1 Janvier I

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1 Janvier I

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SAINT ODILON

Ve abb de Cluny (962-1049)

Fte le 1er janvier.

La longue carrire de saint Odilon de Cluny se place la fin du Xe sicle et dans la premire moiti du XIe, c'est--dire l'une des poques les plus tristes de l're chrtienne, poque o l'Eglise, humilie, asservie, est victime de l'ingrence abusive du pouvoir civil, de la simonie, des dsordres et des scandales de toutes sortes ; poque o le retour de la barbarie menace d'engloutir dans une mme ruine l'Eglise et la socit.

Mais Dieu n'abandonne pas son Eglise. Sa providence choisira Cluny pour en faire le berceau et le foyer d'une rforme capable de rgencer la chrtient. De cette rforme, saint Odilon sera l'un des plus actifs et fconds ouvriers ; c'est lui qui aura l'honneur d'instruire l'illustre moine Hildebrand, le futur Pape saint Grgoire VII.

Gurison miraculeuse.

A l'extrmit de la Basse-Auvergne, aux environs de la petite ville d'Ardes-sur-Couze (Puy-de-Dme), s'lve, 900 mtres d'altitude, un haut plateau qui s'appelle la Butte de Mercur. Un chteau fodal, redoutable forteresse dont il ne reste plus que des ruines, en couronnait jadis le sommet. L, vivaient, autour des annes 960 et 980, le puissant seigneur de Mercoeur, Brald 1er, dit le Grand, l'un des trois ou quatre grands feudataires du comt d'Auvergne, homme de murs irrprochables , son pouse Gerberge, descendante du roi Lothaire et parente de Hugues, roi d'Italie, femme d'un rare mrite et d'une grande pit, et leurs dix enfants, huit fils et deux filles. Odilon tait le troisime. Il naquit en l'an 962.

Il tait tout enfant quand, la suite d'une maladie qui mit ses jours en danger, il perdit presque compltement l'usage de ses membres. Or, il advint qu'un jour, au cours d'un voyage, faisant halte dans un bourg o se trouvait une glise consacre la Trs Sainte Vierge, les serviteurs chargs du petit infirme le dposrent sur sa Litire, prs du portail de cette glise et le laissrent seul quelques instants, afin d'aller aux provisions. Pouss par une inspiration divine, l'enfant se tourne vers le sanctuaire et se dmne si bien qu'il parvient en franchir le seuil ; puis, se tranant sur les dalles, il arrive prs de l'autel ; il en saisit la nappe, et tout coup, comme autrefois de la robe du Sauveur, une vertu miraculeuse s'coule en lui. Il se redresse ; il est guri. On le retrouva bondissant de joie autour de l'image de Marie qui semblait lui sourire, et la remerciant d'un cur dbordant de reconnaissance et d'amour.

Quelques annes plus tard, il vint en plerinage dans cette mme glise, ou peut-tre Notre-Dame du Puy, et, se passant une corde au cou, il se donna la Trs Sainte Vierge en toute proprit, en faisant cette dvote prire:

0 trs bnigne Vierge et Mre de notre Sauveur, de ce jour et tout jamais, prenez-moi votre service ; vous, trs misricordieuse Mdiatrice, de me secourir dans mes ncessits.

Aprs Dieu, je vous mets au-dessus de tout dans mon cur, et, de mon plein gr, je me voue tre votre serviteur et esclave pour toujours.

Aussi la dvotion Marie est-elle un des traits caractristiques de la vie d'Odilon. Chaque fois qu'on prononait ce nom bni, il faisait une profonde inclination et lorsqu'il chantait au choeur le verset ; Tu ad liberandum, qui dit Dieu ; Prenant la nature de l'homme pour le dlivrer, vous n'avez pas craint de descendre dans le sein de la Vierge , il se prosternait jusqu' terre.

Ainsi protge de Dieu, l'enfance d'Odilon s'coula dans le milieu familial et y reut une ducation profondment chrtienne, gnreuse et virile. Puis ses parents le confirent aux chanoines de la coll- giale Saint-Julien Brioude, qui dirigeaient une cole clbre alors dans toute la France. On n'y admettait que les nobles ; les chanoines avaient eux-mmes le titre de comtes de Brioude. Odilon en fut un des plus brillants lves et s'acquit une telle rputation de savoir et de saintet qu'il vit bientt venir lui les distinctions et les honneurs. A vingt-six ans, aprs avoir reu la tonsure, il tait promu chanoine de Saint-Julien de Brioude, dignitaire de la cathdrale du Puy et, un peu plus tard, abb sculier de Saint-Evode.

Saint Odilon, abb de Cluny.

Cependant son me avide de perfection aspirait une vie plus austre. La rencontre de saint Mayeul, abb de Cluny, de passage Brioude, dcida de sa vocation. Aprs avoir renonc toutes ses dignits, il entra en 991, comme novice, dans le grand Ordre bndictin de Cluny, auquel il donnait tous ses biens. A cette poque, l'abbaye bourguignonne, qui n'avait gure que quatre-vingts ans d'existence, construite en planches et en briques, tait encore trs pauvre.

Odilon se montra fidle aux moindres prescriptions de la rgle de saint Benot, que l'on suivait l dans toute sa rigueur ; il accomplit avec une profonde humilit les obscurs travaux domestiques et devint un modle de toutes les vertus. Aussi, avant mme que son anne de noviciat ft termine il tait admis faire profession. Moins d'un an aprs, saint Mayeul le choisissait, malgr ses rsistances comme coadjuteur et, quelques semaines avant de mourir, il le dsignait comme son successeur.

Mais ds que l'abb de Cluny fut descendu dans la tombe (994 ), Odilon donna sa dmission. Il fallut l'intervention du roi Hugues Capet, qui assistait aux funrailles de Mayeul, son ami, et l'unanime suffrage des moines pour le contraindre accepter la charge abbatiale. Il fut aussitt ordonn prtre et il reut la bndiction le 20 mai 994, dimanche de la Pentecte.

C'est vers cette poque que son pre mourut et que sa mre se retira au monastre de Saint-Jean, Autun, on elle finit pieusement ses jours dans la vie religieuse.

Le nouvel abb contribua considrablement augmenter la rputation de saintet que possdait Cluny ; il en fut, par sa charit, par sa puret de vie et par ses oeuvres merveilleuses, une des gloires les plus clatantes.

La plupart des monastres faisaient alors profession de suivre la rgle de saint Benot ; cependant beaucoup de diversits et de changements s'taient introduits en plusieurs pratiques. Aussi, pour y remdier, un long travail d'unification tait-il l'tude.

C'est sous le gouvernement d'Odilon qu'il reut sa forme dfinitive et que parut le premier exemplaire de ce code parfait de la vie monastique qu'on appelle les Coutumes de Cluny.

Odilon s'employa avec une activit extraordinaire introduire ce coutumier dans tous les monastres de sa juridiction.

Bientt, sollicit de toutes parts, il entreprit de longs et frquents voyages, non seulement en France, mais aussi en Alsace, en Suisse, en Allemagne et surtout en Italie, et il envoya en diverses provinces de France, et jusqu'en Espagne, plusieurs de ses moines, afin de restaurer et de faire revivre dans sa perfection la rgle de saint Benot. Il ne se borna pas visiter les monastres existants, il en cra un grand nombre de nouveaux, tendant presque partout la discipline clunisienne et faisant de Cluny la grande mtropole du monde monastique.

Ses vertus. - Sa charit,La charit tait la vertu qu'il pratiquait le plus ardemment sous toutes les formes. Il distribuait ses aumnes avec tant de profusion et de bont que ceux qui l'entouraient allaient jusqu' lui reprocher ce qu'ils appelaient sa, prodigalit. Comme il ne doutait jamais de la puissance divine, il ne craignait pas d'en tre abandonn.

Un jour qu'il visitait un de ses monastres o s'taient runis de nombreux religieux pour assister ses entretiens, la nourriture manqua, et les serviteurs n'avaient plus qu'un seul poisson pour tant de monde. Odilon ordonna de servir ce qui restait et il se trouva que, non seulement tous les religieux, mais encore tous les serviteurs furent pleinement rassasis ; mme les pauvres eurent aussi leur part.

En traversant, une haute montagne, le Saint rencontra de pauvres gens extnus de fatigue et de soif ; comme l'eau manquait, il ordonna ceux qui l'accompagnaient de leur distribuer toute la provision de vin emporte pour le voyage. Peu aprs, on s'arrta pour la rfection, et les serviteurs trouvrent les flacons aussi pleins qu'auparavant.

La bont d'Odilon se retrouve encore dans la manire dont il agissait vis--vis de ses infrieurs, envers lesquels il ne prenait jamais un ton impratif et svre ; il les priait, mais; ne commandait pas.

Sa charit envers le prochain clata merveilleusement dans une grande famine qui dsola et dpeupla la France en 1016. Odilon, aprs avoir fait distribuer aux indigents toutes les provisions de son monastre, ordonna de vendre les ornements et les vases sacrs de son glise pour subvenir tant de misre. Ces aumnes ne pouvant suffire, il se rendit dans les villes et les chteaux, afin d'exciter les princes et les riches donner gnreusement. C'est ainsi que plusieurs milliers de personnes lui durent la vie. Nouveau Tobie, il ensevelissait pieusement les morts, que la misre et le froid avaient fait prir sur les grandes routes. Bon nombre de malades recouvrrent par son intercession et ses prires, les uns la vue, d'autres la raison, les autres l'usage de leurs membres.

Malgr tant de compassion pour le prochain, le Saint ne manquait pas de traiter son propre corps avec une svrit extrme. Ses jenes taient austres et continuels ; il dormait fort peu, se couvrait de rudes cilices et serrait ses membres avec des chanes de fer. Cependant, s'il recherchait une si grande mortification, il ne le fit jamais avec ostentation, mais dans une grande simplicit.Saint Odilon et les mes du Purgatoire.

On retrouve des preuves clatantes de la charit d'Odilon dans ses efforts pour le soulagement et la dlivrance des mes du Purgatoire. C'est lui quon doit la premire institution de la fte de la Commmoration des fidles trpasss, au lendemain de la fte de tous les Saints. La pieuse coutume de prier pour les morts remonte aux Aptres eux-mmes. Mais il n'y avait point de jour dans le cours de l'anne o l'on prit spcialement leur intention.

Voici le fait qui dtermina Odilon fixer le premier un jour de prires pour les morts:

Un religieux franais, revenant du plerinage de Terre Sainte, fut assailli prs de la Sicile par une tempte effroyable et oblig de s'arrter dans une le dserte. Au milieu des rochers affreux et nus qui la couvraient, il eut la joie de rencontrer un ermite, qui passait ses jours dans une austre pnitence, retir dans une caverne. Le saint homme eut plusieurs entretiens spirituels avec le religieux ; quand il apprit que celui-ci tait Franais, il lui demanda s'il connaissait le clbre monastre de Cluny et sil avait entendu parler du vnrable abb Odilon. Sur sa rponse affirmative, l'ermite lui dit:

- Il y a prs d'ici un lieu o J'ai vu souvent de grandes flammes capables de dvorer tout ce pays : au milieu de ces abmes, j'apercevais des millions

Saint Odilon enterre les morts qu'il trouve sur son cheminpendant la famine de 1016.

d'mes qui endurent des tourments insupportables, proportionns la diversit et la quantit de fautes qu'elles ont expier Ces mes poussent des cris lamentables, au milieu desquels j'ai distingu des hurlements terribles de diables, et je les ai vus, sous des figures affreuses, se plaindre avec rage de ce que plusieurs de ces mes leur sont ravies et sont conduites au ciel en triomphe par les prires et les aumnes des fidles, surtout par les oraisons et les pnitences d'Odilon, abb de Cluny, et de ses religieux.

C'est pourquoi, ajouta l'ermite, je vous conjure, au nom de Dieu, de raconter fidlement tout ce que je viens de vous dire ces pieux et saints religieux, et au vnrable Odilon, afin qu'ils continuent, avec plus d'ardeur, leurs prires et leurs aumnes, pour accrotre de plus en plus la joie des bienheureux au ciel et la tristesse des dmons en enfer.

Le religieux, de retour en France, raconta fidlement Odilon, en prsence d'un grand nombre de religieux, ce qu'il avait appris du pieux ermite. L'abb rendit alors, vers 998, un dcret gnral pour tous les monastres de l'Ordre de Cluny, o il ordonnait que, tous les ans, aprs avoir clbr, selon la rgle de l'Eglise, le 1er novembre, la solennit de la Toussaint, le jour suivant ft consacr la Commmoraison de tous les fidles dfunts.

Les religieux devaient prier, offrir le saint sacrifice de la messe et faire des aumnes pour ces mes malheureuses. Bientt, de Cluny cette sainte pratique se rpandit au dehors ; les Papes l'ont tendue toute 1Eglise, et de grands miracles ont marqu l'importance de la prire pour les morts.

Grandeur de saint Odilon. - Ses miracles.

Odilon tait admirable dans ses vertus, et ses miracles faisaient glorifier son nom au loin. Il fut particulirement cher aux Papes, aux empereurs et aux rois, pour lesquels il tait un oracle et le meilleur des conseillers. Il fut ml tous les grands vnements de son poque, et son intervention auprs des princes fut toujours couronne de succs.

Une premire fois, en 1004, il invoqua la clmence de son saint ami, l'empereur Henri lI, et vita aux habitants de Pavie le chtiment de leur rvolte. En 1024, la mort de saint Henri, l'influence d'Odilon assura l'lection du nouvel empereur Conrad 1er, auprs de qui il fut encore une fois mdiateur heureux lors d'une nouvelle meute de Pavie. Vers la fin de sa vie, il fut le ngociateur de la paix entre Garcia IV, roi de Navarre, et son frre Ferdinand 1er, roi de Castille.

Enfin, il prit une grande part l'institution de la Trve de Dieu, dont il fut l'infatigable promoteur.

Au milieu de tant de tmoignages d'estime, ce qu'on remarquait le plus, c'tait son humilit et sa modestie. Il fuyait les honneurs que lui rendaient les religieux des abbayes qu'il visitait.

Le clerg et le peuple de Lyon le demandrent avec instance pour archevque. Le Pape Benot IX le dsigna pour cette dignit et lui envoya mme le pallium et l'anneau, comme gages de son affection mais Odilon prfra le clotre aux dignits.

Dans une autre occasion, il visitait le Mont-Cassin, et l'abb Thibault l'invita chanter la messe conventuelle la fte de saint Benot. Non seulement il ne se jugea pas digne de cet honneur, mais toute la faveur qu'il demanda et qu'il obtint, aprs bien des instances, fut qu'on lui permt de baiser humblement les pieds de tous les religieux de la communaut. Il tait reu partout avec une trs grande joie, et les religieux accouraient si nombreux vers lui, que le vnrable Fulbert, vque de Chartres, l'appelait l'archange des religieux.

La vie de ce bienheureux abb tait comme une table d'or, sur laquelle les miracles formaient une garniture de diamants , dit saint Pierre Damien dans sa biographie de saint Odilon. Saint Henri, de retour d'Italie, s'arrta avec toute sa cour au monastre de Cluny, et il y fut tmoin d'un miracle qui le frappa vivement.

Un jour, comme l'empereur tait table, dans une salle du monastre, on servit une coupe de cristal dlicieusement cisele et remplie d'aromates. C'tait un chef-d'oeuvre de l'art alexandrin qu'un prince d'Orient envoyait saint Henri. Celui-ci fit appeler deux de ses chapelains, leur remit cette coupe et les chargea de l'offrir de sa part Odilon.

La merveilleuse coupe faisait l'admiration des moines et excitait leur curiosit. Chacun voulut la tenir la main, mais l'un d'eux laissa tomber le vase prcieux qui se brisa. L'accident avait eu lieu en l'absence d'Odilon ; les moines l'informrent aussitt de cette msaventure. L'homme de Dieu leur fit comprendre la porte que leur faute pouvait avoir.

L'auguste empereur, dit-il, pourrait en rendre responsables les deux clercs de son palais, lesquels y sont compltement trangers. Il pria le Seigneur de ne point faire retomber sur des innocents un accident qui n'tait pas leur fait. Puis il commanda qu'on lui apportt les morceaux du vase, mais cet objet fut retrouv intact.

D'autres merveilles montrrent encore la saintet d'Odilon. Deux fois, des voleurs furent contraints de rendre ce qu'ils avaient drob, parce qu'ils furent frapps par la vengeance divine et ne purent se dfaire du produit de leur vol. A deux reprises aussi, l'abb de Cluny traversa en toute scurit, avec ses compagnons, des rivires dbordes et, la seconde fois, ses chaussures ne furent mme pas mouilles.

Sa mort admirable.

Durant les cinq dernires annes de sa vie, Odilon, devenu octognaire, fut prouv par la souffrance. Se croyant sur le point de mourir, il voulut se rendre Rome dans l'espoir d'expirer sur le tombeau des saints Aptres. Il partit au printemps de l'anne 1047 ; arriv Rome il demeura quatre mois malade. Le Pape Clment qui l'aimait comme son frre, venait chaque jour s'entretenir avec lui et le consoler par la bndiction apostolique. Contre toute esprance, Odilon recouvra la sant ; il revint donc Cluny, fortifi par les suffrages des saints Aptres.

L'anne suivante, il continua ses jenes, ses oraisons, ses veilles accoutumes, ne cessant d'adresser aux religieux et aux nombreux visiteurs les plus touchantes exhortations. Il prdit alors sa mort prochaine et dclara son intention d'aller visiter ses monastres, afin de consoler tous les religieux et de les inciter suivre la trace des Saints. Pendant qu'il accomplissait ainsi le devoir de sa charge, il arriva Souvigny, au diocse de Moulins, o son prdcesseur, saint Mayeul, tait mort, et o il sentit que la fin de son plerinage tait arrive.

Quelques jours avant la fte de Nol de l'anne 1048, Odilon voulut, par une prdication quotidienne, prparer le peuple aux joies spirituelles de la Nativit ; mais, durant un de ses discours, il fut saisi soudain d'une violente douleur ; on le rapporta dans sa cellule et, bientt, il n'y eut plus d'espoir de le sauver. Tous les religieux vinrent prier prs de sa couche et il les embrassa avec affection, aprs avoir reu les sacrements de l'Eglise. La puret admirable de sa vie, jointe ses grandes pnitences, n'empcha pas le dmon de se prsenter lui pendant ses souffrances pour lui livrer un dernier assaut. Mais le Saint, la croix la main, retrouva la paix aprs cette prire:La croix est mon refuge, je la bnis, je l'adore; c'est entre les mains de mon Dieu crucifi que je veux remettre mon me.

Cependant, le saint abb revint de cette crise terrible et il prdit qu'il mourrait le jour de la Circoncision. Pendant les ftes de Nol, sa seule nourriture tait le corps et le sang de Notre-Seigneur ; il attendait la mort avec joie, exhortait et bnissait tous , les moines, et il se faisait porter au choeur pour assister aux offices et aux messes tous les jours, malgr son agonie qui continuait. Enfin, la fte de la Circoncision arriva, ses douleurs augmentrent et il bnit une dernire fois les religieux. A l'heure des Vpres, il se fit porter sur son lit l'glise, et il entonna lui-mme les psaumes et les suivit de sa voix mourante. Aprs l'office, on le reporta dans sa cellule ; il se fit tendre sur un cilice recouvert de cendres, jeta un dernier regard sur la croix, pronona quelques mots d'une prire qui expira sur ses lvres ; sans secousse, sans agonie, ses yeux se fermrent doucement et il reposa ainsi dans la paix, le 1er janvier 1049.

Il tait g de quatre-vingt-sept ans ; il avait gouvern pendant cinquante-cinq ans l'abbaye de Cluny.

La liste des crits de saint Odilon comprend une Vie de sainte Adlade, femme de l'empereur Othon 1er ; une Vie de saint Mayeul; seize sermons ; de nombreuses lettres, dont quatre seulement nous sont parvenues ; enfin des hymnes, des prires et le dcret pour la Commmoration des trpasss.

Les obsques du saint abb taient peine termines que Dieu glorifiait son serviteur par de nouveaux miracles et l'on vit bientt accourir son tombeau des foules considrables. En 1063, saint Pierre Damien; cardinal et lgat du Pape en France, se rendit Souvigny, fit ouvrir le tombeau

dOdilon et retrouva le corps intact. II le fit lever sur l'autel - c'tait alors le rite quivalent de la canonisation - et ds lors, le culte de saint Odilon se dveloppa rapidement.

A.E.

Sources consultes. - Abb P. Jardel, Saint Odilon, abb de Cluny, sa vie, son temps, ses oeuvres (Lyon, 1898). - (V. S. B. P., n 30.)

SAINT MACAIRE D'ALEXANDRIE

Anachorte et abb ( 395).

Fte le 2 Janvier.

Saint Macaire d'Alexandrie est appel le Jeune, pour le distinguer de saint Macaire d'Egypte, surnomm indiffremment le Grand ou l'Ancien, dont la fte est le 15 janvier. Son ami Pallade, qui fut son disiple et devint son biographe, ne nous a rien transmis de plus sur les quarante premires annes de sa vie; poque o le futur anachorte reut le baptme, sinon que sa profession tait de vendre des drages et des fruits aux bourgeois d'Alexandrie, d'o son surnom d'urbanus (citadin).

L'influence de saint Antoine.

Le grand amour de Macaire pour la solitude le porta se rendre prs de saint Antoine, en Thbade, c'est--dire dans la partie de l'Egypte situe au-dessous de Memphis. Arriv l'ermitage du clbre solitaire, le visiteur vit terre un amas de feuilles de palmier l runies pour tre transformes en nattes.

-Pre, lui dit-il, cdez-moi quelques-unes de ces palmes.

- Mon fils, rpondit le Saint, il est crit ; Vous ne dsirerez point le bien de votre prochain...

Il avait peine achev que les rameaux devinrent aussi secs que si le feu les et grills. A la vue du prodige, Antoine tendit les mains sur l'inconnu et lui dit:

- Je comprends que le Saint-Esprit repose sur vous. Je vous considrerai dsormais comme l'hritier des grces dont Dieu a daign me favoriser.

Profondment difi du genre de vie de saint Antoine, Macaire conut le projet de l'embrasser. Il s'en fut au dsert voisin d'Alexandrie, Cellia. C'tait une solitude affreuse, sans chemin, ni trace quelconque d'tres vivants ; on n'y trouvait pas d'eau, et si quelque dpression du sol en retenait tant soit peu, elle tait saumtre et nausabonde. Ce lieu dshrit s'tendait entre Nitrie et Scth, il fallait un jour et une nuit pour accder cette colline qui, la fin du IVe sicle, portait elle seule cinquante monastres avec plus de cinq mille ermites. Cellia devait son nom la multitude d'ermitages qui, trop presss dans les grottes et sur les pentes de Nitrie, avaient peu peu migr dans la valle voisine.

Macaire, extrmement affaibli, se rendait cette solitude, lorsque le dmon lui apparut et lui dit:

Puisque tu as reu la grce d'Antoine, que n'en uses-tu pour obtenir de Dieu de la nourriture et des forces, afin que tu puisses poursuivre le chemin que tu as parcourir?

- Le Seigneur est ma force et ma gloire, rpondit Macaire, et quant toi, n'entreprends pas de tenter son serviteur.

Le dmon revint la charge sous la figure d'un chameau tout couvert de provisions de bouche et qui, aprs avoir fait mine d'errer l'aventure, s'en fut s'accroupir devant le voyageur, comme pour tre allg de son fardeau. Celui-ci, mis en dfiance, eut recours la prire et aussitt la terre s'ouvrit et engloutit l'animal fantastique.

Saint Macaire au dsert.Macaire fut le premier qui btit un monastre au dsert de Scth, o il tait venu, aprs avoir reu la prtrise, visiter son clbre homonyme saint Macaire le Grand. Outre sa cellule de Scth, il en eut une autre Nitrie ; mais son principal sjour fut Cellia.

Ces diffrentes cellules taient bien propres satisfaire l'amour de Macaire pour la pnitence: ou bien, elles taient sans fentres, ou bien leur troitesse ne permettait pas de s'y tendre de tout son long.

Il n'tait point d'austrit si grande que Macaire ne tentt d'imiter, sinon mme de surpasser. Ayant appris qu'un solitaire ne mangeait qu'une livre de pain par jour, il eut la pense, pour, mieux mortifier son apptit, de rompre sa miche en petits morceaux qu'il jeta dans une cruche d'eau l'orifice troit, et de ne manger que ce qu'il en pourrait prendre avec les doigts. Ainsi ft-il pendant trois ans, ne prenant par jour que quatre ou cinq onces qu'il arrosait d'eau saumtre, y joignant comme supplment aux grandes ftes un peu d'huile, dont il consommait chaque anne la valeur d'un demi-litre.

De son ancienne profession Macaire avait-il conserv un got prononc pour les douceurs ? Quoi qu'il en soit, il eut l'envie une fois de manger des raisins. On lui en apporta aussitt une grappe toute frache. Rien en soi ne s'opposait ce qu'il acceptt le fruit.

Nanmoins, son aspect il voulut s'en priver, et joignant la charit la mortification, il offrit la grappe un Frre dont il connaissait le mauvais tat de sant. Celui-ci tmoigna d'abord de la joie du prsent reu, mais, quoiqu'il et bien dsir d'en manger, il en fit le sacrifice Dieu, qui il rendit grces, et le porta un autre qui, galement mortif et charitable, n'y toucha point. La grappe ainsi transmise de main en main ft le tour de toutes les cellules du dsert, qui taient en grand nombre et assez loignes les unes des autres, jusqu' ce que le dernier qui elle fut offerte l'envoyt Macaire, ignorant qu'il l'avait reue avant tous les autres.

L'homme de Dieu n'y toucha pas, et, la nouvelle de ce qui s'tait pass, il remercia le ciel de constater tant de vertu parmi les solitaires.

Macaire, dans son amour de la pnitence, se proposa un jour de combattre le sommeil. Plus tard, il racontait ainsi le fait Pallade, son biographe: Je passai pour cela vingt jours et autant de nuits dcouvert, brl durant le jour par la chleur, et transi par le froid durant la nuit. Mais, au bout de ce temps, je fus oblig de me jeter, promptement dans une cellule, o je m'endormis, sans quoi je serais tomb en dfaillance.

Pour mater sa chair, le solitaire alla s'exposer, dans les marais de Scth, aux morsures de moustiques gros comme des gupes, au point que la peau mme des sangliers n'est pas l'preuve de leurs piqres. II pratiqua cette pnitence pendant six mois, et revint sa cellule, le corps tellement tumfi, qu'on le reconnut seulement au son de sa voix et que plusieurs le crurent atteint de la lpre.

Homme de pnitence, il tait aussi homme d'oraison. Il partageait sa journe en trois parties, dont l'une tait rserve la prire et la contemplation, et il ne faisait pas moins de cent oraisons par jour. Une autre partie de son temps tait consacre au travail des mains, qui consistait surtout confectionner des paniers et des nattes ; la troisime, exercer la charit spirituelle envers ses frres, auxquels il donnait les avis et les instructions dont ceux-ci avaient besoin.

Visite saint Pacme.

Nitrie, Cellia et Scth avaient de dignes mules dans les monastres sortis de terre la voix de saint Pacme et dont le principal tait celui qu'habitait le clbre moine, avec 1400 disciples, Tabennisi, en Thbade, aux confins de la Nubie (aujourd'hui Soudan gyptien). Une rgle sage y temprait les ferveurs indiscrtes, endiguant les pieuses exagrations des uns et prvenant les dcouragements trop faciles des autres. L, on suivait son inspiration personnelle dans la pratique des austrits de la vie rmitique ; ici tout tait prvu, et le brisement de la volont ajoutait bien aux prets du jene, un mrite qui compensait les rigueurs inoues chres aux anachortes de la Basse-Egypte.

Le bruit des vertus de Tabennisi parvint jusqu'aux oreilles de Pacme. C'en fut assez pour le dcider s'y rendre, soit pour mieux s'instruire et s'difier, soit pour y vivre confondu parmi tant d'austres religieux, et se drober ainsi la vnration de ses frres.

Le trajet de Cellia Tabennisi tait long. Il fallait traverser, non sans de grandes souffrances, de vastes dserts. Loin de se rebuter, Macaire, pour ne pas tre reconnu, revt un costume d'artisan et, aprs quinze jours d'une marche pnible, arrive destination:

- Mon Pre, dit-il du ton le plus humble, en tombant aux genoux de Pacme, mon Pre, au nom de Dieu, acceptez-moi dans votre monastre.

- C'est impossible, mon ami, rpond l'abb, vous tes trop g pour embrasser la vie religieuse. Comment pourriez-vous en supporter les dures preuves? C'est bon pour ceux qui s'y exercent ds leur jeunesse ; mais, vieux comme vous tes, vous ne russiriez pas, le dcouragement s'emparerait de vous, vous nous quitteriez et nous combleriez de maldictions.

Insensible ce refus, Macaire renouvela ses instances sept jours de suite, pendant lesquels il ne prit aucune nourriture. Enfin, il adressa l'abb une requte suprme:

- Je vous conjure, mon Pre, de me recevoir, et si je ne jene pas et ne fais pas la mme chose que les autres, je consens que vous me renvoyiez.

Pacme se laissa flchir et les portes du monastre s'ouvrirent devant l'tranger.

Ce dialogue d'une semaine avait pris fin quelques jours avant le Carme. Or, Tabennisi laissait ses fils, au cours de la sainte quarantaine, pleine et entire libert de suivre leur attrait spcial dans le choix des mortifications ; la loi ordinaire tait suspendue sur ce point.

Le nouveau venu ne tarda pas remarquer que parmi les religieux les uns ne mangeaient que le soir, d'autres un jour sur deux, quelques-uns mme une seule fois en cinq jours.

Il observa encore que, plusieurs, aprs tre demeurs assis tout le jour leur travail, passaient toute la nuit debout.

Ces exemples de mortification animrent tellement sa ferveur qu'il fit tremper une grande quantit de feuilles de palmier pour en tresser nattes et corbeilles et se retira dans un coin o il se tint debout tout le Carme, sans jamais s'asseoir ni mme s'appuyer, sans prendre un morceau de pain, se contentant le dimanche de quelques feuilles de chou crues, et en si petite quantit, qu'il les mangeait plutt pour viter la tentation de vanit, que pour se nourrir.

Il garda pendant tout ce temps un rigoureux silence, et lorsqu'il tait contraint de sortir, il retournait aussitt son travail, conservant toujours son esprit et son cur levs vers Dieu.

Pacme, absorb par ses fonctions et ses responsabilits multiples, avait perdu de vue Macaire. Mais les autres religieux, commencer par les plus austres, prirent garde au genre de vie du nouveau venu, et ils en conurent un dpit si vif qu'ils allrent se plaindre l'abb d'avoir accueilli un homme vivant comme s'il n'tait qu'un pur esprit et qui semblait n'avoir pris place dans leurs rangs que pour les condamner.

Ils le prirent en consquence de congdier l'intrus, faute de quoi, eux-mmes prendraient la porte.

L'abb promit d'tudier le cas et se retira dans sa cellule suppliant Dieu de lui dvoiler le nom de cet tranger mystrieux ; sa prire fut exauce. Son oraison acheve, Pacme alla droit l'tranger, le prit par la main, le conduisit la chapelle et, l'embrassant:

- Vnrable vieillard, dit-il, je sais qui vous tes! Comment se peut-il? Vous tes Macaire, et vous me l'avez cach. II y a longtemps que j'ai entendu parler de vous et que je dsirais vous voir.

Je vous dois des actions de grces d'avoir humili mes enfants.

Vous leur avez t par votre exemple tout sujet de s'enfler de vanit et d'avoir des sentiments trop avantageux d'eux-mmes cause de leurs austrits. Maintenant, prenez en piti leur faiblesse que votre perfection dcourage, quittez ce monastre qui restera tout jamais imprgn de votre souvenir, et gardez-nous toujours une place dans vos prires.

Il met ses disciples en garde contre les illusions du dmon.

Dans ses oraisons, Macaire puisait des lumires extraordinaires, soit pour distinguer les vritables rvlations des illusions du dmon, soit pour pntrer dans les secrets des consciences. Rufin, qui vcut au IVe sicle, nous en rapporte un trait dans sa Vie des Pres du dsert.

La nuit, on frappe la cellule de l'ermite:

- Vite, Macaire, viens la chapelle o les Frres clbrent l'office.

Mais l'abb, qui flaire une ruse du dmon, de rpondre:

- Esprit de mensonge et ennemi de toute vrit, qu'y a-t-il de commun entre toi et l'assemble des Saints?

_ Tu ignores donc, Macaire, que jamais les solitaires ne s'assemblent pour la prire sans que nous nous y trouvions? Viens-y seulement et tu verras notre oeuvre.

Macaire se mit en oraison pour demander Dieu de lui rvler si ce dont se vantait le dmon tait vritable. Puis il s'en fut la chapelle, o les Frres rcitaient l'office, et renouvela sa prire. Alors il vit comme de petits enfants thiopiens extrmement laids, rpandus dans toute l'glise, qui couraient de tous cts et si rapidement qu'on les et crus pourvus d'ailes. Ils fermaient les paupires certains religieux, qui s'endormaient aussitt ; d'autres ils mettaient le doigt dans la bouche pour provoquer leurs billements. Lorsque les Frres se prosternaient terre, la fin de chaque psaume, pour entrer en oraison, les enfants redoublaient d'importunit, apparaissant leurs victimes tantt sous la figure d'une femme, tantt sous celle d'un maon, ou encore d'un portefaix, captivant enfin leur attention de mille manires ; si bien que les solitaires roulaient dans leur esprit tout ce qui leur tait reprsent.

Quelques-uns cependant rsistaient l'obsession, et quand les dmons voulaient les aborder, ceux- ci les repoussaient si rudement que les noirs assaillants tombaient par terre et ne pouvaient plus ni demeurer debout ni renouveler leur tentative. Au contraire, ils marchaient sur la tte et sur le dos des Frres dont la dvotion tait languissante et les raillaient de ce qu'ils n'taient pas attentifs leur oraison.

Macaire, ce spectacle, fondit en larmes, et s'adressant Dieu: Considrez, Seigneur, dit-il, comme le dmon nous tend des piges. Faites-lui entendre votre voix puissante et qu'il prouve les effets de votre colre. Levez-vous, afin que vos ennemis soient dissips, puisque vous voyez comment ils remplissent nos mes d illusions.

Le lendemain, Macaire manda en particulier ceux des religieux qui s'taient montrs sensibles aux sollicitations des enfants noirs, et il leur demanda si pendant l'office, ils n'avaient pas rv btiment, voyages ou autres futilits semblables. Sur leur rponse affirmative, il connut que les vaines penses suggres l'esprit au cours de l'oraison sont, la plupart du temps, autant d'illusions du malin esprit, illusions dont sont prserves les mes attentive ce que rien ne les dtourne de la pense de Dieu.

Le thaumaturge.

La saintet de Macaire et les merveilles qui l'accompagnaient avaient tabli sa rputation bien au del des limites du dsert, de toutes parts on accourait rclamer de lui des lumires pour l'esprit et du soulagement pour les corps.

On lui amne un jour la porte de son ermitage le prtre d'un village, la tte ronge par un cancer ; tout le dessus du crne est excori, les os paraissent nu.

- Je veux voir l'abb Macaire, gmissait le malheureux, lui seul peut me gurir.

- Je ne viendrai, rpond Macaire sans se dranger, que lorsque tu m'auras promis de ne plus clbrer, car tu en es indigne, et ton mal est un trop juste chtiment de Dieu.

Le prtre promit d'obir. Alors l'abb ordonna de l'introduire:

- T'imagines-tu, prtre, fit-il alors, que l'on puisse cacher quelque chose Dieu? Tu n'as donc pu le tromper ; tu n'as pu te soustraire son regard ; il a tout vu de tes fautes. Repens-toi donc sincrement et promets de ne plus retomber.

Puis il imposa les mains au malade, qui s'en retourna chez lui guri d'me et de corps ; toute trace de plaie avait disparu ; la peau et les cheveux avaient repouss comme par enchantement.

Une autre fois, c'est une femme riche et de noble condition, qui se fait porter grand'peine de Thessalonique Cellia, car elle est frappe de paralysie. L'abb l'oint d'huile bnite et la renvoie compltement gurie.

Une pauvre veuve lui amne son fils possd par le dmon. Macaire lui pose la main droite sur la tte et la gauche sur le coeur, puis il entre en oraison. A un moment, le patient s'lve de terre, gonfle comme une outre et enfle clater ; soudain, il jette un grand cri, rend de l'eau par tous les sens et revient sa taille premire ;

l'homme de Dieu le signe avec l'huile bnite, lui interdit la viande et le vin pour quarante jours et le rend guri sa mre.

Cependant, le dmon de la vaine gloire voulant prendre avantage sur Macaire lui suggra de se rendre Rome pour y accomplir des miracles, dans les hpitaux. La grossiret du pige en trahit l'instigateur,

L'abb va remplir sur-le-champ une grande corbeille de sable, en charge ses paules et se met parcourir le dsert. Un ami, Thosbe Cosmtor d'Antioche, le rencontre en cet tat.

- Abb, que portes-tu? Passe-moi ce fardeau et ne te fatigue point de la sorte.

Je fatigue celui qui est venu m'obsder ; n'a-t-il pas os, moi, vieux et dbile, me suggrer l'ide saugrenue de faire des voyages?

puis, l'abb rintgra sa cellule et le dmon fut vaincu cette fois encore.

Mort et culte de saint Macaire.

Aprs avoir pass soixante ans, sinon davantage, au dsert, saint Macaire d'Alexandrie mourut, d'aprs Tillemont, en 394 ou 395. Il ne reste des doutes sur l'anne de sa mort, que plusieurs retardent jusqu'en 405. L'Eglise latine a toujours fix sa fte au 2 janvier ; mais chez les Grecs elle se clbre le 19 du mme mois avec celle de saint Macaire dit l'Egyptien ou l'Ancien, ce qui explique la confusion dont sont l'objet les deux Saints dans les vieux Martyrologes.Ses images.

On reprsente saint Macaire d'Alexandrie de plusieurs faons:

1. Avec le sac ou cabas dont il se servait pour transporter du sable et ainsi mater son corps par la fatigue.

2. Prs de lui une lionne lui apportant son lionceau qui est aveugle. Le Saint lui rend la vue, et, le lendemain, la mre reconnaissante lui apporte une peau de blier que Macaire accepte condition que le fauve ne fera plus de mal dsormais aux pauvres gens de la campagne. Cette peau de blier passa plus tard, dit-on, entre les mains de sainte Mlanie.

3. Entour d'un grand nombre d'autres animaux froces, four exprimer qu'il s'enfona trs avant dans le dsert.

4. Portant une fiole suspendue son cou ; cette fiole contenait l'huile bnite avec laquelle il faisait une onction sur les possds du dmon, pour les dlivrer.

H.L.

Sources consultes. - P. Paul Cheneau, O.F.M., Les Saints d'Egypte (Jrusalem, 1923). - Mgr Paul Gurin, Les Petits bollandistes.

PAROLES DES SAINTS

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Notre vritable affaire.

Nous serons bientt dans l'ternit ; et alors nous verrons combien toutes les affaires de ce monde sont peu de chose et combien il importait peu qu'elles se fissent ou ne se fissent pas. Maintenant nanmoins nous nous empressons comme si c'taient des choses grandes.

Quand nous tions petits enfants, avec quel empressement assemblions-nous des morceaux de tuile, de bois, de la boue, pour faire des maisons et petits btiments!

Et si quelqu'un nous les ruinait, nous tions bien marris, et pleurions ; maintenant nous connaissons bien que cela importait fort peu.

Un jour, nous en serons de mme au ciel, que nous verrons que nos affections au monde n'taient que de vraies enfances.

Soignez fidlement vos affaires ; mais sachez que vous n'avez point de plus digne affaire que celle de votre salut, et l'acheminement du salut de votre me la vraie dvotion.

Saint Franois de Sale.

SAINTE GENEVIVE

Vierge, patronne de Paris (422-512)

Fte le 3 janvier.

Sainte Genevive est la vierge qui Dieu donne pour famille un peuple tout entier. Elle appartient la fois la Gaule romaine, dont elle voit les dernires annes et la Gaule franque, qui commence sous ses yeux. Elle sert de trait d'union entre l'une et l'autre, ayant reu de Dieu la mission de transmettre la nation naissante la foi catholique de la nation qui disparat.

La vierge de Nanterre.

Genevive naquit Nanterre, bourgade situe proximit de Paris, vers l'an 422, sur la fin du rgne de l'empereur Honorius. La future capitale de la France faisait encore partie de l'empire romain, mais cet empire s'croulait sous les coups des barbares.

Son pre, Svre, et sa mre, Grontia, fervents adeptes de la religion chrtienne, une poque o le paganisme infectait encore une grand partie de la Gaule, levrent l'enfant dans les sentiments qui les animaient eux-mmes. Sa marraine habitait Paris et semble avoir possd une assez large aisance. Elle imposa sa filleule le nom de Genovefa (Genevive), o d'aucuns ont cru retrouver la trace des deux mots celtiques signifiant fille du ciel.

Une hrsie orgueilleuse, le plagianisme, svissait alors en Grande-Bretagne. Sur l'ordre du pape saint Clestin 1er et la prire des vques des Gaules, saint Germain, vque d'Auxerre, et saint Loup, vque de Troyes, s'acheminrent, en 429, vers Boulogne pour aller combattre l'erreur au del du dtroit.

Leur barque ayant abord le soir du jour qu'ils avaient quitt Paris auprs du village de Nanterre, ils rsolurent d'y passer la nuit. Comme Germain adressait quelques paroles la population, ses regards se portrent sur une fillette, et, voyant sur son front l'clat de la saintet:

- Quelle est cette enfant? dit-il en s'adressant son auditoire ; quels sont ses parents?

- C'est Genovefa, rpondirent aussitt des voix nombreuses.

Et fendant la foule, Svre et Grontia se prsentrent devant le pontife.

- Bni soit le jour o cette enfant vous ft donne, dit Germain ; sa naissance ft salue par les anges ; le Seigneur la rserve de grandes choses.

Puis s'adressant la jeune enfant:

- Dites-moi, ma fille, n'avez-vous pas la volont de vous consacrer au Seigneur et de devenir son pouse?

- Pre saint, soyez bni, vous qui lisez dans mon cur ; tel est, en effet, mon dsir, et j'ai souvent pri Dieu de l'exaucer.

Ayez confiance, ma fille, demeurez ferme dans votre vocation, le Seigneur vous donnera force et courage.

On chanta None et Vpres l'glise, et pendant tout le temps, Germain tint la main droite tendue sur la tte de Genovefa. Le lendemain, aprs l'office, le prlat appela l'enfant et lui dit:

- Vous souvenez-vous, ma fille, de la promesse que vous m'avez faite?

- Pre saint, rpondit-elle, je l'ai faite Dieu et vous, je ne l'oublierai jamais.

Or, il se trouva terre une monnaie de cuivre qui portait sur l'une de ses faces le signe sacr de la croix. Germain la ramassa et la prsentant l'enfant:

- Suspendez votre cou ce signe sacr, ma fille, dit-il, et gardez-le en mmoire de moi ; qu'il vous tienne lieu de tous les ornements du sicle.

C'est le premier exemple, dans l'histoire, d'une mdaille de dvotion.

Puis, s'tant recommand ses prires, l'vque la bnit et reprit sa route.

Genevive tait occupe chaque jour garder le troupeau de son pre ; elle avait ainsi tout le loisir de penser aux choses du ciel, et son cur tait inond dune grande joie. Le temps que lui laissaient ses occupations, elle allait le passer en compagnie du Dieu qui vit prisonnier dans nos tabernacles.

Un jour de fte, elle pensait se rendre l'glise, mais sa mre le lui dfendit absolument, lui ordonnant de garder la maison. Comme Genevive rappelait la promesse qu'elle avait faite saint Germain, de ne jamais manquer aux offices, Grontia, irrite, lui donna un soufflet ; mais au mme instant elle devint aveugle.

Au bout de vingt et un mois, la mre se ressouvint des tonnantes prdictions de saint Germain. Dans un moment de repentir ml d'une grande confiance, elle appela sa fille:

- Mon enfant, lui dit-elle, hte-toi, je t'en supplie, d'aller puiser de l'eau au puit voisin. Genevive obit et porta l'eau sa mre.

- Et maintenant, dit Grontia, fais le signe de la croix sur cette eau.

L'enfant fit ce qu'on lui demandait. L'aveugle leva les mains au ciel et pria. Puis, trois fois de suite, elle mouilla ses yeux avec l'eau, et elle recouvra la vue. Ds ce moment, toute libert fut laisse Genevive de vaquer comme elle l'entendrait ses exercices de pit.

Sainte Genevive prend le voile des vierges et se fixe Paris.

A l'ge d'environ quatorze ans, Genevive rsolut de prendre le voile des vierges. Elle le reut des mains de l'vque de Paris, puis revint Nanterre, o elle continua d'assister ses parents dans tous leurs besoins. A leur mort, elle dit adieu son village natal pour se fixer Paris, chez sa marraine, bien rsolue de mener dsormais une vie entirement consacre au service de Dieu.

L'orpheline tait peine arrive dans la petite le de la Cit, o tenait alors presque tout Lutce, que Dieu envoya sa servante une paralysie douloureuse.

Elle fut tenue pour morte durant les trois jours que dura la crise. Pendant ce temps, son me contemplait au ciel la joie des bienheureux, et en enfer les tourments des damns.

Jsus-Christ lui apparut aussi attach la croix, lui permit de puiser dans le trsor de ses grces et lui accorda en particulier le discernement des esprits.

La Sainte soupirait aprs l'heureux moment o, dlivre des liens du corps, son me s'envolerait vers Dieu ; si bien qu' regarder le ciel elle ne pouvait s'empcher de pleurer. Impuissante dpouiller son enveloppe mortelle, elle l'opprimait du moins par les veilles, les disciplines, les oraisons et les plerinages.

De quinze cinquante ans, elle ne mangea que le dimanche et le jeudi. Sa nourriture se composait d'un peu de pain d'orge et de fves cuites l'huile parfois depuis deux ou trois semaines.

Aprs cinquante ans, pour obir au dsir de quelques vques, elle ajoute ce menu grossier du poisson et du lait. Cependant, jamais, mme dans ses maladies, elle ne voulut manger de la viande ni boire du vin ou de quelque autre boisson fermente.

Sa dvotion saint Denis - Miracles divers.La vierge parisienne avait une grande dvotion pour l'illustre aptre de Paris, saint Denis ; elle allait souvent en plerinage au petit bourg de Cattuliacus (Catheuil), sur le bord de la Seine, o se trouvait son tombeau, et elle voulut y faire btir une glise.

Les prtres auxquels elle s'adressa lui reprsentrent l'impossibilit d'une telle entreprise, faute de chaux. Genevive ne se rebuta pas, elle persvra dans la prire et presque aussitt des porchers dcouvrirent deux fours chaux, non loin de l'endroit o s'lve maintenant la magnifique basilique de Saint-Denis.

Une fois, le vin manqua aux ouvriers ; Genevive s'tant mise en prire, Jsus-Christ renouvela en sa faveur le miracle de Cana ; elle changea l'eau en vin, et le tonneau qui le contenait fut suffisant pour toute la dure du travail.

Ce fut dans l'glise au saint martyr qu'elle dlivra douze possds.

Les prires de la Sainte taient un supplice pour les dmons, aussi s'efforaient-ils de la tourmenter de toutes les manires, elles et ses compagnes, ces vierges et ces veuves dont l'vque de Paris l'avait nomme suprieure.

Un matin que la pieuse cohorte se rendait au tombeau de saint Denis pour y rciter Matines, une pluie torrentielle teignit le flambeau qui clairait le cortge. Mais Genevive prit le cierge et peine l'eut-elle touch qu'il se ralluma de lui-mme. Elle le porta ainsi jusqu' la basilique ; sa flamme dfia toutes les fureurs de l'ouragan. Ce cierge fut gard comme une prcieuse relique et servit rendre la sant aux infirmes. Genevive passait des journes et des semaines entires dans une troite solitude, pour s'y livrer uniquement l'oraison et la pnitence.

Depuis la fte des Rois jusqu'au Jeudi-Saint, elle demeurait enferme dans sa chambre, s'adonnant toutes sortes d'austrits, sans nul autre entretien que celui de Jsus-Christ et des esprits bienheureux.

Dieu lui accordait alors de nouvelles lumires et de nouvelles grces pour elle-mme et pour les autres. On lui apporta un jour un enfant mort la suite d'une chute dans un puits, o il tait rest plong trois heures.

Elle enveloppa le cadavre dans sa robe, se mit en prires auprs de lui, et l'enfant revint la vie. Une autre fois, une femme, ayant eu la curiosit de regarder par une fente ce que Genevive faisait dans sa chambre, fut frappe de ccit. La Sainte prit piti de la malheureuse, et lui ouvrit les yeux par la vertu du signe de la croix.

Elle possdait prs de Meaux des terres qui provenaient peut-tre de l'hritage de sa marraine. Elle avait coutume de s'y rendre l'poque de la moisson. Un jour qu'un orage menaait de dtruire la rcolte, Genevive se retira sous la tente qu'on lui avait dresse, se prosterna terre et, selon son habitude, se mit prier avec beaucoup de larmes.

A la stupfaction des spectateurs, la pluie se dversa sur les champs voisins, mais pargna sa rcolte et ses moissonneurs. A Meaux, une jeune fille, nomme Cline, la pria de l'agrer au nombre de ses compagnes et, sous sa direction, devint une Sainte. Pareille chose advint une autre jeune fille de la mme rgion, sainte Aude.

Sa dvotion saint Martin la conduisit Tours. En cours de route elle sema de nombreux miracles, rendit la vue aux aveugles, la sant aux infirmes et dlivra les possds.

Telle tait sa rputation de saintet que saint Simon, stylite d'Asie, voyant des marchands de Paris au pied de sa co1onne, les pria de saluer la vierge Genevive de sa part et de le recommander ses prires.

Le dmon, furieux du bien qu'elle accomplissait, cherchait tous les moyens de lui nuire. A son instigation, des personnes, plus remplies d'orgueil que de jugement, se mirent rpter qui voulait l'entendre que Genevive n'tait qu'une hypocrite, et que, sous des dehors austres, elle cachait les crimes les plus affreux. Ces bruits, colports avec tout l'artifice de l'esprit malin, trouvrent de nombreux chos; les gens de bien finirent par avoir lhumble religieuse en mauvaise estime.

Tel tait ltat des esprits, lorsque saint Germain, appel de nouveau en Grande-Bretagne en 447, repassa par la cit des Parisiens.

Quand il demanda ce qutait devenue la jeune bergre de Nanterre, le peuple lui rpondit par des insinuations perfides.

Sans se laisser mouvoir, le pontife alla droit la demeure de la vierge et, aprs lavoir salue avec dfrence, il dit ceux qui lentouraient:

- Voyez cette humble cellule, son sol est dtremp par les larmes dune vierge chre Dieu, et qui sera un jour linstrument de votre salut tous.

Sainte Genevive sauve deux fois la ville de Paris.

Attila, surnomm le flau de Dieu, aprs avoir conquis la moiti de l'Europe, franchit le Rhin, la tte d'une arme formidable de six ou sept cent mille barbares. L'Occident crut que le monde touchait sa fin. Le torrent dvastateur ne laissait rien debout sur son passage ; les campagnes taient ravages, les villes pilles et brles, les glises renverses, le clerg et le peuple massacrs.

La terreur fut son comble dans la ville, quand se propagea le bruit de la destruction de Reims. Les plus riches bourgeois se htaient d'entasser sur des charrettes ce qu'ils avaient de plus prcieux, tous voulaient s'enfuir et aller chercher un refuge dans d'autres villes. Mais sainte Genevive, anime de l'esprit de Dieu, s'effora de les rassurer et de les retenir:

- Si vous voulez faire pnitence de vos pchs et apaiser la justice du ciel, leur disait-elle, vous serez plus en sret ici que dans les villes o vous voulez courir. Les ennemis ne viendront mme pas vous assiger.

Quelques personnes, persuades par ses discours, commencrent se runir elle, afin de passer les jours et les nuits en prire au baptistre de l'glise Saint-Jean-le-Rond. Mais la plupart la traitrent de sorcire par ses rveries stupides, elle empchait, disait-on, ses concitoyens de sauver leur vie, et allait tout livrer aux barbares et la ruine. La populace parlait dj de la massacrer, quand survint fort opportunment Sedulius, l'archidiacre de saint Germain d'Auxerre, porteur du pain bnit que le pontife, avant d'expirer le 31 juillet 448 Ravenne, l'avait charg de remettre Genevive, en gage de bndiction. Au nom de saint Germain, l'archidiacre apaisa le peuple ; celle qu'on traitait de vierge folle fut acclame, et les Parisiens restrent dans leur ville.

Bientt ils apprirent qu'Attila, d'abord tenu en respect sous les murs d'Orlans, grce l'nergie de l'vque saint Agnan, avait t contraint la retraite, puis svrement battu dans les champs Catalauniques, quatre kilomtres de Troyes, sous l'action concerte des Francs de Mrove, des Wisigoths de Thodoric et des Burgondes, runis en une seule arme que commandait le gnral romain Atius (451).

Paris n'avait mme pas vu l'ennemi ; mais sans Genevive, qui sait si cette ville, dserte, ruine et peut-tre abandonne pour toujours, ne serait pas aujourd'hui une le marcageuse, au lieu d'tre une des plus belles capitales de l'univers?

Entre 486 et 496, Clovis, devenu matre de Soissons par sa victoire sur le gnral romain Syagrius, investit Paris, qui, rest nominalement fidle l'autorit impriale, refusait de reconnatre la souverainet du roi franc. La famine ne tarda pas svir parmi les assigs. A leur sollicitation, Genevive quipa onze bateaux, et, se dirigeant vers la Champagne, recueillit de ville en ville du bl quelle payait par des miracles.

Au dpart, deux dmons, qui infestaient un point de la rivire et y coulaient beaucoup de bateaux, voulurent faire chavirer ceux de Genevive. Mais ce fut en vain, et la Sainte leur commanda, au nom de Dieu, de quitter ce lieu pour jamais.

Revenue Paris, elle se mit cuire elle-mme le pain et le distribuer aux pauvres. Dieu, touch de tant de charit, le multiplia plusieurs fois entre ses mains.

Le baptme de Clovis Reims, le 25 dcembre 496, ouvrit sans coup frir au royal converti les portes de Paris. L'vnement comblait les voeux et les prires de Genevive.

Son crdit auprs des rois francs - Sa mort.Les rois francs, Mrove et Childric, tout paens qu'ils taient, ne pouvaient s'empcher d'admirer les vertus de la Sainte. Ils l'appelaient une demi-desse et ne lui refusaient jamais rien. Un jour que Genevive tait sortie de Paris, Childric, craignant qu'elle ne vnt lui demander la grce de plusieurs prisonniers, fit fermer les portes de la ville. Mais elles s'ouvrirent d'elles-mmes quand la Sainte, avertie par Dieu, s'y prsenta. Elle vint se jeter aux pieds du monarque et obtint la vie sauve pour ses protgs.

Clovis eut encore plus d'affection et de vnration pour elle. A sa requte, il dlivrait les prisonniers, faisait des largesses aux pauvres et btissait de magnifiques glises. Il lui donna, sur le chemin de Paris Reims, les villas de Crugny et de La Fre, afin de lui faciliter ses visites saint Remi.

Sainte Clotilde, la noble pouse de Clovis, regardait comme un grand bonheur de recevoir les visites de Genevive. En de longs entretiens, les deux Saintes se plaisaient deviser familirement sur les moyens de plaire Dieu et d'assurer leur salut ternel.

Ainsi, cette humble bergre, par sa saintet, a contribu d'une manire trs efficace la fondation de la France chrtienne, et a mrit d'tre, dans la suite des sicles, une de ses protectrices.

Sainte Genevive avait quatre-vingt-neuf ans et touchait au dclin de sa glorieuse vie. Sa mission tait d'ailleurs remplie. Le royaume chrtien existait maintenant tel qu'elle l'avait entrevu dans ses visions. Le 3 janvier 512, cinq semaines peine aprs la mort de Clovis, elle rendit son me Dieu. Son corps fut inhum dans l'glise Saint-Pierre et Saint-Paul, que Clovis avait btie sur son conseil et qui, ds lors, porta le nom de sainte Genevive. Cette glise, dtruite en 1807, tait droite de Saint-Etienne-du-Mont, sur l'emplacement de la rue Clovis. Elle avait toujours t desservie par des Chanoines rguliers de Saint-Augustin, appels Gnovfains, du nom de leur sainte Patronne.

Patronne de Paris et de la France.

Le tombeau de la Sainte devint clbre par une multitude de miracles. L'huile de la lampe qui brlait devant ses reliques gurissait de nombreux malades. Lors d'une crue de la Seine, les maisons de la Cit furent inondes jusqu'au premier tage, le flot envahit la chambre o la Sainte tait morte, mais le lit sur lequel elle avait rendu le dernier soupir ne fut pas mme mouill; les eaux l'entourrent comme un mur sans le toucher. On construisit en ce lieu une glise; appele Sainte-Genevive-la-Petite.Lorsque des flaux menaaient Paris ou la monarchie franaise, toute la capitale allait implorer sa cleste patronne ; les reliques de la Sainte taient portes en grande pompe dans une procession solennelle, prpare par une neuvaine, et laquelle prenaient part le clerg, la cour, les autorits et le peuple.

En 1130, sous le rgne de Louis VI, une pidmie terrible, appele le mal des ardents, dsolait Paris. On recourut la vierge de Nanterre pour apaiser la justice divine. Au moment de la procession, quand les reliques de la Sainte entrrent dans l'glise Notre-Dame, encombre de mourants, cent de ces malheureux furent soudainement guris et le flau s'arrta. La reconnaissance populaire donna ds- lors l'glise de Sainte-Genevive-la-Petite le nom nouveau de Sainte-Genevive-des-Ardents.

L'ancienne glise Sainte-Genevive, situe sur la colline et gardienne des reliques de la Sainte depuis leur translation du 28 octobre 1242, menaait ruine au XVIIIe sicle. Louis XV en fit construire une nouvelle prs de l'ancienne ; mais survint la Rvolution, qui changea l'glise de la Patronne de Paris en panthon, destin aux grands hommes que l'on sait. La chsse de la Sainte, transfre le 14 aot 1792 Saint-Etienne-du-Mont, fut envoye la Monnaie le 9 novembre 1793, et le 21 novembre suivant les reliques taient brles sur la place de Grve. Leurs cendres jetes la Seine, remarque l'abb Lestre, allaient ainsi rejoindre celles de Jeanne d'Arc dans l'immense Ocan!

L'glise Saint-Etienne-du-Mont, gardienne du tombeau o le corps de la Sainte a repos longtemps, reste le centre d'un plerinage frquent, et dans les moments de calamit, par exemple en septembre 1914, quand l'arme ennemie menaait Paris, ou lorsque des pluies prolonges provoquaient une violente crue de la Seine, ou a vu la population accourir avec ferveur prier prs de la chsse vnr. La dvotion envers la libratrice de Paris est dans le sang du peupl et reste une des rares traditions nationales qui aient survcu tous nos bouleversements.

Le 14 janvier 1914, Pie X a accord tous les diocses de France de clbrer la fte de sainte Genevive.

A.L Sources consultes. - H. Lestre, Sainte Genevive (Collection Les Saints, 1899). (V. S. B. P., n 151, 617 et 1244.)

BIENHEUREUSE ANGLE DE FOLIGNOVeuve, Tertiaire Franciscaine (1248-1309)

Fte le 4 janvier.

En abordant la bienheureuse Angle de Foligno, la sainte Thrse de l'Italie, nous devons tout d'abord avertir le lecteur qu'il ne s'attende point trouver ici une de ces vies mesures, rgulires, dont il puisse tudier ou connatre les dtails.

Cette vie a t longtemps mal connue. Pendant six sicles, ce qu'on a pris pour les oeuvres de sainte Angle n'tait qu'un recueil de discours spirituels agencs par un faussaire du xve sicle qui ne craignit pas de faire subir au dossier original les plus audacieuses mutilations . Ernest Hello, utilisant ce texte infidle, publiait, en 1868, une Vie de la bienheureuse Angle de Foligno d'un magnifique effet, mais toute fantaisiste.

Depuis 1925, les documents originaux ont t retrouvs dans les plus anciens manuscrits d'Assise, de Rome et de Subiaco, et dits et traduits avec un grand soin.

Dsormais, on connat admirablement, non seulement la doctrine, mais la vie et les phases mystiques de cette me d'abord pcheresse, et qui, revenue parfaitement Dieu, finit par s'lever aux plus blouissants sommets de l'amour divin.

Angle a expriment, et par elle nous voyons, comment Notre-Seigneur ralise cette promesse : Si quelqu'un m'aime, il gardera mon sermon et mon Pre l'aimera, et nous viendrons lui et ferons chez lui notre demeure . Et encore : Qui m'aime, je me manifesterai moi-mme lui.

Vie de dsordre, - Conversion.

Angle naquit Foligno, petite ville situe trois lieues d'Assise, vers l'an 1248. Ses parents, trs riches et probablement nobles, la marirent jeune. Elle eut plusieurs fils, mais vraisemblablement elle ne prit point au srieux ses obligations d'pouse et de mre. D'un cur passionn et d'un temprament sensuel ; pousse la vie mondaine par une mre frivole ; non retenue par un mari viveur qui la laisse sans affection, elle tombe bientt dans des dsordres honteux.

Angle avait environ trente-sept ans, lorsque, vers 1285, au milieu du tourbillon qui l'emportait, elle sentit l'emprise de la grce ; la peur de la damnation la saisit. Elle voulut en finir avec ces vilenies et recourut aux sacrements. Elle se confessa, mais elle le fit mal ; la honte de ses pchs lui ferma la bouche sur les plus normes, et ainsi, doublement sacrilge, elle osa communier.

Dieu, qui voulait sauver cette me comme malgr elle, lui envoya de cruels remords ; nuit et jour sa conscience la torturait. Elle supplia le ciel de lui faire trouver un confesseur clair, dans lequel elle pt mettre toute sa confiance. Dieu lui fit encore cette grce inestimable. Une nuit qu'elle priait saint Franois d'Assise, ce dernier lui apparut et lui dit : Soeur, si tu m'avais pri plus tt, je t'aurais exauce; mais ce que tu demandes t'est accord. Le matin elle alla entendre la messe en l'glise ddie au mme Saint, puis en revenant elle entra la cathdrale Saint-Flicien ; l, elle rencontra un religieux Franciscain, Fr. Arnaud, son parent, qui elle fit sur-le-champ une confession intgrale. C'est ce Fr. Arnaud qui, tmoin des merveilles que la grce oprait dans cette me repentie, l'obligea rvler quelques-unes des faveurs dont elle tait gratifie. Ces rvlations, crites par Arnaud luimme, et sous la dicte d'Angle, portent le cachet d'une sincrit indniable.

Changement de vie.

Au dbut de sa conversion, Angle fut presque entirement prive des consolations sensibles que Notre-Seigneur met souvent au bord de cette coupe de sa Passion, o il abreuve ensuite ses plus fidles amis. Le souvenir des fautes passes obsdait la pauvre femme et la remplissait de honte et d'amertume, mais nul amour n'enflammait son cur. Cette privation ne dconcerta pas son nergique rsolution. La pcheresse repentie devait peiner et souffrir pendant cinq ans et demi avant de pouvoir susciter en elle-mme un grand feu d'amour de Dieu. Elle se plongea dans la mditation des douleurs du Christ ; elle s'offrit toute lui et fit le voeu de chastet perptuelle. Imprieusement attire par la pauvret, elle distribua aux pauvres ses vtements de prix. Elle voulut se dpouiller encore davantage, mais sa famille se dressa devant elle, l'accabla d'affronts et d'insultes. Et voici que coup sur coup moururent sa mre, son mari et tous ses fils ; ces deuils foudroyants la frapprent d'une douleur atroce, mais elle avoue qu'une joie surnaturelle lui fut donne en compensation.

Pour s'attacher davantage Dieu, elle voulait se dfaire de tous ses biens, vivre pauvre et mendier mais ses conseillers religieux et son confesseur lui-mme l'en dtournaient, lui reprsentant les dangers d'une telle vie pour une femme encore jeune. Par contre, les visions du Crucifi se multipliaient ; montrant ses plaies, Notre-Seigneur lui disait : J'ai souffert tout cela pour toi. Que peux-tu donc faire qui te suffise?Elle fit un plerinage Rome pour obtenir de saint Pierre la pauvret absolue. A son retour, malgr toutes les oppositions et toutes les avanies, elle vendit son principal domaine et en distribua le prix aux pauvres. Ds lors, l'un aprs l'autre ses biens s'en allrent aux mains des misreux, et elle vcut en recluse dans sa maison, avec une de ses servantes, Marie, me trs simple et grande amie de Dieu , dont elle fit sa compagne assidue et sa confidente.

Tertiaire. - Voyage Assise.

Vers 1290-1291, Angle entra dans le Tiers-Ordre de Saint-Franois et sa dvotion la porta bientt entreprendre le plerinage au tombeau du Saint dont elle venait d'embrasser la rgle.

Un soir, alors qu'il lui restait encore quelque bien donner, elle tait en prire et il lui semblait ne pas sentir Dieu ; elle se lamentait : Seigneur, tout ce que je fais, je le fais pour vous trouver. Vous trouverai-je quand je l'aurai parfait?- Que veux-tu? - Je ne veux ni or ni argent. Et si vous me donniez le monde entier, je ne voudrais encore que vous. - Dpche-toi, car aussitt que tu auras fait ce que tu fais, toute la Trinit viendra en toi.

A quelque temps de l, par un beau jour davril 1291, elle montait Assise avec Marie sa compagne, en priant le long du chemin; aprs avoir dpass Spello, elle arrivait prs dune petite chapelle ddie la Sainte Trinit, lorsque la Trinit se manifesta elle et laccompagna dans son plerinage, conversant avec, elle tendrement. La vision disait.: Je suis l'Esprit-Saint, tu es ma fille, mon temple, mes dlices... tu as pri mon serviteur Franois, et parce que mon serviteur Franois m'a beaucoup aim, j'ai agi beaucoup en lui ; mais si quelque autre m 'aimait plus que Franois, j'agirais encore plus en lui.

Elle entendit encore ces mots : C'est moi qui fus crucifi pour toi, et j'eus faim et, soif pour toi, et rpandis mon sang pour toi, tant je t'aimai... Voici l'anneau de mon amour, car dsormais tu es ma fiance. Reois la bndiction du Pre, du Fils et du Saint-Esprit, toi et ta compagne!

Pendant tout ce temps, elle gota une douceur infinie ; mais dans l'aprs-midi, au moment o pour la seconde fois elle entre l'glise Saint-Franois, la vision la quitte et disparat lentement. La pauvre femme tombe terre, sur le seuil, en poussant des cris inarticuls, essayant de dire : Amour inconnu, pourquoi me quittes-tu? Et pourquoi? Et pourquoi? On s'ameute, on l'entoure, on la croit atteinte du haut-mal ou possde du dmon, et quand elle se relve, la crise termine, on la chasse et on lui enjoint de ne plus jamais revenir.

Lorsque, quelques jours plus tard, son confesseur lui demanda ce qu'elle avait vu alors, elle ne put rpondre que ceci : Je vis chose pleine, majest immense que je ne sais dire. Mais il me semble que c'tait le Tout Bien.

Revenue dans sa maison, Angle y prouva une douceur si grande qu'elle demeura huit jours gisante en langueur et ravissement. Sa compagne, s'alarmant de la voir ainsi, entendit une voix lui dire trois reprises : L'Esprit-Saint est en Lella. Une autre fois, la servante vit une petite toile toute ronde et resplendissante, dont les rayons innombrables, sortant de la poitrine d'Angle, remontaient vers le ciel.

Combats et preuves.

Dieu le permettant ainsi pour le plus grand bien de son humble fiance , celle-ci eut subir de terribles assauts de la part du dmon. Obscurits, doutes plus cruels encore sur les points essentiels de la foi, sombre dsespoir qui semblait lui fermer la porte du ciel, tentations contre la chastet, maladies tranges qui crucifiaient chacun de ses membres, perscutions; Angle subit, pendant deux ans, de profondes agonies. Elle en arriva mme se persuader qu'elle tait possde du dmon.

Un jour que son dsespoir tait plus profond, elle dit Dieu: Quand il serait vrai, Seigneur, que vous m'auriez condamne l'enfer que je mrite, je ne laisserais pas que de faire pnitence et de demeurer, s'il vous plat, votre service.

Ces preuves ne la dtournrent pas, en effet, de ses exercices de pit, non plus que de sa charit envers les pauvres et les malades. Elle aimait se rendre un hpital voisin de la ville, o l'on recevait les lpreux.

Un jour de Jeudi-Saint, elle dit sa compagne : Allons l'hpital et peut-tre trouverons-nous le Christ parmi ces pauvres cet ces affligs. Elles distribuent ces malheureux tout le pain qu'elles ont mendi ; elles lavent les pieds des femmes, les mains des hommes, en particulier celles d'un lpreux qui les avait fort abmes et mme pourries. Nous bmes de cette eau, dit-elle, et nous sentimes telle douceur comme si nous avions Communi.

Ses rcompenses.

Un tel hrosme, de si hautes vertus ne pouvaient manquer de toucher le Cur de celui dont la sagesse mesure les preuves dune me aux degrs de saintet ou il a dessein de llever. Il ordonna au dmon de laisser en paix sa servante fidle. Pendant lt de 1293, Angle reoit la certitude que c'est rellement Dieu lui est prsent et qui agit en elle, et le monde entier se levt-il pour la contredire, elle se rirait de lui.

Parfois, obscurits et angoisses reviendront cependant interrompre ces clarts divine, mais partir de 1296, lors d'un nouveau plerinage Assise o elle reste dix jours, elle entre dans la plnitude de l'amour.

Dieu la favorisa du don d'oraion et de paix si considrable, qu'elle vivait presque continuellement, ravie en Dieu.

Ces joies intimes et si merveilleuses avaient souvent au-dehors leur rejaillissement. Quelquefois, on la voyait resplendissante de clarts clestes: ses yeux dilats et immobiles brillaient comme des flambeaux, et parfois cette joie durait plusieurs jours.

Souvent, pendant la messe, Notre-Seigneur se montrait ses yeux sous la forme d'un enfant de douze ans. Chacune de ces visions excitait en elle de tels transports que, malgr la saintet du lieu ou du moment, elle les manifestait par des cris, des larmes et des extases prolonges.

Voici un fait dlicieux entre tant d'autres : Un matin, en la fte de la Purification, tandis qu'elle tait l'glise des Franciscains de Foligno, au moment de la distribution des cierges, elle entendit cette parole : C'est l'heure o Notre-Dame vint avec son Fils au Temple. Aussitt ravie en extase, elle voit arriver la Vierge Marie qui pose en ses bras son Fils endormi. Angle le serre sur son coeur, l'embrasse avec amour ; l'Enfant ouvre les yeux, la regarde, et par ce regard la remplit d'un bonheur ineffable.

Sa connaissance de la Passion du Sauveur.

La contemplation des souffrances du Sauveur lui devint tout fait familire. Elle aimait dire que ceux qui taient affligs et souffrants taient assis la table mme de Jsus-Christ.

La vue d'un Crucifix la brlait de fivre, la plongeait dans une si grande tristesse, provoquait tant de larmes, que sa compagne avait soin de voiler cette sainte image.Si quelqu'un, disait Angle, me racontait la Passion telle qu'elle fut, je lui dirais : C'est donc toi qui l'as soufferte!

Quand je mditais sur la Passion, disait-elle encore, je sentais le Supplice de la compassion ; jprouvais, dans les os et les jointures, une douleur pouvantable et la sensation davoir t transperce toute entire, corps et me. Je voyais le Sauveur, dont la chair fut emporte par les clous jusque dans le bois de la croix ; et au pied de cette croix, la place de serviteurs dvous, le diable s'ingniant rendre le supplice plus cruel, et inspirant aux bourreaux de refuser la goutte d'eau que Jsus demandait en criant.

Expliquant une autre fois la prire suprme du Sauveur sur la croix elle disait: A cause du crime sans nom, cause du dicide, peut-tre Dieu le Pre allait-il damner le genre humain, comme il rejetait le peuple juif, si Jsus, oubliant toute autre douleur, n'eut cri : Mon Pre, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font!

Et cependant, concluait-elle avec amertume, quel est l'homme qui rpond cet amour sans mesure?

La crise franciscaine.

A cette poque, des preuves terribles fondirent sur l'Ordre franciscain. Il y eut d'abord la lutte pour l'indulgence de la Portioncule. Boniface VIII ayant d rappeler aux vques que, conformment au IVe Concile de Latran, toute indulgence accorde par eux est nulle si elle excde quarante jours, il se trouva des esprits malveillants pour dchaner des attaques furieuses contre celle de la Portioncule.

Cette dernire faveur, accorde par un Pape, n'tait pas en cause ; les Franciscains s'employrent le dmontrer et ils donnrent au clbre pardon encore plus de solennit et d'clat. C'est au milieu de ces disputes, en l'anne jubilaire 1300, qu'Angle de Foligno, faisant violence ses infirmits qui l'empchaient de se mouvoir, se trana Assise le 1er aot pour gagner l'indulgence avec la foule innombrable et les nombreux Franciscains et Tertiaires qui la regardaient comme leur guide et comme leur mre.

Un conflit autrement grave divisait les fils de saint Franois eux-mmes: la querelle des Spirituels et des Conventuels. Les premiers sen tenaient au sens strict de la rgle: dnument absolu, obligation de vivre d'aumnes, au jour le jour ; les seconds, qui l'autorit ecclsiastique devait donner raison en fin de compte et pour des motifs dont elle seule tait juge, admettaient, en raison du dveloppement de l'oeuvre et de la ncessit d'une rsidence, sinon la proprit, du moins la possession d'immeubles et des choses ncessaires la vie; ils traitaient trop facilement de rebelles et d'illumins les Spirituels, qui leur tour accusaient de relchement les Conventuels.

Angle se trouva implique dans ces luttes douloureuses. Son me gnreuse n'avait pas consenti ses hroques sacrifices pour vivre clairs la mdiocrit : elle voulait la fidlit sans glose toute la rgle, l'imitation passionne de son Pre saint Franois. Sans aucune hsitation, elle est avec les Spirituels. Mais si elle entretient la ferveur parmi ses disciples, elle s'efforce de les tenir l'cart de ces querelles ; elle rprime les outrances des exalts ; ceux qui croient servir l'idal franciscain par leur diatribes imptueuses, elle apprend que c'est en triomphant d'eux-mmes et de leur chair qu'ils combattront efficacement le relchement et restaureront le respect de la rgle.

Les admirables lettres, enseignements et souvenirs qui forment la seconde partie de ses oeuvres tmoignent de l'heureuse influence qu'elle exera pendant les treize dernires annes de son magistre spirituel, pour le plus grand bien de l'Ordre franciscain tout entier.

La bienheureuse mort.

Vers le dbut de sa maladie, en la fte de saint Michel, le 29 septembre 308, comme elle dsirait beaucoup communier et qu'il n'y avait personne pour lui apporter le corps sacr du Christ, son me fut subitement ravie et une multitude d'anges la conduisirent un autel en lui disant : En Celui qui est sur l'autel, se trouve la perfection et le complment du sacrifice que tu cherches. Prpare-toi recevoir Celui qui te fiana par l'anneau de son amour.

Ds lors, brise par l'infirmit et absorbe en l'abme de la divine Infinit, elle ne parlait plus que par phrases rares et entrecoupes.

En la fte de la Nativit, elle dit: Le Verbe s'est fait chair.., Oh! toute crature dfaille! Oh! toute l'intelligence anglique ne suffit pas comprendre! Puis elle dit : Oh! voici mon Dieu qui m'a fait la promesse ! Car le Christ son Fils vient de me prsenter au Pre!

Une autre fois, reprenant les tendres paroles de Notre-Seigneur

la veille de souffrir, elle dit aux nombreux Frres qui l'entouraient: mes petits enfants, efforcez-vous de vous aimer les uns les autres et d'avoir cette charit divine en vrit Je ne fais d'autre testament sinon que je vous recommande cette mutuelle dilection ; et je vous laisse tout mon hritage, savoir, la vie du Christ, pauvret, douleur, mpris.

Puis, posant sa main sur la tte de chacun d'eux, elle les bnit en disant : 0 mon Dieu, je vous les confie encore de nouveau pour que vous les gardiez, et conserviez de tout mal,

Elle leur dit encore : mon me reut davantage du Seigneur Dieu quand je pleurai et souffris pour les pchs du prochain avec tout mou coeur, que quand je pleurais mes pchs. Et, en vrit, il n'est charit plus grande sur terre que de pleurer les pchs du prochain... 0 mes petits enfants, efforcez-vous d'avoir cette charit...!

Une autre fois, elle dit que son me fut submerge par le sang du Christ qui tait chaud comme sil sortait du corps du Christ crucifi, et quelle entendit cette parole:Cest cela qui te purifie.

O mes petits enfants, dit-elle une autre fois, efforcez-vous dtre petits! Puis elle scria dune voix forte: O nant inconnu! O nant inconnu! En vrit, lme ne peut avoir meilleure vision en ce monde que de voir son nant et se tenir en sa prison.

La veille de sa mort, elle fit plusieurs reprises cette prire:

Pre, en tes mains je confie mon me et mon esprit!

A partir de ce moment, toutes ses douleurs cessrent; elle jouit dune grande quitude, anticipation du ciel. Elle sendormit ainsi, doucement le samedi 4 janvier 1309, aprs Complies, en loctave des Saints Innocents. Elle avait soixante et un ans. Elle fut enterre dans une chapelle de lglise des Franciscains de Foligno, o ses reliques sont encore aujourdhui en grande vnration.

Le culte. - Les oeuvres.

Considre comme une Sainte par ses contemporains, Angle ft nomme Bienheureuse par la voix publique ds le jour de sa mort et elle devint bien vite l'objet d'un culte que l'Eglise ne cessa d'approuver. Le Pape Innocent XII l'autorisa en 1693 ; en 1701, Clment XI lui donnait un office propre et, en 1709, il l'levait au rite, double majeur. En 1911, la rforme de Pie X, en reportant au 4 janvier sa fte qui se clbrait le 31 mars chez les Franciscains, sanctionna dfinitivement cette tradition.

Par ses crits, Angle de Foligno prend place au premier rang des grandes mystiques catholiques. Lexamen le plus svre a dmontr combien sa doctrine est saine et orthodoxe; elle na cess de recevoir les plus illustres suffrages. Saint Franois de Sale, Bossuet, Fnelon, invoquent son autorit; Saint Alphonse de Liguori et Benot XIV la vnrent lgal de saint Thrse et des plus grands mystiques. Cependant ils nont pas connu ses crits dans leur intgrit. Dans ces documents authentiques eux-mme, le pauvre Fr. Arnaud, qui essayait dexprimer en un langage humain les splendeurs des manifestations divines, se lamente dtre seulement un tamis ou un crible qui ne peut retenir la farine et ne garde que le gruau et le son.

A.F.A.

Sources consultes. P.Paul Doncoeur, Le livre de la bienheureuse Sur Angle de Foligno, du

Thiers-Ordre de Saint-Franois, documents originaux ( Paris,1926). Abb M.J.Ferr, Sainte Angle de Foligno, uvres (Paris, 1927); La spiritualit de sainte Angle de Foligno (Paris, 1938).-(V.S.B.P.,n307).

SAINT SIMEON LE STYLITE(388 - 459)

Fte le 5 janvier.

Parmi les nombreuses formes de mortification corporelle en usage chez les moines d'Orient, aux IVe et Ve sicles, il en est de si austres qu'elles sont peine croyables, de si originales qu'elles paraissent aux chrtiens toujours attentifs au bien-tre aux rclamations de leur corps un dfi jet au bon sens. En Syrie comme en gypte, la plupart des moines menaient la vie cnobitique ou commune, dans un monastre plus ou moins vaste, sous la direction d'un ou de plusieurs suprieurs. Il y avait cependant dans les dserts du Sina, de Nitrie et aussi en d'autres contres, des anachortes, des moines qui s'isolaient dans une grotte ou une cellule, n'ayant presque plus de relations avec le monde ou le monastre. On voit mme, particulirement dans la Syrie, des ermites gagner le sommet d'une colline ou d'une montagne, s'y choisir un espace de terrain, l'entourer d'une clture en pierres sches par exemple, et vivre dans cet enclos comme dans un lieu de rclusion, sans plus en sortir. Dans la plupart des cas, aucun abri ne les protge contre les intempries du climat ou les vicissitudes des saisons. Au souffrances dj bien cruelles que comportait ce sjour continu la belle toile, le moine ajoutait la pnitence de la station. Nuit et jour, il voulait rester debout : seul l'puisement total des forces corporelles pouvait avoir raison de son gnreux dessein.

Un moine peu ordinaire.

Peu de ces asctes des premiers sicles ont une histoire mieux documente que Simon de Sisan, ou Simon le Stylite, comme le nomme l'hagiographe. On possde deux biographies crites dans la dernire moiti du ve sicle par deux de ses disciples, et, ce qui est plus rare, une relation dtaille de ses actes, publie de son vivant par un tmoin oculaire dune grande autorit, Thodoret vque de Cyr

(Syrie), auteur d'une Histoire ecclsiastique et d'une Histoire des religieux de Syrie (Philothos). Cette relation d'un historien dont la personnalit est bien connue fournit sur la vie, les actions, le caractre du moine syrien, des renseignements fort prcieux.

Simon dit l'Ancien (car il y a au moins deux Saints stylites portant le nom de Simon), pratiqua successivement les diverses formes de vie religieuse en honneur au Ve sicle. Il fut un cnobite, un an- achorte, un reclus. Mais de plus, sous l'inspiration de Dieu, il inaugura un genre de vie trange sans doute, mais surtout hroque. En montant sur la colonne qu'il s'tait fait construire, ce moine syrien s'isolait sinon des regards au moins du contact des hommes, se condamnait subir toutes les morsures des lments et les fatigues rsultant de la quasi-immobilit et de la mme attitude du corps ; mais il se rapprochait aussi davantage de Dieu, selon les dsirs de son me ardente. Il sera le pre et le modle de ces nombreux moines stylites ( du grec stylos, colonne) que l'on rencontre en Syrie, en Thrace, sur le Bosphore, en Palestine, en Egypte et ailleurs, jusqu'aprs le XIIe sicle. Dans plusieurs documents des Ve, VIIIe, et IXe, les stylites sont numrs part des cnobites, des ermites, des reclus. Ils forment une catgorie distincte qui a sa place marque dans l'ordre monastique et jouit de privilges spciaux, tels que l'exemption de l'impt, de la citation devant le tribunal, mentionns et sanctionns par la loi civile. Tous se rattachent par une chane continue Simon le Stylite. Sa vie extraordinaire et sa puissante personnalit devaient susciter une lgion d'asctes jaloux de le suivre dans la pratique d'une hroque austrit chrtienne.

Vocation de saint Simon.

Simon naquit la fin du IVe sicle, dans la petite localit de Sisan, ou Sis, situe sur les confins de la Cilicie et de la Syrie. Ses parents tant d'une condition fort modeste, l'enfant fut de bonne heure employ divers travaux domestiques, en particulier la garde des brebis. Pendant plusieurs annes, son existence ressemble celle des petits bergers de son pays et de son ge. Mais Dieu ne tarda gure appeler Simon une vie plus parfaite. Assistant un office liturgique, le jeune ptre entendit lire les batitudes vangliques.

Profondment mu par cette lecture, il va s'enqurir, probablement auprs d'un prtre ou d'un moine, de la signification des paroles du Christ et de ce qu'il fallait faire pour possder ces vertus de pauvret, de misricorde, de puret, de patience si magnifiquement exaltes et rcompenses par le Matre. Il lui fut rpondu que la pratique de la vie monastique tait le moyen rapide et sr d'acqurir ces vertus et de parvenir au bonheur dcrit par le Christ. Simon rsolut alors de se faire moine.

Avant de raliser son dessein, il voulut connatre la volont de Dieu sur lui. Par de ferventes prires faites dans une glise ddie de saints martyrs, il obtint enfin d'tre clair et affermi dans sa vocation, par une vision que le Seigneur lui envoya en songe et dont il lui fit connatre la signification particulire.

L'aspirant la vie religieuse entra donc dans un monastre situ non loin de Sisan. Aprs s'tre initi pendant plus de deux ans l'esprit et aux pratiques de la vie cnobitique, il se sentit appel une plus haute perfection. Il se retira alors dans la solitude de Tlda.

Mortifications extraordinaires.

L vivaient en communaut, sous la conduite de l'abb Hliodore, des moines qui, dans leurs fervente pit, renouvelaient en Syrie les merveilles de la Thbade. Simon montre tant d'ardeur qu'il a bientt dpass tous ses confrres dans la voie de la pnitence : ses austrits vont bien au del de celles que prescrit la rgle commune. Tandis que les autres moines ne faisaient qu'un repas tous les deux jours, il passe toute la semaine sans prendre de nourriture. Il se ceint troitement les reins d'une corde en fibres de palmier, de manire la faire entrer dans les chairs vives et produire une large plaie circulaire qui met sa vie en danger. Un jour il descend au fond d'une citerne dessche ; on ne dcouvre sa retraite qu'au bout d'une semaine et on le ramne au couvent.

Ces mortifications assez extraordinaires taient peu compatibles avec le sjour en communaut et l'observance d'une rgle monastique bien dtermine. Les suprieurs, craignant qu'elles ne fussent mal juges ou peut-tre imites par des religieux de qui Dieu ne les demandait pas, prirent Simon de se choisir, dans la solitude, un lieu de retraite o il pourrait, sans prjudice pour personne, donner libre cours aux lans de sa ferveur.

Le reclus. - Ses jenes de Carme.

Aprs avoir assez longtemps err dans les solitudes environnant Antioche, Simon s'arrta au pied d'une montagne, dans un endroit nomm aujourd'hui Tell-Neschin. Il habita pendant trois ans dans une petite cabane abandonne. L, pour la premire fois, il passe un Carme entier sans boire ni manger. Ce jene extraordinaire, entrepris sous l'impulsion de l'Esprit divin pour imiter de plus prs la conduite du Sauveur, puisa quasi compltement les forces et la vie de l'ascte. A la fte de Pques, un prtre des environs trouva le moine tendu terre et presque priv de connaissance. Il lui donna la sainte communion. Le Corps vivifiant du Christ ranima le corps du pnitent. Cette terrible exprience ne dcouragea pas Simon, et, chaque anne, il recommena sa dure pnitence, jusque vers la fin de sa vie, o les infirmits le contraignirent plus de mnagements. Les premires annes, ce jene quadragsimal affaiblissait par degr ses forces ; la premire semaine, il pouvait encore se tenir debout

mais ensuite, il devait s'asseoir, puis s'tendre terre ; quand Pques arrivait, il tait demi mort.

A l'poque o Thodoret crivait la biographie de Simon, ce dernier avait pratiqu avec la mme rigueur vingt-huit Carmes. Quand il fut sur sa colonne, il trouva mme le moyen de rester debout durant tout le temps du jene en se liant un poteau. Il finit par pouvoir se passer de ce secours. L'habitude semble avoir doubl ses forces, remarque Thodoret. A mesure qu'il a aggrav ses mortifications, le secours de la grce s'est augment aussi, et tout lui devient facile.

Dsireux de trouver une solitude plus complte qui lui permt de s'adonner loin des hommes la contemplation de Dieu, le reclus gravit un jour la hauteur voisine. Il se construisit un enclos de pierres sches : au milieu, il fit sceller dans une roche l'extrmit d'une chane de fer, longue d'environ dix mtres, dont l'autre extrmit serrait sa jambe droite. Il vcut ainsi en plein air, debout, passant son temps prier Dieu ou adresser de sages exhortations aux visiteurs qui approchaient de l'enclos. Mlce, vque d'Antioche, vint en personne visiter l'ermite. Ce prlat lui fit remarquer qu'il tait plus raisonnable de se lier par la volont fortifie par lEsprit-Saint que par une chane de fer rserve aux tres privs de raison. Aussitt Simon fit rompre sa chane, montrant ainsi sa dfrence envers l'illustre visiteur.

Les solitudes les plus retires ne protgent pas toujours les Saints contre les curiosits et la vnration des hommes. La grande austrite de sa pnitence, la puissance de ses prires, la gurison de nombreux malades avaient rendu clbre l'ermite de Tell-Neschin. Les habitants des rgions avoisinantes, ceux des contres beaucoup plus loignes (Perse, Armnie, Palestine), mme des plerins d'Occident venaient voir Simon. On voulait s'difier au spectacle de sa vie, se recommander sa pit, obtenir des gurisons ou d'autres bienfaits, recevoir sa bndiction. Tous cherchaient l'approcher pour toucher ses vtements de peau et en emporter un lambeau comme relique. Cette affluence des foules, ces tmoignages de respect, ces pieuses indiscrtions surtout, importunaient le solitaire qui les jugeait, dans son humilit, tout fait extravagants. Il se demandait, comment chapper cette vnration de la part des foules; Dieu vint son aide et lui inspira un moyen original : celui de vivre sur un endroit assez lev au-dessus de la terre, sur une colonne. Si l'ermite ne pouvait de la sorte chapper aux regards des visiteurs, personne du moins ne pourrait l'approcher et le toucher. Il serait galement plus isol du commerce des hommes, plus tranquille lorsqu'il s'adonnerait la prire et la contemplation. C'tait en 423.

Le stylite : sa vie, son apostolat.

Simon fit donc construire au milieu de l'enclos qu'il habitait une colonne d'environ trois mtres. Le sommet tait entour d'une balustrade ou d'une clture formant garde-corps et il tait assez large pour qu'un homme pt s'y tenir couch. Le stylite habita successivement deux autres colonnes plus hautes. Il en occupait une, dont la hauteur dpassait 15 mtres, quand Thodoret crivit son Histoire monastique.

Au sommet de la colonne, laquelle on accdait par un chelle mobile, aucun abri ne protgeait le stylite contre le soleil, la pluie, le vent, le froid. Durant les trente-sept ans qu'il vcut en cet ermitage arien, Simon se tint presque toujours debout. Sa nourriture tait des plus simples et le moine sen passait bien souvent. Les heures de sa journe taient partages entre la prire, la prdication et les audiences donnes aux malheureux, aux opprims.

Chaque soir aprs le coucher du soleil,