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Descriptif des lectures et des activités 1 ES 3 Sequence n° 1 – Bel-Ami (1885) de Guy de Maupassant, un roman naturaliste ? Objet d'etude : le personnage de roman, du XVII e siècle à nos jours (œuvre intégrale) Problematique : quelles visions de l'homme et de la société de son temps Guy de Maupassant offre-t-il à travers Bel-Ami ? Perspective d'etude : le naturalisme selon Maupassant ________________________________________________________________________________________________ TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE Œuvre integrale : Bel-Ami (1885) de Guy de Maupassant 1. l'incipit, jusqu'à «... tombé dans le civil » (première partie, chapitre 1) 2. La Vie française : de « La Vie française était avant tout un journal d'argent... » jusqu'à « … les idées secrètes du patron » (première partie, chapitre VI) 3. Mme Forestier et Georges : de « Tu ne sais pas...» jusqu'à « … tout bas, dans l'oreille » (Deuxième partie, chapitre 2) 4. l'explicit, de « Soudain il aperçut Mme de Marelle... » jusqu'à la fin (deuxième partie, chapitre 10 ). ________________________________________________________________________________________________ ACTIVITES autres œuvres et/ou textes etudies : Groupement de textes : les représentations de la presse au XIXème siècle : Honoré de Balzac, Illusions perdues (1843), Edmond et Jules de Goncourt, Charles Demailly (1868). Lecture cursive : Manon Lescaut (1753) de l'abbé Prévost lectures d'images : La rédaction du Journal des Débats en 1889 , de Jean Béraud (1889), et A « La République française » , d'Henri Gervex (1890). – autres activites : Guy de Maupassant : biographie et bibliographie Le contexte historique du roman Le réalisme et le naturalisme Les personnages féminins dans le roman La technique romanesque de Guy de Maupassant : la construction du roman Un exemple de mise en abyme : le tableau de Karl Marcowitch, Jésus marchant sur les eaux Une peinture réaliste d'un certain milieu parisien ________________________________________________________________________________________________ Activites conduites en autonomie par l'eleve : Etude comparée du roman et de l'adaptation cinématographique de Bel-Ami (la version de Declan Donnellan, de 2012). Des exposés ont été proposés : Maupassant et l'écriture de Bel-Ami - la critique du milieu du journalisme - les personnages féminins de Bel-Ami - les personnages masculins de Bel-Ami - l'ascension de Georges Duroy - le thème de l'argent Sequence n° 2 – La Double inconstance (1723) de Marivaux,

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Descriptif des lectures et des activités

1 ES 3

Sequence n° 1 – Bel-Ami (1885) de Guy de Maupassant,

un roman naturaliste ?

Objet d'etude : le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours (œuvre intégrale)

Problematique : quelles visions de l'homme et de la société de son temps Guy de Maupassant offre-t-il à travers Bel-Ami ?

Perspective d'etude : le naturalisme selon Maupassant

________________________________________________________________________________________________

TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

Œuvre integrale : Bel-Ami (1885) de Guy de Maupassant

1. l'incipit, jusqu'à «... tombé dans le civil » (première partie, chapitre 1)

2. La Vie française : de « La Vie française était avant tout un journal d'argent... » jusqu'à « … les idées secrètes du patron » (première partie, chapitre VI)

3. Mme Forestier et Georges : de « Tu ne sais pas...» jusqu'à « … tout bas, dans l'oreille » (Deuxième partie, chapitre 2)

4. l'explicit, de « Soudain il aperçut Mme de Marelle... » jusqu'à la fin (deuxième partie, chapitre 10 ).

________________________________________________________________________________________________

ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes etudies :

• Groupement de textes : les représentations de la presse au XIXème siècle :Honoré de Balzac, Illusions perdues (1843), Edmond et Jules de Goncourt, Charles Demailly (1868).

• Lecture cursive : Manon Lescaut (1753) de l'abbé Prévost

– lectures d'images :

• La rédaction du Journal des Débats en 1889, de Jean Béraud (1889), et A « La République française »,d'Henri Gervex (1890).

– autres activites :

• Guy de Maupassant : biographie et bibliographie• Le contexte historique du roman • Le réalisme et le naturalisme• Les personnages féminins dans le roman• La technique romanesque de Guy de Maupassant : la construction du roman• Un exemple de mise en abyme : le tableau de Karl Marcowitch, Jésus marchant sur les eaux• Une peinture réaliste d'un certain milieu parisien

________________________________________________________________________________________________

Activites conduites en autonomie par l'eleve :

• Etude comparée du roman et de l'adaptation cinématographique de Bel-Ami (la version de Declan Donnellan, de 2012).

• Des exposés ont été proposés : Maupassant et l'écriture de Bel-Ami - la critique du milieu du journalisme - les personnages féminins de Bel-Ami - les personnages masculins de Bel-Ami - l'ascension de Georges Duroy - le thème de l'argent

Sequence n° 2 – La Double inconstance (1723) de Marivaux,

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un simple marivaudage ?

Objet d'etude : théâtre, texte et représentation (groupement de textes)

Problematiques : quelle vision de la société contemporaine Marivaux donne-t-il à travers ses deux pièces La Double inconstance (1723) et L'Ile des esclaves (1725) ? En quoi ces deux pièces sont-elles une critique de la cour et des relations maîtres-valets ?

Perspective d'etude : la comédie classique - la multiplicité du langage théâtral (texte, décors, costumes, mouvements, voix)

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

Œuvre integrale : La Double inconstance (1723) de Marivaux

5. la scène d'exposition, jusqu'à « … profitez de ses faveurs »6. Acte I, scène 3 : de « N'oublieras-tu jamais ta mouche ? » jusqu'à « … regarde-moi d'un air ingénu »7. Acte III, scène 4 : de « Ma noblesse m'oblige-t-elle à rien ? » jusqu'à « … Et moi le vôtre »

Texte extrait de L'Ile des esclaves :8. L'Ile des esclaves (1725) de Marivaux : scène d'exposition (extrait) : jusqu'à « … Esclave insolent ! »

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes etudies :

• Groupement de textes 1 : les relations maîtres-valets au théâtre : Le Mariage de Figaro (Acte V, scène 3) de Beaumarchais (1778) ; L'ile des esclaves (scène 3) de Marivaux (1725) ; Les Bonnes (l'exposition) de Genet (1947) ; En attendant Godot (Acte 1) de Samuel beckett (1952).

• Groupement de textes 2 : l'adaptation de Carole Giacobbi : la note d'intention de la réalisatrice ; entretien avec la réalisatrice ; extraits du scénario.

• La scène d'exposition de Lucrèce Borgia (1833) de Victor Hugo.• La Double inconstance à l'écran : les adaptations de Marcel Bluwal (1968) et de Carole Giacobbi (2009).• Lecture cursive au choix : Phèdre (1677) de Racine ou Le Cid (1637) de Corneille

– lectures d'images :

• Le Pèlerinage à l'île de Cythère (1717) et L'Embarquement pour Cythère (1718) d'Antoine Watteau

– autres activites :

• Marivaux : biographie et bibliographie• Les genres théâtraux : la comédie et la tragédie classiques, le drame romantique• Les personnages• Le marivaudage• Les thèmes de la pièce : la violence, l'injustice, une critique implicite de la cour• Le comique dans La Double inconstance• La mise en scène de Jean-Luc Boutté (réalisation de Jean-Roger Cadet) : arrêt sur la scène d'exposition

seulement.• Sortie au théâtre : Lucrèce Borgia de Victor Hugo, mise en scène de Lucie Berelowitsch (2013), le jeudi 12

décembre 2013, à la Comédie de Caen.

________________________________________________________________________________________________

Activite conduite en autonomie par l'eleve : visionnage et analyse de l'intégralité de l'adaptation de Carole Giacobbi (2009), après lectures des documents fournis (note d'intention, entretien avec la réalisatrice, extraits du scénario). Quels sont les partis pris de C. Giacobbi ? Comment les interpréter ? Les appréciez-vous ?

Des exposés ont été proposés : les personnages – la structure de la pièce – la critique de la cour.

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Sequence n° 3 – Des Cahiers de Douai à Illuminations :

Rimbaud à la recherche d'une poésie nouvelle

Objet d'etude : écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours (groupement de textes)

Problematiques : En quoi Arthur Rimbaud bouleverse-t-il les normes poétiques ?

Comment la poésie rimbaldienne évolue-t-elle, depuis les premières poésies des Cahiers de Douai (1870) jusqu'au recueil Illuminations (1873) ?Perspective d'etude :

________________________________________________________________________________________________

TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

9. « Roman » (Les Cahiers de Douai, 1870)

10. « Le dormeur du val » (Les Cahiers de Douai, 1870)

11. « Les Poètes de sept ans » (Poésies, 1870-1871), les quarante-trois premiers vers.

12. « Aube » (Illuminations, 1873)

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes etudies :

• Groupement de textes 1 : quatre conceptions de la poésie : Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674), Victor Hugo : « Fonction du poète », Les Rayons et les Ombres (1840) , Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation », Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal (1857) « Une Charogne»

• Groupement de textes 2 : le poème en prose, d'Aloysius Bertrand à Ponge : « Le fou », Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit (1842) ; « Un hémisphère dans une chevelure », Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris (1869) ; « Les ponts » et « Barbare », Arthur Rimbaud, Illuminations (1873) ; « Le pain », Francis Ponge, Le parti pris des choses (1842).

• Groupement de textes 3 : les lettres dites « du Voyant » : A Georges Izambard » (mai 1871) et A Paul Demeny (mai 1871).

• Lecture cursive facultative: Arthur Rimbaud, Poésies : Les Cahiers de Douai (1870), Illuminations (1873).

– lectures d'images :

• Un tableau symboliste : Paul Gauguin, La Vision du sermon (1888).

– autres activites :

l'é▪ volution de la poésie de Rimbaud : entre poésie classique et recherche d'originalité. Sa conception de la poésie.

la modernité poétique ▪ aux XIXème et XXème siècles : le poème en prose, le vers libre (caractéristiques). éléments de versification : le mètre, les rimes, le décompte des syllabes, les jeux de sonorités, etc.▪

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Sequence n° 4 – Candide (1759) de Voltaire,

un conte au service des idées

Objet d'etude : la question de l'homme dans les genres de l'argumentation du moyen-âge à nos jours (œuvre intégrale)Problematiques : Comment Voltaire met-il le conte philosophique au service d’un critique de la société de son époque et d’une réflexion philosophique sur la question du Mal, de l’optimisme et de la recherche du bonheur ?

Le recours à la fiction est-il un moyen efficace pour diffuser ses idées ?Perspective d'etude : l'argumentation indirecte - les Lumières

________________________________________________________________________________TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE Œuvre integrale : Candide (1759) de Voltaire

13. l'incipit, jusqu'à «... il fallait dire que tout est au mieux. » (chapitre 1)14. la guerre entre les Abares et les Bulgares (chapitre III)15. l'autodafé (chapitre 6)16. le nègre de Surinam (chapitre 10).

________________________________________________________________________________ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes etudies :

• Groupement de textes : utopies : Thomas More, Utopie, 1516 ; François Rabelais, Gargantua, chapitre 57, 1534 ; Cyrano de Bergerac, Les Etats et Empires de la Lune, 1657 ; Georges ORWELL, La Ferme des animaux, 1945.

• Groupement de textes : les combats des Lumières : César Chesneau Dumarsais - Article « philosophe » (extrait) de L'Encyclopédie (1751-1772) ; Voltaire, Traité sur la tolérance, chap. 1 (1763) ; Emmanuel Kant, Qu’est ce que les lumières ? , 1784.

– lectures d'images :

• Le Frontispice de l’Encyclopédie, dessiné par Charles-Nicolas Cochin (1715-1790)• Deux planches de l'adaptation en bande-dessinée de Delpâture, Dufranne, Radovanovic (2013).• Extrait du film de Stanley KUBRICK, Barry Lyndon (1975) : la marche avant l'assaut

– autres activites :

• Voltaire : biographie et bibliographie• Le contexte historique et culturel du conte : la guerre de sept ans, la philosophie des Lumières• Les personnages et leurs fonctions• Le motif du jardin

________________________________________________________________________________Activites conduites en autonomie par l'eleve :

• Navigation libre sur le site de la Bibliothèque Nationale de France : - https://candide.bnf.fr/- http://expositions.bnf.fr/lumieres/index.htm?idD=7- http://expositions.bnf.fr/utopie/

• Visionnage d’extraits de films : deux dystopies : Fahrenheit 451 de François Truffaut, 1966 ; 1984 de Michael Radford, 1984.

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Lecture analytique n° 9

ROMAN

I

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.- Un beau soir, foin1 des bocks et de la limonade,Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !- On va sous les tilleuls verts de la promenade2.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin -A des parfums de vigne et des parfums de bière....

II

- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffonD'azur sombre, encadré d'une petite branche,Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fondAvec de doux frissons, petite et toute blanche...

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.La sève est du champagne et vous monte à la tête...On divague ; on se sent aux lèvres un baiserQui palpite là, comme une petite bête....

III

Le coeur fou Robinsonne à travers les romans,Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,Passe une demoiselle aux petits airs charmants,Sous l'ombre du faux col effrayant de son père...

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,Tout en faisant trotter ses petites bottines,Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif....- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines3...

IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.- Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire...!

- Ce soir-là,... - vous rentrez aux cafés éclatants,Vous demandez des bocks ou de la limonade..- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ansEt qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.

Arthur RIMBAUD (1854-1891), Les Cahiers de Douai, 29 septembre 70

1 Foin de : exprime le mépris, l'aversion. 2 La promenade : endroit piétonnier qui entoure généralement les villes et bordé d'arbres.3 Cavatines : pièce vocale pour soliste dans un opéra.

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Lecture analytique n° 10

LE DORMEUR DU VAL

C’est un trou de verdure où chante une rivièreAccrochant follement aux herbes des haillons4

D’argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nueEt la nuque baignant dans le frais cresson bleu,Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue5,Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade,il fait un somme :Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur RIMBAUD (1854-1891), Poésies, octobre 1870

4 Haillons : vieux vêtements, morceaux de tissu servant de vêtement.5 La nue : en poésie, un nuage.

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Lecture analytique n° 11

LES POETES DE SEPT ANS

À M. P. Demeny

Et la Mère, fermant le livre du devoir, S'en allait satisfaite et très fière, sans voir, Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences L'âme de son enfant livrée aux répugnances.

Tout le jour il suait d'obéissance ; très Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits, Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies. Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies, En passant il tirait la langue, les deux poings À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points. Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampeOn le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe, Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été Surtout, vaincu, stupide, il était entêté À se renfermer dans la fraîcheur des latrines : Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.

Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet Derrière la maison, en hiver, s'illunait, Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marneEt pour des visions écrasant son œil darne,Il écoutait grouiller les galeux espaliers.Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiersQui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue,Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boueSous des habits puant la foire et tout vieillots,Conversaient avec la douceur des idiots !Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,Sa mère s'effrayait ; les tendresses, profondes,De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment !

À sept ans, il faisait des romans, sur la vie

Du grand désert, où luit la Liberté ravie,Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidaitDe journaux illustrés où, rouge, il regardaitDes Espagnoles rire et des Italiennes.Quand venait, l'œil brun, folle, en robes d'indiennes,À Huit ans, - la fille des ouvriers d'à côté,La petite brutale, et qu'elle avait sauté,Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,Car elle ne portait jamais de pantalons ;- Et, par elle meurtri des poings et des talons,Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.

Il craignait les blafards dimanches de décembre,Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.Il n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve,Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourgOù les crieurs, en trois roulements de tambour,Font autour des édits rire et gronder les foules.- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houlesLumineuses, parfums sains, pubescences d'or,Font leur remuement calme et prennent leur essor !

Et comme il savourait surtout les sombres choses,Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,Il lisait son roman sans cesse médité,Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,Vertige, écroulements, déroutes et pitié !- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,En bas, - seul, et couché sur des pièces de toileÉcrue, et pressentant violemment la voile !

Arthur RIMBAUD (1854-1891), « Les Poètes de sept ans » , Poésies, 26 mai 1871

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Lecture analytique n° 12

AUBE6

J'ai embrassé l'aube d'été.Rien ne bougeait encore au front des palais7. L'eau était morte. Les camps d'ombre ne

quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

Je ris au wasserfall8 blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.

Alors je levai un à un les voiles9. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.

En haut de la route, près d'un bois de lauriers10, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.

Au réveil il était midi.

Arthur RIMBAUD (1854-1891), « Aube », Illuminations, 1873

6 Aube : du latin alba, blanche. Première lueur du jour qui apparaît à l'horizon. Très tôt.7 Au front des palais : le fronton des palais. Rimbaud n'a-t-il pas fait un jeu de mots avec le "palais", la bouche, pour

indiquer avec cette immobilité au lever du jour que personne ne prenait son repas ?8 Wasserfall : mot allemand qui signifie chute d'eau, cascade.

9 Voile : étoffe qui sert à couvrir, à protéger, à cacher.10 Laurier : arbuste de la région Méditerranée dont les feuilles sont utilisées en condiment. Le laurier était l'emblème

de la victoire.

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• Lecture analytique n° 13 : l'incipit de Candide

Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeune garçon à qui la nature avait donné les moeurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme. Il avait le jugement assez droit, avec l'esprit le plus simple ; c'est, je crois, pour cette raison qu'on le nommait Candide. Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu'il était fils de la soeur de monsieur le baron et d'un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne voulut jamais épouser parce qu'il n'avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le reste de son arbre généalogique avait été perdu par l'injure du temps.

Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait une porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d'une tapisserie. Tous les chiens de ses basses-cours composaient une meute dans le besoin ; ses palefreniers étaient ses piqueurs ; le vicaire du village était son grand aumônier. Ils l'appelaient tous monseigneur, et ils riaient quand il faisait des contes.

Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s'attirait par là une très grande considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encore plus respectable. Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse, appétissante. Le fils du baron paraissait en tout digne de son père. Le précepteur Pangloss était l'oracle de la maison, et le petit Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi de son âge et de son caractère.

Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles.

« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour en faire des châteaux, aussi monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et, les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l'année : par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux. »

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Lecture analytique n° 14 : la guerre entre les Abares et les Bulgares

COMMENT CANDIDE SE SAUVA D'ENTRE LES BULGARES, ET CE QU'IL DEVINT

Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque.

Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.

Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des héros abares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde. Ses provisions lui manquèrent quand il fut en Hollande ; mais ayant entendu dire que tout le monde était riche dans ce pays-là, et qu'on y était chrétien, il ne douta pas qu'on ne le traitât aussi bien qu'il l'avait été dans le château de monsieur le baron avant qu'il en eût été chassé pour les beaux yeux de Mlle Cunégonde.

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Lecture analytique n° 15 : l'autodafé

CHAPITRE SIXIÈME --------------------------------

COMMENT ON FIT UN BEL AUTO-DA-FÉ POUR EMPÊCHER LES TREMBLEMENTS DE TERRE, ET COMMENT CANDIDE FUT FESSÉ

Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n'avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé ; il était décidé par l'université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler.

On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d'avoir épousé sa commère, et deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l'un pour avoir parlé, et l'autre pour avoir écouté avec un air d'approbation : tous deux furent menés séparément dans des appartements d'une extrême fraîcheur, dans lesquels on n'était jamais incommodé du soleil ; huit jours après ils furent tous deux revêtus d'un san-benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier : la mitre et le san-benito de Candide étaient peints de flammes renversées et de diables qui n'avaient ni queues ni griffes ; mais les diables de Pangloss portaient griffes et queues, et les flammes étaient droites. Ils marchèrent en procession ainsi vêtus, et entendirent un sermon très pathétique, suivi d'une belle musique en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant qu'on chantait ; le Biscayen et les deux hommes qui n'avaient point voulu manger de lard furent brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume. Le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable.

Candide, épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait à lui-même : « Si c'est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? Passe encore si je n'étais que fessé, je l'ai été chez les Bulgares. Mais, ô mon cher Pangloss ! le plus grand des philosophes, faut-il vous avoir vu pendre sans que je sache pourquoi ! Ô mon cher anabaptiste, le meilleur des hommes, faut-il que vous ayez été noyé dans le port ! Ô Mlle Cunégonde ! la perle des filles, faut-il qu'on vous ait fendu le ventre ! »

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Lecture analytique n° 16 : le nègre de Surinam

En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n’ayant plus que la moitié de son habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là, mon ami, dans l’état horrible où je te vois ? - J’attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. - Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi ? - Oui, monsieur, dit le nègre, c’est l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : » Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l’honneur d’être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. » Hélas ! je ne sais pas si j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m’ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus horrible.

– Ô Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, il faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme. - Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. - Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal ».

Et il versait des larmes en regardant son nègre ; et en pleurant, il entra dans Surinam.

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Histoire des arts : La rédaction du Journal des Débats en 1889, de Jean Béraud (1889), et A « La République française », d'Henri Gervex (1890).

La rédaction du Journal des Débats en 1889, de Jean Béraud (1889)

A « La République française », d'Henri Gervex (1890)

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Les relations maîtres-valets au théâtre

Texte 1 : Le Mariage de Figaro (Acte V, scène 3) de Beaumarchais (1778)

Figaro, seul [...] (Il se lève.) Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu'ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais... que les sottises imprimées n'ont d'importance qu'aux lieux où l'on en gêne le cours ; que sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ; et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. (Il se rassied.) Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me met un jour dans la rue ; et comme il faut dîner, quoiqu'on ne soit plus en prison, je taille encore ma plume et demande à chacun de quoi il est question: on me dit que, pendant ma retraite économique, il s'est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui s'étend même à celles de la presse; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j'annonce un écrit périodique, et, croyant n'aller sur les brisées d'aucun autre, je le nomme Journal inutile. Pou-ou ! je vois s'élever contre moi mille pauvres diables à la feuille, on me supprime, et me voilà derechef sans emploi ! - Le désespoir m'allait saisir ; on pense à moi pour une place, mais par malheur j'y étais propre : il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l'obtint. Il ne me restait plus qu'à voler ; je me fais banquier de pharaon : alors, bonnes gens! je soupe en ville, et les personnes dites comme il faut m'ouvrent poliment leur maison, en retenant pour elles les trois quarts du profit. J'aurais bien pu me remonter ; je commençais même à comprendre que, pour gagner du bien, le savoir-faire vaut mieux que le savoir. Mais comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête, il fallut bien périr encore. Pour le coup je quittais le monde, et vingt brasses d'eau m'en allaient séparer, lorsqu'un dieu bienfaisant m'appelle à mon premier état. Je reprends ma trousse et mon cuir anglais ; puis, laissant la fumée aux sots qui s'en nourrissent, et la honte au milieu du chemin, comme trop lourde à un piéton, je vais rasant de ville en ville, et je vis enfin sans souci. Un grand seigneur passe à Séville ; il me reconnaît, je le marie ; et pour prix d'avoir eu par mes soins son épouse, il veut intercepter la mienne! Intrigue, orage à ce sujet. Prêt à tomber dans un abîme, au moment d'épouser ma mère, mes parents m'arrivent à la file. (Il se lève en s'échauffant.)

Texte 2 : L'Ile des esclaves (scène 3) de Marivaux (1725)

Des naufragés jetés par la tempête dans l'Ile des Esclaves sont obligés selon la loi de cette république d'échanger leurs conditions. Ainsi, Euphrosine devient l''esclave de Cléanthis. Trivelin, le maître des lieux, invite l'ancienne esclave à faire la critique de sa maîtresse.

CLEANTHIS : Madame, au contraire, a-t-elle mal reposé ? "Ah ! qu'on m'apporte un miroir ; comme me voilà faite ! que je suis mal bâtie !" Cependant on se mire, on éprouve son visage de toutes les façons, rien ne réussit ; des yeux battus, un teint fatigué ; voilà qui est fini, il faut envelopper ce visage-là, nous n'aurons que du négligé, Madame ne verra personne aujourd'hui, pas même le jour, si elle peut ; du moins fera-t-il sombre dans la chambre. Cependant, il vient compagnie, on entre : que va-t-on penser du visage de Madame ? on croira qu'elle enlaidit : donnera-t-elle ce plaisir-là à ses bonnes amies ? Non, il y a remède à tout : vous allez voir. "Comment vous portez-vous, Madame ? - Très mal, Madame ; j'ai perdu le sommeil ; il y a huit jours que je n'ai fermé l'œil ; je n'ose pas me montrer, je fais peur." Et cela veut dire : "Messieurs, figurez-vous que ce n'est point moi au moins ; ne me regardez pas, remettez à me voir ; ne me jugez pas aujourd'hui ; attendez que j'aie dormi. J'entendais tout cela, car nous autres esclaves, nous sommes doués contre nos maîtres d'une pénétration !... Oh ! ce sont de pauvres gens pour nous

Texte 4 : Les Bonnes (l'exposition) de Genet (1947)

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La chambre de Madame. Meubles Louis XV. Au fond, une fenêtre ouverte sur la façade de l’immeuble en face. A droite, le lit. A gauche, une porte et une commode. Des fleurs à profusion. C’est le soir. L’actrice qui joue Solange est vêtue d’une petite robe noire de domestique. Sur une chaise, une autre petite robe noire, des bas de fil noirs, une paire de souliers noirs à talons plats.

Claire, debout, en combinaison, tournant le dos à la coiffeuse. Son geste –le bras tendu– et le ton seront d’un tragique exaspéré.

Et ces gants ! Ces éternels gants ! Je t’ai dit souvent de les laisser à la cuisine. C’est avec ça, sans doute, que tu espères séduire le laitier. Non, non, ne mens pas, c’est inutile. Pends-les au-dessus de l’évier. Quand comprendras-tu que cette chambre ne doit pas être souillée ? Tout, mais tout ! ce qui vient de la cuisine est crachat. Sors. Et remporte tes crachats ! Mais cesse !

Pendant cette tirade, Solange jouait avec une paire de gants de caoutchouc, observant ses mains gantées, tantôt en bouquet, tantôt en éventail.

Ne te gêne pas, fais ta biche. Et surtout ne te presse pas, nous avons le temps. Sors !

Solange change soudain d’attitude et sort humblement, tenant du bout des doigts les gants de caoutchouc. Claire s’assied à la coiffeuse. Elle respire les fleurs, caresse les objets de toilette, brosse ses cheveux, arrange son visage.

CLAIRE. Préparez ma robe. Vite, le temps presse. Vous n'êtes pas là ? (Elle se retourne.) Claire ! Claire ! (Entre Solange.) SOLANGE. Que Madame m'excuse, je préparais le tilleul (elle prononce « tillol ») de Madame. CLAIRE. Disposez mes toilettes. La robe blanche pailletée. L'éventail, les émeraudes. SOLANGE. Tous les bijoux de Madame ? CLAIRE. Sortez-les. Je veux choisir. (Avec beaucoup d'hypocrisie.) Et naturellement les souliers vernis. Ceux que vous convoitez depuis des années. (Solange prend dans l'armoire quelques écrins qu'elle ouvre et dispose sur le lit.) Pour votre noce sans doute. Avouez qu'il vous a séduite ! Que vous êtes grosse ! Avouez-le ! (Solange s'accroupit sur le tapis, et, crachant dessus, cire des escarpins vernis.) Je vous ai dit, Claire, d'éviter les crachats. Qu'ils dorment en vous, ma fille, qu'ils y croupissent. Ah ! ah ! vous êtes hideuse, ma belle. Penchez-vous davantage et vous regardez dans mes souliers. (Elle tend son pied que Solange examine.) Pensez-vous qu'il me soit agréable de me savoir le pied enveloppé par les voiles de votre salive ? Par la brume de vos marécages ? SOLANGE, à genoux et très humble. Je désire que Madame soit belle. CLAIRE, elle s'arrange dans la glace. Vous me détestez, n'est-ce pas ? Vous m'écrasez sous vos prévenances, sous votre humilité, sous les glaïeuls et le réséda. (Elle se lève et d'un ton plus bas.) On s'encombre inutilement. Il y a trop de fleurs. C'est mortel. (Elle se mire encore.) Je serai belle. Plus que vous ne le serez jamais.

Texte 4 : En attendant Godot (Acte 1) de Samuel beckett (1952)

POZZO Savez-vous qui m'a appris toutes ces belles choses ? (Un temps , dardant son doigt vers Lucky) Lui !

VLADIMIR (regardant le ciel) La nuit ne viendra-t-elle donc jamais ?

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POZZO Sans lui je n'aurais jamais pensé, jamais senti, que des choses basses, ayant trait à mon métier de - peu importe. La beauté, la grâce, la vérité de première classe, je m'en savais incapable. Alors j'ai pris un Knouk.

VLADIMIR ( malgré lui cessant d'interroger le ciel) Un knouk ?

POZZO Il y aura bientôt soixante ans que ça dure… ( Il calcule mentalement) ... Oui, bientôt soixante. (Se redressant fièrement) On ne me les donnerait pas, n'est-ce pas ? (Vladimir regarde Lucky) A coté de lui j'ai l'air d'un jeune homme non ? ( Un temps. A Lucky ) Chapeau ! ( Lucky dépose le panier, enlève son chapeau. Une abondante chevelure blanche lui tombe autour du visage. Il met son chapeau sous le bras et reprend le panier) Maintenant, regardez (Pozzo ôte son chapeau.Il est complètement chauve. Il remet son chapeau) Vous avez vu ?

VLADIMIR Qu'est-ce que c'est, un knouk ?

POZZO Vous n'êtes pas d'ici. Etes-vous seulement du siècle ? Autrefois on avait des bouffons. Maintenant on a des Knouks. Ceux qui peuvent se le permettre.

VLADIMIR Et vous le chassez à présent ? Un si vieux , un si fidèle serviteur ?

ESTRAGON Fumier !

Pozzo de plus en plus agité.

VLADIMIR Après en avoir sucé la substance vous le jetez comme un... (Il cherche) ..comme une peau de banane. Avouez que...

POZZO (gémissant portant ses mains à la tête ) Je n'en peux plus... plus supporter... ce qu'il fait... vous pouvez pas savoir... c'est affreux... faut qu'il s'en aille... (il brandit les bras) je deviens fou... ( il s'effondre la tête dans les bras) Je n'en peux plus... peux plus...

Silence. Tous regardent Pozzo. Lucky tressaille

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La double inconstance :

les adaptations de Marcel Bluwal (1968) et de Carole Giacobbi (2009)

adaptation de Marcel Bluwal (1968)

adaptation de Carole Giacobbi (2009)

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Les Fêtes galantes : deux tableaux d'Antoine Watteau

Pèlerinage à l'île de Cythère (1717), huile sur toile, Musée du Louvre

Embarquement pour Cythère (1718), huile sur toile, Château de Charlottenburg

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Quatre conceptions de la poésie

–Texte A - Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674)

–Surtout qu'en vos écrits la langue révérée Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée. En vain vous me frappez d'un son mélodieux, Si le terme est impropre, ou le tour vicieux ; Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme, Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme11. Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse, Et ne vous piquez point d'une folle vitesse ; Un style si rapide, et qui court en rimant, Marque moins trop d'esprit, que peu de jugement. J'aime mieux un ruisseau qui sur la molle arène Dans un pré plein de fleurs lentement se promène, Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux, Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux. Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent, Des traits d'esprit semés de temps en temps pétillent. Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ; Que le début, la fin répondent au milieu ; Que d'un art délicat les pièces assorties N'y forment qu'un seul tout de diverses parties : Que jamais du sujet le discours s'écartant N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant. Craignez-vous pour vos vers la censure publique ? Soyez-vous à vous-même un sévère critique.

–Texte B - Victor Hugo : « Fonction du poète », Les Rayons et les Ombres

–Dieu le veut, dans les temps contraires,Chacun travaille et chacun sert.Malheur à qui dit à ses frères :Je retourne dans le désert !Malheur à qui prend ses sandalesQuand les haines et les scandalesTourmentent le peuple agité !Honte au penseur qui se mutileEt s'en va, chanteur inutile,Par la porte de la cité !

Le poète en des jours impies12

Vient préparer des jours meilleurs.II est l'homme des utopies,Les pieds ici, les yeux ailleurs.C'est lui qui sur toutes les têtes,En tout temps, pareil aux prophètes,Dans sa main, où tout peut tenir,Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue,Comme une torche qu'il secoue,Faire flamboyer l'avenir !

11 Barbarisme, solécisme : incorrections.12 Impies : irréligieux, qui ne respectent ou offensent la religion.

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II voit, quand les peuples végètent !Ses rêves, toujours pleins d'amour,Sont faits des ombres que lui jettentLes choses qui seront un jour.On le raille. Qu'importe ! Il pense.Plus d'une âme inscrit en silenceCe que la foule n'entend pas.II plaint ses contempteurs13 frivoles ;Et maint faux sage à ses parolesRit tout haut et songe tout bas !

–Texte C - Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à

–Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ; Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes, Les Méropes14, ayant le décorum pour loi, Et montant à Versaille15 aux carrosses du roi ; Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires16, Habitant les patois ; quelques-uns aux galères Dans l'argot ; dévoués à tous les genres bas, Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas, Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ; Populace du style au fond de l'ombre éparse ; Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas17 leur chef Dans le bagne Lexique avait marqués d'une F ; N'exprimant que la vie abjecte et familière, Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière. Racine regardait ces marauds de travers ; Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers, Il le gardait, trop grand pour dire : Qu'il s'en aille ; Et Voltaire criait : Corneille s'encanaille ! Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi. Alors, brigand, je vins ; je m'écriai : Pourquoi Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ? Et sur l'Académie, aïeule et douairière18, Cachant sous ses jupons les tropes19 effarés, Et sur les bataillons d'alexandrins carrés, Je fis souffler un vent révolutionnaire. Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire. Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier ! Je fis une tempête au fond de l'encrier, Et je mêlai, parmi les ombres débordées, Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées ; Et je dis : Pas de mot où l'idée au vol pur Ne puisse se poser, tout humide d'azur ! Discours affreux ! – Syllepse, hypallage, litote19, Frémirent ; je montai sur la borne Aristote20, Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs. Tous les envahisseurs et tous les ravageurs, Tous ces tigres, les Huns, les Scythes et les Daces21, N'étaient que des toutous auprès de mes audaces;

13 Contempteurs : ceux qui le méprisent.14 Personnages de tragédies.15 L'absence de la lettre "s" est volontaire.16 Inquiétants.17 Vaugelas : auteur des Remarques sur la langue française (1647). Il y codifie la langue selon l'usage de l'élite.18 L'Académie Française, garante des règles ; "Douairière" : vieille femme.19 Figures de style.20 Aristote, philosophe grec, avait codifié les genres et les styles.21 Peuples considérés ici comme barbares.

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Je bondis hors du cercle et brisai le compas. Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?

–Texte D - Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal (1857) « Une Charogne»XXIX - Une Charogne

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,Ce beau matin d'été si doux :Au détour d'un sentier une charogne infâmeSur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,Brûlante et suant les poisons,Ouvrait d'une façon nonchalante et cyniqueSon ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,Comme afin de la cuire à point,Et de rendre au centuple à la grande NatureTout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbeComme une fleur s'épanouir.La puanteur était si forte, que sur l'herbeVous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,D'où sortaient de noirs bataillonsDe larves, qui coulaient comme un épais liquideLe long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vagueOu s'élançait en pétillantOn eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,Comme l'eau courante et le vent,Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmiqueAgite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,Une ébauche lente à venirSur la toile oubliée, et que l'artiste achèveSeulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquièteNous regardait d'un oeil fâché, Epiant le moment de reprendre au squeletteLe morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,A cette horrible infection, Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,Vous, mon ange et ma passion !

Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces,Apres les derniers sacrements,Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermineQui vous mangera de baisers,Que j'ai gardé la forme et l'essence divineDe mes amours décomposés !

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–Le poème de prose, d'Aloysius Bertrand à Francis Ponge

–Texte A : « Le fou », Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit (1842). Le fou

–La lune peignait ses cheveux avec un démêloir d’ébène qui argentait d’une pluie de vers luisants les collines, les prés et les bois.

–Scarbo, gnome dont les trésors foisonnent, vannait sur mon toit, au cri de la girouette, ducats et florins qui sautaient en cadence, les pièces fausses jonchant la rue.

–Comme ricana le fou qui vague, chaque nuit, par la cité déserte, un oeil à la lune et l’autre – crevé !

–« Foin de la lune ! grommela-t-il, ramassant les jetons du diable, j’achèterai le pilori pour m’y chauffer au soleil ! »

–Mais c’était toujours la lune, la lune qui se couchait. - Et Scarbo monnoyait sourdement dans ma cave ducats et florins à coups de balancier.

–Tandis que, les deux cornes en avant, un limaçon qu’avait égaré la nuit, cherchait sa route sur mes vitraux lumineux.

–Texte B : « Un hémisphère dans une chevelure », Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris (1869).

Un hémisphère dans une chevelure

–Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.

– Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique.

– Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.

– Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.

– Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.

– Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.

– Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.

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–Texte C : « Les ponts », Arthur Rimbaud, Illuminations (1873).

Les ponts

Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives, chargées de dômes, s'abaissent et s'amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D'autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d'autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics ? L'eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. - Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie.

–Texte D : « Barbare », Arthur Rimbaud, Illuminations (1873). Barbare

Bien après les jours et les saisons, et les êtres et les pays,Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ; (elles n’existent

pas.)Remis des vieilles fanfares d’héroïsme - qui nous attaquent encore le cœur et la tête - loin des

anciens assassins -Oh ! Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ; (elles

n’existent pas.)Douceurs !Les brasiers, pleuvant aux rafales de givre, - Douceurs ! - les feux à la pluie du vent de diamants

jetée par le cœur terrestre éternellement carbonisé pour nous.- O monde ! -(Loin des vieilles retraites et des vieilles flammes, qu’on entend, qu’on sent,)Les brasiers et les écumes. La musique, virement des gouffres et choc des glaçons aux astres.O Douceurs, ô monde, ô musique ! Et là, les formes, les sueurs, les chevelures et les yeux,

flottant. Et les larmes blanches, bouillantes, - ô douceurs ! - et la voix féminine arrivée au fond des volcans et des grottes arctiques.

Le pavillon…

–Texte E : « Le Pain », Francis Ponge, Le Parti pris des choses, 1942.

Le pain

La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne : comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes.

Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses… Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, — sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente.

Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois.

Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable…

Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.

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Les lettres dites « du Voyant »

–Lettre de Rimbaud à Georges Izambard – 13 mai 1871Charleville, 13 mai 1871.

Cher Monsieur !Vous revoilà professeur. On se doit à la Société, m'avez-vous dit ; vous faites partie des corps enseignants : vous roulez dans la bonne ornière. − Moi aussi, je suis le principe : je me fais cyniquement entretenir ; je déterre d'anciens imbéciles de collège : tout ce que je puis inventer de bête, de sale, de mauvais, en action et en parole, je le leur livre : on me paie en bocks et en filles. − Stat mater dolorosa, dum pendet filius. − Je me dois à la Société, c'est juste, − et j'ai raison. − Vous aussi, vous avez raison, pour aujourd'hui. Au fond, vous ne voyez en votre principe que poésie subjective : votre obstination à regagner le râtelier universitaire, − pardon ! − le prouve ! Mais vous finirez toujours comme un satisfait qui n'a rien fait, n'ayant voulu rien faire. Sans compter que votre poésie subjective sera toujours horriblement fadasse. Un jour, j'espère, − bien d'autres espèrent la même chose, − je verrai dans votre principe la poésie objective, je la verrai plus sincèrement que vous ne le feriez ! − Je serai un travailleur : c'est l'idée qui me retient, quand les colères folles me poussent vers la bataille de Paris − où tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous écris ! Travailler maintenant, jamais, jamais; je suis en grève.Maintenant, je m'encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n'est pas du tout ma faute. C'est faux de dire : Je pense : on devrait dire : On me pense. − Pardon du jeu de mots. JE est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu'ils ignorent tout à fait !Vous n'êtes pas Enseignant pour moi. Je vous donne ceci : est-ce de la satire, comme vous diriez ? Est-ce de la poésie ? C'est de la fantaisie, toujours. − Mais, je vous en supplie, ne soulignez ni du crayon, ni − trop − de la pensée :

–LE COEUR SUPPLICIÉ–Mon triste coeur bave à la poupe...–Mon coeur est plein de caporal !–Ils y lancent des jets de soupe,

–Mon triste coeur bave à la poupe...–Sous les quolibets de la troupe

–Qui lance un rire général,–Mon triste coeur bave à la poupe,–Mon coeur est plein de caporal !–Ithyphalliques et pioupiesques,–Leurs insultes l'ont dépravé ;

–À la vesprée, ils font des fresques

–Ithyphalliques et pioupiesques,–Ô flots abracadabrantesques,

–Prenez mon coeur, qu'il soit sauvé !–Ithyphalliques et pioupiesques–Leurs insultes l'ont dépravé !

–Quand ils auront tari leurs chiques,–Comment agir, ô coeur volé ?

–Ce seront des refrains bachiques–Quand ils auront tari leurs chiques–J'aurai des sursauts stomachiques :

–Si mon coeur triste est ravalé !–Quand ils auront tari leurs chiques

–Comment agir, ô coeur volé ?

Ça ne veut pas rien dire. − RÉPONDEZ-MOI : chez M. Deverrière, pour A. R. Bonjour de coeur,Art. Rimbaud.

Lettre de Rimbaud à Paul Demeny - 15 mai 1871

Charleville, 15 mai 1871.[...] - Voici de la prose sur l'avenir de la poésie -Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque ; Vie harmonieuse. - De la Grèce au mouvement romantique, - moyen-âge, - il y a des lettrés, des versificateurs. D'Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d'innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort, le grand. -On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd'hui aussi ignoré que le premier venu auteur d'Origines.

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Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans.[...] Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant - Car il arrive à [...] Donc le poète est vraiment voleur de feu.Il est chargé de l'humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c'est informe, il donne de l'informe. Trouver une langue ; - Du reste, toute parole étant idée, le temps d'un langage universel viendra ! Il faut être académicien, - plus mort qu'un fossile, - pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l'alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie !-Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d'inconnu s'éveillant en son temps dans l'âme universelle : il donnerait plus - (que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au Progrès ! Enormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès ![...] Vous seriez exécrable de ne pas répondre : vite car dans huit jours je serai à Paris, peut-être.Au revoir,

A. Rimbaud.

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Paul Gauguin (1848-1903), La Vision du sermon (1888)

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Groupement de textes : utopies

Thomas More, L’Utopie (Livre II) 1516, extrait, traduction M. Delcourt, éd. Gf Flammarion, 1987

La ville est reliée à la rive opposée par un pont qui n'est pas soutenu par des piliers ou des pilotis, mais par un ouvrage en pierre d'une fort belle courbe. Il se trouve dans la partie de la ville qui est la plus éloignée de la mer, afin de ne pas gêner les vaisseaux qui longent les rives. Une autre rivière, peu importante mais paisible et agréable à voir, a ses sources sur la hauteur même où est située Amaurote, la traverse en épousant la pente et mêle ses eaux, au milieu de la ville, à celles de l'Anydre. Cette source, qui est quelque peu en dehors de la cité, les gens d'Amaurote l'ont entourée de remparts et incorporée à la forteresse, afin qu'en cas d'invasion elle ne puisse être ni coupée ni empoisonnée. De là, des canaux en terre cuite amènent ses eaux dans les différentes parties de la ville basse. Partout où le terrain les empêche d'arriver, de vastes citernes recueillent l'eau de pluie et rendent le même service.

Un rempart haut et large ferme l'enceinte, coupé de tourelles et de boulevards ; un fossé sec mais profond et large, rendu impraticable par une ceinture de buissons épineux, entoure l'ouvrage de trois côtés ; le fleuve occupe le quatrième.

Les rues ont été bien dessinées, à la fois pour servir le trafic et pour faire obstacle aux vents. Les constructions ont bonne apparence. Elles forment deux rangs continus, constitués par les façades qui se font vis-à-vis, bordant une chaussée de vingt pieds de large. Derrière les maisons, sur toute la longueur de la rue, se trouve un vaste jardin, borné de tous côtés par les façades postérieures.

Chaque maison a deux portes, celle de devant donnant sur la rue, celle de derrière sur le jardin. Elles s'ouvrent d'une poussée de main, et se referment de même, laissant entrer le premier venu. Il n'est rien là qui constitue un domaine privé. Ces maisons en effet changent d'habitants, par tirage au sort, tous les dix ans. Les Utopiens entretiennent admirablement leurs jardins, où ils cultivent des plants de vigne, des fruits, des légumes et des fleurs d'un tel éclat, d'une telle beauté que nulle part ailleurs je n'ai vu pareille abondance, pareille harmonie. Leur zèle est stimulé par le plaisir qu'ils en retirent et aussi par l'émulation, les différents quartiers luttant à l'envi à qui aura le jardin le mieux soigné. Vraiment, on concevrait difficilement, dans toute une cité, une occupation mieux faite pour donner à la fois du profit et de la joie aux citoyens et, visiblement, le fondateur n'a apporté à aucune autre chose une sollicitude plus grande qu'à ces jardins.

François Rabelais, Gargantua, chapitre 57, 1534

Comment était réglé le mode de vie des Thélémites

Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté et leur libre arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Et leur règlement se limitait à cette clause :

FAIS CE QUE TU VOUDRAS,

parce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, vivant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu'ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement et les éloigne du vice. Quand ils sont affaiblis et asservis par une vile

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sujétion ou une contrainte, ils utilisent ce noble penchant, par lequel ils aspiraient librement à la vertu, pour se défaire du joug de la servitude et pour lui échapper, car nous entreprenons toujours ce qui est défendu et convoitons ce qu'on nous refuse.

Grâce à cette liberté, ils rivalisèrent d'efforts pour faire tous ce qu'ils voyaient plaire à un seul. Si l'un ou l'une d'entre eux disait : « buvons », tous buvaient ; si on disait : « jouons », tous jouaient ; si on disait : « allons nous ébattre aux champs », tous y allaient. Si c'était pour chasser au vol ou à courre, les dames montées sur de belles haquenées, avec leur fier palefroi, portaient chacune sur leur poing joliment ganté un épervier, un lanier, un émerillon, les hommes portaient les autres oiseaux.

Ils étaient si bien éduqués qu'il n'y avait aucun ni aucune d'entre eux qui ne sache lire, écrire, chanter, jouer d'instruments de musique, parler cinq ou six langues et s'en servir pour composer en vers aussi bien qu'en prose. Jamais on ne vit des chevaliers si preux, si nobles, si habiles à pied comme à cheval, aussi vigoureux, aussi vifs et maniant aussi bien toutes les armes, que ceux qui se trouvaient là. Jamais on ne vit des dames aussi élégantes, aussi mignonnes, moins désagréables, plus habiles de leurs doigts à tirer l'aiguille et à s'adonner à toute activité convenant à une femme noble et libre, que celles qui étaient là.

Pour ces raisons, quand le temps était venu pour un des membres de l'abbaye d'en sortir, soit à la demande de ses parents, soit pour d'autres motifs, il emmenait avec lui une des dames, celle qui l'avait choisi pour chevalier servant, et on les mariait ensemble. Et s'ils avaient bien vécu à Thélème dans le dévouement et l'amitié, ils cultivaient encore mieux ces vertus dans le mariage ; leur amour mutuel était aussi fort à la fin de leurs jours qu'aux premiers temps de leurs noces.

CYRANO de BERGERAC, Histoire comique contenant les états et empires de la lune, (1657.)

… Enfin, je résolus de marcher jusqu’à ce que la Fortune me fît rencontrer la compagnie de quelques bêtes, ou de la mort.

Les habitants de la lune.Elle m’exauça, car au bout d’un demi quart d’heure je rencontrai deux forts grands

animaux dont l’un s’arrêta devant moi, l’autre s’enfuit légèrement au gîte; au moins, je le pensai ainsi, à cause qu’à quelque temps de là je le vis revenir accompagné de plus de sept ou huit cents de même espèce qui m’environnèrent. Quand je les pus discerner de près, je connus qu’ils avaient la taille et la figure comme nous. Cette aventure me fit souvenir de ce que jadis j’avais ouï conter à ma nourrice, des sirènes, des faunes, et des satyres. De temps en temps ils élevaient des huées si furieuses causées sans doute par l’admiration de me voir, que je croyais quasi être devenu monstre. Enfin une de ces bêtes-hommes m’ayant pris par le col, de même que font les loups quand ils enlèvent des brebis, me jeta sur son dos, et me mena dans leur ville, où je fus plus étonné que devant, quand je reconnus en effet que c’étaient des hommes, de n’en rencontrer pas un qui ne marchât à quatre pattes.

Lorsque ce peuple me vit si petit, car la plupart d’entre eux ont douze coudées de longueur, et mon corps soutenu de deux pieds seulement, ils ne purent croire que je fusse un homme, car ils tenaient que la nature ayant donné aux hommes comme aux bêtes deux jambes et deux bras, ils s’en devaient servir comme eux. Et en effet, rêvant depuis là-dessus, j’ai songé que cette situation de corps n’était point trop extravagante, quand je me suis souvenu que les enfants, lorsqu’ils ne sont encore instruits que de nature, marchent à quatre pieds, et qu’ils ne s’élèvent sur deux que par le soin de leurs nourrices qui les dressent dans de petits chariots, et la attachent des lanières pour les empêcher de tomber sur les quatre, comme la seule assiette où la figure de notre masse incline de se reposer.

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Georges ORWELL, La Ferme des animaux, 1945.

Tous les animaux étaient maintenant au rendez-vous - sauf Moïse, un corbeau apprivoisé qui sommeillait sur un perchoir, près de la porte de derrière - et les voyant à l’aise et bien attentifs, Sage l’Ancien se racla la gorge puis commença en ces termes :

« (...)Quelle est donc, camarades, la nature de notre existence ? Regardons les choses en face nous avons une vie de labeur, une vie de misère, une vie trop brève. Une fois au monde, il nous est tout juste donné de quoi survivre, et ceux d’entre nous qui ont la force voulue sont astreints au travail jusqu’à ce qu’ils rendent l’âme. Et dans l’instant que nous cessons d’être utiles, voici qu’on nous égorge avec une cruauté inqualifiable. Passée notre première année sur cette terre, il n’y a pas un seul animal qui entrevoie ce que signifient des mots comme loisir ou bonheur. Et quand le malheur l’accable, ou la servitude, pas un animal qui soit libre. Telle est la simple vérité.

« Et doit-il en être tout uniment ainsi par un décret de la nature ? Notre pays est-il donc si pauvre qu’il ne puisse procurer à ceux qui l’habitent une vie digne et décente ? Non, camarades, mille fois non ! Fertile est le sol de l’Angleterre et propice son climat. Il est possible de nourrir dans l’abondance un nombre d’animaux bien plus considérable que ceux qui vivent ici. Cette ferme à elle seule pourra pourvoir aux besoins d’une douzaine de chevaux, d’une vingtaine de vaches, de centaine de moutons - tous vivant dans l’aisance une vie honorable. Le hic, c’est que nous avons le plus grand mal à imaginer chose pareille. Mais, puisque telle est la triste réalité, pourquoi en sommes-nous toujours à végéter dans un état pitoyable ? Parce que tout le produit de notre travail, ou presque, est volé par les humains ; Camarades, là se trouve la réponse à nos problèmes. Tout tient en un mot : l’Homme Car l’Homme est notre seul véritable ennemi Qu’on le supprime, et voici extirpée la racine du mal. Plus à trimer sans relâche ! Plus de meurt-la-faim !

« L’Homme est la seule créature qui consomme sans produire. Il ne donne pas de lait, il ne pond pas d’œufs, il est trop débile pour pousser la charrue, bien trop lent pour attraper un lapin. Pourtant le voici le suzerain de tous les animaux. Il distribue les tâches : entre eux, mais ne leur donne en retour que la maigre pitance qui les maintient en vie. Puis il garde pour lui le surplus. Qui laboure le sol : Nous ! Qui le féconde ? Notre fumier ! Et pourtant pas un parmi nous qui n’ait que sa peau pour tout bien. Vous, les vaches là devant moi, combien de centaines d’hectolitres de lait n’avez-vous pas produit l’année dernière ? Et qu’est-il advenu de ce lait qui vous aurait permis d’élever vos petits, de leur donner force et vigueur ? De chaque goutte l’ennemi s’est délecté et rassasié. Et vous les poules, combien d’œufs n’avez-vous pas pondus cette année-ci ? Et combien de ces œufs avez-vous couvés ? Tous les autres ont été vendus au marché, pour enrichir Jones et ses gens ! Et toi, Douce, où sont les quatre poulains que tu as portés, qui auraient été la consolation de tes vieux jours ? Chacun d’eux fut vendu à l’âge d’un an, et plus jamais tu ne les reverras ! En échange de tes quatre maternités et du travail aux champs, que t’a-t-on donné ? De strictes rations de foin plus un box dans l’étable ! »

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Groupement de textes : les combats des Lumières

César Chesneau Dumarsais - Article « philosophe » (extrait) de L'Encyclopédie (1751-1772)

Les autres hommes sont déterminés à agir sans sentir ni connaître les causes qui les font mouvoir, sans même songer qu'il y en ait. Le philosophe au contraire démêle les causes autant qu'il est en lui, et souvent même les prévient, et se livre à elles avec connaissance: c'est une horloge qui se monte, pour ainsi dire, quelquefois elle-même. Ainsi il évite les objets qui peuvent lui causer des sentiments qui ne conviennent ni au bien-être, ni à l'être raisonnable, et cherche ceux qui peuvent exciter en lui des affections convenables à l'état où il se trouve. La raison est à l'égard du philosophe ce que la grâce est à l'égard du chrétien. La grâce détermine le chrétien à agir; la raison détermine le philosophe.

Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu'ils font soient précédées de la réflexion : ce sont des hommes qui marchent dans les ténèbres; au lieu que le philosophe, dans ses passions mêmes, n'agit qu'après la réflexion; il marche la nuit, mais il est précédé d'un flambeau.

La vérité n'est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, et qu'il croie trouver partout; il se contente de la pouvoir démêler où il peut l'apercevoir. Il ne la confond point avec la vraisemblance; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pour douteux ce qui est douteux, et pour vraisemblance ce qui n'est que vraisemblance. Il fait plus, et c'est ici une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point de motif pour juger, il sait demeurer indéterminé […]

L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation et de justesse, qui rapporte tout à ses véritables principes ; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus loin son attention et ses soins.

L'homme n'est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abîmes de la mer ou dans le fond d'une forêt : les seules nécessités de la vie lui rendent le commerce des autres nécessaire et dans quelqu'état où il puisse se trouver, ses besoins et le bien-être l'engagent à vivre en société. Ainsi la raison exige de lui qu'il connaisse, qu'il étudie, et qu'il travaille à acquérir les qualités sociables.

Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde ; il ne croit point être en pays ennemi; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui offre; il veut trouver du plaisir avec les autres; et pour en trouver, il faut en faire ainsi il cherche à convenir à ceux avec qui le hasard ou son choix le font vivre et il trouve en même temps ce qui lui convient: c'est un honnête homme qui veut plaire et se rendre utile […]

Le vrai philosophe est donc un honnête homme qui agit en tout par raison, et qui joint à un esprit de réflexion et de justesse les mœurs et les qualités sociales. Entez un souverain sur un philosophe d’une telle trempe, et vous aurez un souverain parfait.

VOLTAIRE, Traité sur la tolérance, chap. 1 (1763)Le Traité sur la tolérance est inspiré par l'affaire Calas : en 1761, Marc-Antoine Calas, un jeune protestant prêt à se convertir au catholicisme, est retrouvé mort chez son père. Celui-ci est aussitôt accusé d'avoir assassiné son fils pour des raisons religieuses, et condamné par le parlement de Toulouse. Il est torturé et exécuté - sans preuve - après une enquête précipitée, dans une ville hostile aux protestants. Voltaire, averti, se dépense sans compter, en relançant l'affaire en justice et en ébranlant l'opinion publique. Il obtiendra la réhabilitation de Calas et de sa famille.

Il semble que quand il s'agit d'un parricide(1) et de livrer un père de famille au plus affreux supplice, le jugement devrait être unanime, parce que les preuves d'un crime si inouï devraient être d'une évidence sensible à tout le monde : le moindre doute dans un cas pareil doit suffire pour faire trembler un juge qui va signer un arrêt de mort. La faiblesse de notre raison et l'insuffisance de nos lois se font sentir tous les

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jours ; mais dans quelle occasion en découvre-t-on mieux la misère que quand la prépondérance d'une seule voix fait rouer un citoyen ? Il fallait, dans Athènes, cinquante voix au-delà de la moitié pour oser prononcer un jugement de mort. Qu'en résulte-t-il ? Ce que nous savons très inutilement, que les Grecs étaient plus sages et plus humains que nous.

Il paraissait impossible que Jean Calas, vieillard de soixante-huit ans, qui avait depuis longtemps les jambes enflées et faibles, eût seul étranglé et pendu un fils âgé de vingt-huit ans, qui était d'une force au-dessus de l'ordinaire ; il fallait absolument qu'il eût été assisté dans cette exécution par sa femme, par son fils Pierre Calas, par Lavaisse, et par la servante. Ils ne s'étaient pas quittés un seul moment le soir de cette fatale aventure. Mais cette supposition était encore aussi absurde que l'autre : car comment une servante zélée catholique aurait-elle pu souffrir que des huguenots assassinassent un jeune homme élevé par elle pour le punir d'aimer la religion de cette servante ? Comment Lavaisse serait-il venu exprès de Bordeaux pour étrangler son ami dont il ignorait la conversion prétendue ? Comment une mère tendre aurait-elle mis les mains sur son fils ? Comment tous ensemble auraient-ils pu étrangler un jeune homme aussi robuste qu'eux tous, sans un combat long et violent, sans des cris affreux qui auraient appelé tout le voisinage, sans des coups réitérés, sans des meurtrissures, sans des habits déchirés ?

Il était évident que, si le parricide avait pu être commis, tous les accusés étaient également coupables, parce qu'ils ne s'étaient pas quittés d'un moment ; il était évident qu'ils ne l'étaient pas ; il était évident que le père seul ne pouvait l'être ; et cependant l'arrêt condamna ce père seul à expirer sur la roue.

Le motif de l'arrêt était aussi inconcevable que tout le reste. Les juges qui étaient décidés pour le supplice de Jean Calas persuadèrent aux autres que ce vieillard faible ne pourrait résister aux tourments(2), et qu'il avouerait sous les coups des bourreaux son crime et celui de ses complices. Ils furent confondus, quand ce vieillard, en mourant sur la roue, prit Dieu à témoin de son innocence, et le conjura de pardonner à ses juges.

1. Parricide : au XVIIIe siècle, désigne tout meurtre commis à l'intérieur d'une famille (ici, sur le fils). 2. Tourments : la torture, qui faisait partie de la procédure judiciaire à cette époque.

Emmanuel Kant, Qu’est ce que les lumières ? , 1784.

Les lumières, c’est pour l’homme sortir d’une minorité qui n’est imputable qu’à lui. La minorité, c’est l’incapacité de se servir de son entendement sans la tutelle d’un autre. C’est à lui seul qu’est imputable cette minorité dès lors qu’elle ne procède pas du manque d’entendement, mais du manque de résolution et de courage nécessaires pour se servir de son entendement sans la tutelle d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement : telle est donc la devise des Lumières.

La paresse et la lâcheté sont causes qu’une si grande partie des hommes affranchis depuis longtemps par la nature de toute tutelle étrangère, se plaisent cependant à rester leur vie durant des mineurs ; et c’est pour cette raison qu’il est si aisé à d’autre de s’instituer leurs tuteurs. Il est si commode d’être mineur. Si j’ai un livre qui a de l’entendement pour moi , un directeur spirituel qui a de la conscience pour moi, un médecin qui pour moi décide de mon régime etc., je n’ai pas besoin de faire des efforts moi-même. Je ne suis point obligé de réfléchir, si payer suffit ; et d’autres se chargeront pour moi l’ennuyeuse besogne. […]

Il est donc difficile pour tout homme pris individuellement de se dégager de cette minorité devenue comme une seconde nature. Il s’y est même attaché et il est alors réellement incapable de se servir de son entendement parce qu’on ne le laissa jamais en fait l’essai. Préceptes et formules, ces instruments mécaniques destinés à l’usage

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raisonnable ou plutôt au mauvais usage de ses dons naturels, sont les entraves de cet état de minorité qui se perpétue.

Mais qui les rejetterait ne ferait cependant qu’un saut mal assuré au-dessus du fossé même plus étroit, car il n’a pas l’habitude d’une telle liberté de mouvement. Aussi sont-ils peu nombreux ceux qui ont réussi, en exerçant eux-mêmes leur esprit, à se dégager de cette minorité tout en ayant cependant une démarche assurée.

Qu’un public en revanche s’éclaire lui-même est davantage possible ; c’est même, si seulement on lui en laisse la liberté, pratiquement inévitable. Car, alors, il se trouvera toujours quelques hommes pensant par eux-mêmes, y compris parmi les tuteurs officiels du plus grand nombre, qui, après voir rejeté eux-mêmes le joug de la minorité, rependront l’esprit d’une estimation raisonnable de sa propre valeur et de la vocation de chaque homme a penser par lui-même. […]

Mais ces Lumières n’exigent rien d’autre que la liberté ; et même la plus inoffensive de toutes les libertés, c’est-à-dire celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines.

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Le Frontispice de l’Encyclopédie, dessiné par Charles-Nicolas Cochin (1715-1790)

Les grandes figures du monde moderne, Frontispice de l’Encyclopédie, dessiné par Charles-Nicolas Cochin (1715-1790),gravé par Bonaventure-Louis Prévost, à l’eau-forte et au burin, 1772, Paris, coll. Part. Le dessin original de Cochin a été exposé au Salon de 1765 et commenté par Diderot lui-même.

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Deux planches de l'adaptation en bande-dessinée de Delpâture, Dufranne, Radovanovic (2013)

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Photogramme du film de Stanley KUBRICK, Barry Lyndon (1975) : la marche avant l'assaut