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1 – REMARQUES GENERALES « Des devoirs nourris, argumentés et structurés présentant une démarche et une analyse scientifique » (rapport jury session 2013 et 2014). «Une dissertation est une démonstration logique, progressive, construite autour d’une problématique » *Quelques erreurs à éviter tant sur la forme que sur le fond : +Respect des conventions orthographiques et des règles de syntaxe +Ne pas utiliser le futur +Souligner les titres d’ouvrages ou expressions en langue étrangère +Ne pas employer des guillemets quand il ne s’agit pas d’une référence +Interdiction des points de suspension dans le devoir +Sauter une ligne que lors des changements de partie +Le retour à la ligne avec un alinéa annonce une nouvelle sous partie +Pas de remarques vagues et générales, ni d’approximations : une dissertation comporte des dates, des noms de lieux et de personnages, des références aux sources. +Les exemples doivent permettre d’étayer la démonstration, de l’enrichir, de la nuancer : ils doivent être clairs et bien maîtrisés. *Faire la démonstration de connaissances précises et maîtrisées Démarche scientifique : analyser, questionner de manière systématique en croisant les entrées tout en rendant une copie claire et ordonnée. Maîtriser les références historiographiques et connaître quelques ouvrages spécialisés afin de suivre la démarche et le questionnement d’un historien *Le 1 er temps de l’épreuve : un moment crucial +S’interroger sur les termes du sujet avant de les mettre en relation et intérêt du sujet +Bornage spatio-temporel du sujet

menrvablog.files.wordpress.com · Web viewPourtant, cette litanie des malheurs du temps se lit dans toutes les chroniques (Froissart) ainsi que dans les doléances adressées au roi

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1 – REMARQUES GENERALES

« Des devoirs nourris, argumentés et structurés présentant une démarche et une analyse scientifique » (rapport jury session 2013 et 2014).

«Une dissertation est une démonstration logique, progressive, construite autour d’une problématique »

*Quelques erreurs à éviter tant sur la forme que sur le fond   : +Respect des conventions orthographiques et des règles de syntaxe+Ne pas utiliser le futur+Souligner les titres d’ouvrages ou expressions en langue étrangère+Ne pas employer des guillemets quand il ne s’agit pas d’une référence+Interdiction des points de suspension dans le devoir+Sauter une ligne que lors des changements de partie+Le retour à la ligne avec un alinéa annonce une nouvelle sous partie+Pas de remarques vagues et générales, ni d’approximations : une dissertation

comporte des dates, des noms de lieux et de personnages, des références aux sources.+Les exemples doivent permettre d’étayer la démonstration, de l’enrichir, de la

nuancer : ils doivent être clairs et bien maîtrisés.

*Faire la démonstration de connaissances précises et maîtriséesDémarche scientifique : analyser, questionner de manière systématique en croisant les entrées tout en rendant une copie claire et ordonnée. Maîtriser les références historiographiques et connaître quelques ouvrages spécialisés afin de suivre la démarche et le questionnement d’un historien

*Le 1 er temps de l’épreuve   : un moment crucial +S’interroger sur les termes du sujet avant de les mettre en relation et intérêt du sujet+Bornage spatio-temporel du sujet+De ce bornage et de cette première définition, doit découler un questionnement plus

complet, une réflexion plus efficace.+Questionnement perception globale du sujet, entrée par des acteurs), démarches et

outils de l’historien (culture historique et historiographique)

*La conduite de l’argumentation, un critère de réussite majeur+Dissertation : réflexion informée et organisée non une simple description.+Sont évalués la nature et le traitement de l’information+Une démonstration dynamique s’appuyant sur des références historiographiques

intégrées dans le développement

*Pertinence de l’introductionL’introduction définit les termes du sujet, le délimite, propose une problématique, annonce clairement un plan1 – Ouverture qui doit conduire à un premier questionnement (à partir de l’itinéraire d’un personnage, d’une œuvre…).

Cette entrée concrète est un 1er axe de réflexion qui sera repris dans l’énonce de la problématique ce qui éveillera la curiosité du correcteur et son envie de lire la copie2 – Analyse des termes du sujet et des limites chronologiques et spatiales. Il convenait de lever l’ambiguïté routier/mercenaire, de souligner les 2 visages du routier et les deux phases chronologiques3 – Réflexion historiographique alimentant l’analyse et la problématisation du sujet sans anticiper sur le développement4 – Une introduction en dissertation médiévale donne lieu à une présentation des sources donnant accès aux connaissances5 – Formulation de la problématique, fil conducteur (pouvant être décomposée en plusieurs questions ou pas). Eviter phrases trop longues : elle doit être la colonne vertébrale du devoir

*Une conclusion soignée+Qui rappelle les points traités +Pour éviter sensation de répétition, rassemblement thématique quand le plan était

chronologique ou conclusion chronologique dans le cas inverse

2 - Grille de correction et critères d’évaluation en fonction des attentes du jury

Critère d’évaluation / DEVOIRS

1 2 3 4 5

Compréhension du sujet

Aspects formels (orthographe, syntaxe)Devoir structuré

- Pertinence de l’introduction et de la

conclusion

- Devoir articulé autour d’une problématique

- Cohérence de l’ensemble avec des transitions soignées

Maîtrise scientifique- Références

historiographiques

- Analyse et critique des sources

- Devoir argumenté nourri d’exemples concrets

- Culture médiévale et apport bibliographique avec des références autres que celles issues des manuels

3 – PROPOSITION DE CORRECTION

SUJET   : ROUTIERS ET CHATELAINS PILLARDS PENDANT LA GUERRE DE CENT ANS

PLAN   :

Intérêt du sujet   : politique, social et du point de vue des techniques militaires. Limites de l’action des routiers (ils n’avaient pas les moyens de s’emparer des villes)

1-Ouverture du sujet : une période d’insécurité et de difficultés à travers le regard d’un contemporain2-Limites du sujet et définitions

- La violence ordinaire en bande organisée- Contexte : le phénomène des routiers divisé en 2 périodes - Ambiguïté : routiers et mercenaires (transition avec l’historiographie)

3-Historiographie : de l’érudition locale à l’analyse conceptuelle et scientifique, l’apport des travaux de Ph. Contamine mais l’absence d’étude synthétique.4-Sources : une vision unilatérale et périphérique des événements. « Effet de source »5-Problématique6-Annonce du plan

Chapitre 1.Le brigandage en grand   : des Compagnies aux écorcheurs 1.1Les temps du désordre : deux temps, les mêmes facteurs. Du mercenariat localisé aux grandes troupes

mobiles1.2Les zones touchées selon les époques1.3Modes et limites de leur action : une prédation guerrière, violente mais « domestiquée »

Chapitre 2.Etre routier 2.1Devenir routier*Origines sociales et géographiques*Les circonstances : des profils multiples 2.2.Un jour routier, un jour soldat 2.3 Sociabilité*Des frères d’armes – Band of Brothers*Des pillards instrumentalisés, fidèles à leur allégeance *Quelques figures connues

Chapitre 3.Impacts et réactions 3.1 Stratégies de défense de la population   : des plaintes symboliques à l’édification de murailles Plaintes et protestation … symboliquesProtections et fortifications : l’édification de muraillesTuchins 3.2 L’intervention royale   : L’action armée (Languedoc sous Charles VI)Procès et rémission : la justice royale (Le procès d’Aymerigot Marchès)La restauration de l’ordre à la fin de la guerre de Cent ans

Proposition de correction introduction Recommandations et critères d’évaluation

1 – Annonce du sujet« Quand le duc Louis de Bourbon1 eut ses gens avec lui il en fut moult aisé. Il vit qu’il n’avait que trop séjourné et pour cela se prit un jour à dire au conte de Foix2. « Beau cousin, puisque mes gens me sont venus, je n’attendrai pas davantage sans rien faire et je voudrais bien m’employer, par votre bon conseil». Alors le comte Fébus dit « Monseigneur, quand vous partirez d’ici je vous conseille d’aller en Bordelais, en une ville appelée Brassempouy3, qui est une ville où il y a foison de vilains qui se gouvernent tous par eux-mêmes et je crois qu’ils ne pourront tenir contre vous. Et en vous allant par là, vous trouverez une maison forte qui est de Perrot le Béarnais, laquelle a bien coûté 15 000 francs, de l’argent qu’il a conquis à Chalucet4. Et il m’est avis que ce ne serait pas un grand mal si vous faisiez brûler cette maison. Et je vous dis en plus que en prenant la ville de Brassempouy, vous ferez une conquête au détriment du seigneur de Lescar, qui la tient du roi d’Angleterre ». Ainsi le duc de Bourbon quitta le comte Fébus, et avec sa compagnie s’en alla à la maison de Perrot le Béarnais, Anglais, qu’il fit brûler et détruire les jardins. À cette heure, Perrot fut appauvrit de tout ce qu’il avait accumulé, pillé et volé en son temps. Et de là le duc de Bourbon s’en alla avec sa compagnie devant Brassempouy. Il fit demander à ceux de la ville de se rendre, lesquels parlèrent moult orgueilleusement ; dirent qu’ils étaient de bons Anglais, et qu’ils mourraient bons Anglais. Adonc, le duc de Bourbon commanda l’assaut. Ses gens d’armes entrèrent de force, et quand ils furent dedans ils occirent moult ceux de la ville ou les firent prisonniers. Et ainsi la ville de Brassempouy prise, le duc de Bourbon la fit raser en raison de la male renommée qu’elle avait (Cabaret d’Orville, J., La chronique du bon duc Loys de Bourbon, éd. Chazaud, A.-M, Paris, 1876, p. 199-202 : Comment le duc de Bourbon alla guerroyer en « Bordelais » par l’avis du comte Phébus (1387).

2-Analyse des termes du sujet, limites chronologiques et contexte historiqueCabaret d’Orville, chroniqueur du duc Louis II de Bourbon, se fait écho de cette période de difficultés et d’insécurité que connaissait le royaume de France en cette fin du XIVe siècle. Les problèmes sociaux et politiques aboutirent à la guerre, dont l’enjeu fut la couronne de France, à laquelle prétendirent le roi d'Angleterre Édouard III (1327-1377) puis le roi de Navarre, Charles (1332-1387). En effet, la guerre de Cent ans, opposant le royaume de France à celui d’Angleterre et se prolongeant en Castille, en Flandre débuta en

L’introduction définit les termes du sujet, le délimite, propose une problématique, annonce clairement un plan1 – Ouverture qui doit conduire à un premier questionnement (à partir de l’itinéraire d’un personnage, d’une œuvre…).Cette entrée concrète est un 1er axe de réflexion qui sera repris dans l’énoncé de la problématique ce qui éveillera la curiosité du correcteur et son envie de lire la copie.Exemple d’entrée possible : Procès d’Aymerigot Marchés, extrait de chronique ou plainte de communauté villageoise

2 – Limites chronologiques et spatiales du sujet. Il convient de souligner les 2 visages du routier et les deux phases chronologiques replacées dans leur contexte

1 Louis II duc de Bourbon (1337-1410)2 Gaston III de Foix-Béarn, dit Gaston Fébus (1331-1391)3 Brassempouy, alors dans le diocèse d’Aire-sur-Adour et non en Bordelais (auj. dpt Landes)4 Auj. située à Saint-Jean-de Ligoure, dpt. Haute-Vienne

1337 et fut entrecoupée de trêves, relayée par des conflits de nature privée et par des actions de routiers qui instaurèrent un contexte d’insécurité. Au sein du royaume de France et plus généralement de l’espace européen, nous sommes en droit de parler de présence endémique de la guerre, accompagnée, à intervalles irréguliers, de poussées fulgurantes et parfois prolongées.

Contexte   : * La 1ère phase du phénomène « routier » est liée à la déroute militaire de Poitiers. Avant, il ne s’agissait que de petits problèmes de brigandages, œuvre de petits nobles, il existait une insécurité orchestrée par des bandes nobiliaires (un phénomène bien étudié par l’historiographie anglaise). Mais, à partir de 1357, c’est la trêve, des gens non payés des deux côtés se retrouvent dans les campagnes et portent le nom de Magnas Societas « Grandes compagnies », dans l’historiographie. Mais, dans l’Aquitaine anglaise, le pouvoir les rejette.*L’incapacité de Charles VII et du gouvernement anglo-bourguignon à gérer les territoires alimentent la 2ème phase. La guerre a tout déstructuré des deux côtés. Les acteurs portent alors le nom « d’écorcheurs » d’une ampleur plus importante que la Grande Compagnie, mais il convient de ne pas minimiser l’action et les dégâts occasionnés par les Grandes Compagnies.Il faut mettre cet objet d’étude en perspective et le replacer dans un contexte de brigandage et d’insécurité plus large. Il existait d’autres formes d’insécurité qui n’étaient pas spécialement guerrières ou militaires (par exemple les Coquillards-mendicité au XVe siècle) et entre ces deux phases chronologiques, persistait un brigandage larvé. Il existait une piraterie endémique mais pas une piraterie ni des formes d’insécurité de grande ampleur.

3-HistoriographieIl existe une bibliographie ancienne sur le sujet car il s’agit d’un objet d’étude qui a intéressé les érudits locaux et les chartistes (Alexandre Tutey, Les Écorcheurs sous Charles VII, épisodes de l’histoire militaire de la France au XVe siècle, d’après des documents inédits, 1874) et qui était à la mode dans l’histoire positiviste, l’histoire locale et nationale. Cette historiographie faisait l’éloge de l’Etat et se souciait du prestige de l’Etat. Les érudits locaux s’intéressaient aux ravages de la guerre, en particulier l’impact de la guerre sur la région et les travaux de fortifications dans un cadre régional (fortifications rurales en Auvergne). Les travaux de Philippe Contamine, dans les années 1970, ont permis de faire comprendre la rupture sociale apparue avec le début de l’armée permanente. Les historiens, dont Kenneth Fowler (Medieval Mercenaries, 2001) demeurent fascinés par le double visage des routiers : des affreux bouchers qui peuvent être en même temps instrumentalisés par un pouvoir politique respectable et mettent en avant les 2 phases chronologiques du phénomène. Cependant, aucun travail synthétique sur les routiers n’avait été publié jusqu’au colloque de Berbibuières en 2013 ; il n’existait que des travaux ponctuels à l’intérieur d’études plus larges. Mais, même lors du colloque, aucun travail d’ensemble n’est ressorti car le sujet s’y prête difficilement (division du phénomène en 2 phases, thèmes très éparpillés) et il n’existe toujours pas de véritable synthèse.

3 – Réflexion historiographique alimentant l’analyse et la problématisation du sujet sans anticiper sur le développement

4-SourcesIl existe plusieurs types de sources, diversifiées mais elles restent unilatérales et périphériques. N’étant lié à aucune institution, les routiers n’ont pas laissé d’archives même s’ils devaient avoir une administration, un secrétaire. Nous connaissons les routiers que par leurs adversaires en ce qui concerne les sources écrites, du moins tant qu’ils sont routiers. Ce sont des sources éclatées, dispersées :*des sources narratives : des chroniques plus ou moins bien informées, d’ampleur locale ou non (Froissart) ; Le Journal d’un Bourgeois de Paris raconte les exactions des soudards bretons autour de Paris 1er tiers du XVe siècle. Philippe de Mézières, Songe du Vieil Pelerin, 1389 (cette œuvre contient tout un développement sur les « Compaignies », comparées à des sangsues, suçant le « sang du pauvre peuple françois ». Assez bien renseigné, il évalue leurs forces, une fois réunies, à 2 000 ou 3 000 lances, soit, dit-il, de 10 000 à 12 000 chevaux, dévastant le royaume davantage que les ennemis anglais eux-mêmes, ce qui veut dire que pour lui, elles s’en distinguent nettement).*des sources royales : lettres de rémission, ordonnances, procès*des sources émanant des communautés : quittance de pâtis, délibération, comptabilité. Le Livre de vie (1379/1382) – Bergerac au cœur de la guerre de Cent ans (2002) : un dossier réalisé par les contemporains exposant les dommages réalisés par les routiers. Ils attendaient que justice leur soit rendue.*en ce qui concerne les sources matérielles et archéologiques, nous avons quelques traces : un aménagement villageois, un lieu de refuge, quelques sépultures mais absence de fouilles de camps de routiers.

5 – D’origine nobiliaire, ces chefs de garnison alternent le service du prince en temps de guerre et le brigandage devenant routier pendant les trêves. Comme il est posé, le sujet invite à nous interroger sur l’association des termes routier / pillard / châtelain dans une même locution et sur la perception que s’en faisaient les contemporains. Comment peut-on être à la fois châtelain et pillard et quel est le rapport avec les routiers ? Il s’agit en fait de dégager la manière dont on devient routier. Ces relations sont complexes : il était donc indispensable de mettre cette définition en relation avec les courants et discussions historiographiques qui mettent à mal la notion de mercenariat à propos des routiers par rapport notamment à leur allégeance. Le sujet ne mentionne pas le terme de « mercenariat », il convenait donc, dès l’introduction, de lever l’ambiguïté. En quoi les routiers sont-ils le reflet d’une société et d’un pouvoir politique en crise pendant la guerre de 100 ans et le produit d’un monde militaire dont les structures officielles sont en pleine évolution ?

6 – Ces quelques remarques conditionnent notre plan : dans une première partie, nous mettrons en valeur les deux moments forts de cet épisode routier, le temps des Grandes Compagnies et celui des Ecorcheurs, en dégageant les points communs de ce phénomène selon une démarche chronologico-thématique. Dans un 2ème temps, nous verrons ce que signifie être routier, les circonstances qui

4 – Une introduction en dissertation médiévale donne lieu à une présentation des sources donnant accès aux connaissances

5 – Analyse des termes du sujet (il convient de formuler tout de suite l’ambigüité routier / mercenaire) Formulation de la problématique, fil conducteur (pouvant être décomposée en plusieurs questions ou pas). Eviter phrases trop longues : elle doit être la colonne vertébrale du devoir.

6-Annonce du plan

amènent des châtelains à devenir brigands et enfin les réactions à ces actes de brigandage de la part des communautés villageoises puis du pouvoir royal tout en nous demandant si le fait de devenir routiers signifiait une rupture totale avec leur milieu d’origine.

DEVELOPPEMENT   :

Chapitre 1.Le brigandage en grand   : des Compagnies aux écorcheurs

1.1 Les temps du désordre   : deux temps, les mêmes facteurs. Du mercenariat localisé aux grandes troupes mobiles

Le phénomène routier est essentiellement un phénomène de grande ampleur, français et italien mais pas anglais, qui s’est produit en deux temps pendant la guerre de Cent ans. Ces routiers sont des soldats qui ne sont plus payés par l’autorité publique mais qui restent groupés et continuent à exercer une activité militaire au moment où l’Etat se désagrège. S’il existait des mercenaires à l’époque des Plantagenêt, le phénomène connait une véritable explosion à partir de 1356, après le désastre de Poitiers, le roi de France n’a alors plus les moyens de les payer. De temps en temps, ces routiers peuvent se regrouper et devenir dangereux. Les grandes compagnies pouvaient compter sur un effectif de 10 à 15 000 hommes : l’impact était alors plus conséquent que les petites garnisons de routiers. Ces grandes compagnies, Magnas Societas , étaient bien organisées disposant d’un secrétaire, d’une caisse commune. Le phénomène se calme vers 1365, malgré leur présence larvée, les excès sont de moindre importance mais cela recommence après 1369. On aurait pu imaginer qu’à l’issue du règne supposé réparateur de Charles V (+ 1380), la royauté française était enfin parvenue à rétablir l’essentiel de son autorité sur l’ensemble de son territoire, en neutralisant ou en repoussant hors de ses frontières les gens de guerre. Il n’en fut rien, partiellement en raison de l’incapacité ou de l’inaction de Jean, duc de Berry, nommé lieutenant par Charles VI le 29 novembre 1380.

C’est l’effondrement des Valois avec les anglo-bourguignons qui les relancent vers 1420-1440. Le moment des grandes Compagnies comme celui des Ecorcheurs correspondent à des phases de déstructuration publique. Les Écorcheurs émergent dans le contexte de la guerre civile (1411-1435) et du pouvoir politique très limité du Dauphin Charles après le Traité de Troyes de 1420. La fluidité des allégeances et le fait que chacun puisse se revendiquer des partis armagnac ou bourguignon poussent à l'émergence de groupes armés autonomes qui mènent une guerre "à leur aventure", suivant les perspectives de profits et leur appartenance à un parti (Anglais, Bourguignon, Armagnac). La faiblesse financière de Charles VII durant cette période le pousse à engager et récompenser les capitaines autonomes qui lui sont fidèles et se revendiquent de son autorité, sans prévoir pour eux ni gages ni montres et en acceptant qu'ils vivent sur le pays puisqu'il ne peut pas les payer. Ces hommes de guerre obtiennent alors rapidement une réputation exécrable et sont nommés les "Écorcheurs" par la population. Ces troupes d'occasion cumulent les problèmes pour Charles VII : pillardes, indisciplinées, dotées de chefs forts ayant une autorité plus grande que la sienne sur leurs hommes, les Écorcheurs sont fondamentalement des troupes composites que le roi rassemble faute de mieux.

Entre ces deux périodes, les routiers demeurent présents mais les excès sont de moindre importance. A partir des années 1445-1450, se maintiennent des poches d’instabilité dans le sud ouest notamment, l’une des zones les plus régulièrement touchées.

1.2Les zones touchées selon les époques

Les zones les plus touchées sont celles qui sont les plus éloignées du pouvoir royal, le Massif Central (l’Auvergne, le Limousin, le Rouergue), mais aussi celles qui ont été les plus exposées au moment des combats et celles qui sont les plus attractives : les alentours de Paris menacés par les Bretons et la région d’Avignon obligeant le pape à intervenir. En effet, en 1365, la fin de la guerre de Succession de Bretagne démobilise de nombreux guerriers bretons. Les petits groupes étant vulnérables, ils se regroupent en grandes compagnies. Le pape Urbain V ayant eu l'idée de financer une croisade pour emmener les compagnies, en 1365 Philippe et son oncle l'empereur Charles IV descendent en Avignon proposer une croisade vers la Hongrie. Le pape finance l'expédition et Philippe croit se débarrasser de ces routiers. Cependant, l’armée ne dépasse pas Strasbourg car les villes ferment leurs portes à l'arrivée des routiers, ces derniers ravagent la Lorraine, les Vosges et les bords du Rhin : c'est un échec. Mais une partie des grandes compagnies est partie vers le nord et pille l'Auvergne et le Berry alors que le duc Jean est encore retenu en otage en Angleterre pour garantir l'exécution du traité de Brétigny. Philippe le Hardi organise la défense de la Bourgogne selon le principe de la terre déserte ; il fait le vide devant l'ennemi et tient toutes les forteresses. Faute de ravitaillement, les grandes compagnies vident les lieux et marchent sur Paris mais les mercenaires se heurtent à l'armée royale et refluent vers le Poitou où ils finissent par se faire acheter par le roi Charles V. Elles sont alors incorporées en 1369 à l’armée française qui va participer dès lors à la reconquête des territoires concédés à l'Angleterre par le traité de Brétigny.

Téléguidés par les Anglais, instrumentalisés par les Français, les routiers intervenaient dans nombre de théâtres d’opérations : ils faisaient partie du paysage, et l’on devait composer avec eux menaçant les communautés urbaines et villageoises.

1.3Modes et limites de leur action : une prédation guerrière, violente mais «   domestiquée   » Leur objectif est de s’emparer des petites places, d’y installer des garnisons afin de prélever des pâtis. Ils peuvent parfois se battre entre eux ou se regrouper afin d’effectuer des opérations plus spectaculaires (Pont-St Esprit, Montferrand). Cette activité de prédation sur route pouvait prendre un aspect cruel et les populations avaient à supporter le poids de cette violence. Ainsi, lors de son procès, Mérigot Marchés n’hésitait pas à reconnaître qu’il « avait grevé et dommagé le roi de France en son royaume ». Communautés et routiers semblent, à la longue, avoir établi une sorte de modus vivendi dont la violence n’était cependant pas absente et dont la pierre angulaire semble avoir été l’établissement de trêves, matérialisées par des pâtis et qui rappelait, en moins réglementé, une forme de prélèvement seigneurial. Pour prix de leur tranquillité et de leur sécurité, les populations négociaient avec les routiers des contrats, appelés pâtis, comme celui conclu par la ville de Bergerac en 1382 dans lequel il fut ordonné de conclure des pâtis avec les Anglais aux meilleures conditions possibles afin que les gens puissent retourner à leurs travaux agricoles (Extrait de É.

Labroue, Le livre de vie   : les seigneurs et les capitaines du Périgord blanc au XIV e siècle, Bayac, 1991, p. 30-31).Les routiers sont donc des gens qui faisaient peur et qui ont fait trembler la Papauté en menaçant Avignon où siégeaient des compagnies bancaires et des fonds. Cependant, ils n’avaient pas les moyens de maintenir un siège. Il fallait disposer de fonds, de ravitaillement, du recours et de l’appui de la population locale pour contrôler les routes et assurer des postes de garde en levant des sergents à pied. Or, les routiers n’avaient pas la légitimité ni le pouvoir de commandement : ils ne disposaient pas d’artillerie à feu ni de machine à siège. Le contrôle territorial passe par les villes mais ils n’en ont pas les moyens, ils ne peuvent pas se rendre maître de la population ce qui les cantonne à des actions de brigandage, parfois de grande ampleur. C’est une limite de leur capacité d’action : ils ne parviennent pas à contrôler et à dominer un territoire. Ils échouent à s’emparer de Rodez par exemple et ils n’avaient pas les moyens de faire le siège de Narbonne, pourtant mal défendue. La guerre de siège pouvait prendre deux formes mais nécessitait dans les deux cas des armées plus importantes et des moyens techniques supérieurs : soit elle pouvait s’éterniser car la ville (exemple Bordeaux) était techniquement difficile à investir, soit elle se diluait sur des petites places aux alentours. La dimension des troupes des routiers n’est pas inférieure de beaucoup à celles de beaucoup d’armées princières, surtout de la fin du XIVe siècle ; des capitaines prestigieux groupent assez couramment plusieurs centaines d’hommes, ce qui n’est pas dérisoire et fait que l’on peut extrapoler aux armées, ce que l’on observe ici. Bertucat d’Albret ou Bernard de la Sale sont de bons tacticiens ne surestimant pas leurs possibilités, ils n’ont pas de vision stratégique de la guerre mais ce sont de bons professionnels de terrain. À ceci près que les routiers qui n’ont pas le pouvoir de réquisitionner (sauf en les capturant) des villageois pour transporter des engins de siège ou verrouiller une place ne mènent que très rarement une guerre de siège. Avec la communication de Nicolas Savy qui, à partir des textes a expérimenté sur le terrain ce que pouvait être les approches à couvert des bourgades quercynoises, on entre dans une nouvelle dimension de l’histoire militaire : l’expertise de terrain est aussi nécessaire pour tester le récit par un chroniqueur que l’archéologie expérimentale pour évaluer les performances d’un engin à contrepoids ou d’une bouche à feu.

Les routiers n’ont jamais pu prendre possession d’un territoire. Les tribunaux rendaient encore justice au nom du prince : il n’y a pas eu de substitution d’autorité. Cependant, ils ont su faire preuve d’organisation pour se partager les pâtis et tenir pendant des années des territoires entiers, en particulier dans le Massif central (Limousin Quercy, Périgord, Auvergne) Il s’agissait d’une forme de prédation guerrière imposée mais pour une part domestiquée. Ces routiers ne peuvent pas être considérés comme des mercenaires au sens strict du terme : liens vassaliques et clientélistes demeurent en parallèle de leur intérêt économique pour la guerre. Ils ne deviennent routiers qu’au moment des trêves lorsqu’ils se retrouvent sans emploi : ils se regroupent alors en bandes et vivent de pillages et de rançons, ce que nous allons voir dans le deuxième chapitre.

Chapitre 2.Etre routier 2.1Devenir routier*Origines sociales et géographiquesD’origine nobiliaire en ce qui concerne les chefs de compagnies, ces petits châtelains, au moment de la trêve, font le choix de ne pas regagner leur micro-seigneurie ce qui ne signifiait pas forcément qu’ils se séparaient de leur milieu d’origine. En effet, on voit par exemple le seigneur d'Albret rester en relations suivies et protéger un de ses cousins bâtards qui est  un notable chef de routiers, Bertucat d'Albret (fl. 1357-1383).

Il était rare, cependant, qu’ils puissent accéder au premier rang de la noblesse. Kenneth Fowler a examiné les origines de 166 capitaines nommés. Quatre-vingt onze d'entre eux ont été impliqués dans les Grandes Compagnies, 36 étaient en anglais, 26 Anglais Aquitaine, 19 étaient des Gascons, cinq de Béarn et cinq de l'Allemagne. En plus de cela, il y avait un groupe de 45 chefs bretons et un autre groupe de Navarre (Fowler Kenneth (2001): Medieval Mercenaries vol.1 Les Grandes Compagnies, Blackwell, Oxford, pp.6-7). Nous pouvons recenser quelques cas de promotion comme Bernard de la Salle, l'un des initiateurs des Grandes Compagnies en mai 1360, mais les exemples sont rares. Perrinet Gressard, fils d’un maçon, boucher, a vu sa carrière bloquée du fait de ses origines sociales. Quelques individus chanceux et talentueux parmi les gens

obscurs hissés au rang de capitaines de gens d’armes ont une belle ascension sociale, tel Bernard de la Sale, et sortent un peu de l’anonymat. On ne saurait voir les gens de guerre, gens de traits bien sûr et même hommes d’armes au prisme des origines sociales de leurs capitaines. De même retracer les origines géographiques des routiers et mercenaires à travers celles de leurs chefs conduirait à des approximations.

*Les circonstances   : des profils multiples

Les profils sont multiples : cela peut relever d’un choix personnel nourri par l’appât du gain et le goût des armes. Parfois, ce sont de jeunes gens prisonniers par les routiers qui deviennent eux-mêmes routiers. Lorsque Philippe VI embauche assez massivement des Savoyards, sur les même bases que les hommes d’armes du royaume, il fait appel à des alliés plus qu’à des mercenaires, ses arbalétriers génois sont en revanche des mercenaires grassement payés mais là encore en référence à une alliance plus ou moins formalisée avec Gênes. S’adresser à des puissances alliées est un bon moyen de se procurer des soldats fiables. Guerrier d’occasion ou de profession ? Il n’existe pas de profil type. Les mercenaires savoyards au service du roi de France en 1338-1341 servent la plupart uniquement quelques semaines ou quelques mois. La carrière militaire de Perrinet Gressart est longue mais il n’avait d’autre métier ni chevance que d’être capitaine de gens d’armes. Lui qui était fils de boucher ou de maçon a amassé de l’argent mais n’a pas eu la même réussite sociale que son compagnon d’armes François de Survienne, d’origine noble.

Ces gens d’armes sont alternativement routiers, un jour et au service d’un prince, un autre jour.

2.2.Un jour routier, un jour soldatÀ travers la carrière de Bascot de Mauléon, homme d’armes gascon que Jean Froissart a rencontré, nous pouvons nous rendre compte du double visage des routiers : de simple brigand à la quête du profit, pendant les trêves, il revient au service du prince au moment de la reprise des hostilités. En effet, le mode de recrutement des routiers se fait principalement par contrat, ou lettre de retenue, passé entre le prince ou le roi qui retient un capitaine de routiers qui lui-même tient une route ou une compagnie. Il existait deux moyens pour les princes de recruter des routiers, par l’envoi de ce que nous pourrions appeler des agents de recrutement, mais aussi plus simplement par le recrutement de troupes qui se présentaient d’elles mêmes sur le champ de bataille. Dans les deux cas, le prince propose des gages en échange de l’engagement des routiers auprès de ses troupes. Ce récit de Froissart nous éclaire sur ce qu’étaient les routiers pendant la guerre de Cent ans, quel fut leurs rôles auprès des grands princes, et leurs actions propres une fois la paix de Brétigny Calais signée : leur principal motivation est la quête du profit. « Pour ce temps étoient trèves entre le roi de France et le roi d’Angleterre. Le comte de Foix retourna en son pays. Et lors fûmes-nous avecques les aidans que nous avions, au royaume de France et par espécial en Picardie, où nous fîmes une forte guerre, et prîmes moult de villes et de chastels en l’évêché de Beauvais et en l’évêché d’Amiens ; et étions pour lors tous seigneurs des champs et des rivières, et y conquesrimes, nous et les nôtres, très grand’finance. Quand les trieuves furent faillies de France et d’Angleterre, le roi de Navarre cessa sa guerre, car on fit paix entre le régent et lui ; et lors passa le roi d’Angleterre la mer en très grand arroi, et vint mettre le siège devant Reims. Et là manda-t-il le captal mon maître, lequel se tenoit en Clermont en Beauvaisis, et faisoit guerre pour lui et à tout le pays. Nous vinmes devant le roi et ses enfans.(…) » Quand la paix fut faite entre les deux rois, il convint toutes manières de gens d’armes et de Compagnies, parmi le traité de la paix, vider et laisser les forteresses et les chastels que ils tenoient. Adonc s’accueillirent toutes manières de povres compagnons qui avoient pris les armes, et se remirent ensemble ; et eurent plusieurs capitaines conseil entre eux quelle part ils se trairoient5 ; et dirent ainsi que, si les rois avoient fait paix ensemble, si les convenoit-il vivre. Si s’en vinrent en Burgogne ; et là avoit capitaines de toutes nations, Anglois, Gascons, Espaignols, Navarrois, Allemands, Escots et gens de tous pays assemblés ; et je y étois pour un capitaine. Et nous nous trouvâmes en Bourgogne et dessus la rivière de Loire plus de 12 000 que uns que autres. Et vous dis que là en celle assemblée avoit bien trois ou quatre mille de droite gens d’armes, aussi apperts et aussi subtils de guerre comme nuls gens pourroient être, pour aviser une bataille à prendre à son avantage, pour écheller et assaillir villes et chastels, aussi durs et aussi nourris que nulles gens pouvoient être. Et assez le montrâmes à

5 Ils se trairoient : ils en tireraient.

la bataille de Brignay, où nous ruâmes jus le connétable de France et le comte de Forez, et bien 2  000 lances de chevaliers et d’écuyers. Cette bataille fit trop grand profit aux compagnons, car ils étoient povres ; si furent là tous riches de bons prisonniers, et de villes et de forts que ils prirent en l’archevêché de Lyon et sur la rivière du Rhône. (…) Jean Froissart, Chroniques de Sire Jean Froissart qui traitent des merveilleuses emprises, nobles aventures et faits d'armes advenus en son temps en France, Angleterre, Bretaigne, Bourgogne, Escosse, Espaigne, Portingal et ès autres parties, édition A. Desrez, 1840, Livre III, chapitre XV, p. 406-408. Nous pouvons remarquer par exemple que les routiers établis à Lourdes dans la 2 ème moitié du XIVème s. respectaient les pèlerins se rendant à Saint-Jacques-de-Compostelle.

Ces routiers peuvent devenir, de nouveau, des gens respectables comme certains compagnons de Jeanne d’Arc et disposer d’une sépulture de bon chrétien, faisant preuve de fidélité et de sociabilité.

2.3 Sociabilité

*Frères d’armes – Band of BrothersCes routiers étaient regroupés en compagnies dont les membres pouvaient être solidaires et obéir à leur capitaine alors que les armées féodales étaient souvent paralysées par des questions de préséance même si cela n’était pas toujours le cas. Les informations nominatives sur les mercenaires bourguignons ou gascons donnent quelques idées de la cohérence de certaines compagnies. Le « carnet d’adresses » des recruteurs comme Hugues de Genève ou Pierre de la Palu correspond à leurs horizons natals, à leur parti dans le cas du premier et à la mouvance de leur seigneur dans le cas du second.

*Des pillards instrumentalisés, fidèles à leur allégeance

Les exemples de routiers se tournant de leur allégeance naturelle demeurent très rares. D’ailleurs, ils se regroupaient plus ou moins par origine pour pouvoir se comprendre même si le mélange n’était pas exceptionnel. Ils pouvaient être aussi instrumentalisés, utilisés pour titiller l’adversaire mais on les lâchait après : il n’y avait pas de lettres de courses pendant les périodes de trêve. Ce sont toutefois des hommes de guerre compétents qui mènent un groupe d'hommes flexible. Le pouvoir princier peut avoir une connivence presque ouverte avec les routiers. Nicolas Savy et Armand Jamme montrent des garnisons de routiers instrumentalisées par le roi d’Angleterre à la périphérie du duché (ou de la principauté d’Aquitaine) ; cela découlait d’une ordonnance d’Edouard III de juin 1369 avalisant l’activité conquérante de ceux qui se réclament de lui aux dépens des Français. Depuis une ordonnance de 1385, tout combattant touchant une solde du roi d’Angleterre est réputé son subditus, de quelque nation qu’il soit, et doit arborer sur la poitrine et le dos la croix de Saint-Georges. On s’approche alors d’une vraie discipline sous l’uniforme mais les armées des autres princes en sont encore fort éloignées et toutes doivent s’accommoder des inconvénients inhérents au recrutement de mercenaires étrangers qui le jour où cesse leur solde peuvent se transformer en pillards particulièrement honnis. Que ce soit dans une armée princière en voie de structuration ou dans des routes au profil différent, des gens s’intègrent en dehors des processus de recrutement de groupe. Guilhem Pépin a relevé le cas d’un jeune Saintongeais de 14 ou 15 ans qui a dû se réfugier à Montendre et qui à la suite d’une rixe a intégré la garnison de routiers « anglais ». L’écorcherie a fait éclater des compagnies mais elles se recomposent sur la base de solidarités élémentaires, d’origine ou de parenté le plus souvent, parfois c’est un commun protecteur qui est le premier lien entre deux personnages comme Antoine de Chabannes et Jean de Blanchefort, protégé s du duc de Bourbon. Vital de Blois et le Bascot de Mauléon ont été liés tous deux au vicomte de Turenne. Certains soudoyers sont des déracinés qui n’ont d’autre famille que leurs frères d’armes.

En nous entraînant sur les traces d’Antoine de Chabannes, Loïc Cazaux montre Charles VII bien incapable de téléguider les activités des écorcheurs mais enclins à fermer les yeux sur leurs déprédations particulièrement lorsqu’elles ont lieu en Bourgogne, Antoine de Chabannes et ses pairs sachant fort bien où commettre leurs excès aux moindres risques. Les princes peinent à discipliner les gens de guerre, même lorsqu’ils sont à leur service comme le suggère l’ordonnance prise en 1438 par le duc de Bourgogne sur la

discipline des gens de guerre. La fidélité des Écorcheurs réside dans des récompenses ponctuelles du roi (argent, offices) et dans leur allégeance personnelle au parti du roi (le parti armagnac). À ce niveau social, les mercenaires ne sont pas des électrons libres mais on pourrait le supposer de plus modestes personnages comme les simples hommes d’armes. Kelly De Vries relève que le capitaine d’écorcheurs Perrinet Gressart, né « sujet » du duc de Bourgogne suit la logique des alliances bourguignonnes, se faisant l’agent des Anglais tant que la politique ducale est en ce sens et tant qu’elle ne lui est pas dommageable, mais lorsque le traité de Chambéry en 1424 impliquerait qu’il renonce à « sa » place de la Charité-sur-Loire, il se fait plus anglais que bourguignon. Du moins était alors suffisamment en position de force pour jouer un temps un jeu purement personnel. Ils n'hésitent cependant pas à servir d'autres seigneurs en accord avec leur fidélité (La Hire, Poton ou Dunois n'ont jamais trahi le roi) ce que nous allons voir à travers quelques figures connues.

*Quelques figures connuesUn bon exemple pour comprendre la spécificité des Écorcheurs est le cas de La Hire, puisque les récompenses que lui accorde Charles VII suivent sa carrière d'Écorcheur. En 1420, il défend Crépy-en-Valois au nom du Dauphin ; en 1422 celui-ci le fait son capitaine (sans pour autant le gager) ; en 1425 il est nommé écuyer d'écurie du roi ; en 1429 bailli du Vermandois. Cette carrière d'officier royal montre bien toute l'ambivalence des Écorcheurs : alors même qu'ils vivent sur le pays de pillages et rançons, ils sont reconnus et remerciés par le pouvoir royal.

Que les routiers soient regroupés dans les Grandes Compagnies au XIVe siècle ou dans les bandes d’écorcheurs du XVe siècle, ces guerriers sans emploi commettaient toutes sortes d’excès vivant de pillage, de rançons en temps de paix ou de trêve. L’un des enjeux majeurs de la population était alors de se protéger en faisant preuve de solidarité mais seule l’intervention royale et le rétablissement de l’autorité publique ont pu permettre l’éradication de ce phénomène, idée que nous allons démontrer dans le troisième chapitre.

Chapitre 3.Impacts et réactions 3.1 Stratégies de défense de la population   : des plaintes symboliques à l’édification de murailles

Des plaintes et protestations symboliques à l’achat de la tranquillitéEn raison de la nature des documents qu'il contient, le Livre de Vie, rédigé par les consuls de la ville de Bergerac, représente un document historique précieux : ce livre place le lecteur en plein XIVe siècle et montre les réactions collectives de la communauté face aux excès des routiers. Une fois sous l’obéissance du roi de France en 1377 à la suite de l’intervention de Du Guesclin, la ville, qui tenait à rester française, fut accablée par les nombreux seigneurs du voisinage, désormais sans emploi : les bourgeois, en effet, ne purent cultiver leurs terres, récolter leurs moissons, transporter leurs marchandises sans être exposés aux attaques incessantes de ces pillards, auxquels la ville dut acheter à chers deniers des trêves et paix que ceux-ci, le plus souvent, ne tenaient pas ou rompaient, sans autre raison que la perspective d'accroître leurs extorsions. Aussi les consuls, ne pouvant s'opposer par la force aux violences dont ils étaient l'objet, résolurent de consigner sur un registre spécial, tous les méfaits commis au préjudice de la ville de Bergerac et de la châtellenie, « afin que dans les temps futurs, quand le lieu et l'heure » seront venus, ces malfaiteurs puissent être punis par « bonne » justice.Ils étaient contraints de payer en argent et en vivres pour échapper au pillage ou à l’incendie. Par patis, on désigne le « pacte » d’abstinence de guerre conclu entre une communauté et une troupe d’ennemi assorti d’une rançon collective (surtout pendant les périodes des moissons et des vendanges) ; ce pacte était réciproque même si les écarts pouvaient être fréquents. Plus la garnison hostile était puissante, plus elle percevait de pâtis. Les populations locales ne restaient pas inertes ; elles pouvaient s’armer et des élites urbaines même modestes avaient aussi la capacité à argumenter et revendiquer la restauration de l’ordre.

Si consigner par écrit les méfaits des routiers pouvait permettre de demander justice en temps et en heure mais aussi de refuser tout nouvel impôt royal compte tenu des circonstances, cette initiative

n’avait pas permis de mettre fin à l’action des routiers ; d’autres mesures furent alors envisagées par d’autres communautés.

Solidarité, protections et fortifications   : l’édification de murailles Si l’historiographie médiévale récente s’est concentrée sur la conduite de la guerre sur ceux qui font la guerre et ceux qui l’organisent, elle a globalement délaissé le champ de ceux qui la subissent alors même que l’historiographie contemporaine a pleinement intégré le comportement des civils dans les problématiques militaires. Pourtant, cette litanie des malheurs du temps se lit dans toutes les chroniques (Froissart) ainsi que dans les doléances adressées au roi par ses sujets (Le Livre de Vie). Par leur mobilité, leur capacité à faire durer le conflit, leur technique de pillage, les routiers imprimèrent leur marque et impressionnèrent les populations.Ce vaste champ d’étude que constituent les attitudes paysannes face à la guerre a cependant fait récemment l’objet d’une première synthèse de la part de Nicolas Wright (1998) et d’un colloque intitulé « Les villageois face à la guerre » (2001).Pour répondre aux menaces pesant sur elles, les populations paysannes mettent en place toute une gamme de moyens, bien étudiée par Guilhem Ferrand , Vincent Challet , (Villages en guerre : les communautés de défense dans le Midi pendant la guerre de Cent Ans, Archéologie du Midi médiéval, année   2007, volume   25, pp. 111-122) allant de l’érection de forts à la prise d’armes en passant par une réforme en profondeur des institutions de la fiscalité. Parfois, émergent des « communautés de défense » regroupant hameaux et villages voisins sur la base d’une solidarité. L’exemple de Conques montre enfin comment une communauté put faire appel à différentes stratégies pour faire face à l’insécurité en temps de guerre négociant les trêves avec les compagnies et payant pour leur tranquillité ou cette création d’un fort villageois à Clermont-le-Fort (acte daté de 1469) destiné à protéger les tenanciers et villageois des excès des routiers. L’essor des fortifications collectives, sous toute leur forme (enceintes urbaines et villageoises, églises fortifiées, forts villageois) est l’une des conséquences et s’accompagne d’un développement administratif et fiscal des communautés, qui apprirent à coopérer à l’échelle des provinces pour faire face au danger : ce développement des institutions municipales allait se maintenir.

Face à ce phénomène de grande ampleur, la population peut parfois réagir de manière violente : les Jacqueries sont autant contre les garnisons ennemies que contre les routiers. Par exemple, la révolte en Beauvaisis, en 1358, est à la fois une révolte fiscale mais également une réaction d’autodéfense.

La population villageoise n’est pas sans armes : javelots et arbalètes de chasse sont courants. Haches et bâtons sont dans toutes les mains et la haine des soudards étrangers fait le reste, il y a même parfois provocation de la part des ruraux. Le port d’armes mériterait sans doute de plus amples travaux. Confrontée à la présence des gens de guerre, la population se retrouve en guerre d’une façon qui n’est pas entièrement passive parfois, face aux routiers les gens du haut Languedoc se sont réfugiés là où ils pouvaient, ont aussi fourni les rangs des Tuchins.

Tuchins et BrigandsÀ l’époque des Grandes Compagnies, des paysans, las de tous ces excès, s’organisent en bande armée pour lutter contre les garnisons de routiers. On les repère autour de La-Charité-sur-Loire en 1364 portant le nom de « brigand » (fantassin professionnel, bien équipé) ou de « tuchin » (« petit bois »). Le sens évolua pour désigner une activité de brigandage alors qu’à l’origine les violences étaient ciblées contre les routiers. Le phénomène de Tuchinat se développe en Languedoc vers 1380-1384 dans un contexte de rébellion des villes contre le duc de Berry, lieutenant de Charles VI en Languedoc. Artisans et paysans, ces Tuchins s’attaquaient aux routiers récupérant le bétail razzié. Ils sont vaincus par le sénéchal de Beaucaire en 1383.

Au siècle suivant, entre 1411 et 1418, dans le contexte de l’occupation de la Normandie, des « compagnons brigands », formés d’une vingtaine de paysans lié par un serment, furent actifs dans ce secteur menaçant les positions anglaises, mais furent réprimés en 1436.

Plaintes auprès du roi, mise par écrit des dommages occasionnés, édification de murailles, contrats négociés avec les routiers sont autant de stratégies, parfois combinées, mises en avant par les communautés pour « domestiquer » la violence des routiers et préserver leur sécurité ; mais, seul le roi dispose de moyens permettant l’éradication totale du phénomène.

3.2 L’intervention royale   : Philippe de Mézières, Songe du Vieil Pelerin, propose plusieurs possibilités. En songeant que les Compagnies sont majoritairement composées de « sujets naturels » du roi de France, il s’agirait de les rallier en les réintégrant, au moins partiellement, à l’ « ost de France ». Et d’abord, il faut les isoler pour ensuite les retenir aux gages du roi, après leur avoir pardonné leurs méfaits. Les chefs de ces Compagnies peuvent aussi être retenus aux gages royaux, avec chacun 100 ou 200 lances, et, à la faveur d’inspections, au bout de trois ou quatre mois, un tiers ou un quart seraient éliminés, car ne s’étant pas conduits comme des « droites gens d’armes » mais comme des « gens de mestier et pillars ». Le restant serait constitué de « preudommes et vaillans gens d’armes » dont on pourrait se servir sans danger. Troisième possibilité : que les Compagnies soient envoyées, aux gages accoutumés, hors du royaume, contre les ennemis de la foi. Mais si les Compagnies, demeurant soudées, refusaient toutes ces propositions, il appartiendrait au roi de montrer sa vaillance et de vaincre à l’épée ces « Compaignies tyranniques ». De toutes ces solutions, il est probable qu’en cette fin d’année 1389 c’est celle de l’expulsion hors des frontières, après versement d’indemnités de départ, qui fut la seule à être sérieusement envisagée : en particulier, on ne songea ni à une grande expédition punitive ni non plus à la réintégration partielle des Compagnies au sein de l’armée régulière. On devait les juger irrécupérables. L’une des difficultés était que les négociations devaient avoir lieu l’une après l’autre : en effet, chaque capitaine avait son propre repaire, il s’organisait comme il voulait, lui et ses hommes, Blaisy ne pouvait s’adresser à un responsable unique ayant une autorité reconnue sur ses subordonnés.

L’action armée Dès 1364, et l'avènement de Charles V le ton change. Le rétablissement de l’autorité royale et de l’économie passe par l’éradication des grandes compagnies qui saignent le pays. Charles V doit faire comprendre que le royaume n’est plus un havre pour les pillards. Il traite le problème avec la plus grande rigueur et fermeté : il fait appliquer la loi et ne négocie pas avec les truands. Il réorganise l'armée et c’est rapidement tout le pays qui s’organise contre les grandes compagnies. Chevaliers, villes, paysans envoient des contingents d'hommes pour les combattre. Les routiers français sont exécutés et les étrangers de quelque valeur soumis à rançon. Cette lutte permet de roder de petites armées formées de volontaires aguerris sous commandement de chefs expérimentés et fidèles comme Bertrand Du Guesclin.En 1366, le duc de Bourgogne désigna Jean de Blaisy comme gouverneur du duché en son absence, chargé de lutter contre les Compagnies qui avaient envahi le pays et l’infestaient

Célébré par le grand chroniqueur Jean Froissart comme le « plus austère et le plus cruel », le Breton, Geoffroy Tête Noire, fut considéré en son temps comme une des plus fameux capitaines de compagnie, Il détenait, de 1378 à 1387, tout pouvoir sur l’Auvergne et le Limousin, à partir de sa forteresse de Ventadour. En 1378, donc, Geoffroy et ses hommes ne sont plus gagés pour des interventions armées. La guerre de Succession pour le trône de Bretagne s’achève par un compromis entre les compétiteurs. Le roi de France, Charles V, qui s’est servi des compagnies pour reprendre aux Anglais toutes leurs conquêtes, n’emploie plus que des militaires réguliers, nobles pour l’essentiel. Il reste bien le pape et ses guerres en Italie. Mais, Geoffroy, refuse de suivre dans cette voie un autre breton, Sylvestre Budes, et décide de rester là où il est, en Limousin. Il s’accorde secrètement avec Pons du Bois, écuyer, qui servait depuis longtemps le comte de Ventadour et de Montpensier sans trop de profit. Il lui achète sa trahison pour 6000 francs or (somme considérable pour l’époque), à condition que son maître ne soit pas molesté. Un jour, le comte quitte son château de Ventadour pour celui de Montpensier. Geoffroy et ses hommes en profitent pour s’en emparer sans coup férir. Maintenant châtelain, personne n’osait contrarier Geoffroy, qui entretenait dans son château, où s’entassait d’incroyables richesses, draps, peaux, épices, joyaux, à ses gages quatre cents compagnons, payés tous les mois (une rareté) par les pâtis (des contrats garantissant leur sécurité) des habitants des alentours.En 1387, le roi Charles VI de France accepte de payer 250 000 francs l’évacuation de toutes les compagnies dévastant l’Auvergne, le Gévaudan, le Rouergue, le Quercy. Geoffroy se sent trop bien dans son nid d’aigle, maintenant imprenable, pour le quitter. Lorsque les Auvergnats virent qu’il ne voulait rendre le château de Ventadour, mécontents, ils refusèrent de le payer. Ces nouvelles arrivent aux oreilles du duc de Berry qui

avait tout le pays d’Auvergne, Rouergue, Quercy, Gevaudan et Limousin en garde. Il envoya 400 lances (soit 4000 hommes) dirigées par Guillaume de Lignac et Jean, dit Bonne-Lance, un « gracieux et amoureux chevalier » du Bourbonnais. Ils viennent assiéger, en octobre-novembre 1387, le château, font édifier quatre bastides et faire par les hommes du pays des grandes tranchées. Lors d’un assaut, Geoffroi s’avance trop et reçoit un trait d’arbalète dans son bassinet. Comme un grand seigneur, il fait alors son testament. Il fait venir tous les chefs des routiers, qui selon les règles des compagnies, doivent choisir son successeur. Alors, il leur nomme son successeur, son cousin, Alain le Roux, puis leur indique son Trésor, un coffre rempli de 30 000 francs or (soit le revenu annuel du duché de Bretagne). Il survit encore deux jours et meurt en 1388. Ses héritiers n’en profitent guère très longtemps. Le château est repris par les hommes du duc de Berry. Alain le Roux est fait prisonnier et écartelé à Paris en 1389.

En juillet 1387 un accord, approuvé par le roi de France, fut passé : les capitaines «anglais » devaient évacuer moyennant le versement d’une confortable indemnité. La formule, fruit d’un compromis, était trouvée. Pendant quelques mois, rien de concret ne se fit. Il fallut attendre avril-mai 1388 pour que des traités soient passés. Ce qui frappe en l’occurrence, c’est que la royauté n’ait pas lancé une grande expédition punitive à partir de Paris, en la faisant payer directement par ses trésoriers des guerres : elle laissa aux populations et aux pouvoirs locaux le soin de se débarrasser de ce fléau. Les parties de la langue d’oc étaient si loin, ces routiers étaient si redoutables et ces opérations de police manquaient singulièrement de prestige…

La situation juridique changea avec la conclusion de la trêve du 18 août 1388, entre Richard II, roi d’Angleterre, d’une part, Charles VI et le duc de Berry, d’autre part. En 1389, six commissaires réformateurs furent désignés : il s’agissait de remettre de l’ordre, de pacifier, d’imposer la justice du roi, après des années d’anarchie et de violence.

Dés le début de son règne, Charles VI entreprit une remise en ordre du royaume. Puis, le 10 août 1413, Charles VI adresse des "Lettres contre les routiers et soldats qui couroient sans congé le pays du Languedoc et pilloient partout", conservées aux archives départementales de l’Hérault.

Ces lettres concernent ces hommes d'armes professionnels qui, n'étant plus employés pour "faire la guerre" sous la bannière d'un prince, d'un roi ou d'un grand du royaume, poursuivaient alors, pour leur propre compte, des actions militaires contre la population urbaine et rurale obligeant l’intervention de la justice royale qui allait faire preuve de fermeté lors de procès retentissants.

Procès et rémission   : la justice royale (Le procès de Mérigot Marchès)Originaire du Limousin, Mérigot (1360-1391), écuyer, fils d’un chevalier, prend rapidement le parti des Anglais. Nommé lieutenant et capitaine général en 1373 par lettres patentes du roi d’Angleterre Édouard III, il débarque à Calais avec le duc de Lancastre et 30 000 hommes qui traversèrent le Limousin. Cependant, la troupe s’épuise en route et se divise en bandes : Mérigot entreprend dès lors ses coups d’armes pillant et rançonnant les habitants de la région. Pendant près de 10 ans, Mérigot constitua un trésor de cent mille francs d’or et il refusa l’offre du roi de France, Charles VI, lui demandant de quitter le royaume pour combattre en Lombardie. En 1390, l’intervention de l’armée royale oblige son cousin, Jean sire de Tournemire, à livrer Mérigot en échange du pardon royal, ce qu’il obtint en 1391. Le 12 juillet 1391, à Paris, Mérigot Marchés eut « la tête tranchée et son corps fut coupé en quartiers qui furent exposés aux quatre principales portes de Paris » (Froissart). Aymerigot Marchès est exécuté au premier chef comme rebelle à un roi dont il était né le sujet.L’un des exploits de Mérigot Marchès avait été, en 1386 ou 1387, la prise et le fructueux pillage de Montferrand, effectué de concert avec Perrot le Béarnais. Si l’on en croit Froissart, Marchès s’était laissé convaincre par les compagnons d’aventure de ne pas adhérer à la « chartre de la trieve entre France et Angleterre » 6 et de continuer « patis » et rançons aux dépens des « bonnes gens » ou des «villains » d’Auvergne. Sans doute pensait-il bénéficier de la bienveillance, sinon de la complicité, du comte d’Armagnac, qui appréciait ses capacités militaires et de la protection lointaine du gouvernement anglais. Et pourtant Mérigot Marchès avait fait le mauvais choix, sans doute parce que l’équipe des Marmousets était plus décidée que la précédente. Froissart se lance dans un abondant récit selon lequel Marchès serait parvenu 6 Froissart 2004, 465.

à envoyer un messager auprès du conseil d’Angleterre, lequel aurait pris fait et cause en sa faveur, au prétexte que ce siège était contraire à la lettre et à l’esprit d’une trêve. Il n’empêche que Froissart a bien senti le jeu des forces en présence. En particulier, on peut concevoir que le duc de Lancastre ait bel et bien souhaité que Marchès soit épargné : il avait tout intérêt à la poursuite des dévastations chez l’ennemi. Quant à Marchès, se fiant à un réflexe naturel de solidarité lignagère, il demanda l’hospitalité à son cousin Jean de Tournemire, dont le château était situé à une centaine de km plus au sud. Les choses tournèrent autrement qu’il n’avait espéré. Au terme de longues négociations, un accord fut passé à Clermont le 9 avril 1391, entre Jean de Blaisy, « commissaire du roi d’une part, et le seigneur de Tournemire, d’autre part. Celui-ci requérait le pardon pour lui-même et pour plusieurs des siens. Ce pardon serait couché par écrit dans un document scellé, destiné à être remis au bénéficiaire, en mains propres, par Jean de Blaisy. Alors seulement, Marchès serait livré. Charles VI retiendrait Tournemire comme écuyer d’écurie. Sa proposition de payer une rançon, qui aurait pu être très élevée, ne fut pas retenue. Il s’agissait bel et bien d’un procès d’État. Tournemire eut du mal à toucher intégralement le prix de sa trahison. Jean de Blaisy fut l’un des acteurs du procès. Les raisons de la condamnation à mort furent les suivantes : symboliquement, « il est nez du royaume de France »; il aurait pu ou dû demander conseil aux siens; sont rappelées « les rebellions et desobeissances » commises par lui contre les rois de France et d’Angleterre, c’est illégalement, par trahison, qu’il veut prendre, exiger et lever en son royaume patis et rançons, alors que les trêves ont été proclamées. On notera qu’il n’est pas question ici de crime de lèse-majesté, alors que la royauté française ne manquait pas d’y avoir recours : avec le grief de trahison, on demeure dans le contexte « féodal » traditionnel. Mais, dès lors que Marchès était réputé traître, il ne pouvait être considéré comme un « chef de guerre », menant une guerre légitime, et cela indépendamment de son comportement plus ou moins brutal et sanguinaire. Et sa traîtrise était double, féodale et « nationale » : il était arrière-vassal du roi de France, par l’intermédiaire de l’évêque de Limoges.

Parfois, le roi peut accorder des lettres de rémission. Les ravages des routiers, leur présence même décrédibilisent le Prince qui en laissant faire manque à son devoir premier. Mais le seul moyen de débarrasser le Languedoc des routiers en 1391 est le seul de négocier fermement avec eux et de payer leur départ. Quitte à exercer ses forces militaires et à faire un exemple judiciaire avec un obstiné malchanceux, Aymerigot Marchès.

Procès, intervention armée permettent au roi de se débarrasser de ces routiers mais ce n’est que provisoire ; ce n’est qu’avec la restauration de l’ordre public la mise en place d’une armée permanente et l’arrêt de l’activité militaire que le phénomène prend fin : les routiers sont alors allés s’employer ailleurs en Italie et en Allemagne.

Restauration de l’ordre à la fin de la guerre de Cent ansEn effet, après le traité d'Arras (1435) qui assure l'alliance entre Charles VII et Philippe le Bon, les Écorcheurs deviennent indésirables pour le roi, qui a pour souci de regagner la faveur des provinces qu'il reprend aux Anglais (Paris est reprise en 1436, par exemple). Pour s'en débarrasser, Charles VII charge La Hire de rassembler les principales compagnies d'Écorcheurs et de les emmener piller hors du royaume, dans le duché de Lorraine. Parallèlement à cette mise à l’écart, Charles VII tente de structurer son armée en sélectionnant des capitaines d'Écorcheurs qui deviendront capitaines royaux, et en interdisant formellement aux autres de pratiquer pillage et rançonnement en France. Une première tentative, en 1439, est avortée à cause de la Praguerie : les grands vassaux s'opposent à cette réforme qui leur retirerait la possibilité d'engager eux-mêmes les Écorcheurs. Après la trêve franco-anglaise, Charles VII parvient à imposer sa réforme en 1445, laquelle concerne directement les Écorcheurs. L'ordonnance (perdue) de 1445 proclame une amnistie générale pour tous les gens de guerre, l’emploi de quinze d'entre eux, retenus directement au service du roi. Ces quinze Écorcheurs faits capitaines mènent quinze compagnies d'ordonnance permanentes (chacune comprend 100 lances fournies soit, théoriquement, 600 hommes). Cette transition fonctionne bien et les Écorcheurs, privés de toute légitimité dans un contexte où le pouvoir du roi se réaffirme fortement et où une armée structurée est capable de les combattre, disparaissent avec la réforme de l'armée.

CONCLUSION   :

À partir du milieu du XIVe siècle, les troupes royales françaises, qu'elles soient semoncées ou volontaires, sont toutes gagées. La permanence des conflits durant la Guerre de Cent Ans (1337-1453) crée donc des professionnels de la guerre, payés par le roi ou les grands seigneurs. Ceux-ci ne sont cependant pas des mercenaires, car leurs liens vassaliques et clientélistes demeurent en parallèle de leur intérêt économique pour la guerre. Lors des périodes de paix ou de trêve, ces guerriers sans emploi se regroupent en bandes et vivent de pillages et de rançons. Au XIVe siècle, après la paix de Brétigny-Calais (1360), les armées se trouvent débandées sur place et leurs membres cassés de leurs gages. Ceux qui n'ont pas les moyens financiers pour rentrer chez eux ou veulent poursuivre leur mode de vie martial (fortement rémunérateur) forment alors des bandes autonomes de routiers qui exercent une pression sur les régions de France  : ce sont les Grandes Compagnies. Il ne faut pas les confondre avec Les Écorcheurs, qui sont plutôt le fruit de l'instabilité politique de la France du XVe siècle que de la paix mais de nombreux points communs existent entre ces deux phénomènes qui ne peuvent pas être considérés comme des mercenaires au sens strict du terme. Il paraît très difficile de faire une synthèse sur un tel sujet tant les nuances sont nombreuses : D’une part, nous devons nuancer notre propos sur les origines sociales des routiers. D'abord pour dire que la plupart du temps on ne sait les situer précisément que pour les chefs de compagnies, pour les autres....  Les chefs de routiers  alternent service de leur prince, ou d'un prince comme mercenaire et travail pour eux-mêmes, et il n’est pas sûr qu'ils soient coupés de leur arrière plan nobiliaire quand ils en ont un. La différenciation entre gens de guerre traditionnels et routiers n’est pas très nette pour les contemporains qui considèrent, avec Philippe de Mézières, qu’après un tri on peut récupérer parmi eux au service du roi les « prudhommes » nés du royaume, et aussi qu’il est des routiers soucieux de leur « honneur ».

Au final, mercenaires et routiers appartiennent à un monde militaire dont les structures « officielles » sont en pleine évolution avec le passage des levées féodales ou générales au recrutement contractuel et des soudoyers occasionnels à l’armée permanente, tandis que le modèle chevaleresque reste prégnant au prix de réinterprétations qui le plient au service du bien public sans oblitérer prouesse ni aventure. Mercenaires et routiers font partie de l’envers du décor, en ce temps de construction de l’État autour d’un souverain et en référence à un territoire, lieu des fidélités naturelles, pour échapper au contrôle du souverain. Mais les hommes sont au gré des circonstances tantôt soldés par leur prince, tantôt mercenaires pour un autre prince, tantôt routiers se livrant à une prédation pure et simple dont on cherche à se débarrasser. Il n’est pas évident non plus que les compagnies soient  toujours très homogènes sur le plan de l'origine sociale et géographique.  Il est difficile d'évaluer leur cohérence et leur discipline dans la durée, tout ce que l'on peut dire est que les compagnies qui savaient  durer  enkystées dans un pays pour le rançonner  devaient être disciplinées (enfin, un minimum) et que celles qui étaient embauchées au terme d'un contrat de mercenariat étaient en principe  "professionnelles", tout au moins, on l'espérait, espérance parfois déçue.

LEGENDE :

Transition de sous partie -----

Transition de partie -----

Exemples concrets -----