05 a Savoir Avril11[1]

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Avril 2011

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Transition dmographique et emploi en Afrique subsaharienneComment remettre lemploi au cur des politiques de dveloppement

Raphal BEAUJEU Michael KOLIE Jean-Franois SEMPERE Christine UHDERChargs de programme, IRAM

Transition dmographique et emploi en Afrique subsaharienneComment remettre lemploi au cur des politiques de dveloppementRaphal BEAUJEUCharg de programme, IRAM

Michael KOLIECharg de programme, IRAM

Jean-Franois SEMPERECharg de programme, IRAM

Christine UHDERCharge de programme, IRAM [email protected]

Marie-Ccile THIRIONDpartement de la Recherche, AFD [email protected]

SavoirCre en 2010 par le dpartement de la Recherche de lAFD, la collection Savoir rassemble des revues de littrature ou des tats des connaissances sur une question prsentant un intrt oprationnel. Aliments par les travaux de recherche et les retours dexpriences des chercheurs et oprateurs de terrain de lAFD et de ses partenaires, les ouvrages de cette collection sont conus comme des outils de travail. Ils sont destins un public de professionnels, spcialistes du thme ou de la zone concerns.Prcdentes publications de la collection : Savoir No 1 : La rgulation des services deau et dassainissement dans les PED The Regulation of Water and Sanitation Services in DCs o Savoir N 2 : Gestion des dpenses publiques dans les pays en dveloppement Savoir No 3 : Vers une gestion concerte des systmes aquifres transfrontaliers Savoir No 4 : Les enjeux du dveloppement en Amrique latine

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[ Avertissement ]Les analyses et conclusions de ce document sont formules sous la responsabilit de ses auteurs. Elles ne refltent pas ncessairement le point de vue de lAFD ou de ses institutions partenaires.

Directeur de la publication:

Dov ZERAHDirecteur de la rdaction:

Robert PECCOUD

Conception : Ferrari /Corporate Tl . : 01 42 96 05 50 J. Rouy / Coquelicot Ralisation : Vif-Argent Tl. : 01 60 70 02 70 Imprime en France par : La Fertoise

Avant-propos Rsum Introduction

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Sommaire

1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne1.1. La nature des dfis : comprendre les marchs du travail dAfrique subsaharienne 1.2. Le dividende dmographique : une opportunit saisir 1.3. Une vulnrabilit particulire des jeunes et des femmes 1.4. Les migrations : un instrument de rgulation du march du travail ?

2. Lagriculture : un secteur majeur pour lemploi, des dfis considrables2.1. Importance de lagriculture pour lemploi 2.2. Lagriculture familiale : entre rsilience, adaptation, rgression et changement 2.3. Comment accompagner la transition

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3. Soutenir les dynamiques luvre dans lconomie informelle3.1. Une soupape de scurit majeure en labsence de filet social et dopportunits demplois dcents suffisantes 3.2. Les petites entreprises du secteur informel : base dun autre dveloppement ? 3.3. Principaux goulots dtranglement lintgration dans lconomie formelle 3.4. Favoriser la monte en puissance du tissu des micro et petites entreprises 3.5. Autres formes de soutien actuellement mises en uvre

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Sommaire

4. La dynamisation de lconomie moderne : le dfi de la cration demplois dcents et productifs4.1. Un systme productif confront de srieuses difficults de sortie dune conomie informelle peu productive 4.2. Contraintes externes et impact sur les conomies africaines : rapide tat des lieux 4.3. Lidentification et le soutien des secteurs porteurs 4.4. Lassainissement du climat des affaires 4.5. Adopter une perspective rgionale pour favoriser lpanouissement des conomies africaines

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5. Intgrer la question de lemploi dans les stratgies politiques5.1. Les politiques actives dintervention sur le march du travail : une approche ponctuelle et fragmente dun problme structurel 5.2. Les CSLP : une approche multisectorielle au volet emploi encore trop peu harmonis 5.3. Vers une prise en compte de lemploi dans une stratgie politique intgre : les politiques nationales demploi 5.4. Limportance de systmes statistiques adapts pour un meilleur pilotage politique 5.5. Vers une volution dans les stratgies des bailleurs : lmergence des alliances internationales pour la lutte contre le chmage des jeunes

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Conclusion Annexes Liste des sigles et abrviations Liste des fiches techniques Liste des experts participants Bibliographie thmatique

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Avant-proposCette tude, fonde sur lanalyse des volutions dmographiques en Afrique subsaharienne, tmoigne de lurgence quil y a placer lemploi au cur des proccupations politiques. LAfrique subsaharienne est en effet la dernire rgion entamer son processus de transition dmographique, et par-l celle o la question de lemploi se pose de la manire la plus pressante. Cette tude na pas lambition dtre exhaustive : elle vise faire apparatre les tendances globales, bases sur des caractristiques que partagent une majorit des pays du continent, et ainsi identifier quelques grands axes dinvestigation qui pourront servir de socle une rflexion plus oprationnelle mener, selon les spcificits de chaque pays. La structure des marchs de lemploi subsahariens rvle la prpondrance du secteur agricole et de lconomie informelle. La problmatique de cette tude est inspire des travaux RuralStruc conduits par la Banque mondiale et la coopration franaise (MAEE, ministre de lA limentation, de lAgriculture et de la Pche, AFD, Cirad et FIDA). La ralisation de cette tude sest heurte plusieurs difficults : celle de la gnralisation que suppose un tel exercice, qui ne permet pas toujours de faire ressortir les spcificits des diffrents pays composant ce continent ; celle aussi du manque dhomognit et de la difficult daccs des indicateurs statistiques fiables, rcents et adapts au pilotage des politiques de dveloppement. Les chiffres mentionns ici ont de ce fait moins vocation donner des indications rigoureuses qu' prsenter les lignes de force propres aux marchs de lemploi en Afrique subsaharienne. Ltude se compose dune note de problmatique et de vingt fiches thmatiques ayant pour objet des approfondissements ou des mises en contraste sur certains sujets qui nous semblent particulirement importants. Les pistes de rflexion qui sont dveloppes ici sadressent aux partenaires au dveloppement des pays africains. La ralisation de ce document a bnfici d'un appui financier et d'un investissement des quipes du MAEE et de l'A FD sur le contenu.

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RsumPeut-on rellement parler dune exception africaine au processus de transition dmographique ? Force est de constater que la trajectoire dmographique de ce continent est singulire. En dcalage par rapport aux autres rgions en dveloppement, la fcondit y diminue globalement depuis le dbut des annes 1980, mais un rythme particulirement lent et irrgulier (fiche 1). Si la transition est nettement plus avance dans les sous-rgions dAfrique du Nord et dAfrique australe, le reste du continent, qui reprsente 90 % de la population totale, dtient le record mondial de la fcondit, avec 5,5 enfants par femme, contre 6,7 en 1980. En consquence, la population dAfrique subsaharienne est jeune : 63 % des Africains ont moins de 25 ans. Laugmentation rapide de la population, de 860 millions aujourdhui plus de 1,3 milliard en 2030, devrait se traduire par une croissance de plus de 50 % des arrives de jeunes sur le march du travail. Actuellement, la population active de la rgion, mesure par le nombre de personnes ges entre 15 64 ans, augmente chaque anne de 17,5 millions. Ce chiffre devrait atteindre 27 millions en 2030. La formulation de politiques de formation et demploi efficaces et la capacit des systmes conomiques offrir des opportunits demplois dcents et productifs se trouvent au cur de ces dfis conomiques. plus long terme, le futur dmographique de lAfrique nest pas encore crit. Il dpendra des progrs socioconomiques mais galement de laction politique qui sera mise en uvre au cours des prochaines annes en matire dmographique. Dans lhypothse o la baisse de la fcondit se poursuit son rythme actuel, les cohortes de jeunes vont tout de mme continuer daugmenter significativement durant les prochaines dcennies, aggravant les risques associs une jeunesse toujours plus nombreuse souffrant des effets dun sous-emploi et dun chmage massifs. linverse, lacclration de la baisse de la fcondit africaine produirait par effet de ricochet une chute des taux de dpendance (rapport inactifs/actifs), autrement dit lapparition dun dividende dmographique . Ce changement sociodmographique constituerait une opportunit historique, certes transitoire mais relle, pour le dcollage conomique de lAfrique (fiche 4). A titre dexemple, on estime ainsi que le tiers de la croissance du PIB dA sie du Sud Est entre 1970 et 2000 est d la chute de la fcondit et des taux de dpendance, dans un cadre institutionnel et socioconomique favorable.

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Dans ce contexte, la plupart des pays dAfrique subsaharienne vont tre confronts un double dfi, lun rel, lautre hypothtique : 1) ds prsent, le dfi de la matrise dmographique et de lemploi ; 2) long terme, le dfi de tirer profit dun ventuel dividende dmographique. Or, lanalyse des marchs de lemploi en Afrique subsaharienne fait ressortir plusieurs grands constats : en dehors de lagriculture, le faible dynamisme des secteurs secondaire et tertiaire : cela se traduit par la cration dactivits dans le secteur informel, qui regroupe entre 70 et 90 % de lemploi non agricole (chapitre 3, et notamment fiches 2 et 13) ; la prpondrance de lagriculture, et plus particulirement des agricultures familiales dans lemploi (fiche 7) : malgr les migrations vers les villes, la population rurale qui reprsente encore 60 % de la population totale, continue de crotre, et cest parmi elle que la proportion de pauvres est la plus importante. Le secteur agricole continue absorber en moyenne entre 50 et 60 % de la population active, chiffre pouvant atteindre 90 % dans certains pays (voir chapitre 2) ; la difficult particulire des jeunes et des femmes sinsrer sur le march du travail (chapitre 1, et notamment fiche 8) ; limportance des migrations rgionales comme instrument de rgulation du march du travail (chapitre 1 et fiche 5) ; Ces constats illustrent le peu deffet dentranement de la croissance sur lemploi en Afrique subsaharienne. Relever le dfi de lemploi, transformer la jeunesse en un atout pour le continent impliquent de prendre en compte ces grandes tendances et de les intgrer dans les choix politiques. Premire leon tirer : lemploi et la rduction de la pauvret ne dcoulent pas forcment de la croissance ou des options conomiques et commerciales prises jusqu prsent dans bon nombre de pays, entre autres linsertion rapide et sans accompagnement dans lconomie mondialise. Ce constat souligne la ncessit dune approche volontariste de lemploi, mettant cette proccupation au centre des choix politiques. La deuxime gnration des CSLP, plus sensible la question de lemploi, et lmergence de politiques nationales demploi, tmoignent de la prise de conscience du besoin de faire de lemploi une priorit sur lagenda politique national et international.

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Mais lAfrique a-t-elle les moyens pour relever seule un tel dfi ? Laction de ses partenaires au dveloppement a-t-elle intgr lampleur de cet enjeu et ses consquences pour les choix de politique dintervention ? Lanalyse de plusieurs secteurs cls pour lemploi souligne les faiblesses mais aussi quelques pistes de travail pour accompagner cette transition :

Les potentialits de lagriculture familiale dans un environnement international contraignantLagriculture familiale assure aujourdhui plus de 90 % de la production agricole. Elle constitue le principal secteur dont dpend la survie de la majorit de la population africaine. Au regard du rle essentiel que jouent ces exploitations en matire demploi, notamment des populations les plus marginalises, il est essentiel de cibler au mieux les petites exploitations familiales. La capacit de lagriculture absorber une partie de la population active dpendra essentiellement de la viabilit des exploitations, ce qui ramne aux questions des conditions daccs aux marchs au niveau national et international, de laccroissement potentiel de la productivit de la terre et du travail, de lamlioration de loffre de biens publics, mais aussi de la structuration des organisations paysannes et de la valorisation du capital humain. Cette dynamisation passera dabord par un accroissement de la productivit, ce qui suppose un appui public tant en termes de ressources supplmentaires que de rforme politique, et une forte capacit des gouvernements crer les conditions incitant les agriculteurs prendre linitiative, investir et avoir confiance dans le fonctionnement des marchs. Il conviendra par ailleurs dtablir des instruments de march et/ou des interventions publiques permettant de rguler/stabiliser les marchs intrieurs, pour apporter une scurit minimale aux producteurs et aux autres acteurs qui choisissent de sinvestir dans la promotion des filires locales et rgionales. Ces instruments vont de lassurance aux subventions pour les investissements lourds, des instruments de march aux instruments de rgulation du commerce, du stockage aux filets de scurit [1]. Le renforcement des capacits des acteurs du milieu rural (fiche 10) sera essentiel pour favoriser leur adaptation un environnement national et international complexe et en constante volution. Paralllement, la structuration dorganisations de[1] Cf Comment grer linstabilit des prix alimentaires dans les pays en dveloppement , F Galtier, Working Paper MOISA n 04/2009.

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producteurs aptes dfendre et reprsenter les intrts des paysans sera un lment cl dans la dfinition et le contrle des politiques du secteur agricole (fiche 11). Cette structuration devra inclure les acteurs de la production vivrire pour son rle central dans la scurit alimentaire et lemploi, et plus particulirement les femmes qui en sont un pilier (fiche 8). Lurbanisation galopante, et plus spcifiquement le dveloppement de villes secondaires (travaux Africapolis*) reprsente une opportunit pour lagriculture, si toutefois le lien entre territoires ruraux et zones urbaines se trouve renforc par un amnagement du territoire facilitant les changes, notamment via des travaux dinfrastructures (fiche 6). Lamnagement du territoire ne doit pas se limiter lchelle nationale : laccs aux marchs rgionaux et sous-rgionaux constitue galement une solution au dveloppement du secteur agricole, intensif en mainduvre et donc crateur demploi. En largissant la taille du march, le renforcement du processus dintgration rgionale permet daccrotre les dbouchs vers une demande accessible car ayant des caractristiques similaires celles des consommateurs au niveau national. La faiblesse de linvestissement en raison, entre autres, de linstabilit des prix et de la demande (concurrence des importations), la difficult respecter les normes sanitaires et de qualit, et la faible structuration des filires sont souvent cits comme des freins la croissance de lagriculture dans les pays en dveloppement. Face ces contraintes, le dveloppement de la contractualisation peut constituer une solution. Mais elle peut aussi tre un facteur dexclusion des plus vulnrables, lorsquelle privilgie lapprovisionnement auprs de grandes exploitations commerciales (fiche 9). Pour viter cet cueil, le dveloppement de la contractualisation doit saccompagner de la mise en place dun environnement institutionnel et lgal garantissant le respect des contrats et des normes des marchs (y compris les contrats de travail), et propre renforcer la capacit des producteurs ngocier et respecter les contrats.

Dynamiser les petites entreprises du secteur informelLa faiblesse du dveloppement et de la structuration des secteurs conomiques dans de nombreux pays dAfrique subsaharienne se traduit par une trs faible offre demplois salaris. Les populations travaillant hors de lagriculture tirent de fait leurs* http://www.afd.fr/jahia/Jahia/lang/fr/home/publications/travaux-de-recherche/archives-anciennescollections/NotesetEtudes/Africapolis

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sources de revenus dune ou plusieurs activits dans le secteur dit informel. La notion de secteur informel est communment utilise pour dcrire la large part de la population active travaillant en dehors de la sphre du travail stable, protg et plein temps. Le secteur informel occupe une large place en Afrique subsaharienne, o il reprsente entre 70 et 90 % de la population active non agricole, 80 % des crations demploi et entre 50 et 60 % de la richesse nationale (fiche 2). Compte tenu du rle de stabilisation sociale et conomique que joue ce secteur, notamment en priode de rcession, les gouvernements et partenaires dsireux de rduire la pauvret et damliorer la situation de lemploi, devront rflchir des stratgies nouvelles et audacieuses visant soutenir les dynamiques qui y sont luvre (fiche 13). Fortement ancres dans le territoire et dans la socit civile, les micro- et petites entreprises du secteur informel pourraient bien constituer la base de lmergence dun vritable secteur priv. Elles se caractrisent notamment par leur potentiel de cration de valeur ajoute en raison de limportance des activits de transformation des matires premires, leur potentiel dexportation et de modernisation, et leur incidence sur lmergence dune classe moyenne endogne, source de stabilit pour le pays. Certaines tudes menes sur ce secteur (Afristat, 2005 ; CAD, 2006) ont montr que les causes de linformalit tenaient moins la mauvaise volont des microentrepreneurs qu la difficult des dmarches administratives et au niveau dimposition par rapport la capacit contributive des entreprises. La dynamisation des entreprises de ce secteur passera donc ncessairement par lamlioration de lenvironnement des affaires. La simplification des formalits administratives et du systme dimposition (impt unique, non-rtroactivit de limposition) serait de nature rduire la corruption et favoriser la formalisation. Ces structures ont aussi des besoins dappuis pour dvelopper des activits dans des niches dites orphelines , pour amliorer laccs linformation (rseau TPA, CITE Madagascar) et aux technologies (fiche 14), laccs au microcrdit (et notamment la msofinance dispositif ARIZ) et la formation professionnelle (et notamment la structuration progressive de lapprentissage traditionnel - fiche 15).

long terme, favoriser lmergence dun tissu industriel moderne et dynamiqueLe segment formel de lconomie, et plus particulirement le secteur industriel africain, est trs faiblement dvelopp. quelques exceptions prs, force est de

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constater que lindustrie africaine est insignifiante, dans sa contribution aux PIB nationaux (moins de 15 %) comme sur le plan de lemploi formel (10 % 20 % de la main-duvre non agricole). Cette faiblesse tient aux srieuses contraintes auxquelles est confront ce segment de lconomie, parmi lesquelles on compte un environnement des affaires dfavorable voire hostile ; une structure de production bimodale [2] o les moyennes entreprises sont singulirement absentes ; ou encore linsuffisance de formation et de comptences techniques (fiche 16). La modernisation des activits productives en Afrique subsaharienne implique de transformer les structures productives informelles en entreprises dynamiques, mais aussi de diversifier les activits productives, travers un dveloppement des structures de transformation des produits agricoles et la mise en place dune politique coordonne dattraction des investissements directs trangers (IDE). Ces politiques ne russiront que si lenvironnement des affaires samliore, et si elles prennent en compte les stratgies conomiques et politiques des acteurs conomiques (fiche 18). Comme soulign prcdemment, un des enjeux est donc la structuration des micro, petites et moyennes entreprises africaines, pour la plupart informelles, fortement ancres dans le tissu conomique et social local et intensives en mainduvre. Ces entreprises contribuent dj la cohsion conomique des capacits productives, stimulant la productivit et la comptitivit de lconomie grce aux relations industrielles et commerciales avec les plus grandes entits, et via une spcialisation dans des marchs de niches. De plus, elles prservent la cohsion sociale en rduisant les disparits et les carts de dveloppement, et en rpartissant les gains de la croissance conomique une plus large population, notamment dans les rgions plus recules. En dpit de sa nature segmente et prcaire, le secteur informel ne peut exister en tant totalement isol du secteur formel. Son existence dpend beaucoup de sa capacit livrer des biens et services prix plus bas ou en quantits plus faibles que le secteur formel, ou fournir des biens et services qui autrement ne seraient pas disponibles du tout. Le secteur informel constitue aussi un vaste rservoir de main-duvre dans lequel le secteur formel peut puiser en temps dexpansion conomique, et dans lequel la main-duvre trouve une source doccupation et de revenus en temps de rcession. La recherche de synergies entre les deux segments de lconomie savre dautant plus importante que la crise financire actuelle risque dentraner la destruction des emplois dans le segment formel de lconomie, et la plus grande informalisation et prcarisation de lemploi.[2] Rfrence John K. Galbraith : opposition entre le monde des grandes organisations, qui utilise la planification pour encadrer le march et les petites organisations, qui restent soumises aux alas et aux lois du march.

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Une stratgie de dynamisation et de soutien aux dynamiques des deux segments de lconomie se rvle, dans ce contexte, vitale pour la fois protger lemploi cr par les entreprises du segment formel, tout en prenant le soin de dvelopper des politiques de soutien et de protection aux actifs du segment informel, vers lequel sorientent les exclus du segment formel (fiche 17). A ces contraintes internes sajoutent des difficults dordre externe, qui tiennent un effet dit de confrontation (Losch et al. 2008), li au dcalage dans le temps des processus de transition conomique des pays. Les conomies africaines se trouvent ainsi en situation de concurrence avec des conomies situes un stade beaucoup plus avanc de leur transition conomique, ce qui entrave srieusement leur capacit se dvelopper, tant sur le plan agricole quindustriel. Absence de spcialisation, manque de relations verticales ou horizontales interentreprises, vtust des infrastructures, absence de main-duvre qualifie sont autant de facteurs expliquant le faible niveau des IDE en Afrique subsaharienne. Ceux-ci se concentrent dans les secteurs haute intensit capitalistique, notamment lis lextraction de matires premires, mais dont les effets dentranement sur lensemble de lconomie et sur lemploi sont trs faibles. Les pays africains peinent ds lors utiliser les IDE comme un levier pour leur conomie et senferment dans lappauvrissement. Afin de tirer avantage de la mondialisation et devenir une zone attractive pour les IDE, les pays africains devront travailler llimination de ces goulots dtranglement, et mettre en place des politiques attractives incluant la formation de la main-duvre ou encore le dveloppement de zones franches couples un environnement des affaires attractif. Enfin, face aux contraintes relatives la pntration des marchs au Nord, la rgionalisation du commerce mondial, et ltroitesse des marchs locaux, il parat de plus en plus important dadopter une perspective rgionale pour favoriser lpanouissement des activits conomiques et la ralisation dconomies dchelle.

Intgrer la question de lemploi dans les stratgies politiquesAlors que lemploi se trouve souvent au cur des discours politiques, les stratgies mises en uvre pour relever ce dfi se sont pour la plupart rsumes la mise en place de programmes caractre palliatif de courte dure. Politiques de formation professionnelle, politiques de cration demploi par les travaux dinfrastructures haute intensit de main-duvre et politiques de promotion de lemploi autonome sont autant dinterventions qui ont connu un essor en Afrique subsaharienne depuis

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les annes 1970, avec des rsultats assez mitigs. Lchec de la plupart de ces programmes, au regard des taux de chmage levs et des faibles niveaux de productivit, implique dabandonner une approche ponctuelle, au profit dune dmarche volontariste sappuyant sur une stratgie politique intgre de cration demplois. La meilleure prise en compte de lemploi dans la deuxime gnration des CSLP et lmergence de politiques nationales demploi (fiche 19) tmoignent de la prise de conscience par les dirigeants de limportance de la question. Augmenter lemploi productif sera fondamental pour la ralisation des OMD, que ce soit la satisfaction des besoins essentiels ou la rduction de la pauvret. Encore faut-il que les discours gnraux se traduisent concrtement dans les politiques sectorielles, les programmes dinvestissement, les outils de pilotage des programmes. De leur ct, les agences de dveloppement doivent donner plus dimportance cette dimension dans leur dialogue avec les gouvernements des pays africains (fiche 21). Les cadres macroconomiques tablis entre ltat et les partenaires au dveloppement devraient fixer des objectifs demploi au mme titre que ceux de la matrise de linflation ou du dficit budgtaire. Ceci suppose lexistence de statistiques fiables permettant de comprendre le fonctionnement des marchs du travail formel et informel, afin de faire reposer llaboration des politiques sur des observations factuelles (fiche 20). Dans le cas particulier de la France, cela pourrait se traduire par une meilleure prise en compte des questions demploi dans la politique dannulation de la dette (dispositif C2D notamment). Llaboration de ces politiques dans le cadre dun dialogue social constituerait un gage fondamental de qualit et de stabilit des stratgies demploi.

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IntroductionDernire rgion du monde entamer son processus de transition de la fcondit, lAfrique subsaharienne, devra relever le dfi doffrir des opportunits demplois dcentes et productives une population active de plus en plus nombreuse. Or, des incertitudes psent sur lampleur de cette augmentation : si les personnes ges entre 15 et 64 ans reprsentent aujourdhui 54 % de la population, cette proportion devrait se situer en 2050 entre 62 et 69 %, lcart entre les deux hypothses avoisinant les 200 millions de personnes. Lvolution du ratio actifs/inactifs dpendra en grande partie du rythme de la transition de la fcondit. Dans lhypothse o les niveaux de fcondit chuteraient rapidement, un dividende dmographique [3] pourrait se dgager, ce qui constituerait une relle opportunit pour le dveloppement conomique de ces pays. La transition dmographique de lAfrique subsaharienne se trouve ainsi au cur des enjeux conomiques. Dans des contextes national et mondial contraignants, les systmes productifs de la rgion auront-ils les capacits dadaptation suffisantes pour faire face laccroissement considrable des arrives de jeunes sur le march du travail, en leur offrant des emplois qui soient la fois dcents et viables ? Lanalyse de la situation actuelle suscite plusieurs interrogations. LAfrique subsaharienne reste la rgion du monde la plus dpendante de son secteur agricole, tant sur le plan conomique que du point de vue de lemploi. Mais la pression dmographique, la pauvret rurale, les crises conomiques et climatiques qui ont touch rgulirement le secteur agricole de ces pays, la faible comptitivit de lagriculture traditionnelle et la comptition accrue pour laccs aux ressources naturelles ont contribu aux afflux massifs et rguliers des paysans vers les villes. Mme si elles sont encore majoritairement rurales, les socits africaines ont vu leur population urbaine multiplie entre dix et vingt fois au cours du XX e sicle. Dans prs de trois pays sur quatre, plus de 60 % de la population sera urbaine dici 2050. Ces volutions (accroissement de la population active, urbanisation rapide) posent une double question : dune part la capacit du secteur agricole proposer un avenir[3] Le dividende dmographique correspond une priode de baisse des taux de dpendance, qui mesure la charge potentielle des inactifs pour cent personnes dge actif.

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Introduction

aux populations rurales et donc fixer une partie de la population active dans les campagnes ; et dautre part, la capacit de lconomie non agricole proposer des opportunits demplois viables et dcents aux populations qui ne trouvent plus en lagriculture une source demploi. Le processus durbanisation en Afrique subsaharienne seffectue sans industrialisation pralable et sans perspectives migratoires massives et porteuses. Le manque dopportunits de travail en dehors du secteur agricole se traduit de ce fait par la cration dactivits dans lconomie populaire, aussi appele conomie informelle, seule source de revenus dans un contexte de quasi-inexistence de protection sociale. Mme sil est abusif de dresser des typologies au sein dune ralit dont la caractristique premire est lhtrognit, nous pensons avec dautres auteurs que le secteur informel a une variante africaine, plus ancre dans les activits de survie ralises petite chelle, et ce dans un contexte lui aussi particulier. Ainsi, ces activits des plus souterraines aux plus apparentes ont pour fonction dassurer la flexibilit rendue ncessaire par les errements du secteur moderne. Souvent, cest le problme du dveloppement qui est pos et linformel nest quun lment dun enjeu plus considrable. Lanalyse des volutions actuelles, tant sur le plan dmographique que sur le plan conomique, tmoigne de lurgence quil y a, pour les bailleurs de fonds, soutenir les pays africains face ce dfi de lemploi, faute de quoi cette croissance dmographique pourrait constituer un facteur de dstabilisation pour le continent, engendrant des tensions aussi bien sur les plans conomique, que social et politique. Ce travail vise analyser les principaux enjeux demploi et dactivit conomique auxquels est confronte lAfrique, et plus particulirement sa rgion subsaharienne. En laborant des pistes daction pour la coopration franaise et pour les partenaires au dveloppement, il se veut un outil de rflexion stratgique qui permette de mieux clairer les positions et orientations des dcideurs. Dans un premier temps, nous prsenterons le cadre des dynamiques dmographiques dans lequel les enjeux demploi se situent. Si la question de la matrise dmographique ne constitue pas en soi lobjet de cette tude, elle nen reprsente pas moins sa toile de fond. Ensuite, nous mettrons en vidence la place que continue de jouer lagriculture dans ces conomies et donc son rle en matire demploi. Nous montrerons ensuite que les secteurs non agricoles sont trop peu dvelopps pour offrir des opportunits suffisantes et dcentes demploi, ce qui se traduit par la cration massive dunits conomiques dans le secteur informel. Cette tude se

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Introduction

penchera sur les pistes de dynamisation possibles de ce segment de lconomie afin de le faire voluer vers un tissu de micro, petites et moyennes entreprises dynamique et intgr. Nous voquerons galement les principales contraintes lessor dune conomie moderne et proposerons quelques pistes de rflexion pour en rduire limpact sur les conomies africaines. Nous conclurons enfin en analysant la place quoccupe lemploi dans les stratgies actuelles des pays africains et des bailleurs de fonds pour en valuer la capacit relever le dfi de lemploi.

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienneCaractrise par un processus de transition dmographique lent et irrgulier, lAfrique devrait devenir partir de 2010 la deuxime rgion la plus peuple au monde aprs lA sie. Laugmentation de la population mondiale sera quasi exclusivement alimente par ces deux continents au cours des prochaines dcennies. Si la population asiatique devrait augmenter de 30 % dici 2050, celle de lAfrique, qui a pass le cap du milliard dhabitants en 2009, devrait quant elle doubler dans le mme temps, selon le scnario mdian de lONU. Nanmoins, lONU indique que, selon que lon retienne lhypothse basse ou haute , la population africaine se situera en 2050 entre 1,7 et 2,3 milliards dhabitants (entre 1,5 et 2 milliards pour lAfrique subsaharienne). Autrement dit, si la baisse des niveaux de fcondit se poursuit au rythme actuel (scnario haut), lAfrique subsaharienne pourrait compter 500 millions de personnes supplmentaires par rapport au scnario bas qui projette une baisse significative de la fcondit. Le rythme de transition de la fcondit dterminant mcaniquement le nombre dentres supplmentaires que les marchs du travail doivent absorber chaque anne (voir fiche 1. Typologie de la problmatique de la transition dmographique et de lemploi), ce nombre sera parmi les plus importants que lAfrique ait jamais connu, notamment pour la partie subsaharienne qui sera confronte une augmentation de 50 % voire plus dici 2030 (de 17 millions dentres sur les marchs du travail en 2010 27 millions en 2030). Ces perspectives devraient interpeller les acteurs politiques sur la capacit des marchs du travail africains absorber des cohortes de jeunes toujours plus nombreuses. Les conomies africaines sont-elles suffisamment dynamiques pour proposer ces actifs une offre massive demplois, qui soient la fois dcents et

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

viables ? Quelle est la nature des dfis que rencontrent les actifs des pays africains et quelles rflexions engager pour y remdier ? Sans une telle rflexion, cette croissance dmographique risquerait au contraire de constituer un fardeau majeur et un facteur de dstabilisation tant sur les plans conomique, que politique et social.

Tableau

1 volution de la population par rgion (scnario mdian)4, de 1950 20501950 Millions % 9 7 7 7 55 22 1 100 1990 Millions 639 518 283 442 3 179 721 27 5 290 % 12 10 5 8 60 14 1 100 2000 Millions 819 675 319 521 3 698 727 31 6 115 % 13 11 5 9 60 14 1 100 2010 Millions 1 033 863 352 589 4 167 733 36 6 909 % 15 12 5 9 60 11 1 100 2050 Millions 1 998 1 753 448 729 5 231 691 51 9 150 % 22 19 5 8 57 8 18 100

Afrique dont Afrique subsaharienne Amrique du Nord Amrique latine et Carabes Asie Europe Ocanie Population mondiale

227 183 172 167 1 402 547 13 2 529

Source : The 2008 Revision of World Population Prospects, ONU, 2009.

[4] Hypothses des scnarios dvolution de la population dvelopps par lONU : - Scnario bas : hypothse de fertilit (2045-2050) de 1,97 ; hypothse desprance de vie la naissance de 65,9 ; hypothse de migration internationale : 302 000. - Scnario mdian : hypothse de fertilit (2045-2050) de 2,46 ; hypothse desprance de vie la naissance de 65,9 ; hypothse de migration internationale : 302 000. - Scnario haut : hypothse de fertilit (2045-2050) de 2,96 ; hypothse desprance de vie la naissance de 65,9 ; hypothse de migration internationale : 302 000. - Scnario fertilit constante depuis 2010 : hypothse de fertilit (2045-2050) de 5,32 ; hypothse desprance de vie la naissance de 65,9 ; hypothse de migration internationale : 302 000.

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

Schma

1 Projection sur la population dAfrique subsaharienne lhorizon 2050

(millions hab.) 3000 2500 2000 1500 1000 500 0 1950 1990 2000 2010 2050

Scnario bas Scnario hautSource : The 2008 Revision Population Database, ONU.

Scnario mdian Scnario fertilit constante

Fiche

1

Typologie de la problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne et projectionsJean-Pierre GUENGANT, dmographe, directeur de recherche lIRD

La baisse ou transition de la fcondit sest amorce en Afrique subsaharienne au dbut des annes 1980, avec quelque vingt ans de retard par rapport lAsie et lAmrique latine. Elle est donc tardive, lente et ingale. partir des dernires estimations des Nations unies [5] dvolution de la fcondit entre 1975-1980 (qui correspond gnralement aux maxima atteints) et 2005-2010, on peut faire ressortir quatre types de transitions de la fcondit : Le premier type correspond une transition ancienne amorce dans les annes 1960. Il ne concerne que trois pays, revenu par tte relativement lev, o la fcondit pour la priode 2005-2010 est infrieure 3 enfants par femme : lAfrique du Sud, l'le Maurice et la Runion. Le deuxime type correspond une transition rcente relativement bien amorce avec une baisse significative de fcondit, de prs de -3 -4 enfants et plus par femme au cours des trente dernires annes. Il concerne dix pays, o la fcondit se situe aujourdhui entre 3 et 4 enfants par femme (un peu plus en Cte dIvoire : 4,5 et aux Comores : 4,3), contre 6 ou 7 la fin des annes 1970. Ces pays

[5] Publies en mars 2009, World Population Prospects: The 2008 Revision, http://www.un.org/esa/population.

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

sont par importance de diminution de la fcondit : le Zimbabwe, le Botswana, la Namibie, le Cap-Vert, le Swaziland, la Cte dIvoire, Djibouti, le Ghana, les Comores, et Sao Tom et Principe. Il sagit de quatre pays voisins de lAfrique du Sud, trois pays insulaires et Djibouti, et de deux pays ctiers dAfrique de lOuest ( conomie de plantation). La moiti de ces pays ont une population majoritairement urbaine, et la plupart ont connu dimportants mouvements migratoires (dmigration ou dimmigration). Carte 1. Types de transition de la fcondit

Source : IRAM, sur la base des donnes de la fiche.

Ces deux groupes de pays, pour lesquels les dfis inhrents la transition dmographique se poseront de manire moins grave, ne constituent quune minorit sur le continent africain. Les pays pour lesquels la transition de la fcondit est ancienne ne reprsentent en effet que 6,1 % de la population dAfrique subsaharienne, tandis que ceux dont la transition de la fcondit est relativement bien amorce nen reprsentent que 7,7 %, soit au total moins de 14 % de lensemble de la population du continent. Le troisime type correspond une transition plus lente et irrgulire , avec une baisse de fcondit de -2,6 -1,2 enfants par femme depuis la fin des annes 1970, avec quelquefois des stagnations des baisses amorces. Il concerne dix-neuf pays sur quarante-huit, soit 40 % des pays dAfrique subsaharienne. La fcondit y reste

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

aujourdhui (2005-2010) proche ou suprieure 5 enfants par femme, contre 6 8 la fin des annes 1970 (sauf au Lesotho et au Gabon o la fcondit, infrieure 6 enfants par femme dans les annes 1970 est aujourdhui de lordre de 3 enfants). Il sagit par importance de diminution de la fcondit du Kenya, du Rwanda, du Lesotho, du Sngal, du Togo, du Soudan, de la Zambie, du Cameroun, de la Mauritanie, du Malawi, du Gabon, de la Gambie, de Madagascar, du Congo, du Burkina Faso, du Bnin, du Nigeria, de la Tanzanie, et de la Guine. La plupart de ces pays ont encore plus de la moiti de leur population rurale. Ce groupe comprend environ la moiti des pays dAfrique de lOuest (pays ctiers) et dAfrique centrale, et un tiers des pays dAfrique de lEst. Le quatrime et dernier type correspond une transition trs lente voire non amorce , avec une baisse de la fcondit de 0 -1,5 enfant par femme en 30 ans. Il concerne seize pays : onze pays o la fcondit est toujours de lordre de 6 7 enfants par femme, et cinq pays o elle est de lordre de 5 enfants. Les pays concerns sont par importance de diminution de la fcondit : la Rpublique centrafricaine, lrythre, lthiopie, le Mozambique, la Somalie, la Guine Bissau, le Libria, le Mali, le Niger, le Sierra Lone, lAngola, la Rpublique dmocratique du Congo, la Guine quatoriale, le Tchad, le Burundi, et lOuganda. La plupart de ces pays ont des taux durbanisation faibles et ont connu des guerres ou des troubles intrieurs graves. La moiti dentre eux sont des pays enclavs. Ces deux derniers groupes concernent la plus large part de la population dAfrique subsaharienne, puisquils reprsentent respectivement 50,1 % et 35,9 % de sa population. Le Nigeria, qui entre dans une phase de transition lente et irrgulire, reprsente lui seul 18,3 % de la population subsaharienne. Cette analyse des types de transition de la fcondit tmoigne de lampleur du dfi auquel seront confronts la grande majorit des pays africains, notamment en termes de cration demplois pour les cohortes de jeunes qui vont entrer sur le march du travail. Lvolution de ces entres est dtermine par lanciennet et lampleur des transitions de la fcondit et par limpact sur les structures par ges des mouvements migratoires et des guerres ou troubles intrieurs. Cest ainsi que dici 2030, les arrives sur les marchs de lemploi (en supposant que tous les jeunes qui entrent sur le march de lemploi ont entre 15 et 24 ans, on peut estimer les arrives annuelles sur le march de lemploi un dixime du groupe dge 15-24 ans) devraient plus ou moins se stabiliser leurs niveaux actuels (levs) avec une augmentation infrieure 10 % entre 2010 et 2030 pour huit pays (quatre pays dAfrique australe, le Zimbabwe et trois les). Pour quatre autres pays,

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

laugmentation resterait contenue entre 10 % et moins de 20 % (Burundi , Djibouti, Gabon, Namibie). Pour douze autres pays, elles devraient continuer augmenter de 20 50 %. Pour les vingt-quatre pays restant (la moiti des pays), elles devraient augmenter de 50 100 %. Les pays trs peupls comme la Rpublique dmocratique du Congo, lEthiopie, ont des taux daugmentation suprieurs 50 %, ou proches de 50 % (Cte dIvoire, Nigeria). Cest pourquoi les arrives annuelles sur les marchs de lemploi pour lensemble de lAfrique subsaharienne devraient passer de 17 millions en 2010 27 millions en 2030, ce qui correspond une augmentation de plus de 50 %. Carte 2. Augmentation des arrives sur le march du travail de 2010 2030*

Source : IRAM, sur la base des donnes de la fiche.

Ensuite, si les baisses supposes assez rapides de la fcondit entre 2010 et 2030 se ralisent (ce qui nest pas certain), les arrives sur les marchs de lemploi pourraient se stabiliser partir de 2030 dans vingt-et-un pays (avec une augmentation infrieure 10 % entre 2030 et 2050). Par ailleurs, dans seize pays, elles continueront augmenter entre 10 % et moins de 25 %, et dans les onze pays restant, gnralement peu urbaniss en 2010 et transition trs lente ou irrgulire, elles continueront augmenter pour tre en 2050 de 50 % 80 % suprieures au niveau atteint en 2030. Pour lensemble de lAfrique subsaharienne, les arrives annuelles sur les marchs de lemploi devraient ainsi atteindre 32 millions en 2050, soit prs du double des arrives estimes pour 2010 !* Voir tableau 17 en annexe.

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

Si lon considre maintenant lensemble de la population active potentielle (ge de 15 64 ans), celle-ci augmentera modrment, de moins de 50 %, entre 2010 et 2030, dans sept pays seulement (quatre pays dAfrique australe et trois les). Elle devrait en revanche augmenter entre 50 % et moins de 75 % dans la moiti des pays (vingt-quatre), et de 75 % plus de 100 % dans un tiers des pays (dix-sept). Ces augmentations devraient se poursuivre, mais un rythme plus modr entre 2030 et 2050. Ainsi sur lensemble de la priode 2010-2050, la population active potentielle devrait doubler voire tripler dans 41 pays sur 48 (exception faite de quatre pays dAfrique australe et de trois les).

1.1. La nature des dfis : comprendre les marchs du travail dAfrique subsaharienneLa bonne comprhension du fonctionnement des marchs du travail en Afrique subsaharienne sera essentielle pour pouvoir rpondre au dfi de lemploi. Ghose et al. (2008) identifient trois grandes caractristiques des marchs du travail subsahariens.

1.1.1. Le dualisme des marchs du travail africainsPremirement, une organisation de lconomie et donc du march du travail en deux segments (on parle de dualisme de lconomie). Le premier, que lon appellera conomie moderne, ou conomie formelle, se caractrise par loffre demplois protgs et productifs. Ce segment ne concerne quune faible part de la population active en Afrique subsaharienne* (entre 10 et 30 % de lemploi selon Jtting et de Laiglesia, 2009), et ne regroupe que les entreprises rpondant aux critres de classification, denregistrement et dacquittement de charges sociales et fiscales de ladministration (Arnaud, 1993). Lemploi pourvu dans les administrations publiques est gnralement inclus dans lemploi formel. Le second segment, appel conomie informelle ou populaire, est essentiellement dfini par exclusion du premier. Il se caractrise par une grande diversit dactivits, gnralement peu productives, forte intensit de main-duvre, et faisant appel lutilisation de ressources naturelles et doutils simples (Ghose et al., 2008). Cest dans ce segment de lconomie que lcrasante majorit de la population active dAfrique subsaharienne trouve une source de revenu.* Voir tableau 18 en annexe.

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

Ainsi, des enqutes conduites dans dix pays dAfrique subsaharienne au cours des annes 1990 (Charmes in ILO, 2002) montrent que lemploi informel reprsente entre 70 % et 90 % de lemploi non agricole, sauf en Afrique du Sud o il ne reprsente quenviron 50 %. Cette proportion peut dpasser 95 % de lemploi lorsquon y ajoute le secteur agricole. Sa contribution la cration de richesse varie entre 25 et 45 % du PIB non agricole et peut atteindre jusqu 60 % de la valeur ajoute secteurs agricole et non agricole confondus. Ces deux segments sont loin dtre hermtiques, il existe de nombreuses interactions entre eux. Elles se manifestent par le biais de la sous-traitance des entreprises de lconomie formelle aux petites entreprises de lconomie informelle, ou encore par la pluriactivit des actifs de lconomie moderne, exerant une activit informelle paralllement leur activit principale dans un objectif daccroissement ou de diversification de leurs revenus et de rduction des risques. Les emplois formels et informels se retrouvent dans chacun des grands secteurs de lconomie (agriculture, industrie et services).

Tableau

2 Participation du secteur informel lemploi et la cration de richesse dans quelques pays dAfrique subsahariennePart de lemploi informel dans lensemble de lemploi non agricole (en %) 51 93 77 43 36 42 30 72 94 73 25 42 39 41 74 45 Participation du secteur informel dans le PIB non agricole (en %)

Pays (anne)

Afrique du Sud (2000) Bnin (1993) Burkina Faso (1992) Cameroun (1995-1996) Cte dIvoire (1995) Kenya (1999) Mali (1998) Mozambique (1994) Sngal (1991) Tchad (1993)

Source : Charmes J., in ILO (2002), Women and Men in the Informal Economy.

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

Fiche

2

Caractrisation du secteur informel en Afrique subsaharienne6Jacques CHARMES, directeur de recherche lIRD*

Secteur informel : une notion controverse Le terme secteur informel est communment utilis pour dcrire la large part de la population active travaillant en dehors de la sphre du travail stable, protg et plein temps, gnralement exerc dans les entreprises dclares de lconomie moderne. Bien que largement rpandue et utilise, la notion de secteur informel continue de faire lobjet de nombreux dbats et controverses, notamment en raison de la grande diversit des activits quelle recouvre (allant de lactivit de subsistance la micro-entreprise), de la difficult mesurer le phnomne, mais aussi en raison de la confusion qui existe entre les notions de secteur informel et dconomie criminelle. Le concept de secteur informel a fait son apparition dans la thorie conomique du dveloppement avec les premiers travaux du Programme mondial de lEmploi entrepris par le Bureau International du Travail au dbut dans annes 1970. Si Keith Hart fut le premier employer ce terme en 1971, cest vritablement le rapport du BIT sur le Kenya (ILO, 1972) qui lana et vulgarisa le concept. Cest en effet le Programme mondial de lEmploi qui fit passer au premier plan les proccupations du chmage et du sous-emploi lis lurbanisation acclre. Le secteur informel naquit de cette observation : le chmage ouvert voit son expansion limite par le fait quil nest pas indemnis dans la plupart des conomies en dveloppement et touche essentiellement les jeunes primo-demandeurs demploi leur entre sur le march du travail. Il apparut alors clairement que le secteur moderne (et plus particulirement lindustrie) ntait pas en mesure dabsorber un surplus toujours croissant de main-duvre, contrairement ce que laissait entendre le modle de Lewis (1954) qui a rendu compte des politiques de dveloppement mises en uvre dans le dbut des annes 1950, sil ne les a inspires.

[6] Sources statistiques : - Afristat (2004), Lemploi, le chmage et les conditions dactivit dans la principale agglomration de sept tats membres de lUEMOA, Principaux rsultats de lenqute 1-2-3 de 2001-2002, Afristat, Bamako. - ILO (2002), Women and Men in the Informal Economy, A statistical picture, ILO, Employment sector, Geneva. - Charmes, J. (2008), Use of data for National Accounts purposes, chapter 10 of the Handbook for Measurement of Informal Sector and Informal Employment, Forthcoming, ILO-WIEGO, 35 p. - Charmes, J. (2009), Concepts, measurement and trends, in Jtting J. et J. R. de Laiglesia (eds) (2009), Is Informal Normal? Towards More and Better Jobs in Developing Countries, An OECD Development Centre Perspective, Paris, (pp. 27-62). * * Voir tableau 19 en annexe.

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

Des opportunits de revenus hors du systme moderne devaient donc ncessairement tre trouves pour vivre ou pour survivre. Le secteur informel constitue ainsi un terme gnrique et pratique recouvrant toutes ces stratgies de survie, ces modes de subsistance des couches pauvres, dshrites, dracines et marginales. Dfinition de la notion de secteur informel tant donn la diversit et parfois lantinomie des approches, une synthse des diverses dfinitions proposes fut prsente par le BIT la 14 Confrence internationale des statisticiens du travail (CIST, 1987). Cette dfinition fut affine lors de la 15 Confrence de 1993, au cours de laquelle le secteur informel fut dfini comme un ensemble dunits de production faisant partie du secteur institutionnel des mnages en tant quentreprises individuelles et qui regroupent : les entreprises informelles de personnes travaillant pour leur propre compte, [] pouvant employer des travailleurs familiaux et des salaris de manire occasionnelle ; les entreprises demployeurs informels [] qui emploient un ou plusieurs salaris de faon continue . Ces entreprises peuvent tre dfinies selon un ou plusieurs des critres suivants : i) la taille des units infrieure un niveau dtermin demploi ; ii) le non enregistrement de lentreprise ou de ses salaris (15 CIST, 1993). Alors que la Confrence internationale des statisticiens du travail de 1993 limitait la notion de secteur informel aux activits informelles allant du petit vendeur de rue ou du travailleur indpendant domicile jusqu la micro-entreprise employant quelques salaris permanents, le concept sest tendu depuis la CIST de 2003 lemploi informel, incluse aux travailleurs employs dans le secteur formel mais dont lune des caractristiques est, entre autres, une absence de protection sociale. Le tableau suivant rsume la situation au prix de certaines simplifications (voir Hussmanns, 2001 pour une explication dtaille) :Emploi Formel Formelle Entreprise Secteur formel stricto sensu Informel En forte croissance et justifie lextension du champ de la dfinition

Informelle Cas particulier et exceptionnel Secteur informel stricto sensu

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

La notion de secteur informel est donc plus restrictive, faisant rfrence aux units conomiques informelles seules, tandis que la notion dconomie informelle, plus englobante, inclue les emplois informels dans les entreprises formelles. En Afrique subsaharienne toutefois, ce sont les units conomiques informelles qui prdominent, rendant dans ce contexte lutilisation de la notion de secteur informel plus approprie. En outre la rfrence aux units conomiques permet la mesure directe de la contribution au PIB, alors que la contribution de lconomie informelle ne peut tre quune estimation hypothtique [7]. Emploi informel incluant ou excluant lagriculture ? Bien que le secteur informel recouvre les activits agricoles et non agricoles, les analyses statistiques considrent la plupart du temps lemploi informel lexclusion de lagriculture. La premire raison tient au fait que les systmes statistiques distinguent rarement lagriculture traditionnelle (informelle) de lagriculture moderne (formelle). La deuxime raison tient au fait que la rduction de la part de lagriculture dans lemploi total est un signe de modernit. Une distinction doit donc tre opre entre les activits agricoles et non agricoles afin de saisir les changements structurels soprant dans les pays en dveloppement. Cette distinction se retrouve dans les statistiques de lemploi informel afin de mieux rendre compte de ces volutions. Une contribution prs de 60 % du PIB, 49 % du PIB non agricole Dans les pays dAfrique subsaharienne, le secteur informel reprsente prs de 60 % du PIB total dans les annes 2000 contre 38 % dans les annes 1980. Sans lagriculture, le secteur informel ne reprsentait que 29 % du PIB total dans les annes 2000 (contre 22 % dans les annes 1980), mais 49 % du PIB non agricole (contre 32 % dans les annes 1980). En proportion du PIB non agricole, ces chiffres sont de 28 % en Afrique du Nord, 25 % en Amrique latine, et de 20 % en Asie dans les annes 2000. 70 90 % de lemploi non agricole en Afrique subsaharienne Lemploi informel compte pour 70 % 90 % de lemploi total non agricole, contre 48 % en Afrique du Nord, 50 % en Amrique latine, 75 % en Asie, et 24 % dans les conomies en transition. Lauto-emploi est la principale forme que prend le travail en secteur informel en Afrique subsaharienne, puisquil reprsente 80 90 % de lemploi informel, contre seulement 10 20 % pour lemploi salari informel.

[7] Dans cette tude, le terme secteur informel , bien que controvers car trop englobant, sera conserv des fins dhomognit avec les termes employs par le BIT notamment.

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

Des activits essentiellement commerciales et fminines Les activits du secteur informel non agricole se concentrent pour un peu plus de 26 % dans le manufacturier (transformation agro-alimentaire, textile-habillement, matriaux de construction), 45 % dans le commercial et 27 % dans les services. Les femmes y comptent pour plus de 50 % en moyenne, surtout dans les activits commerciales (plus de 56 %), ce qui est notablement plus lev que dans les autres rgions du monde. Les activits informelles en milieu urbain se concentrent majoritairement dans les activits commerciales et de services. Le phnomne de la pluriactivit, partie intgrante du secteur informel, amplifie encore ces caractristiques globales. Une conomie qui se divise en deux ples Il est communment admis que lconomie informelle se divise en deux segments (modle de Gary Fields) : lun daccs facile qui regrouperait les petits mtiers tels que la vente itinrante ; et lautre, difficile daccs, qui serait principalement le fait de micro-entreprises. Selon une tude conduite par Afristat et DIAL dans les sept capitales de lUEMOA (2005), ces micro-entreprises concerneraient environ 14 % des actifs informels (patrons et leurs salaris), tandis que les travailleurs indpendants constitueraient 60,7 % des actifs informels. Une faible productivit pour la grande majorit des activits La comparaison entre la contribution au PIB et la contribution lemploi tmoigne de la faible productivit des activits informelles. Ceci est vrai pour la grande majorit dentre elles. Travailleurs indpendants, domicile, ou encore dans des ateliers de fortune ou de faon itinrante, main-duvre familiale ou apprentis non ou faiblement rmunrs : tous sont peu pays et peu productifs. Lanalyse des donnes concernant la partie la plus structure du secteur informel tmoigne en revanche dune plus grande productivit. Ainsi, le revenu des entrepreneurs (y compris les indpendants) du secteur informel slevait en moyenne au cours des annes 1990 et 2000 de 1,5 5,8 fois le salaire minimum lgal en Afrique subsaharienne, et les salaires verss par ces mmes petits entrepreneurs slevaient entre 0,6 et 2,7 fois le salaire minimum lgal. Les enqutes dAfristat-DIAL sur les sept capitales de lUEMOA en 2001-02 dbouchaient quant elles sur un revenu moyen des employeurs du secteur informel quivalent au salaire du secteur formel, un revenu des travailleurs indpendants quivalent 0,5 fois celui-ci et un salaire moyen des salaris du secteur informel quivalent 0,6 fois celui-ci.

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AFD / Transition dmographique et emploi en Afrique subsaharienne / Avril 2011

1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

1.1.2. Labsence ou quasi-absence de systmes de scurit socialeLa deuxime caractristique des marchs du travail subsahariens tient labsence ou la quasi-absence de systmes de scurit sociale institutionnaliss. Dans un contexte o la grande majorit des personnes doivent travailler pour pouvoir survivre, le manque dopportunits demplois dcents se traduira moins par un taux de chmage lev que par la cration dactivits dans lconomie informelle. Celle-ci exercera en cela une fonction de tampon, absorbant le surplus de main-duvre nayant pas trouv dopportunits dans lconomie moderne. Cet tat de fait pose la question de ladquation des indicateurs statistiques classiques, labors sur le modle des marchs du travail occidentaux, pour analyser et comprendre les enjeux et les dfis que connaissent les pays dAfrique subsaharienne en matire demploi (voir fiche 20. Des systmes statistiques appropris pour le pilotage des efforts politiques en matire demploi ?). Pour analyser la situation du march de lemploi, la plupart des instituts nationaux de statistiques, notamment africains, se rfrent en effet la notion de chmage entendu au sens du BIT [8]. Cette norme internationale peut paratre restrictive puisque nest pas considre comme chmeur toute personne ayant travaill ne serait-ce quune heure au cours de la semaine prcdent lenqute, ainsi que les chmeurs dcourags qui ne cherchent plus de travail parce que lespoir den trouver un leur parat trop faible. Sur bien des aspects, cet indicateur peut paratre alors insuffisant pour aborder la question de lemploi, particulirement lorsquil sagit dtudier le march du travail des pays dAfrique subsaharienne. Leffet conjugu dune demande en main-duvre particulirement faible dans le secteur formel, de la quasi-absence de systme de scurit sociale institutionnalis, et de lexistence dun secteur informel dvelopp, contribue accrotre le nombre de chmeurs dcourags dune part, et le nombre dindividus tentant leur chance dans le secteur informel dautre part. Dans les deux cas, ces deux catgories dindividus fortement reprsentes en Afrique subsaharienne ne sont pas comptabilises en tant que chmeurs lors des enqutes emploi ponctuelles. La proportion de chmeurs dcourags semble tre trs marque chez les jeunes et les femmes, ce qui rend lutilisation de la notion de chmage particulirement inadapte pour saisir les difficults rencontres par ces deux catgories sur le march du travail en Afrique subsaharienne. Parmi les jeunes, le taux de chmage refltera ainsi davantage le nombre de jeunes relativement aiss, possdant gnralement un[8] Est considre comme tant en chmage toute personne sans emploi, qui en recherche un et qui est disponible dans les quinze jours pour loccuper si elle en trouve un.

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niveau dtude secondaire ou suprieur dans lattente de loffre dun emploi dans le segment moderne de lconomie (Ghose et al., 2008). Selon la Banque mondiale, le taux de chmage moyen des jeunes ayant achev leur cycle secondaire est ainsi de trois quatre fois plus lev que celui des jeunes nayant pas t scolariss, atteignant respectivement 17 % contre 5 % [9]. De mme, dans une socit o le taux de chmage est lev et o les hommes sont gnralement servis les premiers, il existe une part plus importante de chmeurs dcourags chez les femmes que chez les hommes. ceci sajoute le fait que, pour des raisons dordre social, beaucoup de femmes se dclarent comme mnagres impliques dans des travaux domestiques non pays, et ne sont de ce fait pas comptes comme chmeuses [10]. Le taux de chmage officiel des femmes est donc gnralement plus faible, mais les emplois occups par ces dernires sont pour une part importante des sous-emplois peu productifs. Une analyse plus fine de linsertion sur le march du travail sanalysera de ce fait davantage en termes de qualit de lemploi occup et de ladquation de cet emploi avec le niveau de formation, quen termes de chmage proprement parler.

1.1.3. Le sous-emploiCeci nous amne la troisime caractristique des marchs du travail dAfrique subsaharienne : celle du sous-emploi. Selon lOrganisation internationale du travail, il y a sous-emploi lorsque la dure ou la productivit de lemploi dune personne sont inadquates par rapport un autre emploi possible que cette personne est dispose occuper et capable de faire [11]. Elle distingue plusieurs formes de sous-emplois, qui peuvent coexister, notamment : le sous-emploi visible, qui se caractrise par un nombre dheures de travail insuffisant, refltant une dure du travail inadquate ; les autres formes de sous-emploi, qui se caractrisent par un revenu horaire insuffisant, un mauvais emploi des comptences professionnelles, etc. refltant une productivit du travail inadquate rsultant dune

[9] Taux de chmage moyen chez les jeunes de 14 pays dAfrique subsaharienne. Statistiques issues du programme de la Banque mondiale sur les indicateurs harmoniss provenant denqutes (Programme SHIP). [10] Au sens du BIT, le statut de travailleur correspond trois profils diffrents : les travailleurs rmunrs et salaris, les travailleurs indpendants, et les travailleurs familiaux non rmunrs. [11] C.f. OIT (1998).

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mauvaise rpartition des ressources de main-duvre ou dun dsquilibre fondamental entre le travail et les autres facteurs de production [12]. Cette situation de sous-emploi (plutt que de chmage de la population active) peut tre comprise au regard des stratgies des populations des pays pauvres. Face au manque dopportunits dcentes demplois et la quasi-absence dun systme de protection sociale, celles-ci sorganisent selon une logique doccupation, afin quaucun individu ne soit exclu dune activit qui lui permettrait de dgager un revenu. On constate notamment ltroite imbrication du travail et des rapports de parent, ce qui tmoigne de la fonction sociale de la cration dactivits dans le secteur informel, qui procure une forme de filet de scurit contre le chmage et permet aux mnages qui y sont actifs de raliser dimportants gains en termes doccupation conomique de leurs membres. On peut dduire de ces lments que lanalyse du march de lemploi dans les pays en dveloppement nest pas tche facile. Aborder la question de lemploi supposera de sinterroger sur ce qui constituerait une amlioration de la situation du march du travail. La rponse sera, sur le long terme, un accroissement de la part de lemploi formel dans lensemble de lemploi, rsultant de la dynamisation du segment moderne de lconomie ; et dans une perspective de court/moyen terme, une amlioration des conditions de travail, de revenu et de la productivit dans le secteur informel, notamment dans lagriculture, la dynamisation de lconomie moderne ne pouvant intervenir que sur le plus long terme. Ces trois caractristiques des marchs du travail africains sont des symptmes dune conomie en proie de graves faiblesses structurelles. Les causes de ces faiblesses sont rechercher du ct des stratgies de dveloppement mises en uvre sur le continent depuis la priode des indpendances : des politiques conomiques et daide assez peu volontaristes et non bases sur des diagnostics pralables en termes de chantiers investir pour amliorer le sort des populations pauvres. Les perspectives qui se prsentent ne sont cependant pas aussi alarmistes. La trajectoire dmographique du continent offre une possibilit unique de tirer profit, laide dun nouveau questionnement des stratgies de dveloppement, du phnomne du dividende dmographique comme en tmoignent les travaux RuralStruc du Cirad, de la Banque mondiale, du FIDA et de la coopration franaise (voir fiche 3 ci-aprs).[12] Ibid., p. 57.

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Fiche

3

Les dfis de la transition en Afrique subsaharienne : comment accompagner la transformation structurelle du continent dans la mondialisation ? 13Bruno LOSCH (Banque mondiale - Cirad) et Sandrine FREGUIN-GRESH (Cirad)

LAfrique subsaharienne doit faire face des dfis structurels majeurs qui rsultent de la confrontation entre ses propres dynamiques de changement conomique et dmographique et les tendances lourdes dune conomie mondiale elle-mme soumise aux limites de son modle de croissance. Elle doit simultanment sadapter aux effets de contagion conjoncturels, rappels rcemment par deux crises successives : celle des prix des matires premires et celle du systme financier international. LAfrique subsaharienne aborde en effet le second millnaire dans une configuration indite, puisquelle doit grer au mme moment sa transition conomique et sa transition dmographique, dans la mondialisation, et sous contrainte des consquences attendues du changement climatique. Les tats africains, parmi les derniers arrivs sur la scne internationale, bnficient des avantages des late developers (progrs techniques, apprentissages passs) ainsi que des opportunits du nouveau rgime de croissance mondial (ouverture commerciale et accs de nouveaux marchs). En revanche, ils sont confronts aux contraintes dune concurrence internationale accrue et linstabilit de lenvironnement conomique global, qui rduisent drastiquement leurs marges de manuvre pour rpondre leurs dfis structurels. Une transition conomique balbutiante et difficile Selon la squence historique observe dans les autres rgions du monde et confirme par lvidence statistique (Timmer, 2009), le processus classique de transition conomique consiste en un passage progressif dune conomie base sur lagriculture, lindustrie puis aux services. Cette transformation structurelle est rendue possible par les gains de productivit, qui permettent laccumulation puis les transferts de main-duvre et de capitaux dun secteur lautre, paralllement laugmentation des niveaux de vie et la croissance et la diversification de la demande.

[13] Cette fiche sappuie sur les rsultats du programme RuralStruc (Coopration franaise, Banque mondiale, FIDA) sur les changements structurels des conomies rurales dans la mondialisation. Ce programme adopte une dmarche dmo-conomique qui permet de repositionner la question agricole dans la perspective plus globale des trajectoires de dveloppement.

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

Ce processus de changement structurel a t peine engag par le sous-continent. Cinquante ans aprs les indpendances, les conomies dAfrique subsaharienne restent marques par le poids du secteur agricole dans le produit intrieur brut (PIB) de lordre de 20 % en moyenne mais plus de 30 % pour la majorit des pays , dans le commerce extrieur (premier pourvoyeur de devises pour les pays non ptroliers ou non miniers) et surtout, dans la structure de lemploi, avec une moyenne de 65 % des actifs pour le sous-continent (hors Afrique du Sud) et de 75 85 % pour de nombreux pays, notamment la zone soudano-sahlienne et lAfrique de lEst. Lagriculture reste ainsi la principale source dactivit et de revenus des mnages. Le phnomne le plus frappant rside dans la grande inertie structurelle des conomies de la sous-rgion, alors que leur population a fait preuve dune trs forte mobilit exprime par la vitesse de lurbanisation : avec un taux qui approche les 40 %, la population urbaine a t multiplie par douze depuis 1960 sans que pour autant une dynamique dindustrialisation nait t engage. Cette urbanisation bas rgime , sans industries, contraste avec les autres rgions en dveloppement, notamment lAsie, o les volutions ont t trs rapides (voir schmas 2 et 3). Ainsi, faute dun secteur manufacturier dynamique, la croissance de la population active a dabord t absorbe par lagriculture (do une faible volution de la structure dactivit voir schma 4) et par le secteur informel, essentiellement urbain. Celui-ci reprsente de lordre de 30 45 % du PIB non agricole et de 70 90 % de lemploi total non agricole (Jtting et de Laiglesia, 2009). Il joue un rle damortisseur, mais ses caractristiques ne permettent pas aujourdhui une vritable dynamique de croissance : faible productivit, sous-emploi, prcarit, bas revenus constituent souvent des trappes pauvret qui expliquent une urbanisation de bidonvilles (UN-Habitat, 2003 ; Davis, 2006). Schmas 2 et 3. volution de la structure du PIBAgriculture/PIB (%) 60 50 40 30 20 10 0 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 Chine Indonsie 60 50 40 30 20 10 0 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 Thailande Afrique subsaharienne Manufactures/PIB (%)

Source : World Development Indicators, World Bank 2009.

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

Avec des marchs intrieurs clats par le morcellement en 43 tats (pour la partie continentale) et contraints par limportance de la pauvret, la croissance des conomies dAfrique subsaharienne reste fortement dpendante de lextrieur. Elle est sujette aux chocs des termes de lchange, la volatilit des investissements directs ltranger et dune aide publique au dveloppement (APD) souvent procyclique. Ces caractristiques, associes une faible productivit conomique globale (lie au poids du secteur agricole et de linformel), une instabilit politique frquente, ainsi qu une forte croissance de la population, expliquent une trs faible progression du PIB par habitant et sa grande volatilit, qui font figure dexception au regard des autres rgions du monde (tableau 1). La rcurrence des retournements de conjoncture a largement contribu la vision court terme des dirigeants politiques et des investisseurs privs. Ainsi, la croissance des cinq dernires annes, avant la crise financire, doit tre analyse laune de la longue priode. Elle a dabord t tire par le boom des matires premires et na pas inflchi lanmie structurelle du sous-continent. Schma 4. volution de la structure dactivitASS 100 90 Actifs agricoles/Actifs totaux 2005 80 70 60 50 40 30 20 10 0 0 10 20 30 40 50 60 70 80 Autres PED

Variation 1961-2005 (%)

Source : FAOSTAT, 2007.

Cette situation spcifique, eu gard aux changements observs dans les autres pays en dveloppement et, auparavant, dans les pays europens, sexplique par les conditions historiques dinsertion du continent dans lconomie mondiale : les contraintes de la tutelle coloniale (marchs captifs et obstacles lindustrialisation) ont conduit une spcialisation primaire qui a trs vite t confronte la mondialisation engage dans les annes 1980, alors que les tats africains avaient tout juste vingt ans (indpendances en dbut de dcennie 1960).

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

Faute de profondeur historique ayant permis laffirmation rapide dun projet de dveloppement autonome ( linstar des pays asiatiques et latino-amricains), les tats dAfrique subsaharienne disposaient de peu de marge de manuvre pour engager des politiques volontaristes de modernisation. Ils ont t rapidement contraints par les conditionnalits du systme daide international et par la dtrioration des termes de lchange (Losch et al., 2008). Tableau 1 : Croissance du PIB par tte (1960-2007)% annuel Afrique subsaharienne Afrique du Nord et Moyen-Orient Amrique latine et Carabes Asie de lEst et Pacifique Asie du SudSource : Arbache et Page (2007).

Coef. variation 3,1 1,68 1,38 0,76 0,99

0,72 2,06 1,73 5,44 2,72

Une transition dmographique inacheve Cette faiblesse de la transformation conomique revt une acuit accrue eu gard la situation dmographique du sous-continent, qui est la dernire rgion du monde stre engage dans son processus de transition dmographique (voir fiche 1. Transition dmographique et emploi). Cette transition est inacheve et se traduit par deux phnomnes principaux : un fort accroissement naturel de la population - qui a t suprieur 2,5 % par an pendant quatre dcennies ( lexception des pays les plus touchs par lpidmie de sida) - et une augmentation rapide du taux de dpendance qui exprime le rapport inactifs sur actifs. En Afrique subsaharienne, ce ratio a t proche de 1 dans les annes 1980 et 1990, au plus fort de lajustement structurel (contre 0,5 la mme priode en Asie de lEst), et il a pes durement sur la croissance conomique. La baisse de la natalit qui est attendue en Afrique subsaharienne va se traduire dans les deux prochaines dcennies par une forte augmentation de la taille relative de population active et par une baisse du ratio de dpendance. loppos de la priode prcdente, ce dividende dmographique reprsente une opportunit unique en termes de croissance (puisque le phnomne narrive quune fois). Mais ce dividende nest pas acquis : pour jouer son effet de levier, il doit tre accompagn dune forte augmentation de linvestissement productif, de la capacit dinnovation et de la productivit.

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

Du fait de sa structure conomique faiblement diversifie et marque par le poids de lagriculture et du secteur informel, la question cruciale qui se pose ds lors pour lAfrique subsaharienne, et qui samplifiera dans les prochaines annes, est celle de sa capacit gnrer suffisamment dactivits et demplois mme dabsorber la croissance de sa population active. Aujourdhui, les cohortes annuelles de jeunes arrivant sur le march du travail sont de lordre de 10 15 millions pour lensemble de la sous-rgion. Elles seront entre 20 et 25 millions la fin de la dcennie 2020. Pour un pays subsaharien mdian (environ 15 millions dhabitants), cela signifie une demande annuelle de 250 300 000 emplois nouveaux en 2010 et entre 400 et 450 000 en 2025 (Losch et al., 2008). Des alternatives rduites et des choix ncessaires : rinvestir les stratgies de dveloppement LAfrique subsaharienne dispose de nombreux avantages naturels (ressources minrales, disponibilit en terres, population jeune) et comparatifs (faible cot de la main-duvre) qui sont trs largement contraris par les contraintes lies aux importants retards en matire de biens publics, de capital humain, dinfrastructures productives, qui induisent et sont accompagns par de nombreuses imperfections et incompltudes de marchs. La faiblesse du capital priv et des ressources publiques et les limites de lAPD rendent difficiles un traitement simultan de toutes ces contraintes. Il est ds lors essentiel dtablir des priorits. En effet lAfrique subsaharienne ne pourra pas compter sur la soupape de scurit des migrations internationales, linstar des migrations de masse qui ont accompagn les transitions europennes entre le milieu du XIX sicle et lentre-deux guerres mondiales. Lexemple des pays limitrophes des tats-Unis ou de lUnion europenne, comme le Mexique ou le Maroc aujourdhui, qui comptent 10 % de leurs ressortissants lextrieur, nest pas reproductible : en conservant la mme proportion, ce sont plus de 80 millions dAfricains au Sud du Sahara qui devraient partir ltranger. En consquence, les migrations feront assurment partie de lquation, dans des proportions qui rsulteront des besoins des pays les plus riches, de leur croissance conomique et du vieillissement de leur population. Mais, pour viter dtre confronts de vritables impasses de transition (Giordano et Losch, 2007), les tats dAfrique subsaharienne devront dabord compter sur leur potentiel de croissance interne, encore largement prsent dans lagriculture, sur le renforcement de leur intgration rgionale et sur lamlioration de leur insertion internationale. LAfrique subsaharienne nest pas monolithique. Il existe de fortes diffrences nationales et rgionales en termes de dotations en facteurs et de trajectoires de dveloppement, dont dcoulent des atouts variables pour rpondre aux dfis. Cest

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

notamment le cas des pays dots davantages naturels (ressources fossiles) mme si peu dentre eux ont russi construire des avantages comparatifs propices fonder une croissance diversifie et durable. Les pays de la sous-rgion partagent nanmoins des caractristiques structurelles communes, marques par le poids et la faible productivit de lagriculture, le retard dindustrialisation et la place de linformel urbain. Ainsi, la transition conomique de lAfrique subsaharienne implique sa diversification, une meilleure productivit globale et, en consquence, une sortie progressive de la spcialisation primaire agricole ou minire. Ce qui na pas eu lieu en cinquante ans, malgr une urbanisation porteuse dconomies dagglomration (World Bank, 2008), ne se produira toutefois pas par dclaration et par les seules forces du march. Ce constat de bon sens est renforc par les effets de la concurrence internationale, en particulier celle des grands pays mergents, qui rendent le dcollage industriel autrement plus difficile pour les nouveaux entrants . Certains considrent quil existe une place pour lindustrialisation des pays faible revenu, en mettant en avant la croissance des cots industriels chinois, loption de la coopration industrielle par la spcialisation dans les segments de produits (plutt que dans la fabrication de produits finis) et la mansutude des pays dvelopps (Unido, 2009). Or il apparat que les progrs de leur base agricole resteront dterminants pour lvolution des deux prochaines dcennies (voir fiche 7. Quels rles pour quelles agricultures face aux dfis des transitions africaines ?). Le rfrentiel volutionniste qui sous-tend le modle canonique de la transition conomique est insuffisamment questionn aujourdhui en regard de la nouvelle configuration de lconomie internationale. Il nest pas certain que les pays dAfrique subsaharienne doivent par exemple passer par la case industrialisation pour consolider leur processus de dveloppement. En revanche, ce qui est incontournable, cest quils devront rinvestir le champ des stratgies de dveloppement pour identifier leurs propres options, traduire ensuite en politiques publiques structurelles et daccompagnement. Cette identification passe par une analyse raisonne des opportunits et contraintes nationales et rgionales et, dans un contexte de ressources rares, par le reprage des principaux facteurs de blocage sur lesquels doivent se concentrer les choix dintervention (Hausmann et al., 2005). Si on reconnat avec Stiglitz (1998) que les stratgies de dveloppement sont des biens publics, il sagit alors dun champ dinvestissement majeur pour les politiques daide, qui doivent sortir du pige dun dbat clat entre libralisation du commerce, changement climatique, lutte contre la pauvret, offre alimentaire, migrations internationales et gestion des ressources naturelles Ce dbat multiforme, port au niveau international et relay au niveau national, brouille souvent une vision globale des dfis qui est pourtant ncessaire pour rpondre la question cruciale du changement structurel, qui est au cur du processus de dveloppement.

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

1.2. Le dividende dmographique : une opportunit saisirLe processus de transition dmographique a pour enjeux principaux lvolution de la structure par ge de la population, et les dfis inhrents chaque tape de ce processus. En Afrique subsaharienne, la population ge de moins de 25 ans reprsente environ 63 % de la population, soit plus de 540 millions de personnes. Cette caractristique peut reprsenter pour un pays une chance ou un facteur de dstabilisation, selon sa capacit offrir des opportunits viables et dcentes la population en ge de travailler. Le chmage, le sous-emploi massif et la pauvret constituent en effet des contraintes fortes susceptibles de peser sur la stabilit et la paix sociale. La Banque mondiale souligne ainsi que les pays comptant au moins 40 % de jeunes gs de 15 29 ans courent deux fois plus de risques dtre plongs dans une guerre civile. Une analyse sous langle du ratio de dpendance laisse toutefois entrevoir une perspective. En effet, alors que de 1970 2000, les pays africains ont enregistr un taux de dpendance (nombre dinactifs pour cent actifs) parmi les plus levs quils aient jamais connu, le poids relatif des individus en ge de travailler devrait augmenter sensiblement au cours des trois prochaines dcennies. Cette tendance, appele dividende dmographique , pourrait constituer une relle chance pour les pays africains. La jeunesse actuelle est en effet mieux forme que la gnration prcdente et la part des personnes conomiquement dpendantes dans lensemble de la

Schma100 90 80 70 60 50 40 30

5 Comparaison rgionale des ratios de dpendanceRatio de dpendance Afrique subsaharienne Ratio de dpendance Europe

1950 Source : Nations unies.

1965

1980

1995

2010

2025

2040

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

population devrait progressivement dcrotre, faisant merger un march domestique plus large et susceptible de stimuler la croissance. Leffet vertueux attendu du dividende dmographique dpendra alors entirement de la capacit des conomies africaines offrir des opportunits de travail dcentes et productives et suffisamment rmunratrices ces nouvelles cohortes de population active (voir fiche 4. Analyse du phnomne Dividende dmographique ).

Fiche

4

Analyse du phnomne Dividende dmographique ou comment le mettre au profit des socitsXavier OUDIN, chercheur, DIAL

Bien quencore lente, la baisse de la fcondit amorce en Afrique subsaharienne depuis une vingtaine dannes devrait entraner, si cette tendance se confirme, un ralentissement de la croissance dmographique et permettre desprer que lAfrique bnficie dun dividende dmographique , linstar de lAsie de lEst et de lAmrique latine. La comparaison avec des pays de ces rgions montre nanmoins que la matrise de la croissance dmographique nengendre pas des gains conomiques de faon mcanique, et quil faut une conjonction de phnomnes favorables et de bonne gouvernance pour que le dividende dmographique se ralise. Les phases de la transition dmographique La premire phase de la transition dmographique se caractrise par une baisse de la mortalit et le maintien dune forte fcondit entranant une croissance rapide de la population. Dans la seconde phase, la fcondit dcline et la croissance de la population se ralentit. La structure par ge de la population se modifie, les cohortes nombreuses nes avant la chute de la fcondit arrivant progressivement lge adulte, tandis que les cohortes jeunes deviennent moins nombreuses. Le ratio entre la somme des cohortes jeunes et des cohortes ges dune part, et des cohortes en ge de travailler dautre part, diminue alors. Ce ratio, appel taux de dpendance, mesure la charge potentielle des inactifs pour 100 personnes dge actif (de 15 ou 20 ans 60 ou 65 ans). Ce phnomne est plus ou moins accentu selon la vitesse de la chute de la fcondit et lvolution de la mortalit diffrents ges (les niveaux de sant, et notamment la mortalit due au sida, qui frappe les jeunes adultes, le paludisme et la sous-nutrition sont autant de facteurs qui ralentissent la chute des taux de dpendance et loignent les perspectives de dividende dmographique).

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1. La problmatique de la transition dmographique et de lemploi en Afrique subsaharienne

Le dividende dmographique correspond cette priode de baisse des taux de dpendance, dans la mesure o la charge des inactifs, en particulier des enfants, diminue et permet une allocation des ressources des fins plus productives. Les pays dAfrique subsaharienne entrent actuellement dans la priode de dividende dmographique. terme, le vieillissement de la population entrane une remonte des taux de dpendance (ds 2000-2010 en Asie du Sud-Est), mais celle-ci interviendra au-del de 2050 en Afrique subsaharienne. Schma 6. Evolution des taux de dpendance dans six paysThalande 180 Projections 160 Vit Nam Prou Madagascar Sngal Burkina Faso

140

120

100

80

60 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050

Source : calculs de lauteur, daprs les projections dmographiques des Nations unies, rvision 2008, hypothse moyenne.

Le dividende dmographique La chute des taux de dpendance peut avoir de nombreux effets positifs du f