle se reflète la gloire de Dieu et se manifeste son amour. Par sa mort, il prie instamment tous les chrétiens de renoncer à leurs visées de pouvoir, à s'unifier dans son amour et à glorifier ainsi Dieu. Pour Jean, toutefois, cette prière pour l'unité ne vise pas seulement l'Eglise mais aussi l'individu.

Dieu devenu chair, Jésus est l'image même de l'unité réalisée du ciel et de la terre, du divin et de l'humain, de la lumière et de l'ombre, de l'esprit et de la matière. Il nous montre le chemin de notre propre unité, qui doit être identique à celle du Père et du Fils. En descendant sur terre, Jésus a rassemblé et élevé dans l'unité avec Dieu tout ce qui était dispersé.

A nous, de même, de descendre avec amour dans les abîmes de notre âme pour élever jusqu'à Dieu tout ce qui s'y trouve d'obscur, de chaotique, de malade, de malsain. Si tout en nous est pénétré par la lumière et l'amour divin, alors la gloire de Dieu peut resplendir en nous dans l'unité avec lui.

Pour Jean, accéder à l'humanité revient à descendre comme Jésus, dans la poussière et la boue de cette terre et à en réaliser l'assomption. L'unité est le but de notre chemin vers le Soi, mais nous ne pouvons pas l'atteindre par nos seules forces, il faut que Dieu opère en nous cette unification. Qui est parvenu à s'unifier lui-même devient également capable de s'unir aux autres. L'unité n'est pas tout simplement donnée, elle doit faire l'objet de nos efforts incessants. Celle de l' Eglise ne résulte pas pour Jésus de ce qu'elle enseignerait la doctrine pure et n'admettrait qu'un seul point de vue, mais plutôt de ce qu'elle ne cesse de se référer à la Parole de Jésus, ouvrant ainsi les yeux sur sa réalité authentique, sur la gloire de Dieu manifestée dans la chair de ce monde.

Cette Parole enseigne à l'Eglise qu'elle est dans le monde mais qu'elle est en même temps déjà immergée dans le monde de Dieu, elle respire la liberté divine, une liberté que le chrétien doit sans cesse reconquérir en prenant ses distances par rapport à la haine et à l'aliénation pour se replonger dans la sphère de l'amour, de la paix et de la lumière.

« Que leur unité soit parfaite, ainsi le monde saura que tu m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé » (17, 23).

Jésus nous demande d'être accomplis dans l'unité. C'est dans cette unité des chrétiens que s'accomplit l'amour que Jésus nous a donné. Celui-ci ne s'accomplit en plénitude que s'il transforme les chrétiens et les rend apte à l'unité. Jésus ne conçoit pas la rédemption comme

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un sacrifice et une expiation, mais comme l'accomplissement d'un amour prometteur d'unité, de paix et de glorification.

En tant qu'il est méditation sur les paroles et l'action de Jésus, l'Evangile de Jean offre déjà une expérience de la rédemption; il renonce à tout appel moral, confiant en la puissance de cette Parole qui nous entraîne déjà hors de ce monde dans celui de Dieu, créant une nouvelle réalité. En la méditant nous nous sentons transformés, renouvelés, plongés dans l'amour de Dieu et soustraits à l'empire de la mort.

« Père, ceux que tu m'as donnés, je veux qu'ils soient là où je suis, et contemplent le glorieux éclat que tu m'as donné par amour avant la création du monde » (17, 24).

La mort signifie notre passage définitif dans la gloire de Dieu. En même temps, la mort de Jésus est pour nous, chrétiens, une invitation à comprendre la nôtre comme renoncement à nous-mêmes, abandon de nous-mêmes par amour pour nos amis.

La Passion (18-19)

La théologie johannique célèbre la croix comme le signe de la victoire et de la rédemption. Jean se tient au plus près de la vérité historique mais tout ce qui est rapporté recèle aussi un sens plus profond. Le visible renvoie à l'invisible, au mystère.

Le « C'est moi » (18, 6) aux soldats romains et gardes juifs venus pour le saisir, rappelle le « Je serai : je suis » (Ex 3, 14) du buisson ardent.

Les juifs représentent le monde qui se ferme à Jésus, tout comme aujourd'hui encore.Des gens qui, retranchés en eux-mêmes, refusent de se laisser insécuriser par Jésus.

Les juifs n'entrent pas dans le prétoire « pour ne pas commettre d'impureté et pouvoir manger la Pâque » (18, 29). Ces juifs-là s'en tiennent strictement à la lettre de la Loi et provoquent ainsi la mort de l'envoyé de Dieu. C'est l'accomplissement du devoir prescrit, la crispation sur la norme qui tue le Messie. Jésus se présente à Pilate comme le vrai roi, tout en ajoutant: « ma royauté n'est pas de ce monde » (18, 36).

Jésus dispose de lui-même dans une liberté absolue, le monde n'a pas de pouvoir sur lui. Ce que dit Jésus s'applique aussi à nous et c'est à mes yeux, le mystère de la rédemption, tel qu'il se révèle dans la mort de Jésus: chacun de nous est un roi, une reine, en vertu d'une dignité qui n'est pas de ce monde, et ce monde est sans pouvoir sur nous. « Tel est le paradoxe: c'est précisément dans la Passion que cette dignité devient visible, quand nous sommes faibles, accablés, condamnés, flagellés, blessés, offensés, rejetés, abandonnés, cloués à notre croix et transpercés. Il est en nous un espace où nul ne peut nous atteindre, ma dignité royale, nul ne peut me l'ôter, même si je ne suis pas extérieurement à la hauteur de la situation, si je faiblis et suis condamné et offensé.

Le véritable but du roi, c'est de porter témoignage en faveur de la vérité; or Jésus dévoile, précisément dans sa Passion, la vraie nature de ce monde. Jésus nous met en situation de décider si, comme Pilate, nous cédons au pouvoir et au mensonge, ou si nous adhérons à la vérité, à la liberté et à la royauté authentiques. Pilate cède à la pression des juifs et fait flageller Jésus. Jésus est l'Homme par excellence, parce qu'il vient de Dieu, tel que Dieu l'a pensé; même les pires blessures ne peuvent altérer son image.

Jésus porte lui-même sa croix : c'est lui qui agit. La tunique « sans couture, tissée d'une seule pièce à partir du haut » (19, 23) selon la tradition juive, Adam portait, comme Moïse, une tunique sans couture; le grand prêtre porte lui aussi un vêtement fait d'une seule pièce. Jésus est donc le vrai grand prêtre, le vrai Adam, l'Homme véritable. En lui

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s'accomplit la vraie Pâque, le passage de ce monde à celui de Dieu.Au pied de la croix se trouvent 4 femmes. Alors que les disciples sont absents, à

l'exception du préféré, les femmes affrontent l'épreuve et se solidarisent. Elles figurent le monde qui reçoit Jésus.

Elles pourraient aussi figurer symboliquement le fait que notre composante féminine, l'anima, est particulièrement accessible au mystère de Jésus, alors que notre part masculine reste souvent aveugle à la vérité profonde que Jésus nous a révélée.

Un homme pourtant est présent sous la croix : le disciple que Jésus aimait. Il a été tellement transformé par l'amour de Jésus qu'il assiste à l'accomplissement de cet amour. Il est témoin de l'élévation de Jésus, en lui, c'est Jésus lui-même qui est présent parmi les humains. Après la mort de Jésus il entreprendra de témoigner devant le monde entier.

La scène où Jésus établit un rapport de filiation entre ce disciple et sa mère doit être interprété dans sa portée symbolique. On peut voir dans cette scène la conciliation des opposés: l'homme est invité à s'orienter vers la femme et réciproquement. L'homme doit accueillir la femme dans sa demeure. La croix représente l'unité des opposés: Dieu et l'être humain, l'homme et la femme, les juifs et les chrétiens. Chez Jean, Marie n'apparait que 2 fois : au début à Cana, et à la fin, sous la croix. Elle est la mère de la transformation, dont elle déclenche le procès à Cana et atteste ici l'achèvement.

Marie, la Mère, est en même temps l'image de la nouvelle naissance de l'être humain opérée par Jésus. Chez Jean, les hommes débattent avec Jésus ; les scènes où il rencontre des femmes. La samaritaine ou Marthe et Marie. Sont des scènes d'amour.

En donnant pour fils à sa mère son disciple préféré, Jésus manifeste son amour pour toute l'humanité, dont ce disciple est alors la figure. Notre tâche est d'ouvrir notre cœur, notre être le plus profond, à l'amour dont Marie est l'image.

Du flanc de Jésus coulent du sang et de l'eau. Le sang symbolise l'amour et l'eau le St Esprit.

Du corps de Jésus, vrai Temple, jaillit la source de l'Esprit, à laquelle nous pouvons boire pour étancher notre soif de vie éternelle, comme la samaritaine. Il est aussi la 7ème jarre, d'où coule le sang de l'amour divin, le vin du salut. Par la mort de Jésus l'esprit de Dieu se répand sur le monde tout entier. Mais le cœur transpercé est aussi l'image de l'homme véritable: seul celui qui ouvre son cœur à Dieu réalise l'image que Dieu s'est faite de lui. C'est dans le cœur humain, dans l'amour humain que Dieu devient manifeste. Qui contemple Jésus est transformé. Le paradoxe de l'Evangile de Jean est que nous devons contempler ce flanc transpercé, que nous voyons l'amour de Dieu et le salut dans la blessure de Jésus.

Le St Esprit qui émane du cœur de Jésus soulève en nous compassion et miséricorde et nous incite à la prière. Il nous purifie de tout ce qui trouble et marque l'image originelle inaltérée que Dieu se fait de l'homme. L'esprit de Jésus remplit notre demeure intérieure, la sanctifie, lui donne accomplissement et santé.

Exégèse de la Résurrection (20)

Jean interprète à sa manière la Résurrection. Les 3 scènes qu'il lui consacre ne se retrouvent chez aucun autre évangéliste. La théologie johannique de la résurrection parachève l'histoire d'amour entre Dieu et l'humanité, préfigurée dans la rencontre de Jésus et Marie de Magdala, la grande amoureuse. « On a enlevé le Seigneur du Tombeau » signifie qu'on lui a enlevé dans la mort celui qu'elle aime. Qui reste constant dans son amour, comme Marie de Magdala, et se met en route pour chercher Jésus le trouvera.

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Le cœur de l'expérience de Pâques est dans la rencontre de Marie de Magdala et du Ressuscité. Jésus l'appelle par son nom. A travers son nom elle a entendu parler l'amour qui l'a éveillée à la vie et purifiée.

La voix de Jésus opère en elle une entière conversion. Elle peut maintenant répondre: « Rabbouni », « mon maître », signifiant par là non seulement la reconnaissance de ce qu'est Jésus, mais aussi ce qu'il est pour elle. Marie veut le toucher, l'étreindre; elle sent que l'amour qu'il avait pour elle persiste à jamais. « Ne me touche pas, car je n'ai pas encore rejoint mon Père » (20, 17). Le Ressuscité ne peut être saisi, compris de cette manière terrestre, il ne peut l'être que par l'intuition de la foi. Il échappe à notre prise et nous renvoie vers le Père, car son Ascension sera le fondement de notre communauté avec lui.

En intériorisant l'expérience de Pâques telle que la fait Marie, 1er témoin de la Résurrection, nous pouvons approfondir notre relation de confiance et d'amour avec Jésus, lui donner la dimension de l'éternité. En, même temps, cette scène nous montre que le monde de Dieu, bien qu'échappant à toute prise, se révèle dans l'expérience familière de la rencontre humaine. Dans tout amour qui nous enchante, nous pouvons apercevoir le mystère de la Résurrection. Le Ressuscité, lui, nous ne pouvons le saisir: il apparaît, lumineux, pour échapper aussitôt à notre compréhension.

Par la Résurrection, Jésus devient notre Maître personnel, nous appelant avec amour pour nous conduire à la vie, à l'éveil spirituel. Notre vrai centre apparaît, établi en Dieu. La Résurrection est victoire sur la peur et fin de notre enfermement, Jésus entre par les portes closes. Le « Mon Seigneur et mon Dieu » (20, 28) de Thomas est le signe que s'est établie une relation personnelle avec Jésus, ses yeux s'ouvrent, il est lui-même ressuscité à la vraie vie. En Thomas, c'est nous aussi que Jésus confirme.

« Tu crois parce que tu vois. Heureux ceux qui ont cru sans voir » (20, 25). La foi doit nous suffire pour croire. Seule la foi nous donne part à la réalité divine. Si nous lisons avec les yeux de la foi ce que Jean a écrit, nous avons part à la vraie vie, nous sommes nous aussi ressuscités.

L'expérience de la Résurrection dans la vie quotidienne (21, 15-25)

Après la Résurrection, Jésus se révèle une 3ème fois à ses disciples. Le sens de cette 3ème apparition est symbolique. L'être humain est transformé dans tous les domaines de son existence. La Résurrection, c'est l'achèvement de l'amour (Marie) et de la foi (Thomas) ; c'est aussi la transformation de la vie quotidienne, comme il ressort de la scène de la pêche matinale. Les disciples sont occupés à pêcher, mais ils ne prennent rien : déception, frustration. Jésus apparaît sur le rivage : « Vous n'avez pas quelque chose à manger, les enfants ? » (21, 5). Jésus leur montre comment réussir et ils ramènent 153 gros poissons. Le disciple préféré identifie l'inconnu : « C'est le Seigneur » (21, 7).

Le disciple qu'aimait Jésus est là pour ouvrir nos yeux afin que nous aussi, dans la nuit de l'échec et la banalité du quotidien, nous reconnaissions cette présence : il est là partout où nous sommes, et quand il est présent notre vie est un succès, nous entrons en contact avec notre Centre, où s'unifient toutes nos contradictions.

Ensuite Jean décrit le déjeuner auprès du feu de braise : « Ils savent qu'il est le Seigneur » (21, 12). C'est la situation de l'Eucharistie ; Jésus prend le pain et le leur donne ainsi que le poisson, pour les anciens, l'aliment de l'immortalité.

Pour Jean, la Résurrection n'est pas le résultat d'évènements miraculeux. C'est dans la simplicité du quotidien que le voile s'écarte et que les disciples atteignent à la réalité, à

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l'unité avec le fondement de tout être, le Dieu d'amour.

Notre réponse à l'évènement que fut et reste Jésus (21, 15-25)

L'Evangile de Jean s'achève sur la triple question de Jésus à Pierre : « Est-ce que tu m'aimes ? ». Elle s'adresse à nous aussi. La question de Jésus dégage l'essentiel, ce qui compte vraiment dans la vie, mais elle nous confronte d'abord, comme Pierre, à notre trahison. Pierre est l'image du chrétien qui passe sa vie aux côtés de Jésus, mais le renie par crainte des autres.

Jésus reconnaît l'amour jusque dans notre trahison, notre lâcheté, notre agressivité, nos enthousiasmes souvent superficiels. Pour nous, la Résurrection signifie que nous devons présenter au Christ toute notre vérité sans cesser de croire à la pureté de l'amour au plus profond de notre cœur.

Pour qui peut, comme Pierre, dire qu'il aime Jésus, la tournure que prendra sa vie n'a plus guère d'importance. Il n'a plus besoin de comparer sa destinée à celle des autres, il est prêt à le suivre à sa propre manière, sans regarder celle d'autrui. C'est ainsi que nous aussi nous ferons, en vivant, l'expérience de la croix. Nous étendrons nos mains, et un autre nous ceindra et nous mènera où nous ne voulons pas aller (21, 18). Dieu nous guidera sur le chemin qu'il nous a destiné; si nous aimons, nous suivrons ce chemin. Et de même que Pierre a glorifié Dieu par sa propre mort sur la croix (21, 15) de même notre but sera aussi de glorifier Dieu dans notre vie et notre mort. Pierre aimerait savoir quel sera l'avenir du disciple aimé de Jésus : « ce n'est pas ton affaire. Toi, suis-moi » (21, 22). Ce qui compte, c'est de suivre Jésus et de vivre son amour. Pour que ma vie soit réussie, il faut que je laisse mes yeux s'ouvrir au mystère de l'amour.

Le disciple bien-aimé pourrait représenter une autre modalité de la succession de Jésus. A Pierre l'activiste, Jésus a dit: « sois le berger de mes brebis », répand mon message.

Le disciple préféré, c'est celui qui est là, simplement, le Christ venant à lui par la voie mystique. Il ne transforme pas le monde par l'action, mais par son être, en restant ouvert au Christ qui vient à tout instant pour demeurer en lui. Un tel être ne fait rien, mais tout se fait.

Dans cette perspective, le disciple préféré représenterait le mystique qui vit tout entier dans l'instant, présent à la venue du Christ dans son âme.

Les paroles de Jésus, dans l'Evangile de Jean, ouvrent nos yeux sur la réalité profonde. Il ne s'agit pas de savoir, mais d'intuition, de voir en Jésus le révélateur qui ôte le voile posé sur toutes choses, et de ne plus faire qu'un avec la réalité, afin d'acquiescer à ce qu'elle a de miraculeux.

Selon Grégoire de Nysse, la dernière phrase de l'Evangile de Jean signifie que l'Esprit divin transcende toute compréhension humaine et qu'il ne peut donc être contenu dans aucun livre; le monde entier n'est pas à la mesure de la plénitude de l'enseignement du Christ.

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