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COLLECTION DE VIES DE SAINTS ___________________ UN SAINT pour chaque jour du mois NOVEMBRE 1

1 Novembre I

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COLLECTION DE VIES DE SAINTS___________________

UN SAINT

pour chaque jour du mois

NOVEMBRE

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SAINT BENIGNEPrêtre et martyr, apôtre de Dijon ( ….. 179)

Fête le 1er novembre.

Quand il s'agit de retracer l'histoire religieuse des premiers siècles de la Gaule chrétienne on se trouve facilement embarrassé : les données précises de l'histoire, étayées sur des documents sont, en effet, des plus rares ; reste la tradition, de laquelle il serait imprudent de tout accepter ou de tout rejeter en bloc. Il en est ainsi pour saint Bénigne, l'apôtre de Dijon ; nous dirons brièvement ce que nous livre une tradition vénérable par son ancienneté au sujet de ce Saint ; l'histoire de son culte nous est par contre beaucoup plus connue que sa biographie et permet un plus long développement.

Les premiers apôtres de la Gaule furent d'abord des disciples de saint Pierre, comme saint Saturnin de Toulouse et saint Martial de Limoges, et des disciples de saint Paul, comme saint Trophime d'Arles et saint Crescent de Vienne ; au siècle suivant, Dieu lui envoya, en outre, des missionnaires de l'école de saint Jean, le disciple bien-aimé de Jésus. Ces derniers venaient de Smyrne, en Asie Mineure, où ils avaient été formés à la vertu et à la science des vérités chrétiennes par l'un des plus grands évêques du IIe siècle, saint Polycarpe, fils spirituel de l'évangéliste saint Jean. Le principal centre de leur apostolat fut Lyon, où se fixèrent saint Pothin et saint Irénée.

De Smyrne à Autun.

Quand Bénigne, après avoir été ordonné prêtre par saint Polycarpe arriva de Smyrne au port de Marseille, il était accompagné du prêtre Andoche, du diacre Thyrse, du sous-diacre Andéol et de plusieurs autres missionnaires. Andéol s'arrêta d'abord à Carpentras et vint ensuite évangéliser les populations du Vivarais, au milieu desquelles il versa son sang pour la foi, dans la ville qui porte aujourd'hui son nom : Bourg-SaintAndeol. Bénigne et ses deux autres compagnons s'avancèrent jusqu'au pays des Eduens, dont la capitale était Autun.

Premiers fruits d'apostolat.

Dans cette ville, Bénigne alla frapper à la porte d'un homme nomme Fauste, que distinguaient la noblesse de sa famille, la dignité de sénateur et les insignes prétoriens. Fauste était de ces adorateurs secrets du Christ, qui par crainte de la persécution se croyaient tenus à une certaine réserve officielle vis-à-vis de la nouvelle doctrine. Cependant il reçut le missionnaire avec une grande bonté et fit baptiser par lui son fils Symphorien, âgé de trois ans, et toute sa famille. Le disciple de saint Polycarpe séjourna en ce lieu plusieurs années qui furent fécondes en fruits de salut, car en ce bref

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espace de temps il amena du culte des idoles à la foi du Christ beaucoup de païens, tant par l'exemple de ses vertus que par sa parole et ses miracles.

Séjour à Langres.

Fauste, dit encore la légende, avait une sœur nommée Léonille qui était déjà, semble-t-il, une chrétienne fervente, au milieu d'une famille païenne. Elle habitait Langres. Elle avait trois petits-fils, encore païens aussi ; c'étaient trois jumeaux, appelés Speusippe, Elasippe et Mélasippe Fauste pria donc Bénigne de se rendre auprès d'eux pour les instruire et les baptiser. Le prêtre de Jésus-Christ partit pour Langres et réussit pleinement dans son dessein. Les trois frères, convaincus par ses discours, brisèrent de leurs propres mains toutes les idoles qui se trouvaient dans leur maison. Nous savons que le récit de la conversion et de la mort de ces trois martyrs a été fortement contesté par des historiens qui lui donnent une origine cappadocienne ; mais nous préférons en faire ici au moins une brève mention.

L'apôtre de Dijon.

De Langres, Bénigne vint à Dijon et y prêcha l'Évangile avec l'énergie et le zèle de tout missionnaire digne de ce nom. Sur ces entrefaites, un empereur romain, obligé de parcourir les frontières afin de refouler les barbares, séjourna à Dijon ; les textes anciens et le « propre diocésain » disent que c'était Aurélien (270-275), ce qui rejette au IIIe siècle l'existence de saint Bénigne et ne permet pas de le rattacher aux messagers évangéliques envoyés par saint Polycarpe ; des textes plus récents, soucieux de rétablir la vraisemblance, disent que le souverain était Marc-Aurèle (161-180). C'est aussi le nom de Marc-Aurèle que cite le Martyrologe romain. D'après le récit, apocryphe vraisemblablement, de la Passion du saint martyr, l'empereur recommanda aux magistrats de veiller à ce que leur pays ne fût pas profané par la présence d'un chrétien. – Seigneur, répondit le comte Térentius, nous ne savons pas ce que c'est qu'un chrétien ; mais je connais un étranger à la tête rase, dont le costume et les mœurs diffèrent des nôtres. Cet homme repousse le culte des dieux ; il recrute parmi le peuple des disciples qu'il soumet à une ablution dans l'eau et dont il oint les membres avec un baume. On parle de prodiges opérés par lui. Il promet une autre vie après la mort à ceux qui renoncent à nos dieux pour sacrifier au sien qu'il assure être le seul vrai Dieu. A cette description, reprit l'empereur, je reconnais un chrétien, cherchez-le et amenez-le-moi chargé de chaînes. Nos dieux ont cette secte en horreur ; le signe du Crucifié rend muets les oracles.

Saint Bénigne devant l'empereur.

Des soldats envoyés à la recherche de Bénigne le découvrirent au lieu nommé Spaniacum (Epagny), où il annonçait la parole de Dieu aux païens.

Saisi, puis chargé de chaînes, il fut amené à l'empereur qui lui demanda :- Adorateur de la croix, d'où es-tu ? Quel est ton nom ?- Mes frères, que vous avez déjà fait mettre à mort, et moi, répondit le courageux confesseur du

Christ, nous sommes venus d’Orient, envoyés par le bienheureux Polycarpe pour évangéliser le peuple de cette contrée.

- Veux-tu m’obéir ? reprit l’empereur. Je te ferai pontife de mes dieux et te donnerai un rang distingué parmi les prêtres de mon palais.

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Bénigne s’écria :- Loup ravisseur, quel sacerdoce puis-je recevoir d’un homme qu’attend la damnation

éternelle ? J’adore le Christ et jamais tu ne me persuaderas de renoncer à lui !

Supplices endurés par saint Bénigne.

A ces mots, l’empereur le fit cruellement flageller à coups de nerfs de bœuf et ordonna aux bourreaux de continuer jusqu’à ce que Bénigne se déclarât prêt à sacrifier aux dieux. Attaché sur le chevalet et les membres distendus, le martyr recevait les coups qui déchiraient ses chairs et, au lieu de se plaindre, il priait et rendait grâce à Jésus-Christ. Quand les bourreaux furent las de frapper, comme Bénigne persévérait dans sa foi, ils le jetèrent dans un cachot. Mais, la nuit suivante, un ange lui apparut et guérit toutes ses blessures. Le lendemain, on le ramène devant l'empereur. Loin d'être touché du miracle et de chercher à s'instruire davantage de la religion chrétienne, le tyran insiste de nouveau pour engager Bénigne à adorez les faux dieux ; mais le martyr proclame hautement sa foi à Jésus-Christ et se moque des idoles. L'empereur ordonne de le conduire devant un autel païen et de lui mettre de force dans la bouche des viandes offertes aux idoles. Or, quand le disciple du Christ parut devant les simulacres païens, il invoqua le vrai Dieu et aussitôt toutes les idoles de pierre ou de bois et les vases qui servaient aux sacrifices furent réduits en fumée devant les assistants étonnés.

Le martyr, plein de joie remercia Dieu d'avoir bien voulu l'exaucer, puis jeta la dérision au tyran et à ses dieux qui s'étaient évanouis devant le signe du salut.

- Vois plutôt, répliqua l'empereur, qui sans doute s'efforçait de cacher son étonnement, combien nos dieux tiennent à faire ta volonté. Si tu consens aussi à faire la leur et la mienne, tu seras grand auprès de moi.

Ces paroles doucereuses et trahissant un certain embarras n'aboutirent qu'à provoquer de la part de Bénigne un nouveau et plus énergique refus.

- Il faut, dit-il, que tu sois bien aveugle pour ne pas voir la puissance de Jésus-Christ dans l'anéantissement de tes idoles.

Le souverain, furieux, ordonna de ramener le prêtre chrétien en prison et de lui infliger les supplices les plus cruels réservés aux hommes coupables de magie. On plaça ses pieds dans une grosse pierre où l'on avait pratiqué deux ouvertures et on les y scella avec du plomb fondu. On perça chacun de ses doigts, dans toute sa longueur, avec des tiges de fer rougies au feu, puis on l'enferma dans le cachot avec des chiens affamés, et pendant six jours on n'ouvrit plus la porte. Pendant tous ces préparatifs et ces tourments, Bénigne n'avait cessé d'exhorter les soldats et leurs chefs à embrasser la foi de Jésus-Christ ; quand la prison se fut refermée, il se mit en prière.

Dieu protège et couronne son serviteur.

Dieu vint encore à son secours, lui envoyant un ange qui l'encouragea, le nourrit, d'un pain céleste et écarta de lui les chiens affamés, en sorte que ces animaux ne touchèrent même pas la frange de ses habits. Ses pieds se détachèrent du plomb qui les retenait captifs et les aiguilles de fer tombèrent de ses mains. Et quand, six jours après, on ouvrit le cachot, au lieu de quelques ossements sanglants, on trouva le disciple du Christ, joyeux et bénissant le Seigneur, et si parfaitement guéri qu'il n'avait plus trace de ses blessures. On courut avertir l'empereur. Celui-ci ordonna de briser la tête du martyr avec une barre de fer. La sentence fut aussitôt exécutée, puis un soldat enfonça sa lance dans le cœur de la victime. A ce moment, les chrétiens qui stationnaient aux abords de la prison virent s'élevez du haut de l'édifice une figure ressemblant à une blanche colombe qui s'envola vers les cieux ; c'était l'âme du martyr. On était au premier jour de novembre

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de l'an 179.Le corps de Bénigne fut enveloppé d'aromates et enseveli, « à ce qu'on rapporte, par sainte

Léonille ». Ainsi s'exprime le bréviaire de Dijon.Le Martyrologe romain, au 1er novembre, retient seulement que saint Bénigne fut envoyé en

Gaule par saint Polycarpe, et qu'après avoir été supplicié cruellement sous le règne de Marc-Aurèle, par Térence, il eut finalement le cou broyé par une barre de fer et le corps percé d'une lance. Nous foulons maintenant un terrain plus ferme avec l'histoire du culte rendu au saint martyr.

L'abbaye de saint Bénigne à Dijon.

Lorsque la prudence le leur permit, les chrétiens élevèrent au-dessus du tombeau une petite chapelle ou crypte voûtée, qui servait d'abri aux pèlerins. Environ trois siècles plus tard, à l'époque des invasions barbares et des guerres dévastatrices de ce temps, l'édicule s'écroula et resta en ruines. On cessa de le fréquenter et le culte de saint Bénigne fut presque oublié. Seuls, les paysans du voisinage en conservaient la mémoire et venaient de temps en temps prier en ce lieu, affirmant qu'ils y recevaient des grâces diverses. Vers l'année 511, saint Grégoire, évêque de Langres, étant venu à Dijon, visita ces ruines, et n'y trouvant nulle trace d'inscription qui rappelât le souvenir du martyr qu'on prétendait y vénérer, il jugea prudent d'interdire le pèlerinage jusqu'à plus amples renseignements. Mais, bientôt, au témoignage de son arrière-petit-fils, l'historien Grégoire de Tours, qui insiste sur ces événements dans son livre De gloria Martyrum, saint Bénigne apparut à l'évêque de Langres et lui ordonna de rétablir le pèlerinage et de relever la crypte ruinée. Le prélat s'empressa d'obéir et plus tard il fit bâtir une église au-dessus de la crypte.

Le même historien ajoute :

La surface de la pierre, où les pieds de saint Bénigne avaient été scellés dans du plomb fondu, a été percée de petits creux, et beaucoup de personnes y versent du vin ou de la bière qu'elles appliquent ensuite sur leurs paupières enflammées ou sur n'importe quelles plaies. Grâce à ce médicament, le mal est promptement guéri. J'en ai fait moi-même l'expérience incontestable, car ayant un jour les yeux fort malades, dès que je les eus baignés dans cette liqueur sanctifiée, la douleur cessa à l'instant.

Ce n'était là qu'un commencement ; bientôt la crypte fut enveloppée dans une vaste église. Pour la desservir et y chanter chaque jour les louanges de Dieu, Grégoire fit venir des moines de l'abbaye de Réome ou Moutier-Saint-Jean, au diocèse de Langres, et leur construisit un monastère attenant à l'église. Telle fut l'origine de la célèbre abbaye bénédictine de Saint-Bénigne de Dijon qui devint un des centres religieux de la Bourgogne. Le culte du Saint prit dès lors, un développement immense, et de nombreux miracles récompensèrent la piété et la confiance des fidèles. La tour qui avait, dit-on, servi de prison au martyr fut convertie en chapelle. Une foule de pèlerins allaient aussi puiser de l'eau à la fontaine d'Epagny, près de laquelle il fut arrêté par les soldats, et, dans les temps de calamité, des paroisses entières s'y rendaient en procession.

Accroissements du culte jusqu'à la Révolution.

Quelques portions des reliques de saint Bénigne se répandirent avec un culte dans différentes localités, à Tours, à Pontarlier, à Saint Maurice-en-Valais, et jusqu'en Allemagne. La basilique, élevée sur la tombe du martyr par saint Grégoire de Langres, ayant beaucoup souffert des guerres civiles et des malheurs du VIIe siècle, fut restaurée dans la seconde moitié du IXe par Isaac, évêque de Langres, et le culte du Saint refleurit avec une nouvelle splendeur jusqu'aux invasions normandes

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qui furent terribles. Le château fort de Dijon, où les reliques du martyr avaient été mises en lieu sûr, résista aux attaques des pirates. Ceux-ci, furieux de leur échec et désireux de venger leurs camarades tombés dans la bataille, se rabattirent sur les faubourgs des environs de la ville. C'est ainsi que l'abbé de Saint-Bénigne, nommé Bertilon, fut par eux mis à mort en 878. Vingt ans après, les reliques furent transportées à Langres d'où elles revinrent entre 923 et 931 à Dijon même où elles furent déposées, cette fois, à l'intérieur des murs, à savoir dans l'église Saint-Vincent.

Les Langrois se firent payer leur hospitalité en exigeant un bras du martyr. Plus tard, comme des bruits d'invasion retentissaient encore, les restes vénérés furent enfouis dans la crypte de l'abbaye dijonnaise, sans aucun signe extérieur, mais avec une inscription renfermée dans le tombeau même. Ils y restèrent cachés pendant tout le Xe siècle, jusqu'au jour où le célèbre abbé Guillaume, plus tard abbé de Fécamp, les leva de terre, les entoura d’honneurs, et sur la tombe derechef restaurée commença, en l’an 1001, la construction d’une église célèbre par sa magnifique rotonde à trois étages, une merveille de l’art roman inspiré par le génie italien. En même temps la réforme clunisisenne introduite dans le monastère, marqua le début d’une nouvelle ère à la fois pour le culte du Saint et pour la grande abbaye dijonnaise.

Ses reliques vénérées furent placées dans une châsse splendide revêtue de plaques d’or et d’argent, exposée aux regards de tous dans la crypte où brûlaient jour et nuit de nombreuses lampes. Le pèlerinage qui avait presque cessé aux IXe et Xe siècles, reprend alors sur de plus vastes proportions. La foule qui se presse au tombeau vénéré est si dense qu’il faut ouvrir trois nouvelles portes dans l’église supérieure pour descendre à la crypte. Les dons des princes et des peuples affluent comme au VIe siècle, au temps de l’évêque Grégoire, puis de Gontran, roi d’Orléans et de Bourgogne.

La châsse préservée.

La solidité de la basilique semblait défier les siècles. Or, le 21 février 1271, la tour centrale en pierre s’écroula, entraînant dans sa ruine tout l’édifice, sauf le grand portail et la rotonde. La châsse de saint Bénigne qui reposait sur deux colonnettes près du tombeau, un peu avant la rotonde, et qui aurait dû être broyée par la chute des voûtes, demeura suspendue en l’air et les lampes allumées devant les reliques ne furent pas même éteintes.

Un pareil événement produisit à Dijon et dans toute la Bourgogne, une impression profonde, et l'érection d'une nouvelle église fut décrétée d'enthousiasme. Une portion considérable de la pierre dans laquelle saint Bénigne avait eu les pieds scellés avec du plomb fondu, servit de première pierre et fut posée solennellement le 7 février 1280. Le monument s'éleva entre la rotonde et le grand portail qui furent conservés. L'abbé Hugues d'Arc remplaça aussi l'ancienne châsse par un précieux ouvrage d'orfèvrerie, et il procéda le 12 octobre 1288 à la translation solennelle des reliques.

Chaque année, la mémoire de ce jour était célébrée par une fête qu'on appela la petite Saint-Bénigne. Peu à peu des maisons se groupèrent autour de la basilique et remplirent l'espace qui la séparait de l'ancien château-fort. Ainsi se forma la capitale de l'ancien duché de Bourgogne, qui devint évêché en 1371, avec la basilique comme cathédrale.

Devant la châsse de saint Bénigne se sont agenouillés les rois de France Louis XI, Charles VIII, Louis XII, François 1er, Henri II, Charles IX et Louis XIII ; la savante reine Christine de Suède, le cardinal de Bérulle, fondateur de l'Oratoire de France, saint François de Sales, sainte Jeanne de Chantal. En même temps, les églises, les Ordres religieux, les rois, les particuliers sollicitaient des reliques du Saint.

Les Chartreux envoyaient à Dijon une ambassade, demandant quelques parcelles du glorieux saint Bénigne. En 1498, l'Eglise d'Autun s'estimait heureuse de recevoir un reliquaire ciselé et émaillé contenant un os du martyr. En 1569, le roi d'Espagne Philippe II obtint la même faveur. En

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1584, on ouvrait solennellement la châsse et à la requête de deux Capucins on y opérait un prélèvement notable au bénéfice d'une église cathédrale fondée aux Indes en l'honneur du Saint.

En 1650, Anne d'Autriche venait elle-même, avec son jeune fils Louis XIV, chercher une relique à l'église Saint-Bénigne. L'abbaye ayant adopté au XVIIe siècle la réforme bénédictine dite de Saint-Maur, sur sa demande, la fête du Saint fut en 1703, érigée en fête de précepte et fixée au 24 novembre. Au début de 1791, on posa les scellés sur les portes de la sacristie ; l'année suivante la châsse était enlevée et violée et les reliques disparurent. Les révolutionnaires démolirent le portail et la rotonde, dévastèrent la crypte, brisèrent l'antique sarcophage et l'ensevelirent sous les décombres ; le terrain fut ensuite nivelé et pavé.

Des fouilles pratiquées en 1858, pour doter d'une sacristie l'église cathédrale, ont heureusement permis, le 30 novembre, de découvrir le tombeau, de dégager la crypte et d'y effectuer les travaux de restauration indispensables.

A.H.L.

Sources consultées. – F. Cabrol et H. Leclercq, Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de liturgie, aux mots « Dijon » et « Langres ». – Mgr. Paul Guérin, Les Petits Bollandistes (Paris). – Abbé Bougaud, Etude sur saint Bénigne (Autun et Paris, 1899). – (V.S.B.P., n° 716.)

SAINT MARCIENErmite en Orient (-t- vers 387)

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Fête le 2 novembre.

Les détails de la vie de saint Marcien nous ont été conservés par Théodoret, célèbre écrivain ecclésiastique qui fut élevé en 423 au siège épiscopal de Cyr, titre aujourd’hui réuni à celui d’Alep, et qui a écrit une Histoire Philothée, c’est-à-dire une histoire des amis de Dieu, contenant la vie de cinquante solitaires. Le souci d’exactitude qu’il montre en son Histoire ecclésiastique, laquelle va de 325 à 429, permet de lui faire crédit comme hagiographe.

Un riche qui se fait pauvre.

Dans la première moitié du IVe siècle, vivait dans la ville de Cyr, un jeune homme riche et distingué, beau de visage, d’une taille élancée et vigoureuse, aimable, intelligent, et héritier d’une des principales familles de la cité. Il se nommait Marcien.

Ses vertus n’étaient pas moins admirables que ses qualités extérieures et tout semblait lui ménager un brillant avenir. Le monde lui souriait et cherchait à l’attirer dans ses trompeuses voluptés, mais n’y réussissait point.

Le jeune homme, se rappelant la parole de l’Evangile qu’il ne sert à rien l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme, ne voyait pas sans effroi les dangers que le monde faisait courir à son salut. D’autre part, il se sentait intérieurement appelé à se donner sans réserve à celui de qui il avait tout reçu, c’est-à-dire à Dieu. Il régla toutes ses affaires temporelles et, un jour, les habitants de Cyr ne le virent plus. Le fugitif s’était isolé au désert de Chalcis, situé au sud-est de la Syrie, dans la direction de l’Arabie et de l’Euphrate.

Marcien se blottit dans une petite cellule si basse que sa tête en touchait le toit s’il se tenait debout, et si étroite que lorsqu’il était couché il ne pouvait étendre les jambes. Encore voulut-il augmenter la solitude même du désert, en mettant sa cellule à l’abri des étrangers par un mur de clôture qui ne laissait qu’un très restreint espace devant sa porte. L’oraison, la lecture et la méditation des Livres Saints, le chant des cantiques occupaient ses jours et presque ses nuits.

« Le chant des psaumes, écrit Théodoret, succédait à son oraison ; son oraison succédait au chant des psaumes et la lecture des divines Ecritures succédait à l'un et à l'autre. »

Cette sainte lecture remplissait de reconnaissance et de ferveur l'âme de Marcien qui se disait : « C'est la parole de Dieu » ; et il lui semblait, à chaque texte, entendre la voix même de Dieu. Son intelligence et son cœur étaient transportés de joie par les beautés sereines de la vérité, et alors sa bouche reprenait ses chants interrompus. Purifier son âme pour aimer Dieu davantage, souffrir pour purifier son âme, tel était son désir.

Il ne mangeait que le soir et une livre de pain partagée en quatre morceaux lui suffisait pour quatre jours. Toutefois, il ne voulait pas, à l'exemple de quelques autres solitaires, passer plus d'un jour sans rien prendre ; son biographe cite l'explication si raisonnable qu'il donnait de sa conduite, explication qu’eût goûtée saint François de Sales :

Il disait que celui qui ne prend de la nourriture qu’après avoir passé plusieurs jours sans manger, s’acquitte avec plus de lâcheté et de langueur de ce qu’il doit à Dieu durant le temps qu’il ne mange point et que, mangeant beaucoup, comme il arrive d’ordinaire, lorsqu’il commence à manger, il se charge l’estomac et rend son corps plus pesant et moins capable de veiller : ce qui lui faisait croire qu’il était meilleur de ne point passer de jour sans manger et de ne se rassasier jamais, parce que le véritable jeûne consiste à avoir toujours quelque faim.

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Saint Marcien et ses disciples.

Pendant plusieurs années, Marcien vécut seul dans sa cellule et il espérait passer ainsi le reste de sa vie dans le silence et l'obscurité ; mais Dieu le destinait à être le père spirituel d'un peuple de solitaires. Quand il fut assez instruit et expérimenté dans les saints combats pour servir de maître aux autres, la Providence lui envoya des disciples qui vinrent se mettre sous sa conduite. Ceux-ci, à leur tour, formèrent d'autres moines selon les règles qu'ils avaient reçues de leur maître, ainsi Marcien devint le patriarche de toute une tribu sainte.

Les deux premiers et meilleurs disciples de Marcien furent Eusèbe et Agapit. Le solitaire ne les logea point dans l'enceinte de son ermitage, où la place manquait ; mais il leur permit de se bâtir à côté une cellule pour eux et il leur apprit à sanctifier leurs journées par des exercices semblables à ceux qu'il pratiquait lui-même.

Une nuit, Eusèbe eut la curiosité de voir ce que le Père faisait dans sa cellule ; il s'approcha sans bruit et regarda par la petite fenêtre de l'ermitage. Il put voir son maître en oraison, méditant un passage des Saintes Écritures, dont il tenait le livre en main :

Il n'avait point de lampe, mais sur sa tête brillait une lumière céleste. Eusèbe fut saisi d'une admiration mêlée de crainte et comprit que l'Esprit-Saint éclairait son maître d'une manière surnaturelle pour lui donner l'intelligence des Livres Saints. Un jour, ce même Eusèbe, s'étant approché de l'ermitage de Marcien, vit celui-ci en prière, à la porte de sa cellule, le visage tourné vers l'Orient. Un serpent, qui s'était glissé sur le mur de la cellule, avançait sa tête menaçante au-dessus de la tête du solitaire.

Saisi de frayeur, Eusèbe pousse un cri et dit à Marcien de s'éloigner au plus vite pour échapper au péril qui le menace. Mais le solitaire, se relevant avec calme, reproche à son disciple son peu de confiance en Dieu ; puis il fait le signe de la croix sur le reptile qui tombe mort à ses pieds.

L'humilité victorieuse du démon.

Un homme considérable de la ville de Bérée, haut fonctionnaire de l'Empire, avait une fille qui devint possédée du démon. L'esprit mauvais tourmentait beaucoup sa malheureuse victime et le père était plongé dans la douleur. Il avait connu autrefois dans le monde Marcien, dont la renommée racontait maintenant les austères vertus.

Il vint donc au désert de Chalcis, espérant décider son ami à obtenir de Dieu par ses prières la guérison de sa fille.

Mais il ne put voir Marcien, car ce dernier ne recevait les séculiers qu’au temps de Pâques. Il alla donc trouver un vieux solitaire qui s’était charitablement chargé en ce temps-là de porter au Patriarche du désert les choses les plus nécessaires. Il lui confia une petite fiole d’huile, le priant de la faire bénir par Marcien, afin qu’elle put servir à la guérison de sa fille.

- Vous me demandez un service bien difficile à rendre, lui répondit le vieillard. L’humilité de Marcien est si grande que rien ne saurait lui déplaire autant que de lui demander un miracle. Il m’en fera des reproches comme d’une démarche insensée.

Cependant le malheureux père insista tant que son interlocuteur finit par fini par accepter de se charger du message.

Le vieillard vint donc trouver Marcien ; mais quand il fut en sa présence, il n’osa solliciter la bénédiction qu’il venait chercher et se contenta de demander à l’ermite s’il n’avait besoin de rien.

Peu après il revint une seconde fois, mais il n’osa pas parler davantage de ce qui l’amenait. Marcien, étonné de cette nouvelle visite, pria le vieillard de lui dire avec vérité quel motif le ramenait vers lui.

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Alors celui-ci, craignant que Dieu n’eût déjà révélé à son serviteur ce qu’il n’osait lui dire, lui raconta la visite du fonctionnaire impérial et lui montra la fiole d’huile qu’on le priait de bénir.

- Eh quoi ! répondit Marcien, est-ce à un vieillard expérimenté comme vous de demander à un pécheur une chose qui ne peut que l’exposer à des tentations d’orgueil, sans utilité pour personne ? Si vous acceptez de vous charger encore de pareilles commissions, je ne recevrai plus vos visites et je renoncerai aux services que vous me rendez.

Ce dernier trait d'humilité acheva de toucher le cœur de Dieu en faveur de la malheureuse victime de Satan. Bien que celle-ci fut à quatre journées de marche de l'ermitage de Marcien, elle ressentit l'effet de ses mérites, car à ce moment-là, même le démon abandonna sa proie. La joie du père fut grande et son admiration égala sa joie, quand, venant raconter au vieillard la guérison de sa fille, il put constater qu'elle avait eu lieu à l'instant même où son message avait fourni à Marcien l'occasion d'un nouvel acte d'humilité.

Une conférence spirituelle.

Un jour, quatre évêques syriens, accompagnés de plusieurs magistrats recommandables, arrivèrent au désert de Chalcis pour voir le serviteur de Dieu. Les prélats étaient Flavien d'Antioche, Acace de Bérée, Isidore de Cyr et Théodore d'Hiéropolis. Marcien les reçut à la porte de son ermitage avec le respect dû à leur dignité. Puis, tous s'étant assis, les nobles visiteurs attendaient du solitaire quelques paroles d'édification. Mais l'humble Marcien, estimant que c'était à lui d'être instruit par les évêques, gardait un profond silence et attendait qu'on voulut bien lui parler. Enfin, l'un des membres de la compagnie, qui, depuis un certain temps déjà, s'était mis sous la direction spirituelle du solitaire et était plus familier avec lui, prit la parole en ces termes :

- Mon Père, ces illustres prélats et tous ceux que vous voyez ici sont venus pour entendre de vous quelques paroles d'édification. Ne les privez donc pas des avantages qu'ils espèrent tirer de leur visite, et ne gardez point en vous-même le bien que vous pouvez leur procurer.

- Hé ! répondit Marcien avec un soupir, que puis-je vous apprendre ? Vous avez plus que moi l'intelligence nécessaire pour lire dans les deux grands livres que Dieu a ouverts sous nos yeux : le livre de l'univers, qui nous raconte les merveilles de la puissance, de la sagesse et de la bonté du Créateur, et le livre des divines Écritures où Dieu nous instruit lui-même. Il nous y trace nos devoirs, nous encourage par ses promesses, nous effraye par ses menaces ; mais beaucoup ne profitent pas de ces grâces comme ils devraient, et je suis, hélas ! de ceux-là.

Après ces paroles, Marcien rentra dans le silence ; mais ses auditeurs, partant de l'idée qu'il venait d'exprimer, parlèrent à leur tour. Ils entrèrent, insensiblement dans de longs discours et se levèrent enfin très satisfaits de leur visite. Ils récitèrent alors une prière ensemble, selon l'usage des solitaires qui terminaient toujours ainsi leurs entretiens. Avant de se retirer, les visiteurs se dirent entre eux que Marcien était digne du sacerdoce. L'ermitage de Marcien se trouvait dans le diocèse de Cyr, il appartenait donc à l'évêque de cette région de lui imposer les mains, mais le prélat se déclara heureux de céder à un de ses collègues l’honneur d’ordonner un si saint homme. Les trois autres évêques récusèrent à leur tour cet honneur et s’en allèrent enfin sans faire l’ordination. Dieu, sans doute, le permit ainsi pour favoriser l’humilité de son serviteur.

Visite fraternelle.

Une visite moins honorable selon le monde, mais plus agréable à l'humble Marcien, fut celle d'un vieil ermite, nommé Avit. Plus âgé que Marcien, Avit l'avait précédé dans les exercices de la vie monastique ; il habitait dans la région septentrionale du désert de Chalcis, en un lieu fort exposé aux vents du Nord-Est. Il s'y était construit une petite cellule et y menait depuis de longues années une vie très dure et très austère. La renommée des vertus de Marcien arriva jusqu'à lui, et il pensa

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qu’un entretien avec ce solitaire serait utile au bien de son âme. Il quitta donc sa cellule et se mit en marche à travers le désert dans la direction du Midi. Quand il parut près de l'ermitage de Marcien, celui-ci, plein de joie, lui ouvrit la porte de sa cellule, et le reçut avec toutes les marques de l'estime et de l'affection. Au lieu d'un pain qui paraissait d'ordinaire seul à ses repas, il commanda à son disciple Agapit, de faire cuire des herbes et des légumes, s'il en avait.

Les deux solitaires s'assirent l'un près de l'autre et s'entretinrent longtemps des choses de Dieu. Leur estime réciproque augmentait à mesure qu'ils se connaissaient davantage ; ensuite ils se levèrent et récitèrent ensemble l'heure de None.

Aussitôt après, Agapit apporta une petite table et du pain, Marcien dit à son hôte :- Soyez le bienvenu, mon Père, nous mangerons aujourd'hui ensemble.Or, l'heure de None correspondait à 3 heures de l'après-midi, et les solitaires avaient coutume de

ne rompre le jeûne qu'après Vêpres, c'est-à-dire après le coucher du soleil. Avit témoigna du regret d'anticiper ainsi contre sa coutume l'heure du repas :

- Voyez, mon Père, dit Marcien, comme vous vous êtes trompé en croyant trouver ici un modèle de régularité monastique. Vous avez pris la peine de venir voir un homme ami de la bonne chère.

Avit, qui connaissait l'austérité de Marcien, aurait pu s'affliger de cette parole, mais Marcien reprit aussitôt en souriant :

- Nous sommes de la même profession et nous gardons les mêmes règles. Nous préférons le travail au repos et le jeûne au manger, et si vous ne prenez de nourriture que le soir, je le fais également. Mais vous savez que la charité est plus agréable à Dieu que le jeûne, puisqu'il nous commande la charité et que nous pratiquons le jeûne de notre propre volonté et sans qu'il nous l'ait commandé. Nous devons, dans le concours de ces deux choses, donner à la charité la préférence sur nos austérités volontaires. Avit, qui l'avait compris, dès les premières paroles de son ami, prit part avec simplicité aux agapes fraternelles qu'on lui offrait. Les deux ermites récitèrent ensuite les prières de l'action de grâces et reprirent leurs entretiens spirituels. Ils passèrent trois jours ensemble, puis ils se donnèrent rendez-vous dans l'éternelle patrie, et ils se séparèrent pour ne plus se revoir sur la terre.

La sœur et le neveu de saint Marcien au désert.

Marcien avait une sœur qui était restée dans le monde. Mariée à un riche citoyen de la ville de Cyr, elle avait eu un fils qui soutint plus tard dignement l'éclat de sa famille. Il tenait déjà le premier rang dans la cité, lorsque sa mère l’invita à l’accompagner au désert de Chalcis, car elle désirait vivement revoir son frère. Ils choisirent pour leur visite le temps de Pâques qui était, nous l’avons vu, l’époque où le solitaire consentait à recevoir les gens du monde. Marcien recevait alors, il est vrai, tous ceux qui se présentaient, mais non les femmes, à qui l’approche de son ermitage restait toujours interdite. Il ne voulut pas faire d’exception pour sa sœur, mais il reçut son neveu avec la tendresse d’un père et lui donna de bons conseils pour son âme.

Le jeune homme pria l’ermite d’accepter pour son entretien les dons qu’il lui offrait en son propre nom et au nom de sa mère. Devant cette proposition toute naturelle, l'esprit de détachement de Marcien s'alarma :

- Avez-vous donné quelque chose aux autres monastères de désert ? demanda Marcien.- Non, répondit le jeune homme.- Je ne prendrai donc rien non plus, repartit Martien, car, dans cette offrande, vous avez suivi

plutôt les affections de la chair et du sang que la pure charité chrétienne.Et il ajouta, sans doute pour adoucir la peine que son refus avait dû causer :- Au reste, je n'ai besoin de rien.

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Saint Martien et la foi catholique.

Prière, oraison, austérité, détachement du monde, union avec Dieu, toutes ces vertus et les autres qui brillaient chez le solitaire, devaient leurs racines dans une foi pure et profonde. Comme les autres Saints qui ont illustré l’Eglise orientale, Marcien resta toujours sincèrement attaché à la foi catholique dont le Pontife de Rome, Vicaire infaillible du Christ, est le gardien fidèle. A cette époque, l’hérésie d’Arius, qui niait la divinité de Jésus-Christ, ravageait l’Eglise d’Orient grâce à la connivence successive des empereurs Constance et Valens. Marcien ne craignit jamais de se déclarer contre eux. Il ne fut pas moins opposé à d’autres hérétiques, qui, sous le nom de sabelliens et d’euchites, perpétuaient les erreurs des manichéens et cherchaient à s’introduire jusque dans les monastères.

Un vieux moine du désert de Chalcis s’obstinait, par ignorance au droit liturgique, à célébrer la fête de Pâques le même jour que les juifs, c’est-à-dire le quatorzième jour de la lune de mars. Pour éviter cette confusion avec le judaïsme, ennemi du Christ, l’Eglise romaine, depuis le temps de saint Pierre, avait reporté cette fête au dimanche suivant. Cependant, malgré une condamnation formelle prononcée à la fin du IIe siècle par le Pape saint Victor, quelques églises d’Orient gardèrent jusqu’au IVe siècle l’usage de célébrer la fête pascale le quatorzième jour. Le Concile général de Nicée, en 385, leur ordonna de se conformer à la pratique de l’Eglise universelle. Quelques-uns s’y refusèrent et le vieux moine dont nous parlons vivait cet errement. Ce vieillard, nommé Abraham, était d’ailleurs irréprochable pour tout le reste et menait une vie très pénitente. Marcien essaya de l’éclairer, mais n’y réussit pas. Il lui dit alors qu’il se séparait de sa communion et qu'il le considérait désormais comme un hérétique. Cette menace suffit à Abraham : il jugea que ce serait faire fausse route que de marcher dans une voie si opposée à celle de Marcien, il renonça donc à son sentiment personnel et se conforma dès lors à la pratique universelle de l'Eglise.

Dernier trait d'humilité.

Enfin, l'opinion qu'on avait en Syrie de la sainteté de Marcien était si générale, que plusieurs personnes, selon un usage assez courant dans les premiers siècles, bâtirent d'avance des chapelles, chacune d'elles ayant l'espoir de posséder ses reliques après sa mort. Son neveu Alype en construisit une dans la ville de Cyr ; une riche et pieuse dame, nommée Zénobiane, agit pareillement dans la ville de Chalcère ; d'autres s'inspirèrent ailleurs du même exemple.

Tant d'empressement ne put rester secret, et le bruit en parvint un jour jusqu'aux oreilles du solitaire. Son humilité en fut épouvantée. Ce vieillard, qui n'avait vécu que pour Dieu, voulait effacer jusqu'à son souvenir de l'esprit des hommes ; il appela aussitôt son disciple Eusèbe et lui fit promettre, par serment, de l'enterrer secrètement dans le désert dès qu'il serait mort, en sorte que le lieu de sa sépulture demeurât inconnu des hommes. Tout ce qu'Eusèbe obtint, fut la permission de s'associer deux autres moines dont il garantissait la discrétion absolue.

Eusèbe exécuta fidèlement les dernières volontés de son maître. Quand le solitaire eut rendu le dernier soupir – probablement le 2 novembre 387 – aidé de deux moines fidèles, il prit son corps, l'ensevelit secrètement dans le désert, assez loin de son ermitage. La cellule du défunt resta fermée, et longtemps le public ignora que Marcien était mort. Lorsqu’enfin on l'eut appris, plusieurs se hâtèrent de venir pour s'emparer de ses restes précieux, mais ils ne purent jamais les découvrir.

Cinquante ans plus tard, l'un des trois gardiens du secret vivait encore. Voyant que depuis longtemps on avait mis des reliques de martyrs dans les chapelles destinées à Marcien, et que personne ne cherchait plus les restes du célèbre solitaire, il se crut dégagé de sa parole et découvrit l'endroit où le moine Eusèbe les avait cachés. Les moines qui habitaient l'ermitage de Marcien, exhumèrent les ossements de leur saint prédécesseur et les placèrent avec respect dans un tombeau

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de pierre.Ce tombeau devint un lieu de grande dévotion et il s'y opéra des miracles.

A.L.

Sources consultées. – Théodoret, Saint Marcien anachorète, dans les Vies des saints Pères des déserts et de quelques autres Saints, traduites par Arnauld d’Andilly (Paris, 1688). – Abbé Godescard, Vie des Pères, martyrs et autres principaux Saints, t. VIII (Paris, 1834). – Collin de Plancy et abbé Darras, Grande Vie des Saints, t, XXI (Paris, 1878). – (V.S.B.P., n° 724.)

SAINT HUBERTÉvêque, patron des chasseurs (655-727)

Fête le 3 novembre.

La domination romaine avait disparu des Gaules, laissant le terrain libre aux barbares, qui tentaient de s'y organiser. C'est au milieu de cette société naissante, agitée, tourmentée, sans lois, qu'apparut le Saint dont nous allons retracer l'histoire.

Prince royal.

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Si l'on s'en rapporte à une ancienne tradition, Hubert serait un prince mérovingien, descendant en ligne directe de Clovis, premier roi chrétien des Francs, et de sainte Clotilde. Il serait né en Aqui-taine, vers 655, et aurait eu pour père le noble duc Bertrand, arrière-petit-fils de Clovis, et pour mère une nièce de la sainte reine Bathilde, nommée Egberne, nature d'élite, animée par une âme généreuse et accessible aux sentiments les plus élevés. C'est d'elle que le jeune Hubert reçut, en compagnie de son frère cadet Eudes, l’éducation solide et pieuse qui devait, plus tard faire de lui un Saint.

Le jeune Hubert lutte avec un ours.

Enfant de douze ans, dans une de ces chasses que les princes de sa race aimaient si passionnément, Hubert voit un ours furieux se précipiter sur son père et l’étouffer de ses pattes puissantes. A ce spectacle, l’adolescent jette un cri :

- Mon Dieu, donnez-moi la force de sauver mon père ! Aussitôt, il se jette sur l’animal féroce, et d’un coup de framée asséné par une main que l’amour

filial rendait déjà virile, lui ouvre la poitrine. Son père était sauvé. C’est le premier titre d’Hubert à protéger les chasseurs. Le duc Bertrand fit vœu, en reconnaissance de ce bienfait, d’élever à Toulouse, en l’honneur de son premier évêque saint Saturnin, une basilique qui a été reconstruite au XIe siècle, et demeure, sous le nom de saint Saturnin, l’ornement de la cité.

Saint Hubert à la cour de Thierry III et de Pépin d'Héristal.

A dix-huit ans, le jeune prince fut envoyé par ses parents auprès de Thierry III, roi de Neustrie. Sa mère lui remit une médaille bénite, et, tout en pleurs, le recommanda à Dieu. Hubert trouva à la cour dissolue de Soissons un prince sans énergie, quoique ne manquant ni d'un certain courage ni d'une sorte de grandeur d'âme, et se heurta bientôt à Ebroïn, maire du palais, qui par des manœuvres perfides tenta bien vite de se débarrasser de ce jeune prince, qui pouvait devenir un obstacle à son ambition. Hubert s'enfuit donc, avec saint Léger, évêque d'Autun, de ce palais maudit. Les deux fugitifs se séparèrent à Lutèce.

Et tandis que le saint évêque regagnait son siège, Hubert se rendit à la cour d'Austrasie, où gouvernait le petit-fils de saint Arnoul, Pépin d'Héristal, héros aussi sage que vaillant. Le jeune duc partagea la vie de la cour de ce prince, qui avait fait de Jupille-sur-Meuse sa demeure favorite, et il prit une part active aux grandes chasses qui se donnaient alors dans la giboyeuse forêt de l'Ardenne. Hubert gagna à tel point l’affection de tous, que Pépin lui donna la main d'une arrière-petite-fille de saint Arnoul, Floribanne, princesse d'Austrasie, dont il eut un enfant, Floribert, qui lui succédera sur le siège épiscopal de Liège et sera inscrit comme Saint au Martyrologe gallican au 25 avril (-I- 746).

Le cerf et la croix miraculeuse.

Il y avait bientôt six ans que le jeune duc et la gracieuse duchesse d'Aquitaine vivaient dans cette sainte et heureuse union, quand la duchesse Floribanne dut se rendre au chevet de la reine Bathilde mourante. Hubert chercha à combattre son isolement en se joignant aux nobles d'Austrasie ; ceux-ci l'entraînèrent bientôt dans des orgies infâmes qui suivaient presque toujours les grandes chasses organisées dans les immenses forêts de l'Ardenne. Hubert oublia ses serments de vie chrétienne. Mais Dieu se réservait de les lui rappeler par un coup de sa grâce. Le jour de Noël

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695, Hubert, méprisant le grand mystère de ce jour, se livrait tout entier à son plaisir favori, la chasse. Soudain, un cerf d'une incomparable beauté, qu'il poursuivait depuis longtemps, s'arrête et lui fait face. Entre les cornes de l'animal apparaît une croix éclatante, et une voix se fait entendre :

- Hubert ! Hubert ! Si tu ne te convertis pas et ne mènes pas une vie sainte, tu descendras bientôt en enfer !

L'ardent chasseur, effrayé, saute à bas de son cheval et se prosterne en disant, comme Saul :- Seigneur, que voulez-vous que je fasse ?- Va vers l'évêque Lambert, il t'instruira.La vision disparut, Hubert ne chassa plus, et cette circonstance de sa vie qui l'arrachait au plaisir

de la chasse l'a constitué le patron de ceux qui s'y livrent. Il vint écouter pendant deux ans les ensei-gnements de saint Lambert, évêque de Tongres en Brabant, résidant à Maestricht.

Saint Hubert pénitent.

Sur le conseil de saint Lambert, Hubert se retira au monastère de Staveloo pour y vivre en pénitent. Il envoya une lettre touchante à sa femme pour lui annoncer sa décision et abdiqua ses droits à la couronne d'Aquitaine en faveur de son frère Eudes. Dans sa retraite, Hubert se livra à la prière et à l'étude. A la mort de Floribanne, il se fit ermite au lieu même où le cerf mystérieux lui était apparu, à Andage. Il y avait huit ans déjà que le pénitent vivait dans sa retraite, lorsque, poussé par l'esprit de Dieu, il décida de se rendre en pèlerinage à Rome.

Dans la Ville Éternelle.

Au moment où Hubert s'agenouillait sur le tombeau des saints Apôtres, son maître et son père spirituel, saint Lambert, tombait Martyr sous les coups d'une femme adultère. Pépin d'Héristal, marié à Plectrude, avait oublié les devoirs de la vie conjugale, et donné son cœur à une misérable concubine du nom d'Alpaïde, dont il eut un fils qui devait remplir le monde du bruit de ses hauts faits, Charles Martel. Comme autrefois, Jean-Baptiste à Hérode, saint Lambert ne cessait d'adresser des remontrances au royal coupable. Elles restaient sans effet, mais la concubine tremblait de se voir chassée ; elle chercha à faire assassiner l'homme de Dieu. Une première fois, ses plans échouèrent. L'évêque n'en montra que plus de fermeté. Dans un grand festin, devant tous les seigneurs, il renouvela l'anathème et sortit de la salle. La famille d'Alpaïde jura sa mort. En effet, à peine entrée dans sa villa de Leodium (actuellement Liége), l'auguste victime tombait sous le poignard, au pied de l'autel, le 17 septembre 708.

Sacré évêque.

D'après une légende, un ange apparaissait au même instant au souverain Pontife, Constantin 1 er, qui prenait quelques instants de repos après la récitation de Matines, et lui apprenait le meurtre qui s'accomplissait.

- Or, ajouta l'ange, un disciple de Lambert viendra aujourd'hui se prosterner ad limina apostolorum. Il se nomme Hubert : c'est lui que tu devras choisir pour succéder au nouveau martyr sur le siège de Tongres.

Le Pape, après cette vision, s'éveilla, et comme il hésitait à y ajouter foi, un ange vint déposer à ses côtés le bâton pastoral de saint Lambert. Après avoir terminé ses oraisons et immolé la Sainte

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Hostie, Constantin 1er se tint en observation auprès du tombeau des saints Apôtres. En ce moment, Hubert, qui avait passé la nuit dans un bourg voisin de la ville, entrait pour la première fois dans l'église du bienheureux Pierre, terme de ses longues fatigues, but de ses plus chères espérances.

- Qui êtes-vous ? lui demanda le Pontife.- Je me nomme Hubert, serviteur de Votre Sainteté, répondit le pèlerin.Constantin 1er lui fit connaître dans tous ses détails la vision angélique. En apprenant la mort de

son vénérable évêque, Hubert fondit en larmes. Mais quand le Pape eut ajouté que le disciple devait succéder au maître, et devenir évêque de Tongres, le pèlerin refusa nettement, se déclarant indigne d’un tel honneur.

Mais Dieu manifesta sa volonté d'une manière irrécusable, en revêtant miraculeusement l'élu des ornements pontificaux de saint Lambert. Hubert se soumit alors et reçut du Pontife la consécration épiscopale. Constantin 1er envoya aussitôt Hubert recueillir l'héritage sanglant que saint Lambert lui léguait. C'était l'heure du péril. Alpaïde, dont les mains étaient encore teintes du sang innocent, ne devait pas se résoudre à céder facilement devant un évêque décidé, du reste, à se montrer aussi inflexible dans le devoir que l'avait été son prédécesseur. Mais Hubert fut assez heureux pour toucher le cœur de Pépin et l'amener à la pénitence. Alpaïde fut renvoyée. Elle trouva auprès de l'évêque un asile miséricordieux ; il lui fit réparer sa vie criminelle dans la pénitence du cloître. Elle se retira, en effet, au monastère d Orp-le-Grand, près de Jodoigne. Pépin avec toute sa cour témoigna à Hubert une vénération profonde, dont il ne se départit jamais jusqu'à sa mort, en 714.

Le triomphe de saint Lambert.

Des miracles éclatants s'accomplissaient au lieu même où Lambert avait été martyrisé ; des aveugles y avaient recouvré la vue. La piété populaire, ravivée sans cesse par de nouveaux prodiges, avait entouré d'une vénération spéciale le lieu où Lambert avait versé son sang pour le Christ. Son successeur au siège épiscopal s'y rendit, et, tandis qu'il célébrait la messe, il reçut du ciel l'avertissement de transporter de Maestricht à Liège le corps du saint martyr et le siège de son évêché.

Après avoir pris conseil de ses collègues dans l'épiscopat, Hubert ordonna la solennelle translation des reliques du Saint. Elle eut lieu la veille de Noël de l'an 710. Une foule d'évêques, de prêtres et de moines y accoururent de tous les points de la région et des pays environnants. A l'aube, Hubert s'approche du sépulcre où repose le saint martyr. Dès que la pierre qui fermait le tombeau fut enlevée, un parfum suave se répandit aussitôt et le corps de saint Lambert apparut aux yeux de tous, intact, comme endormi. Hubert lui-même, aidé de quelques prélats, le souleva du tombeau, l'enveloppa dans de précieuses étoffes et déposa dans une riche cassette les vêtements avec lesquels le saint pontife avait été enseveli. On ne peut dire avec quelles marques d’honneur les précieuses reliques furent accueillies sur tout le parcours. Aussi des miracles signalèrent-ils le passage du corps de saint Lambert.

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Le cerf mystérieux pendant la chasse de saint Hubert.

Grande fut la joie des habitants de la petite bourgade de Liége, quand ils virent arriver chez eux les dépouilles du saint martyr, qui furent déposées dans l'église qu'Hubert avait fait bâtir en l'honneur de son saint prédécesseur, à l'endroit même de son martyre. En 720, Hubert transporta le siège de son évêché à Liège, et Charles Martel, qui avait succédé à Pépin d'Héristal, lui donna pleine possession de cette cité, ainsi que de nombreuses terres environnantes. Jusqu'au commencement du XIXe siècle, les évêques en demeurèrent les naturels et légitimes gouverneurs.

Saint Hubert apôtre. – Ses miracles.

Hubert, fondateur de l'Eglise de Liège, y plaça le flambeau de sa vie apostolique. La multitude des idolâtres se pressait près de lui, sollicitant la grâce du baptême.

« La parole d'Hubert, dit un biographe, avait une douceur, une grâce, une force irrésistibles. » L'amour infini de Dieu pour les hommes, et réciproquement, les joies célestes de l'amour des hommes pour Dieu, l'élévation surnaturelle du chrétien, et le respect qu'on doit avoir pour les temples vivants de Jésus-Christ, revenaient dans presque tous ses discours. On ne se lassait pas de l'entendre. Mais, à la puissance du verbe chrétien, il ajoutait celle des miracles. Un jour, le saint pontife paya l'hospitalité qu'on lui avait donnée, en arrêtant, d'un signe de croix, le feu qui avait déjà pris à la maison de ses charitables hôtes. Une autre fois, une sécheresse extraordinaire désolait les campagnes. Hubert se mit à genoux et pria avec ferveur. Aussitôt, le ciel se couvrit de nuages, et la pluie tomba avec abondance. Mais son pouvoir brilla surtout à l'occasion des désastres causés par les chiens, les loups et les ours enragés qui furent, à cette époque, les instruments de la justice divine pour punir de leurs crimes les habitants du pays, ainsi que les sauvages habitants des

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provinces voisines coupables d'avoir persécuté tant de saints évêques et pillé les biens de l'Eglise.En l'an 717, Hubert annonçait la parole de Dieu au peuple rie Villers-l’Evêque, quand tout a

coup un étranger, atteint de la rage, se précipita au milieu de la foule qui, saisie de crainte, s'empressa de prendre la fuite en laissant seul le saint évêque. Celui-ci, affligé et désolé de la dispersion de ses auditeurs, commanda avec autorité à la rage d'abandonner cet homme et de le rendre à la santé. La rage obéit à cet ordre ; le malade, parfaitement guéri et devenu doux comme un agneau, alla rappeler lui-même les fugitifs pour les inviter à venir entendre de nouveau la parole de Dieu.

Sa mort.

Hubert reçut du ciel l'annonce de sa fin prochaine. Il s'y prépara saintement, et malgré les atteintes d'une fièvre violente, il eut encore assez d'énergie pour aller consacrer l'église d'Héverlé, près de Louvain. Ce fut le dernier travail du pasteur. Au retour, il dut s'arrêter à Tervueren, terrassé par la maladie. C'est là qu'il devait encore passer cinq jours dans l'insomnie et la fièvre. Alors il ne cessa plus de prier, récitant avec grande dévotion les psaumes de l'Office. Arrivé à l'oraison dominicale, il expira en prononçant les premiers mots. Il était âgé de 70 ans. C'était le 30 mai 727.

Les funérailles du Pontife furent triomphales. On le transporta à l'église Saint-Pierre de Liége, qu'il avait fait construire et où il fut inhumé. Les miracles se multiplièrent sur sa tombe. On avait déposé sur le cercueil un rameau vert, symbole de céleste victoire ; il s'allongea tout à coup, dit-on, de deux palmes pour couvrir tout le corps du Saint, Dieu voulant ainsi manifester qu'il vivait de l'éternelle vie.

Le culte de saint Hubert.

Les fidèles prirent bien vite l'habitude de se rendre au tombeau du serviteur de Dieu pour y prier, et comme Hubert exauçait leurs supplications, son culte se répandit rapidement dans toute la région et au delà. Les honneurs de la canonisation, telle qu'elle se pratiquait alors et telle que lui-même l'avait procurée à son prédécesseur saint Lambert, lui furent décernés, le 3 novembre 743. Quand on eut ôté la pierre qui fermait le sépulcre, le corps du Pontife apparut intact aux yeux de tous ; intacts aussi étaient ses vêtements. Touché du prodige qu'on lui avait rapporté, le roi Carloman voulut se joindre aux évêques et aux prélats pour élever sur l’autel les restes sacrés de l'apôtre des Ardennes. Cependant, malgré le culte dont elle entourait le Pontife, qu'elle pouvait saluer du titre de fondateur, la ville naissante de Liége ne devait pas conserver longtemps ce précieux trésor. La divine Providence réservait l'honneur de sa sépulture à l'église d'Andage, en Ardenne, monastère de clercs fondé par Pépin II et sa femme, au début du VIIIe siècle. Cédant aux instances des moines d'Andage, l'évêque de Liége, Walcaud, réformateur de cette maison, y transféra solennellement le corps de saint Hubert. L'empereur Louis le Pieux voulut assister en personne à cette translation. Un grand concours de peuple, plusieurs évêques des Gaules et d'Allemagne, suivirent le cortège jusqu'à la Meuse.

Le trajet de Liège au monastère d'Andage dura cinq ou six jours :On arrive à destination le 30 septembre 825. Sitôt que les populations environnantes du

Condroz et surtout des Ardennes connurent l'arrivée du corps de saint Hubert, on les vit venir en procession prier auprès des reliques du glorieux Pontife. Les merveilleuses guérisons obtenues par l'intercession du Saint attirèrent une foule si grande que le pèlerinage de saint Hubert fut bientôt mis au nombre des plus célèbres du monde entier. Andage est devenu par la suite un bourg important, qui prit le nom de Saint-Hubert. Il est actuellement chef-lieu d'un doyenné.

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On invoque saint Hubert contre la rage, l'épilepsie, les maladies nerveuses et aussi dans les peines et les afflictions. De nos jours encore, nombreux sont les pèlerins qui gravissent la colline où s'élève la magnifique église abritant ses restes sacrés. Un prêtre impose au malade l'étole que saint Hubert aurait reçue du ciel au jour de son sacre. Elle a la forme d'un immense galon, d'un mètre environ de longueur et large de quatre centimètres et demi. Elle est en tissu de soie blanche mêlée de filaments d'or. Depuis l'exhumation de 825, où on la trouva dans le cercueil du Saint, on en détache de temps en temps des parcelles, soit pour toucher des objets bénits, tels que chapelets, médailles, clés, soit pour l'opération de la taille.

Dans le premier cas, on coupe un très petit morceau de la sainte étole, que l'on applique sur une pelote et que l'on remplace quand il est usé. Dans le second, on détache des fils que l'on réduit ensuite en parcelles ; c'est une de ces parcelles qu'on insère dans la légère incision faite au front du malade au moyen d'une lancette ; cette parcelle est maintenue par l'application immédiate d'un bandeau que la personne opérée doit porter pendant neuf jours.

La fête est célébrée chaque année le 3 novembre, anniversaire de l'élévation de ses reliques. Un des moyens les plus usités pour obtenir la protection du glorieux apôtre des Ardennes est de se faire inscrire dans la Confrérie érigée dans l'église abbatiale depuis plusieurs siècles. Le 24 juin 1510, le Pape Jules II l'approuva et l'enrichit de plusieurs privilèges et indulgences. Léon X, Grégoire XIII, Paul V et Grégoire XV l'approuvèrent de nouveau et en confirmèrent les règles et statuts. Parmi ceux qui se sont fait inscrire dans cette Confrérie, citons entre autres, le roi de France Louis XIII, avec la reine son épouse, sa mère et son frère, ainsi que le cardinal de Richelieu et le maréchal de Bassompierre.

On a coutume de faire bénir des petits pains en l'honneur de saint Hubert. On les mange dévotement afin d'être préservé de la rage et des maladies par son intercession. On en donne également à manger aux animaux dans le même but, après les avoir marqués avec un petit instrument qu'on appelle « clef de saint Hubert ».

A.R.Sources consultées. – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes (Paris). – Ch. Des Granges, Vie de

saint Hubert (Bibliothèque des Chasseurs). – Saint-Hubert-en-Ardenne (Manuel du pèlerin). – (V.S.B.P., n° 247 et 1080.)

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PAROLES DES SAINTS__________

Imitation de Jésus.

Il est nécessaire que Jésus-Christ opère avec nous, et nous avec lui ; que nous parlions comme lui ; que nous soyons animés de son esprit ; que nous soyons en lui comme il était en son Père. Il ne prêchait que 1a doctrine que son Père lui avait enseignée. Nous devons faire profession de régler toutes nos démarches sur la doctrine de Jésus-Christ, qui ne peut jamais nous tromper, et non sur les maximes trompeuses du monde. On doit se proposer d'imiter le Fils de Dieu, « qui commença par faire, et qui ensuite enseigna ». Il faut avoir pratiqué soi-même pendant longtemps ce qu'on veut enseigner aux autres.

Saint Vincent de Paul.

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SAINT CHARLES BORROMEECardinal et archevêque de Milan (1538-1584)

Fête le 4 novembre.

Le nom de Borromée dérive de bon romèo, mots vieillis de la langue italienne, qui signifiaient à l'origine bon pèlerin de Rome et plus tard, simplement bon pèlerin. C'est sous cette forme de Bon Romèo que saint Charles aimait lui-même à écrire son nom patronymique dans ses lettres de jeunesse.

La famille Borromée.

Les Borromée étaient une antique famille milanaise qui, par ses vertus et les services rendus au pays, avait acquis une haute situation politique et sociale. Les rois d'Espagne lui avaient confié la garde la place forte d'Arona, l'une des plus importantes du duché de Milan, située sur le Lac Majeur, à l'entrée des premières vallées alpestres.

Aujourd'hui, on voit à Arona, dominant au loin le lac et la vallée inférieure du Tessin, une statue colossale de notre Saint. Le monument n'est point trop grand pour le héros dont le nom a

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rempli le monde et dont le souvenir plane encore mystérieusement sur toute la plaine lombarde. C'est à Arona surtout qu'il faut rechercher les souvenirs de son enfance, plutôt que dans les fameuses îles Borromées avec leurs jardins et leur palais, dont Charles ne connut jamais les splendeurs.

Son père était le comte Giberto Borromée, un chrétien dans toute la force du mot. Au milieu des honneurs dont le monde l'entourait, le noble seigneur menait la vie d'un religieux. Tous les jours, il récitait l'office et donnait plusieurs heures à la méditation ; souvent même, on le voyait, revêtu de l'habit de pénitent, se livrer aux pratiques les plus austères. Giberto avait épousé, en 1528, Marguerite de Médicis, noble demoiselle issue d'une famille lombarde qui n'avait de commun que le nom avec les Médicis de Florence et sœur du futur Pie IV. La piété de Marguerite égalait celle de son époux, et elle s'appliqua de toute son âme à la communiquer à ses enfants. Charles naquit au château d'Arona le 2 octobre 1538. Un frère et une sœur, Frédéric et Isabelle, l'avaient précédé en ce monde. Les actes du procès de canonisation relatent une tradition locale d'après laquelle, la nuit de sa naissance, une merveilleuse clarté, semblable à un arc-en-ciel, illuminait les alentours du château d'Aruna. En vérité c'était bien le lever d'un astre resplendissant au firmament de l’Eglise.

Le premier appel de Dieu. – L'étudiant.

L'enfance de Charles se passa à Arona, à l'école de ses pieux parents. Les biographes nous le représentent comme un enfant sérieux et doux. Un de ses plus agréables passe-temps était de jouer à la chapelle.

Quand il fut un peu plus grandelet, écrit un vieil auteur, fuyant les légèretés et entêtements enfantins, n'avait d’autre délectation et plaisir qu'à faire des petits autels, chanter les louanges de Dieu et faire d’autres semblables choses, qui donnaient un indice manifeste de sa vocation singulière.

L'appel de Dieu se manifesta d'ailleurs de très bonne heure et, il faut le dire, à la grande satisfaction des siens. Selon les coutumes du temps, le droit d'aînesse établissait Frédéric, premier fils de Giberto, l'héritier de ses biens et de sa dignité. Il ne restait à Charles qu'à se créer une situation dans le monde ou à se consacrer à Dieu dans l'état ecclésiastique. C'est à ce dernier parti qu'il s'arrêta de lui-même, et de très bonne heure. Il n'avait, en effet, que huit ans, le 13 octobre 1545, lorsqu'il reçut la tonsure à Milan, dans l'église de Saint-Jean-Quatre-Faces. Cette cérémonie faisait de lui un clerc et lui donnait le droit de percevoir les fruits des biens ecclésiastiques dont il pourrait être désormais investi. Il attendit encore cinq ans. Son oncle paternel, Jules-Charles Borromée, lui céda alors l'abbaye des Saints-Gratinien et Félin. Un jour, l'Eglise interdira l'abus de la collation des bénéfices aux enfants ; mais pour le jeune Charles ce fut sans inconvénient. Com-prenant les grandes responsabilités qui pesaient sur lui, il donna l'ordre de distribuer aux pauvres les revenus de l'abbaye et il ne permit jamais qu'on détournât des œuvres de charité les biens provenant de l'Eglise. « C'est le bien de Dieu et par conséquent des pauvres », disait-il, et il ne voulut jamais les faire servir à ses besoins personnels. Charles fut envoyé à Milan pour y apprendre les lettres et particulièrement le latin. Son esprit lent et positif plutôt que souple et brillant ne le disposait guère aux études littéraires. Mais sa persévérante énergie triompha des difficultés, si bien qu'à l'âge de quatorze ans on le jugea capable de suivre les cours de droit à l'Université de Pavie où enseignait alors le célèbre Francesco Alciato.

Il avait à peine vingt et un ans (1559), lorsqu'il fut proclamé docteur in utroque iure. A cette occasion, son maître, Francesco Alciato, prononça un éloge chaleureux du récipiendaire.

- Charles, s'écria-t-il, entreprendra de grandes choses et brillera comme une étoile dans l'Eglise.Les parents du Saint n'étaient plus là pour se réjouir de ses succès. Marguerite avait quitté ce

monde dix ans auparavant, en 1548, et le comte Giberto était mort depuis quelques mois. Bien que

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le plus jeune, c'est Charles qui était de fait, le tuteur de ses frères et sœurs. Il montra un talent remarquable à mettre ordre à la succession de ses parents et à conserver à son frère Frédéric le commandement de la place d’Arona. Mais s’il s’oubliait lui-même, Dieu ne l’oubliait pas, et lui préparait mystérieusement les voies. Un fait providentiel, qui devait imprimer à sa vie une direction définitive, se produisit peu après. Le 26 décembre 1559, son oncle maternel, Jean-Ange de Médicis, était élu Pape. Il fut couronné sous le nom de Pie IV le 6 janvier 1560. Son avènement causa une grande joie à Rome, car on comptait qu’il mettrait fin aux intrigues qui avaient attristé les dernières années de son prédécesseur Paul IV. Le nouveau Pontife, qui connaissait les admirables qualités de son neveu Charles, résolut aussitôt de se l’attacher et d’en faire son bras droit dans le gouvernement de l’Eglise.

Les ascensions d'une âme.

Arrivé à Rome en janvier 1560, Charles fut nommé immédiatement protonotaire apostolique, puis référendaire de la signature pontificale. C’étaient là déjà des titres considérables pour un jeune homme de vingt-deux ans. Les choses n’en restèrent point là. Mû par une visible inspiration du ciel, Pie IV fit entrer son neveu, dès le 31 janvier, dans le Sacré-Collège et lui assigna pour titre cardinalice la diaconie des Saints Vite et Modeste. Peu après, le 8 février, Charles était nommé administrateur de l’Eglise de Milan, faute de pouvoir porter déjà le titre d’archevêque, n’étant pas encore prêtre. Il devait encore, accumulant titres sur titres, recevoir les trois légations de Bologne, de Romagne et des Marches, ainsi que plusieurs abbayes. Plus tard, Pie IV devait encore lui conférer les charges d’archiprêtre de Sainte-Marie Majeure, de grand-pénitencier et de protecteur de diverses nations et Ordres religieux.

On s’étonnerait aujourd’hui de voir confier des missions et des charges si importantes à un jeune homme. Les contemporains, eux, n’en étaient point choqués. C’était dans les mœurs du temps. En ce qui touche saint Charles, il faut bien reconnaître que le népotisme de Pie IV ne pouvait être plus heureux. Charles n’était point encore tellement détaché des honneurs et de la famille, qu’il fut insensible au bon renom et à la fortune des siens. Il contribua de tout son pouvoir au brillant établissement de ses aînés. Avant la fin de sa première année de Rome, sa sœur Camille était fiancée au prince César de Gonzague, des ducs de Mantoue, et son frère Frédéric épousait Virginie della Rovere, fille du duc d’Urbino. Ce frère portait en lui tous les espoirs de sa famille. Son mariage princier et la charge de général de la Sainte Eglise que Charles lui obtint, semblaient marquer le début d'une brillante carrière. La mort inattendue de tous, faucha toutes ces belles espé-rances.

La douleur du jeune cardinal fut sans mesure ; mais ce fut aussi pour lui une lumière de la grâce.

Cet événement, plus qu'aucun autre, m'a fait toucher au vif notre misère et la vraie félicité de la gloire éternelle.

Dès lors, il retrancha énergiquement tout ce qu'il pouvait y avoir encore de mondain dans sa vie. S'étant mis sous la direction du P. Ribera, de la Compagnie de Jésus, il s'adonna avec une ardeur nouvelle aux pratiques de la vie intérieure, acheva ses études de théologie et se prépara à son ordination sacerdotale, qui eut lieu en l'église des Saints-Apôtres au commencement d'août 1563.

Saint Charles et le Concile de Trente.

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Le jeune cardinal Borromée fut mêlé, du vivant de son oncle, Pie IV, à un grand nombre d'affaires religieuses et politiques. On ne saurait les mentionner toutes. Il faut toutefois signaler la part qu'il prit au Concile de Trente (1545-1563), dont il fit rédiger les Actes et le célèbre Catéchisme. Il collabora aussi à la réforme du Bréviaire. Le Saint donna le premier l'exemple dans l'application des décrets du Concile. II restreignit le train de sa maison et s'employa de tout son pouvoir à la destruction des abus dans la ville même de Rome. Dieu lui donna le plus précieux auxiliaire en saint Philippe Néri qui seconda efficacement son zèle auprès du clergé romain. L'un et l'autre rivalisaient de zèle pour ravir les âmes au démon. C'est ce qu'exprimait Philippe lorsqu'il criait à Charles : Au voleur !

La réforme de la musique religieuse, édictée par le Concile, donna lieu à un épisode touchant qui mérite d'être rappelé ici. Il y avait alors à Rome un musicien de génie, Giovanni Pierluigi da Palestrina, maître de chapelle à Sainte-Marie Majeure depuis 1561. A prendre au pied de la lettre les décrets du Concile, toute polyphonie semblait devoir être exclue de la musique sacrée. Or, Pie IV, très musicien, n'était guère disposé à cette suppression radicale. On chercha une solution. Palestrina la donna victorieusement. Il composa trois messes qui furent exécutées devant une Commission car-dinalice et qui suscitèrent un vif enthousiasme. La troisième, dite messe du pape Marcel, fut jugée un chef-d'œuvre. Ses accents simples et profondément religieux nous émeuvent encore, comme ils émurent Pie IV et les cardinaux romains en l'an de grâce 1564.

Ce fut en cette même année que Charles commença à prendre des mesures importantes dans l'administration de son archevêché de Milan. Ne pouvant encore se rendre en personne à son siège, il se fit précéder par un vicaire général aussi savant que pieux, Nicolas Ormanetto. Il l'appela à Rome, lui donna ses instructions et l'envoya à Milan, muni de pleins pouvoirs, au mois de juin. Ce fut seulement au cours de l'été suivant que Pie IV permit à son neveu d'aller passer quelque temps à Milan, pour prendre possession de son siège archiépiscopal et tenir le Concile provincial prescrit par les décrets du Concile de Trente. Voulant que ce voyage servît à Charles pour se rendre compte des progrès de la réforme catholique dans les régions qu'il aurait à traverser. Le Pape lui conféra les pouvoirs de légat a latere pour toute l'Italie. Le jeune archevêque n'eut rien de plus à cœur que de hâter la réunion du Concile projeté. Onze évêques y prirent part. Non content de promulguer les décrets du Concile de Trente, le cardinal fit décider plusieurs mesures destinées à en faciliter l'application. La mort de Pie IV, en décembre 1565, le ramena soudain à Rome et il prit part au Conclave qui devait donner à l'Eglise un très grand pape, l'illustre saint Pie V.

L'archevêque de Milan.

Le nouveau pontife ayant rendu à Charles sa liberté, celui-ci en usa sans retard pour regagner sa ville archiépiscopale, où il rentra, sans éclat, le 5 avril 1566. Dégagé désormais de toutes les préoccupations qui l'avaient jusque-là absorbé, tandis qu'il prêtait son concours au gouvernement du monde chrétien, il se consacra d'une façon absolue aux devoirs de sa charge pastorale. Notons tout de suite que son action continua à rayonner par toute l'Italie. C'est ainsi qu'on le vit accomplir diverses missions auprès des grands de la péninsule. C'est à l'occasion d'un de ces voyages qu'il connut saint Louis de Gonzague et lui fit faire sa première Communion. D'importantes réformes s'imposaient. Le désordre s'était introduit dans les rangs du clergé, et les laïques, rompant impunément la clôture, pénétraient dans les couvents, où les vierges n'étaient plus défendues contre les séductions du monde.

L'archevêque résolut de prêcher d'exemple et de se sacrifier pour son peuple. Dans son palais épiscopal, il menait la vie d'un véritable anachorète ; à la fin de sa vie, le pain et l'eau formèrent sa seule nourriture, et encore ne prenait-il ce modeste repas qu'une fois par jour ; ses austérités

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devinrent telles que sa santé fut compromise, et que le Pape, l'ayant appris, lui ordonna d'apporter quelque tempérament à tant de mortifications. Il vendit ses meubles précieux, se débarrassa de ses riches habits et résigna tous les bénéfices que son oncle lui avait donnés. Après avoir ainsi réduit ses revenus, il employa ce qui restait à l'entretien des Séminaires, des hôpitaux, des écoles et au soulagement des pauvres honteux et des mendiants. Le démon ne pouvait voir ces heureuses améliorations s'accomplir sans faire éclater sa rage. Il communiqua son esprit de vengeance à quelques misérables qui n'avaient pris l'habit religieux que pour mieux séduire le peuple.

Exaspérés par le courage et la fermeté que déployait le saint évêque, les imposteurs résolurent de se défaire de lui, et, un soir, pendant qu'il disait la prière dans sa chapelle particulière, avec ses familiers, un assassin entra furtivement et déchargea son arquebuse sur le prélat. La balle traversa les habits jusqu'à la chair ; mais, comme si elle eût été arrêtée par une main invisible, elle tomba aux pieds du Saint. Au bruit de la détonation, les familiers s'étaient levés pour se jeter sur l'assassin, mais, d'un geste plein d'autorité, le cardinal les retint à leur place, et il continua la prière, comme s'il n'était arrivé aucun incident. Malgré les supplications de l'archevêque, la justice séculière fut inexorable, et l'assassin subit, avec ses complices, la peine du parricide. Charles comprit que ces prédications demeuraient stériles s’il ne donnait à son Eglise un clergé capable de seconder ses efforts. Il fonda dans ce but, trois séminaires et plusieurs écoles ecclésiastiques. L’archevêque fit appel au dévouement des religieux, pour l’aider à évangéliser son peuple. Sur sa demande, les Jésuites vinrent s'établir à Milan, et il leur confia l'église paroissiale de Saint-Fidèle. S'occupant avec un soin tout particulier de l'éducation de la jeunesse, il fonda des collèges à Lucerne et à Fribourg et il en donna la direction aux Jésuites, qu'il avait pu apprécier à Milan. Il établit aussi les Théatins dans sa ville métropolitaine, et leur donna l'église et l'abbaye de Saint-Antoine ; enfin, il appela les Capucins et leur confia l'évangélisation des montagnes de la Suisse, où leur influence salutaire se manifesta bientôt. Ce n'était pas encore assez, et le Saint, pour refréner les audaces du libertinage et de l'hérésie, convoqua jusqu'à six Conciles provinciaux et onze synodes diocésains. Grâce aux dispositions prises dans toutes ces assemblées, la discipline ecclésiastique retrouva toute sa vigueur, et l'on vit peu à peu disparaître du diocèse les nombreux abus antérieurs.

La peste de Milan en 1576.

Malgré ses efforts, le cardinal n'arrivait pas à triompher des dernières résistances. Voyant qu’on méprisait ses conseils, il annonça l’approche du châtiment divin. Des fêtes licencieuses, contre lesquelles il avait vainement protesté, venaient de se donner à l’occasion du passage du prince don Juan d’Autriche, le héros de Lépante. Elles n’étaient pas terminées que la peste se déclara dans la ville, à deux endroits à la fois. Aux premiers indices de la contagion, le prince, le gouverneur, les magistrats municipaux s’enfuirent précipitamment, et l’archevêque demeura seul avec son clergé dans la ville désertée par les agents de l’autorité civile. En vain des conseillers timides le pressèrent-ils de partir, sous prétexte de se conserver à son peuple et de ne pas priver de ses soins tout le reste du troupeau ; le Saint n’était pas un « pasteur mercenaire », et au milieu de la tourmente, il voulut partager toutes les tribulations des brebis. Six mois durant, il fut la providence des pauvres, des mourants, des affamés.

Après avoir vendu son argenterie pour subvenir aux besoins des malheureux dont le nombre augmentait tous les jours, il donna aux pestiférés les meubles de sa maison, ses habits, et jusqu’à son propre lit. On le voyait passer à travers des monceaux de cadavres, pour porter aux mourants les derniers sacrements. Il voulut visiter lui-même toutes les maisons et tous les hôpitaux, et aucune misère n’échappa à son inépuisable charité ; on évalue à 70 000 le nombre de ceux que ses libéralités arrachèrent à la mort ! Ce n’était pas assez ; il lui restait à conjurer le fléau. En présence de ce malheur public, il eut recours à la prière publique, et il donna l’ordre de faire des processions dans toute la ville. Lui-même, les pieds nus, le Crucifix dans les mains, la corde autour du cou, dans

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ces cérémonies expiatoires, il s’offrait en holocauste, et il ne cessait de crier dans le rues et sur les places publiques : « Miséricorde, Seigneur, miséricorde ! » La prière de l’archevêque fut enfin entendue, le fléau disparut.

Sa sainte mort.

Le cardinal faisait chaque année, une retraite spirituelle suivie d'une confession générale. A l'automne de 1584, il se rendit dans ce but au Sacro Monte de Varallo. Il y avait là un sanctuaire élevé par un pieux Franciscain, un siècle auparavant, en l'honneur de Jésus souffrant. Ce lieu était devenu un centre important de prière et de nombreuses chapelles y avaient été élevées pour rappeler les diverses scènes de la Passion. L'ensemble de ces édifices forme un pèlerinage particulièrement fréquenté de nos jours encore.

L'archevêque sortit de sa retraite, transporté par la contemplation des choses éternelles et avec le pressentiment de sa mort prochaine. Vers la fin d'octobre, il eut plusieurs accès de fièvre, mais il voulut, avant de rentrer à Milan, procéder à une fondation qu'il avait à cœur. Il se rendit en barque, étendu sur un matelas, jusqu'à la petite ville d'Ascona, près de Locarno, et présida à l'inauguration d'un Séminaire qu'il avait fait construire pour les clercs de cette région.

Ce fut son dernier effort. Le mal augmentant tous les jours, il donna l'ordre qu'on le transportât à Milan, où il espérait célébrer, le jour de la Toussaint, sa dernière messe pontificale. Obligé de s'arrêter en chemin, il ne put arriver que le 3 novembre, à 2 heures du matin, dans sa ville métropolitaine, et comme la maladie l'empêchait de se lever, il ordonna qu'on dressât un autel dans sa chambre, et il fit placer sur son lit un tableau de l'agonie de Notre-Seigneur au jardin des Oliviers. Le 4 novembre au matin, il reçut le Viatique et l'Extrême-Onction, puis, faisant couvrir de cendres bénites une de ses haires, il la prit sur son corps afin d'être muni de l'armure de la pénitence contre les derniers assauts de l'ennemi.

Cependant, la nouvelle de la maladie s'était répandue à travers la ville ; le peuple se pressait dans les églises pour demander la guérison du pontife, et une foule compacte attendait avec anxiété devant la porte du palais archiépiscopal. Son attente ne devait pas être longue. A 3 heures du soir, les cloches de la cathédrale annonçaient au peuple de Milan que son père était mort.

La cause de béatification et canonisation fut rapide entre toutes. Béatifié en 1604, ce fut à la Toussaint de 1610, donc vingt-six ans seulement après sa mort, que le grand Cardinal fut solennellement proclamé Saint par Paul V.

Son corps repose dans la crypte de la cathédrale de Milan, où les pèlerins peuvent le voir et le vénérer.

R.B.

Sources consultées. – Agostino Valerio, Vita Caroli Borromaei (Rome, 1586). – Bascape, De vita et rebus geslis Caroli Borromaei (Ingolstadt, 1592). – Mgr Ch. Sylvain, Histoire de saint Charles Borromée (Lille, 1885). – San Carlo Borroméo, nel terzo centenario della canonizazione (Milan, 1910). – Léonce Celier, Saint Charles Borromée (Collection Les Saints, 1912). – (V.S.B.P., n° 37.)

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Le prêtre Zacharie. – Son mariage avec sainte Élisabeth.

Aux jours du roi Hérode, surnommé le Grand, usurpateur du sceptre de Judée et tyran exécrable, mais qui eut du moins le mérite de reconstituer en partie le Temple de Jérusalem, vivait un prêtre du nom de Zacharie. C’était un prêtre d’une condition toute simple, comme il y en avait des milliers d’autres, bien que certains écrivains ecclésiastiques lui attribuent sans preuves la dignité pontificale. David avait divisé les prêtres en vingt-quatre classes, qui devaient à tour de rôle remplir le ministère sacerdotal dans le Temple pendant une semaine ; or Zacharie était de la classe d’Abia. Il avait épousé une jeune fille du nom d’Elisabeth, comme lui de la descendance d’Aaron.

Le saint Evangile nous dit ceci des deux époux : « Ils étaient tous deux justes devant le Seigneur, marchant dans le chemin de tous ses commandements et selon les prescriptions de la loi sans donner lieu à aucune plainte. » Cependant aux yeux du monde, le mariage n’avait pas été béni, on le réputait presque malheureux, car bien des années s’étaient écoulées et Elisabeth n’avait point d’enfants ; or, la stérilité était réputée une honte chez le peuple juif. Les époux subirent l’opprobre de l’opinion, avec patience, ils savaient que Dieu était avec eux, et comme d'autres saintes femmes de la Bible, à qui le Seigneur fit attendre un fils pour la naissance duquel il voulait de longues prières, Elisabeth priait et offrait son épreuve.

Apparition de l'ange Gabriel. – Saint Zacharie devient muet.

Chaque semaine, le sort désignait le lévite qui devait pénétrer dans le Saint des saints et y offrir matin et soir le sacrifice de l'encens ; il arriva que Zacharie fut délégué à cette mission. A l'heure du sacrifice, il était donc entré au Temple pour remplir ses fonctions, tenant l'encens, tandis que la foule se pressait au dehors afin d'unir ses prières à celles du prêtre. C'est ordinairement lorsque les esprits sont ainsi tournés vers Dieu que le Seigneur manifeste ses grâces. A l'heure donc de la prière et du sacrifice, l'ange Gabriel apparut debout à droite de l'autel des parfums, et Zacharie fut effrayé.

- Ne craignez point, Zacharie, dit l'ange, votre prière a été exaucée. Elisabeth, votre femme, enfantera, elle aura un fils et vous le nommerez Jean. Il sera votre joie, et beaucoup se réjouiront de sa naissance, car il sera grand devant le Seigneur, Il ne boira ni vin ni liqueur enivrante, et il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère. Il convertira un grand nombre d'enfants d'Israël au Seigneur leur Dieu, afin de faire revivre les cœurs des pères dans ceux des fils, de ramener les incrédules à la sagesse des justes et de préparer ainsi au Seigneur un peuple parfait.

- A quel signe, demanda le prêtre, reconnaîtrai-je que cela doit arriver, car je suis un vieillard et ma femme est elle-même avancée en âge.

Le signe ne se fit pas attendre :- Je suis Gabriel, répondit l'ange, je me tiens devant Dieu, et j'ai été envoyé pour vous parler et

vous annoncer cette bonne nouvelle, mais voilà que vous serez muet, et vous ne pourrez plus parler jusqu'au jour où ces choses arriveront, parce que vous n'avez pas cru à mes paroles, qui s'accompliront en leur temps.

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Cependant, la foule, impatiente, s'étonnait que le prêtre demeurât si longtemps derrière les voiles du Saint des saints. Aussi, dès que Zacharie sortit, on l'entoura pour lui demander ce qui était arrivé ; il aurait voulu répondre, mais il ne put articuler une parole, et à ce spectacle et aux signes qu'il faisait, le peuple éprouva le sentiment que quelque grande chose s'était accomplie.

Les deux époux dans les montagnes d'Hébron. – L'Annonciation.

Cependant, le temps de son ministère sacerdotal étant achevé, Zacharie céda l'encensoir à celui que le sort appelait à lui succéder et rentra dans sa maison ; Elisabeth conçut dans sa vieillesse et ils s'en allèrent vers les montagnes, probablement à Juttah, près d'Hébron, cacher aux regards des hommes le secret du miracle. Dans cette retraite, Zacharie et Elisabeth rendaient grâces au Seigneur, et pendant cinq mois les hommes ignorèrent la faveur dont ils étaient l’objet ; sans doute déjà, l’un et l’autre redisaient la parole qui devait être répétée à la naissance : « qui sera donc cet enfant ? »

Au bout de cinq mois, l'ange Gabriel descendit de nouveau sur terre et il se présenta à Nazareth, en Galilée, à la Vierge Marie :

- Voici, disait le messager du ciel, que vous concevrez un fils vous l'appellerez Jésus.- Comment pourrais-je devenir mère, puisque j'ai résolu de rester vierge ? avait répondu Marie.

L'Esprit-Saint descendra en vous et la vertu du Très-haut étendra sur vous, et celui qui naîtra de vous sera le Fils de Dieu. Or, Marie ne demanda aucun signe de la vérité de cette étonnante nouvelle, mais l'ange le lui donna :

- Voici qu'Élisabeth votre parente a elle aussi, conçu un fils, en sa vieillesse, et celle qui était stérile sera mère dans trois mois, car rien n'est impossible à Dieu.

C'est alors que Marie prononça l'admirable parole qui prépara le mystère de l'Incarnation : « Voici la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon votre parole ! »

En ces mêmes jours, dit le texte sacré, Marie partit pour aller voir sa cousine Élisabeth.

La Visitation. – « Jean est son nom. »

L'Ecriture, en retraçant la scène de la Visitation, ne fait pas mention de Zacharie. Il y assista cependant. Il comprit, quand il connut le tressaillement de son fils dans le sein maternel, que la Mère des vivants était venue visiter sa demeure ; mais son mutisme persistant l'empêcha de joindre ses accents à ceux d'Élisabeth. L'heure approchait néanmoins où les promesses du ciel allaient, se réalisant dans leur plénitude, permettre à Zacharie de rompre le silence. Lorsque le temps de l'enfantement fut arrivé, Elisabeth mit au monde un fils. A la nouvelle de cet événement inattendu, les voisins et les parents, qui ne connaissaient point la prédiction de l’ange et n'avaient pu pénétrer le secret de la Visitation, vinrent en foule admirer la merveille qui s'accomplissait en la nativité de saint Jean le Précurseur et futur Baptiste, et ils faisaient éclater leur joie en bénissant le Seigneur. Le huitième jour, ils se réunirent pour circoncire le nouveau-né et d'un commun accord, ils l'appelaient Zacharie, du nom de son père. Mais Élisabeth s'opposa vivement à ce choix, et, d'une voix inspirée, elle répondit :

- Non, on l'appellera Jean.Cette résistance imprévue provoqua une profonde surprise dans assemblée, et l'on se récria en

disant :- Mais il n'y a personne dans la famille qui porte ce nom ! Zacharie, le père de l'enfant, assistait à la contestation et, malgré la prérogative attachée à

l'autorité paternelle, son mutisme l'empêchait de donner son avis. On résolut de le choisir pour juge du conflit et on l'interrogea par signes pour connaître le nom qu'il voulait donner à l'enfant. Mais

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lui, demandant des tablettes, probablement une planchette de sapin enduite de cire, écrivit avec un poinçon ou stylet :

« Jean est son nom. »Au même instant, alors qu'autour de lui on s'étonnait de cette résolution étrange, sa bouche

s'ouvrit tout à coup, sa langue se délia, et il parla en bénissant le Seigneur.

Le « Benedictus ». – Le nom de saint Zacharie disparaît du texte sacré.

Ce nouveau prodige, qui venait s'ajouter à toutes les merveilles de la naissance miraculeuse de Jean-Baptiste, frappa d'effroi les assistants, et ils se retirèrent pleins de respect pour l'enfant que Dieu prédestinait d'une manière si éclatante. Le bruit de ces événements se répandit dans toute la contrée et les échos redirent aux montagnes de Judée la gloire du futur Précurseur. Au cours de cette journée bénie, le prêtre Zacharie, en présence de la nombreuse parenté accourue pour les fêtes de la Circoncision, fut tout à coup saisi de l'Esprit Saint, et, d'une voix prophétique, entonna le Benedictus, cette belle prière de joie et d'espérance que l'Eglise a insérée dans l'Office divin, et que récitent chaque jour les religieux et les clercs.

Béni soit le Seigneur, Dieu d'Israël, parce qu'il a visité son peuple et opéré sa rédemption. Il nous a suscité un Sauveur puissant dans la maison de David, son serviteur, selon qu'il l'avait annoncé par la bouche de ses saints Prophètes, aux siècles écoulés. Il nous sauvera de nos ennemis et des mains de tous ceux qui nous haïssent. Pour accomplir sa miséricorde envers nos pères, pour montrer qu'il se souvient de son alliance sainte, du serment qu'il a juré à Abraham notre père de nous accorder cette faveur :

Que, délivrés des mains de nos ennemis, nous le servions sans crainte, marchant devant lui dans la sainteté et la justice, tous les jours de notre vie. Et toi, enfant, tu seras appelé le Prophète du Très-Haut, car tu iras devant la face du Seigneur pour lui préparer les voies, pour apprendre à son peuple la science du salut dans la rémission de ses péchés, par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu. Par elles, un Astre, se levant d'en haut, nous a visités, afin d'illuminer ceux qui sont assis dans les ténèbres et les ombres de la mort, et de diriger nos pas dans la voie de la paix.

Il semblait, en effet, appartenir au père de Jean-Baptiste de résumer toutes les prophéties, au moment où leur accomplissement était si proche, et d'annoncer la venue prochaine du Messie en présence du Précurseur et peut-être aussi de la Mère du Christ. La Sainte Vierge assistait à la naissance de Jean-Baptiste, si nous nous rapportons au témoignage de la plupart des Pères de l'Eglise et des Docteurs. Aussi, l'iconographie a-t-elle plus d'une fois représenté la Mère de Dieu portant le Précurseur entre ses bras, ce qui dire à saint Bonaventure : « Jamais plus bel enfant eut-il plus belle porteuse !

Par une permission du ciel, Zacharie, dont le mutisme avait été le premier indice des grands événements qui allaient s'accomplir, dévoilait, par un chant inspiré, les secrets de la Providence divine. Sa mission était dès lors remplie : Jean-Baptiste apparaissait au milieu des hommes et le monde attendait le Sauveur, dont le père du Précurseur avait chanté la venue prochaine. A partir de ce moment, l'Évangile ne fait plus mention de l'époux d'Élisabeth, et l'on est obligé de recourir aux légendes populaires pour compléter le récit de sa vie.

Traditions et légendes sur la mort de saint Zacharie.Protection miraculeuse de sainte Élisabeth et de saint Jean.

Sur la mort de Zacharie les versions sont nombreuses, assez variées dans les détails. Certaines présentent des détails si puérils qu'ils ne supportent pas la critique. Selon Origène, Zacharie aurait été mis à mort par les Juifs pour avoir prophétisé la venue du Sauveur ; mais l'opinion la plus

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commune en Orient fut qu'il avait été tué par Hérode, jaloux de son autorité, à la place du petit Jean qui avait échappé par la fuite au glaive de ses soldats. Plusieurs ont identifié sans aucune preuve le père de saint Jean Baptiste avec un autre Zacharie, fils de Barachie, que Notre-Seigneur (Matth, XXIII, 35) cite comme ayant été tué par les pharisiens entre te temple et l'autel. On peut se demander si les circonstances de la mort de ce personnage n'ont pas influencé les écrivains qui ont raconté la mort de l'époux de sainte Élisabeth. Parmi les légendes qui nous ont été transmises, nous en citerons une empruntée à un manuscrit arabe et qu'ont publiée les Acta Sanctorum ; c'est un récit gracieux dans lequel on a vu autrefois, tout à fait à tort, une homélie de saint Jean Chrysostome.

Aux jours où Jean était né, le roi Hérode s'efforça de le faire mourir et envoya à Zacharie, père de l'enfant, un messager qui lui dit : « Livrez-moi votre fils Jean. » Mais Élisabeth, ayant pris l'enfant en secret, s'était enfuie dans les montagnes parce qu'elle redoutait Hérode. Zacharie dit au satellite qu'Hérode avait envoyé vers lui : « Je ne sais où se trouve mon fils, je suis au service du Seigneur mon Dieu et je ne suis pas retourné dans ma maison. » Hérode lui dit : « Où avez-vous caché votre fils ? Envoyez-le-moi. Ignorez-vous que votre vie est entre mes mains toutes-puissantes ? Zacharie répondit : « Le Seigneur mon Dieu est vivant ! Je ne sais où est mon fils, car je suis au service du Seigneur mon Dieu. Je ne sais où est mon fils. » Alors Hérode se mit en colère et fut rempli d'envie et d'indignation ; la fureur bouleversa son visage et il commanda de mettre à mort Zacharie lorsque celui-ci officierait à l'autel de Dieu. Les satellites étant entrés l'immolèrent entre le temple et l'autel. Par la suite, la jalousie et la colère d'Hérode s'accrurent ; il envoya son armée dans toutes les parties du pays avec l'ordre de se saisir de Jean.

Les soldats aperçurent Élisabeth dans les montagnes, portant son enfant et fuyant aussi rapidement qu'elle le pouvait. Ils s'efforcèrent de s'en emparer. Mais celle-ci s'écria : « Montagne de Dieu, recevez une mère injustement persécutée et son fils. » Et quand elle eut prononcé ces paroles l'ange du Seigneur lui apparut à elle et à son fils ; il les plaça en lieu sûr à l'intérieur de la montagne, et ils y étaient comme s'ils étaient cachés dans les jardins du paradis, dans une lumière éclatante. Et l'ange du Seigneur était avec l'un et l'autre. Mais les soldats ayant constaté le prodige qui s'était produit pour tous les deux se retirèrent et accoururent près du roi ; ils lui firent part du prodige... Lorsque ces faits eurent été rapportés à Hérode, il fut saisi de crainte et il renonça à s'emparer de la mère et de l’enfant…

Alors, l'ange du Seigneur montra à Élisabeth, à l’intérieur de la montagne, une source d’eau vive jaillissante et une grande quantité de pain et du miel sylvestre qui coulait d’un rocher. Et il lui dit : « Cessez d’allaiter votre fils et ne lui donnez pas de pain, mais qu’il soit nourri de miel. » Elisabeth fit ce que l’ange du Seigneur lui avait ordonné… Elle ne connaissait pas encore le meurtre de Zacharie. Et l’ange du Seigneur lui dit : « Elisabeth ! » Elle répondit : « Que voulez-vous, Seigneur ? » Il lui dit : « Le roi Hérode à fait mourir Zacharie, le père de cet enfant. Quant à vous, levez-vous promptement ; prenez votre fils et partez pour la maison de votre père et restez-y jusqu’à ce que votre fils Jean ait grandi. »

Alors, il lui donna un vase rempli de miel sylvestre en disant : « Nourrissez-en cet enfant, parce qu’il est appelé à être un grand prophète en Israël. » Puis il la fit sortir de la montagne et lui montra la voie à suivre et s’éloigna. Elisabeth s’en alla dans la maison de son père et éleva son fils de manière dont l’ange du Seigneur le lui avait ordonné…

Les reliques de saint Zacharie.

Au sujet des reliques de saint Zacharie nous ne sommes pas moins embarrassés pour chercher des précisions : pour l'un, son corps a été emporté et inhumé par les anges ; pour d'autres, il repose dans la vallée de Josaphat ; Sébaste, en Palestine, croit posséder ses restes et ceux de saint Jean dans un même tombeau ; d’autres enfin plaçaient son corps à Beth-Zachari près d'Eleutheropolis. Au Ve siècle, les reliques de saint Zacharie étaient vénérées à Constantinople, en l'église Saint-Jacques, près de Chalcopratia ; au XIe siècle, elles sont à Sainte-Sophie ; la tête se trouve à la fin du XIIe

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siècle dans la chapelle impériale de Buccaléon. Les Albanais on cru posséder des linges teints du sang du père de saint Jean-Baptiste.

Outre celles qui sont conservées à Rome et que nous retrouvons plus loin, les reliques les plus célèbres présentement sont celles qui sont conservées à Venise ; elles ont été données au début du ce siècle au doge Ange Particiaco par l'empereur Léon V. Mais à ce sujet encore on a discuté sur la personnalité de Zacharie, savoir s'il s'agit du fils de Barachie ou du mari de sainte Élisabeth, car Constantinople se glorifiait de posséder les reliques de l'un et de l’autre personnages.

La fête de saint Zacharie.

La fête de saint Zacharie ne figure pas dans les plus anciens livres liturgiques de l'Eglise latine ; elle y pénètre avec le Petit martyrologe romain sous ce titre : Commémoration « de Zacharie, pro-phète, père de saint Jean-Baptiste ».

Le 11 décembre 1609, la S. Congrégation des Rites accorda aux religieuses du couvent de Saint-Zacharie, à Venise, un office du Saint, et lui assigna pour cette fête, semble-t-il, la date du 5 novembre. En 1706, le 24 avril, la même Congrégation approuva, pour les chanoines de la basilique de Sainte-Marie Majeure, à Rome, un « office de saint Zacharie, sous le rite semi-double, à la date du 10 novembre », parce que, dans leur calendrier, la date du 5 était occupée par la fête transférée des saints Innocents. Dans le Propre de cette même basilique, qui fut publié peu de temps après le second décret, la fête de saint Zacharie fut fixée et elle a été maintenue au 15 novembre ; elle y figure avec cette mention : « Fête de saint Zacharie, confesseur, père de saint Jean-Baptiste. Semi-double. Nous possédons son menton et d'autres reliques dans le ciborium des reliques. »

Les Grecs célèbrent la mémoire de ce saint prêtre le 5 septembre ; de même les Arméniens, les Coptes, les Russes et les Abyssins ; les Jacobites l'honorent, conjointement avec sainte Elisabeth, le 16 décembre ; les Syro-Maronites commémorent saint Zacharie et sainte Elisabeth le 25 juin. Outre la fête principale des deux époux, il existe chez les Orientaux une autre fête, celle de l'annonciation de la nativité de saint Jean-Baptiste, au 23 et parfois au 27 Septembre. Chez les Arméniens, le mardi de la troisième semaine après l'Assomption est célébré la mémoire des saints prophètes Ezéchiel, Esdras et « Zacharie, père de saint Jean-Baptiste ». A remarquer que le calendrier copte donne à saint Zacharie le titre de « fils du prêtre Barachie » ; nous avons dit ce qu'il faut penser de cette identification.

Le nom de sainte Elisabeth fut ajouté au Martyrologe romain, à la date du 5 novembre, par le cardinal César Baronius. Actuellement les deux Saints figurent en tête de la liste de ce jour avec la mention suivante : « Saint Zacharie, prêtre et prophète, père du bienheureux Jean-Baptiste, le Précurseur du Seigneur. De plus, sainte Elisabeth, mère du même saint Précurseur.»

A.J.D.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. III de novembre (Bruxelles, 1910). – F. Vigouroux, Dictionnaire biblique (Paris, 1912). – A.Weber, Le Saint Evangile (Paris). – (V.S.B.P., n° 52.)

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PAROLES DES SAINTS_________

La grâce divine.

O puissance toute céleste, qui, du moment où elle s'est rendue maîtresse du cœur, y établit la paix, en chasse les passions ! O doctrine toute divine, qui forme non des poètes, des philosophes et des orateurs, mais qui, de mortels, nous fait devenir immortels, qui nous associe à la nature de Dieu lui-même, et qui de la terre nous élève dans le ciel ! Voilà celle dont le charme secret m'a conduit à la doctrine nouvelle que je professe. Venez avec moi, apprenez ce que j'ai appris ; et puisque j'ai été ce que vous êtes, ne désespérez pas d'être un jour ce que je suis.

Saint Justin.

(Discours aux Grecs.)

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SAINT WINNOC ou WINOCAbbé ou prieur de Wormhoudt (vers 640-716 ?)

Fête le 6 novembre.

Un des essaims les plus féconds de l'inépuisable monastère de Luxeuil, fondé par saint Colomban (…… à Bobbio en 615), fut celui que dirigeait au VIIe siècle l'illustre saint Bertin. Aussi habile dans la direction des âmes que diligent dans la transformation en une plaine fertile du vaste marais au centre duquel établit dans l'île de Sithiu (aujourd'hui la ville de Saint-Omer), ce serviteur de Dieu, par sa grande sainteté, attira sous la règle monastique une multitude de moines, parmi lesquels vingt-deux sont vénérés dans l'Eglise.

Quatre moines bretons.

Quelques années seulement après la fondation de l'abbaye, alors saint Bertin avait déjà cent cinquante moines sous sa direction, quatre jeunes hommes venaient, soit de la Bretagne armoricaine, peut-être de la Bretagne insulaire ou Grande-Bretagne, le prier les admettre au nombre de ses religieux. C'étaient Brodanoc, Ingénoc, Madoc et Winnoc, en qui on a voulu voir quatre frères. Du plus jeune des quatre, Winnoc, d'autres ont dit qu'il était de souche royale, neveu ou frère de saint Judoc ou Judicaël, mais la chose n'est pas certaine, pas plus que le lieu de sa naissance, qu’on a cru retrouver à Plouhinec, au diocèse de Quimper. Quoi qu'il en soit, Winnoc, dès ses plus tendres années, s'était fait remarquer par son grand amour pour Dieu et le mépris des choses du monde, et bientôt il éprouva le désir très vif de se consacrer exclusivement, dans le cloître, au service de Dieu. Il avait communiqué son projet aux trois autres pieux jeunes gens, les engageant à faire de même. La proposition fut acceptée avec enthousiasme. Tous quatre quittent leurs parents et leur patrie, se recommandèrent à Dieu et s’acheminèrent vers l’abbaye de Sithiu, qui suivait encore, selon toutes vraisemblance, la règle de saint Colomban, apportée de Luxeuil et plus sévère que celle de Benoît. Bertin les reçut avec bonheur au nombre de ses novices, car il reconnut en eux des hommes vraiment épris de l’amour de Dieu.

Placé au milieu des vertueux moines et stimulé par leurs exemples, Winnoc voulut aussitôt les imiter et devenir un Saint. « De faibles femmes, des hommes délicats méritent par leurs vertus la couronne des Bienheureux, et nous, jeunes et pleins de forces, nous n’aurions pas le courage de les imiter ? » Ainsi parlait autrefois saint Augustin. Cette pensée, si capable de relever et de fortifier les courages, allait donner à l’Eglise un grand Saint, illustre par sa profonde humilité et ses nombreux miracles.

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Le monastère de Wormhoudt.

Un homme riche et vertueux du nom d'Hérémar donna à saint Bertin, le 1er novembre 695, une villa et une grande étendue de terrain appelée Wormhoudt (à 18 kilomètres de Dunkerque). Le saint Abbé y envoya aussitôt de Sithiu un groupe de religieux dont les quatre moines bretons.

Arrivés à Wormhoudt, les serviteurs de Dieu se mirent à l'œuvre. Le monastère ou comme on disait alors, la cella ne semble pas avoir été une abbaye indépendante, mais un prieuré, demeurant comme tel sous l'autorité de l'Abbé de Sithiu. Les nouveaux venus bâtirent une église, qui fut dédiée à saint Martin. Un chroniqueur, Jean d'Ypres, dit aussi que sur l'ordre de saint Bertin, un hôpital, desservi par des pieuses converses, à qui l'entrée du monastère était interdite, fut construit entre Sithiu et Wormhoudt et reçut les malades de la contrée.

De jour en jour, les serviteurs du Christ croissaient en vertus. L'heure de la séparation sonna bientôt, et Brodanoc, Ingenoc et Madoc furent admis au festin de l'Époux. Winnoc survécut longtemps encore à ses frères d'armes. La petite communauté de Wormhoudt avait reçu de nouveaux membres ; il en fut nommé supérieur par saint Bertin. Obligé de travailler à la fois à sa propre sanctification et à celle de ses enfants spirituels, il regardait en avant et examinait quelles vertus il avait encore à acquérir. Tout supérieur qu’il était, Winnoc se plaisait à servir ses frères et à prendre pour lui les tâches les plus pénibles.

Une étrange meule de moulin et un curieux.

Cependant, le serviteur du Christ était devenu vieux, et ses membres, usés par le travail et la mortification, commençaient à se raidir. Son ardeur infatigable et son amour de la souffrance lui firent affronter une nouvelle occupation. Il se chargea de tourner la meule et de moudre le blé pour ses frères. Dieu voulut récompenser son courage et sa fidélité. Quand le saint vieillard avait fait faire quelques tours à la meule, il la laissait tourner seule et, les mains et les yeux levés au ciel, il priait le Sauveur, adorait son Dieu et restait de longues heures en oraison pendant que la meule, mue par une force divine, tournait avec une grande rapidité. Chaque jour, la quantité de farine moulue par lui était si grande que les religieux ne savaient que penser d’un meunier si habile. L’un d’entre eux voulut savoir ce qui se passait. Il vint à l’endroit où travaillait Winnoc, et, appliquant son œil à la serrure, il vit la meule tourner seule pendant que le moine priait. Mais sur-le-champ, la meule s’arrête et le pauvre curieux tombe à la renverse, frappé de cécité. Il ne peut plus marcher, on le porte dans se cellule. Le lendemain, il se présente à Winnoc, lui confesse sa faute et lui demande pardon de sa curiosité. Le vieillard, touché de son repentir, fait le signe de la croix sur les yeux de l’aveugle qui se rouvrent aussitôt à la lumière.

Vertus de saint Winnoc. – Sa mort.

« Winnoc, dit son biographe, était comme Nathanaël, un véritable israélite, en qui il n'y avait aucune ruse. » Pendant qu’il était supérieur, il préférait se faire obéir avec amour plutôt qu'avec crainte, et il aimait mieux servir que d'être servi. D'une foi robuste, d'une espérance ferme, d'une charité qui savait sans cesse se donner, il était toujours souriant, toujours bon, toujours affable. L'homme de Dieu se distinguait encore par sa prudence dans ses conseils, par sa sagesse et par son courage invincible dans les entreprises. Il ne vivait que du ciel, ne pensait qu'à Dieu, ne parlait que de Dieu. Avec saint Paul, il désirait mourir pour vivre avec le Christ. « Seigneur, répétait-il souvent,

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attirez non âme à vous, afin que je puisse mieux bénir votre saint nom. » Dieu écouta enfin les soupirs de son serviteur, et, le 6 novembre 716 ou 717, les anges vinrent recueillir sa belle âme pour la présenter à Dieu. Le renom de la sainteté de Winnoc s'affirma de bonne heure, peut-être dès sa mort, et un grand concours de peuple se manifesta à son tombeau. Les miracles d'ailleurs se multiplièrent. L'auteur de la Vita secunda nous en rapporte un certain nombre. Nous devons nous borner à quelques-uns.

Les flammes respectueuses.

Peu de temps après la mort de saint Winnoc, pendant que les religieux faisaient la sieste, une petite maison attenante à l'église prenait feu. Les flammes activées par un vent violent, pénètrent dans l'église, consument tout, réduisent tout en cendres. Seul, le tombeau de saint Winnoc et les ornements qui l'entourent ne sont pas atteints. Après l'incendie, le peuple vint en foule au lieu du sinistre pour pleurer sur les restes de son père, qu'il croyait consumés, mais quel n’est pas l'étonnement général, quand, au milieu des débris des constructions, on aperçoit le tombeau du Saint conservé intact !

Dans l'élan de son amour, la foule veut retirer du milieu des cendres les glorieux restes du saint moine et les porter loin de là, jusqu'à ce que l'oratoire soit reconstruit. Mais le cercueil devient tout à coup si lourd qu'on ne peut le soulever. L'admiration redouble, les chants de triomphe recommencent. Que faire ? « Peut-être que Dieu ne veut pas que nous portions les reliques de notre Père dans un endroit éloigné, dit un des assistants, prions le divin Maître de nous faire connaître sa volonté. » Le peuple alors s'agenouille et quatre hommes emportent sans effort le corps de saint Winnoc dans un jardin contigu à l'église. Les prodiges s'y renouvelèrent et le Saint y fut plus honoré que jamais par les populations avoisinantes.

Les deux flèches de feu.

« Puisque j'ai commencé, continue le même biographe, je publierai les miracles de Dieu. » Un boiteux, affligé d'un tremblement continuel de la tête et des mains, confiant dans les mérites et la puissance de saint Winnoc, se fit porter à son tombeau. C'était le Samedi-Saint, à l'heure où les moines chantaient les Matines de la fête de Pâques. Le pauvre infirme priait et pleurait devant les reliques et demandait sa guérison. Tout à coup, une lumière éblouissante l'environne, deux flèches de feu pénètrent dans ses oreilles, le sang jaillit avec abondance, et, ô merveille ! l’heureux miraculé se relève parfaitement guéri, réalisant la parole du prophète Isaïe : « Le boiteux bondira comme un cerf. » Tout rempli de joie, il ne cesse de raconter à tous, sa guérison et de chanter la puissance et la miséricorde de son bienfaiteur. « Remarquez, je vous prie, d'après ce miracle, ajoute son biographe, quelle est, parmi le peuple, la célébrité de ce Saint, si puissant en miracles et capable d'opérer de telles guérisons. Songez quelle peut être, dans le ciel, la gloire de celui qui est si glorieux sur la terre ! »

Le démon battu. – Un merveilleux capuchon.

Un personnage important du pays, nommé Gérard, animé d'une grande dévotion pour saint Winnoc, fit restaurer l'église consacrée au saint moine. Cette bonne œuvre déplut beaucoup à l'ennemi de tout bien, lequel précipita un jour, du haut de l'édifice, un maçon qui resta étendu sans mouvement sur le sol. On le crut mort et on demanda avec confiance à saint Winnoc de sauver le malheureux. Ces prières furent exaucées : le maçon se releva sain et sauf et courut à son travail avec

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plus d'ardeur que précédemment. En reconnaissance, Gérard fit don à saint Winnoc de son patrimoine et de sa villa d'Eperlecques. Un autre jour, les moines du couvent n'ont, pour dire la messe, qu'un calice en verre brisé. Pendant qu'ils supplient le Saint de venir à leur aide, un Frère lave de son mieux avec de l'eau le calice brisé, et, à la grande joie de tous, le calice se trouve complètement réparé.

Une autre fois, c'est une église qui s'écroule. Tout est brisé et réduit en poussière. Seule, une veilleuse, placée en l'honneur de saint Winnoc, est retrouvée intacte. L'huile même n'est pas répandue. Voici un dernier fait qui parut encore plus merveilleux. C'était le jour des Rogations. Le peuple, pour attirer les bénédictions du ciel sur les récoltes, fit une longue procession avec la châsse contenant des reliques de saint Winnoc et avec sa crosse, recouverte d'or et contenant quelques reliques. Les porteurs accomplirent leur charge avec négligence peut-être et rentrèrent tardivement au monastère. Hélas ! on s'aperçut que la crosse avait été détériorée ; un morceau d'or et les reliques n'y étaient plus. La communauté fut réunie ; ordre fut donné d'explorer le terrain sur tout le trajet qu'avait suivi la procession. Ce fut en vain ; on ne retrouva aucune trace. Tout désolé de cette perte, le chevecier, à qui incombait le soin du chevet, c’est-à-dire du chœur de l’église, où l’on gardait alors les principaux ornements, ne savait plus que faire. Il porta par hasard la main à son capuchon : ô prodige ! les reliques et la plaque d'or s'y trouvèrent. Plus étonné que tout autre, il affirma qu'il ne s'en était pas aperçu et que lui-même ne les y avait pas mises. On ne douta plus dès lors qu'il y avait là une intervention de saint Winnoc.

Le culte officiel de saint Winnoc. – Ses reliques.

Dès le IXe siècle nous voyons son nom figurer dans un Martyrologe anglais ; il se retrouve également dans un Sacramentaire d'Amiens qui nous est connu par un manuscrit du XIe siècle. Un ancien calendrier indique au 8 novembre la « Mémoire de saint Vuinoc, confesseur ». Par contre le Martyrologe romain l'inscrit au 6 du même mois avec cette mention : « A Bergues, déposition de saint Winnoc, Abbé, qui, célèbre par ses vertus et ses mérites, servit pendant longtemps les Frères soumis à son autorité.» Son corps fut conservé intégralement à Wormhoudt ; une première translation eut lieu à la suite de l'incendie de l'église du monastère ; il fut emporté plus tard à Saint-Omer, par crainte des Normands : crainte trop justifiée, car le couvent fut détruit au milieu du IXe siècle par ces envahisseurs.

En l'an 900, Baudouin II, dit le Chauve, fonda dans la partie inférieure de Bergues un monastère enrichi par la suite de nombreux privilèges par les Papes, les comtes de Flandre et les rois de France, le corps de saint Winnoc y fut bientôt transporté Un siècle plus tard, Baudouin IV, le Barbu construisit dans la même ville, mais sur la hauteur, une vaste église confiée d'abord à des Chanoines puis à des moines Bénédictins venus de l'abbaye Saint-Bertin, à Saint-Omer, et il y déposa le corps de Winnoc, dont le nouveau monastère prit le nom. Rumold, qui en fut le premier Abbé, remplaça l'ancienne châsse du Saint, laquelle était en bois garni de fer et recouverte d'une autre, ornée d'argent, par une nouvelle châsse décorée d'or et de pierres précieuses. Dans la suite, on ne compte pas moins de sept autres châsses de saint Winnoc jusqu'en 1677.

Au cours des XIe et XIIe siècles les reliques quittent quatre fois la ville, mais en des circonstances heureuses. Ainsi, en 1030, elles furent portées avec beaucoup d'autres corps saints à Audenarde, où le comte Baudouin signa un traité de paix avec son peuple révolté ; en 1063 (ou peut-être 1065 ou 1066), l'Abbé de Bergues les apporta avec lui pour la dédicace de l'église saint-Pierre, à Lille ; en 1070, elles concourent à la splendeur de la dédicace de l'église de Hasnon ; enfin, en 1131 ou 1133, on les retrouve à la consécration de l'église Sainte-Marie de Thérouanne. Désormais, elles ne quittent plus le territoire de Bergues pendant tout le moyen-âge, et c’est seulement en 1566, lors des dévastations des « Gueux », que les moines en fuyant avec les reliques vont chercher la sécurité à Saint-Omer ; le corps de saint Winnoc revient à Bergues l’année

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suivante. De 1579 à 1583 la ville et le monastère demeurèrent aux mains des hérétiques : toutefois les reliques du Saint purent échapper à la destruction. Aucune parcelle n’en fut enlevée avant 1633 ; cette année-là, une partie fut donnée à la chapelle Saint-Winnoc, du cimetière paroissial. D’autres devaient être données plus tard à l’archevêque de Cambrai, à une église de Bruxelles, et enfin en juin 1900, à l’église paroissiale de Wormhoudt et à celle de Plouhinec. A la révolution, le chef et le corps de saint Winnoc échappèrent heureusement aux profanations, et la caisse qui les renfermait, ayant été ouverte en mai 1820, Mgr Belmas, archevêque de Cambrai, les authentiqua le 8 de ce mois et en prescrivit la translation solennelle, qui eut lieu le 8 juin, en l'église paroissiale de Saint-Martin. A cette époque, la générosité des fidèles permit de faire deux châsses précieuses, l'une pour le chef, l'autre pour le corps du Saint, ce qui donna lieu à une autre solennité, le 18 mai 1823. Depuis lors, les reliques sont exposées le 6 novembre et pendant l'octave qui suit. Bergues conservait aussi une étole que l'on disait avoir appartenu au moine de Wormhoudt ; des fragments en étaient donnés pour être cousus à des ceintures que portaient les « futures mamans » afin d'obtenir sa protection.

Le culte local à Bergues.

Dans cette ville de Bergues devenue tout à fait sienne par la possession de ses reliques, saint Winnoc était l'objet de plusieurs manifestations solennelles ; dès le XIe siècle, ses reliques étaient portées chaque année à Wormhoudt par les moines de Bergues ; plus d'une fois, en diverses circonstances, notamment pour obtenir la pluie, les magistrats de la ville obtinrent des cérémonies analogues.

Trois fêtes se célébraient autrefois en son honneur : celle du 6 novembre, anniversaire de sa mort, celle du 18 septembre, commémorant la translation de ses reliques en l’an 900, enfin, « l’exaltation de saint Winnoc », le 23 mars. La cérémonie la plus populaire était la procession annuelle du jour de la Sainte Trinité, marquée par un rite spécial, « le bain » ou l’immersion des reliques, qui commémorait un miracle éclatant : un enfant étant tombé dans la rivière la Colme, ses parents désolés vinrent supplier l’Abbé de Saint-Winnoc de faire porter la châsse du Saint au bord des eaux et de l’y tremper, afin d’obtenir que le corps de leur enfant leur fût rendu, mort ou vif. Il en fut fait ainsi, et la foi de ces pauvres gens fut récompensée par le retour du petit noyé, de nouveau plein de vie. Chaque année, la procession instituée en mémoire de ce prodige accompagnait la châsse au bord de la Calme. Là, on la faisait descendre jusqu'à la rivière, et, après qu'elle avait touché l'eau, les fidèles venaient y puiser, surtout les malades ; on baignait aussi les petits enfants dans la Colme pour obtenir leur guérison ; on conservait parfois, pendant des années, des flacons pleins de cette eau touchée par la châsse, afin d'y recourir en cas de maladie.

Cette pratique était si profondément entrée dans les mœurs que, lorsqu'au XVIe siècle un évêque d’Ypres parla de la supprimer, il y eut des protestations ; par la suite, les magistrats de Bergues la maintinrent en donnant d'ailleurs des ordres pour que les règles de l'honnêteté y fussent respectées ; elle disparut seulement en 1746 sur un ordre impératif de Mgr Delvaux.

La « supplication solennelle » du jour de la Sainte Trinité a cependant été maintenue, mais sans l'immersion de la châsse ; celle-ci est portée habituellement dans la procession du jour de l'Assomption et aussi – chose plus surprenante – à la procession de la Fête-Dieu. En 1820, Mgr Belmas a rétabli la confrérie de Saint-Winnoc, fondée au monastère de Bergues, approuvée par les Souverains Pontifes, et qui remontait au moins à l'année 1624. Le patronage de saint Winnoc est invoqué par les meuniers.

A.J.D.Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. III de novembre (Bruxelles, 1910).

Mgr P. Guérin, les Petits Bollandistes, t. XIII (Paris). – (V.S.B.P., n° 404.)

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PAROLES DES SAINTS__________

Le jeûne.

La béatitude du Paradis terrestre n'a pu être établie que par l'abstinence de nourriture ; tant qu'Adam jeûna, il resta dans le Paradis ; dès qu'il mangea du fruit défendu, il en fut chassé.

Saint Ambroise.(Sermon 35.)

La patience.

La patience est nécessaire pour supporter les diverses épreuves auxquelles la chair est soumise, telles que les fréquentes infirmités, toujours si pénibles, si déchirantes, dont nous sommes journellement tourmentés. Car, depuis que le péché de notre premier père nous a fait perdre la vigueur du corps, avec le privilège de l'immortalité ; que la mort a amené avec elle les infirmités, et que nous ne pouvons recouvrer notre force primitive qu'avec l'immortalité, avec des corps aussi fragiles, nous avons toujours à lutter, toujours à combattre, ce qui ne peut se faire qu'avec le secours de la patience.

Saint Cyprien.

(Des avantages de la patience.)

SAINT ERNEST37

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Abbé de Zwifulda et martyr (1100 ?-1148)

Fête le 7 novembre.

Vers l'an 1124, se rencontraient à l'abbaye de Zwifulda, dans le Wurtemberg, unis par un même désir de servir Dieu dans l'état monastique, trois frères d'illustre naissance. C'étaient les fils du baron de Stuzzlingen ou Steisslingen, Othon, Adalbert et Ernest. Ces deux derniers, quoique beaucoup plus jeunes que leur frère Othon, avaient déjà passé plusieurs années dans le monastère. Adalbert et Ernest étaient plus que de simples écoliers. Leurs pieux parents les avaient placés là, dès l'âge le plus tendre, pour les soustraire aux influences du monde et leur procurer, auprès des reli-gieux, le bienfait d'une solide instruction. On les avait revêtus d'une robe monastique, et ils vivaient, en quelque manière, de la vie des moines bénédictins, suivant, sous le nom d'Oblats, des règles adaptées à leur âge et à leur condition.

Quant à Othon, après avoir reçu dans des écoles spéciales une éducation conforme à son rang, il s'était enrôlé dans la milice qui faisait vœu de défendre le tombeau du Christ, et, à ce titre, il était allé deux fois en Palestine. Il en rapporta de précieuses reliques, présents du patriarche de Jérusalem, Warmond, et les donna à l'abbaye de Zwifulda ; un morceau du vêtement de la Sainte Vierge, une parcelle de la vraie Croix, et quelques ossements des saints Apôtres. Non content d'offrir cet insigne trésor au monastère bénédictin, Othon lui fit don, en outre, de plusieurs propriétés, notamment d'une chapelle dédiée à saint Pierre, située sur ses domaines, et enfin, il leur consacra sa personne et sa vie en demandant à être reçu comme religieux.

Saint Ernest abbé.

Ernest, qui avait reçu de la nature, au dire de son biographe, « une âme bonne et un esprit très docile », tira grand profit des leçons de ses maîtres. Ses études terminées, il embrassa la règle austère de saint Benoît. Après sa profession, il s'adonna spécialement à l'étude des Livres Saints, et bientôt il était passé maître dans leur explication. C'est ainsi qu'il s'acheminait vers le sacerdoce. La prudence, la piété, la douceur, la science et toutes les vertus monastiques dont il donnait un parfait exemple lui concilièrent les suffrages et la confiance des religieux, et, en 1141, ils l’élurent d’un commun accord, abbé du monastère. Ernest se vit donc chargé, par le choix de ses frères, d’une communauté très nombreuse. Environ soixante-dix profès de chœur, un groupe beaucoup plus considérable encore de frères convers, un monastère de femmes situé près de là, comptant soixante religieuses et également soumis à ses soins, portaient à près de deux cent soixante le nombre des âmes placées sous sa direction.

Ernest se montra à la hauteur de sa charge et sut faire régner, dans toute sa vigueur, la discipline monastique. Il ne resta d'ailleurs que six ans à la tête de son abbaye, étant parti, en 1147 avec la seconde Croisade, dont il ne revint pas. Toutefois, son influence avait eu le temps de rayonner au loin, comme le prouvent certains faits signalés par les annales de Zwifulda. Aussitôt élu, Ernest satisfit à la demande des religieux de Neresheim, une abbaye voisine, en choisissant, parmi ses subordonnés, un successeur à leur abbé défunt. D’excellentes relations unissaient d’ailleurs les deux monastères. En 1144 mourut, pleine de mérites, Salomé, l’épouse de Boleslas, roi de Pologne, née princesse de Berg, et dont la famille semble avoir été alliée à celle de saint Ernest. C’était une bienfaitrice insigne de l’abbaye de Zwifulda. Othon, frère aîné d’Ernest, avait été une fois envoyé près d’elle, par ordre de ses supérieurs, pour l’intérêt du monastère, et elle lui avait remis une relique d’un prix inestimable, un doigt du protomartyr saint Etienne. Ernest ne manqua pas au

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devoir de la reconnaissance. Il rappela les nombreux bienfaits de cette princesse et décida d'honorer sa mémoire et celle de son mari, au même titre que celle des fondateurs, et de lui accorder les mêmes prières.

Départ pour la Croisade.

En 1146, saint Bernard fut chargé par le Pape Eugène III de prêcher la seconde Croisade. Voici à quelle occasion.

A cette époque, l'existence du royaume chrétien de Terre Sainte se trouvait gravement menacée. Après la mort de Godefroy de Bouillon, de graves mésintelligences avaient éclaté entre les princes chrétiens ; les conquérants de la Palestine ne se souciaient plus guère de la délivrance du tombeau du Christ, qui avait inspiré le vaste mouvement des Croisades. Profitant de ces dissensions, les Turcs essayaient de réparer leurs défaites. Le sultan Noureddin, en 1145, s’était emparé de la ville d’Edesse, dont la chute fut suivie du massacre de trente mille chrétiens. Pour tenir tête à cet ennemi redoutable, le royaume de Jérusalem avait pour roi un enfant de quatorze ans, Baudouin III. Aussi les chrétiens de Palestine appelaient à leur secours ; leur voix ne pouvait demeurer sans écho.

Saint Bernard vint à Vézelay en 1146, avec la mission d’annoncer une seconde croisade. L’éloquent abbé, en présence du roi de France, Louis VII et d’une immense assemblée de seigneurs et de peuple, prêcha avec un enthousiasme qui entraîna l’auditoire. Louis VII prit la croix, ainsi que son épouse Eléonore. Leur exemple fut imité par plusieurs évêques et par les grands vassaux du royaume : le comte de Toulouse, Alphonse Jourdain ; le comte de Flandre, Thierry d’Alsace ; le comte de Champagne, Henri, fils de Thibaut ; le propre frère du roi, Robert de Dreux. Un grand nombre de chevaliers les imitèrent ainsi qu’une multitude de gens du peuple. Le roi fixa le départ à l’année suivante, 1147. Pendant qu’on faisait en France les préparatifs de l’expédition, saint Bernard passa en Allemagne, prononça à la diète de Spire un discours qui mit fin aux discordes civiles et rangea sous l’étendard de la croix l’empereur Conrad III et les seigneurs réconciliés. Les saintes ardeurs qui agitaient la chrétienté ne furent pas sans émouvoir l’abbé de Zwifulda. Il avait écrit un opuscule intitulé : Louange aux martyrs, comme pour s’entraîner à marcher sur leurs traces. Aussi lorsque le Pape Eugène III, qui désirait envoyer en Orient, non seulement des soldats pour combattre, mais des missionnaires pour prêcher la vraie religion aux infidèles, manda à Ernest de se joindre à la croisade, en lui conférant le titre de docteur des Gentils, le saint abbé fut au comble de la joie.

Croisé pacifique, il partit avec l'évêque Othon de Freisingen, frère de Conrad III, et se proposa d'évangéliser les Sarrazins de Palestine. On s'explique assez aisément ces attentions particulières du Pape ; la renommée du moine Ernest était parvenue à la cour romaine par l'entremise du cardinal légat Théodwin, qui, venu peu auparavant à Zwifulda pour consacrer l'église des moniales, avait eu l'occasion de s'entretenir longuement avec le saint abbé et de connaître ainsi ses rêves d’apostolat. Ernest résigna ses fonctions d'abbé, remit à Berthold la conduite du monastère, et partit en laissant pour dernier adieu à ses frères ces belles parole : « Puissé-je trouver le martyre dans ce voyage ! Comment ? Cela m'importe peu, pourvu que je mérite de souffrir pour l'amour de Jésus ! »

Contretemps, déboires et défaites.

En cours de route, Ernest eut, comme les autres croisés, tout à souhait, les souffrances qu'il avait désirées. On connaît le sort malheureux de cette expédition. Les deux armées se mirent en marche en 1147, par la route du Danube, celle de Conrad précédant celle de Louis VII.

Elles traînaient à leur suite, pour comble de malheur, beaucoup de femmes qui avaient voulu

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suivre leurs maris, et une foule de pèlerins, « immense cohue impropre aux armes », dont le sort devait être aussi funeste que celui des compagnons de Gauthier-Sans-Avoir. De plus, la rivalité qui éclata souvent entre les deux nations désormais bien distinctes ne fut pas une des moindres causes de l'échec final. Enfin, l'hostilité des Grecs acheva de tout ruiner.

Malgré les offres du roi Roger de Sicile, qui proposait aux croisés de s'embarquer dans les ports normands du sud de l'Italie, ceux-ci préférèrent traverser les Etats de l'empereur Manuel Comnène. L'astuce byzantine leur fit payer cher leur confiance. Les Allemands furent les premiers à éprouver la perfidie des Grecs.

Ceux-ci, moins menacés par les Turcs qu'en 1095, se montrèrent encore plus hostiles à cette seconde Croisade qu'ils ne l'avaient été à la première. Pour ajouter aux embarras de tout genre, les éléments déchaînés fondirent sur l'armée de Conrad et lui infligèrent une sorte de désastre. Une nuit qu'elle campait dans la vallée de Chérobacques, entre deux paisibles fleuves aux bords riants, un affreux orage s'abattit sur elle et une pluie diluvienne changea soudain les deux fleuves en torrents, les fit déborder, inonda toute la vallée, arrachant les tentes, entraînant les animaux et les bagages. Beaucoup d'hommes et de chevaux périrent. Les autres se réfugièrent sur les collines voisines. C'était dans la nuit qui précède la Nativité de Marie, remarque le chroniqueur, témoin et victime de ce désastre. « Le matin venu, nous récitâmes à la messe le Gaudeamus au milieu d'une profonde tristesse, en versant des larmes et en poussant des gémissements. »

Les Grecs faisaient aux croisés toutes les avanies. Ils avaient des Latins une telle horreur qu'ils lavaient et purifiaient les autels où un prêtre latin avait dit la messe, comme si son contact les eût souillés.

Depuis les gens du peuple jusqu'à l'empereur Comnène, c'était à qui duperait le plus habilement ces étrangers. Souvent on mêlait de la chaux à la farine qu'on leur vendait, on leur extorquait leur argent, on dévalisait les imprudents qui s'écartaient du gros de l'armée. Mais le plus mauvais service que les Grecs leur rendirent, ce fut de leur donner des guides à travers l'Asie Mineure. Munis d'ordres perfides, ceux-ci, au lieu de les diriger vers les provinces méridionales mieux habitées et plus riches, les détournèrent, de leur route, leur firent prendre à l'Est le chemin de la Cappadoce, pays désert et stérile, et quand ils les eurent engagés dans les gorges du Taurus, ils disparurent tous en une nuit, abandonnant leurs victimes à la merci des Turcs, non sans avoir pris soin d'informer à l'avance ces derniers de la bonne aubaine qu'ils leur ménageaient.

Dans ces conditions, l'armée de Conrad courait au-devant d'une défaite. La rencontre avec les Turcs eut lieu aux environs d'Iconium, et le choc fut si désastreux pour les croisés que, d'après certains chroniqueurs, un dixième seulement de leurs troupes put échapper au carnage. La retraite de Conrad, harcelée par la cavalerie des infidèles, devint une déroute. Sept mille hommes seulement échappèrent au désastre, et avec ces misérables débris, Conrad, découragé et couvert de blessures, vint rejoindre l'armée de Louis VII, qui arrivait à Nicée.

L'armée française recueillit les débris de l'armée germanique, et Louis VII résolut de suivre une route plus longue, mais moins périlleuse, celle de la côte, où l’approvisionnement serait plus aisé. En arrivant à Ephèse, Conrad, fatigué de ses blessures, s’embarqua pour se rendre par mer à Jérusalem. Louis VII poursuivit par la vallée du Méandre, puis, pour abréger l’itinéraire, décida de franchir la chaîne du Taurus pour descendre sur Adalia. Là, les soldats s’embarquèrent pour Antioche, laissant sur la rive une multitude de pèlerins qui, à cause de l’insuffisance des vaisseaux, devaient continuer à cheminer par terre. La plupart furent massacrés ou faits prisonniers par les Turcs.

D’Antioche les croisés se dirigèrent vers Jérusalem, où ils furent reçus comme des libérateurs. Louis VII et Conrad III unirent leurs troupes à celles de Baudouin et allèrent assiéger Damas. Leur entreprise échoua complètement. Dès lors chacun songea au retour. Louis VII, cependant, ne pouvait se décider à quitter la Palestine ; il ne voulait pas revenir, écrivait-il à Suger, il s’embarqua à Saint-Jean-d’Acre (juillet 1149), et il arriva à Saint-Gilles avec deux ou trois cents chevaliers, triste reste d’une armée de cent mille hommes.

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Saint Ernest et ses compagnons franchirent à petites journéesles espaces immenses qui les séparaient de l'Arabie.

Saint Ernest est fait prisonnier.

Quant à Ernest, toujours en la compagnie de l'évêque Othon de Freisingen, frère de l'empereur, il avait eu sa part des tribulations et des souffrances des croisés. Mais il n'eut pas la consolation d'ar-river jusqu'à Jérusalem. Une partie de l'armée allemande, faisant bande à part, avait voulu prendre les devants, sous la conduite d'Othon, dans la direction de Jérusalem. Ernest suivit son évêque. Mal leur advint de s'éloigner ainsi des autres croisés. Un dimanche qu'ils reposaient tranquillement, après plusieurs journées de marche, en un site très agréable, sur les bords de la mer, leur camp fut tout à coup cerné par des bandes innombrables de musulmans, que le roi des Perses, Ambronius, avait mis sur pied pour combattre les chrétiens. Ces barbares, commandés par un émir d'Ambronius, se jettent sur les chrétiens, massacrent sans pitié tous ceux qui veulent résister, arrêtent et font prisonniers les fuyards, et c'est à grand'peine qu'Othon de Freisingen, avec quelques compagnons seulement, parvient à se sauver sur une embarcation. Ernest ne périt pas dans ce carnage, mais blessé, il fut parmi les captifs dont le nombre s'élevait à huit mille. Beaucoup d'entre eux furent égorgés sur place ou ne tardèrent pas à succomber aux mauvais traitements.

Les Orientaux avaient la coutume de faire un choix parmi les prisonniers. Les plus distingués d'entre eux, les plus beaux, les plus forts étaient mis à part pour être offerts au roi dont les émirs étaient les tributaires. Voilà comment Ernest, que son caractère de prêtre et sa distinction naturelle désignaient à l'attention de l'émir, fut dirigé sans retard sur La Mecque, où était alors le roi des Perses Ambronius, venu là par dévotion envers Mahomet, ou plus probablement par peur des croisés, bien convaincu qu'ils n'iraient jamais le chercher si loin.

Les compagnons d'Ernest – ils étaient quatre cents – franchirent à petites journées les espaces

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immenses qui les séparaient de la métropole mahométane de l'Arabie. Comme des brebis destinées à la boucherie, on les présenta à Ambronius.

- Ne craignez pas, leur dit d’abord celui-ci d’un ton de bienveillance. Je ne vous veux aucun mal, et si vous consentez à embrasser la religion de Mahomet, vous serez délivrés de vos liens et je vous procurerai des dignités et des richesses.

Martyre de saint Ernest.

Ernest crut de son devoir de prémunir contre ces fallacieuses avances ses compagnons d'armes, et de les engager à subir le martyre plutôt que de renier leur foi, fût-ce même par un semblant d'adhésion aux propositions du roi. Ce courage et cette audace excitèrent la fureur des musulmans. Le saint abbé, livré à des satellites inhumains, passa par tous les supplices que leur cruauté pouvait inventer. On croit qu'il fut ainsi tourmenté plusieurs jours, sinon plusieurs semaines. Ce qui est hors de doute, c'est le raffinement des tortures employées. En dernier lieu, ces barbares lui arrachèrent la peau du sommet de la tête, et, après l'avoir ainsi scalpé au moyen d'affreuses incisions, ils lui ouvrirent le ventre. Ensuite, comme il respirait encore, ils fixèrent à un pieu planté en terre l'extrémité de ses entrailles pendantes et le forcèrent à tourner autour du pal jusqu’à ce qu’il tombât inanimé.

Telle fut, d'après le récit d'un témoin fidèle, le prêtre Marsilius, la glorieuse fin de saint Ernest, digne, ajoute un auteur, de recevoir la triple auréole de vierge, de docteur et de martyr. Huit autres prisonniers versèrent leur sang le même jour et pour la même cause, animés par les exhortations et les exemples du saint abbé. Marsilius, qui nous a transmis le récit de ces atrocités, était un prêtre arménien catholique très fermement attaché à la foi romaine. Pour trente pièces d'or, il racheta en même temps le corps de saint Ernest, et onze prisonniers vivants qu'avait épargnés la fureur des Turcs. Allemands de nation, les onze témoins revinrent en leur pays, virent Berthold, abbé de Zwifulda, lui retracèrent les détails du martyre de son vénérable prédécesseur, et lui remirent la lettre du prêtre Marsilius qui racontait plus brièvement cette passion. C’est à ces deux sources principales qu’ont puisé les sept ou huit historiens religieux de Zwifulda, qui, dans la suite, à des dates diverses, entreprirent de célébrer dans leurs annales les louanges de saint Ernest.

Reliques et culte.

Le martyre de saint Ernest eut lieu, au témoignage des nécrologes et des martyrologes conservés à l’abbaye de Zwifulda, le 7 novembre 1148. « Peu de temps après avoir été confié à la terre, son saint corps, ajoute Marsilius, a été transporté par les chrétiens à Antioche ; il y est enseveli maintenant dans un sanctuaire voisin de l’église des saints apôtres Simon et Jude, et son tombeau s’illustre par des miracles. »

Les saintes reliques n’en étaient pas à leur dernière translation. Aujourd’hui en effet, l’on vénère à Salzbourg, à l’autel de la Sainte Vierge, dans l’église de la Trinité, qui est l’église du Séminaire ecclésiastique, un précieux reliquaire portant l’inscription : Ossements de saint Ernest, martyr. On sait, d'autre part, que ces vénérables restes furent donnés, le 23 septembre 1694, à l'archevêque de Salzbourg par Antoine Florianus, prince de Liechtenstein, et qu'ils furent reçus dans cette cité au milieu de grandes démonstrations de joie, au chant du Te Deum et au bruit du canon, le 6 juin 1700. L'acte de donation, rédigé en bonne et due forme (6 juin 1694), à Rome, sous la garantie et le sceau du cardinal vicaire, témoigne que le saint corps a été exhumé, par autorisation

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du Souverain Pontife, « du cimetière de Sainte-Hélène ».Ici, à regret, nous avouons ne pas savoir comment les reliques de saint Ernest passèrent

d'Antioche au cimetière de Sainte-Hélène. On peut cependant conjecturer avec grande vraisemblance que les reliques honorées à Salzbourg sont bien celles de l'abbé de Zwifulda. Un culte public leur a toujours été rendu, saint Ernest de temps immémorial, est nommé dans les martyrologes locaux et invoqué aux litanies des saints. Ses images et ses statues étaient couronnées de l'auréole, et son nom était toujours porté par quelque moine de son abbaye dans le but d'honorer sa mémoire.

Qui ne sait aussi combien est répandu, non seulement en Allemagne, mais encore en France et dans presque toute la chrétienté, le nom du saint martyr ?

A l'intention de ces nombreux clients de saint Ernest, disons en terminant cette notice que de persévérants efforts ont été tentés, surtout entre l'année 1620 et 1650, pour obtenir sa canonisation selon les formes prescrites au XVIIe siècle par le Pape Urbain VIII. Le manque de ressources, les guerres, les périls quotidiens auxquels furent à cette époque exposés les moines de Zwifulda, les contraignirent à suspendre leurs démarches, et la cause fut par là même entravée. Dieu veuille qu'elle soit un jour reprise et que saint Ernest obtienne en cour de Rome la canonisation solennelle qui consacrera à jamais le culte dont il a toujours joui. Malheureusement, les moines de Zwifulda ne sont plus là pour lui offrir ce témoignage de filiale vénération. Leur abbaye, supprimée en 1803, fut convertie en hospice pour les aliénés. La bibliothèque du couvent a été transportée à Stuttgart.

E. Lacoste.

Sources consultées. – Arsène Sulger, Annales Zwiefuldenses, 1698 (Biblioth. Nationale, M. 544). – Norbert Heckler, abbé du monastère en 1763, Vita Sancti Ernesti, quinti abbatis Zwifuldae en Suevia, manuscrit envoyé par l’auteur aux Grands Bollandistes, à Anvers. – Vacandard, Vie de saint Bernard, t. II (récit de la deuxième croisade). – Les premières Croisades et le Royaume latin de Jérusalem (Paris, 1879). – (V.S.B.P., n° 1236.)

SAINT GODEFROY ou GEOFFROYÉvêque d'Amiens (1065 ou 1066-1115).

Fête le 8 novembre.

Près de Péronne, sur la commune actuelle d'Allaines, s'élevait au milieu du XIe siècle un florissant monastère bénédictin, fondé vers 644 et dédié au martyr saint Quentin. L'abbaye a disparu, mais le souvenir s'en est gardé chez les gens du pays. Aussi ont-ils appelé le petit village du Mont-Saint-Quentin, qui s'est élevé sur les ruines de la demeure autrefois peuplée de moines, du

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nom de L'Abby, corruption du mot abbaye. A cette époque les religieux avaient pour supérieur Godefroy ou Geoffroy, en latin Godefridus, – grand-oncle du chef des croisés, l'illustre Godefroy de Bouillon.

L'enfant de l'hospitalité et de la prière.

Un jour que l'Abbé du Mont-Saint-Quentin voyageait dans le Soissonnais, il s'arrêta au village de Moulicourt. Il y fut reçu avec honneur par un notable du pays, Frodon, et par sa femme Elisa-beth, l'un et l'autre excellents chrétiens. Les premiers devoirs de l'hospitalité une fois remplis, la conversation s'engagea entre Godefroy et ses hôtes. On parla d'abord des Saintes Écritures, de la gloire des justes, du mépris des biens de ce monde, du bonheur éternel ; puis, l'Abbé demanda entre autres choses à ses interlocuteurs s'ils n'avaient pas consacré quelque fils au service de Dieu. Ils en avaient deux, et depuis dix ans ils n'en avaient point eu d'autre, aussi répondirent-ils avec un soupir que leurs deux premiers fils étaient dans la milice séculière et qu'ils espéraient peu désormais pouvoir offrir un enfant à Dieu. « Pourquoi n'en demanderiez-vous pas un au Seigneur par des prières et des bonnes œuvres ? » dit l'Abbé. Et il leur promit que Dieu les exaucerait. Quelque temps après, en 1065 ou 1066, un enfant naissait de celle qu'on croyait désormais stérile.

Au monastère du Mont-Saint-Quentin.

L'enfant fut aussitôt porté au monastère de Péronne pour y être offert au Seigneur, comme autrefois Samuel. L'abbé Godefroy le tint lui-même sur les fonts du baptême et lui donna son nom. A cinq ans, c'est-à-dire en 1070 ou 1071, il fut conduit de nouveau par ses parents au Mont-Saint-Quentin, où son parrain le revêtit de l'habit monastique. Il donna bientôt des marques de pré-dilection divine ; un jour, une grue lui asséna un si formidable coup de bec entre les yeux que l'on crut bien sa vue à jamais perdue et peut-être sa vie. Mais l'enfant se contenta d'invoquer le nom de Jésus et de tracer sur la plaie saignante le signe de la croix ; à l'instant même, elle disparut et ne laissa qu'une petite cicatrice qui lui resta toute la vie, comme pour perpétuer le souvenir de cette merveille. Malgré sa jeunesse, Godefroy fut bien vite un modèle pour les religieux ses frères. L'étude et la psalmodie remplissaient ses journées, et ses nuits étaient consacrées aux veilles et à la prière.

Il y avait au monastère, près de l'infirmerie et du dortoir, deux oratoires dédiés respectivement à saint Thomas l'apôtre et à saint Egide ; c'était là qu'à l'insu de ses frères il passait une longue partie de ses nuits. Son jeûne était presque perpétuel ; il le prolongeait souvent jusqu'au soir, et alors seulement il prenait un peu de pain et d'eau. Mais les vertus qui reluisaient davantage en lui étaient la prudence, l'humilité et la charité. C'est pourquoi, l'Abbé lui confia différentes charges importantes. D'abord infirmier, il reçut ensuite la charge des hôtes et des pauvres ; enfin, on lui confia toute l'économie de l'abbaye. Il s'acquitta de ces différents offices à la satisfaction unanime, et personne n'eut jamais à murmurer contre lui. Il n'oubliait pas sa famille de la terre, et ce fut grâce à ses prières et à ses paroles pleines d'onction que son frère Odon quitta l'armée pour le rejoindre au monastère, où il vécut fort saintement.

Restauration de l'abbaye de Notre-Dame de Nogent.

Vingt ans s'étaient écoulés depuis le jour de son entrée en religion. L'Abbé voulut qu'il reçût la prêtrise. Cette décision lui causa une grande répugnance tant il s'estimait indigne de fonctions si

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sublimes, cependant, il obéit et se rendit à Noyon, diocèse auquel appartenait l'abbaye du Mont-Saint-Quentin, où Radbod II, évêque de Noyon et de Tournai, lui imposa les mains en 1090 ou 1091 ; Godefroy avait alors vingt-cinq ans. Peu de temps après, l'archevêque de Reims voulut faire refleurir l'abbaye de Notre-Dame de Nogent, qui comptait à peine six religieux et deux petits enfants. De concert avec les évêques de sa province, il chercha un homme capable de rendre la vie au monastère mourant ; leur choix unanime tomba sur Godefroy et fut ratifié par le roi Philippe 1 er, Malgré ses plaintes, malgré les regrets de tous ses frères du Mont Saint-Quentin, le nouvel Abbé dut prendre possession de sa charge. Godefroy, après avoir été bénit, par Hélinand, évêque de Laon, arriva à Nogent en 1095 ; il y trouva tout en désordre, l'église en ruines, les cellules presque abattues, les biens aliénés, et partout des ronces et des épines. Sans découragement, il se mit à l'œuvre, répara l'église, construisit des dortoirs, recouvra les biens usurpés, et surtout fit observer la Règle monastique avec ferveur, grâce à la bonne volonté de plusieurs jeunes hommes qui vinrent recevoir l'habit de ses mains. Puis d'autres arrivèrent en foule, dit l'historien, comme les abeilles qui se jettent sur le thym ou le cytise en fleurs. Deux Abbés même, Lambert de Florigny, et Walrad, de Saint-Nicolas-des-Près, non loin de Ribemont., quittèrent leurs dignités pour terminer leur vie sous son obéissance, comme de simples moines ; et au bout de peu de temps, Notre-Dame de Nogent était redevenue une florissante abbaye.

Désintéressement et vigueur. – Miracles.

En 1097, lors du Concile de Reims auquel Godefroy prit part, l'archevêque Manassès de Châtillon voulut le mettre à la tête de l'abbaye de Saint-Rémi, dans sa ville archiépiscopale. Mais Godefroy refusa, et comme on le pressait plus fort, il protesta qu'il entendait observer fidèlement le canon du Concile de Nicée, « ne voulant ni ne pouvant mépriser une épouse pauvre pour une autre plus riche ». Tous admirèrent un tel désintéressement, et Godefroy continua à gouverner sa chère abbaye. Il n'en négligeait point les intérêts matériels et spirituels, et l'on a conservé des chartes datées de 1100 et 1102 concédant de nouveaux privilèges au monastère de Nogent. Sa tendresse pour ses enfants ne l'empêchait point d'être sévère lorsqu'il s'agissait de l'obéissance. Un jour, l'économe du couvent refusa, malgré ses ordres, de prêter une selle de cheval. L'Abbé, après lui avoir reproché sa conduite, fit allumer un grand feu et y jeta lui-même cette selle en présence de tous les religieux.

La sainteté de Godefroy se manifestait dans toutes ses actions Dieu se plut à y ajouter l'éclat des miracles. Tout le pays souffrait d'une sécheresse terrible. Les rivières étaient à sec, les animaux mouraient de soif, et les moissons brûlées, menaçaient la contrée d'une famine prochaine. L'évêque de Soissons appelle à lui l'Abbé de Nogent, lui demande ce qu'il doit faire. Sur son conseil, il ordonne par tout le diocèse un jeûne général, pour les hommes et pour les animaux, comme autrefois le prophète Jonas l'avait prescrit à Ninive. Au jour fixé, une foule immense arrive à Soissons et se rend à l'église Saint-Etienne, où l'évêque invite le religieux à prêcher. Godefroy parle avec onction, touche les assistants de repentir et leur promet une pluie abondante. II n'avait pas achevé que le ciel se couvrit de nuages et que la pluie désirée vint rendre la vie à tout le pays.

Saint Godefroy élu évêque d'Amiens.

Lorsque Gervin, évêque d'Amiens, quitta de lui-même son siège, le clergé et le peuple de la ville choisirent, en 1104, pour le remplacer, Godefroy, Abbé de Nogent. Philippe 1er, heureux d'un tel choix, l'approuva pleinement ; seul l'élu se montrait réfractaire. Il ne se rendit qu'à l'injonction du Concile de Troyes qui eut lieu la même année, au début d'avril. Manassès Il, archevêque de Reims,

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le sacra dans cette ville, en 1104, assisté de Lambert de Guines, évêque d'Arras, et du bienheureux Jean de Commines, évêque de Thérouanne. Les deux prélats assistants le conduisirent ensuite dans sa ville épiscopale. Godefroy voulut y entrer pieds nus. Il marcha ainsi depuis l'église Saint-Acheul jusqu'à celle de Saint-Firmin. Il eut pour successeur à la tête du monastère de Sainte-Marie de Nogent, Guibert dit de Nogent (1053-1124), auteur d'une Chronique particulièrement précieuse pour l'histoire de l'époque et pour la biographie du nouvel évêque.

Le père des malheureux.

Godefroy ne cessa jamais d'être moine au fond du cœur, il garda même l'habit bénédictin et mena une vie toute simple et tout éloignée du faste. Sa maison était toujours ouverte aux pauvres, et chaque jour treize d'entre eux étaient admis à manger à sa table. C'était un bonheur sans égal pour lui de leur laver les pieds et de les servir de ses mains. Les lépreux, objet de la répulsion générale, lui étaient particulièrement chers. Un jour, un certain nombre d'entre eux l'attendirent à la porte de l'église Saint-Firmin. L'évêque les vit, marcha au milieu d'eux, se recommanda à leurs prières, puis donna ordre à son intendant de leur préparer à manger. Celui-ci, pressé d'ailleurs, oublia la chose, et, trois ou quatre heures plus tard, les clochettes des lépreux vinrent frapper les oreilles de l'évêque ; il descendit aussitôt vers eux, apprit avec douleur la négligence de son intendant et, ne trouvant point d'argent sur soi, car il avait déjà tout donné, courut à la cuisine, prit le repas qui s'y trouvait préparé et l'apporta lui-même aux malheureux.

Saint Godefroy soutient les droits de son évêché.

En 1105, à la suite d'une visite qu'il fit à l'abbaye de Saint-Valery, l'évêque d'Amiens eut à soutenir un procès, pour une question de juridiction, contre les moines qui prétendaient que leur abbaye ne dépendait pas de lui. Les religieux, convoqués à Amiens, et la plupart des clercs présents lui ayant donné tort, il en appela à l'archevêque de Reims, Manassès. Celui-ci se prononça en faveur de l'évêque d'Amiens ; aussitôt les moines en appelèrent au Pape. Dès la même année, l'abbaye envoya à Rome des représentants. Godefroy prit à son tour le même chemin. Au passage des Alpes, il se dépouilla de son manteau en faveur d'une pauvre femme sur le point de mourir de froid. Arrivé à destination, il apprit que ses adversaires avaient obtenu du Pape Pascal II des lettres datées de Bénévent, 12 mars 1106, en vertu desquelles l'abbaye et les moines demeuraient sous la seule juridiction pontificale. L'évêque d'Amiens quitta alors la cour romaine pour faire un pèlerinage à Barj. Là, il passa de longues heures en prières auprès des reliques de saint Nicolas de Myre. L'évêque du lieu lui donna une fiole de l'huile miraculeuse qui suinte du corps du Saint. Godefroy suspendit à son cou ce précieux cadeau et attribua à son efficacité d'échapper à tous les dangers durant le voyage. Au dire du moine Nicolas de Soissons, dont l'exactitude habituelle paraît ici en défaut, tandis que l'évêque d'Amiens repassait par Rome avant de rentrer dans son diocèse, Pascal II, après avoir admiré la fermeté du pontife, examina lui-même soigneusement l'affaire et reconnut les droits de l'évêque d'Amiens sur l'abbaye de Saint-Valery ; nulle part cependant on ne retrouve trace de ce document qui serait d'un si grand poids.

Le culte des saints. – Réforme du clergé.

Godefroy montra un très grand zèle pour le culte des Saints. Ainsi, probablement en 1106, il fit

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placer dans une châsse précieuse le corps de saint Firmin, évêque d'Amiens ; il agit de même pour les reliques de saint Sauve le 11 juin 1111, et peut-être aussi, en 1113, pour celles du bienheureux Lupicin, prêtre, qui avait découvert les corps des saints martyrs Fuscien, Victorie et Gentien. On dit que la châsse de saint Firmin fut fondue ou ornée avec les bijoux dont les fidèles s'étaient dépouillés à l'envi, à l'appel de leur évêque. Celui-ci pria aussi, en mai 1108, son ami Baldéric, évêque de Noyon et de Tournai, d'écrire la biographie des évêques d'Amiens dont plusieurs sont honorés, comme on le sait, d'un culte public. Soucieux de maintenir dans son clergé l'intégrité des mœurs et la dignité de la vie ecclésiastique, il donna à Baldéric son assentiment en vue d'établir à Ham une communauté de Chanoines Réguliers ; lui-même prit une initiative semblable à Saint-Martin d'Amiens, et obtint du Pape Pascal II, le 11 mai 1109, des lettres approuvant cette fondation.

Saint Godefroy au Concile de Vienne.

A la même époque, le Pape Pascal II fut fait traîtreusement prisonnier par l'empereur d'Allemagne, Henri V. Guy, archevêque de Vienne, qui plus tard devint le Pape Calixte II, réunit en septembre 1112 un Concile national des évêques de France, pour chercher un remède à la situation pénible de l'Eglise et de son chef. Godefroy fut un des plus empressés à s'y rendre, sur l'invitation même du prélat, qui l'aimait tout particulièrement. On dit même que l'archevêque, ayant la langue embarrassée, lui céda la présidence de l'assemblée qui condamna comme hérétique la doctrine selon laquelle une main laïque pouvait conférer l'investiture.

La « commune d'Amiens ».

Sous le règne de Louis VI, une lutte tenace fut menée par le pouvoir royal que secondait Suger, Abbé de Saint-Denis, contre la puissance des grands seigneurs. Les bourgeois des villes, soutenus en maint endroit par les évêques et les clercs, sollicitèrent leurs seigneurs de leur garantir par un écrit, qu'on appelait « la Charte », certaines libertés communales. En plusieurs cités, les seigneurs y consentirent ; en d'autres, ils refusèrent. Il en résulta de véritables guerres civiles. A Amiens, quatre personnages dominaient dans la ville : l'évêque, son délégué, appelé le vidame (c'est-à-dire vice-dame ou vice-seigneur), le châtelain et le comte. Godefroy et le vidame soutenaient les revendications des bourgeois et du peuple ; le châtelain et le comte prétendaient maintenir leur situation privilégiée. La lutte dura plusieurs années et donna lieu à des incidents nombreux, certains peu graves, d'autres sanglants, où Godefroy dut intervenir. Ainsi, en janvier 1107, nous voyons l'évêque d'Amiens aller à Pinchegny délivrer Adam, châtelain d'Amiens, fait prisonnier par Wermond, son vidame ; la même année, il fait relâcher celui-ci par le comte Guillaume de Ponthieu. La situation devint beaucoup plus grave en 1113, au moment où Laon était en pleine révolution. Godefroy et son vidame s'empressèrent d'accorder au peuple la liberté demandée, mais les deux autres seigneurs opposèrent une longue résistance. Pendant deux ans, une guerre intestine fit couler le sang des fidèles aux yeux du pasteur désolé.

Le désir de la solitude. – A la Grande-Chartreuse.

Le dérèglement des mœurs avait encore ajouté aux angoisses de Godefroy. D'autre part, le rôle important que jouait l'évêque, non seulement dans les affaires religieuses de la cité et du diocèse, mais encore dans la vie sociale et politique alors si agitée, ne pouvait manquer de lui susciter des

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inimitiés redoutables. Au milieu de ces difficultés, la pensée de la Grande-Chartreuse venait souvent à l'esprit et au cœur de Godefroy comme d'un lieu de recueillement et de sérénité, et il souhaitait vivement d'y finir ses jours. En attendant, il ne renonce pas pour cela à l'activité que lui impose sa charge ; c'est ainsi que le 2 septembre 1114 il assiste au Concile provincial de Reims, et le 6 septembre à la dédicace de l'église Notre-Dame de Laon. Mais sa croix restait lourde à porter  ; de Beauvais, il adressait à l'évêque Yves de Chartres une lettre dans laquelle il exposait ses misères, les vexations dont il était l'objet et demandait un conseil. On peut croire qu'Yves l'engagea à la retraite ou que la situation devint intolérable, car, au mois de novembre, Godefroy se mettait en route pour la Grande-Chartreuse, en passant par Cluny, il devait y séjourner du 6 décembre 1114 au 3 mars 1115.

Saint Godefroy obéit à l'ordre de revenir. – Sa mort.

Au moment même où il arrivait en cette solitude qui dut lui paraître la Terre Promise, les Amiénois se présentaient devant un Concile réuni à Beauvais, porteurs des lettres de démission de Godefroy, et sollicitaient la nomination d'un nouvel évêque. La décision fut sans doute renvoyée à plus tard, car quelques semaines après, le 6 janvier 1115, le Concile de Soissons décrétait que l'évêque d'Amiens recevait l'ordre de regagner son siège. Le prélat obéit et les documents sont là pour attester la nouvelle activité qu'il déploie en cette année 1115, la dernière de sa vie ; ainsi, le dimanche des Rameaux, il prononça une homélie où il exhortait Louis VII à s'emparer par la force du château fort d'Amiens, qu'on appelait le Castillon. Au début de juin, il prenait part au Concile de Châlons ; le 16 du même mois il réunissait encore un synode en sa ville épiscopale. Godefroy ayant à se rendre à Reims pour conférer avec l'archevêque, Raoul le vert, s'arrêta à Soissons. A la nouvelle de sa présence, le vénérable Odon, restaurateur de l'abbaye bénédictine de Saint-Crépin-le-Grand, située à proximité de la ville, l'invita à venir célébrer sur leur tombeau la fête des glorieux martyrs saint Crépin et saint Crépinien. Godefroy officia solennellement dans l'église de l'abbaye. Malgré la fièvre qui le tourmentait, il passa près des saintes reliques une grande partie de la journée du 25 octobre. Le lendemain il voulut partir, malgré les efforts de tous. Mais à deux lieues du monastère, il se vit obligé de s'arrêter, la fièvre ne lui permettait plus de faire un pas. On le porta au village le plus proche, où il reposa trois jours ; puis l'Abbé de Saint-Crépin l'envoya chercher, et le prélat fut ramené mourant, en bateau, le 29 octobre, jusqu'au monastère. Il vécut encore quelques jours, reçut les sacrements de la main de Lisiard, évêque de Soissons, après quoi, il rendit en paix son âme, le 8 novembre 1115, âgé d'environ cinquante ans.

Le corps fut inhumé au milieu du chœur, puis vingt-trois ans plus tard, le 4 avril 1138, élevé de terre et transféré devant le grand autel de l'église abbatiale. Des fouilles entreprises en 1617 pour le retrouver n'ont donné aucun résultat.

Saint Godefroy semble avoir été honoré comme saint dès sa mort au diocèse de Soissons ; sa fête y fut célébrée d'abord le 8 novembre ; elle est maintenant fixée au jour précédent. Par contre, à Amiens, et bien que, dès le 10 mai 1116, son successeur Enguerrand ait écrit son éloge exprimant l'opinion commune que Godefroy était « agrégé… à la Société des justes », son culte est beaucoup plus récent ; le premier document qui en fasse mention est un Martyrologe de 1515 ; son office fut inséré au Bréviaire d'Amiens en 1618 et sa fête se célébra dès lors le 9 novembre à cause de l'octave de Tous les Saints ; elle est maintenant au 16 novembre. Le 8 novembre est la date indiquée par le Martyrologe romain. La ville d'Amiens n'a pas oublié que son pasteur favorisa les libertés communales ; une rue porte son nom et sa statue se voit à l'Hôtel de Ville.

R.H.L.

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Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. III de novembre (Bruxelles, 1910). Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes (Paris). (V.S.B.P., n° 351.).

SAINT URSINPremier évêque de Bourges (1er ? ou IIIe siècle)

Fête le 9 novembre.

Sur la liste des évêques et archevêques de Bourges, la première place est occupée par saint Ursin, à qui succèdent quatre autres saints pontifes. C'est seulement avec le douzième prélat, nommé Léon, que la chronologie se précise (461). Jusqu'au milieu du Ve siècle, l'incertitude subsiste donc quant aux dates des premiers chefs de cette Eglise.

Nathanaël et la tradition.

Selon les Acta sancta Ursini, saint Ursin aurait été un des soixante-douze disciples de Notre-Seigneur, peut-être le même personnage que Nathanaël ; il aurait assisté à la Cène, où il aurait fait fonction de lecteur, ainsi qu'aux derniers événements de la vie du Christ et à la lapidation de saint Etienne.

Ce Nathanaël – dit un ancien texte – était un des sept disciples à qui le Christ ressuscité apparut sur lu mer de Tibériade. Nathanaël fut appelé par la suite Ursicin et envoyé par le bienheureux apôtre Pierre près des Bituriges. Il fut le premier évêque de leur ville – Avaricum ou Bourges – et là, après avoir brillé par la multitude de ses bonnes œuvres, il se reposa dans le Christ.

En réalité, les « Actes » du Saint ne remontent pas au delà du VIIIe ou du IXe siècle. Ils ont joui d'un assez grand crédit jusqu'au XVIIIe siècle. Ainsi le Martyrologe de Paris, publié en 1537, portait au 29 décembre la mention suivante :

A Bourges, primatie d'Aquitaine, déposition du bienheureux Ursin, confesseur, premier archevêque de Bourges, envoyé en ce lieu par le bienheureux (Pape) Clément pour y prêcher la foi du Christ  ; des récits rapportent qu’il s’appelait Nathanaël et qu’à la dernière Cène, au moment où Notre Seigneur était sur le point de souffrir pour le rachat du monde, il remplit l'office de lecteur.

De nos jours, et avec raison, l'on préfère s'appuyer sur les textes que nous a laissés Grégoire de

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Tours dans l'Histoire des Francs et sur le traité De la gloire des confesseurs. Or, cet auteur se pro-nonce nettement pour le IIIe siècle. C'est à lui que sont empruntées, parfois mot pour mot, les leçons du Propre diocésain de Bourges, édité en 19I7.

Dans la présente notice nous nous inspirerons de cet exemple en faisant usage principalement des traductions de Just Veillat et de l'abbé Jean Villepelet.

L'apôtre des Bituriges.

Ursin fut ordonné évêque par les disciples des apôtres qui l'envoyèrent dans les Gaules ; il atteignit bientôt la ville des Bituriges, où il prêcha aux habitants Jésus-Christ Notre-Seigneur, salut du monde. Parmi le petit nombre de convertis, quelques-uns, devenus clercs, commencèrent à psalmodier et apprirent la manière de bâtir une église, comme aussi de solenniser des fêtes en l'honneur du Dieu tout-puissant. Mais, comme ils n'avaient encore que de faibles ressources pour construire, ils prièrent un de leurs concitoyens, personnage influent, de leur céder sa maison pour en faire une église. Or les sénateurs et autres grands personnages de la ville restaient très attachés au culte des faux dieux, alors que les nouveaux chrétiens se recrutaient surtout parmi les pauvres. Les solliciteurs ne purent donc obtenir la maison qu'ils avaient demandée.

Générosité de saint Léocade.

Ayant échoué de ce côté, ils résolurent alors de s'adresser à un personnage du nom de Léocade, premier sénateur des Gaules, qui possédait une maison à Bourges, bien qu'il résidât alors à Lyon. Ils lui firent connaître à la fois l'objet de leur voyage et leur qualité de chrétiens. On peut croire que ce Léocade, encore païen, avait déjà manifesté de la bienveillance pour la nouvelle religion ; Grégoire de Tours signale d'ailleurs qu'il descendait de Vettius Epagathus, que l'histoire mentionne parmi les chrétiens martyrisés lors de la persécution de 179.

– Si, répondit-il à ses visiteurs, la maison que je possède dans la ville de Bourges était digne d'un tel honneur, je ne refuserais pas de la donner à cette intention.

A ces mots, les solliciteurs se prosternèrent à ses pieds ; ils lui offrirent trois cents pièces d'or avec un plat d'argent et lui affirmèrent que sa maison conviendrait parfaitement à cet usage. Mais Léocade, par déférence, prit seulement trois des pièces d'or et fit bienveillamment remise de tout le reste. Puis, abjurant les erreurs de l'idolâtrie où il était encore plongé, il se fit chrétien en compagnie de son fils Lusor ou Ludre, et transforma son palais en église. Telle fut la première église de Bourges, remarquable par sa magnifique ordonnance et enrichie des reliques du protomartyr saint Etienne.

Mort de saint Ursin.

Ici s'arrêtent les données que nous possédons sur la vie du premier évêque de Bourges. Il est très difficile de préciser l'année de sa mort, tout au plus croit-on qu'elle arriva à la date du 29 décembre. Lorsque le saint apôtre des Bituriges eut quitté ce monde, son corps fut inhumé près de la ville, dans un champ commun, parmi tous les autres tombeaux ; car, ainsi que le fait observer Grégoire de Tours, ce peuple ne connaissait pas encore la manière dont doivent être honorés les prêtres du Seigneur, ni le respect qui leur est dû. C'est ce qui nous explique que le terrain venant à se hausser on y planta de la vigne, et que l'on perdit toute trace de la sépulture du premier prêtre de

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la ville ; on ne parlait même plus de lui, jusqu'au temps où saint Probien devint évêque de Bourges, c'est-à-dire vers le milieu du Ve siècle.

Découverte des reliques de saint Ursin.

Le principal événement qui marqua l'épiscopat de Probien fut précisément l’«  invention », c'est-à-dire la découverte des restes de son glorieux prédécesseur. Dans ce même temps vivait un saint prêtre nommé Auguste, qu'on appelle aussi quelquefois Aout, ce qui risque de provoquer une confusion avec le saint évêque de Bourges qui porte ce nom. Saint Auguste avait fait partie de la maison de l'évêque saint Désiré. Ses mains et ses pieds étaient si contractés qu'il ne pouvait s'avancer qu'en se traînant sur les genoux et sur les coudes. Sous l'inspiration de Dieu et avec les aumônes des fidèles, il construisit dans un faubourg de Bourges, nommé Brives, aujourd'hui incorporé dans la ville, un oratoire dédié à saint Martin. Il y apporta des reliques de l'illustre évêque et recouvra la santé. Dès lors, ayant réuni quelques moines, il vivait au milieu d'eux, suivant une règle, s'appliquant sans cesse à la prière. Par la suite, l'évêque de Bourges le nomma Abbé de la basilique de Saint-Symphorien, que le même prélat avait construite près des murs de la ville.

Une nuit, Ursin apparut à saint Auguste et lui adressa ces paroles :- Va, creuse la terre et cherche mon corps ; je suis Ursin, le premier évêque de cette ville.- Où aller ? répondit Auguste. Où puis-je chercher votre tombeau, alors que j'ignore en quel lieu

a été déposé votre corps ?Mais le Saint, le prenant par la main, le conduisit à l'endroit voulu et lui dit :- Mon corps repose sous les racines de ces vignes.A son réveil, l'Abbé raconta sa vision à l'évêque Probien qui en fit peu de cas et négligea même

la peine de prendre de plus amples informations. Sur ces entrefaites, saint Germain, évêque de Paris, vint à Bourges et fut reçu dans le palais épiscopal. Après le souper, comme il s'était endormi, saint Ursin lui apparut en même temps qu'à l'Abbé et les conduisit tous deux à son tombeau, en les priant d'ôter ses restes de cet endroit. S'étant donc levés pour les Matines, ils se rencontrèrent dans l'église Saint-Symphorien, puis, l'office terminé, l'évêque de Paris raconta sa vision à l'Abbé, qui, à son tour, déclara avoir eu une vision semblable.

En conséquence, la nuit suivante, accompagnés d'un seul clerc qui portait un cierge, ils se rendirent au lieu indiqué, fouillèrent profondément le sol et trouvèrent le cercueil. Ayant enlevé le couvercle, ils virent le corps du Saint dans l'attitude d'un homme endormi et ne portant aucune trace de corruption. Remplis d'admiration, ils replacèrent le couvercle, et, le jour s'étant levé, ils racon-tèrent à l'évêque ce qu'ils avaient vu. Alors, Probien convoqua les Abbés et tout le clergé ; après quoi, il fut procédé en grande cérémonie et au milieu des chants à l'enlèvement du corps. Quand le cortège arriva au porche de l'église, on remarqua que les brancards des porteurs étaient trop longs, ce qui ne permettait pas de tourner et d'entrer commodément. Alors saint Germain, élevant la voix, s'écria :

- Saint prêtre de Dieu, si votre volonté est que nous entrions dans cette basilique, faites que nous éprouvions l'effet de votre secours.

Et tout aussitôt, le cercueil, perdant son poids, devint si léger, qu'on abandonna les brancards et que les mains de quelques hommes suffirent à transporter ce qui avait exigé jusque-là un grand nombre de personnes.

Après la célébration de la messe, au milieu de l'allégresse générale, le corps de saint Ursin fut inhumé tout près de l'autel, où sa présence se manifesta depuis par des grâces nombreuses.

Les reliques de saint Ursin déplacées momentanément.

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Vers le IXe ou le Xe siècle, les reliques du saint évêque durent être momentanément enlevées de l'église Saint-Symphorien pour échapper aux profanations des invasions normandes qui, à cette époque, désolèrent le Berry. Tout porte à croire qu'elles furent transportées à l'abbaye bénédictine de Vaucluse, dans la Franche-Comté. En souvenir de l'asile accordé par eux aux reliques, les moines de cette abbaye en gardèrent une partie importante, c'est ce qui expliquerait comment l'église actuelle de Cour-Saint-Maurice, au diocèse de Besançon, paroisse proche de l'ancienne abbaye de Vaucluse, possède aujourd'hui des reliques de saint Ursin.

Celles qui furent rapportées à Bourges reprirent leur place primitive dans l'église Saint-Symphorien, qui reçut depuis lors le nom d'église Saint-Ursin. En 1012, cette église fut transformée en collégiale par le comte Geoffroy de Bourges. Désaffectée pendant la Révolution et vendue en 1793, elle devait être démolie en 1799 ; seule subsiste sa belle porte romane, transférée plus tard sur l'une des avenues principales de la ville.

Nouvelles reconnaissances successives.

Une nouvelle reconnaissance avait été faite en 1239 par le bienheureux Philippe Berruyer, patriarche de Bourges ; les reliques furent renfermées dans un sac de cuir blanc et déposées dans une châsse d’argent magnifique, don de l’archevêque. Cette châsse fut élevée sur l’antique sarcophage, au-dessous de l’autel.

La reconnaissance suivante eut lieu le 3 mars 1377, à la demande du duc de Berry, par les soins de l’archevêque Bertrand de Chanac. Plusieurs ossements furent alors offerts au duc, ce qui lui permit de faire des libéralités. C’est ainsi qu’en 1379, Hervé, Abbé des Chanoines réguliers du Bourg-Moyen, à Blois, apporta à l’église de Saint-Victor-les-Bois des reliques assez importantes qui sont conservées aujourd’hui dans l’église de La Chaussée Saint-Victor ; transportées à Blois en 1562 par crainte des profanations calvinistes, elles rentrèrent à Saint-Victor exactement vingt ans après, le 29 juin. Au XVIIIe la légende de saint Ursin fut insérée, au moins momentanément, au bréviaire du diocèse de Blois.

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Les païens de Bourges excitent les chiens contre saint Ursin.

La châsse conservée à Bourges fut ouverte le 25 février 1475, en présence du roi Louis XI, dont on connaît la dévotion envers les reliques des Saints, et de l'archevêque Jean Cœur, fils de l'illustre argentier de Charles VII. Préservé, en 1562, de la fureur des protestants, alors maîtres de Bourges, le corps de saint Ursin disparut dans la tourmente révolutionnaire de 1793. Toutefois, on put sauver quelques fragments de ses restes conjointement avec d'autres parcelles des corps des saints Étienne et Austrégésile, déposés dans une boîte de plomb et qui se trouvaient, depuis le 21 décembre 1767, sur le maître-autel de la cathédrale de Bourges. Au XIXe siècle, Mgr Mathieu, archevêque de Besançon, voulut bien offrir à Mgr de Villèle, archevêque de Bourges, une relique assez notable qui se trouvait en son diocèse, probablement depuis le IXe ou le Xe siècle, pour les motifs que nous avons rapportés plus haut.

Les reliques de saint Ursin à Lisieux.

De son côté, la ville de Lisieux avait obtenu, en 1055, des reliques considérables de saint Ursin, en des circonstances sur lesquelles nous ne possédons pas toute la clarté souhaitable, à moins de supposer, ainsi que l'ont cru autrefois les Bollandistes, qu'il ne s'agisse d'un saint personnage homonyme. Elles furent placées derrière le maître-autel de la cathédrale Saint-Pierre, avec des ossements des saints Patrice et Berthevin ou Berthivin. Saint Patrice est le cinquième évêque de Bayeux (Ve siècle); quant à saint Berthevin, c'est un diacre martyr, dont la fête était célébrée à Lisieux le 11 juin ; on l'a souvent identifié avec le Saint mis à mort dans la localité du même nom au bord du Vicoin, presque aux portes de Laval. Plus tard, les reliques de ces trois Saints furent déposées en une châsse d'argent, elle-même élevée sur quatre colonnes de bois doré ; Guillaume d'Estouteville, alors évêque de Lisieux, les trouva ainsi le 14 avril 1399 lorsqu'il procéda à une

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reconnaissance officielle dont voici en partie le procès-verbal :

Nous faisons savoir que considérant et envisageant l'avantage et l'honneur de notre Église, le 13 du mois d'avril après la fête de Pâques de l'an du Seigneur 1399. indiction VIII, la sixième année depuis l'élection du Pape Benoît – Pierre de Luna, le pseudo-Pape d'Avignon Benoît XIII – voyant aussi et considérant que la chasse, posée depuis un temps très reculé sur l'autel majeur par le consentement mutuel d'une estime admirable et d'une vénération de tous les âges... a été endommagée et abîmée par de nombreux accidents et événements fâcheux ; voulant, en conséquence, remédier dans la mesure du possible à ces outrages…, avec la solennité la plus grande que nous avons pu nous l'avons transportée de sa place avec des louanges et cantiques dans le trésor de l'église ; ensuite, désireux de voir le trésor inestimable qu'aucun vivant n'avait vu ouvert au jour susdit avec dévotion et avec une profonde vénération, nous avons cherché avec soin et nous avons trouvé de la manière suivante. Et d'abord, nous avons trouvé dans la même châsse, ainsi que l'indiquaient d'anciennes inscriptions et surtout une plaque de marbre sur laquelle était écrit : Corpora Sanctorum Ursini Bertivini atque Patricii confessorum (Corps – on sait que par ce mot de Corps, il faut entendre souvent des reliques plus ou moins importantes – des saints Ursin, Berthevin et Patrice, confesseurs), le corps du bienheureux Ursin avec la plus grande partie de la tête et des ossements très nombreux, enveloppé dans des tissus de soie et de lin, et enfermé dans un sac en peau de cerf sous un sceau de pâte ; sur ce sac étaient écrits ces mots : Corpus beati Ursini cum magna parte capitis (Corps du bienheureux Ursin avec une grande partie de la tête).

Les reliques de saint Ursin conservées à Lisieux furent transportées furtivement au delà de la Manche à la fin du XVe siècle lorsque la ville fut passée aux mains des Anglais. Elles devaient être restituées plus tard, et leur heureux retour était commémoré par une procession annuelle. Plusieurs reconnaissances des reliques sont signalées : trois au XVIIe siècle, deux au XVIIIe. Des reliques importantes de saint Ursin, disparues lors de la Révolution, furent retrouvées en 1842. Le diocèse de Lisieux célébrait le 11 juin la Translation de saint Ursin et de ses compagnons ; le 9 novembre, la découverte de ses reliques, enfin, le 29 décembre, sa fête proprement dite. Saint Ursin avait d'ailleurs une chapelle dans la cathédrale ; aux environs de la ville, chaque année, le lundi de Pâques, une procession solennelle se rendait à un Calvaire situé sur la route de Bourges, et appelée Croix de Saint-Ursin.

Le culte de saint Ursin en Berry.

Primitivement, la fête était célébrée à Bourges le 29 décembre, donc, dans le cycle des fêtes de Noël ; à cette première fête s'ajouta celle qui rappelait la translation de ses restes effectuée en 1249. Mais cette cérémonie ayant eu lieu le 23 octobre, à une époque de l'année où la célébration d'une fête était rendue difficile par des circonstances locales, l'Eglise de Bourges obtint en 1249 du Pape Innocent IV une bulle transférant la solennité de la translation au 9 novembre. Finalement, c'est cette dernière date qui l'a emporté, la fête de la translation se substituant à celle du dies natalis, c'està-dire à la date présumée de la mort du Saint. Le Pape Pie X a proclamé canoniquement le premier évêque de Bourges patron principal du diocèse. En dehors de La Chapelle Saint-Ursin, paroisse située à environ deux lieues de Bourges, dans le canton de Mehun-sur-Yèvre, aucune autre paroisse du Berry n'était placée, en 1930, sous le vocable de son premier évêque ; l'ancienne paroisse de Séruelles, rattachée aujourd'hui à la commune de Châteauneuf, était autrefois sous le vocable de saint Ursin et sous le patronage du Chapitre du même nom qui se trouvait en la cité archiépiscopale. De même la paroisse de Culan possédait une chapelle dédiée à saint Ursin et qui, en 1213, relevait de l'abbaye de Déols ; en 1786, il n'en restait plus que le portail et le cimetière. Les habitants furent autorisés à la vendre pour parer à un besoin local, mais avec l'obligation de construire une chapelle dans l'église Notre-Dame de Culan, en face de la chapelle de Saint-Vincent.

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J.V. et Fr. Br.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. III de septembre (Paris et Bruxelles, 1868), et t. IV de novembre (Bruxelles, 1925). – Abbé J. Villepelet, Nos Saints berrichons, traduction, sources et commentaire du Propre du diocèse de Bourges (Bourges, 1931). – Just Veillat, Pieuses légendes du Berry (1864). – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, t. XIII (Paris, 1888).

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PAROLES DES SAINTS________

La tempérance.

Le médecin prescrit la modération, même à celui qui est sain. Le bon médecin donne ce conseil, il ne veut pas être nécessaire au malade. De même, le Seigneur Dieu a daigné prescrire à l'homme créé sans vice la tempérance ; si ce dernier l'avait observée, il n'aurait pas eu plus tard besoin de médecin pour son mal. Mais parce qu'il ne l'a pas gardée, il est devenu languissant, il est tombé et devenu infirme, il a enfanté des infirmes. Cependant, Dieu n'a pas voulu abandonner à la mort éternelle le genre humain condamné par son juste jugement ; et il a envoyé le médecin, le Sauveur, celui qui guérit gratuitement, pour lequel c'est trop peu de guérir gratuitement, puisqu'il donne aussi sa récompense à ceux auxquels il a rendu la santé. Rien ne peut être ajouté à cette bienveillance.

Saint Augustin.

Dans les adversités.

Ce qui nous distingue des infidèles, c'est la conduite dans les adversités. Nos cœurs, au milieu de l'adversité, c'est le feu dans la fournaise. Sous le poids de l'affliction, votre vertu se soutient, votre foi n'est point chancelante ; vous ne cessez point de servir et de bénir Dieu. Quelle confusion pour les lâches ; quelle force d'âme, quelle sublimité de courage, d'être debout au milieu des ruines de l'univers, qui semble s'écrouler autour de vous !

Saint Cyprien.

(Traité de la mortalité.)

Se connaître.

Pour arriver à connaître Dieu, commencez par vous connaître vous-même.

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Saint Nil le Sinaïte.

(Sentences spirituelles.)

SAINT ANDRÉ AVELLINOThéatin (1521-1608)

Fête le 10 novembre.

Rares sont en France les fidèles qui connaissent saint André Avellino, ou, du moins, qui l'invoquent, comme un protecteur puissant contre la mort subite et imprévue. A Rome, le Saint jouit d'une confiance bien méritée sous ce rapport. II y est l'objet d'un culte spécial, qui se manifeste par des neuvaines, des triduums, etc. On ne saurait donc trop recommander à tous les fidèles la dévotion à saint André Avellino, dévotion trop peu connue, trop peu pratiquée jusqu'ici dans nos contrées, dévotion douce, consolante, et qui peut contribuer puissamment à nous faire obtenir la grâce d'une bonne mort.

Prêtre séculier et avocat.

André Avellino naquit en 1521, à Castronuovo, petite ville du royaume de Naples, de Jean Avellino et de Marguerite Apella. Au baptême il reçut le nom de Lancelot, nom qu'il porta jusqu'à

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son entrée en religion. Ses parents, que leur piété rendait plus recommandables que leur richesse, le formèrent de bonne heure à la pratique de la vertu. Son oncle, archiprêtre du lieu de sa naissance, lui enseigna les éléments de la grammaire. Dès son enfance, André prit l'habitude de réciter tous les jours le chapelet et donna des marques éclatantes de sainteté. Après ses premières études il quitta la maison paternelle pour aller à Venise faire ses humanités et sa philosophie.

Il y demeura quatre ans et travailla avec tant de succès que ses professeurs mêmes en étaient surpris. De retour chez ses parents, le jeune homme ne fit qu'y passer, car il pria l'évêque diocésain de l'admettre au nombre de ses clercs et reçut bientôt la tonsure de ses mains. En souvenir de l'événement, Lancelot grava son nom sur une pierre de la chapelle où la cérémonie avait eu lieu ; et l'on a remarqué que, lorsque l'église tombe en ruines, le pan de muraille où était cette inscription demeura entier. Il se rendit ensuite à Naples pour y étudier la jurisprudence, et il y obtint le grade de docteur. C'est à ce moment qu'Avellino fut ordonné prêtre. S'il n'eût écouté que son humilité, il se serait contenté de recevoir les ordres mineurs. Mais le désir de s'approcher de plus près de Dieu et en même temps de travailler à lui gagner des âmes par l'exercice du ministère sacerdotal le fit passer outre à ses scrupules. Presque aussitôt l'autorité ecclésiastique le chargea de la direction spirituelle d'un couvent de religieuses.

Il ne se contenta pas de leur donner les secours ordinaires que les moniales vivant à l'ombre du cloître attendent de leur directeur, mais il décida de procéder à une réforme, devenue nécessaire, de la communauté, et il eut la consolation de voir refleurir l'observance régulière dans ce lieu où le dérèglement avait jeté de profondes racines. Ce succès inespéré lui valut la haine de quelques libertins qui résolurent de se débarrasser de lui par l'assassinat. Un sicaire lui porta plusieurs coups d'épée comme il sortait de l'église.

La victime en eût le visage tout défiguré si la Providence n'avait guéri parfaitement ses plaies dont, par la suite, aucune cicatrice ne révéla la trace.

Le vice-roi de Naples s'offrit pour punir les auteurs de l'attentat, l'homme de Dieu déclina la proposition, ne souhaitant pas, disait-il, la mort des pécheurs, mais leur conversion et leur salut. Cependant, on apprit peu de temps après que le meurtrier avait été tué par un homme dont il avait déshonoré la maison. Don Avellino exerçait les fonctions d'avocat, mais seulement devant les tribunaux ecclésiastiques et dans les causes de quelques particuliers, suivant les exigences canoniques.

Un jour qu'un léger mensonge lui était échappé au cours d'une plaidoirie, il tomba par hasard sur ces paroles de la Sainte Ecriture : « La bouche qui profère un mensonge tue l'âme. » Saisi de douleur, il décida de ne plus retourner au barreau et de se consacrer tout entier au saint ministère.

Chez les Théatins.

Ce changement d'état ne lui suffit pas. Animé du désir d'une vie plus parfaite, Lancelot sollicita son admission dans l'Ordre des Clercs réguliers Théatins, nouvellement fondé par saint Gaétan de Tiène. Il fut reçu la veille de la fête de l'Assomption, en l'année 1556, et prit, le nom d'André, à cause du grand amour qu'il avait pour la croix. Ce novice de trente-cinq ans ne tarda pas à paraître un profès fort avancé dans les voies de l'ascétisme. Il n'y avait rien de si bas dans les emplois de la maison qu'il ne considérât comme très relevé.

Plus on l'humiliait, plus il se croyait comblé d'honneurs ; plus on lui prescrivait de pénitences, plus on lui causait de joie. Son courage et sa patience se montrèrent toujours supérieurs à toutes les épreuves. Il s'était lié par deux vœux difficiles : l'un de résister continuellement à sa volonté propre, l'autre de réaliser toujours de nouveaux progrès dans la carrière de la perfection chrétienne. On admirait son zèle pour la mortification extérieure et la sévérité avec laquelle il traitait son corps ; mais ce qu'on admirait plus encore, c'était son amour de l'abjection et son ardeur à se dépouiller du vieil homme.

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Le maître des novices.

Quand il eut fait profession avec toute la piété que l'on pouvait attendre d'un novice aussi bien préparé, il obtint de ses supérieurs la permission d'accomplir le pèlerinage de Rome, non pour satisfaire à une vaine curiosité, mais pour gagner les indulgences attachées à la visite du tombeau des Apôtres.

A son retour à Naples il se vit confier l'une des tâches considérées comme des plus importantes dans un Ordre religieux, celle de maître des novices. Il en exerça la charge pendant dix ans. Nommé en outre supérieur de sa maison, il sut concilier dans ces deux emplois la fermeté avec la douceur, et le zèle de l'observance avec la pieuse condescendance vis-à-vis des infirmités de ses frères.

Séjour à Plaisance et à Milan.

Après ce supériorat, le Général de l'Ordre, qui avait tant de preuves de sa prudence et de sa sainteté, se remit à lui du soin de fonder deux maisons : l'une à Milan et l'autre à Plaisance. Le bien qu'André y opéra lui suscita beaucoup d'ennemis, surtout dans cette dernière ville où, par la force de ses prédications et de ses conférences, il avait réprimé le luxe féminin et converti un grand nombre de pécheresses publiques.

On tâcha de le perdre dans l'esprit de la foule et on écrivit contre lui au duc de Parme, afin d'obtenir son expulsion. Ces calomnies ne servirent qu'à auréoler davantage sa vertu : le duc lui rendit visite et fut si charmé de sa modestie et de l'onction de ses paroles qu'il le considéra comme un Saint. A son tour la duchesse voulut le connaître, elle le choisit pour directeur de conscience et lui amena le prince Rainuec, son fils, en faveur de qui elle sollicita la bénédiction du serviteur de Dieu.

L'amitié de deux saints.

Le bien accompli par André à Plaisance détermina le Général des Théatins à le désigner pour être le visiteur de la province de Lombardie. Il s'acquitta de cette nouvelle tâche avec tant de sagesse, de vigueur et de bonté, que les religieux de la maison de Milan l'obtinrent pour supérieur. Cette maison était sous la protection du saint archevêque Charles Borromée, qui se prit d'une vive amitié pour André, lui découvrant librement ce qui se passait de plus secret dans son cœur, tandis que le fils de saint Gaétan révélait en toute ingénuité au cardinal les grâces extraordinaires dont le ciel le favorisait dans son humble cellule. Un jour il avoua que Notre-Seigneur lui était apparu dans sa gloire et qu'il en avait gardé une si vivace impression de la beauté divine qu'il se sentait désormais incapable d'en estimer aucune autre ici-bas. Sous son influence, alors qu'il était à Milan, la vicomtesse Paule, belle-sœur du cardinal Augustin de Cusa, renonça au monde pour entrer chez les Capucines.

Saint André Avellino refuse l'épiscopat.

La réputation de sainteté d'André Avellino était parvenue jusqu'à Rome. Le Pape Grégoire XIV

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lui offrit un évêché, mais le serviteur de Dieu refusa. La seule pensée d'un pareil honneur lui était insupportable. Même dans ses supériorats il choisissait un de ses disciples qu'il reconnaissait pour supérieur, afin de vivre toujours dans la soumission et l'obéissance. Tout ce qu'on put lui faire accepter pour le bien commun des fidèles, ce fut un pouvoir général d'absoudre de toutes sortes de cas réservés.

Retour à Plaisance. – Le supériorat de Naples.

De Milan, André revint à plaisance pour gouverner la maison dont il avait été déjà le supérieur. Il eut la consolation d'y ouvrir le ciel à l'un de ses disciples, le P. Jean-François Solarius, qui avait été un de ses novices, et qu'il avait choisi pour son directeur. A l'expiration de son temps de supériorat, le Chapitre général de l'Ordre voulut lui renouveler sa charge ou tout au moins le placer à la tête d'une autre maison. André demanda la plus pauvre d'Italie pour vivre inconnu du monde et vaquer à la pratique des plus grandes austérités. Le Chapitre en jugea différemment et l'envoya à Saint-Paul de Naples, un des plus considérables monastères de l'Ordre. Sa vertu y parut avec tant d'éclat qu'au bout de trois ans il se vit, malgré ses instances, élu supérieur. Dans cette situation nouvelle il eut la joie d'assister à l'ouverture d'une nouvelle maison de Théatins. Ce couvent, le second de l'institut à Naples, fut bâti des deniers de la princesse Salmone, qui le fonda, en considération d'André Avellino luimême, sous le vocable de Notre-Dame des Anges. Lors de la pose de la première pierre, il guérit une dame de condition qui ressentait à l'œil une douleur violente.

Un miracle eucharistique.

Le supérieur des Théatins de Naples regardait comme un devoir de réfuter publiquement des hérétiques qui combattaient la réalité de la présence de Notre-Seigneur dans l'Eucharistie, et il fit punir leur chef. Séduit par ces imposteurs, un habitant qui avait reçu la sainte Hostie à la communion la mit dans son mouchoir, avec l'intention de la profaner lorsqu'il serait chez lui. Une fois rentré dans sa maison, il ouvrit son mouchoir et le trouva plein du sang qui avait coulé de l'hostie. Dans sa frayeur il courut au serviteur de Dieu pour lui confesser son sacrilège et lui raconter le miracle. André prit sur lui une partie de la pénitence que méritait le coupable, et, sans l'exposer au châtiment public prévu en pareil cas, il ne laissa pas de citer le prodige en chaire et au confessionnal pour fortifier la foi dans le dogme de la présence réelle. Dans une autre circonstance il apaisa par sa sagesse et par des processions solennelles une sédition qui s'était élevée à Naples. Au cours d'une disette de blé qui désolait la ville, son intervention permit de pourvoir aux besoins des pauvres.

Autres prodiges.

Une nuit que, par une tempête furieuse, André revenait de porter le Viatique à un malade, la violence de la pluie et du vent éteignit le flambeau qui précédait le Saint Sacrement. Ni lui ni ses compagnons ne reçurent une seule goutte d'eau et la petite troupe put poursuivre son chemin dans l'obscurité à la faveur d'une lumière céleste qui enveloppa le serviteur de Dieu. A la suite d'une maladie grave qui avait épuisé ses forces, on voulut le remonter en lui servant une nourriture reconstituante. Mais il refusa de rien modifier à son ordinaire et ne prit pour tout remède que des pois et des fèves. Ce régime, désapprouvé par les médecins, eut pourtant un effet salutaire, puisque le malade recouvra une parfaite santé. Par ses vertus, André Avellino était recherché de toutes les

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personnes de condition ; les princes mêmes se regardaient comme très honorés de sa visite. Un jour qu'il se rendait chez le prince Stigliano, sur un cheval de louage, n'ayant pas voulu

attendre un carrosse, sa monture, après l'avoir jeté bas sur un pavé hérissé d'aspérités, le traîna longtemps, les pieds embarrassés dans les étriers, le long d'un chemin raboteux. En cette extrémité, le voyageur appela à son secours saint Dominique et saint Thomas d'Aquin qui lui apparurent, le dégagèrent, essuyèrent son visage déjà tout ensanglanté, guérirent les blessures de ses pieds et le remirent en selle. A quelque temps de là, il reçut une faveur bien plus considérable ; comme, dans son humilité profonde il ne voyait en lui que des fautes et aucune bonne action, il était travaillé d'une crainte extraordinaire d'être du nombre des réprouvés. Saint Thomas et saint Augustin le visitèrent et lui inspirèrent une inaltérable confiance en Dieu, en l'assurant de la divine miséricorde.

Ouvrages de spiritualité.

André Avellino a conduit dans les voies de la perfection beaucoup de religieux et de séculiers, entre autres Laurent Scupoli, l'auteur du petit livre si populaire, le Combat spirituel. On lui doit plusieurs ouvrages de piété, qui ont été imprimés en cinq volumes à Naples, en 1733 et 1734. Le premier volume renferme : 1° - un traité de la prière ; 2° - une exposition de l'Oraison dominicale ; 3° - des réflexions sur les prières les plus usitées dans l'Eglise en l'honneur de la Sainte Vierge ; 4° - un commentaire sur l'Epître de saint Jacques.

On trouve dans le second volume : 1° - un traité de renoncement au monde ; 2° - des commentaires sur les psaumes CXVIII et XLV ; 3°- un traité sur les huit béatitudes. Des homélies sur les Evangiles de tous les dimanches de l'année et de tous les jours de Carême forment le troisième volume. Le quatrième contient un traité intitulé Les Exercices de l'esprit ; des méditations, des avis à une religieuse, une explication des dons du Saint-Esprit, une dissertation sur le péché originel. Enfin, le cinquième volume est composé de divers traités, qui ont pour objet l'humilité, l'amour de Dieu et du prochain, la miséricorde de Dieu et plusieurs vertus chrétiennes. Nous avons aussi d'André Avellino des lettres très intéressantes qui ont été imprimées à Naples, en 1732.

Saint André Avellino est frappé d'apoplexie.

Deux ans avant sa mort, André Avellino avait appris du ciel en quel temps elle devait arriver et il l'annonça à plusieurs personne. Il tomba gravement malade dans sa quatre-vingt-huitième année sans rien perdre de sa bonne humeur. Le Frère qui l'assistait ayant manqué à une menue observance, ce qui lui avait valu une pénitence régulière, le vieillard demanda de l'accomplir lui-même, comme ayant été la cause de la transgression, mais on ne jugea pas bon de déférer à son désir. Alors André embrassa le Frère, l'assura que, huit jours après, celui-ci n'aurait plus à lui prodiguer ses soins. Le matin même de sa mort, le vénérable Père revêtit les habits liturgiques pour la célébration du saint sacrifice et il était au pied de l'autel répétant pour la troisième fois les paroles : Introibo ad altare Dei, quand il fut soudainement frappé d'apoplexie. Le coup fut si brusque que, sans le secours de son servant de messe, André serait tombé par terre, « si toutefois avait pu tomber », comme s'exprime Clément XI dans la Bulle de canonisation, « ce vieillard intrépide que la vieillesse avait saisi au service du Christ, et que le dernier jour trouvait combattant pour le Sauveur... »

Les assistants accoururent aussitôt pour venir à son aide. Les Pères Théatins, avertis à temps, l'emportèrent dans leur maison contiguë à l'église et lui ôtèrent les vêtements sacrés dont il était revêtu. On lui administra plusieurs remèdes qui ne produisirent aucun effet.

La violence du mal lui avait enlevé l'usage de la parole, mais n'avait nullement altéré sa raison, ainsi qu'on put s'en convaincre en lui voyant faire des signes et des gestes par lesquels il manifestait son désir ardent d'être porté devant le maître-autel. Le supérieur lui ayant demandé si c'était pour

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recevoir la sainte Eucharistie, André baissa deux fois la tête d'une manière affirmative, et insista jusqu'à ce qu'il eût obtenu la promesse qu'on satisferait à sa demande. Mais, préalablement, on voulut le transporter dans sa chambre pour qu'il put y recevoir les soins convenables. Les médecins arrivèrent et déclarèrent que le malade n'avait plus que quelques heures à vivre ; alors on s'empressa de lui administrer le saint Viatique et le sacrement de l'Extrême-Onction. Quelque douloureux que fût son mal, André conserva, par une faveur singulière de Dieu, sa liberté d'esprit pleine et entière ; si bien qu'ayant vu de loin le Saint Sacrement dans les mains du prêtre, il donna des signes extraordinaires de piété et de dévotion, et fit tous les efforts possibles pour sortir de son lit, afin de recevoir, le front dans la poussière, le Dieu de gloire qui venait le visiter. La violence du mal et l'ordre du supérieur l'empêchèrent de mettre son projet à exécution.

Ses derniers moments.

Après avoir reçu les derniers sacrements, André goûta un peu de repos pendant quelques heures. Des religieux et des séculiers entrèrent dans sa chambre et demandèrent sa bénédiction. Le malade indiqua qu'il les reconnaissait parfaitement et accéda à leurs vœux. Plus d'une fois il avait prédit que, pendant son agonie, il aurait un rude combat à soutenir contre l'ennemi du genre humain. Lorsque ceux qui l'assistaient virent son visage se contracter comme sous l'empire de la crainte et se couvrir d'un nuage de tristesse, ils crurent que l'heure du combat prédit était arrivée et prièrent pour lui avec ferveur. André, de son côté, ayant fixé plusieurs fois avec une grande fermeté les yeux sur une image pieuse suspendue à la muraille de sa chambre, recouvra bientôt sa tranquillité accoutumée, et son âme joyeuse et triomphante s'envola vers le ciel (10 novembre 1608).

Culte et reliques.

Sitôt qu'André Avellino se fut endormi dans le Seigneur, la foule se pressa autour de son corps, avide d'enlever ce qui lui avait appartenu ; même on lui coupa la barbe et les cheveux pour les conserver comme des reliques. Quelques grains de son chapelet que la princesse Stigliano s'appliqua sur une tumeur cancéreuse la guérirent à l'instant même. La dépouille demeura longtemps exposée dans l'église conventuelle, car la bière commandée pour l'ensevelissement se trouva trop courte, quoique, peu de jours après, elle dut être reconnue trop longue pour un autre mort plus grand que le serviteur de Dieu. Au bout de trois jours du sang s'écoula si abondamment de la tête et des autres parties du corps que le suaire sur lequel il était couché en demeura tout imprégné et que l'on put en remplir trois flacons de cristal. De l'avis unanime des médecins, ce sang n'était pas naturel ; il fut l'occasion de plusieurs guérisons miraculeuses.

L'année suivante, le 9 décembre, le corps levé de terre fut trouvé sans corruption ni mauvaise odeur. Béatifié par Urbain VIII en 1628, André Avellino fut canonisé à Saint-Pierre par Clément VI, le 22 mai 1712, après la constatation de huit miracles éclatants, dont trois furent approuvés par le même Pontife. Choisi par la Sicile et par la ville de Naples pour être un de leurs patrons, André y est l'objet d'un culte particulier. Sa fête obligatoire, et du rite semi-double sous Benoît XIII, le 18 août 1725, a été élevée au rite double sous Pie IX, le 1er février 1864 ; elle se célèbre le 10 novembre. A Rome elle revêt un éclat spécial à Saint-André della Valle, où il y a communion générale, et distribution des médailles de saint André, bénites in articulo mortis ; la même pratique existe à Sainte-Marie du Suffrage, les médailles qui sont distribuées en cette dernière église ont été bénites préalablement par le Pape.

Le corps de saint André Avellino repose à Naples dans l'église Saint-Paul, qui appartient aux Théatins.

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A.L.

Sources consultées. – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes (Paris). – Migne, Dictionnaire hagiographique. – Les Vies de Saints (œuvre des Bonnes Lectures, d'Annemasse, t. XI). – (V.S.B.P., n° 54.)

SAINT MARTINEvêque de Tours, patron de la France (316-397)

Fête le 11 novembre.

Saint Martin est venu au monde, écrit M. Adolphe Régnier, quelques années à peine après la conversion de Constantine et la promulgation du fameux édit de Milan, c'est-à-dire à une époque où l'empire romain allait obéir pour la première fois à un prince chrétien. La moisson était immense et les ouvriers du Seigneur avaient grand'peine encore à suffire à la tache. Ce fut l'instant choisi par la Providence pour donner au monde celui qui devait être l'apôtre des humbles et le principal propagateur du christianisme dans les Gaules. Les institutions monastiques dont il fut le véritable introducteur en occident, et la participation des pauvres aux trésors de la foi, telles sont les deux idées maîtresses de sa vie, qui nous est connue par les récits de son confident, le chroniqueur aquitain Sulpice Sévère.

Le fis du tribun romain.

Martin naquit à la fin de 316 ou au commencement de 317, à Sabaria, en Pannonie (Hongrie), de parents nobles et païens. Son père, vétéran des armées romaines, avait exercé la charge de tribun militaire et unissait dans son esprit l'amour de son état à la haine du christianisme. Il fut élevé en Italie, à Ticinum (Pavie), et y fit apparemment des études assez courtes. Le spectacle des vertus des chrétiens et leurs exemples l’emportèrent sur les préjugés de son éducation, en sorte qu'à dix ans, à l'insu de ses parents, il obtint d'être mis au nombre des catéchumènes. Deux ans après, il voulut fuir la maison paternelle pour s'ensevelir au désert, où il avait entendu dire que les solitaires se livraient aux austérités de la perfection chrétienne ; mais la faiblesse de son âge ne lui permit pas alors d'exécuter ce dessein.

Son père ne voulait pas lui donner l'autorisation d'embrasser une religion qui ordonnait d'aimer ses ennemis ; cette religion lui paraissait en opposition avec l'idée qu'il se faisait de l'honneur militaire. Lorsqu'un édit de l'empereur Constance appela les fils des vétérans sous les armes, le vieux soldat saisit avec empressement cette occasion de détourner son fils du christianisme, et, bien que celui-ci n'eût que quinze ans, il l'enrôla dans la cavalerie. Martin, désolé, quitta les réunions des chrétiens, mais n'oublia pas les leçons du Christ. Dans les armées romaines, le fils du tribun était tout de suite élevé au rang de circitor, qui correspond à celui de sous-officier. Cette dignité, au lieu de donner au jeune homme la vanité propre à son âge, lui servit d'occasion pour exercer la patience

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et la douceur envers ses inférieurs, au point qu'il lui arriva de brosser les habits et de nettoyer les chaussures de son servant d'armes ; il le faisait manger avec lui, lui présentait les aliments et lui rendait plus de bons offices qu'il n'en recevait. Les soldats le chérissaient, et prétendaient qu'il menait dans les camps la vie de moine, non celle du militaire. Par un hiver tellement rigoureux que plusieurs périssaient de froid, Martin, de retour avec sa troupe d'une ronde dans les environs, rentrait dans Amiens où il tenait garnison. Il aperçoit à la porte de la ville un mendiant presque nu, qui pouvait à peine tendre la main, tant ses membres étaient glacés ; beaucoup passaient, sans se préoccuper de ses cris ; les plus compatissants se contentaient de le plaindre. Le jeune officier est touché par cette affreuse misère, mais que peut-il faire ?

Il n'a que son manteau de service, la chlamyde romaine ; il saisit son glaive sans hésiter, et, divisant cette chlamyde en deux parts, il en donne la moitié au mendiant et se drape comme il peut, de l'autre morceau. La nuit suivante, pendant le sommeil, un spectacle magnifique se déroula devant ses yeux. Le Christ lui apparaissait, les anges plaçaient sur les épaules divines la chlamyde, et le Sauveur disait aux milices célestes en leur montrant Martin : « Martin, encore catéchumène, m'a fait don de ce vêtement. » A son réveil, le catéchumène versa un torrent de larmes, fut prisd'un immense désir du baptême et jura de donner toute sa vie auSeigneur qui récompense si merveilleusement ce qu'on fait pour lui.

Une tradition populaire rapporte que l'inexorable disciplineromaine fit condamner le circitor Martin pour ce fait ; il fut attaché au pilori, malgré la rigueur du froid. Le soleil vint aussitôt le réconforter, et telle serait l'origine de « l'été de la Saint-Martin  ». On croit que Martin put se faire baptiser à vingt-deux ans, pro- bablement à Amiens, en 339, mais il ne réussit pas encore à quitter le service. Deux ans plus tard, les Francs envahissaient la Gaule. Constant, empereur d'Occident, appela toutes ses légions pour les repousser. Un jour que l'armée campait aux environs de Worms, l'empereur, qui sentait probablement le besoin d'encourager ses soldats, leur fit distribuer une gratification. Lorsque vint le tour de Martin, celui-ci jugea l'occasion propice pour solliciter son congé. S'adressant donc à l'empereur, il lui dit à haute voix :

- Jusqu'ici, ô prince, j'ai combattu pour toi, souffre que, désormais, je combatte pour mon Dieu.- Voilà ta récompense, répondit l'empereur en montrant l'argent.- Que ceux qui doivent encore batailler le prennent, car pour moi, je deviens soldat du Christ et

je ne dois plus verser de sang.A cette déclaration, l'empereur, jugeant inopportun l'exemple que le jeune homme s’apprêtait à

donner à l'armée, bondit de fureur.- Lâche ! s'écria-t-il, C'est la peur que t'inspire le combat de demain et non le zèle pour ton Dieu

qui te fait quitter les enseignes !- Moi, lâche ! reprit Martin indigné. Eh bien ! empereur, ordonne, et demain, sans armes, je me

tiendrai droit en face de l'ennemi, je pénétrerai dans ses rangs, et si je reviens sain et sauf, ce sera non par le secours d'un bouclier, mais par le seul nom de Jésus. Le défi fut accepté. Martin, étroitement gardé pendant cette nuit, la passa entièrement en prières, et le matin il se préparait à affronter son sort. Mais Dieu ne veut pas la mort de son serviteur ; dès le lendemain, les Francs sont pris d'une crainte mystérieuse et ils envoient à l'empereur des députés pour demander la paix. A la suite de cet événement, Martin quitta le service pour vivre quelques années dans la retraite.

Disciple de saint Hilaire.

Le grand Hilaire, évêque de Poitiers, brillait sur les Gaules comme un phare éclatant. L'ancien soldat se sentit attiré par cette lumière. Il vint se jeter à ses pieds et se donner à lui comme disciple. Le génie d'Hilaire devina aussitôt quel puissant auxiliaire le ciel lui envoyait ; pour l'attacher irrévocablement à son Eglise, l'évêque voulut lui imposer le diaconat, mais ses instances se brisèrent devant l'inexorable humilité de Martin ; à peine parvint-il, à force de supplications, à lui faire accepter la charge d'exorciste ; c'était la moindre des dignités de l'Eglise, mais elle le liait pour toujours au diocèse de Poitiers. Cependant, Martin, averti par un ange, demanda à saint Hilaire de le

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bénir et retourna, vers 355, croit-on, au pays lointain de sa naissance, en Pannonie, pour tenter de convertir les siens.

Il retrouva son père et sa mère ; mais, ni les solides arguments ni les larmes ne purent vaincre l'obstination de son père. Quant à sa mère, qui avait favorisé autrefois les saints désirs de son fils, elle eut, au contraire, le bonheur d'ouvrir les yeux à la vérité et de se convertir. Après cette conquête si précieuse pour son cœur, l'apôtre étendit le cercle de sa prédication autour de la cité. Il parcourut les bourgs, prêchant Jésus-Christ, et il irrita tellement les ariens, que ces hérétiques se saisirent de lui, le fustigèrent et le chassèrent de Sabaria. Martin montra une grande joie d'avoir pu souffrir pour le Christ, mais son père, toujours aveuglé, faillit mourir de honte, en apprenant que son fils, soldat comme lui, avait subi ce supplice déshonorant non seulement sans se défendre, mais en pardonnant.

Martin était en Italie, lorsqu'il apprit l'exil de saint Hilaire. Il s'arrêta à Milan et y vécut jusqu'au jour où l'évêque arien Auxence l'ayant fait chasser de la ville, il alla se fixer soit à l'île des Poules, dans la rivière de Gênes, soit, suivant un autre auteur, à l'île de la Gorgogne au nord-est de la Corse. La nouvelle du retour d'Hilaire en Gaule ramena Martin à Poitiers, en 360.

C'est alors qu'il fonda le célèbre monastère de Ligugé, à sept kilomètres au sud de la ville ; il y réalisa, enfin, ses désirs de solitude, et vraisemblablement c'est à cette époque qu'il fut ordonné diacre. Parmi les disciples que sa sainteté avait attirés en ce lieu, se trouvait un jeune catéchumène, de nature maladive, qu'un violent accès de fièvre emporta un jour subitement pendant son absence.

A son retour, Martin trouve les Frères plongés dans la consternation ; il se précipite dans la cellule du défunt, et là, pensant que son cher fils, mort sans baptême, était pour toujours privé de la vision béatifique de Dieu, il veut forcer la mort à lâcher sa proie. Il s'étend sur le cadavre, commence à prier avec larmes. Dieu pouvait-il résister devant une foi si vive ? Martin aurait-il espéré en vain ? Averti par un souffle de l'Esprit, soudain il se relève, et, les yeux fixés sur ceux du défunt, il attend patiemment durant deux heures entières l'effet de ses supplications. Enfin, il jette un cri d'actions de grâces. Ces yeux, fermés par la mort venaient de s'ouvrir ; ce corps inanimé venait de tressaillir, le catéchumène était ressuscité. A quelque temps de la, le serviteur d'un noble Romain nommé Lupicinus s'étant pendu de désespoir, le Saint le ramenait des portes de l'enfer. Des miracles aussi éclatants se racontaient au loin ; les malades venaient en foule et il les guérissait.

Evêque de Tours.

A la mort de saint Lidoire, évêque de Tours, les habitants jetèrent aussitôt les yeux sur l'homme de Dieu et résolurent de l'enlever à l'Eglise de Poitiers, mais ils savaient qu'on ne pourrait lui faire accepter un tel honneur que par force. Voici quel fut leur stratagème. Un Tourangeau, nommé Rouvic, se précipita dans la cellule du Saint, en criant : « Ma femme se meurt, venez l'assister ; vous seul pouvez la guérir. » Martin, obéissant à un mouvement de charité, suivit Rouvic ; on marcha longtemps, jusqu'à ce qu'on fût parvenu hors du territoire de Poitiers, et alors des Tourangeaux armés sortirent d'une embuscade et amenèrent le Saint, bien garrotté, pour le proclamer évêque et le faire sacrer dans la cathédrale (4 juillet 371).

Le moine élevé à l'épiscopat ne renonça à aucune de ses austérités, mais ses vertus cessèrent d'être cachées, il fut le grand évêque des Gaules, le thaumaturge de son temps, en attendant de devenir le patron perpétuel de la France. Cependant, résolu à fuir les importuns qui assiégeaient sa cellule, il se retira dans la solitude de Marmoutier, où il fonda un monastère destiné à développer l'œuvre commencée à Ligugé. Il y avait encore beaucoup de païens dans ce pays, surtout dans les campagnes. Saint Martin, pendant plusieurs années, parcourut en missionnaire, non seulement son diocèse, mais encore une grande partie des Gaules, renversant les idoles et les autels païens qu'il remplaçait immédiatement par autant d'églises ou de monastères, multipliant les miracles pour attester la vérité de notre foi, chassant les démons, et amenant à Jésus-Christ des multitudes d'âmes.

Un trait de la vie de saint Martin montre comment Dieu assiste ses pontifes, dans la question du culte à rendre aux Saints. Chaque printemps, les paysans venaient orner un tombeau de fleurs,

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assurant que c'était le tombeau d'un illustre martyr. Martin demanda le nom et les actes du martyr, et nul ne pouvait lui répondre ; alors il eut la hardiesse de s'adresser au mort : « Qui que tu sois, martyr ou non, s'écria-t-il au milieu du peuple étonné, au nom de Dieu, dis-nous qui tu es ? » A peine eut-il achevé qu'une ombre épouvantable se dressa, et elle disait d'une voix qui saisit le peuple de terreur : « Je suis l'âme d'un voleur mis à mort pour ses crimes ; je n'ai rien de commun avec les martyrs ; car, tandis qu'ils se réjouissent dans le ciel, moi je brûle dans l'enfer. »

Les paysans détruisirent aussitôt le tombeau et l'autel, et admirèrent davantage le grand évêque. Un jour, il voit au loin une procession païenne qui s'avance vers lui avec ses voiles de pourpre et portant une idole ; l'homme de Dieu trace une croix dans l'air, et, soudain, la troupe s'arrête, comme pétrifiée ; les porteurs de l'idole font un violent effort pour avancer, et les voici emportés comme par un tourbillon, ils tournent avec une rapidité vertigineuse jusqu'au moment où ils jettent leur fardeau. Un pin gigantesque était consacré au diable. Martin veut le renverser. Les païens mettent l'épée à la main pour empêcher ce sacrilège ; mais, se ravisant, ils disent au Saint : «  Puisque tu as tant de confiance en ton Dieu, nous couperons l'arbre nous-mêmes, à condition que tu le reçoives sur tes épaules lorsqu'il tombera. »

L'évêque accepte, on lui attache les pieds, par crainte d'une évasion, et l'on commence à scier le pin. Puis, quand avec un fracas horrible l'arbre gigantesque fondit sur lui, Martin fit rapidement un signe de croix, et soudain le pin, déjà à la moitié de sa course, se redressa et alla tomber du côté des idolâtres. Une autre fois, il rencontra une colonne fort élevée surmontée d'une idole, il voulut aussitôt l'abattre, mais il n'avait point les instruments nécessaires et eut recours à l'oraison. Aussitôt, à la vue de toute l'assistance, une autre colonne parut dans l'air, elle tomba sur la première, et la réduisit en poudre, ainsi que son idole.

Saint Martin et les empereurs.

Tandis que Martin se trouvait de passage à Trèves, il sollicita une audience de l'empereur Valentinien 1er ; mais ce prince, d'une humeur farouche, refusa pendant plusieurs jours de voir le Saint ; il avait expressément défendu à ses gardes de le laisser entrer dans son palais. Martin ne se découragea pas, il s'arma de la prière et du jeûne, et, au bout de sept jours, se présenta au palais. Chose étonnante, toutes les portes étaient ouvertes, aucun garde ne l'arrêta et il parvint jusqu'au prince. Celui-ci, étonné, gourmande ses officiers, puis, se renfermant dans un morne silence, ne répond à aucune des questions de l'homme de Dieu, ne se levant même pas pour le recevoir. Un accident étrange modifia bientôt son attitude ; en effet, une vaste flamme environnait tout à coup son siège. Valentinien se leva, plus prompt que l'animal sous l'aiguillon, et accueillant le Saint avec une grande bienveillance, lui accorda tout ce qu'il demandait. A cette époque, la corruption régnait partout et gagnait certains membres du clergé, quelques évêques courtisans abaissaient leur dignité et leur autorité sous les caprices de l'empereur Maxime et courbaient le front devant cet usurpateur. Martin conserva la fermeté d'un apôtre ; invité souvent à la table de l'empereur pendant le séjour qu'il fit en 385 à Trèves, il déclinait toujours ses offres, disant qu'il aurait honte de siéger à côté du barbare qui avait chassé deux princes légitimes, l'un du trône, l'autre de ce monde. Cependant, pour obtenir la grâce de l'hérésiarque Priscillien qu'il désirait soustraire à un châtiment excessif et prononcé par un juge séculier au mépris des droits de l'Eglise, Martin accepta un jour l'invitation, mais au milieu du repas, l'intendant étant venu, suivant la coutume, présenter une coupe à l'empereur, celui-ci, afin de marquer sa déférence pour le saint évêque, la lui offrit aussitôt, pensant bien qu'il la lui présenterait ensuite. Martin but et la tendit à son clerc, estimant que, dans toute cette brillante assemblée, aucun n'était plus digne de boire après lui que ce petit clerc, consacré à Dieu.

Saint Martin et le démon.

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Le démon considérait Martin comme son plus terrible ennemi. - Partout où tu iras, quoi que tu entreprennes, lui avait dit le mauvais, tu me trouveras contre

toi.- Le Seigneur est mon aide et je ne craindrai pas, répondit Martin.Le combat fut terrible entre ces deux athlètes, qui semblaient renouveler sur la terre la lutte de

saint Michel et de Satan. Une nuit, le prince des ténèbres apparut au saint évêque, vêtu en roi, une couronne d'or et de pierreries sur la tête :

- Martin, disait-il d'une voix douce, je suis le Christ et je viens me manifester à toi avant tous les autres.

Le Saint, un moment troublé, le regarde et le chasse en disant :- Jamais mon Jésus n'a dit qu'il viendrait couvert de pourpre ; jamais je ne croirai que celui-là

soit le Christ qui vient sans porter les stigmates sacrés de la Croix.Une autre fois, le diable lui apparut sous la forme du grand Jupiter, pour le railler de ce qu'il

avait reçu des pécheurs dans son monastère.- Crois-tu donc que Dieu pardonne à ceux qui sont une fois tombés ? lui disait-il en ricanant.Fort de sa confiance dans le Christ, Martin répond :- Si toi-même, ô misérable, tu pouvais un seul instant cesser de tromper les hommes et te

repentir, je me fais fort d'obtenir ton pardon auprès de mon Seigneur Jésus.

Sa mort.

Le temps est enfin arrivé où Martin va recevoir la récompense de ses travaux. C'est à Candes, petite ville du diocèse de Tours, qu'il tomba subitement malade et fut bientôt réduit à la dernière extrémité. A cette vue, ses disciples gémissent et pleurent :

- Pourquoi nous quittez-vous, ô Père bien-aimé ? A quelles mains allez-vous confier votre troupeau désolé ? Voici que les loups envahissent le bercail, qui nous défendra de leurs morsures ? Pourquoi nous quittez-vous ?

Emu par ces paroles, le Saint hésite un moment entre l'espérance de s'unir bientôt à Jésus-Christ et l'amour qu'il a pour ses fils.

- O Seigneur, s'écrie-t-il, si tout pauvre et chétif que je suis, votre peuple a encore besoin de moi, je ne refuse pas les labeurs, mais que votre volonté soit faite !

Soudain, son visage devint radieux comme celui d'un ange. Ses traits contractés par la douleur se détendirent. Il venait d'expirer ; c'était le dimanche 8 novembre 397.

Le culte de saint Martin.

Le corps ramené à Tours, malgré l'opposition des Poitevins, y fut honoré par des funérailles solennelles, célébrées le 11 novembre, date que l'Eglise a choisie pour la célébration de la fête. De son vivant la voix populaire avait glorifié comme un Saint l'évêque de Tours. Son culte fut confirmé par son successeur immédiat sur ce siège, saint Brice, qui construisit un oratoire sur le tombeau du grand thaumaturge, et sa fête fut instituée par saint Léon 1er. Tours devint ainsi un lieu de pèlerinage où affluèrent pendant des siècles des foules innombrables, à la suite de sainte Geneviève et de Clovis, des rois et des reines de France, voire de plusieurs Papes. Au début du XIe siècle, l'oratoire primitif fut remplacé par une basilique, qui, détruite à la Révolution, a été reconstruite de 1886 à 1902. Quant à la dépouille mortelle du Saint, les huguenots du prince de Condé la jetèrent au feu le

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25 mai 1562. Un marguillier sauva une partie du crâne et un os du bras, reliques qui ont échappé aussi à la fureur révolutionnaire.

La chape de saint Martin accompagnait les armées sous les rois mérovingiens, les Carolingiens et les premiers Capétiens, et c'était sur elle que l'on prêtait serment devant la justice royale. Ainsi s'explique son titre de « patron de la France ». Son nom figura autrefois, en différents lieux, au Canon de la messe, honneur très rare pour des Saints qui n'étaient ni apôtres ni martyrs. Dans certains diocèses, il était intercalé dans le Confiteor. Rien qu'en France, on a compté 3 672 paroisses dédiées à saint Martin et 485 bourgs, hameaux ou villages placés sous son vocable. Enfin, en 1918, pour conclure avec M. Paul Monceaux, combien de Français ont rendu grâces au vieux Saint national, pour la victoire que consacrait l'armistice signé le 11 novembre, jour de la Saint-Martin !

A.L.

Sources consultées. – Sulpice Sévère, Vie de saint Martin (traduit par Paul Monceaux, Paris, 1926). – Lecoy de la Marche, Saint Martin (Tours, 1881). – Adolphe Régnier, Saint Martin (Collection Les Saints). – (V.S.B.P., n° 40 et 666.)

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SAINT MARTIN 1er Pape et martyr (…… 655).

Fête le 12 novembre.

Saint Martin, premier Pape de ce nom, naquit à Tudertum, aujourd'hui Todi, en Toscane. Ordonné prêtre et agrégé probablement au clergé de Rome, il se fit bientôt remarquer par sa vertu et l'énergie de son caractère. Aussi fut-il choisi par le Pape Théodore 1er pour remplir les fonctions d'apocrisiaire ou légat pontifical à la cour impériale de Constantinople.

L'hérésie monothélite.

L'Eglise traversait alors une période particulièrement troublée et difficile. Enseignée d'abord par Théodore de Pharan, propagée ensuite par les patriarches Cyrus d'Alexandrie et Sergius, Pyrrhus et Paul de Constantinople, puis appuyée inconsciemment par l'empereur Héraclius, enfin désapprouvée par le Pape Honorius 1er, qui avait ordonné de faire silence sur la question, l'hérésie monothélite relevait la tête, et Paul, patriarche de Constantinople, venait de faire rendre par Constant II, jeune empereur de dix-sept ans, un édit destiné à l'imposer au monde entier. En effet, le monothélisme avait été mis depuis quelques années, au nombre des lois de l'Etat et en était devenu pour ainsi dire la croyance officielle ; interdire toute discussion à son sujet, comme le faisait le nouvel édit, équivalait donc à le rendre désormais obligatoire dans tout l'empire. La nouvelle doctrine renouvelait, par une conséquence logique, bien que sous une forme modifiée, celle d'Eutychès, condamnée deux siècles plus tôt par le Concile de Chalcédoine. Elle n'admettait, en effet, qu'une seule volonté en Jésus-Christ, la volonté divine. Or, on ne saurait concevoir une nature sans ses opérations propres et, par suite, sans volonté propre, s'il s'agit d'êtres raisonnables ; par conséquent, nier la volonté humaine en Jésus-Christ, c'était, logiquement lui nier la nature humaine, comme l'avait fait Eutychès ; c'était aussi nier la Rédemption, qui, dans le plan divin, devait être l'œuvre d'un Homme-Dieu. On voit d'ici le péril que le monothélisme faisait courir à la foi catholique.

L'édit de Constant II, publié en 648 sous le nom de Type ou formulaire de la foi, menaçait des peines les plus graves ceux qui refuseraient de s'y soumettre ; ils devaient être déposés, s'ils étaient évêques ou clercs ; chassés de leur monastère, s'ils étaient moines ; les fonctionnaires encouraient la perte de leur emploi ; les riches, la confiscation de leurs biens ; les autres, le bannissement. L'apocrisiaire de Théodore 1er, Martin, et son collègue Sericus protestèrent aussitôt avec énergie contre cet édit et adressèrent à l'empereur de courageuses représentations ; ils ne purent faire entendre raison au théologien couronné, qui leur appliqua sans hésiter les peines édictées par le Type. Le palais de Placidia, où habitaient les légats du Pape, fut mis à sac ; l'autel où ils avaient

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coutume de célébrer le saint sacrifice fut abattu, et Constant II ordonna de las arrêter partout où ils se trouveraient. On ne sait ce que devint Sericus ; Martin put s'échapper et revenir à Rome où le Pape Théodore condamna le Type quelques semaines avant de mourir (mars-avril 649).

Election de saint Martin. – Concile de Latran.

Théodore 1er était mort le 13 mai 649. Quarante-deux jours après, le clergé et le peuple de Rome choisissaient, pour le remplacer, Martin, qui était depuis peu, revenu de Constantinople et dont tous connaissaient la vertu et le courage apostolique. Cette élection était particulièrement providentielle dans les tristes conjonctures où se trouvait alors l'Eglise. Le nouvel élu fut consacré le 5 juillet suivant. Le zèle et l'énergie dont il avait fait preuve à Constantinople pour défendre la foi catholique ne se démentirent pas sur le siège de saint Pierre et il ne trompa pas les espérances qu'on avait mises en lui. Son premier soin fut de convoquer à Rome un Concile qui s'ouvrit au palais du Latran le 5 octobre de la même année ; 105 évêques répondirent à l'appel du Pape et se trouvèrent présents. Il y eut cinq sessions. Dans la première, Martin retraça l'historique de l'hérésie monothélite et rappela les condamnations portées contre elle par ses prédécesseurs « d'apostolique mémoire » ; dans la deuxième, qui eut lieu le 8 octobre, lecture fut donnée des réclamations faites par les fidèles d'Orient contre la nouvelle hérésie et des lettres adressées par les évêques de Carthage et de Chypre, ainsi que par plusieurs Conciles d'Afrique, au Souverain Pontife, comme « au pasteur universel, chef et docteur de la foi orthodoxe » ; dans la troisième (17 octobre), les Pères du Concile examinèrent les principaux écrits des fauteurs de l'hérésie ; dans la quatrième (19 octobre), ils entendirent la lecture de l'Ecthèse d'Hiéraclius, qui était en réalité l'œuvre du patriarche Sergius, et du Type de Constant II, qui avait été composé par le patriarche Paul ; dans la dernière (31 octobre), on proclama l'existence en Jésus-Christ des deux natures divine et humaine, unies hypostatiquement en la personne du verbe divin, mais conservant, chacune, leurs opérations propres, et par conséquent leur volonté ; on prononça l'anathème contre ceux qui défendaient de parler d'une seule ou de deux natures en Jésus-Christ ; enfin, on condamna nommément Théodore de Pharan, Cyrus d'Alexandrie et Sergius, Pyrrhus, Paul, patriarches de Constantinople. Le Pape signa le premier les actes du Concile. Martin promulgua les décisions du Concile par une Lettre Encyclique adressée au clergé et aux fidèles d'Orient et d'Occident ; mais il était plus délicat et plus difficile de communiquer à l'empereur la condamnation du Type, qui avait paru revêtu de sa signature et sous son autorité. Afin de tourner la difficulté, le Pape songea à recourir au roi de Neustrie, Clovis II, et au roi d'Austrasie, saint Sigebert III. Il leur écrivit donc, les priant d'envoyer à Rome quelques évêques, qui, en qualité d'ambassadeurs, porteraient à Constant II les actes du Concile. En Neustrie, saint Eloi, évêque de Noyon, et saint Ouen, évêque de Rouen, furent désignés pour répondre à l'appel de Martin. En Austrasie, la requête du Pape ne fut point écoutée, par suite du mauvais vouloir de Grimoald, maire du palais. Saint Amand, évêque de Maëstricht, seul, vint à Rome de son propre chef. Mais le temps avait marché. Lorsque saint Amand arriva dans la Ville Eternelle, le Pape s'était résolu à transmettre directement à l'empereur les décisions du Concile, et lui avait écrit une lettre très ferme en même temps que très respectueuse ; lorsque saint Eloi et saint Ouen, dont le départ avait été retardé par diverses circonstances, purent enfin se mettre en route, Martin 1er n'était plus à Rome.

Olympius tente de faire assassiner saint Martin.

Cependant, Constant II avait vu d'un très mauvais œil l'élévation de Martin au souverain pontificat, et cela pour deux raisons :

1 – parce qu'il connaissait l'énergique opposition du nouvel élu aux erreurs monothélites et qu'il

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savait ne jamais pouvoir en triompher ;2 – parce qu'on avait négligé de lui demander d'en ratifier l'élection. Il résolut de se débarrasser

de Martin. Dans ce dessein, il nomma son chambellan, Olympius, exarque de Ravenne, c'est-à-dire représentant de l'autorité impériale en Italie, et lui donna les instructions les plus précises : « Si vous trouvez l'armée bien disposée, faites arrêter Martin, et donnez l'ordre que notre Type soit reçu dans toutes les églises. Si l'armée vous paraît suspecte, patientez en silence, jusqu'à ce que vous puissiez vous assurer de la province et avoir des soldats prêts à vous obéir. »

Le Liber pontificalis dit expressément qu'Olympius arriva à Rome pendant le Concile de Latran, mais la suite logique des événements semble indiquer qu'il ne fut envoyé en Italie qu'après la clôture de ce Concile, et, peut-être même, seulement après que l'empereur eut été avisé de la condamnation du monothélisme. Quoi qu'il en soit, Olympius tenta d'abord de détacher de la vraie foi le clergé et le peuple ; puis, n'ayant pu y réussir, il se décida à recourir aux moyens extrêmes et tenta de faire assassiner Martin. Il ordonna à son écuyer de se tenir à ses côtés, un jour qu'il assisterait à la messe du Pape, et de poignarder le Pontife, lorsque celui-ci s'approcherait de lui pour lui donner la sainte communion.

La basilique de Sainte-Marie Majeure serait le théâtre de l'horrible tragédie. Mais la Providence veille sur les siens et ne les couronnes qu'au jour où elle juge accomplie leur tâche en ce monde. Lorsque, au jour fixé, Martin s'approcha de l'exarque, tenant entre ses mains l'Hostie consacrée, l'écuyer qui devait porter le coup fatal sentit, comme il le déclara ensuite à son maître, un voile s'appesantir sur ses yeux, et il ne put distinguer la personne du vénérable Pontife. Olympius ne s'obstina pas ; reconnaissant dans ce prodige le doigt du Dieu tout-puissant, il vint se jeter aux pieds du Pape, lui avoua son odieux dessein et les instructions reçues de l'empereur, implora son pardon, qu'il obtint facilement, et quitta Rome avec son armée. Il se rendit en Sicile pour combattre les Sarrasins qui ravageaient le pays ; mais son armée fut décimée par la peste, et lui-même en mourut quelque temps après.

Calliopas fait conduire saint Martin à Constantinople.

Loin de calmer la rancune de l'empereur, l'échec de la tentative d'Olympius et la conversion du coupable l'irritèrent davantage. Il destitua l'exarque et nomma à sa place un autre de ses cham-bellans, Théodore Calliopas. Celui-ci avait l'ordre de s'assurer de la personne du Pape et de le faire conduire à Constantinople, pour comparaître devant le tribunal impérial sous l'inculpation d'hérésie et de trahison : d'hérésie, parce qu'en reconnaissant deux volontés en Jésus-Christ, il en niait, disait-on, la divinité, et refusait à la Sainte Vierge la dignité de Mère de Dieu ; de trahison, parce qu'il avait soutenu Olympius et envoyé de l'argent en Sicile. On feignait de croire que cet argent était destiné aux Sarrasins, tandis qu'il était envoyé pour les malheureuses populations de l'île. Ainsi, la haine impériale ne reculait pas devant la calomnie.

Calliopas arriva à Rome le 15 juin 653. Respectueux de l'autorité légitime, Martin 1er envoya une délégation du clergé pour le saluer ; malade, il ne pouvait y aller lui-même. L'exarque accueillit les envoyés pontificaux, et annonça qu'il ne manquerait pas d'aller au plus tôt rendre ses devoirs au Pape. Mais, auparavant, craignant ou feignant de craindre que le Pape, soupçonnant ses projets, ne voulût se défendre, comme il l'eût pu s'il l'avait voulu, Calliopas lui dépêcha quelques officiers pour savoir à quoi s'en tenir. Ceux-ci firent une perquisition dans le palais du Latran et ne découvrirent rien de suspect. Calliopas y vint alors lui-même le surlendemain, 17 juin, accompagné d'une troupe de soldats qui envahirent la basilique sans respect. L'exergue trouva Martin malade, étendu sur un lit près de la porte et entouré de son clergé.

S'avançant hardiment, il donna lecture du décret impérial, qui intimait au clergé de Rome l'ordre de déposer Martin, devenu par sa doctrine un sujet de scandale pour l'univers chrétien, et de lui donner un successeur. Quant au Pape, on lui enjoignait de venir se faire juger à Constantinople.

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Martin répondit que, sa vie durant, il ne pouvait avoir de successeur, et qu'en son absence ses représentants habituels, l'archidiacre, l'archiprêtre et le primicier, gouverneraient le diocèse de Rome ; quant à lui, il était prêt à partir pour Constantinople. De son côté, le clergé protestait que la doctrine du Pontife était irrépréhensible, et conjurait celui-ci de faire appel au peuple pour le défendre. Mais Martin n’en voulut rien faire, déclarant qu’il aimait mieux mourir dix fois plutôt que de voir une seule goutte de sang répandue à cause de lui.

Néanmoins, Calliopas, tremblant pour lui-même, s’écria, comme pour s’excuser : « Moi aussi, je confesse la même foi que vous ; mais je suis contraint d’obéir aux ordres de l’empereur. » Puis, il pria le Pape de venir avec lui dans le palais qu'il habitait, peut-être l'ancienne demeure des Césars sur le Palatin, et Martin y consentit, demandant seulement qu'on l'autorisât à emmener dans son voyage tous les clercs qu'il désignerait. On le lui promit, bien qu'on n'eût pas l'intention de tenir parole. Dans la nuit du 18 au 19 juin, Calliopas le fit transporter en secret sur un navire amarré dans le port, au pied de l'Aventin probablement, ne lui laissant que six serviteurs.

Aussitôt après, les portes de la ville furent fermées, pour que personne d’autre ne put l'accompagner. Le navire descendit le Tibre et arriva à Porto le 19 juin, vers 10 heures. De là, suivant les côtes d'Italie, il relâcha à Misènes, près de Naples, le 1er juillet ; enfin, après trois mois de navigation, il aborda à Naxos, l'une des îles de l'archipel. Pendant ce long voyage de trois à quatre mois, tandis que les hommes de l'équipage descendaient à terre pour se reposer, dans tous les ports où l'on faisait relâche, Martin avait dû rester à bord, souffrant non seulement des chaleurs de l'été, mais encore d'une dysenterie opiniâtre et d'un dégoût invincible pour la nourriture qu'on lui servait. Il demeura un an à Naxos, puis le navire appareilla pour Constantinople, où il arriva le 17 septembre 654. Toute la journée, le Pape resta à bord, couché sur un grabat et exposé aux injures de la populace. Au coucher du soleil, on vint le prendre et on le transporta sur un brancard à la prison de Pandearia, où il fut enfermé trois mois, sans pouvoir communiquer avec personne.

Saint Martin à Constantinople. – Il est odieusement outragé.

Le 15 décembre, il en fut tiré et Porté sur une chaise dans la demeure du sacellaire Troïlus, où, par ordre de l’empereur, le Sénat se trouvait réuni sous la présidence du patrice Bucoléon. Malgré sa faiblesse et ses infirmités, le Pape dut se lever et rester debout, soutenu par deux soldats. L'interrogatoire commença aussitôt. Mais comme Martin gardait le silence, on fit entrer vingt témoins subornés.

Le premier à prêter serment fut le patrice Dorothée :- Si cet homme, dit-il en désignant de la main le Pape, avait cinquante têtes, il mériterait de les

perdre toutes pour avoir conspiré en Occident contre l'empereur avec Olympius, l'ancien exarque.- je n'ai jamais, répondit le Pape, rien tramé contre l'empereur, dans l'ordre temporel ; mais je ne

puis lui obéir quand il s'agit de choses contraires à la foi catholique.Le Pontife ajouta :- Au nom de Dieu, je vous en conjure, achevez ce que vous avez à faire ; Dieu sait que vous me

procurez une belle récompense.La confrontation se poursuivit ainsi quelque temps encore. Le sacellaire poussa l'audace jusqu'à

reprocher à l'interprète Innocentius, qui traduisait, du latin en grec, les réponses du Pape, de les reproduire trop fidèlement, et même il lui enjoignit de les dénaturer. Enfin, pressé d'en finir, il renonça à l'audition de plusieurs témoins, et, sans se soucier du procès-verbal rédigé séance tenante, il se rendit auprès de l'empereur, auquel il fit un rapport à sa fantaisie. Pendant ce temps, les soldats transportèrent Martin dans la cour qui s'étendait près du palais, puis sur une terrasse, devant laquelle une foule immense se rassembla. Bientôt après, il se passa une scène d'une sauvagerie inouïe, dans laquelle les ennemis du Pape semblèrent avoir pris à tâche de renouveler les épisodes les plus odieux du prétoire et du Calvaire. Lorsque le sacellaire sortit du palais impérial, il se précipita, ivre

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de rage, sur le Pontife et osa le frapper en criant : « Vois comme Dieu t'a livré entre nos mains, tu as abandonné Dieu et Dieu t'a abandonné. » Il commanda ensuite aux soldats de le dépouiller des orne-ments sacerdotaux et de déchirer ses vêtements, puis il le remit au préfet de la ville en disant : « Prenez-le et coupez-le en morceaux. »

Ainsi réduit à un état de nudité presque complet, le courageux martyr fut traîné à travers les rues de la ville, le carcan au cou, par un froid terrible, jusqu'à la prison de Diomède. Et cependant, sur son visage régnaient le calme et la sérénité, tout comme s'il se fût trouvé au milieu de son clergé et d'un peuple fidèle. Arrivé à la prison, il y fut chargé de chaînes et laissé seul, n'ayant pour com-pagnon qu'un jeune clerc qui se lamentait. Cependant, à la vue des souffrances de Martin, la femme et la fille du geôlier furent touchées de compassion.

Elles le transportèrent dans leur chambre, le couchèrent dans leur propre lit, et essayèrent de le réchauffer ; malgré ces soins, il resta longtemps sans pouvoir dire une parole. Averti de ce qui se passait, le préfet de la ville fut à son tour pris de pitié. Il envoya quelques vivres au prisonnier et lui fit enlever ses fers. Tandis que se passaient ces horribles scènes, le patriarche Paul, première cause de tout le mal, agonisait dans son palais. Constant II alla le voir et, croyant lui être agréable, lui fit part des mesures odieuses prises contre l’évêque de Rome. Mais Paul, loin de se réjouir, répondit d’une voix éteinte : « Et voilà ce qui va augmenter ma condamnation ! » Puis il supplia l’empereur d’arrêter là sa vengeance.

Exil et mort de saint Martin. – Son culte.Châtiment de Constant Il.

L'héroïque Pontife séjourna trois mois dans la prison de Diomède, où l'on renfermait tous les bandits de la ville ; il n'eut pas de peine à se faire bientôt aimer et vénérer de tous. Enfin, le 10 mars 655, le scribe Sagoleba vint lui notifier qu'il avait reçu l'ordre de le conduire dans sa propre demeure, pour y attendre la décision définitive de l'empereur. Martin eût préféré rester dans la même prison ; on le lui refusa. Il appela donc ceux qui partageaient sa captivité et leur fit ses adieux. Tous se lamentaient et gémissaient de le perdre. « Pourquoi pleurer ? leur dit saint Martin. Tout ceci est bon, tout ceci est avantageux. Vous devriez plutôt vous réjouir de ma situation. » Il les embrassa et se laissa emmener chez Sagoleba. Là, il apprit que, dans quelques jours, il partirait pour la Chersonèse, la Crimée actuelle, où, six siècles auparavant, le Pape saint Clément avait déjà été exilé et mis à mort par ordre de Trajan.

Le départ eut lieu secrètement le 26 mars, qui cette année-là était le Jeudi-Saint, et on arriva à Chersone le 15 mai. Nous possédons encore les lettres écrites par saint Martin aux mois de juin et de septembre 655. Elles nous renseignent sur les horribles souffrances physiques et morales que le Pontife eut à endurer. Ce furent d'abord une solitude absolue et une faim cruelle. Puis ce fut, trait suprême de ressemblance entre le pauvre martyr et le Christ mourant, un abandon total de la part des siens. Enfin on y trouve les plus beaux sentiments de résignation, de confiance en Dieu, d'amour envers les fidèles. Dieu ne tarda pas à avoir pitié de son serviteur. Après cinq mois d'exil, Martin 1er

mourut le 16 septembre 655, et fut enseveli dans une église de Chersone. De nombreux miracles s'opérèrent à son tombeau. Plus tard, ses reliques furent transportées à Rome, où elles furent déposées dans l'église consacrée à saint Sylvestre et à saint Martin de Tours, ancien titre d'Equitius, sur l'Esquilin. On les y vénère encore aujourd'hui. L'Eglise a décerné à saint Martin 1er le titre de martyr, car, selon le mot de saint Cyprien à propos d'un autre confesseur de la foi, « bien qu'il n'ait pas péri par le glaive, sa mort en exil, après tant de supplices vaillamment supportés, est un véritable martyre » ; sa fête a été fixée au 12 novembre, jour de la translation de son corps.

Quant à Constant II, il n'attendit pas longtemps le châtiment de son crime. Ayant fait assassiner son jeune frère Théodose, il devint un objet d'horreur pour le peuple de Constantinople. Il résolut alors de ramener à Rome le siège de l'empire et s'embarqua pour l'Italie. Il y fut vaincu par les

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Lombards, passa quelques jours à Rome, où il ne laissa que le souvenir d'un pillard effronté, et finalement se retira à Syracuse, en Sicile. De là, il voulut charger d'impôts les provinces de l'Afrique, qui se révoltèrent et se donnèrent aux musulmans. Ce fut le comble. Un jour que l'empereur était au bain, le fils de Troïlus, ce capitaine chez qui s'était déroulé l'interrogatoire de saint Martin, saisit une aiguière de bronze et en fracassa la tête du prince. C'était le 15 juillet 668. Personne ne songea à poursuivre le meurtrier, et le fils de Constant II monta sur le trône, où il consola l'Eglise en se montrant un zélé défenseur de la foi catholique. Vraiment, saint Martin était bien vengé.

Th. Vettard.

Sources consultées. – Patrologie latine, t. CXXVIII ; Lettres et Passion de saint Martin, id., t. LXXXVII. – Saint Ouen, Vie de saint Eloi. – Darras, histoire de l'Eglise, t. XVI. – Rohrbacher, Histoire de l'Eglise, t. X. – Labbe, Conciles, t. VI. – (V.S.B.P n° 352.)

SAINT DIDACE ou DIÉGO D'ALCALAConvers de l'Ordre des Frères Mineurs (1400 ?- 1463).

Fête le 13 novembre.

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Dans la Bulle de canonisation de saint Didace, en latin Didacus, le Pape Sixte-Quint se plaisait à faire ressortir les mérites de la pauvreté volontaire aux yeux de Dieu. Souvent, en effet, dans les desseins de la sagesse éternelle, les instruments les plus faibles en apparence sont destinés à opérer les plus grandes œuvres. La vie de cet humble convers de l'Ordre des Frères Mineurs, que ses compatriotes honorent sous le seul nom de Diego, en est un exemple frappant.

Naissance de saint Didace. – Attraits pour la solitude.

Didace naquit au commencement du XVe siècle, à Saint-Nicolas del Puerto, petit bourg du diocèse de Séville, en Andalousie. Ses parents, peu favorisés des biens de la fortune, vivaient heureux du travail de leurs mains. Ils étaient de ces honnêtes gens laborieux et austères, pleins de foi et de confiance en Dieu. Leur union fut bénie. Ils eurent un fils à qui ils donnèrent au baptême le nom de Diego, synonyme, en espagnol, de Jacques, le grand apôtre des Espagnes, selon la légende traditionnelle. Dès ses jeunes années, l'enfant donna des marques de sa sainteté future. Ses délices étaient dans la souffrance, la retraite et l'oraison. Son esprit et son cœur savouraient à plaisir la pensée salutaire de la Passion du Christ, et cette âme si pure pouvait dire avec l'Apôtre que toute sa science, c'était Jésus, et Jésus crucifié.

Didace est encore adolescent quand l'amour de la prière éveille en son cœur un vif attrait pour la vie solitaire. Il entend parler d'un saint prêtre qui vit dans le voisinage, à l'exemple des anciens Pères du désert ; il court à lui et se met sous sa conduite. Désormais, plus libre de suivre les inspirations de la grâce, il s'adonna avec ardeur à la prière, à la méditation, à la pénitence. Voulant que l'âme fût maîtresse du corps, comme il convient, pour habituer ce dernier à obéir, malgré ses répugnances, il le domptait par de nombreuses et fréquentes austérités. A la vie contemplative, le maître et son disciple mêlaient la vie active, afin de ne pas fatiguer l'âme par une contemplation continuelle. Ils travaillaient tantôt à cultiver un petit jardin, tantôt à fabriquer des corbeilles de jonc ou des cuillers de bois, qu'ils donnaient gratuitement à leurs bienfaiteurs, ou qu'ils vendaient pour en distribuer le prix en aumônes. Assurément, cette façon de servir Dieu était excellente ; le Christ, cependant, appela bientôt le jeune homme à un état de vie plus régulier et plus parfait.

Saint Didace chez les Franciscains d'Arrizafa.

Dès 1409, le bienheureux Pierre Santoyo, regardé à juste titre comme le principal promoteur de l'Observance franciscaine en Espagne, avait fondé divers couvents où la règle primitive du Pauvre d'Assise était pratiquée dans toute sa rigueur. L'une de ses fondations s'établit à Arrizafa, près de Cordoue, et bientôt la réputation de sainteté du réformateur et des fils de saint François se répandit au loin. Didace voulut devenir leur frère, et, pour s'y préparer, il s'exerçait à la pauvreté parfaite. Un jour, il revenait du village où il avait vendu ses corbeilles de jonc. Chemin faisant, ses yeux aperçoivent à terre une bourse bien garnie. « C'est un piège du démon, se dit-il, n'y touchons pas ! » Il passe. Bientôt, il rencontre un mendiant, déguenillé et mourant de faim : « Cher ami, lui dit-il, Dieu a pris soin de vous. A quelques pas d'ici, vous trouverez une bourse garnie, et si l'on ne peut en découvrir le propriétaire, vous en profiterez. »

Afin de réaliser le pieux dessein qu'il a longtemps mûri dans son cœur, Didace prend congé de l'ermite qui a conduit ses premiers pas dans la voie de la perfection chrétienne, et rentre pour peu de temps chez ses parents. Au jour convenu, il quitte les siens et le toit paternel ; d'un pas alerte, il part pour le monastère de Saint-François d'Arrizafa. La distance est considérable, mais le jeune Diégo ne s'aperçoit pas de la longueur du chemin, il est tout entier à la joie d'être bientôt l'enfant du Pauvre

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d'Assise. Il arrive au couvent et demande avec humilité à être reçu en qualité de Frère convers. On l'accepte. Peu après, on lui donne l'habit, et le voilà novice. Quel fervent novice que le Fr. Didace ! Il se distingue entre tous les Frères par son empressement à pratiquer la Règle et les constitutions de l'Ordre ; les emplois les plus vils sont ceux qu'il recherche. Nul ne le surpasse en pauvreté, en charité, en obéissance, en mortification. Jamais oisif, toujours priant. Les vertus du séraphique Père reluisent d'un merveilleux éclat en cet humble Frère. Aussi le Seigneur se plaît-il à se communiquer à lui dans l'oraison. Souvent, on le voit en extase ; il s'instruit à l'école du divin Maître sur les grands mystères de la foi, si bien que des docteurs viennent le consulter, lui, simple convers, sur les questions de la plus haute théologie. A tous, il répond avec la même profondeur et la même clarté. Les savants théologiens s'en retournent stupéfaits et surtout profondément édifiés.

Charité inépuisable envers les pauvres.

L'amour de Dieu ne va pas sans l'amour du prochain ; le Fr. Didace était rempli d'un tel esprit de charité envers ses Frères, envers les pécheurs, les pauvres et tous ceux qui le fréquentaient, qu'un mot de sa bouche suffisait à calmer les discordes, à exciter ceux-ci au repentir, ceux-là à la confiance, d'autres à la joie et à la patience. Les indigents partageaient toujours ses repas ; ce n'était pas assez, il quêtait pour soulager leur misère. N'avait-il plus rien à leur distribuer, il pleurait avec eux et les consolait par des paroles si fortifiantes et si douces que ces déshérités s'en retournaient contents de leur sort. Peu de temps après son admission, les supérieurs lui confièrent la charge de portier. Les pauvres en furent très heureux. Jamais Fr. Didace ne les renvoyait sans secours, et comme certains Frères du couvent lui reprochaient sa prodigalité :

« Ne craignez rien, leur répondait-il humblement, Dieu ne peut que bénir ces sortes d'abus ; loin de ruiner la communauté, ces aumônes lui attireront les bénédictions du ciel, car le bien fait aux pauvres est fait à Jésus-Christ. » Dieu récompensa la charité du saint portier par des miracles. Tantôt le pain se multipliait entre ses mains, tantôt il guérissait les malades qui venaient se recommander à lui.

Une guerre continuelle à l'amour-propre et aux passions.

Mais le Frère ne paraissait point s'apercevoir de l'estime dont on l'entourait. Bien persuadé qu'il était le dernier de tous, admis par grâce au couvent, il livrait une guerre constante à l'amour-propre, et il sut si bien en amortir l'aiguillon, que jamais on ne le vit froissé ou mécontent de quoi que ce fût. Pas de susceptibilité, de dépit ni de bouderie secrète. Affable, calme, sobre dans ses paroles, il conservait, en toute circonstance, sa modération et sa douceur à l'égard des autres. Cette égalité d'âme suppose une grande mortification intérieure. Didace n'était pas moins courageux dans la mortification extérieure ; il affligeait son corps par des jeûnes fréquents au pain et à l'eau, par une continuelle abstinence, par des disciplines sanglantes et quotidiennes, par des veilles prolongées et renouvelées toutes les nuits ; de lui aussi on doit dire qu'il n'a pu supporter tant de fatigues, de privations de sommeil et de nourriture, sans un secours particulier de Dieu. Une nuit d'hiver, tourmenté par le démon de la concupiscence, il alla se plonger dans l'eau glacée, pour éteindre en lui-même le feu des passions. Jamais il ne se servit de chaussures ; sa robe de bure était très pauvre, les pièces n'y manquaient pas, mais il était toujours décent dans sa tenue, et son maintien extérieur reflétait bien les dispositions de son âme.

La Passion, l'Eucharistie, la Sainte Vierge, dévotions préférées

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de saint Didace.

Un esprit d'oraison permanent se joignait à cette rigoureuse pénitence. La Passion de Jésus-Christ et la sainte Eucharistie étaient l'objet habituel de ses réflexions. Souvent il méditait les bras étendus pour mieux se pénétrer de la pensée du Sauveur expirant pour nous au Calvaire. Il portait constamment une croix de bois dans sa main, pour ne jamais perdre le souvenir de celle du Christ. La vue d'un Crucifix suffisait parfois pour le faire entrer en extase. Sa ferveur était la même à l'égard du Saint Sacrement : quand il s'approchait du banquet sacré, la joie débordait de son cœur, l'amour divin l'embrasait tellement qu'il ne pouvait retenir ses larmes. D'autres fois, Jésus venait le visiter et le consoler quand il présentait l'encens à l'autel ; un parfum suave s'exhalait alors de sa personne et embaumait tous les assistants.

Sa dévotion envers Marie n'était pas moins vive. En son honneur il jeûnait au pain et à l'eau tous les samedis et les vigiles de ses fêtes. Une lampe brûlait dans l'église devant l'image de la Vierge ; Fr. Didace se servait de l'huile de cette lampe pour guérir les malades, et, par ce pieux stratagème, il rapportait à la gloire de Marie les prodiges qu'il opérait lui-même.

Enfant sauvé.

Le Père gardien du couvent d'Arrizafa envoya un jour Fr. Didace avec un compagnon à Séville. Ils furent reçus chez un de leurs bienfaiteurs. Près de là, vivait une pauvre veuve, boulangère de son métier. Elle n'avait qu'un fils, âgé de sept ans. L'enfant avait commis une faute, et, par crainte de la verge, était allé se cacher dans le four à pain. Le sommeil l'y surprit. A l'heure ordinaire, la boulangère vient apprêter le four, l'emplit de bois, y met le feu. L'enfant, réveillé par le feu, pousse des cris déchirants. En l'entendant, sa mère, éperdue, impuissante à lui porter secours, tombe évanouie. Revenue à elle, mais affolée par la douleur, elle sort dans la rue et crie à tout venant d'aller sauver son fils. Fr. Didace entend ses cris, il vient, la console. « Allez, dit-il, vous prosterner devant l'autel de la Vierge à l'église, et priez avec ferveur. »

Puis il se rend vers le four, escorté de son compagnon et d'un grand nombre de personnes. II se met à genoux, adresse au ciel une courte mais fervente prière, et, se relevant : « Enfant, cria-t-il, je te l'ordonne, au nom de Jésus crucifié, sors de cette fournaise. » Le pauvre petit obéit, marcha sans peur sur les charbons enflammés, et sortit sain et sauf, sans la moindre brûlure. La foule, étonnée, cria au miracle. Fr. Didace attribua tout ce qui était arrivé à la puissance de la Vierge. Au milieu des acclamations, il conduit l'enfant jusqu’à l’autel où priait sa mère, et le consacre à Marie qui vient, dit-il, de lui conserver la vie.

Missionnaire et supérieur de couvent.

Quelque temps après sa profession, les supérieurs envoyèrent Fr. Didace aux îles Canaries. Ces îles, découvertes seulement depuis 1402 par le chevalier français Jean de Béthencourt avaient été évangélisées d’abord par les PP. Pierre Bonthier de Saint-Join, Franciscain, et Jean Leverrier, du Tiers-Ordre régulier de Saint-François, tous deux compagnons du pieux chevalier dans cette expédition. Ils implorèrent le secours des Frères Mineurs de l’Observance, et ceux-ci répondirent avec empressement à leur appel. En 1422, ils formèrent leur premier couvent dans l’île de Fortaventure. Le P. Jean Bèze, vicaire de la mission des Canaries, en fut le premier gardien ou supérieur. A sa mort, tous les suffrages se portèrent sur l’humble Fr. Didace, et on lui envoya l’ordre de venir à Fortaventure, en qualité de supérieur du couvent.

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Saint Didace fait sortir d'un four embrasé un enfantqui s'y était imprudemment caché.

Fortaventure était devenu comme le centre de la mission. C'était un poste important, mais les Pères jugèrent avec raison que l'éminente sainteté du Fr. Didace suffisait pour légitimer cette exception aux règles ordinaires qui éloignent les Frères convers de toute prélature dans leur Ordre, et que d'autre part la science infuse suppléerait avantageusement en lui à ce qui lui manquait de science acquise. C'était l'épreuve la plus rude, peut-être pour l'humble Fr. Didace ; mais l'obéissance marquait la volonté de Dieu, et Didace se soumit. L'espérance de trouver le martyre au milieu des indigènes idolâtres soutenait son courage ; il s'y préparait par un martyre de chaque jour, se flagellant jusqu'au sang pour la conversion des païens. Il partit donc. Sage, prudent et pieux, le nouveau gardien fut la règle vivante du couvent. Zélé lui-même pour le salut des âmes, il communiqua à ses Frères sa générosité et son ardeur apostolique. On le voit courir comme le bon Pasteur près des brebis égarées, il entre dans les huttes des habitants de l'île, leur inspire la crainte et l'amour du vrai Dieu, les instruit, les prépare au baptême, et donne chaque jour de nouveaux enfants à l'Eglise. Ces labeurs ne lui suffisent pas, il brûle du désir de verser son sang pour Jésus-Christ. Dans ce dessein, il s'embarque pour la Grande Canarie, il veut y porter avant tout autre missionnaire le flambeau de l'Évangile. Mais Dieu voulait conserver son serviteur à Fortaventure pour le salut d'un plus grand nombre. Une tempête survint, Didace rebroussa chemin, respectant la volonté divine.

Retour en Espagne. – Nouveaux miracles.

Quatre ans se passèrent dans ces rudes labeurs, et Fr. Didace fut rappelé en Espagne. Il demeura d'abord au couvent de Notre-Dame de Lorette, à trois ou quatre heures de Séville, et partit de là avec un compagnon pour Sanlùcar de Barrameda. La route est longue et pénible, son compagnon ne se tient plus de fatigue. De provisions, ils n'en ont point : « Courage, mon Frère, lui dit Fr. Didace,

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prions avec confiance, Dieu prendra soin de nous. » Ils prient ensemble, et, soudain, voici qu'à l'ombre d'un arbre ils trouvent, enveloppés dans une serviette d'une éclatante blancheur, du pain, du vin, du poisson et une orange.

« Rendons grâces au Seigneur, dit Fr. Didace, voici qu'il nous envoie par ses anges de quoi nous réconforter. » On célébrait à Rome, en 1450, le grand jubilé et la canonisation de saint Bernardin de Sienne (24 mai). Saint Jean de Capistran, vicaire général de la Province cismontaine, convoqua à ces grandes solennités les Observants des deux familles. Quatre mille Frères Mineurs environ répondirent à son appel. Fr. Didace s'y trouva auprès de saint. Jacques de la Marche. Dire la joie du bon Frère durant son séjour dans la Ville Eternelle, sa ferveur dans la visite des sanctuaires, sa piété dans la vénération des reliques des saints apôtres et des martyrs, est chose impossible.

Au service des malades hospitalisés dans le couventde l'Ara Cœli, à Rome.

Un grand nombre de religieux accourus à Rome tombèrent malades. Le vaste couvent de l'Ara Cœli fut transformé en infirmerie. On vit en cette circonstance éclater la charité de cet humble Frère convers ; le Père gardien de l'Ara Cœli en fut si touché, qu'il crut n'avoir rien de mieux à faire que de le nommer directeur de cette grande infirmerie. Fr. Didace accepta avec joie et reconnaissance une charge qui répondait si bien aux inclinations de son cœur ; pendant trois mois il s'en acquitta avec un zèle infatigable. Malgré la disette qui désolait la ville, jamais ses malades ne manquaient du nécessaire ; une foule de pauvres recouraient aussi à lui pendant la famine ; à tous il donnait du pain.

Tant d'aumônes ne lui auraient pas été possibles, si, par un miracle permanent, le pain, les remèdes, les vivres de toute sorte ne s'étaient multipliés entre ses mains. Sa compassion pour les membres souffrants du Christ allait jusqu'à l'héroïsme. Un Frère le surprit un jour suçant les plaies d'un jeune homme tout couvert d'une lèpre hideuse. Déconcerté, Didace essaya de cacher sa vertu en disant : « Mon Frère, c'est ainsi que l'on guérit cette maladie. » Le lépreux guérit, en effet. Beaucoup d'autres malades soignés à l'Ara Cœli durent leur guérison aux prières de leur saint infirmier. Un peu d'eau puisée par lui au puits voisin, surtout un signe de croix fait avec l'huile de la lampe de la Vierge sur le front des infirmes, suffisaient pour leur rendre la santé, et Fr. Didace les invitait à remercier Marie, leur grande bienfaitrice.

Religieux fervent et exemple vivant de charité fraternelle.

Les solennités de la canonisation terminées, Fr. Didace revint en Espagne, au couvent de Séville, d'où, peu après, il obtint d'aller séjourner quelques semaines à celui de Notre-Dame de la Salceda (ou de la Saussaie), le premier de la réforme de l'Observance, en Espagne. Enfin, le P. Rodrigue, vice-provincial de Castille, l'emmena avec lui au monastère de Sainte-Marie de Jésus, à Alcala de Hénarès, qu'Alphonse de Acuna-Carillo, archevêque de Tolède, avait fait restaurer ; c'est là qu'il passa les dernières années de sa vie. Fr. Didace y fut encore un modèle de piété et de charité envers le prochain. On ne comptait plus ses miracles ni ses extases ; pas un jour ne se passait sans qu'il opérât quelque prodige. Dieu glorifiait déjà sur cette terre cette âme qui toujours avait su s'oublier et se renoncer en toutes choses, par amour pour lui.

Maladie et mort de saint Didace.

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Chargé d'années et épuisé par ses héroïques austérités, Didace fut atteint au bras d'une plaie mortelle. Il comprit que Dieu allait le rappeler à lui ; il reçut les derniers sacrements. Le mal fit de rapides progrès, et la mort apparut inévitable et prochaine. Les religieux du couvent se rassemblèrent auprès du mourant : « Pardonnez-moi, mes Frères, supplia Didace avec les larmes aux yeux, si je vous ai offensés ou mésédifiés en quelqu'une de mes actions, et priez pour que Dieu me reçoive bientôt dans le sein de sa miséricorde. »

Il demanda ensuite le plus pauvre habit de la communauté, afin qu'il put mourir en vrai fils de saint François. Sa demande ayant été satisfaite, il montra une joie rayonnante. Tenant dans ses mains la croix de bois qu'il ne quittait jamais, il la pressa fortement sur ses lèvres et sur son cœur et dit en latin cette belle prière : « Dulce lignum, dulces clavos, dulcia ferens pondera. Que vous êtes doux à mon âme, ô bois, ô clous bénis, qui avez porté un fardeau si précieux ! Cette hymne s'acheva pour lui dans le ciel, aux pieds de Jésus-Christ ; il avait partagé ses souffrances ici-bas, Jésus le conviait maintenant aux joies éternelles. C'était le 12 novembre 1463.

La gloire des autels après les abaissements de l'humilité.

A l'annonce de cette mort, ce fut une consternation générale. Les pauvres surtout pleuraient leur père et leur ami. Les funérailles du Fr. Didace furent un triomphe ; les miracles se multiplièrent sur le passage du cercueil. On l’ensevelit d'abord dans la salle capitulaire du couvent ; mais la piété des fidèles pour le serviteur de Dieu allant toujours croissant, on satisfit quelques années après à leur juste requête en transférant ses restes vénérés dans une chapelle de l'église conventuelle. Au moment de l'exhumation, on trouva son corps parfaitement conservé et répandant, comme au moment de la sépulture, une agréable odeur. Les prodiges qui s'opérèrent sur la tombe du serviteur de Dieu sont innombrables. Don Carlos lui-même, fils du roi d'Espagne Philippe II, se voyant à l'article de la mort dans Alcala, dut sa guérison instantanée au Fr. Didace dont on lui fit vénérer les reliques. En reconnaissance de cet insigne faveur, Philippe II demanda à Rome d'introduire la cause de la canonisation de ce grand serviteur de Dieu. Sixte-Quint répondit à ses vœux, et, le 2 juin 1588, inscrivit Didace ou Diego d'Alcala, au catalogue des saints ; Clément VIII, le 26 mars 1598, éleva sa fête au rite semi-double, ce qui fut confirmé par Clément X le 27 février 1671 ; Innocent XI (1676-1689) inséra son office dans le Bréviaire romain, au 13 novembre.

Jean De la Croix Monsterlet.

Sources consultées. – Petit Dictionnaire hagiographique (Paris, 1850). – R.P. Léon, O.F.M., l'Auréole séraphique, t. IV (Paris). (V.S.B.P., n° 509.)

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SAINT JOSAPHAT KONCEWICZArchevêque de Pologne et martyr (1580-1623)

Fête le 14 novembre.

Ce saint évêque, doux et charitable, fut un émule de son contemporain saint François de Sales, par son zèle apostolique et son souci de l'orthodoxie dans l'Eglise. II est le seul de ses enfants appartenant à un rite oriental (si nous exceptons deux princesses de Polotsk, les saintes Euphrasyne et Praxède, abbesses du monastère du Saint-Sauveur, mortes, la première à Jérusalem en 1173, la seconde à Rome en 1239, et Michel Ghébré, prêtre abyssin, béatifié en 1926), que l'Eglise catholique ait élevé sur les autels, depuis la séparation de Photius et de Michel Cérulaire ( IXeet XIe

siècles).

Naissance hors du bercail.

L’an 1580, dans la ville de Vladimir, en Volhynie, sous le gouvernement polonais, on apportait à l’église Sainte-Parascève, un petit enfant, fils d’un Slave. Le baptême eut lieu selon le rite gréco-slave, et l’enfant reçut le nom de Jean. A ce moment l’Eglise ruthène, à laquelle appartenait le nouveau-né, était encore séparée de Rome. C’est seulement quinze ans après, le 23 novembre 1595, que la soumission se fit, entre les mains du Pape Clément VIII ; encore ne fut-elle proclamée que le

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10 octobre de l’année suivante à Brest-Litowsk. Gabriel Koncewicz (on prononce Kontsevitch), père du petit Jean, était conseiller municipal de

Vladimir. La mère, Marine, était digne de former le cœur du futur archevêque de Polock ; elle y déposa les germes d’une piété et d’une vertu précoces, et veilla avec une intelligente sollicitude sur leur développement. Le culte des images est très répandu dans les Eglises orientales ; Jean apprit à les peindre, et ce travail devint l'une de ses plus chères distractions. Il fit des progrès rapides dans l'étude des langues ruthène, polonaise et slave ; mais l'instruction religieuse avait ses préférences.

Dans le négoce. – L'appel de Dieu.

Le jeune Koncewicz fut placé par ses parents chez un riche négociant de Vilna. Il resta fidèle à la grâce ; énergique à fuir la dissipation, il s'appliquait à des lectures pieuses et à l'étude autant que ses occupations le lui permettaient. Lorsque le retour de l'Eglise ruthène au véritable bercail fut définitivement proclamé, il s'attacha de toute l'énergie de son âme à l'Eglise catholique ; il avait à peine vingt ans, que déjà sa plus grande peine était de voir les ravages qu'avait causés l'éloignement de Rome. En effet, au moment où elle rentra au bercail, l'Eglise gréco-ruthène était agonisante. Il y avait à Vilna un couvent de Basiliens qui s'était récemment soumis au Saint-Siège, c'était le couvent de la Trinité, monastère à demi abandonné. Le jeune homme aimait à s'y rendre et à servir à l'autel.

Il fut aussi l'élève intelligent de deux Jésuites, les PP. Valentin Fabritsi et Grégoire Groujewski, qui enseignaient en langue slave la philosophie et la théologie. Les relations de Jean, ses études sérieuses et sa vie loyalement chrétienne, avaient élevé son cœur au-dessus des choses de ce monde, et il sentit grandir en son âme le désir de chercher le seul bien véritable. Mais, en même temps, le monde essayait de lui sourire ; son patron, très riche et privé d'enfants, charmé par les vertus du jeune employé, lui offrit de le faire son fils adoptif. Entre Dieu et le monde, Koncewicz préféra Dieu seul, et se fit admettre au couvent de la Trinité, qui ne comptait plus alors qu'un seul moine, l'higoumène ou supérieur. Il prit le nom de Josaphat et reçut l'habit religieux des mains du métropolitain de Kiev, Hypace, l'ancien sénateur Adam Pociej.

Au couvent de la Trinité.

Le Fr. Josaphat s'était donné à Dieu sans arrière-pensée et sans réserve ; il embrassa la vie religieuse dans toute sa perfection. Son temps fut partagé entre l'étude, la prière et la pénitence. Cent fois dans la journée, on l'entendait redire l'oraison jaculatoire si familière aux Orientaux : « Seigneur Jésus, ayez pitié de moi qui suis un pécheur ! » ou encore laissant échapper ce cri d'amour : « Mon Dieu, détruisez le schisme et accordez l'union ! » Il mêlait à ses larmes de rudes macérations. Son genre de vie et toutes ses manières d'être portaient le cachet d'une austérité peu commune, qui rappelait saint Basile, le fondateur de l'Ordre et son grand modèle.

Religieux observateur des jeûne si fréquents dans l'Eglise orientale, Josaphat se contentait d'aliments grossiers, s'abstenant de poisson, s'interdisant tout usage de la viande et du vin. C'était commencer son apostolat : quelques hommes fervents entrés au couvent se rallièrent autour de lui, le nombre des vocations augmenta rapidement. Sa plus brillante recrue fut un de ses amis, Jean Velamin Rucki (prononcer Routski), qui, le 6 septembre 1607, conduit visiblement par une influence surnaturelle, entra chez les Basiliens ; il y fit profession sous le nom de Fr. Joseph le 1 janvier 1608. Les merveilles accomplies par Josaphat au couvent de Vilna étaient d'autant plus étonnantes que le supérieur de la communauté, l'archimandrite Samuel Sienczylo, était secrètement vendu au parti « orthodoxe ». Les dissidents brûlaient d'envie d'attirer à eux le jeune et fervent religieux et ils lui firent faire dans ce sens des propositions qui furent repoussées. Un autre jour, le supérieur indigne fait mander Josaphat, sous un prétexte pieux, dans une maison où l'attendaient

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secrètement trois « orthodoxes » habiles. Ceux-ci reçoivent le jeune moine Basilien à bras ouverts, lui adressent les discours les plus flatteurs sur sa science et ses vertus, le supplient d'avoir pitié de l'Eglise ruthène et de la détacher du Saint-Siège. Des supplications ils passèrent aux menaces de sévices corporels : « Laissez-moi, dit Josaphat, demain vous aurez ma réponse. » Rendu à la liberté, il revient au couvent : « Je sors de l'enfer, dit-il aux Frères ; j'ai entendu des discours diaboliques qui me sollicitaient de trahir la foi. » Le lendemain il répondit aux « orthodoxes » : Je vous ai promis de consulter Dieu, je l'ai fait, et Dieu m'a dévoilé l'impiété de vos projets. »

Hypace, le métropolitain de Kiev, informé de ces manœuvres, fit comparaître à son tribunal l'archimandrite, le convainquit de trahison et le déposa. Il nomma pour lui succéder Joseph Rucki, lequel avait été ordonné prêtre, et il fit en outre de celui-ci son vicaire général. Dès lors, pendant cinq années, de 1609 à 1614, gouverné par le nouveau supérieur, le monastère, où le Fr. Josaphat exerçait aussi une grande influence, connut une prospérité croissante. La fureur fut grande dans le camp des dissidents ; ils formèrent le complot d'envahir le couvent et l'église. Mais les autorités locales, averties à temps, firent échouer le projet. La rage ne fit qu'augmenter ; dès que le Fr. Josaphat paraissait dans la rue, les insultes et la boue pleuvaient sur lui. Associé au moine Basilien dans cette hostilité populaire, l’archevêque Hypace faillit être assassiné en 1609.

Saint Josaphat est ordonné prêtre.

Cependant, Josaphat n'était encore que diacre ; il s'appliquait avec ardeur à l'étude de la théologie sous la direction du P. Fabritsi ; ordonné prêtre, il devint l'apôtre de la contrée avec un tel succès que ses ennemis les plus acharnés, de même que ses brebis fidèles, chaque parti mettant dans les mots un sens différent, l'appelaient « le ravisseur d'âmes ». Parmi ses conquêtes, on cite Ignace, patriarche « orthodoxe » de Moscou. Charmés par son zèle et ses vertus, les seigneurs ruthènes et polonais l'attiraient à l'envi dans leurs domaines ; plusieurs lui offrirent des monastères. Josaphat accepta celui de Bythen, puis celui de Notre-Dame de Zyrowice, dont il fit un noviciat.

La nomination du P. Rucki à l'archevêché de Kiev en 1614, fit passer le gouvernement du monastère de la Trinité aux mains de Josaphat Koncewicz. La communauté se composait alors de soixante religieux presque tous jeunes, de sorte que la sollicitude des différentes charges retombait sur le supérieur. Le Père se multiplia ; ferme et doux, il savait plier les volontés sans les brusquer et les briser. Il continuait à travailler à la conversion des dissidents. Pour défendre la cause de l'union, il ne craignit ni les longues recherches dans les bibliothèques, surtout dans les ouvrages traitant de la liturgie, ni les entretiens contradictoires, ni même la haine, avec laquelle il fut parfois accueilli, comme dans le monastère « orthodoxe » de Peczery ou des Cryptes, où le « ravisseur d'âmes » faillit être jeté dans le Dniéper ; sa science et son humilité n'y convertirent pas les âmes, mais lui attirèrent la sympathie.

L'épiscopat.

Josaphat avait environ trente-huit ans quand il fut donné pour auxiliaire à l'archevêque de Polock, Grégoire Zahorski, vieillard de quatre-vingt-dix ans, qui ne survécut guère à cette nomination. Le 12 novembre 1617, il reçut à Vilna la consécration épiscopale. Dans ce vaste diocèse qui s'étendait au nord-est de la Pologne et embrassait toute la Ruthénie blanche, Smolensk excepté, l'union avec Rome n'était guère que nominale. Entre autres raisons de ce mal il faut tenir compte d'un fait important : beaucoup n'avaient pas su comprendre que les catholiques des rites orientaux, de quelque nom qu'on les désigne, ne sont ni plus ni moins catholiques que ceux du rite latin. C'est là une vérité élémentaire que les Papes ne cessent de rappeler, réprouvant la latinisation des Orientaux, mais le nationalisme exagéré de certains et d'autres fois l'ignorance ont créé à travers les siècles des malentendus graves dont l'Eglise souffre encore aujourd'hui.

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Josaphat montra qu'on peut être un parfait « uniate », c'est-à-dire un catholique fidèle au rite oriental, mais fermement attaché à Rome. Il ignorait le latin ; cela ne l'empêchait pas d'admirer l'efflorescence de la vie spirituelle dans l'Eglise latine, la pratique de la confession et de la communion, beaucoup plus fréquente chez les Latins que chez les Orientaux : « Je vais chercher du feu où il y en a », disait-il en un langage figuré et très expressif. Cette manière de faire sera exploitée par ses ennemis et deviendra l'une des causes déterminantes de sa mort violente, les plus hostiles confondant, intentionnellement ou non, le problème des nationalités avec la question de confession religieuse. Le pieux pontife remettait l’avenir entre les mains de Dieu et prêchait avec une ardeur sans cesse grandissante. Le clergé qu'il trouva à Polock avait été formé hors du bercail et était, en général, très ignorant. Josaphat composa pour ses prêtres un petit catéchisme et un directoire.

Son œuvre doctrinale se compléta par un opuscule traitant de la primauté romaine, sujet qui tenait aux fibres les plus intimes de tout son être. Dans des synodes annuels, il enseigna aux clercs les devoirs de leurs charges, établit des règlements très pratiques pour l’administration des paroisses. Son attention se porta également sur les églises et le culte divin. Les cérémonies du rite gréco-slave reprirent toute leur splendeur dans la cathédrale de Polock, complètement restaurée. Le prélat fit réparer de même les cathédrales de Vitebsk, d’Orsza, de Mohilev et de Mscislaw, et agrandit et dota le couvent des Basiliennes de Polock. Pour subvenir aux frais du culte et aux besoins des pauvres, il fut énergique à conserver intact les biens de l’Eglise et veilla à leur sage administration. Il ne passait pas un jour sans admettre quelques pauvres à sa table ; dans un moment où la caisse archiépiscopale était vide, il alla jusqu’à engager son omophorion ou étole pastorale, pour emprunter de l’argent en faveur d’une pauvre veuve qui avait besoin de secours. En un mot, il demeurait le religieux austère et mortifié du couvent de la Trinité.

Les moines Basiliens avaient été les plus grands facteurs de la réunion à Rome. Josaphat convoqua en 1617 une assemblée des supérieurs des monastères basiliens jusque-là indépendants les uns des autres. Cette assemblée décida de s’unir en une seule Congrégation, décision qui devait être approuvée par le Pape Urbain VIII en 1624.

Saint Josaphat priant pour la conversion des dissidents

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Son œuvre battue en brèche.

Mgr Koncewicz était archevêque depuis trois ans quand il fut convoqué, avec plusieurs autres évêques, à la Diète qui s'ouvrit à Varsovie en 1620. Le diable profita de l'absence des pasteurs pour envoyer les loups dévaster le bercail. Théophane, patriarche « orthodoxe » de Jérusalem, revenant de Moscou, où le sultan de Turquie l'avait envoyé pour une négociation politique, passa par l'Ukraine et arriva à Kiev. Sur les instances des Cosaques, adversaires déclarés de l'Eglise romaine, il consacra autant d'évêques dissidents qu'il y avait de prélat catholiques du rite grec-uni. Le siège de Polock fut donné à Mélèce Smotrycki, esprit cultivé, mais surtout ambitieux. Cet intrus se hâta d'envoyer des émissaires dans toutes les villes du diocèse, avec des lettres pleines d'invectives contre l'apostat et papiste Josaphat et contre le Saint-Siège. L'archevêque catholique revint à Polock, porteur d'un décret de Sigismond, roi de Pologne, enjoignant à ses sujets de respecter l'autorité du pasteur légitime. Mais déjà les masses, poussées par des meneurs habiles, étaient en fermentation. Quand le palatin Sokolinsli eut notifié le décret royal à l'hôtel de ville, l'archevêque essaya de prendre la parole et de rappeler les rebelles à l'obéissance, mais sa voix fut couverte par les vociférations des dissidents ; la foule se rua sur lui, et il aurait été infailliblement massacré, sans l'intervention de la force armée. A de telles violences, il répondit par un redoublement de bonté. Polock recouvra un peu de calme, mais ce n'était qu'une trêve.

Le martyre.

Dans le courant d'octobre 1623, Josaphat voulut aller faire sa visite pastorale à Vitebsk. Craignant pour sa vie, ses amis le supplièrent de remettre sa visite à plus tard, ou tout au moins d'accepter une escorte. L'archevêque ne voulut pas différer ni voyager sous une autre sauvegarde que celle de la mansuétude épiscopale. Il ordonna qu'on lui préparât un tombeau dans sa cathédrale, puis il partit, après avoir fait cette prière au pied de l'autel : « Seigneur, je sais que les ennemis de l'union en veulent à ma vie ; je vous l'offre de tout mon cœur, et puisse mon sang éteindre l'incendie causé par le schisme ! » On le reçut à Vitebsk avec des démonstrations hypocrites de respect, mais on tramait des complots contre sa vie. Le 26 octobre, il s'écriait, au cours d'un sermon prêché à l'occasion de la fête de saint Dimitri : « Plaise à Dieu de me faire la grâce de donner ma vie pour la sainte union, pour la suprématie de Pierre et du Saint-Père, son successeur ! » Ce vœu ne tarda pas à se réaliser. Le lendemain matin, pendant que Josaphat priait à la chapelle de la Sainte Vierge, un prêtre apostat, qui traversait, malgré la défense qui lui en avait été faite, la cour du palais épiscopal, fut arrêté par les serviteurs et enfermé à la cuisine.

Aussitôt, la foule s'ameute autour de l'évêché, envoie sur les serviteurs une grêle de pierres et de bâtons. Informé du tumulte, l'archevêque fait mettre le détenu en liberté et rentre au palais. La foule, un moment satisfaite, paraît se calmer, mais c'est pour revenir plus nombreuse. Elle force l'entrée du palais, l'archidiacre et le majordome sont blessés grièvement. Aux cris des victimes, Josaphat accourt : « Mes enfants, dit-il aux assassins, pourquoi maltraitez-vous mes serviteurs, qui ne vous ont fait aucun mal ? Si vous en voulez à ma personne, me voici ! » Les émeutiers demeurèrent immobiles et stupéfaits. Tout à coup, deux misérables s'élancent à travers la foule en criant : « A bas le suppôt des latins ! A bas le papiste ! » L'un d'eux, armé d'une perche, frappe le front de l'archevêque, l'autre lui assène un coup de hallebarde qui lui fend la tête. L'archevêque tombe, trouve la force de faire le signe de la croix et dit : « O mon Dieu ! » Ce furent ses dernières paroles. Les bourreaux s'acharnèrent sur leur victime, lui déchirant le visage. Enfin, deux coups de fusil lui percèrent le crâne. Ainsi mourut Josaphat, le 12 novembre 1623 ; il avait quarante-quatre ans. Les « orthodoxes » envahissent ensuite le palais, le pillent et vident les celliers. Echauffés par la boisson, ils reviennent au cadavre, le souillent de diverses manières et le jettent dans la Dzwina.

Le triomphe, Le culte

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Le 16 novembre, des pêcheurs catholiques furent assez heureux pour retrouver les restes de leur Père, et ils les transportèrent dans l'église du château de Vitebsk. Une foule considérable, clergé, noblesse, bourgeois, vint de Polock pour escorter cette précieuse dépouille qui fut ramenée en grande pompe dans la ville archiépiscopale. A l'arrivée du cortège, tout le peuple se pressait autour du cercueil ; les uns sanglotaient, les coupables se frappaient la poitrine. Durant plusieurs mois, le corps resta exposé dans la cathédrale de Sainte-Sophie, sans aucune décomposition : le visage, beau et souriant, répandit une odeur suave, comme au château de Vitebsk. Beaucoup de miracles devaient s'opérer par l'intercession du glorieux martyr, l'un des plus consolants fut la conversion de l'intrus Mélèce. A partir du 12 novembre 1623, l'âme de ce prélat n'eut plus de repos jusqu'au jour où il fit le pas décisif ; il consacra le reste de sa vie à la pénitence, à la prière et à la défense de l'union. Béatifié par Urbain VIII le 14 mai 1643, le saint archevêque de Polock a été canonisé par Pie IX, le 29 juin 1867. Son nom, inscrit en 1882 au calendrier de l'Eglise universelle, figure le 12 novembre au Martyrologe, mais sa fête est fixée au 14. Quand Josaphat mourut, la vie était revenue dans l'Eglise ruthène, une sève de renouveau se manifestait dans les monastères et parmi les fidèles ; le sang du martyr acheva de cimenter cette union. Après trois siècles, les catholiques du rite ruthène forment de beaucoup le groupe le plus nombreux parmi les orientaux revenus à l'unité. Le corps de saint Josaphat reposa tout d'abord à Polock, mais, au début du XVIIIe siècle, les armées du tsar de Russie Pierre 1er ayant franchi la frontière de la Pologne pour lui prêter secours contre la Suède, les catholiques de Polock, qui connaissaient l'hostilité des Russes orthodoxes vis-à-vis des uniates, crurent prudent d'enlever la châsse d'argent du bienheureux Josaphat et de la mettre en lieu sûr. Précaution trop justifiée, hélas ! Le 11 juillet 1705, le tsar, arrivé la veille à Polock, voulut visiter le couvent des Basiliens ; il était pris de vin, dira-t-il lui-même plus tard. Or, la statue du Bienheureux, représenté la tête auréolée, le crâne fendu, la hache à la main, attira l'attention du monarque qui s'informa près d'un moine. Celui-ci, sans mesurer la portée de ses paroles, dénonça les « schismatiques » comme coupables du meurtre de l'archevêque. Un pareil mot mit l'empereur dans une telle colère que sur-le-champ il tua de sa main le Basilien ; quatre autres religieux furent de même assassinés. Le couvent fut ensuite pillé, et le reste des moines mis en prison. Quant aux reliques, elles furent transportées à Biala, dans le diocèse de Chelm, du rite gréco-ruthène. Mais dans la seconde moitié du XIXesiècle, un prêtre apostat, aidé par les fonctionnaires du gouvernement russe, enleva les reliques de l'autel où elles reposaient et les enferma dans les caveaux de l'église. Ce sacrilège fut commis le 26 mai 1873. En 1915, pendant la Grande Guerre, les Russes ayant dû évacuer Biala, les catholiques recherchèrent le corps du martyr et le transportèrent à Vienne, où il fut déposé en l'église Sainte-Barbe. Le troisième centenaire du martyre de saint Josaphat (1923) donna lieu à de pieuses manifestations, notamment à Rome, en Pologne et à Vienne. A cette occasion le Pape Pie XI publia une Encyclique. Il y affirmait de nouveau la primauté romaine, centre et lien de l'unité catholique, et engageait les Orientaux dissidents à abandonner leurs préjugés, et les Latins à mieux connaître l'Orient et à aimer leurs frères slaves et autres Orientaux.

Fr. Br.

Sources consultées. – Pie XI, « Encyclique Ecclesiam, Dei…à l’occasion du troisième centenaire… de saint Josaphat » (12 novembre 1923). – P. Jean Urban, Vie de saint Josaphat, évêque et martyr (en polonais, Cracovie, 1921). – P. Germain Reydon, « Saint Josaphat Kuntsévitch » (Union des Eglises, 1923). – P. Vitalien Laurent, « Un apôtre de la primauté romaine, saint Josaphat » (Rome, 1924). – (V.S.B.P., n° 196.)

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SAINTE GERTRUDEVierge et religieuse Cistercienne (1256-1302)

Fête le 15 novembre.

Gertrude, que la science, l'amour divin et ses communications intimes avec Dieu devaient rendre célèbre, nous est connue par les cinq livres de l'ouvrage intitulé le Héraut de l'amour divin. Le premier livre est une sorte d'introduction composée par une de ses compagnes de cloître. Elle-même est l'auteur du deuxième livre. Les trois autres ont été rédigés d'après des notes prises sous sa dictée.

Une religieuse de cinq ans.

Elle naquit le 6 janvier 1256, en un lieu de l'Allemagne que l'on n'a pu encore déterminer. Le même mystère plane sur la condition et le nom même de ses parents. On sait seulement que pour satisfaire son désir de se consacrer à Dieu, ceux-ci l'offrirent généreusement au monastère d'Helfta, près d' Eisleben, en Saxe, placé sous l'observance cistercienne, encore que le Martyrologe Romain appelle Gertrude, sans préciser davantage, vierge de l'Ordre de Saint-Benoît. Gertrude n'avait que cinq ans. Elle appartint dès ce moment toute entière au céleste Epoux des vierges. Elle était humble, obéissante, docile et singulièrement amie du recueillement et de la prière. Sa gaieté simple et naïve, sa charité pleine de prévenance et de douceur la rendaient chère à toutes les religieuses du couvent, en même temps que son exquise pureté la rendait aimable aux regards du Roi des anges. On s'aperçut bientôt que Dieu l'avait douée d'une intelligence extraordinaire et on lui permit de se livrer à son attrait pour les études, sous la direction des religieuses les plus capables. Elle apprit la langue latine et étudia les sept arts libéraux, dont le programme embrassait tout l'enseignement primaire et secondaire de l'époque. La pénétration de son esprit, la facilité de sa mémoire, favorisées par la limpide pureté de son cœur, hâtaient ses progrès. La piété dans son âme marcha d'abord de pair avec l'étude. Cependant quand elle se fut livrée avec ardeur à l'étude de la rhétorique et de la philosophie, elle commença à prendre trop de goût à ces sciences profanes, ce qui diminua la ferveur de sa dévotion.

Le calme reprit possession de son cœur et de son esprit le 27 janvier 1281, jour où, selon les Révélations, Notre-Seigneur lui apparut. Depuis sa « conversion », elle ne s'occupa plus que de sciences sacrées. Elle se mit à étudier l'Ecriture Sainte et la théologie, et à lire les écrits des Pères. Au reste, sa manière de se livrer à ce travail ressemblait bien plus à une méditation spirituelle qu'à une étude proprement dite. « Elle ne pouvait se rassasier, dit sa biographe, de la douceur admirable qu'elle goûtait dans la contemplation et dans la recherche de cette lumière qui est cachée sous le

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sens de l’Ecriture, laquelle, lui étant plus douce que le miel et plus agréable que l'harmonie des concerts, remplissait son cœur d'une joie et d'une satisfaction presque continuelles. » Elle acquit ainsi une doctrine spirituelle abondante et sûre, qui fut merveilleusement accrue par les enseignements directs qu'elle reçut du divin Maître ; son zèle apostolique s'en servit avec fruit pour l'instruction de ses sœurs et le bien de beaucoup d'âmes.

Le vrai maître. – La présence de Dieu.

Notre-Seigneur voulut lui-même lui servir de maître et lui apprendre des vérités qu'on ne saurait trouver dans les livres. Il la remplit de lumières si pures et si abondantes que toute sa vie antérieure, pourtant si parfaite aux yeux de ses sœurs, ne lui semblait plus à elle-même qu'un temps de ténèbres et de vanités. Cette faveur fut suivie d'une union si intime avec Dieu, qu'elle ne perdait plus jamais de vue sa très douce et très aimable présence, même au milieu des occupations les plus diverses. Il y avait dans le même monastère une autre religieuse, émule de Gertrude dans la perfection : c'était sainte Mechtilde, sœur de l'abbesse d'Helfta, Gertrude de Haekeborn, laquelle a été longtemps con-fondue, pour raison d'homonymie, avec Gertrude la Grande. Un jour, Mechtilde, chantant au chœur, aperçut Jésus-Christ sur un trône élevé et Gertrude qui se promenait autour de lui, les yeux sans cesse fixés sur la face du divin Maître, de quelque côté qu'elle allât et tout en s'acquittant avec un soin très exact des divers emplois dont elle était chargée.

Mechtilde restait tout étonnée d'un pareil spectacle, mais le Sauveur lui dit : « C'est là l'image de la vie que mène ma chère Gertrude devant mes yeux, elle marche toujours en ma présence ; elle ne donne ni relâche à ses désirs, ni trêve aux empressements qu'elle a de connaître ce qui est le plus selon mon cœur ; et aussitôt qu'elle l'a pu connaître, elle l'exécute avec soin et fidélité. Elle n'en reste pas là toutefois, mais cherche immédiatement quelque nouveau désir de ma volonté, pour redoubler de zèle et pratiquer de nouveaux actes de vertu. Et ainsi toute sa vie n'est qu'un enchantement de louanges consacrées à mon honneur et à ma gloire. » Notre-Seigneur, sa gloire et la satisfaction de sa divine volonté, tel était l’unique objet des préoccupations de Gertrude ; elle envisageait tout à ce point de vue ; elle ne se servait des choses créées, et même des dons si rares qu'elle avait reçus de Dieu, qu'à cette fin suprême. Rien pour elle-même, rien pour sa propre satisfaction, rien pour sa propre gloire, mais tout pour Dieu. Dans ses habits, dans ses meubles, dans ses livres, dans toutes les choses à son usage, elle ne recherchait ni la curiosité, ni la magnificence, ni la satisfaction de ses sens, mais uniquement la nécessité ou l'utilité, et aimait d'autant plus une chose que celle-ci lui servait davantage à honorer Dieu. Lui donnait-on quelque objet dont elle avait besoin, elle le recevait comme de la main de Dieu même. Enfin, cette fidèle épouse du Christ considérait sa propre personne comme la propriété de Dieu, et c'est pour l'amour de lui qu'elle subvenait aux nécessités de son corps et de son âme. Elle se regardait comme un objet consacré au culte divin, de telle sorte qu'elle eût considéré comme un vol et une impiété de ne pas s'employer uniquement à la gloire de son souverain Maître et de se rechercher elle-même en quoi que ce fût.

Sainte Gertrude et la sainte Eucharistie.

La sainte Eucharistie était comme le centre de la piété de Gertrude, c'était le foyer où sa ferveur se renouvelait le plus souvent possible. Toutes les actions qu'elle accomplissait le matin avant la communion, elle les offrait à Notre Seigneur comme des préparations pour s’approcher plus dignement de la sainte Table ; et toutes celles qui suivaient la communion, dans le reste de la journée, elle lui en faisait hommage comme d'autant d'actions de grâces pour l'inestimable bienfait quelle avait reçu. Un jour, au moment d'aller communier, se croyant moins bien préparée qu'à

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l'ordinaire, elle se disait à elle-même : « Voici que déjà l'Epoux t'appelle, comment feras-tu pour aller au-devant de lui, encore si peu parée des ornements des mérites qui lui plaisent ? » Alors, s'humiliant profondément de sa faiblesse et de son indignité, et mettant toute sa confiance dans l'infinie bonté de Dieu, elle ajoutait : « A quoi bon retarder ? quand même tu aurais mille ans à t'appliquer, tu ne pourrais néanmoins te préparer dignement, n'ayant absolument rien de toi-même qui puisse suffire à une préparation si magnifique et si difficile ; mais j'avancerai au contraire au-devant de lui avec humilité et confiance, et lorsqu'il m'aura vue de loin, mon doux Sauveur, touché de son propre amour, sera assez puissant pour m'envoyer les ornements qui me manquent. » Elle s'avança donc, toute pénétrée de ces sentiments, et Notre-Seigneur lui apparut, le visage plein de miséricorde. Dans une vision symbolique, elle se vit revêtir d'une robe violette, figure de l'humilité, d'un ornement vert, figure de l'espérance, d'un manteau d'or, symbole de la charité, d'une couronne de pierreries, figure de la joie que Jésus éprouve à régner sur un cœur qui est tout à lui  ; ainsi parée, elle reçut son divin Roi. Une autre fois, comme elle allait communier, elle dit à notre Sauveur : « O Seigneur ! qu'allez-vous me donner ? » Et le Sauveur lui répondit : « Moi-même tout entier, avec toute mon essence divine, comme la Vierge ma Mère, me reçut à l'Annonciation. » Dans une autre circonstance, la Sainte venait de communier, et pendant qu'elle était profondément recueillie dans son action de grâces, Notre-Seigneur se présenta devant elle sous la forme d'un pélican se perçant la poitrine pour abreuver ses poussins de son sang. « Seigneur, dit Gertrude, que voulez-vous m'apprendre par cette vision ? – Je veux te faire considérer, dit Jésus, qu'en t'offrant un don si auguste, je suis pressé par de si grands sentiments d'amour, que s'il n’était pas inconvenant de parler de la sorte, j'oserais avancer qu'après avoir fait ce présent aux hommes, je préférerais demeurer mort dans le tombeau, que de voir l'âme aimante s'abstenir de ce fruit de ma libéralité ; c'est enfin pour te faire envisager combien est excellente la manière dont ton âme est vivifiée par la vie éternelle en prenant cet aliment divin, puisqu'elle l'est à la manière du petit pélican qui reçoit la vie du sang qui découle du cœur de son père. » Gertrude méditait un jour sur la vigilance avec laquelle nous devons surveiller notre langue, destinée à recevoir le précieux mystère du Christ, et une lumière d'en haut l'instruisit par cette comparaison :

Si quelqu'un, qui ne veille pas sur sa bouche touchant les paroles vaines, fausses, honteuses, médisantes ou autres semblables, approche sans repentir et sans pénitence de la communion sainte, celui-là reçoit Jésus-Christ (autant qu'il est en lui) de la même manière que celui qui accablerait d'une grêle de pierres l'hôte qui vient chez lui, au moment de franchir le seuil de sa maison, ou bien qui lui briserait la tête avec un marteau de fer. Que celui qui lit cette comparaison, ajoute Gertrude, considère avec un profond sentiment de compassion le rapport qu'il y a entre une si grande cruauté de notre part et une si grande bonté de la part du Seigneur ; qu'il regarde si celui qui vient pour le salut de l'homme avec tant de douceur mérite d'être persécuté avec une si dure barbarie par ceux qu'il vient sauver ; et ce que je dis des péchés de la langue, on peut en dire de même de tous les autres péchés.

La voyante assistait chaque matin au Saint Sacrifice de la messe. Un jour, s'unissant au prêtre au moment de l'élévation de la sainte Hostie, elle offrait elle-même cette Victime sans tache à Dieu le Père, comme une digne réparation de tous ses péchés ; elle sentit que Jésus-Christ avait daigné présenter lui-même à son Père l'âme de sa servante. Et pendant qu'elle se confondait en actions de grâces pour une si grande bonté, Jésus-Christ lui fit comprendre cette vérité : chaque fois qu'un fidèle assiste avec dévotion au Saint Sacrifice de la messe, en songeant quelle Victime s'immole pour notre salut sur l'autel, Dieu le Père le regarde avec miséricorde, à cause de sa complaisance pour l'Hostie trois fois sainte qui lui est offerte.

« Toutes tes demandes sont exaucées. »

Une année, lit-on dans Le héraut de l'amour divin, que le froid menaçait de faire périr les

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hommes, les animaux et les récoltes, Gertrude recourut au Seigneur durant la messe, pour cette affaire et pour d'autres encore, Sa prière finie, elle reçut cette réponse : « Sache que toutes tes demandes sont exaucées. »

- Seigneur, reprit-elle, donnez-moi la preuve de cette bonté, en faisant cesser le froid rigoureux.La messe finie, elle trouva les chemins tout couverts d'eau qui provenait de la glace et de la

neige fondues. A la surprise générale, ce temps favorable se maintint, le printemps commença et continua sans interruption. Gertrude obtenait parfois l’assistance divine miraculeusement pour ainsi dire, et comme en se jouant. Quand par exemple travaillant assise sur un tas de paille, son aiguille venait à lui échapper des mains elle disait de manière à être entendue de tous : « Seigneur, toutes les peines que je mettrais à chercher cet objet seraient inutiles, faites-le moi donc retrouver vous-même. » Puis, sans même regarder, elle avançait la main, et reprenait aussitôt au milieu de la paille ce qu'elle avait perdu, comme si elle l'eut vu nettement sur un pavé tout uni.

Le cœur de Jésus et le cœur de sainte Gertrude.

Le divin Maître sembla préluder avec sainte Gertrude aux révélations qu'il fit quatre siècles plus tard à sainte Marguerite-Marie sur la dévotion à son Cœur sacré. Souvent il lui en découvrit les merveilles, et le lui ouvrit comme un refuge assuré, comme une source inépuisable de grâces. Une fois il lui présenta son divin Cœur sous la forme d'un encensoir d'or, duquel montaient vers le Père céleste autant de colonnes d'un encens très odorant qu'il y a de classes d'hommes pour lesquels Jésus a donné sa vie. Un jour que la Sainte priait et qu'elle faisait ses efforts pour prier avec attention, elle ne laissait pas de souffrir, par un effet de la faiblesse humaine, plusieurs distractions ; cela la jeta dans une grande affliction, et elle se disait en elle-même : « Ah quel fruit peut-on espérer d'un pareil exercice fait avec tant d'égarement d'esprit ? »

Alors Jésus, pour la consoler, lui montra son Cœur sous la figure d'une lampe ardente, et lui dit : « Voilà mon Cœur, les délices de la Très Sainte Trinité ; je te le présente, afin que tu lui demandes avec confiance d'accomplir en toi tout ce que tu n'es pas capable d'opérer toi-même : recommande-lui toutes tes actions pour qu'il les rende parfaites à mes yeux ; il sera désormais toujours prêt à te secourir et à réparer les défauts de ta négligence. »

« Mon Seigneur Jésus-Christ, disait parfois la Sainte, je vous en supplie, par votre Cœur transpercé d'une lance, percez le mien des traits de votre amour. »

Son appel fut entendu. A l'exemple de saint François d’Assise, Gertrude reçut les divins stigmates imprimés sur cœur dès la deuxième et peut-être même la première année de sa « conversion ».

Je vis, a-t-elle écrit, que, de la plaie de la main droite du Crucifix, il sortait un rayon de feu, comme une flèche aiguë, qui fit urne blessure à mon cœur, et depuis ce temps jusqu'à présent, ô mon Dieu, je n'ai jamais senti que vous vous soyez écarté de mon cœur. Chaque fois que je rentrais en moi-même, j'étais assurée de vous y trouver présent, parce que vous aviez blessé mon cœur d'une plaie d'amour si profonde que, malgré mon indignité, vous ne me quittiez pas.

O amour, ô mon Roi, ô mon Dieu, à l'heure de ma mort, prenez-moi sous la protection de votre Sacré Cœur divin ! O amour, mon cœur se porte vers le vôtre avec une ardeur qui fait son tourment ; ouvrez-moi l'entrée salutaire de votre aimable Cœur, voilà le mien, possédez-le, unissez-le à votre divin Cœur. O Jésus, que votre Cœur déifié, déjà percé pour mon amour et ouvert sans cesse à tous les pécheurs, soit le premier lieu de leur refuge et celui de mon âme au sortir de son corps.

Dans un autre passage de ses écrits, remerciant le Seigneur de toutes ses bontés, Gertrude continue en ces termes :

A tant de faveurs vous avez ajouté urne marque inestimable de votre amitié et de votre familiarité envers moi en me donnant en diverses manières votre Sacré Cœur pour être la source abondante de tout

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mes délices ; tantôt vous me le donniez purement d'un don gratuit tantôt, par une marque plus sensible de votre familiarité, vous échangiez le vôtre avec le mien.

Une fois, Gertrude se sentit miraculeusement attirée dans le Cœur de Jésus, et s'y reposa pendant une heure dans les délices d'une merveilleuse extase.

Il n'y a qu'elle, dit le livre de ses Révélations, qui sache ce qu'elle a senti, ce qu'elle a vu, ce qu'elle a entendu, ce qu'elle a goûté et ce qu'elle a touché du Verbe de vie ; il n'y a qu'elle, dis-je, et Jésus-Christ, l'Epoux des âmes qui l'aiment, Jésus-Christ, le Dieu béni dans tous les siècles par-dessus toutes choses, et qui a bien voulu l'élever à une union si sublime et si excellente.

Enfin, ce très miséricordieux Sauveur dit un jour à sainte Mechtilde, compagne et imitatrice de notre Sainte : « Vous ne sauriez jamais me trouver dans un lieu qui me plaise et me convienne davantage que dans le Sacrement de l'autel et dans le cœur de Gertrude ma bien-aimée. »

Humilité et souffrance.

Malgré tant de faveurs extraordinaires, on n'a jamais pu apercevoir en elle, dit sa biographie, aucun mouvement d'orgueil ou de complaisance en elle-même. Elle envisageait jusqu'au fond ses défauts pour s'en humilier sans cesse de plus en plus. Plus les grâces qu'elle recevait étaient grandes, plus elle s'abaissait devant l'infinie bonté de Dieu, reconnaissant qu'elle devait tout à sa pure miséricorde, et se regardant comme la plus ingrate et par suite la plus méprisable des créatures. « Ah ! Seigneur, s'écriait-elle un jour, parmi tous les miracles que vous opérez, celui qui me semble le plus grand, c'est de voir que la terre soutient une misérable pécheresse telle que je suis !

Comme toutes les âmes qui aiment ardemment Notre Seigneur, elle avait un extrême désir de souffrir pour lui ; tellement que rien ne lui paraissait plus triste que de n'avoir rien à endurer pour son amour. Aussi s'imposait-elle des mortifications rigoureuses et acceptait-elle avec bonheur les maladies que Dieu lui envoyait. La Passion du Sauveur était l'objet principal et incessant de ses méditations. Le divin Maître lui donna souvent de vives lumières sur l'immensité et l'étendue de ses souffrances ; il grava spirituellement ses plaies dans le cœur de Gertrude.

Un Vendredi-Saint, elle dit à son divin Roi : « Enseignez-moi, je vous prie, ô l'unique espérance de mon âme, par quels moyens je pourrais mieux reconnaître le bienfait de votre sainte Passion. »

Jésus lui répondit :

Quiconque renonce à son propre sens et se soumet à l'avis des autres, me console de ma captivité et des outrages qui l'accompagnèrent. S'avouer humblement coupable, quand on est accusé, c'est dignement reconnaître l'amour qui me fit accepter une injuste sentence.

Les « Révélations » – La mort. – Le culte.

Ce zèle pour le salut des âmes rachetées par le sang de Jésus dévorait l'âme de Gertrude. C'est avec des torrents de larme qu'elle priait pour le salut des pécheurs aux pieds du Crucifix ou devant

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le Saint Sacrement. Ses lettres et ses exhortations n'avaient d'autre but que de procurer la gloire de Dieu et de le faire aimer. C'est également pour cela que, sur l'ordre du Sauveur, elle entreprit en 1289 la rédaction de ses Révélations, complétées ensuite vers l'an 1300 et dont le texte fut approuvé du vivant même de l'auteur par les théologiens les plus fameux.

Elle avait reçu de Dieu, dit sa biographe, une manière de parler si sage, si agréable aux auditeurs, et si remplie de force et de consolation, qu'elle pénétrait jusqu'au plus profond des cœurs. Elle obligeait les âmes à quitter les vanités du monde pour ne songer qu'à leur salut... Elle consolait les affligés avec une grande compassion, et elle ajoutait de nouvelles ardeurs à ceux qui brûlaient déjà de l'amour divin.

L'époque et les circonstances précises où mourut Gertrude sont incertaines ; cependant les historiens s'accordent en général à situer l'événement vers 1302 ou 1303. Un mercredi de Pâques, pendant la communion, elle s'entendit appeler : « Viens, mon élue, et je ferai de toi mon trône. » Quelque temps après, aux autres maux habituels dont elle souffrait, vinrent s'ajouter des douleurs hépatiques qui la crucifièrent plusieurs mois. Elle avait justement écrit, pour le profit des autres, une instruction préparatoire à la mort. C'était une sorte de retraite de cinq jours, le premier consacré à la commémoration de la maladie dernière, le deuxième à la confession, le troisième à l'Extrême-Onction, le quatrième à la communion et le cinquième à la mort elle-même. La Sainte se mit avec ferveur à pratiquer ce pieux exercice, comme elle l'avait enseigné aux autres. « La mort, conjecture M. Ledos, la saisit semble-t-il, dans une extase mettant fin d'une manière assez douce aux souffrances qu'elle endurait depuis si longtemps. » Ce fut, croit-on, le 15 novembre.

La publication, en 1536, par le Chartreux Lanspergius (Jean Gerecht), d'une édition latine des Révélations, les traductions, les extraits qu'elle suscita, l'estime que leur témoignèrent des maîtres tels que sainte Thérèse, saint François de Sales, M. Olier, donnèrent naissance à un culte d'abord assez restreint, dont la première con- cession est de 1606, sous Paul V. Clément XII l'a étendu à l'Eglise universelle le 9 mai 1739, après son inscription au Martyrologe Romain sous la date du 17, puis du 15 novembre.

A.L.

Sources consultées. – Le Héraut de l'amour divin. Révélations de sainte Gertrude traduites de la nouvelle édition latine des Pères Bénédictins de Solesmes (2 volumes, Poitiers, 1877). – Les Exercices de sainte Gertrude, traduits et publiés par Dom Guéranger (Poitier). – Gabriel Ledos, Sainte Gertrude (Collection Les Saints). – (V.S.B.P., n° 614.)

SAINT EDMONDArchevêque de Cantorbéry (1180-1240).

Fête le 16 novembre.

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L’Excellent docteur saint Edmond, l'honneur de l'Université de Paris et l'ornement de la nation anglaise, naquit le 20 novembre, vers l'an 1180, à Abingdon, non loin d'Oxford. Ses parents, Réginald et Mabel Rich, étaient marchands et remarquables par leur piété. Edmond était l'aîné de quatre enfants, il avait un frère, nommé Robert, et deux sœurs, Marguerite et Alice. Leur père se retira, du vivant de sa femme et avec le consentement de celle-ci, au monastère d'Evesham, où, après avoir vécu dans l'observance étroite de sa règle, il mourut en odeur de sainteté. Leur mère, contrainte de demeurer dans le monde pour veiller sur ses enfants, fut le modèle des mères chrétiennes ; elle portait constamment le cilice et assistait chaque nuit à l'office de Matines à l'abbaye voisine.

L'influence d'une mère. – Saint Edmond étudiant. – La visitede Jésus Enfant.

Dès qu'Edmond fut en âge de comprendre la pratique de la vertu, la pieuse Mabel l'accoutuma à une vie austère. Elle le faisait jeûner le vendredi au pain et à l'eau, le revêtait quelquefois d'un petit cilice et, par de modestes présents, l'engageait doucement à la mortification et à la pénitence. L'enfant correspondit parfaitement aux soins d'une mère si prudente, et lorsqu'un peu plus tard elle l'envoya étudier à Oxford, il s'y montra un modèle de douceur, de modestie et de dévotion.

La prière et l'étude, hors les soins indispensables du corps, partageaient tout son temps, et il ne manquait pas les dimanches et les jours de fête, de réciter le Psautier tout entier. Il avait ordinairement sur les lèvres cette belle maxime, digne d’être gravée en lettres d'or : « Si d'un côté je voyais le péché et de l'autre l'enfer, je descendrais en enfer plus volontiers que je ne commettrais un seul péché. » L'amour de Jésus-Christ Enfant était profondément enraciné dans son cœur. Edmond en reçut un jour une insigne faveur. En se promenant avec d'autres écoliers, il s'était écarté de la compagnie, pour ne pas entendre certains discours peu charitables ou peu honnêtes ; le divin Enfant lui apparut avec une beauté ravissante, et, jetant sur lui un regard plein d'amour, lui adressa ces paroles :

- Je vous salue, mon bien-aimé.Edmond demeura tout interdit. Mais le Sauveur ajouta :- Ne me reconnaissez-vous donc pas ?- Je n'ai pas cet honneur, lui dit Edmond, je me persuade même que vous me prenez pour un

autre et que vous ne me connaissez pas non plus.- Comment peut-il se faire, lui répliqua Jésus, que vous ne me connaissiez pas, moi qui me tiens

toujours à vos côtés quand vous êtes à l'école, et qui vous accompagne partout où vous allez ? Regardez sur mon visage, et voyez ce qui est écrit.

Edmond leva les yeux et lut sur le front du Sauveur ces mots :« Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. » - Tel est mon nom, continua l'Enfant adorable, gravez-le profondément dans votre cœur ;

pendant la nuit, imprimez-le sur votre front, et il vous préservera de la mort subite, vous et tous ceux qui feront la même chose.

Jésus disparut alors, laissant l'écolier comblé d'une joie inconcevable. Depuis, Edmond eut une dévotion particulière envers la Passion de Notre-Seigneur ; il prit l'habitude de se signer chaque nuit en invoquant Jésus de Nazareth et il recommanda cette coutume à ses camarades.

Consécration à Marie.

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Désireux de conserver la pureté de l'esprit comme celle du corps, Edmond se consacra alors à Dieu et à la Sainte Vierge par le vœu de chasteté. Voici comment il accomplit cette donation de lui-même ; il se rendit à l'église Sainte-Marie d'Oxford, déposa au pied de la statue de Notre-Dame deux anneaux, autour desquels il avait fait graver la salutation de l'ange. Il prononça alors son vœu de chasteté perpétuelle, prit ensuite un des anneaux qu'il mit au doigt de l'image sainte et plaça à son propre doigt l'autre anneau qu'il conserva jusqu'à la mort. Depuis cette époque, Marie ne cessa de le protéger, et de son côté, il fut toujours fidèle à celle qu'il appelait sa souveraine, sa gardienne, sa mère.

A Paris et à Oxford. – Élève et professeur. – Vocation.

Il avait environ quinze ans, quand, vers 1195, sa mère l'envoya, avec son frère Robert, continuer ses études à l'Université de Paris. Là, il montre un zèle extraordinaire pour s'instruire et un ardent amour pour la vertu. Il évite soigneusement les compagnies dangereuses ; dans sa chambre, il a placé une image de la Très Sainte Vierge et il vit sous son regard, laissant sans cesse les oraisons jaculatoires et les pieuses aspirations jaillir de son cœur. Chaque nuit, il assiste à l'office de Matines à l'église Saint-Merry, puis il reste plusieurs heures en prières, jusqu'à la première messe qu'il entend dévotement, et se rend ensuite à ses devoirs d'étudiant sans prendre plus de repos ni de nourriture. Fidèle aux recommandations de sa mère, il jeûne, porte le cilice, distribue aux pauvres la plus grande partie de ses modestes ressources d'écolier. L'étude lui fait mépriser les plaisirs, et la vertu remplit son âme de lumières célestes qui la rendent capable de pénétrer les vérités les plus sublimes. Aussi, grâce à ces qualités éminentes, il se rendit si savant qu'il fit l'admiration, non seulement de ses condisciples, mais encore de ses maîtres, et qu'on le considéra comme un prodige de doctrine et d'érudition, en même temps que la pureté et l'innocence de sa vie le rendaient un miracle de sainteté.

Quand Edmond eut conquis les premiers grades de la Faculté de Paris, il y enseigna les belles-lettres et acquit bientôt une grande réputation. Mais Mabel, étant tombée gravement malade et jugeant que son heure dernière approchait, rappela au plus tôt de Paris ce cher fils afin de lui donner sa bénédiction.

- Je bénis vos frères et sœurs en votre personne, dit-elle, car Dieu vous a choisi pour les rendre participants des bénédictions du ciel.

La pieuse Mabel avait recommandé à Edmond d'avoir soin de son frère et de veiller particulièrement sur la vertu de ses sœurs, dont la grande beauté faisait craindre pour elles des périls nombreux. Prenant à cœur ses devoirs d'aîné, il proposa aux deux jeunes filles de se faire religieuses. Elles y consentirent volontiers. Il se rendit alors à Catesby dans un pauvre monastère de l'Ordre de Saint-Gilbert de Sempringham, où il savait que l'observance était gardée dans toute son intégrité. Dès que la prieure le vit, elle l'appela par son nom, quoiqu'elle ne le connût point, et, prévenant sa demande que le Seigneur lui avait révélée, elle déclara à son visiteur qu'il pouvait amener ses sœurs et qu'on les recevrait avec joie. Ayant accompli ce pieux devoir, il se présenta à l'Université d'Oxford où il fut nommé professeur de lettres et de sciences.

Un jour qu'Edmond enseignait la géométrie, sa mère lui apparut en songe et lui demanda ce que signifiaient toutes ces figures. Comme il ne savait que répondre, elle lui prit la main et y imprima trois cercles qui représentaient la Sainte Trinité disant :

- Laissez, mon fils, toutes les figures qui font maintenant votre occupation, et ne pensez plus qu'à celle-ci.

Edmond comprit, il revint à Paris et s'appliqua aussitôt à l'étude de la théologie.

Professeur à l’Université de Paris.

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Le jeune professeur retourna donc en classe comme un simple disciple. Il reprit les mêmes habitudes de travail et de piété qu'il avait observées pendant son premier séjour à Paris, mais avec une plus grande perfection encore. Il pratiqua tout le temps une très grande austérité ; il passait la plupart des nuits en prières, et il ne prenait que très peu de sommeil, et couchait à même le sol. Sévère pour lui-même, il était aimable et doux pour les autres, surtout pour les malades qu'il soi-gnait et servait lui-même très souvent. On rapporte qu'il vendait quelquefois ses livres pour faire l'aumône aux pauvres.

Son désintéressement faisait l'admiration de tous ses élèves. Quand ces derniers étaient dans la nécessité, il les soulageait de ses aumônes, et, un jour, il en accueillit un qui était malade et coucha six semaines auprès de son lit pour l'assister.

Il en guérit un autre, atteint au bras d'un mal cruel, en lui disant :- Que Notre-Seigneur Jésus-Christ te guérisse.Son ardeur pour porter ses disciples à la vertu n'était pas moins grande ; il leur faisait souvent

de pressantes exhortations sur l'obligation de vivre en chrétiens. Il fit même élever en l'honneur de la Sainte Vierge une chapelle où il les menait à la messe. C'est par ces actes de religion autant que par l'étude qu'Edmond se rendit digne du grade de docteur. Ordonné prêtre et nommé professeur de théologie à l'Université de Paris, il employa aussitôt cette nouvelle dignité au profit du prochain, comme s'il n'était né que pour l'utilité des autres. Son enseignement hors de pair lui acquit rapidement une éminente réputation. On remarque qu'expliquant les Saintes Ecritures il ne se bornait pas à instruire les esprits, mais qu'il enflammait les cœurs de ses auditeurs et les gagnait à la vraie piété ; si bien que plusieurs, touchés des exhortations enflammées de l'amour divin dont il ani-mait ses discours, quittèrent des bénéfices considérables et des dignités ecclésiastiques pour embrasser la vie religieuse et parvinrent à une grande sainteté.

Professeur à Oxford. – Prédicateur.

Vers 1214, Edmond revint en Angleterre et fut appelé à l'Université d'Oxford où il enseigna pendant sept ans la théologie. Il fut le premier à commenter Aristote dans ces écoles ; il trouva en outre le temps de faire de l'apostolat et de donner des missions en diverse parties de l'Oxfordshire, du Gloucestershire, du Worcestershire, prêchant la parole de Dieu à des foules nombreuses. Ses sermons étaient animés d'une éloquence si persuasive, d'un zèle apostolique si conquérant qu'il surmontait les résistances des pécheurs les plus endurcis. C'est ainsi qu'il convertit Guillaume Longuépée, le fameux comte de Salisbury, qui menait une existence impie et qui, à la suite d'un sermon d'Edmond, se prépara pieusement à la mort.

Pendant qu'il distribuait au peuple la divine vérité, il tenait ordinairement à la main un Crucifix qu'il contemplait de temps à autre, tantôt pleurant, tantôt souriant. Ces pleurs, disait-il à ses âmes, provenaient de ce que, d'un si grand nombre d'auditeurs, il voyait si peu bien faire, alors même que tous connaissaient les commandements de Dieu et de l’Eglise, et avaient devant les yeux l’exemple de Notre-Seigneur et de ses Saints. Toutefois, il faisait paraître assez souvent un visage joyeux, en pensant à l’amour divin et à toutes les grâces que le sacrifice du Calvaire avait méritées au genre humain.

Austérités et désintéressements. – Sixième Croisade.

Edmond avait, dès son enfance, jeûné au pain et à l’eau les vendredis et depuis la Septuagésime

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jusqu’au Carême ; après sa promotion au sacerdoce, il ne mangeait plus qu’une fois par jour. Il gardait une abstinence si rigoureuse, qu’elle semblait dépasser les forces humaines. On le voyait presque toujours en oraison.

En se promenant avec d'autres écoliers saint Edmond vit l'Enfant Jésus lui apparaître.

Austérités et désintéressement. – Sixième Croisade.

Edmond avait, dès son enfance, jeûné au pain et à l'eau les vendredis et depuis la Septuagésime jusqu'au Carême; après sa promotion au sacerdoce, il ne mangeait plus qu'une fois le jour. Il gardait une abstinence si rigoureuse, qu'elle semblait dépasser les forces humaines. On le voyait presque toujours en oraison. Il adorait souvent Notre-Seigneur par ces paroles : Adorarnus te, Christe, qu'il répétait en l'honneur de chacune des cinq Plaies. Plusieurs prélats s'efforcèrent de l'attirer auprès d'eux et lui offrirent de riches bénéfices qu'il refusa ; cependant, pour pouvoir s'appliquer plus librement au ministère de la prédication sans être en charge à personne, il accepta, en 1222, le titre de chanoine et les fonctions de trésorier de l'église de Salisbury. Son mépris pour l'argent était tel qu'il n'en touchait qu'en vue de faire l'aumône. Il se reposait de sa recette et de sa dépense sur son économe, et ne lui en demandait point de compte, pourvu que celui-ci fut libéral envers les pauvres. Quelques années plus tard, il fut chargé de prêcher à travers l'Angleterre la sixième Croisade qui fut commandée par l'empereur Frédéric II en 1228.

Archevêque de Cantorbéry.

En 1233, le siège archiépiscopal de Cantorbéry étant devenu vacant, le Pape, informé de la

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sainteté et du zèle d'Edmond pour la gloire de Jésus-Christ, le nomma à ce siège, à la grande joie du Chapitre et à la satisfaction du roi Henri III. Quand Edmond apprit cette nouvelle, il se cacha, et, lorsqu'on l'eut trouvé, il fit de grandes résistances, refusant énergiquement cet honneur ; cependant, comme on lui montra qu'il ne pouvait s'opposer à ce choix sans offenser Dieu, l'évêque de Salisbury, dont il dépendait, lui ayant ordonné d'accepter au nom de l'obéissance, il se laissa conduire vers le troupeau confié désormais à ses soins. Il fut sacré le 2 avril 1234, aux applaudissements de tout le peuple. Les besoins spirituels et corporels de ses ouailles faisaient l'objet de sa plus grande attention. Il était le nourricier des pauvres, le père des orphelins, le soutien des veuves, l'asile des persécutés, le soulagement des malades. Il dotait les filles qui n'avaient pas de quoi se pourvoir et appliquait à ses œuvres de charité, outre son propre revenu, les amendes de son officialité. Il pourchassait le vice partout et sans faiblesse, mais, en même temps, il travaillait partout à gagner les pécheurs et à les amener à la pénitence.

Ses souffrances pour la défense de l'Église.

Telle fut la vie d'Edmond pendant qu'il jouit paisiblement de son siège, mais, parce qu'il était agréable à Dieu et chéri du ciel, il fallait que ce zélé pasteur fût éprouvé par la tribulation. En effet, comme il se montra inflexible dans la défense des droits de l'Eglise et des immunités ecclésiastiques, il encourut la colère du roi. En 1237, il se rendit à Rome pour plaider lui-même sa cause auprès du Souverain Pontife. Cette attitude énergique le mit en conflit, non seulement avec le roi et ses partisans, mais aussi avec les moines de Rochester et de Cantorbéry ; des évêques lâches et complaisants et son Chapitre même lui firent mille sortes de persécutions, dépêchant des émissaires à Rome pour le desservir auprès du Pape. Le Souverain pontife envoya un légat en Angleterre, mais le roi et ses complices manœuvrèrent adroitement pour le circonvenir et l'amener à annuler les pouvoirs d'Edmond.

Ces tempêtes ébranlaient douloureusement, sans pourtant l'abattre, le saint archevêque ; au contraire, il en triomphait, au point de demeurer aussi paisible que s'il n'eût rien enduré et de chérir tendrement ses propres persécuteurs en leur faisant toutes sortes d'amitiés. Et, à ceux qui s'en étonnaient, il répondait :

- Sur la croix, Notre-Seigneur n'avait plus de libre que la langue, cependant il sut bien l'employer pour pardonner à ses bourreaux.

Toutefois, voyant d'autre part que sa patience opiniâtrait les esprits et qu'on ne lui laissait plus la liberté de remplir ses fonctions épiscopales, ne voulant pas approuver le mal et l'injustice, il résolut de quitter l'Angleterre et se retira en France, l'asile des Prélats persécutés. Lorsqu'il fut sur le point de s'embarquer, son illustre prédécesseur, saint Thomas Becket, cet admirable archevêque qui lui avait laissé un si bel exemple de la vigueur et du zèle apostoliques, lui apparut et l'exhorta à avoir toujours bon courage, l'assurant que, dans peu de temps, il recevrait la récompense de tous ses travaux. Edmond sortit donc secrètement d'Angleterre et se retira dans la Basse-Bourgogne, à l'abbaye de Pontigny, de l'Ordre de Cîteaux, où il fut reçu avec toute la révérence due à son caractère et à son éminente vertu (1240).

Sainte mort.

Dans sa retraite, Edmond vécut comme un simple religieux, prêchant quelquefois dans les lieux circonvoisins. A la prière des religieux, il composa un livre où il donna de profitables enseigne-ments pour la vie monastique. Au plus fort des chaleurs de l'été, il se sentit fatigué et décida de changer de résidence ; il alla habiter Soisy, près de Provins, au diocèse de Meaux ; mais la maladie

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s'aggrava et le pieux évêque reconnut bientôt que son heure dernière arrivait ; il reçut les derniers sacrements avec une ferveur extraordinaire.

Dès qu'il aperçut la sainte Hostie entre les mains du prêtre, il étendit les bras vers l'objet de son amour, en s'écriant avec une extrême confiance :

« Vous êtes, Seigneur, celui en qui j'ai cru, vous êtes celui que j'ai prêché et annoncé à votre peuple, selon la vérité de votre Evangile. Je vous prends à témoin que je n'ai cherché sur la terre que vous seul et que tout mon désir a été d'accomplir votre sainte volonté ; c'est encore ce que je souhaite maintenant au-dessus de toutes choses ; faites de moi ce qu'il vous plaira. » A ses gestes, à ses regards et au ton de sa voix, on eût dit qu'il voyait réellement Jésus-Christ.

Après avoir reçu la très sainte Eucharistie, Edmond demeura toute la journée dans une grande joie. Enfin, sans donner aucun signe de mort ni jeter aucun soupir, il rendit sa belle âme à Dieu, le 16 novembre 1240. Sept jours plus tard, son corps fut ramené à Pontigny et enterré avec une grande solennité.

Le culte.

La multitude des miracles opérés à son tombeau décida le Pape Innocent IV à inscrire Edmond au catalogue des Saints, six ans après sa mort, le 16 décembre 1246. La translation des reliques fut faite solennellement le 9 juin suivant en présence du roi de France, saint Louis, accompagné de toute sa cour. Le corps du saint évêque fut retrouvé intact et sans corruption ; on le déposa dans une magnifique châsse. Dès lors, les pèlerins accoururent de France et d'Angleterre au tombeau de saint Edmond, que dans la région on appelle plus volontiers saint Edme. Aujourd'hui encore, la magnifique église de Pontigny, qui appartient au diocèse de Sens, conserve ces saintes reliques, échappées comme par miracle aux ravages du temps et aux profanations des impies. Au XIXe siècle, l'abbaye, désaffectée depuis la Révolution, est devenue le berceau et le centre d'un Institut religieux, celui des Oblats du Sacré-Cœur de Jésus, plus connus sous le nom de Pères de Saint-Edme ; le fondateur en fut le vénéré P. Jean-Baptiste Muard, qui établit aussi à La Pierre-qui-Vire un nouveau rameau de l'Ordre bénédictin, lequel fusionna par la suite avec les Bénédictins de la primitive Observance.

On vénère d'importantes reliques de saint Edmond à la cathédrale de Westminster, au collège Saint-Edmond à Ware, à la cathédrale de Portsmouth et à l'abbaye d'Erdington. Le saint archevêque de Cantorbéry avait écrit pour son clergé et ses fidèles de nombreux ouvrages ; les principaux sont le Speculum Ecclesiae ou Miroir de l'Eglise, traité ascétique qui comprend un exposé complet du septenaire, des Constitutions provinciales, des Traités sur le décalogue, les sacrements, les péchés capitaux, enfin un sermon adressé aux moines de Pontigny.

Saint Edmond est le patron particulier du diocèse de Portsmouth.

A.E.A.

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Sources consultées. – A Menology of England and Wales (Londres, 1892). – B. Heurtebize, Saint Edmond, dans Dictionnaire de Théologie de Vacant et Mangenot. – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes (Paris). – Columba Edmonds, Saint Edmond Rich, dans The Catholic Encyclopédia (New-york). – Francus de Paravicini, Life of Saint Edmund of Abingdon, archbishop of Canterbury (Londres, 1898). – (V.S.B.P., n° 197.)

SAINT GRÉGOIRE LE THAUMATURGEEvêque de Néocésarée (210-270)

Fête le 17 novembre.

Théodore, appelé ensuite Grégoire, célèbre par sa science, mais plus encore par le grand nombre de miracles qu'il a opérés, fut surnommé de son vivant thaumaturge, c'est-à-dire faiseur de miracles. Les deux biographies qui nous restent de ce saint évêque, écrites l'une en syriaque par un auteur inconnu, l'autre en grec par saint Grégoire de Nysse, relatent une longue série de faits merveilleux, recueillis aussi, en partie, par saint Basile. Ces deux derniers auteurs, qui étaient frères, s'inspirèrent principalement des récits de leur grand'mère sainte Macrine, qui s'était chargée de leur éducation et qui, dans sa jeunesse, avait connu le thaumaturge et suivi ses enseignements. Sans accepter totalement cette floraison de prodiges qui commence du vivant de Grégoire et s'épanouit dès le lendemain de sa mort, il serait sans doute exagéré de la rejeter en bloc comme légendaire. Quoi qu'il en soit, mieux qu'un document historique, ces faits révèlent une personnalité puissante dont l’influence a été profondément heureuse et la renommée extraordinaire.

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Disciple d'Origène.

Grégoire naquit vers l'an 210 à Néocésarée (aujourd'hui Niksar), dans le Pont Polémoniaque, de parents nobles et riches, mais païens. Il perdit son père à l'âge de quatorze ans, et il nous apprend lui-même qu'à cette époque, un rayon de la grâce illumina son âme et lui fit comprendre la fausseté de la religion païenne. Sa mère lui fit suivre le plan d'études que son père, avant de mourir, avait eu la précaution de tracer. Destiné au barreau, Grégoire apprit la rhétorique, où il acquit les plus légitimes succès, la langue latine et le droit romain, mais son âme avait un tel culte pour la vérité, qu'il ne pouvait se résoudre à louer, même par manière d'exercice oratoire, une chose qui n'eût pas été réellement digne de louange. La Providence allait bientôt conduire cette âme droite à la pleine vérité. Grégoire avait un frère puîné, saint Athénodore, qui fut plus tard évêque dans le Pont et souffrit pour l'amour de Jésus-Christ vers 270, et une sœur, mariée à un jurisconsulte qui était assesseur du gouverneur de Palestine. Cette dernière alla rejoindre son mari à Césarée, alors capitale de la Palestine ; comme elle voyageait aux frais de l'État et qu'elle avait droit d'emmener avec elle un certain nombre de personnes, ses frères l'accompagnèrent pour se rendre à Béryte, aujourd'hui Beyrouth, à la célèbre école de droit romain où ils voulaient compléter leurs études juridiques. Ils arrivèrent à Césarée vers l'an 231, au moment où Origène venait d'ouvrir dans cette ville une école vers laquelle sa réputation attirait une foule d'auditeurs. Grégoire et Athénodore allèrent l'entendre. Captivés par son enseignement et sa grande vertu, ils s'attachèrent au maître éminent qui les tourna vers les études philosophiques, travailla avec un soin particulier à leur inspirer un désir ardent de connaître et de posséder le souverain bien, et les convertit tout à fait au christianisme. Nous possédons encore dans les écrits de saint Grégoire lui-même le magnifique plan d'études que lui fit suivre son illustre maître.

Séjour à Alexandrie.

Cependant, la persécution de Maximin le Thrace, qui inonda de sang le monde romain de 235 à 238, força Origène à s'éloigner de Césarée, et Grégoire, sans doute sur les conseils de son maître, vint à Alexandrie continuer ses études. Quoiqu'il fut simple catéchumène, sa conduite fut si régulière que les autres étudiants la prirent pour une censure tacite de la leur. Dans leur méchanceté, ils suscitèrent contre lui une misérable femme qui fit à Grégoire, occupé à traiter des questions de philosophie avec ses amis, un affront particulièrement outrageant, réclamant de lui une somme d'argent pour d'infâmes complaisances. Les amis de Grégoire, entendant de pareilles paroles, s'apprêtaient à chasser la malheureuse, mais lui, conservant toute la sérénité de son âme : « Donnez-lui, dit-il, ce qu'elle demande, afin que nous puissions continuer notre démonstration. » Devant cette réponse, quelques-uns de ses amis commencèrent à former des soupçons sur son innocence, mais à peine cette femme eut-elle reçu l'argent que le démon s'empara d'elle. Les yeux hagards, la bouche écumante, elle se roule à terre dans d'horribles convulsions ; Grégoire, touché de compassion, invoque le Christ en sa faveur et force le démon à s'enfuir aussitôt. Ce fut le premier miracle de Grégoire.

Panégyrique d'Origène.

Le feu de la persécution ayant cessé en 238 par la mort de l'empereur, Origène put revenir à Césarée et Grégoire s'empressa de le rejoindre et acheva de s'instruire dans les mystères de la religion chrétienne. Après avoir reçu le baptême, il se disposa à retourner dans sa patrie.

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Auparavant, il voulut faire, en présence d'une nombreuse assemblée, ses adieux au maître chéri qui lui avait appris à adorer le vrai Dieu. Le discours qu'il prononça en cette circonstance est regardé avec, raison comme l’un des plus beaux qui nous soient parvenus. Il est, en outre, extrêmement précieux pour l'histoire, car l'auteur y esquisse le récit de ses jeunes années et de sa carrière scolaire jusqu'à son arrivée à Césarée ; celui de ses relations avec Origène ; il y décrit la méthode d'enseignement du grand docteur; il note avec intérêt les principes et les systèmes qui régnaient à cette époque dans les Académies ; puis, avec une profonde émotion, il épanche sa reconnaissance envers Dieu, envers son ange gardien qui le conduisit à Césarée, envers le maître incomparable qui ouvrit son âme aux lumières de la foi et il termine en le suppliant de lui continuer sa bienveillance et l'aide de ses prières.

Évêque de Néocésarée.

Le maître, en effet, ne pouvait pas oublier un tel disciple. Quelque temps après son retour à Néocésarée, entre 238 et 243, Grégoire reçut de lui une lettre dans laquelle ce grand génie se plaît à l'appeler son seigneur très saint et son véritable fils. Il l'exhorte à cultiver surtout la science des Écritures qui doit commander toute vraie science. « Servez-vous, lui dit-il, des talents que vous avez reçus du Seigneur pour la défense de la religion du Christ, et pour cela, ayez surtout soin de joindre la prière à l'étude. » Ce conseil fut fidèlement suivi par Grégoire. La prière fut la grande arme dont il se servit, et c'est par elle qu'il devait opérer tant de miracles et convertir un si grand nombre d'idolâtres. Les compatriotes de Grégoire, jaloux de posséder un homme si distingué, lui offrirent, pour se l'attacher, les premières places de la cité. Mais, touché de la grâce de Dieu, le jeune homme suivit le conseil de l'Évangile, vendit tout ce qu'il possédait, en distribua le prix aux pauvres et se retira dans la solitude.

Phédime, métropolitain de la province du Pont, évêque très pieux et doué de l'esprit de prophétie, résolut d'élever Grégoire à l'épiscopat ; il jugea que ses vertus et ses talents devaient prévaloir sur sa jeunesse. Instruit de ces intentions, Grégoire se mit à errer de solitude en solitude, pour éviter la lourde charge dont sa modestie s'effrayait, mais Phédime persista dans ses projets et ordonna à Grégoire d'accepter l'évêché de Néocésarée, ville grande, riche et peuplée d'habitants si corrompus que la religion chrétienne n'y pouvait facilement pénétrer ; elle comptait une infinité d'idolâtres et seulement dix-sept chrétiens. Grégoire, poussé à bout, et craignant, de résister à l'appel de Dieu, se soumit enfin, mais il pria Phédime de lui accorder quelque temps pour se préparer à recevoir l'onction sainte. Ce temps de retraite expiré, il fut sacré selon les cérémonies usitées alors dans l'Eglise. C'était vers l'an 240.

Apparition de la Très Sainte Vierge et de saint Jean.Le symbole de saint Grégoire. – Pouvoir sur les démons.

C'est peut-être au cours de cette retraite qu'une nuit, tandis que Grégoire se trouvait en prières, la Sainte Vierge et saint Jean lui apparurent et le rassurèrent sur les craintes excessives qu'il avait. Après l'avoir consolé, saint Jean, sur l'ordre de la Sainte Vierge, montra à Grégoire ce qu'il fallait croire sur les mystères de la Très Sainte Trinité et de l'Incarnation. Grégoire s'empressa de noter ce que l'apôtre bien-aimé venait de lui révéler et il en fit la règle de ses instructions. Cet écrit est connu sous le nom de Symbole de saint Grégoire. Il obtint tout de suite une grande autorité, et saint Basile, saint Grégoire de Nysse, saint Grégoire de Nazianze, Rufn et plusieurs autres écrivains ecclésias-tiques l'utilisèrent et le répandirent. L'attachement des fidèles de Néocésarée pour ce symbole empêcha cette Eglise de tomber dans les erreurs des pélagiens. Fortifié par cette vision et délivré de

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ses angoisses, Grégoire se mit en route pour aller prendre possession de son siège. Pendant son voyage, la nuit le surprit, et une pluie violente l'obligea de s'abriter dans un temple d'idoles qui se trouvait sur son chemin. Ce temple était renommé dans toute la contrée pour les réponses que les démons rendaient à ceux qui venaient les consulter. Grégoire purifia l'air par un signe de croix et se mit en devoir de réciter l'office divin ; les démons, épouvantés, s'enfuirent. Le jour étant venu, il continua sa route. Cependant, le prêtre des idoles, s'étant rendu dans le temple, fit les évocations accoutumées, mais les démons répondirent qu'il ne leur était plus permis d'entrer dans le temple, parce que l'homme qui y avait passé la nuit les forçait de s'éloigner.

Le païen, irrité, se mit à la poursuite de Grégoire, et le menaça d'aller porter plainte aux magistrats et à l'empereur. Mais le serviteur de Dieu lui répondit qu'il avait le pouvoir de chasser les démons. Alors le prêtre des idoles, surpris, le pria de montrer si sa puissance était véritable en ordonnant aux démons de rentrer dans le temple. Grégoire y consentit et écrivit sur un morceau de parchemin ces simples mots : « Grégoire à Satan : Rentre. » Le prêtre prit le parchemin, alla le placer sur l'autel, et, aussitôt, les démons rentrèrent et rendirent leurs réponses. Alors, rempli d'admiration, il vint trouver Grégoire, le priant de lui faire connaître ce Dieu à qui les démons eux-mêmes obéissent. Grégoire se mit alors à lui expliquer les vérités de la religion chrétienne, mais le païen refusait de croire le mystère de l'Incarnation. Grégoire lui répondit qu'on ne pouvait point prouver ce mystère par des paroles, mais seulement par des miracles. Le prêtre, montrant une énorme pierre, dit à Grégoire de la transporter par la seule puissance de la foi dans un lieu qu'il désignait.

Grégoire, sans différer, donna l'ordre, et la pierre obéit. Ce miracle acheva la conversion du païen, qui abandonna sa famille, son pays et le culte des idoles, pour s’attacher à Grégoire et devenir le compagnon de ses travaux.

Nombreuses conversions. – Quelques faits merveilleux.

Précédé par le bruit de ces prodiges, l’évêque fut accueilli avec acclamation quand il arriva à Néocésarée. Brûlant de zèle et de charité, il mit tout en œuvre pour remplir dignement le ministère qui lui avait été confié, et bientôt un extraordinaire pouvoir d’opérer des miracles allait assurer le succès de son apostolat. Dès le premier jour, il commença à prêcher la parole de Dieu et convertit assez d’idolâtres pour former un groupe important de chrétiens fervents. Le lendemain, il guérit un grand nombre de malades, et, en peu de temps, les conversions furent si nombreuses, qu’il fut obligé de faire bâtir une église. Tous tinrent à cœur de contribuer, soit par leurs aumônes, soit par leur travail, à la construction de l’édifice. Les historiens rapportent que l’emplacement destiné à cette construction, resserré entre la rivière et une montagne, se trouvait insuffisant, Grégoire passa la nuit en prières, et le lendemain on constata que la montagne s’était reculée, laissant toute la place désirable.

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Le prêtre, montrant une énorme pierre, dit à saint Grégoire de la transporter par la seule puissance de la foi dans un lieu qu'il désignait.

Saint Grégoire donna l'ordre et la pierre obéit.

L'observation des lois, la paix et la tranquillité devinrent les fruits des nombreuses conversions opérées par le saint évêque. Deux frères, ayant reçu en héritage un champ dans lequel se trouvait un étang, chacun d'eux voulait avoir la propriété complète de cet étang. Grégoire tenta inutilement divers moyens de conciliation. Leur haine devint telle qu'ils résolurent de trancher le différend par un combat singulier ; alors Grégoire, voulant prévenir l'effusion du sang, se mit en prières et le lac se dessécha.

Le Lycus, aujourd'hui le Casalmac, qui prend sa source dans les montagnes de l'Arménie, passait devant les murailles de Néocésarée. Pendant l'hiver, il débordait quelquefois avec tant d'impétuosité, qu'il emportait les moissons, les troupeaux, renversait les maisons et réduisait les habitants à la plus complète misère. Grégoire, ému de compassion pour son peuple, se rendit près du fleuve sur les bords duquel il planta son bâton, et ordonna aux eaux, de la part de Dieu, de ne jamais plus dépasser cette borne. Saint Grégoire de Nysse rapporte que, depuis lors, jusqu'au moment où il écrivait, il n'y avait pas eu de débordement. Le bâton lui-même prit racine et devint un grand arbre.

Nouvelle persécution. – La grande peste.

Quand la persécution de Dèce s'abattit sur Néocésarée, vers 250 ou 251, Grégoire ne craignit pas de conseiller à ses fidèles de fuir pour sauver tout ensemble leur foi et leur vie, et lui-même se retira dans les montagnes voisines de Néocésarée pour se dérober aux recherches des magistrats.

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Cette conduite était sage, car si les conversions avaient été nombreuses pendant quelques années de paix, elles manquaient de solidité et les gouverneurs avaient ordre d'éviter de faire des martyrs et d'employer tous les moyens pour multiplier les apostats.

Cependant, plusieurs habitants, qui n'avaient pu s'échapper, souffrirent courageusement le martyre, et Grégoire eut le bonheur de voir son troupeau demeurer ferme dans la foi. D'autres épreuves attendaient les Néocésaréens ; pendant l'été de l'an 252, se déclara une peste terrible. Elle sévit pendant près de douze ans, désola l'empire romain et gagna la province du Pont, faisant un nombre immense de victimes. La charité des chrétiens, en cette circonstance, n'eut d'égale que la lâcheté des païens. Enfin, le saint évêque obtint par ses ferventes prières la cessation du fléau à Néocésarée. Beaucoup d'idolâtres se convertirent en voyant la puissance du serviteur de Dieu sur l'effrayante maladie.

L'épître canonique.

Puis, ce furent les invasions des Goths qui, vers 253-254, ravagèrent le Pont et l'Asie Mineure. Durant ces temps de confusion, il se trouva des chrétiens qui ayant été pillés par les Barbares, pil-laient les autres à leur tour ou achetaient aux infidèles leur injuste butin. Quand les reproches de leur conscience ramenèrent ces chrétiens au tribunal de la Pénitence, bien des prêtres furent embar-rassés sur l'espèce d'expiation qu'ils devaient imposer à ceux qui avaient ainsi transgressé la morale et la discipline chrétiennes.

Un évêque anonyme du Pont demanda à Grégoire la conduite à tenir envers les fidèles qui venaient avouer des actes de ce genre. L'évêque de Néocésarée lui répondit par sa remarquable Epître canonique, écrite vers la fin de 254. C'est un des monuments les plus anciens de la casuistique ; elle fait connaître l'organisation intérieure de l'institution de la Pénitence ; elle donne clairement la règle à suivre sur la manière de punir les pénitents et de satisfaire la justice ; enfin, elle témoigne du tact et de l'indulgence de Grégoire dans le gouvernement des âmes. Saint Augustin devait faire siennes plus tard ces maximes de justice et de charité.

Vertus de saint Grégoire.

D'après saint Basile, Grégoire était un homme doué de l'esprit des apôtres et des prophètes. Toute sa conduite portait l'empreinte de la perfection évangélique. Dans ses exercices de piété, il montrait, le plus grand respect et le plus profond recueillement. Jamais il ne priait que la tête découverte ; il parlait avec simplicité et modestie et avait en horreur le mensonge, l'habileté et tous les détours qui ne s'accordent point avec l'exacte vérité. Il ne connaissait ni l'envie ni l'orgueil, ne pouvait supporter tout ce qui paraissait blesser la charité ou porter atteinte à la réputation du prochain. Enfin, toujours maître de lui-même, il savait résister aux mouvements de la colère et ne laissait même pas échapper une parole qui annonça de l'amertume.

Il fut un de ceux qui contribuèrent à l'élection de l'évêque de Comane ; tandis que l'on discutait les mérites de plusieurs candidats, Grégoire connut par révélation la rare sagesse, la science, et l'éminente sainteté d'un solitaire qui se cachait sous le déguisement d'un charbonnier. II le fit amener et le fit acclamer comme évêque ; ce fut saint Alexandre le Charbonnier. Grégoire et son frère Athénodore assistèrent, en 264-265, au Concile d'Antioche où furent examinées les erreurs et la conduite de Paul de Samosate, et ils furent les premiers à souscrire aux décisions de cette assemblée.

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La mort.

On ne sait pas exactement en quelle année Grégoire mourut. L'opinion la plus probable est que ce fut vers l'an 270, le 17 novembre, jour choisi par l'Eglise pour célébrer sa fête. Sentant qu'il allait mourir, il s'informa du nombre d'infidèles qui se trouvaient dans la ville : on n'en compta que dix-sept, il leva alors les yeux au ciel en soupirant ; il versa des larmes en pensant que la vraie religion n'était pas pratiquée par tous ceux qui avaient été confiés à ses soins. Mais, en même temps, il remerciait le Seigneur de ce que, n'ayant trouvé que dix-sept chrétiens à son arrivée, il ne laissait à sa mort que dix-sept idolâtres.

Il pria Dieu pour la conversion des uns et pour la persévérance des autres. Il fit promettre alors à ses amis de ne point lui acheter un lieu particulier pour enterrer son corps, mais de le placer dans la sépulture commune. « Ayant toujours vécu comme un étranger sur la terre, disait-il, je ne voudrais pas perdre ce titre après ma mort. Aucun lieu ne doit porter le nom de Grégoire. La seule possession dont je sois jaloux est celle qui ne me fera soupçonner d'aucun attachement à la terre. »

Les œuvres.

Absorbé par ses occupations pastorales, saint Grégoire n'a écrit que quelques ouvrages et seulement avec un but pratique, celui de remplir les devoirs de sa charge. Mais sa réputation de science et de sainteté lui en a fait attribuer quelques autres par des copistes peu éclairés, et surtout par des hérétiques audacieux, des apollinaristes principalement, qui usurpèrent son nom révéré pour accréditer et répandre leurs erreurs. On ne connaît guère que six ouvrages authentiques de saint Grégoire ; outre le Panégyrique d'Origène, le Symbole et l'Épître canonique, dont nous avons parlé, on possède encore la Paraphrase de l'Ecclésiaste, que saint Jérôme vante comme très utile ; l'Écrit à Théopompe sur l'impassibilité et la passibilité de Dieu, dialogue philosophique contre cette erreur païenne que l'impassibilité de Dieu implique nécessairement l'indifférence touchant le sort des hommes. Le Dialogue avec Elien, qui traitait surtout de théodicée chrétienne, se proposait de convertir un païen de ce nom, mais cette œuvre est perdue, ainsi que quelques lettres.

Parmi les écrits que l'on ne peut lui attribuer que sous réserve, il y a le Court traité de l'âme, une homélie où le dogme de la virginité perpétuelle de Marie est nettement exprimé, et une autre sur la Mère de Dieu, enfin un grand nombre de fragments. L'ensemble de ces œuvres lui a valu le titre de Père de l'Eglise.

Sa fête, simple sous saint Pie V, a été élevée au rite semi-double par Clément VIII.

A. Bousquet.

Sources consultées. – Abbé Gosescard, Vie des Pères, martyrs set autres principaux saints, t. VIII (Paris, 1834). – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes (Paris). – P. Godet, Saint Grégoire de Néocésarée ou le Thaumaturge, dans Dictionnaire de Théologie catholique de Vacant et Mangenot. – Saint Grégoire de Nysse, Vie de saint Grégoire le Thaumaturge (Bibliothèque des Pères de l’Eglise, t. VIII). – O. Bardenhever, Les Pères de l’Eglise, t. I (Paris, 1898). – (V.S.B.P., n° 78.)

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SAINT ODONMoine Bénédictin de Baume et Abbé de Cluny (819-942).

Fête le 18 novembre.

En 910, saint Bernon, Abbé de Baume-les-Messieurs (Jura), fondait l'abbaye de Cluny (Saône-et-Loire) avec le concours de Guillaume d'Aquitaine. Il mourut avant d'en voir les développements. La gloire de fonder un Ordre nouveau – nous dirions aujourd'hui une branche de l'Ordre bénédictin ayant Cluny comme maison mère – revient tout entière à son successeur et disciple, saint Odon. La chose est d'importance, car l'influence de Cluny fut considérable durant tout le moyen âge et n'eut d'égale que celle de Cîteaux.

Naissance de saint Odon. – Sa consécration à saint Martin.

Le futur Abbé de Cluny naquit le 25 décembre 879. Il était originaire du Maine. Le chevalier Abbon, son père, habitait un manoir situé près de Château-du-Loir (Sarthe). Il était de noble famille, et Jean de Salerne, son biographe, ajoute même qu'il appartenait à la race royale des Francs. Odon vint au monde dans des circonstances qui tenaient du miracle. Les prières réitérées d'Abbon et de sa pieuse épouse avaient fait violence au ciel, et Dieu leur accordait un fils, alors qu'ils n'y comptaient plus guère, étant tous deux avancés en âge. Et c'est pourquoi, dans un élan de reconnaissance, le vieux chevalier avait offert au Seigneur, par l'entremise de saint Martin, « perle des prélats », cet enfant dont la naissance coïncidait exactement avec l'anniversaire de l'apparition du Rédempteur en

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ce monde. Après avoir été quelques années sous la direction d'un vieux prêtre ami de la famille et destiné à lui donner quelque teinture des belles-lettres, Odon passa au service du vaillant Foulques le Bon, comte d'Anjou. Quand il eut atteint l'âge de treize ans, on le jugea bon pour embrasser la carrière des armes, et son père conduisit alors le jeune homme à la cour de Guillaume, Duc d'Aquitaine.

Maladie et guérison de saint Odon. Chanoine de Saint-Martin de Tours.

L'enfant demeura pieux au milieu des camps. Et même il lui arriva souvent de passer les nuits en prière, la veille des grandes fêtes. Une nuit de Noël, en particulier, il adressait à la Sainte Vierge cette touchante prière : « O ma Souveraine et Mère de miséricorde, c'est en cette nuit que vous avez donné au monde un Sauveur ; intercédez pour moi. Très pieuse Vierge, je me réfugie auprès de votre Fils glorieux, prêtez une oreille attentive à mes prières. Je tremble, ô Mère, de voir ma conduite déplaire à votre Fils, mais puisque c'est par vous, ma Souveraine, qu'il s'est manifesté à l'univers, oh ! je vous en conjure, qu'au nom de votre amour, il ait pitié de moi. »

Dieu sembla profiter de ces dispositions pour mettre à l'épreuve le vertueux jeune homme. A l'Évangile de la messe de minuit, Odon se sentit défaillir. Saisi d'un violent mal de tête, il dut se retirer.

« Cette douleur me tourmentait si violemment, raconte-t-il, qu'on désespéra plusieurs fois de me sauver. J'avais alors seize ans, et pendant les trois années qui suivirent, ce mal me tortura sans relâche. On m'avait ramené dans ma famille, et pendant deux ans, mes parents essayèrent toute espèce de remèdes pour me sauver. Mais tout était inutile, et l'on désespérait finalement de me voir revenir à la santé. C'est alors que mon père, accablé de tristesse, me raconta les circonstances qui avaient accompagné ma naissance, et le vœu qu'il avait fait de me consacrer à saint Martin, ajoutant que c'était saint Martin, sans doute, qui me redemandait. »

A cette révélation inattendue, Odon s'empressa de renouveler l'offrande de son père, « promettant de se faire couper les cheveux – c'est-à-dire de renoncer au monde – d'entrer au service du Seigneur et de lui rester fidèlement attaché ». Aussitôt ses souffrances cessèrent. Il entra donc à Saint-Martin de Tours. Il avait dix-neuf ans.

Bientôt, épris de la vie contemplative, il se retira à l'écart, se contentant de venir à la collégiale de Saint-Martin prendre part aux offices liturgiques. Il habitait à une lieue de la ville un ermitage que lui avait fait construire Foulques le Bon. C'est dans cette solitude qu'il puisa cet amour pour la croix du Christ, qui devait un jour le conduire à Baume. En attendant, il partageait son temps entre la prière et l'étude, plus absorbé cependant par la lecture des poètes de l'antiquité que par les textes de l'Écriture Sainte.

Dieu l'en reprit, un peu comme il le fit à l'égard de Guibert de Nogent, et cela au moyen de visions. Un jour, Odon vit en songe un vase antique, d'une beauté admirable, mais rempli d'une multitude de serpents qui s'en échappaient et cherchaient à l'enlacer, sans cependant lui faire aucun mal. Odon comprit le sens de l'allégorie et, bientôt, renonçant à ces lectures inutiles, il se livra à l'étude des Saints Pères avec une ardeur plus grande encore. Ce beau zèle parut indiscret aux chanoines de Saint-Martin, qui engagèrent fortement le jeune clerc à laisser de côté ces nouvelles études pour s'occuper davantage de l'office divin. Odon ne répondit rien. Dans le silence de sa cellule, il méditait la Règle du bienheureux Père saint Benoît, laquelle venait de lui tomber entre les mains. Dorénavant, il rechercha de plus en plus les affronts, les humiliations ; il mortifiait son corps, couchant habillé et portant ainsi, ajoute Jean de Salerne, le joug de la Règle sans l'avoir professée.

Malgré tout, le désir d'acquérir du savoir préoccupait Odon. Nous le voyons ainsi suivre, en

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901, à Paris, les cours du célèbre Remi d'Auxerre. A cette école, il étudia la dialectique de saint Augustin, la philosophie, la musique et le Traité des arts libéraux de Marcien.

Sa charité.

C'est pendant son séjour à Paris que Dieu lui montra combien la vertu de charité lui était agréable. Ayant trouvé un pauvre sous le portail d'une église, Odon lui fit la charité. En rentrant chez lui le jeune clerc découvrit dans son lit une livre d'or.

« Les pauvres, les aveugles et les estropiés, avait-il coutume de dire, nous ouvriront les portes du ciel ; gardons-nous bien de leur fermer notre porte sur la terre. » Plus tard, un serviteur de Cluny les repoussant durement, Odon le réprimandera avec sévérité, puis, s'adressant au pauvre : « Quand il viendra à la porte du paradis, rendez-lui la pareille. »

De même, il descendait de cheval pour y faire monter les malades et les vieillards. Rencontrant à Sienne, une pauvre femme qui portait un sac pesant, il se chargera de ce fardeau, ne le quittant qu'à la demeure de l'indigente. Odon revint à Tours, chargé d'un grand bagage scientifique. Sa réputation de musicien lui fit confier la charge de grand chantre. Connaissant sa longue pratique des ouvrages des Pères, les chanoines de Saint-Martin le supplièrent de leur composer un abrégé des Morales de saint Grégoire le Grand. Après de longues hésitations que fit cesser une apparition du grand pontife, Odon se mit résolument à l'œuvre et s'acquitta de cette tâche difficile, à la grande satisfaction de tous. C'est également dans sa retraite qu'il composa la Vie de saint Grégoire de Tours.

Recherche de la perfection. – Son esprit d'obéissance.

Depuis quelque temps, un seigneur de la cour d'Anjou, nommé Adegrin, était venu partager sa vie de solitude et de pénitence. A son contact, Odon sentit se réveiller en lui, avec une force inconnue, ses désirs de vie parfaite : ils chercheraient tous deux un monastère où les pratiques de la vie religieuse fussent parfaitement observées. Adegrin se mit en route, projetant d'aller en Italie. Mais, voici que passant par la Bourgogne, il eut l'occasion de s'arrêter à l'abbaye bénédictine de Baume. Dans l'admiration de ce qu'il voyait et entendait, ce saint homme n'hésita plus, et, peu après, il revenait dans ce monastère, en compagnie d'Odon, facilement déterminé, et qui emportait avec lui les cent manuscrits (ce qui était considérable pour l'époque) composant sa bibliothèque. On n'épargna point les nouveaux postulants. De mauvais Frères tentèrent de les détourner de la voie dans laquelle ils venaient d'entrer, en leur présentant Bernon, l'Abbé, comme un homme intraitable, avec qui tout espoir de faire son salut était vain et impossible. Les nouveaux venus ne furent point dupes de ces paroles. Adegrin monta si haut en perfection, qu'il fallut peu après son entrée lui accorder de se retirer dans une profonde solitude, afin qu'il put donner libre carrière à ses élans de vie contemplative. Quant à Odon, ébranlé un instant par ces discours trompeurs, il se ressaisit bientôt. C'était un modèle. Emerveillé, Bernon lui confia, quelque temps après sa profession, le soin de l'école établie dans le monastère. Il arriva qu'un jour, Odon fut accusé par de méchants esprits, d'avoir manqué aux règlements en accompagnant, de nuit, un enfant sans lumière. Le saint religieux ne répliqua rien aux remontrances que lui adressait son Abbé pour cette faute. Mais, au sortir du Chapitre, il se jeta aux genoux de son accusateur, lui demandant pardon du scandale causé et le remerciant pour le bien fait ainsi à son âme.

Bernon se réjouit de ces belles dispositions ; il voyait en ce saint jeune homme une droiture de cœur et une grandeur dans l'humilité qui lui faisaient augurer beaucoup pour l'avenir. Et Jean de Salerne insiste surtout sur cette dernière vertu, comme pour nous bien montrer que ce qui était la

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caractéristique du maître se retrouvait à un égal degré dans l'âme du disciple. Dieu se plut à manifester par un autre miracle combien cette exactitude de son serviteur lui était agréable. La coutume du monastère voulait que, par esprit de pauvreté, les religieux, avant la fin du repas, recueillissent, pour les manger, les miettes de pain qui se trouvaient sur la table ; mais, une fois la lecture achevée, ils ne pouvaient ni les manger, ni les laisser perdre.

Or, un jour, il arriva qu'Odon, ayant déjà ces miettes dans la main, se disposait à les porter à la bouche, quand l'Abbé donna le signal de cesser la lecture. Voilà le moine bien embarrassé. L'obéissance ne lui permet ni de manger ces miettes de pain, ni de les laisser sur la table. Il les conserve dans sa main, mais après la prière, il se prosterne devant l'Abbé pour lui demander pardon de cette transgression de la règle. Celui-ci, ne comprenant pas bien de quoi il s’agit, lui ordonne d’ouvrir la main. Odon obéit ; mais ô merveille ! les miettes de pain s’étaient changées en des perles précieuses, qui servirent depuis à orner les vases sacrés. Bon religieux, Odon était également bon fils. Il priait Dieu pour la sanctification de ses parents. Ayant obtenu d’aller les visiter, il leur persuada de se donner entièrement à Jésus-Christ. Malgré leur âge avancé, ils renoncèrent au monde et entrèrent tous deux dans des monastères.

Son gouvernement.

Après sa profession, Odon fut ordonné prêtre à une date inconnue, par Turpion, évêque de Limoges. C'est à cette occasion qu'il composa pour ce prélat le magnifique traité des Collations. En 926 le choix de Bernon se porta sur ce disciple bien-aimé pour lui succéder à Cluny. Il lui confia, en outre, les monastères de Massay, près de Vierzon, et de Déols, près de Châteauroux. Un détail nous paraît intéressant à noter dans cette nouvelle phase de la vie d'Odon : l'établissement, dans le monastère de Cluny, d'une école imitée de celle de Baume. Et Uldaric, l'auteur du Coutumier clunisien, rapporte que « les fils de rois, dans le palais de leurs pères, ne sauraient être élevés avec plus de soin que les enfants à Cluny ». Nous connaissons très peu de choses sur le gouvernement d'Odon, malgré l'abondance des chartes renfermées au cartulaire entre 927 et 942, et qui peuvent nous donner une idée des relations du grand Abbé, ainsi que de l'influence considérable qu'il a dû exercer autour de lui.

D'après la Chronique manuscrite de Saint-Étienne de Besançon, écrite au XIIIe siècle, il aurait été béni Abbé de Cluny par Béranger, archevêque de Besançon, qui, en 910 ou 911, aurait fait de même pour le bienheureux Bernon : ce qui n'est pas étonnant, puisque pendant plus de deux siècles, l'on voit les métropolitains de Besançon bénir les nouveaux Abbés de Cluny. Comme son prédécesseur, Odon réforma, et non sans peine très souvent, un grand nombre de monastères. Il y avait été formellement autorisé par une Bulle du Pape Jean XI, en date de mars 931. Nous nous contenterons d'énumérer ces monastères sans entrer en discussion pour savoir si oui ou non l'on doit ranger ces maisons religieuses sous son gouvernement, ou simplement sous sa direction spirituelle : Saint-Austremoine de Clermont, Saint-Benoît-sur-Loire, Charlieu, Saint-Gérard d'Aurillac, Saint-Julien de Tours, Saint-Pierre de Tulle, Saint-Pierre-le-Vif de Sens, Saint-Martial de Limoges, Saint-Pons de Thomières, Romain-Moutier, Saint-Sauveur de Sarlat, etc. C'est par le silence et le recueillement qu'Odon avait introduit la réforme dans ses communautés.

Il savait que là où règne le silence, là aussi règnent la charité et la paix. C'est pourquoi les moines de Cluny l'observaient rigoureusement aux heures marquées par la règle, même lorsqu'ils étaient hors du monastère. Un religieux se trouvait une nuit à la campagne, et il s'était mis en prière, tandis que son cheval paissait librement. Survint un voleur qui s'empara de l'animal. C'était l'heure du « grand silence », et le religieux aima mieux n'y pas manquer que d'appeler au secours. Le lendemain matin, on trouva le voleur immobile sur le cheval, à l'endroit même où il s'en était emparé. On le conduisit à Odon celui-ci lui fit donner cinq sous d'argent, en disant avec humour qu'il était juste de récompenser celui qui s'était donné tant de peine toute la nuit. Une autre fois,

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deux moines de Cluny furent pris par les Normands et emmenés par eux en captivité. Ils se nommaient Archimbaud et Adalise. Les Normands les accablèrent de coups et de mauvais traitements ; mais jamais ces barbares ne purent les obliger à proférer une seule parole, avant que le temps du silence prescrit par la règle ne fût passé. Peut-être était-ce pousser trop loin l'observation de la règle. Du moins, ces exemples de régularité nous montrent jusqu'à quel point la discipline était en vigueur à Cluny, sous le gouvernement d'Odon.

Le crucifix de saint Odon.

Au milieu de l'église du monastère se trouvait un Crucifix d'une pierre aussi dure que le marbre. La croix en était en bois, et, au-dessus de la tête du Christ, disent les Chroniques de Saint Martin d'Autun, une main, sortant du nuage, tenait suspendue une couronne de pierreries ». Odon aimait à venir se prosterner devant cette image du Sauveur mourant pour y méditer sur la Passion. Or, un jour qu'il priait avec ferveur, dans un saint ravissement, les mains étendues et les yeux tournés vers le ciel, on le vit s'élever au-dessus du sol à la hauteur de trois coudées ; son visage rayonnait d'une joie surhumaine. Les religieux qui étaient venus s'édifier au spectacle de sa prière purent le contempler ainsi immobile, durant l'espace d'une heure. Puis, l'image du Christ s'inclina vers lui. « On a remarqué, disent les mêmes documents, que, depuis ce temps, la posture du Christ est celle d'un corps animé, quoique le divin Sauveur soit représenté ayant le côté ouvert. » Ce Crucifix précieux fut longtemps vénéré dans la cathédrale Saint-Martin d'Autun où il opérait de nombreux miracles. Mutilé par les calvinistes, il se brisa, durant les mauvais jours de la Révolution, quand des forcenés voulurent l'enlever de son autel. On peut encore le vénérer dans l'église Saint-Symphorien, à Autun. La même église en possède une reproduction sur toile.

Ses voyages. – Sa mort.

Appelé par les princes qui lui confiaient la réforme des monastères situés sur leurs domaines, et par le Saint-Siège, déjà en lutte avec le pouvoir temporel, Odon passa en somme très peu de temps à Cluny. Au dire de l'Histoire littéraire de France, le saint Abbé serait allé à Rome jusqu'à quatre fois. Certainement il y fut, en 936, appelé par Léon VII comme arbitre entre Albéric ou Aubry, maître de Rome et fils de la fameuse Marosie, et Hugues, roi d'Italie. Le même motif l'y ramène en 939, puis dans l'été de 942. C'est dans ce dernier voyage qu'il est atteint par la malaria. Désireux de mourir près du tombeau de saint Martin, il s'arrache aux embrassements des religieux de Saint-Paul de Rome.

Malgré la douleur, il garde encore sa sérénité et cet aspect de douceur qui attiraient près de lui les petits pâtres des montagnes, quand il les faisait vocaliser pour l'amour de Dieu et les récompensait par d'abondantes aumônes ; il n'a pas épuisé sa charité, dont les habitants de Sienne savent bien quelque chose, au témoignage du moine Jean, et il trouve encore les mots qui consolent et vont au cœur. Maintenant, le voilà à Saint-Julien de Tours, là où il a composé sa Vie de saint Martin et les douze célèbres antiennes en l'honneur de ce thaumaturge ; maintenant, suivant sa belle expression, le saint Abbé peut « sortir du siècle ». Son ami Théotolon, archevêque de Tours, vient de lui porter le saint Viatique. Et c'est au milieu des pleurs de ses religieux que le grand Abbé de Cluny rend son âme au Seigneur, le dernier jour de l'octave de saint Martin, 18 novembre 942.

Culte de saint Odon.

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La dépouille mortelle d'Odon fut déposée par l'archevêque Théotolon dans la crypte du monastère de Saint-Julien de Tours. Dès lors, les pèlerinages se multiplièrent à son tombeau. En 1117, particulièrement, l'abbé Pons de Cluny vint dans le courant d'octobre, ainsi qu'en témoigne la Chronique de ce monastère, et, en présence de sa suite et des moines du lieu, il célébra, en la vigile de saint Denis, la messe du « bienheureux Odon ». A la suite de cette cérémonie, il se rendit au Chapitre, accompagné de Bernard Crassus, grand-prieur, et de ses moines. En 1457, Jean Bernardi, archevêque de Tours, à la demande de Robert, Abbé de Saint-Julien, fit l'invention du précieux corps, et plaça les reliques dans quatre sachets que l'on renferma dans une nouvelle châsse, en présence de Marie, reine de France, femme de Charles VII et de la princesse Madeleine, sa fille.

On suppose que ces reliques disparurent au XVIIe siècle, lors de la tourmente protestante, et Mabillon se fait l'écho de cette opinion, tout en ajoutant qu'on les vénère à L'Isle-Jourdain, au diocèse d'Auch, où elles sont encore conservées de nos jours.

J.V.

Sources consultées. – Bibliotheca cluniacensis. – Mabillon, Annales benedictini, t. II, et Acta Sanctorum Ordinis sancti benedicti, saec. V. – Pignot, Histoire de Cluny. – Dom Piolin, Histoire de l’Eglise du Mans, t. III. – Jean de Valois, Vie de saint Odon, dans A. Pinoux, Vie des Saints de Franche-Comté, t. II (Lons-le-Saunier, 1908). – Dom Du Bourg, Saint Odon (Collection Les Saints, Paris, 1905). – (V.S.B.P., n° 719.)

……………

PAROLES DES SAINTS__________

Les deux amours.

Il y a deux amours : l'amour du monde et l'amour de Dieu ; si l'amour du monde habite en toi, il n'y a point de place pour l'amour de Dieu ; que l'amour du monde se retire donc, remplacé par celui de Dieu ; que le meilleur trouve place. Tu aimais le monde, cesse de l'aimer. Lorsque tu auras épuisé ton cœur par l'amour terrestre, tu puiseras l'amour divin, et alors commencera à habiter en toi la charité, de laquelle rien de mauvais ne peut sortir.

Saint Augustin.

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Duchesse de Thuringe, veuve (1207-1231)

Fête le 19 novembre.

Riches ou pauvres, vierges du cloître ou chrétiennes vivant dans le monde, chacun peut trouver des leçons dans la vie de sainte Élisabeth de Hongrie. Fille de rois, elle fut au comble des joies de la terre et en connut les extrêmes misères ; elle ne vécut que vingt-quatre ans, mais ce peu de temps lui suffit pour qu'elle se montrât le modèle accompli des enfants et des fiancées, des épouses et des mères, des veuves et des religieuses, prompte à se sacrifier dans l'adversité comme dans la prospérité.

Un don du ciel.

Son père était André II, rai de Hongrie, et sa mère, Gertrude de Méranie, qui devait mourir assassinée en 1213. Elle vint au monde en 1207, le 7 juillet croit-on, à Presbourg ; son baptême fut célébré avec une grande magnificence. Élisabeth n'avait encore que trois ans, et déjà elle donnait des marques d'une sainteté précoce. Son cœur, en même temps que son esprit, s'ouvrait à tous les sentiments de la foi et à tous les préceptes de la charité. Les pauvres étaient ses meilleurs amis, et on se plaisait à remarquer que, depuis la naissance de cette enfant bénie, les guerres avaient cessé en Hongrie, les dissensions intérieures s'étaient apaisées, les excès et les blasphèmes étaient moins fréquents.

Dieu, jaloux de la gloire de ses élus, entoura le berceau de l'humble Élisabeth d'une auréole de poésie et de gloire populaire. Le landgrave Hermann, duc de Thuringe, prince de Hesse et de Saxe et comte palatin, favorisait de tout son pouvoir les savants et les poètes ; or, l'un d'eux, le célèbre Klingsor, connu dans toute la Germanie, inspiré sans doute, avait dit un jour aux seigneurs de Hesse et de Thuringe :

« Je vous apprendrai quelque chose de nouveau et de joyeux aussi ; je vois une belle étoile qui se lève en Hongrie et qui rayonne de là à Marbourg, et de Marbourg dans le monde entier. Sachez que, cette nuit même, il est né à Monseigneur le roi de Hongrie une fille qui sera donnée en mariage au fils du prince d'ici, qui sera sainte, et dont la sainteté réjouira et consolera toute la chrétienté. »

Les assistants entendirent cette parole avec une grande joie et allèrent la répéter au duc. Celui-ci, ayant su qu'en effet le roi de Hongrie avait eu une fille, s'enquit plus tard des dispositions de cette enfant, et apprit avec bonheur tout ce qu'on disait de sa sainteté.

Fiançailles précoces.

C'en fut assez pour décider Hermann à demander la main de l'enfant au nom de son fils Louis,

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le futur Louis IV, suivant l'usage de l'époque qui permettait de conclure des alliances très précoces entre les familles souveraines. Le duc envoya donc des ambassadeurs au roi de Hongrie, et celui-ci ayant favorablement accueilli leur demande, Elisabeth, âgée seulement de quatre ans, leur fut amenée enveloppée d'une robe de soie brodée d'or et d'argent. On la coucha dans un petit lit d'argent massif, et les ambassadeurs l'emmenèrent, au milieu des larmes des parents et du peuple qui la chérissait. Les fiançailles furent célébrées aussitôt après l'arrivée des ambassadeurs. Il y eut des banquets et des fêtes somptueuses données au peuple, et dès lors, Louis, alors âgé de onze ans, et Élisabeth, élevés ensemble, partagèrent les mêmes jeux et ne firent plus qu'un cœur et qu'une âme.

Chaque fois qu'elle le pouvait, l'enfant entrait dans la chapelle du château, faisait ouvrir un grand psautier, bien qu'elle ne sut pas lire, puis, joignant les mains et levant les yeux, elle se livrait avec un recueillement merveilleux à la méditation et à la prière. Souvent elle conduisait ses amies au cimetière et leur disait : « Souvenez-vous que nous ne serons un jour rien que de la poussière. Ces gens ont été vivants comme nous le sommes, et sont maintenant morts comme nous le serons ; c'est pourquoi il faut aimer Dieu. Mettons-nous à genoux, et dites avec moi : « Seigneur, par votre mort cruelle et par votre chère Mère Marie, délivrez ces pauvres âmes de leur peine ; Seigneur, par vos cinq plaies sacrées, faites-nous sauves. » Sa charité était sans bornes. Elle donnait tout ce qu'elle avait, et elle allait sans cesse dans les offices et les cuisines du château pour y ramasser des restes qu'elle portait avec soin aux pauvres, au vif mécontentement des officiers de la maison ducale.

Humilité et humiliations.

Élisabeth avait à peine atteint sa neuvième année quand elle perdit son beau-père (1216), le landgrave Hermann, qui avait toujours été un père pour elle. Louis, son fiancé, était trop jeune encore pour gouverner par lui-même. Il était sous la surveillance de sa mère, la duchesse Sophie, qui voyait avec déplaisir l’extrême dévotion d’Elisabeth et lui en faisait d’amers reproches. Un jour de l’Assomption, la duchesse Sophie emmena avec elle sa fille Agnès et Elisabeth, leur disant :

- Descendons à la ville, allons à l’église de notre chère Dame. Mettez vos plus beaux habits et vos couronnes d’or.

Les jeunes princesses obéirent ; elles allèrent à l’église et se prosternèrent devant un grand crucifix. A la vue du Sauveur mourant, Elisabeth déposa sa couronne et se prosterna le visage contre terre.

- Qu'avez-vous donc ? lui dit brusquement la duchesse. Qu'allez vous faire de nouveau, Mademoiselle Elisabeth ? Les demoiselles doivent se tenir droites, et non se jeter par terre comme des folles ou comme de vieilles nonnes qui se laissent tomber à la façon de mules fatiguées. Ne pouvez-vous pas faire comme nous, au lieu de vous comporter comme les enfants mal élevés ? Est-ce que votre couronne est trop lourde ? A quoi sert de rester ainsi ployée en deux comme un paysan ? Elisabeth se releva humblement :

- Chère dame, ne m'en voulez pas. Voici devant mes yeux mon Dieu et mon Roi, ce doux et miséricordieux Jésus, qui est couronné d'épines aiguës, et moi qui ne suis qu'une vile créature, je resterais devant lui couronnée de perles, d'or et de pierreries ! Ma couronne serait une dérision de la sienne !

Et aussitôt elle se mit à pleurer amèrement, car l'amour du Christ avait déjà blessé son cœur. Non contents de l'injurier en public et en particulier, les officiers de la cour cherchèrent à détourner le jeune Louis de l'amour qu'il avait voué à Elisabeth. Ils disaient tout haut qu'une pareille béguine n'était pas faite pour leur prince, et qu'il fallait la renvoyer à son père. Mais Louis fut aussi sourd à leurs discours qu'il l'était à ceux de sa mère et de sa sœur Agnès.

- Voyez-vous, leur dit-il, cette grande montagne en face de nous ? Eh bien, quand même vous me donneriez une quantité d'or plus considérable que cette masse gigantesque, je ne renverrais pas Elisabeth.

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Bonheur conjugal.

Enfin, en 1220, malgré tant d'oppositions, le mariage fut célébré au château de la Wartbourg. Louis avait vingt ans ; Elisabeth n'en avait que treize. Tous deux étaient innocents, encore plus par le cœur que par l'âge ; tous deux étaient unis encore plus par la foi que par la tendresse ; ils s'aimèrent en Dieu d'un incroyable amour. Ils étaient d'ailleurs dignes l'un de l'autre, car Louis avait les qualités morales d'un souverain chrétien. Passionné pour la justice, il employait toute la sévérité nécessaire pour punir les violateurs de ses lois. I1 éloigna de la cour et priva de leurs emplois ceux qui opprimaient le peuple et étaient orgueilleux envers les pauvres. Les blasphémateurs étaient condamnés à porter pendant un certain temps un signe public d'ignominie. Inflexible envers ceux qui outrageaient la loi de Dieu, il était plein d'indulgence envers ceux qui lui manquaient à lui-même. Il était d'une prudence consommée et d'une véracité à toute épreuve. Toute sa vie pouvait se résumer dans la noble devise qu'il s'était choisie : « Piété, chasteté, justice. »

Elisabeth, de son côté, unissait en elle tous les avantages extérieurs aux vertus qui pouvaient la rendre chère à son mari. Malgré sa grande jeunesse et la vivacité presque enfantine de son amour pour lui, elle n'oubliait jamais qu'il était son chef, comme Jésus-Christ est le chef de l'Eglise, et elle lui était soumise. Du reste, le jeune prince lui accordait une pleine liberté pour ses œuvres de prière et de charité, et elle, se confiant en la piété et en la sagesse de son époux, ne lui cachait aucune de ses mortifications. Ils se faisaient mutuellement de douces exhortations pour avancer ensemble dans le chemin de la perfection, et cette sainte émulation les fortifiait et les maintenait dans le service de Dieu. Consciente que la grâce que Dieu lui avait faite en l'unissant à un si saint mari l'obligeait à une fidélité plus grande envers son bienfaiteur céleste. Élisabeth n'oubliait pas dans son bonheur que nous sommes sur la terre pour souffrir, expier et mériter le ciel. Sous ses riches vêtements, elle portait toujours un cilice ; tous les vendredis et chaque jour en Carême, elle se faisait donner la discipline et reparaissait ensuite à la cour avec un visage joyeux.

Sa charité. – Miracles des roses et du manteau d'azur.

Le tendre amour d'Élisabeth envers les pauvres augmentait chaque jour. Elle donnait si rapidement tout ce qu'elle avait qu'il lui arriva souvent d'être obligée de prendre de ses propres vêtements pour soulager les malheureux. De pauvres paysans étant venus se plaindre à elle que les serviteurs du duc leur avaient enlevé tous leurs bestiaux, elle courut chez son époux et en obtint la restitution immédiate. Un jour qu'elle descendait par un petit sentier très rude et que l'on montre encore, portant, dans, son manteau du pain, de la viande, des œufs et autres aliments destinés aux pauvres, elle se trouva tout à coup en face de son mari. Étonné de la voir ainsi ployant sous le poids de son fardeau :

- Voyons ce que vous portez, lui dit-il.En même temps il ouvre le manteau qu'elle tenait serré contre sa poitrine, mais il n'y avait plus

que des roses blanches et rouges, ce qui le surprit d'autant plus que ce n'était plus la saison des fleurs. Élisabeth se troublant, il voulut la rassurer ; mais il s'arrêta tout à coup en voyant apparaître sur sa tête une image lumineuse en forme de croix. Parmi tous les malheureux, les lépreux étaient l'objet de la plus tendre sollicitude de la bonne duchesse. Ayant rencontrer un jour un de ces infortunés qui souffrait en outre d'une maladie de tête et dont l'aspect était horrible, elle le fit venir en secret, lui coupa elle-même les cheveux, le lava et lui pansa la tête, qu'elle tenait sur ses genoux.

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Le miracle des roses.

Un Jeudi-Saint, elle rassembla un grand nombre de lépreux, leur lava les pieds et les mains, puis, se prosternant devant eux, elle baisa humblement leurs plaies et leurs ulcères. Une autre fois, pendant l'absence du duc, Elisabeth, ayant soigné les pauvres et les malades avec un redoublement de zèle, prit l'un d'eux, un pauvre petit lépreux que tout le monde rebutait, le baigna elle-même, l'oignit d'un onguent, et le déposa dans son propre lit. Le duc était revenu sur ces entrefaites, et, prévenu par sa mère, était prêt à se courroucer contre Elisabeth, quand, à la place de l'enfant lépreux, il vit Jésus-Christ lui-même crucifié et étendu dans le lit. Elle obéissait avec une grande humilité et une parfaite exactitude et un prêtre nommé Conrad, directeur de sa conscience ; elle lui faisait connaître son âme avec beaucoup de confiance et de sincérité, pour recevoir ses conseils. Dieu se plaisait parfois à récompenser par des prodiges l'esprit de pauvreté et le détachement de sa servante. Un jour qu'il y avait à la cour de Thuringe une grande assemblée de seigneurs, le duc vint tout affligé auprès de sa femme, lui reprochant de n'avoir aucun vêtement richement brodé et qui leur fit honneur. Mon cher seigneur, il faut, répond la duchesse, que cela ne t'inquiète pas, car je suis bien résolue à ne jamais mettre ma gloire dans mes vêtements. Je saurai bien m'excuser envers ces seigneurs et je m'efforcerai de les traiter avec tant de gaieté et d'affabilité, que je leur plairai autant que si j'avais les plus beaux habits.

Et aussitôt elle se met en prières, demandant à Dieu de lui venir en aide. Or, au grand étonnement du duc, elle parut revêtue d'un manteau de velours d'azur tout parsemé de perles.

- Voilà, fit-elle en souriant doucement, ce que sait faire le Seigneur quand cela lui plaît.

Le deuil et la misère.

Cependant, le moment de l'épreuve arrivait. A l'appel du Souverain Pontife, en 1227, les princes chrétiens s'étaient armés pour aller combattre les infidèles, et le pieux et vaillant Louis s'était enrôlé des premiers dans la sainte milice. Malgré sa trop légitime douleur, Elisabeth lui avait dit :

- Contre le gré de Dieu, je ne veux pas te garder. Que Dieu t'accorde la grâce de faire en tout sa volonté ! je lui ai fait le sacrifice de toi et de moi-même. Que sa bonté veille sur toi que tout bonheur soit avec toi à jamais ! Pars donc au nom de Dieu.

Louis partit couvert des larmes de sa chère épouse, pour qui le bonheur d'ici-bas était à jamais évanoui. En effet, le duc ne devait pas revenir, il mourut en route, laissant aux chevaliers qui l'en-touraient le douloureux devoir de rapporter à la duchesse de Thuringe les dernières paroles de tendresse qu'il prononça en pensant à elle. De leur chaste et courte union, Louis et Elisabeth avaient eu quatre enfants. Hermann, l'aîné, devait succéder à son père, sous la tutelle de ses oncles Henri et Conrad ; mais ces deux hommes dénaturés, au lieu de protéger la veuve et les orphelins, chassèrent du palais Elisabeth et ses enfants, lui refusant d'emporter quoi que ce fut avec elle. La fille des rois descendit à pied le rude sentier qui menait à la ville. Elle portait dans ses bras son plus jeune enfant, qui n'avait pas deux mois ; les trois autres la suivaient, accrochés à ses jupes. Le froid était rigoureux. Elisabeth, au temps de sa grandeur, avait comblé les habitants d'Eisenach de ses bienfaits ; aucun cependant, par crainte du duc Henri, ne voulut la recevoir.

Elle ne trouva d'asile que dans une étable à pourceaux. Ce dernier degré d'humiliation ramena le calme dans son âme ; elle sécha ses larmes, et elle se sentit remplie d'une joie surnaturelle. Elle entendit sonner Matines chez les Franciscains, entra dans leur église, et là elle épancha son âme dans les élans de la plus vive reconnaissance envers le Dieu pauvre et humilié qui l'appelait à l'honneur de partager ses opprobres. Cependant, la vue de ses pauvres enfants, mourant de froid et de faim, ramena dans Elisabeth le sentiment de la douleur. Elle s'accusa alors d'être la cause de tant de maux, l'attribuant à ses péchés. L'ingratitude humaine ne se montra jamais plus grande que chez

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les habitants d'Eisenach. Il y avait, entre autres, une vieille mendiante, qui avait été longtemps l'objet des soins d'Elisabeth. Un jour que celle-ci passait un ruisseau bourbeux sur quelques pierres étroites jetées là pour aider à le franchir, elle y rencontra cette même vieille qui, la bousculant rudement, la fit tomber, en criant :

- Tu n'as pas voulu vivre en duchesse pendant que tu l'étais, te voilà pauvre et couchée dans la boue ; ce n'est pas moi qui te ramasserai. Elisabeth se releva en riant.

- Voilà, dit-elle, pour l'or et les pierreries que je portais autrefois.

Renoncements. – Sous la livrée de sainte Claire.

Cependant, la famille d'Élisabeth s'émut en apprenant ses épreuves, et, tour à tour, sa tante, l'abbesse Mathilde, et son oncle, l'évêque de Bamberg, lui donnèrent asile à elle et à ses enfants. Ils voulurent même la décider à se remarier et à épouser l'empereur Frédéric II, mais Elisabeth n'avait plus de pensée que pour Dieu, et, dans son cœur de vingt ans, le dernier cri de la nature vaincue fut celui qu'elle poussa en voyant les restes de son mari :

« Vous savez, ô mon Dieu ! combien j'ai aimé cet époux qui vous aimait tant ; vous savez que j'aurais mille fois préféré à toutes les joies du monde sa présence qui m'était si délicieuse, vous savez que j'aurais voulu vivre toute ma vie dans la misère, lui pauvre et moi pauvresse, mendiant de porte en porte le bonheur d'être avec lui, si vous l'aviez permis, ô mon Dieu ! Maintenant, je l'abandonne et je m'abandonne moi-même à votre volonté. Et je ne voudrais pas, quand même je le pourrais, racheter sa vie au prix d'un seul cheveu de ma tête, à moins que ce ne fût votre volonté, ô mon Dieu ! »

Les chevaliers qui avaient accompagné le duc Louis, et ramené ses restes en Thuringe ne purent voir sans indignation comment Henri et Conrad se comportaient à l'égard de leur belle-sœur. Par des remontrances et peut-être surtout par des menaces, ils décidèrent les princes à lui rendre justice, à réintégrer le jeune landgrave Hermann dans ses droits et à rappeler Elisabeth au château de la Wartbourg. Elisabeth n'eut que des paroles de douceur à l'égard de ces parents qui l'avaient persécutée.

Du reste, le duc Henri, à qui appartenait de droit la régence pendant la minorité d'Hermann, la combla désormais d'égards et lui laissa une entière indépendance pour ses œuvres de piété et de charité. Le 23 mars 1228, qui était le Vendredi-Saint, elle fit solennellement profession dans le Tiers-Ordre séculier fondé par saint François d'Assise qui devait être canonisé quatre mois plus tard. En 1229, devenue fondatrice d'un Institut religieux apparenté à l'Ordre de sainte Claire, mais à vœux simples et sans clôture, ce qui lui permettait de servir les malades de l'hôpital, Elisabeth revêtit pour toujours les livrées religieuses, et prononça avec quelques compagnes les vœux de religion mais tout cela était peu, elle fit le sacrifice héroïque de se séparer de ses enfants. Deux de ses filles furent placées, suivant les mœurs du temps, dans des couvents, où elles prirent plus tard le voile ; une autre était fiancée au duc de Brabant.

La mort.

Un jour qu'elle était malade et qu'elle semblait dormir retournée contre la muraille, une de ses compagnes entendit comme une douce mélodie s'échappant des lèvres de la jeune religieuse.

- Oh ! Madame, lui dit-elle, que vous avez délicieusement chanté !- Quoi ! répondit Elisabeth, as-tu donc entendu quelque chose ! Je te dirai qu'un charmant petit

oiseau est venu se poser entre moi et la muraille et il m'a chanté d'une manière si douce et si suave, et il a tellement réjoui mon cœur et mon âme, qu'il m'a bien fallu chanter aussi. Il m'a révélé que je

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mourrais dans trois jours.C'était, sans doute, ajoute le chroniqueur, son ange gardien qui venait ainsi miraculeusement

l'avertir. Elisabeth se prépara aux noces de l'Agneau. Elle expira en prononçant ces paroles : « O Marie ! viens à mon secours... Le moment arrive où Dieu appelle ses amis à ses noces... L'Epoux vient au-devant de l'épouse. Silence ! Silence ! » C'était dans la nuit du 19 novembre 1231. Ses funérailles furent un triomphe. Les Frères Mineurs transportèrent son corps dans la chapelle de l'hôpital Saint-François où il resta exposé quatre jours entiers ; un suave parfum s'en exhalait. On l'ensevelit ensuite dans la chapelle même. Les fidèles venaient prier sur son tombeau et obtenaient de nombreuses grâces ; des malheureux, atteints de toute espèce d'infirmités, s'en retournaient guéris. Lorsqu'elle eut été canonisée par Grégoire IX du vivant de son père, le 27 mai 1235, on remplaça la chapelle par une grande et magnifique église, et les reliques de sainte Elisabeth furent déposées dans une belle châsse. Elles furent profanées et dispersées, à la Réforme, et on en a perdu la trace certaine. On les croit cependant à Vienne, au couvent des Elisabéthines, sauf le crâne, lequel fut acquis, à la fin du XVIe siècle, par l'infante d'Espagne Isabelle-Claire-Eugénie ; celle-ci le fit transporter à Bruxelles, d'où il passa au château de La Roche-Guyon, dans l'actuel département de Seine-et-Oise, et de là, en 1830, à Besançon qui le conserve depuis lors. La fête de la Sainte a été portée au rite double par Clément X, le 29 mars 1671.

A.E.A.

Sources consultées. – Comte De Montalembert, Histoire de sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe. – P. Léopold de Chérancé, O.M.C., Sainte Elisabeth de Hongrie (Paris, 1927). – (V.S.B.P., n° 41 et 1185.)

SAINT EDMONDRoi et martyr en Angleterre (841-870)

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Fête le 20 novembre.

L 'Estanglie, ou Angleterre orientale, l'un des sept royaumes entre lesquels la Grande-Bretagne fut divisée après la conquête anglo-saxonne, au VIe siècle, fut fondée en 571 par le roi Offa. Elle comprenait les comtés actuels de Norfolk, Suffolk, Cambridge et l'Ile d'Ely. Sa capitale était Dunwich (Suffolk), aujourd'hui ruinée par la mer.

Naissance et premières années.

Edmond vit le jour en 841. Les récits les plus anciens et les plus sérieux le représentent comme descendant direct des rois d'Estanglie ; son père, nommé Offa, lui aurait légué sa couronne pour aller terminer ses jours à Rome dans l'exercice de la pénitence, cependant, il ne peut être question de concilier cette donnée avec les dates du célèbre Offa, roi de Mercie en 757, qui régna aussi sur l'Estanglie et mourut à Rome en 796. D'autres auteurs le font naître à Nuremberg, fils d'un roi d'ailleurs inconnu, Alcmund de Saxe. Quoi qu'il en soit, Edmond fut élevé dans la crainte de Dieu, l'amour de notre sainte foi et de l'Eglise. L'histoire ne nous a pas conservé beaucoup de détails sur la vie du jeune prince, nous savons pourtant qu'il joignait à une vive piété un grand amour de la Sainte Ecriture, car, à l'âge de quatorze ans, Edmond savait déjà tout le psautier par cœur.

Élection à la couronne d'Estanglie.

Voici, d'après certaines légendes, dans quelles circonstances le jeune Edmond serait monté sur le trône. Le roi d'Estanglie avait un fils unique, Frémond, qui, préférant la bure grossière de l'ermite à la pourpre royale, demanda à son père la permission d'abdiquer ses droits à la couronne et de suivre sa vocation religieuse.

Le roi le lui permit. Désireux cependant de conserver la couronne dans sa famille, il fit vœu d'aller en Terre Sainte afin de mieux connaître la volonté de Dieu. Pour se rendre en Palestine, il traversa le royaume de Saxe, dont le trône était occupé par Alcmund, un de ses plus proches parents. Il se reposa quelques jours à sa cour et fut frappé par l'amabilité, le charme et la piété du jeune Edmond. Voyant dans cette rencontre inespérée le doigt de la divine Providence, il crut sa prière déjà exaucée, car le jeune prince lui paraissait plus apte que personne à devenir son héritier. Sans rien lui découvrir de ses projets, au moment de quitter la cour de Saxe, le roi d'Estanglie présenta un anneau d'or à Edmond en lui disant :

- Acceptez ceci, mon fils, en reconnaissance des bons soins que vous n'avez cessé de me prodiguer durant mon séjour chez votre père. Ce petit souvenir vous rappellera en même temps notre parenté et mon affection pour vous. Je pars charmé de vos délicates attentions à mon égard et je ne vous oublierai pas. Merci de tout ce que vous avez fait pour moi. Je vous réserve encore une autre récompense.

Il partit, visita les Lieux Saints avec beaucoup de foi et, son pèlerinage terminé, se mit en route pour regagner l'Angleterre. Il n'eut pas le temps d'y parvenir, la mort le surprit durant le retour. Sen-tant que ses derniers moments approchaient, le prince appela près de lui les serviteurs qui l'accompagnaient et leur désigna le jeune Edmond comme son successeur ; puis il leur donna, afin qu'ils le lui remissent, son sceau que lui-même avait reçu de l'évêque, le jour de son couronnement.

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L'arrivée en Angleterre. – Le couronnement.

Dès que le jeune prince connut le désir de son parent défunt, il consulta son père, dont il obtint immédiatement le consentement. Suivi d'un nombreux cortège, il s'embarqua donc pour l'Angleterre et arriva bientôt à Hunstanton, en l'année 855, il avait alors quatorze ans. A peiné eut-il posé le pied sur la terre de son nouveau royaume que son premier soin fut de se prosterner à terre et de demander à Dieu de le bénir dans son gouvernement, ainsi que le peuple qu'il avait la mission de diriger. Quand il se releva, un grand nombre de sources, dit la tradition, se mirent à couler et à donner une eau limpide et délicieuse. Un écrivain du XIIe siècle a écrit à leur sujet :

De nos jours encore, elles excitent l'admiration de tous ceux qui les voient. Beaucoup de malades viennent s'y laver et s'en retournent guéris. Des pèlerins sans nombre viennent y puiser l'eau, qu'ils emportent jusque dans les régions les plus reculées, pour la faire boire aux infirmes, afin qu'ils recouvrent la santé.

Par suite de son jeune âge, le nouveau souverain dut attendre une année avant d'être couronné roi de l'Estanglie. Il employa ce temps à étudier les besoins du royaume et s'exerça à la pratique des qualités qui conviennent à un bon roi, de sorte que ses journées étaient partagées entre l'étude et la prière. En arrivant en Angleterre, il s'était mis sous la sage direction de saint Humbert, évêque d'Elmham, dont il suivit fidèlement les conseils durant toute sa vie. Le jour de Noël de l'année 856 fut choisi pour le couronnement du souverain. La cérémonie eut lieu à Bures, près de Sudbury, et fut présidée par saint Humbert. Le peuple et le clergé allèrent chercher le nouveau roi et le conduisirent en procession à l'église. Après quoi, s'avançant vers l'autel, Edmond prêta serment sur les saints Évangiles en disant :

«  Je promets au nom de la Sainte Trinité :1° que la sainte Église de Dieu et tout le peuple chrétien jouiront d'une paix profonde tant que je

régnerai ; 2° Que j'interdirai toute espèce de vol et d'injustice contre toute personne, quelle que soit sa

condition ;3° Que dans tous les jugements je recommanderai d'unir la miséricorde à la justice, afin que le

Dieu de paix et de miséricorde daigne nous pardonner à tous. Ainsi soit-il. »

Vertus royales.

Edmond, prince formé selon les préceptes de l'Évangile, peut être regardé comme le modèle des bons rois. Comme le roi de France saint Louis, à une taille majestueuse et à un extérieur imposant, il unissait une rare modestie. Sa piété, sa justice, sa prudence et sa bonté, en faisant le bonheur de son peuple, répondirent à toutes les espérances qu'on avait conçues de lui. II mit tous ses soins à procurer la paix à ses sujets, à faire fleurir la religion parmi eux, à établir le règne de Dieu dans les cœurs.

Parmi ses vertus, on admirait surtout l'aversion profonde qu'il avait pour les flatteurs. Il voulait voir de ses propres yeux, entendre de ses oreilles, examiner tout par lui-même, tant il craignait la surprise dans les jugements, l'infidélité ou l'exagération des rapports et les diverses ruses sous lesquelles se cachent les passions humaines. Il s'était rendu la providence des pauvres, le protecteur des veuves et des orphelins, l'appui des faibles, le père de ses sujets et par-dessus tout le défenseur de la foi.

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Luttes avec les Danois.

Bien qu'il aimât passionnément la paix, aucun roi anglais n'opposa plus de résistance et ne fit une guerre plus acharnée aux Danois, encore païens, et qui se proposaient, avec le pillage, la destruction de la religion chrétienne. Dans toutes ces entreprises, il ne rechercha point sa propre gloire, mais le maintien de la foi en Jésus-Christ, la gloire de Dieu et le bien de ses sujets. Pour protéger son royaume contre les invasions de ces cruels ennemis du nom chrétien, le pieux souverain entreprit des travaux gigantesques de fortification et fit élever un rempart depuis Newmarket jusqu'au pays de Fen, assurant ainsi la sécurité des points faibles de ses Etats. Malgré tous ses efforts, Edmond ne put pas toujours contenir ses ennemis, et, vers l'année 866, les Danois firent irruption dans l'Estanglie. Durant la plus grande partie de l'année, ils dévastèrent le pays, pillèrent les villes, brûlèrent les églises, incendièrent les monastères. Quiconque confessait le nom de Jésus-Christ était considéré comme un ennemi. Les hommes et les enfants étaient cruellement mis à mort, tandis qu'on emmenait les femmes en esclavage. On raconte que l'abbesse du monastère de Collingham, Ebba, et toutes ses filles se coupèrent le nez et la lèvre supérieure afin d'échapper par leur laideur aux outrages de ces païens. Ceux-ci, incapables de comprendre le motif sublime qui les faisait agir, les brûlèrent toutes sans pitié.

La bravoure d'un Saint.

Un épisode survenu au cours d'une des nombreuses guerres contre les Danois nous montrera quels furent le courage et le sang-froid d'Edmond en face de l'ennemi.

Le roi se trouvait avec quelques guerriers dans son château, qui était réputé imprenable. Un vieil aveugle qu'il gardait par charité auprès de lui, s'étant un jour éloigné de la forteresse, tomba entre les mains des Danois. Ceux-ci lui promirent une forte somme d'argent s'il consentait à leur indiquer un endroit mal défendu par où ils pourraient se rendre maîtres de la place. Le vieillard, alléché par l'appât de l'or, consentit à ce honteux et perfide marché. Sans rien connaître de cette trahison et sans même se douter de l'approche de l'ennemi, le roi prit son cheval de bataille, alla se promener dans les environs. A une très faible distance du château, il rencontra une partie de l'armée danoise qui, s'emparant de lui, le conduisit prisonnier devant son chef.

- Sais-tu si le roi est dans son château ? lui demanda le pirate danois.- Continuez votre route, répondit Edmond, vous le trouverez certainement, il était au château en

même temps que moi.Sur cette réponse, on le laissa libre. Aussitôt, sans perdre de temps, le roi regagna, en effet, la

place, et repoussa victorieusement l'attaque des Danois, leur faisant subir des pertes considérables.

Nouvelles victoires.

Le saint roi, qui n'avait pu empêcher l'invasion danoise, ne laisse aucun repos aux envahisseurs tant qu'il lui resta des soldats. Il leur livra bataille sur bataille et manœuvre si bien qu'aux approches de l'hiver les barbares durent se retirer sur leurs positions fortifiées à Thetford, d'où ils furent contraints de demander la paix. Edmond la leur accorda sur la promesse qu'ils cesseraient leurs ravages et se retireraient au printemps suivant. Après cette victoire éclatante, le souverain, comptant sur la foi des traités, se crut en sûreté et ne se prépara point à continuer la lutte, il s'aperçut bien vite

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qu'il n'y avait rien de sacré pour les pirates danois. Du reste, les chefs de ces envahisseurs, lnguar et Hubba, étaient animés d'une haine personnelle

contre le roi de l’Estanglie. Voici à quelle occasion, Leur père, Lothparch, avait été jadis poussé par la tempête sur le rivage de l'Estanglie. La bonté avec laquelle Edmond le reçut excita la jalousie et la haine de Berne, le veneur royal, qui, à la première occasion favorable, tua Lothparch. Le crime une fois découvert, au lieu d'être exécuté immédiatement comme il le méritait, Berne fut mis sur une barque sans voile et laissé ainsi à la justice de Dieu. Poussé par les vagues, il aborda sur les côtes du Danemark et fut conduit devant Inguar et Hubba. Là, il accusa Edmond du crime qu'il avait commis lui-même et pour lequel on l'avait puni. La récente défaite que les deux frères avaient subie jointes à ces mensonges, enflamma encore davantage la haine des princes danois, qui résolurent de tenter un dernier coup. Ils commencèrent par s'établir à York. De là, en 870, ils s'acheminèrent vers l'Estanglie, détruisant tous les monastères qu'ils rencontrèrent sur leur chemin, depuis Peterborough jusqu'à Ely, en passant par Croyland, Ramsey et Soham. Hubba, à qui fut confiée la garde des bagages et du butin, demeura à Soham avec une partie de l'armée, tandis que son frère Inguar, avec le reste des troupes, s'avançait à la rencontre de Wulketule, général d'Edmond, chargé de défendre la frontière du royaume anglais. Wulketule, surpris par la rapidité de l'attaque, fut vaincu et tué pendant la mêlée. Se livrant alors à la plus atroce vengeance, le vainqueur massacra tous les habitants de Thetford.

A la nouvelle de ce désastre, Edmond, qui se trouvait avec le reste de son armée à Framlingham, dans la province de Suffolk, ne perdit pas courage, mais résolut de défendre vaillamment sa couronne et ses sujets. Réunissant le reste de ses soldats, le prince leur montra combien il était noble et nécessaire d'exposer sa vie pour son pays et pour sa foi.

- Ceux que nous allons combattre, leur dit le monarque, ne sont pas des ennemis ordinaires ; ce qu'ils veulent, ce n'est pas tant nous ravir nos terres que nous ravir notre foi. En les combattant, c'est pour Jésus même que nous exposons notre vie. En avant. !

A la tête de ses troupes, Edmond atteignit à Thetford son ennemi, ivre encore du succès de la victoire. De part et d'autre ce fut un horrible carnage, au point que le sang humain coulait en longs ruisseaux sur le sol. Le combat dura du matin jusqu'au soir. Rien que le pieux roi ne doutât point que la couronne du martyre fut la récompense de ses vaillants soldats qui jonchaient le sol, il déplorait cependant une telle effusion de sang. La nuit venue, les Danois se retirèrent, laissant Edmond maître du champ de bataille.

Le martyre.

Quoique battu, Inguar ne désarma pas. Après avoir recueilli les fuyards il fit venir les autres troupes qu'avait gardées son frère et se porta de nouveau en avant. Cette fois, Edmond fut convaincu qu'il ne pourrait tenir contre des farces si redoutables, et il voulut à tout prix épargner le sang de ses sujets. L'évêque Humbert lui avant conseillé de fuir et de se réserver pour une occasion plus favorable, il s'y refusa.

- Une telle conduite, dit-il, me déshonorerait et serait nuisible à mes sujets, qui seraient plus cruellement traités tant que l'envahisseur aurait à craindre un retour de ma part. Il licencia donc ses troupes pour éviter leur massacre inutile et se retira dans son château de Framlingham. Inguar, qui connaissait la valeur d'Edmond et craignait de se mesurer avec lui, s'efforça de le surprendre. Il lui envoya un de ses officiers porteur de ce message :

- Inguar, notre souverain, après avoir vaincu tant de royaumes, est entré dans le tien pour y passer l'hiver. Il te permet de régner paisiblement sous son autorité, pourvu toutefois que tu partages avec lui tes richesses.

Le prince barbare suivait de près son messager pour investir aussitôt le château de peur qu'Edmond n'eût le temps de s'enfuir ou de se mettre en état de défense. Le généreux monarque,

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après avoir consulté son conseil, répondit ainsi au député :- Tu viens ici les mains encore teintes du sang de mes sujets ! Tu mériterais la mort, mais j'aime

mieux imiter la clémence de Jésus-Christ, mon Seigneur. Va, et dis à ton maître : « Trois fois, j'ai été consacré à Dieu : d'abord par mon baptême, ensuite par la confirmation que me donna l'évêque, enfin lorsque je fus sacré roi aux acclamations de tout mon peuple. Eh bien ! moi, roi chrétien, je ne m'abaisserai jamais à servir sous un roi infidèle. Ton maître pourra s'emparer de mon corps ; quant à mon âme, je saurai lui conserver toute sa liberté et son indépendance. »

Ayant ainsi parlé, il congédia le messager et se retira dans la chapelle du château, afin de se disposer à mourir. C'est là que le perfide Inguar le fit prendre par ses officiers et amener en sa présence.

Enchaîné, insulté, en butte aux traitements les plus indignes, Edmond fut ensuite cruellement battu, puis attaché à un arbre et déchiré à coups de fouet. Rien ne fut capable d'abattre ce cœur véri-tablement royal. Pendant ces supplices, il ne cessait d'invoquer le nom de Jésus-Christ. Cette constance invincible du martyr, le nom de Jésus-Christ qu'il avait constamment à la bouche, achevèrent de mettre les barbares en fureur. Tandis qu'il était attaché à l'arbre, par un amusement digne de leur férocité, ils lui décochèrent de nombreuses flèches, dont tout son corps fut bientôt hérissé.

Durant tout le temps que dura ce supplice, le farouche Inguar ne cessait d'exhorter sa victime à renoncer à la foi du Christ et à la religion chrétienne. Mais, voyant l'inutilité de tous ses efforts, il ordonna au bourreau de lui trancher la tête. C'était le 20 novembre de l'année 870. Edmond avait environ trente ans, et il en avait régné près de seize, ayant mérité si jeune encore la double couronne du martyre et de la virginité, car il n'était, pas marié. Le lieu où se déroula ce tragique événement s'appelait alors Henglesdun, il se nomme aujourd'hui Hoxon.

Les reliques. – Le culte.

Les infidèles enterrèrent le corps du roi au lieu même du supplice ; ils emportèrent la tête et la cachèrent dans une épaisse forêt, mais Dieu permit qu'on la retrouvât plus tard en la signalant par une miraculeuse colonne de lumière ; recueillie avec respect, elle fut déposée près du corps. On édifia d'abord une église en bois et on commença à rendre à ces restes les honneurs dus à ceux des martyrs. Dieu honora ce tombeau par un grand nombre de miracles et le saint roi prit ainsi une des premières places dans la piété populaire des Anglo-Saxons. Ses reliques furent apportées en 903, à Beodricsworth, dans une abbaye qui s'appela dès lors Bury-Saint-Edmund et autour de laquelle se forma la ville du même nom. Elle est située à quelque milles au sud du lieu de la bataille de Thetford. En 920, pour les soustraire à la profanation des Danois de nouveau menaçants, ces restes furent transportés à Londres et placés dans l'église Saint-Grégoire ; au bout d'environ trois ans, ils furent ramenés à Bury-Saint-Edmund, mais quelques années plus tard, le roi danois Suénon envahissait l'Angleterre, mettant tout à feu et à sang.

L'abbaye de Bury-Saint-Edmund n'échappa pas à la profanation et à la destruction. En 1020, Canut le Grand, fils et successeur de Suénon, pour réparer cet outrage, fit rebâtir magnifiquement l'abbaye dont il ne reste aujourd'hui que des ruines, d'ailleurs splendides.

Une légende prétend que les reliques de Saint-Edmond auraient été dérobées par le dauphin quand il envahit l'Angleterre sous le règne de Jean. Emportées en France elles seraient conservées dans un reliquaire à l'église Saint-Sernin de Toulouse ; mais ce fait ne semble pas avoir été connu en Angleterre.

Un concile national tenu à Oxford en 1122 décida que la fête de saint Edmond serait observée comme fête d'obligation dans toute l'Angleterre. Saint Edmond a été canonisé par Calixte III qui fut Pape de 1455 à 1458.

Peu de saints furent plus honorés en Angleterre que ce grand martyr. Le roi Henri VI, au XIIe

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siècle, avait pour lui une dévotion particulière, et sa grande consolation, pendant son long règne tourmenté, était de faire des retraites à l'abbaye de Saint-Edmond. A la Réforme, Henri VIII exigea que le culte du Saint fut maintenu dans la nouvelle liturgie anglicane où il figure encore. De nombreuses églises ont été édifiées en son honneur.

A la fin du IXe siècle, ce fut un chef danois, devenu chrétien, qui s'assit sur le trône de saint Edmond. Par sa mort, autant que par ses vertus et par ses prières, le roi martyr avait obtenu de Dieu qu'il ouvrît les yeux à ses successeurs.

I.F.

Sources consultées. – J.Arthur Floyd, Saint Edmund, King and martyr (Londres 1901). – A Menology of England and Wales (Londres, 1892). – Gaillet, Vie des Saints pour chaque jour de l’année. – (V.S.B.P., n° 1781.)

………...

PAROLES DES SAINTS_______

La neuvième béatitude.

Il y a une neuvième béatitude à ajouter à celles qui ont été proclamées par Notre-Seigneur, c'est celle-ci : « Heureux ceux qui se sont confiés à la Sainte Vierge, leur nom est inscrit au Livre de Vie. »

Saint Bonaventure.

SAINT ALBERT DE LOUVAINCardinal, évêque de Liège et martyr (1166-1192).

Fête le 21 novembre.

L'histoire de saint Albert de Louvain est celle d'une élection épiscopale au XIIe siècle, en

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pleine « querelle des investitures ». Nous ne connaissons guère, en effet, de la vie de ce Saint, que les circonstances émouvantes de son élévation à l'épiscopat. Mais les détails mêmes de cette élection, empruntés à des chroniques dignes de foi, nous offrent un vivant tableau des mœurs de l'époque.

Ses antécédents.

Albert naquit à Louvain, vers 1166, dans l'ancien château connu sous le nom de Castrum Caesaris, au lieu appelé encore aujourd'hui le mont César. Il était le second fils de Godefroy III, comte de Louvain, duc de Basse-Lorraine, et de Marguerite de Limbourg. Son frère aîné, Henri 1 er, duc de Brabant et margrave du Saint-Empire, était l'un des princes les plus puissants de son siècle. Et son oncle Henri, duc de Limbourg, était aussi un guerrier valeureux. En sa qualité de cadet, il fut voué à la cléricature et, vers 1178, il était écolier et chanoine prébendé de saint Lambert de Liège. Il demanda pourtant et obtint d'être créé chevalier par Baudouin V de Hainaut afin de se croiser ; mais l'année suivante, redevenu clerc, il était nommé archidiacre de Brabant, puis prévôt des collégiales de Saint-Pierre et de Saint-Jean, à Liège, et recevait le sous-diaconat.

La succession de Raoul de Zœringen, prince-évêque de Liège.

Les chanoines de saint Lambert de Liège étaient appelés, le 8 septembre 1191, à donner un successeur à Raoul de Zœringen, prince-évêque défunt. Sans doute, ils voulaient un saint prélat, mais il ne leur était pas indifférent d'avoir à la tête du diocèse un évêque d'un rang élevé, apparenté à des princes puissants, pour réprimer au besoin les écarts de la noblesse qui n'était que trop portée à transgresser les règles de la justice et pour empêcher les attaques des peuples voisins. L'élévation d'Albert de Louvain comblait les vœux du Chapitre ; mais elle rencontrait l'opposition de Baudouin V, comte de Hainaut, plus tard comte de Flandre et ami de Philippe-Auguste, roi de France. L'orgueilleux Baudouin avait eu, les années précédentes, maille à partir avec le jeune Henri, frère aîné d'Albert. Il lui répugnait de voir exalter aujourd'hui la maison de Louvain, par l'accession d'un de ses membres au siège épiscopal, et cela d'autant plus que le Hainaut, sa province, était depuis le siècle précédent un fief de Liège, et que, à ce titre, il devait hommage au nouvel évêque comme à son suzerain ; il trouvait dur enfin de devenir le vassal de celui qu'il avait armé chevalier quelques années plus tôt.

Assuré de l'agrément de l'empereur d'Allemagne Henri VI, fils et successeur de Frédéric Barberousse, Baudouin suscita un rival au candidat des chanoines de Liège : c'était son cousin, un certain Albert de Rethel, puissant, lui aussi, par ses relations de famille, et, comme son compétiteur, chanoine de Saint-Lambert, mais d'une incapacité et d'une médiocrité reconnues, au dire des écrivains contemporains. Le jour de l'élection venu, les deux Albert se trouvèrent en présence. Le duc de Brabant et le duc de Limbourg avaient amené avec eux une nombreuse suite de cens armés, pour prévenir, disaient-ils, toute violence. Le comte de Hainaut en avait fait autant, de sorte que la ville de Liège présentait l'aspect d'une place prise d'assaut. Néanmoins, les assises qui s'y tinrent furent toutes pacifiques ; le Chapitre se réunit sans encombre, l'élection se fit selon les règles, et au dépouillement des votes, il se trouva que quarante-cinq membres de l'assemblée accordaient leur suffrage à Albert de Louvain ; quatre ou cinq seulement se prononçaient en faveur d'Albert de Rethel.

Les trois compétiteurs. – L'intrus.

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Pourtant, une formalité restait à remplir : la plupart des possessions de l'évêché de Liège étaient des donations faites au Chapitre des Saint-Lambert par les empereurs d'Allemagne, et, de ce chef, l'évêque était leur vassal et leur devait hommage ; avant d'entrer en charge, il lui fallait, selon l'expression du temps, être investi de son fief. Henri VI n'avait contre Albert aucun grief personnel. Mais la puissance croissante de la maison de Brabant et de Louvain lui portait ombrage. Les partisans d'Albert se flattaient néanmoins d'obtenir sans trop de difficulté l'investiture temporelle, parce qu'ils comptaient sur la décisive intervention de l'archevêque de Cologne, Philippe de Heinsberg, métropolitain, grand ami de la famille et tout-puissant sur l'empereur. La mort subite de ce prélat, survenue un mois avant l'élection, le 13 août 1191, vint leur ôter quelque peu de leur assu-rance. Le comte de Hainaut, reprenant courage, envoya en toute hâte à l'empereur, alors en Italie et sur le point de rentrer en Allemagne, à petites journées, pour cause de maladie, Gislebert son chancelier, muni de fortes sommes d'argent. Il savait qu’Henri VI n’était pas insensible à ces sortes d'arguments. Le rusé monarque ne donna au messager qu'une réponse évasive, tout en laissant entendre que ses préférences allaient à Albert de Rethel.

- Je ne puis, dit-il, donner l'investiture sans consulter les princes allemands. Je réglerai cela à mon retour en Allemagne.

Peu après, tandis qu'il traverse les Alpes, se présentent à leur tour devant l'empereur les envoyés d'Albert de Louvain, qui viennent lui rendre compte de l'élection accomplie à Liège, en septembre précédent, et lui demander l'investiture pour l'élu légitime du Chapitre. Henri VI, cette fois encore, se contente de belles paroles et donne rendez-vous à Worms, à une date qu'il fixe, aux deux compétiteurs.

Un troisième prétendant avait surgi dans l'intervalle. Il s'appelait Lothaire de Hochstadten, prévôt de Bonn et lui aussi chanoine de Saint-Lambert de Liège. C'était un personnage peu recommandable. Grâce aux intelligences qu'il avait à la cour et à quelques milliers de marcs d'argent qu'il abandonna volontiers aux mains de l'empereur – la simonie, on le sait, était une des plaies du XIeet du XIIe siècle – il conçut l'espérance d'acquérir la mitre de Liège.

Si l'empereur avait été de bonne foi, s'il avait voulu juger d'après les lois de l'équité, il n'aurait eu qu'à compter les voix recueillies par Albert de Louvain pour décider immédiatement en sa faveur ; mais la jalousie et la cupidité le dominaient. De là des délais, des enquêtes, des consultations sans nombre, comme si l'affaire eût été fort compliquée. Finalement, il fit décider par une espèce de Synode que le diocèse de Liège était à sa libre disposition, et tranchant la question en despote, il proclama son chef Lothaire de Hohstadten, évêque de Liège et lui accorda l'investiture (janvier 1192). Il fallut le secours de la force armée pour installer l'intrus sur son siège. La terreur qu'inspirait Henri VI et la crainte d'être pillé par les troupes allemandes firent que le peuple et même une partie du clergé se courbèrent momentanément sous le joug de Lothaire. Seuls, les ducs de Brabant et de Limbourg refusèrent de lui rendre hommage, mais, pour ne pas risquer de perdre leurs Etats, ils n'osèrent tirer l'épée ni porter secours à leur parent.

Voyage incognito à travers la France. – Aux pieds de Célestin III.

Ainsi délaissé, Albert de Louvain jugea qu'il n'avait plus de recours assuré que dans le Pape Célestin III, à l'autorité duquel, d'ailleurs, il en avait appelé à la diète de Worms, Henri VI le pressentait, car il fit expédier des lettres et envoya des messagers à tous les princes et dans toutes les villes de l'empire et même hors de l'empire pour couper à Albert de Louvain tous les chemins vers l'Italie. Mais, quoi qu'il put lui en coûter, Albert était décidé à défendre ses droits. Il se mit en route, avec deux compagnons de voyage, Wouter de Cranecy, archidiacre de Liège, Thomas de Marbaix, chanoine de Saint-Lambert, et deux fidèles domestiques. Tous étaient travestis par mesure de prudence. Albert était le moins bien vêtu. Afin, de mieux échapper aux soupçons, il se faisait passer

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pour le dernier domestique des deux seigneurs et affectait de leur rendre les plus humbles services. Il traversa la France, dont les voies lui offraient plus de sécurité, et arriva sain et sauf à Montpellier, pour de là s'embarquer au golfe du Lion et achever son voyage par la Méditerranée. Mais la côte était si surveillée que l'évêque jugea plus opportun de rebrousser chemin et de se diriger, par terre, vers les Alpes. A chaque halte, Albert pansait les chevaux, dressait la table, servait ses compagnons. Un jour qu'ils logeaient chez un campagnard, celui-ci avise le soi-disant domestique et lui dit, d'un ton bourru, en lui montrant des souliers couverts de boue :

- Toi, paresseux qui ne sais rien faire, nettoie ces souliers.L'évêque obéit sans mot dire. Enfin, il arriva à Rome, aux approches de la Semaine Sainte de

l'année 192. Célestin III lui ouvrit les bras et fut ému aux larmes au récit des difficultés que le voyageur avait dû surmonter. Une Commission nommée par le Pape étudia scrupuleusement l'affaire : l'injustice de l'empereur apparut flagrante, l'intrusion de Lothaire contraire aux saints canons, l'élection d'Albert de Louvain légitime en tous points. Dans une assemblée publique, le Pape se prononça solennellement en sa faveur, et, en considération de ce que l'évêque élu de Liège avait souffert, il le créa cardinal-diacre. Le samedi suivant 30 mai, qui était un des jours des Quatre-Temps de la semaine de la Pentecôte, Célestin III conféra à Albert l'ordre du diaconat que celui-ci n'avait pas encore reçu. Les lois de l'Eglise prescrivaient des intervalles fixes entre la réception des divers ordres sacrés.

Le Pape s'y conforma, et, au lieu d'ordonner immédiatement et de sacrer évêque Albert de Louvain, il lui remit double lettre pour l'archevêque de Cologne, alors métropolitain de Liège, et pour celui de Reims qu'il chargeait de lui conférer la prêtrise et la plénitude du sacerdoce. D'autres lettres ordonnaient de punir Lothaire de Hochstadten (de l'excommunier, dit la Chronique) s'il persistait dans la mauvaise voie. D'autres lettres enfin étaient adressées au clergé, aux grands et au peuple de Liège pour leur rappeler leurs devoirs vis-à-vis de leur véritable évêque et les dégager de toute promesse de fidélité faite à Lothaire, évêque intrus.Tout fut écrit en double par mesure de précaution ; la suite d'Al-bert, si petite qu'elle fût, décida pour le retour de se partager en deux groupes dont chacun porterait un exemplaire des précieux documents. Avant de laisser partir l'évêque de Liège, Célestin III lui remit, comme dernière marque de son affection, un anneau d'or et deux mitres de prix, l'une pour lui, l'autre pour un de ses fidèles défenseurs et amis, l'abbé du monastère bénédictin de Lobbes, sur la Sambre.

Heureuse rencontre. – Communauté en liesse.

Albert s'étant de nouveau déguisé, descendit le Tibre sur un navire de commerce, arriva à Ostie, d'où l'on fit voile pour Pise. De là, il allait s'embarquer pour Nice quand le bruit courut à Vise que l'empereur avait envoyé quelques vaisseaux à la rencontre d'un grand personnage attendu ; il reprit son bâton de pèlerin et s'apprêta à repasser les Alpes, cheminant plus souvent la nuit que le jour, se détournant de sa route pour prendre des sentiers isolés. A Nice, le voyageur se trouve en face d’un gentilhomme qu’il ne connaît pas, et qui, frappé de son grand air et de ses manières, soupçonne, sous cet habit grossier, un personnage d’importance. Ce gentilhomme prend même la liberté de demander à l’inconnu qui il est, d’où il vient, où il va, s’engageant sur l’honneur à garder le secret. L’évêque après un moment d’hésitation déclina sa qualité. Il n’eut pas à s’en repentir ; son interlocuteur était le comte de Châlons, prince puissant, dévoué à toutes les bonnes causes, et, grâce à la protection de celui-ci, Albert parvint sans encombre à Reims.

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Pendant son voyage à Rome, saint Albert est obligé de nettoyer des chaussures.

Après quelque repos prit en cette ville, il partit à cheval un matin, au point du jour, et ne s'arrêta qu'après vingt-quatre heures à l'abbaye de Lobbes, c'est-à-dire en son diocèse C'était le 31 juillet 1192. Les moines venaient de chanter Matines. L'abbé le reçut avec la plus grande joie et, en un instant, toute la communauté se trouvait à genoux aux pieds de son pasteur, dont elle implora la paternelle bénédiction. L'auguste persécuté se rendit à l'église en costume de voyageur ; le jour n'avait pas encore paru ; les cierges étaient allumés devant une image du Prince des Apôtres qu'on s'apprêtait à solenniser en la fête de saint Pierre aux Liens. Albert pria quelque temps, puis, montant à l'autel, il y déposa la mitre qu'il avait mission de remettre à l'abbé de Lobbes de la part du Souverain Pontife et donna lecture des lettres de Rome stipulant que les abbés de ce monastère jouiraient désormais du privilège de porter la mitre.

La consécration épiscopale.

D'autres épreuves attendaient l'évêque de Liège. Son voyage, son heureux retour, les décisions de Rome à son sujet, la condamnation du faux pasteur, toutes ces nouvelles furent bientôt connues, excitant chez les uns une vive allégresse, chez d'autres un cruel dépit qui ne tarda pas à se changer en fureur. Albert s'était réfugié chez son frère Henri de Brabant, à Nivelles, et il s'y trouvait en sûreté, attendant que la Providence lui ménageât le moyen de prendre possession de son siège, quand une lettre de l'empereur vint ordonner au duc de chasser son frère, s'il ne voulait pas voir ses Etats mis au pillage. Albert de Louvain accueillit la nouvelle avec le plus grand calme et s'éloigna de lui-même pour ne point causer de préjudice à son frère. Pendant son court séjour chez son oncle, le duc de Limbourg, il fit demander à 1'archevêque de Cologne, Brunon, lui-même tout

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nouvellement sacré et désigné personnellement par le Saint-Siège à cette fin, de vouloir bien lui conférer la consécration solennelle.

Le prélat semblait n'être point né pour la lutte ; ne devait-il pas résigner sa charge l'année suivante pour entrer dans un couvent de Cisterciens, et y mériter d'être, par la suite, honoré comme bienheureux ? Dans le cas présent il fait comprendre qu'il redoute la colère de l'empereur, et usant de la latitude que lui laissent les lettres de Rome, il écrit à Albert, s'excusant de ne pouvoir, par suite de son état de santé, accomplir la cérémonie, et le priant en conséquence de s'adresser à l'archevêque de Reims, le cardinal Guillaume de Blois ou de Champagne, dit « aux Blanches-Mains ». Celui-ci, n'étant pas sujet de l'empereur, se montra plus accueillant envers le proscrit. Il vint en grande pompe le recevoir aux portes de Reims, et tout fut immédiatement préparé pour le sacre. Le samedi 19 septembre 1192, Albert fut ordonné prêtre, et le lendemain il fut élevé à la dignité épiscopale, un peu plus d'un an après son élection, en présence du duc de Limbourg, son oncle, et de beaucoup d'autres vassaux de Liège. Le lundi 21, fête de saint Matthieu, Albert célébra sa première messe pontificale, en l'absence du cardinal de Reims, parti immédiatement après la solennité de la veille pour un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.

Saint Albert forcé de rester à Reims. – Son martyre.

La population de Reims montra une grande sympathie envers le nouvel évêque. Beaucoup vinrent le voir célébrer à l'autel, et comme on le savait persécuté et exilé, ce fut à qui lui ferait une plus généreuse offrande ; l'évêque ne voulut point toucher aux sommes reçues et les fit distribuer aussitôt aux pauvres. Cependant, à cause de lui, Liège était mis à feu et à sang par l’empereur et le prince Baudouin de Hainaut. S'il en fut ému en pensant aux souffrances de ses ouailles, il n'en témoigna aucun trouble, mais il résolut d'attendre, à Reims même, des temps meilleurs. Il dissuada son oncle d'employer la force des armes pour le défendre, aimant mieux, disait-il, s'en remettre à la bonne Providence qui amollirait, si elle le jugeait à propos, le cœur de l'empereur. Henri VI ne mettait plus de bornes à sa colère. Par son ordre, les prêtres fidèles au pasteur légitime furent chassés de la ville de Liège comme des malfaiteurs et des traîtres, et leurs maisons pillées, comme elles l'eussent été au temps des invasions des Normands. Le souverain citait même à comparaître devant lui le frère d'Albert de Louvain, Henri de Brabant, qu'il achevait de terroriser, lui interdisant toute communication avec le proscrit. C'est alors que trois seigneurs allemands, payés par d'autres ou poussés par le secret espoir d'être agréables à l'empereur, après en avoir délibéré dans l'église même de Saint-Servais à Maëstricht, résolurent d'attenter à la vie de l'évêque de Liège. Les conjurés prirent la route de Reims. Albert y vivait avec deux amis dans la plus grande simplicité, partageant son temps entre la prière et les œuvres de bienfaisance. Jamais il ne se permettait une parole de critique à l'adresse de ses persécuteurs. Il ne souffrait même pas qu'on en dit du mal devant lui, et un jour que la conversation à table s'était engagée sur Lothaire de Hochstadten, l'usurpateur, dont on raillait l'ignorance, Albert interrompit sévèrement les convives et leur dit que ces propos blessaient la charité chrétienne. Cette observation ne ferma point la bouche aux détracteurs ; l'évêque alors se leva et fit sentir par ce geste combien lui étaient pénibles de pareils discours.

La foule l'estimait et l'aimait. Les fidèles ne pouvaient se lasser d'admirer sa piété lorsqu'il célébrait les saints mystères. Dans les promenades qu'il faisait, à cheval, suivant l'usage du temps, le peuple accourait recevoir sa bénédiction et le suivait hors des portes jusque bien avant dans la campagne. Son étonnante bonté fut la cause de son martyre. Trois étranges inconnus se présentèrent un jour à lui, se disant exilés de leur patrie et les plus malheureux des hommes. Emu de compassion, le charitable prélat les entoura de prévenances et les reçut même à sa table. Le 24 novembre de l'année 1192, ils feignirent de vouloir s'en retourner en leur patrie.

Albert, toujours aussi complaisant, leur donna une dernière marque de son attachement en les accompagnant hors de la ville. Les assassins n'attendaient que cette occasion. A quelque distance de

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Reims, sur la route de Nogent-l'Abbesse, ils tirèrent les armes, et l'un d'eux, d'un seul coup d'épée, fendit la tête de l'évêque. L'ayant achevé, ils s'enfuirent en Allemagne, pour en informer l'empereur. Le duc Henri da Brabant, instruit de ce meurtre, en fut inconsolable, se reprochant la mort de son frère. Il exerça de sanglantes représailles contre ses ennemis.

Les reliques et le culte de saint Albert.

L'Eglise a d'autres moyens de venger ses fils persécutés et immolés pour la justice et la défense des droits de Dieu ; elle les admet au catalogue des Saints ; c'est ce qu'a fait le Pape Paul V par le Bref du 9 août 1613 qui a accordé l'office et la messe de saint Albert de Louvain à Reines et à Bruxelles et l'a inscrit au Martyrologe romain au 21 novembre, date qu'on croyait par erreur être celle de sa mort. Le Saint y figure encore, avec le titre de martyr « tué pour la défense de la liberté de l'Eglise ».

Saint Albert de Louvain avait été enseveli dans la cathédrale de Reims. En 1612, à la demande de l'archiduc Albert, on voulut avoir ses restes à Bruxelles. Mais le corps exhumé le 20 octobre fut celui de l'archevêque Odalric, décédé en 960, qui fut reçu à Bruxelles le 11 décembre 1612 et déposé dans l'église des Carmélites. Des fouilles pratiquées dans la cathédrale de Reims après la Grande Guerre ont permis de retrouver, le 26 septembre 1919, le corps véritable du Saint reconnu comme tel par une Commission nommée par le cardinal Luçon, archevêque de Reims, et réunie le 10 décembre 1920 et le 18 août 1921.

Après que l'on eut rapporté de Belgique les restes de l'archevêque Odalric, les reliques de saint Albert furent emportées le 19 novembre suivant par Mgr Van Cauwenberg, vicaire général de Malines, assisté de Dom Sébastien Braun, Bénédictin de Maredsous, et remises directement à Malines au cardinal Mercier, primat de Belgique. Celui-ci consentit à distraire de la vénérable dépouille deux reliques insignes, il offrit l'une au roi des Belges Albert 1er en novembre 1924 et l'autre au cardinal Luçon le 9 novembre 1925.

A.L.

Sources consultées. – Chanoine David, histoire de saint Albert de Louvain (publiée en flamand à Louvain, en 1844, traduite en français en 1848). – Dom B. Del Marmol, O.S.B., Saint Albert de Louvain (Collection Les Saints, Paris, 1922). – Annuaire pontifical catholique, 1928. – (V.S.B.P., n° 1290.)

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SAINTE CÉCILEVierge et martyre (…… vers 180)

fête le 22 novembre.

L’histoire de sainte Cécile a été rapportée, en des pages admirables que nous allons reproduire, par le grand écrivain Louis Veuillot. De son temps, on croyait encore, d'après le Liber pontificalis et le Martyrologe romain, que le martyre de la Sainte avait eu lieu vers 230, sous le règne de l'empereur Alexandre Sévère et sous le pontificat du Pape saint Urbain 1 er, l'archéologie moderne, à la suite des découvertes de Jean-Baptiste de Rossi, fait au contraire remonter les événements au règne de Marc-Aurèle, sous le pontificat de saint Soter, c'est-à-dire entre 177 et 180. Le Pontife, du nom d'Urbain que nous verrons intervenir dans la vie de la vierge martyre était un évêque suburbicaire, servant d'auxiliaire à l'évêque de Rome lui-même, c'est-à-dire au Pape.

Urbain, habitait une grotte creusée sous un temple des idoles, aux portes de Rome, non loin du tombeau de Caecilia Metella. C'est là que les fidèles, en attendant une persécution nouvelle, venaient aux exhortations du Pontife et amenaient les néophytes pressés de recevoir le baptême, les pauvres de Jésus-Christ, mendiants en apparence, se tenaient sur la voie, autant pour guider l'étranger que pour avertir si quelque péril s'annonçait. Dans le nombre des fidèles que ces pauvres étaient accoutumés de voir et dont ils transmettaient fréquemment les messages au Pontife errant ou caché, ils admiraient une jeune fille, presque encore une enfant, dont la foi et la charité brillaient

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même en ces jours illustres du martyre. Elle était leur humble sœur et elle portait le grand nom des Caecilius, si fier et si retentissant...

Alors, le martyre était la fin probable et imminente de toute vie chrétienne. Cécile le savait et elle y trouvait la joie de son cœur. En attendant l'appel du Christ, elle vivait d'avance avec lui et sa prière ne cessait pas. Comme pour se créer une assurance de plus qu'elle répandrait son sang, elle voua au Christ sa virginité. Le Christ, répondant à son amour, lui rendit visible l'ange qui veillait sur elle, et elle vit que l'Époux divin l'agréait et la garderait. Cependant, les parents de Cécile l'engagèrent à Valérien, qui était jeune, noble et bon et qui l'aimait ardemment, mais qui portait le joug des idoles. Cécile avait pour Valérien l'affection d'une sœur, elle chérissait son âme, espérant l'amener à Dieu. Tremblante et confiante, elle se prépara pour le combat. Sous sa robe tissée de soie et d'or, elle cacha un cilice ; elle multiplia ses jeûnes et ses prières, et, remplie de force intérieure, elle abandonna sa main.

A la chute du jour, la mariée fut conduite à sa nouvelle demeure. Les torches nuptiales précédaient le cortège, la foule applaudissait, la vierge conversait en son cœur avec le Dieu des martyrs. Elle entra dans la maison où elle apportait la mort et la vie, la ruine absolue et l'immortelle gloire. Sous le portique, orné de tentures blanches et de fleurs, Valérien l'attendait. Suivant l'usage, il lui demanda : « Qui es-tu ? » Elle, répondit par la formule consacrée : « Là où te seras Caïus, je serai Caïa. »...

Quelques rites superstitieux lui furent sans doute épargnés ; d'autres purent s'accomplir. On lui présenta l'eau, signe de la pureté qui doit orner l'épouse ; on lui remit une clé, symbole de l'administration intérieure confiée à sa vigilance ; on la fit un instant asseoir sur une toison de laine, mémorial des travaux domestiques...

Et lorsque, enfin, les époux se trouvèrent seuls dans la chambre nuptiale, Cécile, forte de la vertu d'en haut, s'adressa doucement à Valérien : « Ami très cher, lui dit-elle, j'ai un secret qu'il faut que je te confie, mais peux-tu me promettre de ne le point livrer ? » Ayant reçu le serment du jeune homme, elle reprit : O Ecoute. Un ange de Dieu veille sur moi, car j'appartiens à Dieu... Si tu respectes ma virginité, alors il t'aimera comme il m'aime, et sa grâce s'étendra aussi sur toi. »

Troublé, Valérien répondit : « Cécile, pour que je puisse croire à ta parole, fais-moi , voir cet ange. Quand je l'aurai vu, et si je reconnais qu'il est l'ange de Dieu, alors, ce à quoi tu m'exhortes, je le ferai. Mais, si c'est un autre homme que tu aimes, sache que je vous frapperai de mon glaive, et toi et lui. » Cécile reprit : « Si tu consens d'être purifié dans la fontaine qui jaillit éternellement, si tu veux croire au Dieu unique, vivant et véritable qui règne dans les cieux, tu pourras voir l'ange qui veille sûr moi. » Valérien dit : « Et qui me purifiera afin que je voie l'ange ? »

Cécile répondit : « Il est un vieillard qui purifie les hommes afin qu'ils méritent de voir l'ange de Dieu. Va par la voie Appienne jusqu'au troisième milliaire. Là tu trouveras des pauvres qui demandent l'aumône aux passants. J'eus toujours soin de ces pauvres et mon secret leur est connu. Tu les salueras de ma part et tu leur diras : « Cécile m'envoie vers le saint vieillard Urbain. J'ai un message secret à lui transmettre. Arrivé en présence du vieillard, tu lui rendras mes paroles. Il te purifiera et te revêtira d'habits nouveaux. A ton retour, dans ce lieu où nous sommes, tu verras l'ange saint, devenu aussi ton ami et tout ce que tu lui auras demandé, il te le donnera. »

Valérien courut au Pontife, et celui-ci, l'ayant écouté, s'écria : « Seigneur Jésus-Christ, semeur des chastes résolutions, recevez le fruit de la semence que vous avez déposée au cœur de Cécile. Seigneur Jésus-Christ, bon pasteur, Cécile, votre brebis éloquente, vous a bien servi. Cet époux qu'elle avait reçu semblable à un lion impétueux, en un instant, elle en a fait un agneau très doux. Le voici déjà ! Déjà il croit, puisqu'il est venu. Ouvrez donc, Seigneur, la porte de son cœur à vos paroles qu'il reconnaisse que vous êtes son Créateur et qu'il renonce au démon ! »

Tandis qu'Urbain prolongeait sa prière, un second vieillard, d'aspect auguste, couvert de vêtements blancs comme la neige, apparut, tenant un livre en lettres d'or. Ce vieillard était Paul, l'Apôtre des Gentils, la seconde colonne de l'Eglise romaine. Présentant le livre, il dit à Valérien : « Lis, crois, mérite de contempler l'ange dont la vierge Cécile t'a promis la vue. »

Valérien lut ces paroles :

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Un seul, Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu, Père de toutes choses, qui est au-dessus de tout et en nous tous. Le vieillard dit : « Crois-tu qu'il en est ainsi ? » Valérien s'écria : « Rien de plus vrai sous le ciel ! »

Cécile était restée en prières dans la chambre nuptiale. Lorsqu'elle y vit rentrer Valérien, elle connut aussitôt que le Christ et elle avaient triomphé. Valérien portait la tunique blanche des néophytes. Et lui, au même instant, connut que le Christ et Cécile étaient fidèles en leurs promesses ; près de l'épouse vierge, il vit debout l'ange au visage de flamme, aux ailes splendides, tenant dans ses mains deux couronnes de roses et de lis.

L'esprit bienheureux posa l'une de ces couronnes sur la tête de Cécile, l'autre sur la tête de Valérien, et leur dit : « Des jardins du ciel je vous apporte ces fleurs. Conservez-les par votre pureté, elles ne se faneront jamais, et jamais ne perdront leur parfum ; mais ceux-là seuls les verront qui seront purs comme vous. Et maintenant, ô Valérien, parce que tu as acquiescé au vœu de la chasteté de Cécile, le Christ, Fils de Dieu, m'a envoyé vers toi pour recevoir toute demande que tu aurais à lui adresser. »

Valérien répondit à l'ange : « La grande douceur de ma vie, c'est l'amitié de Tiburce, mon frère unique. Maintenant que je suis affranchi du péril, je me trouverais cruel d'y abandonner ce frère bien-aimé. Je réduirai donc toutes mes demandes à une seule : je supplie le Christ de délivrer mon frère Tiburce, comme il m'a délivré moi-même, et de nous rendre tous deux parfaits dans la confession de son nom... »

Au jour, Tiburce entra, s'approchant de Cécile, devenue sa sœur, il la salua par un baiser. « Mais, dit-il, d'où vient, ma sœur, cette senteur de roses et de lis en cette saison ? Elle m'enivre, et il me semble que tout mon être en est soudain renouvelé. - O Tiburce, dit Valérien, Cécile et moi nous portons des couronnes que tu ne peux voir encore. Si tu veux croire, tu verras... »

Avec l'ardeur du néophyte, Valérien commença d'instruire son frère. Il le pressa d'abjurer les idoles et de se rendre au vrai Dieu. Mais Tiburce ne comprenait pas bien. Il avait suivi le culte public par coutume, sans plus chercher à connaître ses dieux qu'il ne connaissait le Christ, Cécile intervint, prenant le langage des prophètes si souvent répété par les martyrs, elle montra la honte des idoles.

« Oui, s'écria Tiburce, il en est ainsi ! » Cécile, ravie de sa sincérité, l'embrassa :   « C'est maintenant, lui dit-elle, que je te connais pour mon frère... »

Cependant, Tiburce, apprenant qu'il fallait aller au chef des chrétiens, se souvint d'avoir entendu parler de lui : « N'a-t-il pas été, dit-il, condamné déjà deux fois ? S'il est découvert, il sera livré aux flammes et nous pourrons partager son sort. Ainsi, pour avoir voulu trouver une divinité qui se cache dans les cieux, nous rencontrerons sur la terre un supplice cruel. – Ne redoutons pas, dit Cécile, de perdre la vie qui passe, pour nous assurer celle qui durera toujours… – Qui est allé dans cette vie, répliqua Tiburce, et qui en est revenu ? »

Cécile reprit avec une grande majesté : « Le Créateur du ciel et de la terre et de tout ce qu'ils contiennent a engendré un Fils de sa propre substance avant tous les êtres, et il a produit par sa vertu divine l'Esprit-Saint ; le Fils, afin de créer par lui toutes choses ; l'Esprit-Saint pour les vivifier. Tout ce qui existe, le Fils de Dieu, engendré du Père, l'a créé ; tout ce qui est créé, l'Esprit-Saint, qui procède du Père, l'a animé. – Comment ! s'écria Tiburce, tout à l'heure, tu disais que l'on ne doit croire qu'un seul Dieu, et maintenant tu parles de trois Dieux ?... » Cécile lui exposa le dogme de la Trinité ; ensuite, provoquant ses questions, elle déroula le mystère du Christ mort sur la croix pour le salut des âmes, enseveli, descendu aux enfers, victorieux de la mort, du sépulcre et du péché... Tiburce pleura, son âme appelait Dieu. « Frère, dit-il à Valérien, prends pitié de moi, conduis-moi sans retard devant l'homme qui purifie. » Ils se rendirent aussitôt près du Pontife. Urbain lui donna le baptême, et, après sept jours, par l'onction de l'Esprit-Saint, il le consacra soldat du Christ. Or, plein de la joie et de l'amour de Jésus, et plongé dans la plénitude de la vie chrétienne, Tiburce voyait continuellement les anges du Seigneur, et il conversait avec eux...

« Les deux frères furent bientôt dénoncés, poursuivis et, après une vaillante confession, ils eurent la tête

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tranchée ; leur fête est fixée au 14 avril. »

Le préfet Almachius ne tarda pas à prendre ses mesures pour s'emparer des biens de Valérien et de Tiburce. II ne trouva rien. Déjà Cécile avait tout mis à l'abri dans le sein des pauvres. En même temps, elle déclarait hautement sa foi proscrite, et l'éclat de sa situation attirait trop les regards pour que le préfet put paraître l'ignorer. II se décida donc à sévir aussi contre elle. Mais, craignant l'intérêt qu'elle devait inspirer, il ne la cita pas à son tribunal. Il lui envoya des agents pour lui proposer simplement de sacrifier aux idoles, sans démonstration publique. Ils se présentèrent, honteux de leur mission, touchés de respect et de douleur. Cécile leur dit : « Mes concitoyens et mes frères, au fond de vos cœurs, vous détestez l'impiété de votre magistrat. Pour moi, il m'est glorieux et désirable de souffrir tous les tourments et de confesser Jésus-Christ ; mais je vous plains, vous qui servez de ministre à l'injustice. »

A ces mots, ils pleurèrent de voir qu'une dame si noble, si vertueuse et si brillante, voulait mourir... Elle leur dit : « Mourir pour le Christ, ce n'est pas sacrifier sa jeunesse, mais la renouveler. C'est donner un peu de boue pour recevoir de l'or, échanger une demeure étroite et vile contre un palais. Ce qu'on offre à Jésus-Christ notre Dieu, il le rend au centuple et il ajoute la vie éternelle. »

Voyant leur émotion, elle s'écria : « Ne croyez-vous point ce que vous venez d'entendre ? » Ils répondirent : « Nous croyons que le Fils de Dieu, qui possède une telle servante, est le Dieu véritable. – Allez, reprit Cécile. Dites au préfet que je lui demande de retarder un peu mon martyr. Vous reviendrez et vous trouverez ici celui qui vous rendra participants de la vie éternelle. »

Aussitôt, Cécile fit avertir urbain qu'elle allait prochainement confesser Jésus-Christ, et qu'un grand nombre de personnes de tout âge, de tout sexe et de toute condition, touchées de la grâce divine, aspiraient au baptême. Urbain voulut venir lui-même, pour bénir une dernière fois Cécile et recevoir de ses mains virginales cette belle multitude que son sang prêt à couler gagnait par avance au Seigneur Jésus. Le baptême fut donné à quatre cents néophytes. Quelques jours s'étaient passés. Par une volonté de Dieu, Almachius avait accordé ce délai. Il appela enfin Cécile. Elle parut devant lui avec la modestie d'une fille de l'Eglise, avec la fierté d'une patricienne, avec la majesté d'une épouse du Christ. Il lui demanda son nom et sa condition. Elle répondit qu'elle se nommait Cécile devant les hommes, mais que chrétienne était son plus beau nom ; quant à sa condition, qu'elle était citoyenne de Rome, de race noble et illustre. Il s'étonna de son assurance ; elle répondit que cette assurance lui venait de sa foi. Il l'avertit de prendre garde ; elle répondit qu'elle était fiancée à Jésus-Christ. Il rappela la loi décrétée par les empereurs au sujet des chrétiens. « Cette loi, répondit Cécile, prouve que vous êtes cruels et non innocents. Si le nom de chrétien était un crime, ce serait à nous de le nier, à vous de nous obliger à le confesser. Mais nous connaissons la grandeur de ce nom sacré, et ne le renions pas... »

« Choisis cependant, dit Almachius : ou sacrifie, ou nie que tu sois chrétienne, et tu te retireras en paix. » Cécile se prit à sourire : « Le magistrat, dit-elle, veut que je renie le titre de mon innocence ! Si tu admets l'accusation, pourquoi veux-tu me contraindre à nier ? Si ton intention est de m'absoudre, que n'ordonnes-tu l'enquête ? – Les accusateurs, reprit le juge, déposent que tu es chrétienne. Nie-le, et l'accusation est mise à néant. Si tu persévères, tu connaîtras ta folie. – Le supplice, dit Cécile, sera ma victoire. N'accuse de folie que toi-même, qui as pu croire que tu me ferais renier le Christ. – Malheureuse femme, s'écria le préfet, ignores-tu donc que le pouvoir de vie et de mort est déposé entre mes mains par l'autorité des invincibles princes ? – Le pouvoir de vie et de mort, répliqua tranquillement Cécile, non ! Tes princes ne t'ont conféré que le seul pouvoir de mort. Tu peux ôter la vie à ceux qui en jouissent, tu ne la peux rendre à ceux qui sont morts. Dis donc que tes empereurs ont fait de toi un ministre de mort. Si tu dis davantage, tu mens sans profit.  Almachius, désignant à Cécile les statues qui s'élevaient dans le prétoire, lui dit : « Sacrifie aux dieux. » La praticienne répondit : « où as-tu la vue ? Ces choses que tu prétends être des dieux, moi et tous ceux qui ont la vue saine, nous n’y voyons que des pierres, de l’airain ou du plomb. – Prends garde, s’écria le préfet, j’ai méprisé tes injures quand elles ne s’adressaient qu’à moi, mais l’injure contre les dieux, je ne la supporterai pas. – Préfet, reprit Cécile, tu n’as pas dit une parole

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dont je n’aie montré l’injustice ou la déraison, et maintenant te voilà convaincu de n’y plus voir. Tu t’exposes fâcheusement à la risée du peuple, Almachius ! tout le monde sait que Dieu est au ciel. Ces simulacres feraient plus de service, convertis en chaux. Ils s’usent dans leur oisiveté, et ne sauraient se défendre des flammes. Sache qu’ils sauraient moins encore t’en retirer toi-même ! Le Christ seul peut sauver de la mort et délivrer du Feu. »

Cécile se tut. Elle avait vengé par ses réponses la dignité humaine que l'idolâtrie et la tyrannie païenne violaient si indignement ; elle avait flétri le matérialisme grossier qui asservissait encore ce monde racheté du sang d'un Dieu ; elle avait conquis la palme, il ne lui restait plus qu'à la cueillir. Almachius, de son côté, avait à venger et ses dieux et sa justice et la majesté de l'empire et surtout lui-même. Il prononça une sentence de mort. Toutefois il n'osa pas ordonner l’exécution publique d'une femme si élevée par son rang, si respectée et si éloquente. Contraint de donner à sa justice les couleurs de l'assassinat, il commanda que Cécile fût reconduite chez elle et qu'on la fit mourir sans bruit, sans appareil de licteurs, sans effusion de sang, étouffée par la vapeur embrasée dans la salle de bains de son palais. Le miracle déjoua ce lâche expédient. Une rosée céleste, semblable à celle qui rafraîchit la fournaise où furent jetés les trois enfants de Babylone, ne cessa de tempérer la vapeur brûlante. Après de longues heures, les bourreaux, lassés d'alimenter le feu toujours puissant, vinrent dire au préfet que Cécile vivait encore. Il envoya un licteur. Cécile, penchant la tête, s'offrit à l'épée. Le licteur frappa ; mais, en trois coups, il ne put abattre cette tête toujours sereine, et ne réussit qu'à faire jaillir le sang. Il s'enfuit. Une loi défendait au bourreau de frapper davantage la victime que trois coups n'avaient pas achevée.

Les chrétiens attendaient au dehors. Ils entrèrent en foule, pleins de pitié, de vénération et d'amour. Cécile expirante reconnut ses pauvres, ses néophytes, ses frères, elle leur sourit. Ils s'empressèrent autour d'elle, se recommandant à ses prières, et recueillant sur des linges le sang de ses blessures. D'un moment à l'autre, il semblait que cette âme pure dut rompre ses derniers liens. Mais Bientôt ceux qui l'environnaient comprirent qu'elle vivait par un nouveau miracle. Cécile, en effet, attendait quelque chose qu'elle avait demandé à Dieu. Il se passa ainsi trois jours. Durant ces trois jours, elle exhorta ces chrétiens à demeurer fermes dans la foi. De temps en temps, faisant approcher les plus pauvres, elle leur marquait sa tendresse et veillait à leur faire distribuer ce qui pouvait rester dans la maison.

Le troisième jour le saisit Pontife Urbain, à qui la prudence n'avait pas encore permis d'approcher, entra près de la martyre. C'était lui que Cécile attendait. Tournant vers le Père des fidèles ses regards consolés, elle lui dit : « Père, j'ai demandé au Seigneur ce délai de trois jours pour remettre aux mains de Votre Béatitude les pauvres que je nourrissais, et je vous lègue aussi cette maison, afin que, consacrée par vous, elle soit pour toujours une église. » Après ces paroles, son œil mourant vit les cieux s'ouvrir. Elle était couchée sur le côté droit, les genoux réunis. Ses bras s'affaissèrent l'un sur l'autre, elle tourna contre terre sa tête sillonnée par le glaive, et son âme s'envola doucement. Urbain présida aux funérailles de Cécile. On ne toucha pas à ses vêtements, on respecta jusqu'à l'attitude de son corps. La nuit venue, on le porta au cimetière de Calixte, sur la voie Appienne, Valérien, Tiburce et Maxime reposaient à peu de distance, au cimetière de Prétextat.

Le culte. – La basilique.

Le palais de la martyr fut presque aussitôt converti en une église placée sous son vocable. Vers la fin du VIIe siècle, le Pape saint Grégoire le Grand la restaura et la consacra à nouveau, et y établit l’une des « stations » du Carême. Au IXe siècle, saint Pascal 1er, ayant eu en 822 la joie de retrouver les reliques de la Sainte à la Catacombe de Calixte, les fit transporter en cette basilique restaurée et consacrée par lui ; aux côtés de Cécile prirent place les corps des saints Tiburce, Valérien et Maxime. Dès lors le culte de la vierge martyre se propagea rapidement, non seulement en Occident, mais encore en Orient. Son nom figure au Canon de la messe et aussi dans les Litanies des Saints ;

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dans le Bréviaire, elle a un office propre presque en entier. Elle est honorée pour patronne par les musiciens, en raison d'une phrase des Actes dont le sens exact est celui-ci : « Tandis que résonnaient les concerts profanes de ses noces, Cécile chantait en son cœur un hymne d'amour à Jésus son véritable Epoux. »

Près de la basilique romaine de Sainte-Cécile se trouve depuis des siècles un monastère que restaura saint Pascal 1er. Nous le voyons occupé successivement par les Bénédictins, les Chanoines réguliers, la Congrégation du Rédempteur (fondée par sainte Brigitte), enfin par les Humiliés. L’établissement passa ensuite en commende, puis fut confié en 1527, ainsi que la basilique, aux religieuses Bénédictines ; après 1870 les Clarisses sont venues occuper une partie des immeubles sans que disparussent pour autant les droits des filles de sainte Claire.

L’église Sainte-Cécile est un titre cardinalice ; en 1599, l’un de ses titulaires, le pieux cardinal Sfondrato, procéda à une reconnaissance des reliques de la Sainte ; le Pape Clément VIII offrit une châsse d’argent et présida lui-même, le 22 novembre de la même année, la translation solennelle dans la crypte aménagée sous le maître-autel. De 1899 à 1901, le cardinal Rampolla, après des fouilles importantes sous le pavé de la basilique, fit agrandir la crypte et la décora d’une manière somptueuse.

Sources consultées. – Louis Veuillot, Le parfum de Rome (Œuvres complètes, t. IX, Paris, 1926). – Dom Prosper Guéranger, Sainte Cécile et la société romaine aux deux premiers siècles (Paris, 2 e édition, 1884). – Annuaire pontifical catholique (Paris, 1900, 1901, 1903). – C. De Rossi-Re, « La basilique de Sainte-Cécile », dans l’osservatore Romano (Cité du Vatican, 1932). – (V.S.B.P., n° 198.)

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SAINT CLÉMENT 1er Pape et martyr (vers 30-vers 100)

Fête le 23 novembre.

Nous avons bien peu de détails vraiment historiques sur la vie de saint Clément, qui gouverna l'Eglise universelle comme évêque de Rome, pendant les dix dernières années du premier siècle. Cependant, son nom est demeuré célèbre, presque à l'égal de celui de saint Pierre, dans la primitive Eglise.

Le quatrième Pape.

Il est admis aujourd'hui que deux pontificats le séparent de celui du premier vicaire de Jésus-Christ, crucifié le 29 juin 67, savoir celui de saint Lin, martyrisé le 23 septembre de l'an 78 ; celui de saint Clet, martyrisé le 26 avril 90. Tel est bien l'ordre chronologique, où le Canon de la Messe nous fait commémorer les trois premiers successeurs de Pierre : Lini, Cleti, Clementis ; saint Lin, saint Clet ou Anaclet et saint Clément. Telle est la succession reconnue par saint Irénée et la plus vraisemblable ; cependant, d'autres auteurs ont voulu voir en saint Clément soit le successeur immédiat soit le second successeur de saint Pierre. Ces deux opinions sont aujourd'hui abandonnées.

Origine de saint Clément. L' « homme apostolique ».

Tandis que les saints Lin et Clet paraissent être des hommes du peuple, comme le glorieux pêcheur de Galilée, saint Clément appartient peut-être à l'aristocratie romaine. Il naquit, à une date inconnue, dans le riche quartier du Mont-Cœlius. C'est là que se trouvait la demeure de sa famille. Certains auteurs le croient parent de Titus Flavius Clemens, qui mourut martyr après l'année de son consulat (95) et qui était cousin germain de l'empereur Domitien (81-96). Rien ne prouve, cependant, qu'il n'était pas, lui aussi, d'une origine très modeste, un affranchi ou le fils d'un affranchi de la maison du consul dont il portait le nom.

Clément fut baptisé par saint Pierre lui-même, qui en fit son diacre et ne tarda pas à l'ordonner

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prêtre, puis à le consacrer évêque. Saint Pierre rendait un tel hommage aux vertus et au zèle de Clément qu'il le jugea digne, dit-on, de prendre après lui la direction de l'Eglise. Cet événement n'arriva que vingt-trois ans plus tard.

S'il faut en croire Origène et de nombreux écrivains postérieurs, saint Paul aussi avait en haute estime les qualités et les vertus de Clément. Dans l'Epître aux Philippiens, écrite de Rome vers l'an 63, nous lisons, en effet, ces mots bien significatifs : « Assistez les femmes qui ont travaillé avec moi à l'établissement de l'Evangile avec Clément et mes autres coadjuteurs, dont les noms sont écrits dans le Livre de vie. » (IV, 3.) Il convient d'ajouter pourtant que l'idealité de ces deux personnages homonymes n'est pas démontrée. Quoi qu'il en soit, la réputation du futur évêque de Rome était si bien établie qu'un docteur d'Alexandrie, mort vers 215, l'appelle « l'homme apostolique » et le considère comme l'un des plus dignes représentants des Apôtres.

Élection de saint Clément.

C'est après le martyre de saint Clet que Clément fut élu pour occuper la chaire de son maître, saint Pierre. Le Liber Pontificalis nous a conservé en quelques mots les traits caractéristiques de ce pontificat.

Clément siégea neuf ans, deux mois et dix jours... Ce fut lui qui, le premier, répartit les sept régions de l'Eglise romaine entre sept notaires fidèles, qui furent chargés, chacun dans sa circonscription, de rédiger scrupuleusement et en détail les Actes des martyrs.

Si tel fut un des principaux soucis du Pontife, c'est qu'il avait été le témoin des persécutions sanglantes qui décimèrent les rangs des nouveaux chrétiens. Une première persécution avait été décrétée par l'empereur Néron. Les plus célèbres victimes furent alors les deux colonnes de l'Eglise, les saints Pierre et Paul.

Mais après la mort de Néron (68), les fidèles avaient joui d'une ère de calme et de prospérité, sous la domination de la dynastie flavienne. Selon le témoignage de saint Augustin, l'Eglise avait trouvé « dans Vespasien et son fils les plus aimables Césars ».

Ce fils, Titus, qui avait réalisé la sombre prophétie de Jésus sur la ruine de Jérusalem en l'an 70, est appelé, par l'historien latin Suétone, « l'amour et les délices du genre humain ». Il est vrai qu'il ne régna que vingt-six mois (79-81) et qu'il eut pour successeur le cruel Domitien (81-96).

Ce dernier se rendit tristement célèbre en déchaînant la IIe persécution, par son édit de l'an 95, quand le Pape saint Clément avait déjà vu s'écouler le premier des deux lustres de son glorieux pon-tificat. Ainsi que le remarque l'abbé Fouard, « Dieu avait ménagé près de trente ans de relâche à l’Eglise afin qu’elle réparât ses pertes, reprit souffle et vigueur : elle était debout pour le martyre. »

L'apôtre saint Jean à Rome.

Clément vit alors arriver à Rome les derniers descendants de David, dont l'empereur avait pris inutilement ombrage. Parmi eux fut conduit à Rome l'apôtre saint Jean, dernier survivant du Collège apostolique, « le disciple que Jésus aimait ». Son supplice commença par la flagellation, qui préludait toujours à une exécution. A ces douloureux apprêts succéda son tourment, dont les Actes des Apôtres citent maints exemples ; la victime fut plongée dans l'huile bouillante. Mais l'heure n'était pas arrivée où Jésus lui-même viendrait prendre son disciple bien-aimé, comme il le lui avait

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prédit. A la stupeur de tous, Jean sortit sain et sauf du bain de feu. Aujourd'hui une église dresse son campanile à cinq étages à l'endroit qui, selon la tradition, avait été le lieu même du martyre. Elle a pour titre : « Saint-Jean in Olio près de la Porte-Latine ». Au lieu de s'acharner sur ce vieillard, ainsi sauvé par un miracle, les magistrats se contentèrent alors de le reléguer dans l’Ile de Pathmos pour y travailler aux mines. C'est là que saint Jean composa l'Apocalypse, le dernier des livres prophétiques inspirés, où nous lisons de terrifiantes descriptions de Rome, « la grande Babylone, ivre du sang des martyrs » et du monstre qui y commandait, « la Bête destinée au feu », ainsi que Jean l'appelle sans crainte.

Mort de Domitien.

La « Bête » devait être vaincue, et elle le fut misérablement. Domitien, en effet, s'était rendu si odieux par ses cruautés que ses propres officiers et sa femme conspirèrent contre lui et le tuèrent, dans la quarante-cinquième année de son âge, le 18 septembre 96. Le Pape Clément dirigeait toujours la barque de Pierre, pendant cette tourmente, mais sa figure reste dans la pénombre. Se cachait-il prudemment dans les Catacombes, ou bien était-il protégé par la haute influence des chrétiens, que l'Épître de saint Paul aux Philippiens nous montre déjà nombreux « dans la maison de César » (IV, 22) ?

Sous Domitien, la religion catholique avait même gravi les marches du trône, dans la personne du consul Titus Flavius Clemens, neveu de Vespasien ; de Domitilla, cousine de Domitien ; de leurs deux fils adoptés par l'empereur et confiés par lui au célèbre rhéteur Quintilien. Mais les liens du sang n'embarrassaient pas « la Bête », qui immola ou exila tous les chrétiens de son palais.

La « Prima Clementis ».

Avant de donner lui aussi, le témoignage de sa vie, le Pape Clément écrivit aux Corinthiens une magistrale Epître, qui suffirait seule à justifier le titre de « homme apostolique », donné désormais par l'histoire à son auteur. Cette lettre fameuse est appelée la Prima Clementis, la première de Clément, parce qu'une seconde, Secundo Clementis, dont il ne nous reste que de rares fragments, reproduits par des citations, lui a été attribuée, d'ailleurs à tort.

La Prima est un document de premier ordre ; outre qu'il révèle le sentiment de l'autorité, dont l'Eglise de Rome se sent et se sait dépositaire à jamais à l'égard de l'Eglise universelle, il nous fournit encore de précieux documents doctrinaux, hiérarchiques, disciplinaires, liturgiques, historiques, sur ces temps obscurs du christianisme naissant. (E. Lacoste : Les Papes à travers les âges.)

Voici à quelle occasion elle a été écrite. Vers 96-98, c'est-à-dire à la fin du règne de Domitien ou au début de celui de Nerva, de troubles avaient éclaté parmi ces chrétiens de Corinthe, dont la conduite avait déjà alarmé saint Paul. Rome fut consultée. Le Pape Clément fit porter sa réponse écrite par trois anciens des plus considérés. C'est une longue exhortation à la concorde, à la patience et à l'humilité. Cette lettre est, avant tout, une preuve de l'autorité pontificale. Remarquons, en effet, que l'apôtre saint Jean vivait encore et résidait à Ephèse. Néanmoins les Corinthiens recourent non « au disciple que Jésus aimait », mais au successeur de Pierre, à l'évêque de Rome. Quel éloquent hommage rendu à la primauté du Siège de Pierre !

La lettre affirme que ce sont les Apôtres qui ont établi les divers degrés de la hiérarchie. Elle renferme, de plus, d'admirables formules de prière publique. Voici en particulier celle que l'Eglise, ferme dans son loyalisme, faisait alors pour le gouvernement, représenté pourtant par les Néron et

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les Domitien.

Accorde-leur, Seigneur, la santé, la paix, la concorde, la stabilité pour qu'ils exercent sans obstacle l'autorité que tu leur as conférée. Car c'est toi, Maître céleste, Roi des siècles, qui donne aux enfants des hommes la gloire, l'honneur, la puissance sur les choses de la terre. Dirige leurs conseils, ô Seigneur, suivant le bien, suivant ce qui lui est agréable à tes yeux, afin que, exerçant paisiblement et suavement le pouvoir que tu leur as donné, tu leur sois toujours propice, car tu as, seul, le pouvoir de faire cela et de répandre encore sur nous plus de grands bienfaits.

La Prima Clémentis ramena la paix parmi les fidèles de Corinthe. Rome commençait ainsi à exercer heureusement sa mission providentielle. « La Rome chrétienne, dit l'abbé Fouard, héritait de la Rome païenne le génie de l'autorité, l'esprit d'ordre et de discipline, nécessaires à la métropole d'un monde nouveau. » De ce document on a dit avec raison qu'il est comme la première page du Bullaire des Papes. Longtemps on le lut, dans les églises, comme on y lisait les pages de nos Saints Livres. Les fidèles y puisaient notamment une grande dévotion envers l'autorité spirituelle et disciplinaire du Pontife romain, que nous devons vénérer, suivant une définition célèbre, comme « le Christ sur terre ».

Ouvrages apocryphes.

Par la suite toute une littérature, certainement apocryphe, s'épanouit principalement en Orient, se prévalant à tort de la paternité du Pape martyr de Cherson.

Les soldats montèrent dans une barque avec le saint vieillard,ils lui attachèrent une ancre au cou et le poussèrent dans les flots.

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De tous ces documents il faut détacher une Seconde Epître ou homélie qui n'est certainement pas de lui, mais due peut-être à Clément d'Alexandrie ou encore au Pape saint Soter, à moins que ce ne soit à un auteur inconnu ; ce document a une certaine importance pour l'Histoire de la théologie dogmatique. Quant aux autres écrits : Constitutions apostoliques, Epîtres aux Vierges, Canons apostoliques, Récognitions Clémentines, Epîtres de Clément à Jacques, tous œuvres de faussaires, ils « attestent la place considérable que Clément occupait à la fin des premiers temps, et quelle trace profonde en est restée dans ceux qui suivirent ». (Fouard).

Saint Clément exilé. – Sa mort.

On dit : « Morte la bête : mort le venin. » Ce proverbe se trouva malheureusement en défaut après l'assassinat de Dioclétien. Les édits de persécution subsistaient toujours et le Pontife Clément ne tarda pas à en être victime. Depuis dix ans environ, il gouvernait l'Eglise avec toute sa sainteté et son esprit de conquête, quant il fut dénoncé à l'empereur Trajan (98-117). Pour ne point souiller ses mains du sang d'un vieillard que l'on vénérait comme le père des pauvres et le consolateur de toutes les infortunes, Trajan le relégua dans la presqu'île de Cherson (la Crimée actuelle) pour y travailler aux mines. Clément trouva, dans ce lieu d'exil, plus de deux mille chrétiens, condamnés aux carrières de marbre. Sa présence fut un réconfort et un soutien pour tous ces malheureux. De nombreux païens se convertirent à sa voix et ce lieu de travaux forcés devint une chrétienté florissante, comme le vestibule du paradis. Un jour, les prières du Pontife firent naître une source abondante, quand cette multitude mourait de soif et de chaleur ; ce miracle convertit encore de nom-breux païens.

Pour punir Clément de son zèle, on le mena au milieu de la mer, on lui attacha une ancre au cou et on le noya. Les Actes du Saint ajoutent que, sous les flots, un tombeau lui fut construit par les anges, et l'une des fresques de la basilique souterraine de Saint-Clément, à Rome, conserve le souvenir de cette poétique tradition. De nombreuses objections ont été élevées contre ce récit, mais elles ne sont pas irréfutables.

(F.Lacoste).

La basilique romaine.

Les restes du Pape martyr furent découverts au IXe siècle par un missionnaire éminent, le prêtre Constantin, qui devait devenir illustre sous le nom de saint Cyrille, et qui fut avec son frère saint Méthode le grand apôtre des Slaves. Ils furent apportés par eux à Rome en l'an 869 et déposés par les soins du Pape Adrien II en la basilique de Saint-Clément. Rome n'a qu'une église dédiée à saint Clément, en réalité elle se compose de trois édifices superposés. Si l'on pénètre dans les sous-sols de la basilique souterraine découverte en 1857, on se trouve dans un vaste édifice terminé sur deux côtés par deux murs en grosses masses de tuf et qui remontent à l'époque républicaine et peut-être à celle des rois. On a voulu y voir l'hôtel des monnaies ou le palais de Tarquin le Superbe. Derrière ce mur massif on voit deux chambres en briques, dont la première a une voûte portant des ornements du IIe siècle. La conservation de cette crypte a donné à croire que quelque souvenir ancien la reliait à saint Clément dont elle était peut-être une partie de l'habitation. Elle justifie d'ailleurs le choix du Caelius pour l'édification d'une église en l'honneur du saint Pape martyr, choix qui ne s'expliquerait guère autrement. Voici comment J.B. de Rossi justifie cette hypothèse :

Il est incontestable que l'Eglise romaine, pendant les siècles de persécution, assemblait ses fidèles dans les maisons qui, après Constantin, changées en basiliques, conservèrent le nom de leurs anciens possesseurs.

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Si le personnage ou la matrone qui avait accueilli dans sa maison les fidèles, avait, après sa mort, obtenu les honneurs des Saints, la basilique était consacrée à sa mémoire et à son culte. Elle est l'origine des églises dédiées à sainte Pudentienne, à sainte Cécile et à beaucoup d'autres ; telle est aussi, suivant l'avis de Rondinini, l'origine de la basilique de Saint Clément.

Au-dessus de l'oratoire primitif fut construite, sous Constantin, une basilique que saint Jérôme vit avant l'an 385 ; un Concile, qui condamna Pélage, s'y réunit en 417. C'est là aussi que furent déposés les restes des saints Cyrille et Méthode ; les Normands détruisirent à peu près cette église en 1084 et les ruines du monument restèrent à l'abandon jusqu'en 1108. A ce moment le Pape Pascal II releva l'ancienne église de ses ruines, mais en l'adaptant au plan actuel, il dépouilla l'édifice antérieur de ses marbres qu'il plaça dans la basilique nouvelle. Clément XI, au XVIIIe siècle, modifia en partie ce dernier monument. En 1857, les fouilles dirigées par Mgr Tizzani ont permis de dégager la basilique constantinienne avec ses peintures remarquables des VIIIe et IXe siècles. On devine de quel respect les Pères Dominicains, qui desservent actuellement la basilique de Saint-Clément, entourent ces souvenirs vénérables de dix-huit siècles de christianisme.

Le culte.

La fête du Pape saint Clément fut élevée au rite double par Pie VII en 1804 ; elle est célébrée le 23 novembre dans l'Eglise romaine ; le 25 novembre dans le rite grec-ruthène, le 1er décembre chez les Coptes.

Pour promouvoir la dévotion envers son saint prédécesseur, le Pape Pie X, le 3 mai 1907, a accordé à tous les prêtres venant en pèlerinage à Rome, ou accompagnant un groupe de pèlerins, la permission de célébrer, les jours doubles, la messe de saint Clément à l'autel de ce saint Pontife dans l'église qui porte son nom.

On vénère des reliques de saint Clément non seulement à Rome, mais encore à Paris, à Clermont et à Bordeaux. La peinture le représente :

1° faisant sourdre une source au lieu indiqué par un agneau qui lui apparaît ;2° tenant une ancre marine, qui fut l'instrument de son supplice ; 3° appuyé sur un tombeau que les vagues entourent.Il est le patron de la presqu'île de Crimée, de la ville de Velletri dans les anciens Etats de

l'Eglise, et de Séville en Espagne, parce que cette dernière ville fut conquise sur les Maures le 23 novembre 1248, jour anniversaire de son glorieux trépas. A Bruges, en Belgique, les bateliers l'ont choisi pour patron.

Abbé II. Castérède.

Sources consultées. – E. Lacoste, Les Papes à travers les âges, t. 1er (Paris). – A. Vacant et Mangenot, Dictionnaire de théologie catholique, articles « Clément 1er » et « Clémentins (Apocryphes) » (Paris, 1908). – Annuaire Pontifical catholique de 1913 (Paris), (V.S.B.P., n° 406.)

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PAROLES DES SAINTS________

La présomption.

Pierre ne voyait dans son cœur que son désir ; il ne voyait pas combien il avait peu de forces. Faible, il vantait sa résolution ; mais moi, comme son médecin, je considérais sa faiblesse. Lui faisait des promesses, j'en prévoyais l'effet ; i1 osait affirmer ce qu'il ignorait ; moi qui prévoyais l'avenir, je l'instruisais. Et il est arrivé, non  ce qu'avait présumé le malade, mais ce qu’avait prédit le médecin. La portière a dit à Pierre : Es-tu aussi des disciples de cet homme ? Et lui : « Je n'en suis point. »

Et voici que la colonne la plus ferme a tremblé tout entière au premier souffle du vent. Où est la hardiesse de sa promesse et de sa confiance en lui-même ? Combien dans la suite, non seulement parmi les vieillards et les jeunes gens des deux sexes, mais même parmi les enfants, ont pu faire ce que Pierre n'a pas pu, lui qui a reçu les clés de mon royaume ?

Saint Augustin.

La communion.

Celui qui ne s'approche pas de l'Eucharistie, se prive de tous les avantages qui résultent de la sainte communion ; et ces avantages sont : la rémission des péchés, l'affaiblissement de la concupiscence, l'illumination de l'esprit, la réfection intérieure, l'incorporation à Jésus-Christ et à son corps mystique, l'affermissement dans la vertu, la force contre le démon, la certitude plus inébranlable de la foi, l'accroissement de l'espérance, l'embrasement de la charité. De plus, il ne remplit pas le ministère de dignité suprême qui lui a été confié, et il n'exerce point l'office par lequel il rend à Dieu l'hommage qu'il lui doit... Il rejette le viatique du pèlerinage et s'expose ainsi au danger de mourir ; car en ne recevant point pour aliment le corps de Jésus-Christ, destiné à entretenir la vie, il devient comme un membre desséché qui ne participe plus à la nourriture du corps auquel il appartient. Enfin, autant qu'il est en lui, il se rend étranger au culte et à l'adoration qu'il doit à son Créateur, et ingrat envers ses bienfaits.

Saint Bonaventure.

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SAINT JEAN DE LA CROIXPremier Carme déchaussé, Docteur de l'Eglise (1542-1591)

Fête le 24 novembre.

Gonzalve de Yepès, tombé dans la misère et obligé pour gagner sa vie de tisser la soie et la laine, eut trois fils : François, Louis et Jean. Le premier devint un homme d'oraison au milieu du monde, le deuxième mourut en bas âge comme un petit Saint, le troisième fut, dès son enfance, favorisé des grâces les plus extraordinaires. Cet enfant de prédilection naquit en 1542, à Fontibéros, dans la Vieille-Castille.

Le protégé de Marie.

Jouant un jour au bord d'un étang, Jean glissa au fond de l'eau ; une grande dame vint lui offrir la main pour le sauver.

- Non, reprit l'enfant, vous êtes trop belle, et ma main salirait la vôtre.Alors, un vieillard se présenta, marchant sur l'eau comme la belle dame, tendit à l'enfant son

bâton et le ramena sur le bord. C'étaient Marie et Joseph. A Medina del Campo, où sa mère, devenue veuve, se fixe après bien des déplacements, en quête de travail, le petit Jean, par son intelligence et sa piété excite l'attention d'un homme d'œuvres, Alphonse Alvarez de Toledo, qui l'emploie comme infirmier à l'hôpital qu'il dirige en cette ville. Mais il lui laisse assez de liberté pour mener de front ses études au collège des Pères Jésuites. De sa quatorzième à sa vingtième année, il y fera d'étonnants progrès dans la science, mais aussi dans la vertu. C'est durant cette période de son adolescence et pendant son séjour à l'hôpital de Medina que se place une nouvelle intervention miraculeuse de Notre-Dame, qui veille attentivement sur sa vie à cause des vues qu'elle a sur lui. Il y avait dans la cour de l'établissement, un puits sans margelle. Un jour, sans qu'on sache comment, le saint infirmier y tombe. Quand on se précipite avec une grosse corde pour procéder au sauvetage, on l'aperçoit assis sur l'eau. Et quand on l'en a tiré, il répond, avec grande simplicité qu' « une très belle dame, qu'il crut toujours être la Très Sainte Vierge, l'avait reçu dans son manteau quand il tomba et l'avait soutenu sur l'eau jusqu'au moment où on lui porta secours ».

Vocation.

Son bienfaiteur, Alvarez de Toledo, l'oriente vers le sacerdoce et lui offre une chapellenie et des bénéfices. Belle occasion, aux yeux du monde, de redorer le blason familial ! Car le pauvre tisserand qu'était son père était de noble origine. Mais un désir de vie plus austère tourmente ce jeune homme de vingt ans. Il ne sait pas encore au juste vers quelle rive il dirigera sa barque, mais, du moins, il refuse les honneurs, et il attend le souffle de Dieu. Un jour vient que ce souffle d'en haut passe sur son âme. Une voix lui dit intérieurement : « Tu me serviras dans un Ordre religieux dont tu aideras à relever la perfection primitive. » Parole mystérieuse dont il ne peut comprendre qu'une chose, que Dieu le destine à la vie religieuse. Mais où ? Sous quelle règle ? Dans quel Ordre ... Dieu, qui révèle parfois directement sa volonté aux âmes, se sert plus souvent des circonstances pour manifester ses desseins. Les Carmes de l'Observance viennent d'établir à Medina leur couvent de Sainte-Anne. Un jour qu'il visite cette maison, la voix intérieure qu'il a entendue se

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précise. Il se sent attiré vers cette forme de vie religieuse.

Son entrée chez les Carmes.

Novice dès le 24 février 1563, profès depuis 1564, sous le nom de Fr. Jean de Saint-Mathias, il est envoyé par ses supérieurs, pour faire ses études à Salamanque où, pendant quatre ans, de 1564 à 1568, il suit les cours de la célèbre Université espagnole, qui compte alors près de six mille étudiants. Ses cours de théologie achevés, par obéissance, malgré les hésitations de son humilité, il reçoit la prêtrise, et, tandis qu'il célèbre sa première messe, il a le sentiment très net que Dieu lui accorde la faveur de le confirmer à jamais dans sa grâce. Tandis qu'il méditait en son cœur cette grâce extraordinaire et formait le dessein de s'enfermer à la Chartreuse pour la conserver, la Mère Thérèse de Jésus commençait la réforme des Carmélites, et cherchait les moyens de l'étendre aux religieux de l'Ordre. Elle avait bien gagné à son projet le prieur Antoine de Heredia, mais elle ne voyait pas en lui l'homme choisi de Dieu. Elle le demandait avec ardeur, lorsque le Père maître, Pierre de Orozco, lui conduisit le P. Jean. Apprenant la vie exemplaire de ce jeune religieux et ses admirables dispositions, la Sainte lui découvrit ses projets et ajouta avec ardeur :

- Mon Père et mon fils, prenez patience et renoncez à la Chartreuse pour vous occuper de préparer une réforme dans notre Ordre même.

La cause fut vite gagnée, et la Mère Thérèse, au comble de la joie, dit en plaisantant de la haute stature du P. Antoine et de la petite taille du P. Jean :

- Allons de l'avant, nous avons un frère et demi pour commencer la réforme !Sur ces entrefaites, don Raphaël Mexia Velasquez offrit à la Sainte une petite maison dans le

village de Durvelo ; le P. Jean partit aussitôt avec un ouvrier maçon, tandis que le P. Antoine allait résigner ses fonctions de prieur. Le porche de la maison fut converti en chapelle ; des croix de bois brut et des têtes de mort en étaient les seuls ornements. Un grenier, dans lequel on ne pouvait entrer qu'à genoux et qui était éclairé par un trou pratiqué dans le toit servit de chœur. Au-dessous du chœur était le dortoir. La vieille cuisine, divisée eu deux, servait à la fois de cuisine et de réfectoire. Dans ce réfectoire, un morceau de bois pour table, une cruche cassée pour bouteille et des morceaux de calebasse pour verres formaient tout l'ameublement.

Une fois installé, le P. Jean bénit le nouvel habit que lui avait remis sainte Thérèse, s'en revêtit, s'imposa l'obligation de marcher sans sandales, ni alpargates, ni rien qui put protéger ses pieds, et célébra la sainte Messe. Quelques jours plus tard, arriva Antoine de Heredia, avec un Frère de chœur, et, le 28 novembre 1568, après la sainte Messe, les trois religieux, à genoux en présence du Très Saint-Sacrement, renouvelèrent leur profession et, renonçant à leurs noms de famille, s'appelèrent Antoine de Jésus, Jean de la Croix et Joseph du Christ, de sorte qu'ils complétaient à eux trois le nom de Jésus-Christ crucifié. La réforme du Carmel était commencée.

La réforme.

Don Alphonse Gonzalès, provincial des Carmes de Castille, vint, au nom du Supérieur général de l'Ordre, visiter le couvent de Durvelo. Il approuva toutes les mesures qu'on avait prises, puis nomma le P. Antoine de Jésus prieur, le P. Jean de la Croix sous-prieur et maître des novices, le Fr. Joseph du Christ procureur.

Bientôt, les novices accoururent ; il fallut transférer le couvent à Pastrana, et deux ans après, en 1571, le nouveau provincial, Pierre Fernandez, voyant l'influence du P. Jean de la Croix, le nomma recteur du collège d'Alcana. Les élèves étaient si fervents que, parmi eux, s'établit ce proverbe : religieux et étudiants, mais religieux avant tout. Elue prieure du couvent de l'Incarnation d'Avila,

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sainte Thérèse demanda le P. Jean de la Croix pour confesseur et l'obtint ; arrivé à Avila au commencement de 1572, il y resta jusqu'au mois de décembre 1577. C'est dans ces instructions simples et profondes du Père et de la Mère que s'établirent les grandes traditions du Carmel. Conversant un jour avec la prieure des beautés et des lumières de la grâce, le P. Jean de la Croix se sentit transporté d'amour pour Notre-Seigneur ; il essaya de vaincre ses transports et se cramponna à la chaise, mais rien ne put résister à l'élan de la grâce ; il s'éleva vers le plafond, emportant son siège, tandis que, de l'autre côté de la grille, la Sainte s'élevait dans un ravissement semblable. Un grand nombre de Sœurs furent témoins de ce prodige. Une autre fois, pareille chose étant sur le point de se produire, sainte Thérèse lui dit en simplicité :

- Serait-ce encore un ravissement ?- Je crois que oui, répondit humblement le Saint.

Les épreuves.

De toutes parts, on proclamait les bienfaits de la réforme et on vantait les mérites de son principal instrument. Les Carmes non réformés en prirent ombrage. Leur commissaire général, Jérôme Tostado, craignit une innovation dangereuse, et dénonça le P. Jean de la Croix au Chapitre de Plasencia, qui le condamna comme déserteur et rebelle et décréta contre lui les peines les plus sévères, s'il ne s'humiliait publiquement et ne renonçait à ses projets scandaleux. Rien ne put ébranler la résolution de l'humble fils de sainte Thérèse, il annonça qu'il obéirait, même au péril de sa vie s'il le fallait, à ce qui était pour lui la volonté de Dieu. Dans la nuit du 3 au 4 décembre 1577, une bande de forcenés enfonça la porte de l'aumônerie de l'incarnation, s'empara du P. Jean, et l'emmena au couvent de Tolède, où il fut mis en prison dans un réduit obscur, étroit et sans air. Toutes les souffrances lui furent infligées. Un jour que son âme écrasée se plaignait avec angoisse de l'état d'abandon où elle languissait, une douce et brillante clarté vint illuminer sa prison, et la voix du Seigneur se fit entendre :

- Ne crains rien, Jean, je suis ici et je te délivrerai.Le prieur, entrant dans le cachot avec deux autres religieux, trouva le serviteur de Dieu, à

genoux et si absorbé qu'il ne fit pas attention à sa présence. Croyant à de la mauvaise volonté, il lui en fit de cruels reproches.

- A quoi pensiez-vous donc ?- Je pensais que c'est demain l'Assomption de Notre-Dame, et que je serais grandement consolé

de célébrer la sainte Messe.- Jamais ! réplique le prieur en fermant la porte.La nuit suivante, la Sainte Vierge apparut au milieu d'une légion d'anges et consola le

réformateur par ces douces paroles :- Prends patience mon fils, tes souffrances finiront bientôt. Tu sortiras de cette prison et tu auras

la consolation de célébrer la Messe.

La délivrance.

Huit jours ne s'étaient pas écoulés que Jean, emporté par une force invincible, se trouvait libre dans les rues de Tolède. Il courut aussitôt au couvent des Carmélites déchaussées, où une pauvre malade demandait en toute hâte un Père pour la confesser. Tandis qu’il remplissait ce ministère, les gardiens, s'étant aperçus de sa fuite, accouraient pour le reprendre ; mais, ne l'ayant pas trouvé dans l'église, ils s'en retournèrent, convaincus que leur prisonnier avait dû quitter la ville. La nouvelle de sa délivrance fut une immense joie pour sainte Thérèse.

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Les Pères de la réforme se réunirent autour de lui, en Chapitre le 9 octobre 1578, au couvent d'Almadovar, et résolurent d'envoyer à Rome, pour plaider leur cause, le prieur du Calvaire en Andalousie. Cette démarche prématurée faillit tout compromettre et sans l'intervention du roi Philippe II, la réforme aurait vécu. Après bien des démarches, Grégoire XIII finit par consacrer le nouvel état de choses, par un Bref du 27 juin 1580. Mais ce fut seulement en 1587 que Sixte-Quint autorisa les Carmes déchaussés à former des provinces séparées. Et en 1593 Clément VIII prononça l'entière séparation des réformés des autres Carmes.

La sainteté.

La nourriture de la communauté, c'était du pain et des herbes sauvages, et, comme les Frères ne savaient pas discerner les herbes saines, des herbes malfaisantes, un âne fut chargé de ce choix et surnommé le connaisseur. Un jour, le pain vint à manquer ; le P. Jean, joyeux, fit un beau sermon à ses enfants, qui se retirèrent tout heureux de comprendre le prix de la pauvreté ; mais ils étaient à peine rentrés au chœur pour prier que le Fr. Brocard de Saint-Pierre vint annoncer qu'un étranger apportait une charge de provisions avec une lettre. Le prieur fondit en larmes en lisant cette lettre, et comme le Frère étonné, lui en demandait la cause :

- Je pleure, lui répondit-il, parce que nous avons si peu de courage, que Dieu n'a pas même assez de confiance en nous pour nous laisser jeûner un jour entier.

Il n'était plus sur la terre. Tout le monde en était frappé. Un jour qu'il avait eu deux extases en une seule conférence, il essaya de donner le change et dit :

- Avez-vous vu combien j'ai été appesanti par le sommeil ?Etant prieur à Baëja, il fut saisi après la communion et resta immobile, le calice à la main.

Revenu à lui, il dut rentrer à la sacristie épuisé.- Qu'on fasse venir les anges pour achever cette Messe, s'écria une sainte femme, la mère

Penuala ; eux seuls peuvent la continuer avec autant de dévotion que ce Saint, qui en est incapable.Nommé prieur de Grenade, puis définiteur de l'Andalousie, le 11 mai 1585, il aspirait toujours à

la solitude.- Etes-vous fils d'un laboureur, lui répliqua un jour le provincial, que vous ayez un goût si

prononcé pour les champs ?- Pardon, mon Très Révérend Père, reprit le serviteur de Dieu, je suis beaucoup moins encore,

je ne suis que le fils d'un pauvre tisserand. Que d'occasions de souffrances dans ces voyages multipliés pour accompagner les Carmélites

dans leurs fondations de Malaga, de Madrid, de Mancha-Réal, de Caravaca, etc., ou dans les visites des maisons de l'Ordre ! Jamais il n'emportait de provisions, et toujours la régularité la plus parfaite régnait en route. Les dangers, les accidents abondaient dans le voyage, mais les miracles s'épanouissaient sous ses pas, comme les fleurs de la sainteté. Dieu va mettre le comble à ses faveurs. Etant au couvent de Ségovie, après une longue extase, devant une image de Jésus portant sa croix, Jean entendit une voix qui l'appelait :

- Frère Jean ! Il essaya de fuir, mais la voix poursuivit :- Frère Jean ! Frère Jean !Me voici, Seigneur.- Quelle récompense veux-tu pour ce que tu as fait et souffert pour moi ?- Souffrir, Seigneur, et être méprisé pour vous.Prière surprenante, que Dieu ne tarda pas à exaucer. Quelque temps après, des difficultés étant

survenues entre la consulte de l'Ordre et les Carmélites, le P. Jean soutint les Carmélites et dut

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renoncer à toute charge de l'Ordre.

Ses écrits.

Il se retira joyeux au sanctuaire de la Penuela, dans l'Andalousie. C'est là qu'il composa la Montée du Carmel, la Nuit obscure, le Cantique spirituel, la Vive flamme d'amour, et plusieurs autres ouvrages spirituels. Il les avait ébauchés dans sa prison de Tolède, où pénétrait à peine la lumière de la terre, mais que remplissait la clarté du ciel. A propos de leur réédition, sous le titre d'œuvres spirituelles, Pie X faisait écrire, le 20 octobre 1912, que c'étaient des « livres pleins d'une céleste sagesse et d'utiles enseignements pour les âmes désireuses de perfection chrétienne ».

Sa mort.

Le fruit était mûr, le Maître pouvait le cueillir. Il lui envoya une fièvre violente compliquée d'une grave inflammation à la jambe droite. Dans l'espoir de guérir ce mal, le prieur du couvent fit des instances auprès du P. Jean de la Croix pour le déterminer à partir pour Baëja ; mais, dans son amour pour la souffrance, le malade choisit un couvent plus pauvre, celui d'Ubeda, et un Frère se mit en devoir de l'y conduire. La maladie faisait des progrès effrayants ; le long des jambes s'ouvrirent cinq plaies en forme de croix. Il fallut bientôt recourir aux opérations, et les médecins pratiquèrent de profondes incisions depuis le pied jusqu'au genou, de façon à mettre l'os complètement à nu. Plus on le torturait, plus il encourageait les médecins :

- Ne craignez rien, leur disait-il, enfoncez plus avant s'il le faut, je ne désire rien tant que de faire la volonté de mon Sauveur Jésus.

Cependant, les forces s'épuisaient et Marie vint annoncer à son fils qu'elle viendrait le quérir le samedi dans l'octave de son Immaculée-Conception.

Le jeudi 12 décembre 1591, il reçut le Viatique ; alors, les assistants le prièrent de leur partager les objets à son usage : habits, courroie, bréviaire, rosaire… mais il leur répondit :

- Je suis pauvre, je n'ai rien à moi, tout appartient à mon supérieur, c'est à lui qu'il faut le demander.

Puis, joignant l'exemple aux paroles :- Mon Père, je conjure notre Révérence de me faire, pour l'amour de Dieu, l'aumône d'un habit

dans lequel je puisse être enseveli.Dans la matinée du vendredi, le P. Jean de la Croix avait annoncé qu'il mourrait le lendemain.

Le soir, sur les 8 heures, il demanda l'Extrême-Onction, qu'il reçut avec de grands sentiments de componction, en répondant à toutes les oraisons. Le Père provincial et tous les religieux de la communauté voulaient rester auprès de lui. Mais le malade les pria avec instance d'aller se reposer, leur assurant qu'ils en avaient le temps et promettant de les faire avertir au moment opportun. Après leur départ, il prit son Crucifix, qu'il se mit à baiser en murmurant des oraisons jaculatoires.

Vers 9 heures, il entra en oraison. Puis, quelques temps après, il s'assit et récita, en compagnie du Frère infirmier, plusieurs psaumes et le Cantique des cantiques.

Au moment de paraître devant le souverain Juge, c'était un amour plein de confiance et l'ardent désir de s’unir pour jamais à Dieu qui emplissaient l'âme de Jean de la Croix.

A 11h½ du soir, il fit prévenir la communauté. Celle-ci arriva au chevet du mourant au grand complet. Les religieux récitaient les prières de la recommandation de l'âme, lorsque l'horloge fit entendre les douze coups de minuit. Un Frère sort aussitôt tinter Matines. Sur ce, le malade prononce d'une voix forte :

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- Gloire à Dieu !Puis, promenant les yeux sur l'assistance et la bénissant, pour ainsi dire, du regard, il prit son

Crucifix, le porta une dernière fois à ses lèvres en disant : « Seigneur, je remets mon âme entre vos mains », et, au même instant, il expira.

Comme il l'avait prédit, il mourait à la première heure du samedi 14 décembre 1591. Il était âgé de quarante-neuf ans et en avait passé vingt-huit dans la vie religieuse, dont vingt-trois dans la réforme.

Son culte.

De nombreux miracles s'opérèrent à son tombeau, d'abord à Ubeda, puis à Ségovie où son corps fut transporté. Clément X déclara Jean de la Croix bienheureux, le 21 avril 1675, et Benoît XIII l'a canonisé, le 26 décembre 1726. Sa fête fut fixée non au 14 décembre, mais au 24 novembre, et Clément XIV, le 9 septembre 1796, l'éleva au rite double. Le 24 août 1926, Pie XI l'a proclamé Docteur de l'Eglise universelle, à cause de la profondeur de ses écrits, qui en font un maître incontesté de la mystique.

A.R.

Sources consultées. – Vie et œuvres de saint Jean de la Croix, traduction nouvelle de l’édition de Séville de 1792. – Mgr Demimuid, Saint Jean de la Croix (Collection Les Saints). – (Alphonse David, Saint Jean de la Croix (Revue Notre-Dame, Bonne Presse, 2 nov. déc. 1926). – ( V.S.B.P., n° 9.)

SAINTE CATHERINE D'ALEXANDRIEVierge et martyre, patronne des jeunes filles et des philosophes

(289 ?-307?)

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Fête le 25 novembre.

Peu de Saintes ont été populaires à l'égal de sainte Catherine, et l'iconographie est là pour en témoigner : seule parmi tous les habitants du paradis, on la voit apparaître dans les vieux vitraux avec la triple auréole : l'auréole blanche des vierges, la verte des docteurs et la rouge des martyrs. Les Primitifs et les plus grands peintres de la Renaissance se sont inspirés de sa vie pour composer d'immortels chefs-d'œuvre. Qui ne connaît, au moins de nom, ou popularisés par la gravure, les innombrables Mariages mystiques de sainte Catherine, et signés des plus grands noms de la peinture Hans Memling, Corrège, Rubens, Titien, Bernardo Luini, Filippo Lippi.

Une Patronne très honorée.

Surtout du haut moyen âge à la Renaissance, Catherine vit plus de trente corporations la choisir pour patronne, et cela pour un motif que nous exposerons plus loin : meuniers, charrons, rémouleurs, tourneurs et potiers, cordiers et fileuses, corroyeurs, tanneurs, bourreliers et cordonniers, miroitiers, étaimiers et plombiers, drapiers aussi. Les philosophes à leur tour, et sous ce nom il faut comprendre tous les intellectuels, et en particulier les étudiants, se sont cru de très anciens droits sur elle. N'avait-elle pas confondu cinquante philosophes par la sagesse de ses réponses !

Mais elle fut surtout, et elle reste toujours, la patronne des jeunes filles, d'abord parce qu’elle honora leur âge par sa vertu – Catherine signifie pure, et aussi parce qu'elle fut la fiancée du Christ, qui lui mit au doigt l'anneau nuptial. C'est aux jeunes filles qu'il fut toujours réservé de poser sur la tête de la vierge d'Alexandrie la couronne symbolique, et ce privilège disparaissait le jour où la jeune fille se mariait. De là l'expression commune de « coiffer » ou de « ne plus coiffer sainte Catherine », expression dont le vrai sens s'est un peu déformé de nos jours. Les Français ont un motif particulier d'honorer sainte Catherine lorsque tant de chefs-d'œuvre qui parlent d'elle auront disparu, sa filleule et sa confidente, Jeanne d'Arc, apprendra la gloire de Catherine aux fidèles des derniers jours. Est-il un enfant chrétien de France qui ignore que sainte Catherine fut l'une des Saintes dont les «Voix » guidaient la vierge de Domremy ? 

« Pourquoi, demandaient les juges du procès de Rouen à la Pucelle, pourquoi regardez-vous, en allant à la guerre, l'anneau qui portait les noms de Jésus et de Marie ? » Et Jeanne de répondre : « Par plaisance, et parce qu'ayant cet anneau à la main et au doigt, j'ai touché sainte Catherine qui m’apparaissait. »

Par ailleurs, on sait que ce fut au sanctuaire de « Madame sainte Catherine », à Fierbois, diocèse de Tours, que la libératrice de la France vint, en 1429, chercher l'épée marquée de cinq croix et miraculeusement trouvée, sur ses indications, dans ce sanctuaire, comme ses Voix le lui avaient promis.

Les trois chapitres de son histoire.

Et cependant, si populaire que soit l'histoire de sainte Catherine, il faut reconnaître qu'il n'y en a guère de moins connue dans les premiers siècles qui ont suivi les persécutions. Les Bollandistes disent qu'on n’a le droit de rien affirmer sur elle avec quelque vraisemblance. Tout ce qu'on peut

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dire, c'est que le culte de sainte Catherine eut pour foyer le mont Sinaï, où, dit le Jésuite Bollandus, son corps fut porté, sans qu'on puisse dire ni en quel temps ni par qui. On donne pour père à Catherine, Costus, roi de Cilicie, et pour mère Sabinelle, fille d'un grand prince des Samaritains. Elle naquit vers l'année 289. C'est tout ce qu'il est permis de conjecturer sur sa vie. Mais de la merveilleuse légende qu'à partir du VIIIe siècle lui ont amoureusement tressée des mains inconnues, nous pouvons faire trois chapitres, ou plutôt trois chants : l'anneau, le tournoi philosophique, la roue du martyre, telles sont les trois parties de ce poème historique, si divin et si humain qu'il apparaît plus vrai que l'histoire elle-même.

L'anneau.

Alexandrie, où fut élevée sainte Catherine, était alors une des villes les plus savantes du monde. Elle est restée fameuse par son école de philosophes, dite Ecole d'Alexandrie, et par sa célèbre bibliothèque, fondée par les Plolémée. La noble vierge y fut instruite dans toutes les sciences profanes. Costus étant mort, la reine Sabinelle alla résider en Arménie où vivait un pieux et vieil ermite nommé Ananias. Bien que sympathique à la foi chrétienne, Catherine, douée d'un esprit curieux, mais fière et raisonneuse, ne dédaignait pas de défendre la cause païenne, usant de syllogismes subtils et captieux où la bonne Sabinelle, plus pieuse que savante, se trouvait vite embarrassée. Entre temps, la merveilleuse beauté de Catherine et la renommée de sa science suscitaient autour d'elle des partis superbes et princiers. A leurs propositions, elle répondait avec hauteur : « L'époux que vous me proposez est-il aussi savant et aussi beau que moi ? » On la conduisit à l'ermite Ananias et celui-ci déclara qu'à son tour il avait un brillant parti à proposer à la jeune fille. Catherine lui répondit : « Avant de m'engager à l'époux que vous me destinez, je veux le voir ! – Mon enfant, répliqua le saint homme, la plus belle créature est vile devant lui. – Qu'importe, je veux le voir. – Soit, lui dit Ananias, cette nuit donc, tu resteras seule et sans ta chambrière, tu te mettras à genoux, tu invoqueras la Vierge et tu lui diras : Madame, Mère de Dieu, que votre grâce me permette de voir votre fils.

Catherine, fort intriguée, rentre chez elle, allume vingt flambeaux, pour accueillir dignement l'hôte qu'elle attend. Puis elle se met à genoux et cette païenne prie avec ardeur, en usant des mots que lui avait indiqués l’ermite. Alors parut, toute lumineuse, la Vierge Marie :   Ma fille, dit-elle, que me veux-tu ?

- Laissez-moi voir votre fils, - Je le veux bien, répond la Mère de Dieu, et aussitôt, soulevant sa chape, elle découvre son fils. - Le voici, le veux-tu ? Et Catherine, dans l'extase : Oh ! Mère, s'écria-t-elle, je ne suis digne

que d'être son esclave ! Alors, la Vierge, s'adressant à Jésus :- Et vous, mon Fils, la voulez-vous aussi ? - Non, elle est trop laide ! Sur quoi, la vision disparut, et Catherine resta seule, navrée de cette rude parole. Elle se croyait

si bien la plus belle créature du monde ! A peine le soleil leva, elle se rendit chez l'ermite et raconta ce qui s'était passé. Le vieillard sourit : Eh ! sans doute, ma pauvre enfant, ton corps est le plus beau du monde, mais ton âme est laide parce qu'elle est pleine d'orgueil. Puis il l'instruisit et la baptisa. Il lui recommanda de s'humilier et de renouveler sa tentative. De nouveau donc, la Vierge se montre avec son Fils.

- La voulez-vous, maintenant ? lui dit Marie. - Oui, car la voilà devenue toute pure et toute belle. Alors la Vierge offre un anneau à Cathe-

rine et fiance la jeune princesse au Roi du ciel. Telle est la tradition du « mariage mystique de sainte Catherine», de ce thème magnifique si souvent développé pour montrer les gloires de la virginité.

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Sainte Catherine et les philosophes.

Elle avait dix-huit ans, lorsque l'empereur Maximin convoqua par édit tous ses sujets, pour qu'ils offrissent aux dieux un sacrifice en reconnaissance de ses victoires. Il menaçait en même temps de mort les chrétiens qui refusait de sacrifier. Du fond de son palais, Catherine entendait les applaudissements et les chants de la foule. Se munissant du signe de la croix, elle se rendit avec quelques serviteurs au lieu du sacrifice. Elle aperçut alors un grand nombre de chrétiens qui obéissaient à l'édit par crainte des tourments. Elle en fut accablée. Alors elle alla droit à l'empereur : « Je rendrais hommage à ton rang, dit-elle, si tu n'étais abusé des faux dieux. » Et sur ce ton, elle se mit à discuter avec lui, lui proposant des conclusions qu'elle appuyait de syllogismes, et d'une foule de considérations allégoriques et mystiques. L'empereur était surpris et frappé de tant de science et de beauté. Elle dit encore beaucoup de choses sur l'Incarnation et la Rédemption et rendit raison de sa foi avec une telle vivacité et une telle grâce et tant de profondeur que l'empereur, tout hébété, ne faisait que la regarder, sans pouvoir lui dire un mot. Le voyant troublé et irrité, la vierge lui dit : « Je vous conjure, César, de ne point vous laisser emporter par la colère. » Et, citant un poète, elle ajouta avec une certaine coquetterie d'érudition et non sans ironie : « Le trouble ne convient pas au sage. Si c'est l'esprit qui gouverne en toi, tu es roi ; si c'est l'impression, tu n'es qu'un esclave !

- Je vois bien, reprit l'empereur, que tu veux me prendre par la ruse, en produisant ainsi l'autorité des philosophes. »

Il manda donc sur-le-champ cinquante grands orateurs et philosophes, à la cour d'Alexandrie, leur promettant de riches présents, s'ils arrivaient à convaincre cette jeune fille. Ils obéirent en inau-gurant, peu flattés de cette mission qui les opposerait à une femme pédante, pensaient-ils, et qui, au bout de sa courte science, avait toujours un esprit féminin. D'après eux, la réfuter ne serait qu'un jeu pour le dernier des écoliers.

Forts de leur supériorité intellectuelle et numérique, les cinquante maîtres s'assemblèrent donc ; tout Alexandrie accourut assister à cette joute d'un nouveau genre qui allait mettre aux prises l'élite des savants et une jeune fille de dix-huit ans ! Celle-ci se recommanda au Seigneur, et un ange se tint près d'elle pour la rassurer et la conforter. C'était saint Michel, précisément, l'archange redoutable à Lucifer et qui, plus tard, apparaîtrait à Jeanne d'Arc en la compagnie de sainte Catherine. Le débat s'engagea sur l'Incarnation. Les philosophes lui objectèrent qu'il est impossible qu'un Dieu se fasse homme et qu'il souffre. Catherine répondit en citant la fameuse page du philosophe grec, Platon, attribuant à Dieu la forme d'un corps humain, et elle rappela cette parole de la Sibylle : « Heureux le Dieu suspendu à un bois élevé ! » Et elle dit tout cela si clairement, avec tant de grâce, que les superbes philosophes acquiesçaient à tout ce que disait la vierge. Une quinzaine d'entre eux voulurent néanmoins descendre tour à tour dans la lice, armés jusqu'aux dents d'arguments qu'ils croyaient solides.

Les raisonnements s'entre-croisent comme des éclairs, retors et cauteleux d'une part, tranquilles et convaincants de l'autre. L'empereur et l'auditoire jugent les coups, mais les savants finissent par s'avouer vaincus par l'enfant de dix-huit ans.

Cependant, Maximin, fou de rage, fit dresser un bûcher et ordonna de brûler vifs au milieu de la ville les cinquante savants. Catherine les exhorta à mourir avec constance et les instruisit dans la foi. Une seule chose les attristait, c'était de mourir sans recevoir le baptême. Elle les consola d'un visage radieux, leur assurant que l'effusion de leur sang leur servirait de baptême. Ayant fait le signe de la croix, ils furent jetés dans les flammes et rendirent leur âme au Seigneur. Maximin, tout ensemble opiniâtre et décontenancé de sa défaite, essaya d’autres moyens et essaya de gagner Catherine par la feinte douceur et les flatteries. Ce fut peine perdue. Il lui promit d’abord le second rang à sa cour aussitôt après l’impératrice, une statue au milieu de la cité, et les hommages réservés aux déesses. Vains efforts ! Alors le tyran la fit précipiter dans une cave profonde et obscure, frapper de verges et priver de toute nourriture. Mais des anges venaient la visiter et une colombe lui apportait chaque jour des aliments. Ici apparaissent deux nouveaux personnages, l’impératrice Constance et

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Porphyre, aide de camp de l’empereur et son conseiller intime. Une nuit, la souveraine, accompagnée de l’officier, vint visiter Catherine, qu’elle aimait.

L'impératrice accompagnée du commandant de la milice impérialevisite sainte Catherine dans sa prison.

A peine arrivés au cachot, ces deux personnages y virent resplendir une indicible clarté. La vierge se mit alors à leur parler des joies éternelles avec une chaleur si entraînante, qu'à leur tour ils proclamèrent leur foi en face de Maximin et reçurent la couronne du martyre. Deux cents soldats suivirent leur exemple. Avant de mourir, ils avaient vu les cinquante philosophes martyrisés assis autour de Catherine. Des mains de l'un d'eux, celle-ci reçut une couronne qu'elle posa sur la tête de l'impératrice. Et les sages murmuraient : « Perle précieuse, gemme du Christ, bientôt va venir ton tour ; l'Époux divin va lui-même te recevoir aux portes de l'Eglise d'en haut, où les harpes célestes chanteront à tes oreilles les douces chansons de liesse. Tu vas entrer dans ce paradis, où la très noble compagnie des vierges, parmi les fleurs de lis, mêlées de roses vermeilles, suit l'Agneau partout où il va ! »

Sainte Catherine est condamnée au supplice de la roue.

L'empereur, dès lors, ne chercha plus que les moyens d'assouvir sa fureur. Un homme, vraiment animé d'un esprit diabolique, nommé Chursates, prévôt de la ville d'Alexandrie, vint lui faire ses offres de services. Il avait imaginé un instrument de torture inédit, épouvantable, auquel, disait-il, ne résisterait pas longtemps l'entêtement de cette femmelette, voici en quoi consistait l'appareil. Il était fait de quatre roues, dont les jantes étaient armées tout autour de clous aigus et de scies très effilées. Elles étaient disposées de telle sorte, que deux tournant dans un sens, les deux autres tour-naient en sens inverse. Appliquées sur le corps de la martyre, elles devaient le déchiqueter membre

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à membre. Mais quand on voulut faire manœuvrer les roues, un ange vint toucher cet appareil de torture et aussitôt les roues volèrent en éclats avec une telle impétuosité qu'elles tuèrent un grand nombre de païens qui étaient à l'entour.

Évidemment, ici, la Légende dorée a embelli l'histoire. Qu'était-ce que cette roue ? Les imagiers byzantins avaient représenté sainte Catherine sur une sphère, sans doute pour honorer la savante. Comment l'imagination populaire a-t-elle transformé cette sphère en une quadruple roue à scies ? Il est très difficile de faire le départ entre la légende et le fond de vérité historique. Quoi qu'il en soit, parmi tous les incidents dramatiques de cette histoire merveilleuse, aucun n'a fait plus d'impression, au moyen âge sur l'imagination populaire. On s'explique ainsi que sainte Catherine ait été prise pour patronne par tous les corps de métier où la roue a un rôle, comme celui des tourneurs. Les laines effilées dont la roue était armée ont été le prétexte invoqué par les travailleurs du cuir pour obtenir les faveurs surnaturelles et la protection de la vierge d'Alexandrie. Certaines adaptations nous paraissent peut-être plus ou moins approximatives. Mais pour la foi si profonde et si agissante du moyen âge qu'importait la justesse du symbole, quand la piété y trouvait son compte ? N'est-il pas d'ailleurs touchant de penser que la patronne des Sociétés savantes ait pu être en même temps celle des métiers les plus humbles, des plus modestes artisans !

Dernière prière et mort de sainte Catherine.

L'impératrice Constance, ayant été mise à mort en même temps que Porphyre, l'officier du palais, la place restait vacante sur le trône pour une nouvelle souveraine. Ainsi pensait Maximin : « Bien que tu aies séduit l'impératrice par la magie, dit-il à Catherine, si tu veux changer de sentiments, tu seras la première dans mon palais. Choisis donc, ou de sacrifier, ou d'avoir la tête tranchée. » La réponse de la vierge n'était pas douteuse. Arrivée au lieu du supplice, elle demanda aux bourreaux quelques instants de délai pour faire à Jésus une dernière prière qui nous est rapportée en ces termes :

O Jésus, dit-elle, je vous remercie d'avoir dirigé mes pas sur terre. Etendez maintenant ces mains qui ont été pour moi clouées à la croix, et recevez ma vie que je vous sacrifie. Souvenez-vous, Seigneur, que nous ne sommes que chair et sang, et ne permettez pas que les fautes que j'ai commises par ignorance me soient reprochées devant votre tribunal redoutable. Faites aussi que le corps de votre fiancée, qui a été déchiré pour vous, ô Jésus, ne reste pas au pouvoir de ces méchants. Regardez aussi avec clémence ce peuple qui m'entoure. Conduisez-le, Seigneur, vers la lumière de votre connaissance. Je vous conjure enfin, ô Jésus, que tous ceux qui feront mémoire de ma mort et m'invoqueront à l'heure de leur trépas ou dans toute autre nécessité ressentent les effets de votre miséricorde.

Une voix du ciel lui promit que tous ceux qui se réclameront d'elle auprès de Dieu auront le secours d'en haut. Et quand elle eut la tête tranchée, il coula de son corps du lait au lieu de sang. De là vient, dit un auteur, qu'elle est devenue aussi la patronne des femmes qui vont être mères et de celles qu'on appelait jadis « recommanderesses » et qui tiennent les bureaux de placement pour les nourrices. Puis. Dieu exauça le dernier vœu de sa petite Sainte. Les anges enlevèrent son corps et, le transportant dans les airs, le déposèrent, sur le mont Sinaï, à plus de vingt journées de marche d'Alexandrie. L'Eglise n'a pas dédaigné de s'emparer de ce fait pour composer l'oraison liturgique de la fête. Elle s'exprime en ces termes :

« O Dieu, qui avez donné la loi à Moïse sur le sommet du mont Sinaï, et qui avez fait porter au même lieu par vos saints anges le corps de la bienheureuse Catherine, vierge et martyre, faites, nous vous en supplions, que par vos mérites et son intercession, nous puissions parvenir à la montagne qui est le Christ.

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Le martyre de sainte Catherine arriva le 25 novembre, probablement en l'an 307.

Conclusion.

Sauf la partie qui a trait au « mariage mystique », élément que nous voyons apparaître dans l'hagiographie seulement en la première moitié du XVe siècle, le récit qui précède s'inspire en grande partie de la Légende dorée, recueil célèbre composé au XIIIe siècle par Jacques de Voragine, archevêque de Gênes. Un siècle et demi plus tard, le grand orateur populaire que fut saint Vincent Ferrier, Dominicain comme Jacques de Voragine, la proposa souvent aux foules qu'il enthousiasmait.

Sa fête avait été mise au calendrier par Jean XXII, vers 1335 ; saint Pie V l'éleva au rite double en 1568. Nous n'ignorons pas que dans cette biographie l'apport de la légende est immense ; plusieurs y ont trouvé un grand sujet de scandale. Réservons à la légende ce qui lui appartient ; sans négliger de recueillir les leçons morales que nous offre ce récit, on peut retenir deux faits qui obligeront les critiques à reconnaître que sainte Catherine a tenu sa place. Le premier, c'est le secours merveilleux qu'à l'époque des Croisades les croisés obtinrent par son intercession. Le second fait, strictement historique, ce sont les apparitions de sainte Catherine à sainte Jeanne d'Arc. Avec quel accent d'émotion celle-ci n'a-t-elle point parlé de ses chères « Saintes » ! « C'est leur conseil que je suivais », dit-elle. Or, ce sont ces « conseils » qui ont sauvé, en 1429, la France moribonde.

A.Poirson.

Sources consultées. – Jean Mielot, Vie de sainte Catherine d'Alexandrie (Collec- tion L'Art et les Saints, Paris). – (V.S.B.P., n° 146.)

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PAROLES DES SAINTS________

Utilité de l'hiver.

Je vois que toutes les saisons de l'année se rencontrent dans votre âme que tantôt vous sentez l'hiver, les stérilités, distractions, dégoûts, tourments et ennuis, tantôt les rosées du mois de mai avec l'odeur des saintes fleurs, tantôt les ardeurs du désir de plaire à Dieu. Il ne reste plus que l'automne dont, dites-vous, vous ne voyez guère les fruits. Mais il arrive souvent qu'en battant les blés et en pressurant les raisins, on trouve plus de bien que ne promettaient les moissons et les vendanges. Vous voudriez bien que tout fut printemps ; mais non, il faut de la vicissitude à l'inté -rieur aussi bien qu'à l'extérieur. Ce sera au ciel que tout sera un printemps quant à la beauté, tout

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sera automne quant à la puissance, tout sera été quant à l'ardeur de la charité. Il n'y aura nul hiver ; mais ici-bas l’hiver est nécessaire pour l'exercice de l'abnégation et de mille petites vertus qui s'exercent au temps des frimas. Allons toujours notre petit pas pourvu que nous ayons l'affection bonne et résolue, nous ne pouvons que bien aller.

Saint François de Sales.

SAINT LÉONARD DE PORT-MAURICEFrère Mineur (1676-1751).

Fête le 26 novembre.

Le grand missionnaire franciscain dont les prédications eurent une influence profonde en Italie, dans la première moitié du XVIIIe siècle, mérita cet éloge de la part de l'évêque de San Séverino, Mgr Pieragostini : « Le prédicateur Léonard est un lion (en latin leo), dont la bouche apporte le salut ; un nard précieux réjouissant toute l'Eglise par l'odeur de ses vertus. » Sous cette forme un peu maniérée, le prélat exprimait une double vérité : saint Léonard eut tout le zèle de l'apôtre et toutes les vertus du saint.

L'enfance.

Il naquit le 20 décembre 1676 à Porto-Maurizio ou Port-Maurice, en ltalie, diocèse d'Albenga,

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au rivage de la Méditerranée. La ville, située à une soixantaine de kilomètres de Nice, dépendait de la République de Gênes. Porté le jour même sur les fonts baptismaux, il y reçut les prénoms de Paul-Jérôme. Son père, Dominique Casanova, capitaine au cabotage, alliait une foi solide à une vertu sévère. Le petit Paul perdit sa mère dès l'âge de deux ans. Mais sa première éducation n'eut pas à en souffrir, grâce d'abord à ses grands-parents, puis à Marie Riolfo, que son père épousa en secondes noces. L’orphelin avait six ans quand cette femme le prit sous sa tutelle comme une mère.

Des quatre enfants qui naquirent de ce second mariage, deux s'enrôleront avec leur aîné dans la milice de saint François d'Assise, et une fille entrera chez les Dominicaines ; seul, le quatrième restera dans le siècle. De bonne heure, les qualités de Paul s'imposèrent à ses parents. En signe de prédestination, sa piété s'épanouissait surtout dans la dévotion à la Sainte Vierge. Il prenait plaisir à égrener le rosaire et à prier au sanctuaire de Notre-Dame des Plaines pour en conjurer le fléau des tremblements de terre. Envoyé à l'école publique de Porto-Maurizio, il y obtint de brillants et rapides succès. Aussi ses parents furent-ils d'avis de mettre à profit l'affectueuse hospitalité d'Augustin Casanova, son oncle paternel, richement établi à Rome, pour lui permettre de poursuivre ses études.

L'étudiant.

C'est à l'âge de quatorze ans que le jeune homme vint à Rome fréquenter les Universités. Son caractère ouvert, aimable et pondéré et sa belle intelligence lui gagnèrent vite l'estime et l'affection de ses maîtres. Dans ce milieu ardent d'étudiants de toutes nations et de toutes langues, où le mal les sollicitait sous plus d'une forme, il demeura toujours humble et modeste, ami de la discipline, empressé au travail, ne discourant jamais que sur les sciences et sur Dieu ; nous en avons le témoignage de son ami Pierre Miré ; avec lui, aux jours de congé, les promenades débutaient par le rosaire. Membre de la Congrégation des Douze-Apôtres, entre autres, que dirigeaient les Jésuites, il dut se livrer à certaines formes de l'apostolat laïque qui y était de règle, faire par exemple le catéchisme aux enfants, racoler les ignorants et les désœuvrés pour les conduire dans les églises entendre la parole de Dieu ; c'était un bon moyen de préservation personnelle, il l'a reconnu. Par ailleurs, il faisait ses délices des œuvres de saint François de Sales, et plus spécialement de l'Introduction à la Vie dévote.

La vocation.

Graduellement la pensée de se vouer au service de Dieu et de ne vivre que pour lui avait pris possession de son être. Quel vif émoi lorsqu'il s'en ouvrit à son directeur, le P. Grifonnelli, après une Confession générale où il pleura abondamment, sous l'explosion d'un indicible bonheur ! Toutefois il n'avait pas arrêté son choix, et il se demandait sous quel habit et sous quelle règle il réaliserait son rêve, lorsqu'un jour il voit passer dans la rue deux religieux à la tête rasée, les pieds nus, modestes et recueillis. Il marcha à leur suite jusqu'au couvent de Saint-Bonaventure, occupé par les Franciscains de la Stricte Observance, et entra dans la chapelle au moment où les religieux entonnaient le Converte nos, Deus, salutaris noster, des Complies ; « Convertissez-nous, ô Dieu, notre salut. » Ces mots provoquèrent comme un coup de foudre ; là serait pour le pieux étudiant le lieu du repos.

Confirmé dans sa décision par son directeur et les savants théologiens à qui il s'adressa, Paul Casanova avait à mettre au courant de sa décision l'oncle qui l'abritait depuis des années sous le toit familial. Quelle épreuve l'attendait là ! Son parent commença par se récrier, par faire des représentations, puis, voyant qu'il se heurtait à une résolution irréductible, il chassa bruyamment le jeune homme de sa demeure. En proie au plus profond chagrin, le malheureux Paul s'en va frapper à la porte de ses cousins, Léonard Pongetti et sa femme, respectivement gendre et fille d'Augustin

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Casanova ; tous deux l'accueillent avec bonté et empressement. Leur hôte en est tellement réconforté qu'au jour prochain où il revêtira la bure franciscaine, il voudra, en signe de gratitude, prendre le nom de son cousin, et c'est sous ce nom de Léonard, accolé au nom de sa ville natale, qu'il entrera dans l'histoire. Quant à Dominique Casanova, il ne put s'empêcher d'éclater en sanglots en apprenant la détermination de son enfant ; mais bientôt il se rendit à l'église, tenant en main la lettre de celui-ci, et c'est au pied du tabernacle qu'il voulut consommer son sacrifice.

« Va, écrivit-il à Paul, et obéis à la voix de Dieu.» Et peu après, l'étudiant remerciait son cousin Léonard Pongetti, disait adieu au P. Grifonnelli, son directeur, et, s'arrachant aux embrassements de Pierre Miré, il fuyait le siècle et courait s'enfoncer dans la solitude du noviciat de Ponticelli en Sabine, maison de récollection approuvée par un décret pontifical du 30 août 1662. Le postulant arrivait dans l'heureux asile au cours de septembre 1697 et y revêtait les livrées de saint François le 2 octobre suivant. Pendant un an, il allait s'appliquer avec ardeur à acquérir les vertus de son état et à imprimer à son âme le caractère de sa famille religieuse, la touche séraphique. Il fit profession le 2 octobre 1698. Avec le religieux, il fallait former l'homme apostolique. C'est l'œuvre propre du scolasticat, où Léonard passa six ans, dans l'étude assidue de ces grands maîtres que sont saint Bonaventure, le bienheureux Jean Duns Scot et saint Thomas d'Aquin, s'imposant à ses Frères comme un modèle dans la poursuite de la sainteté et dans l'étude des sciences sacrées, déjà entouré d'un prestige qui lui permettait d'exercer un véritable apostolat sur ses pairs. Vers la fin du scolasticat, il faillit, selon son désir, être désigné pour les missions de Chine.

Mais la Providence en avait décidé autrement, et il préluda à ses travaux de grand missionnaire de l'Italie lorsqu'il n'était encore que diacre, en prêchant le Carême aux trois cents jeunes filles de l'asile de Saint-Jean de Latran. Enfin, Léonard est prêtre en 1703, et il monte à l'autel ayant présent à son esprit saint François de Sales, en qui il voit le modèle du prêtre qui célèbre les saints mystères. Les supérieurs de Léonard pensèrent à faire du brillant étudiant un professeur : la chose était naturelle. Il fut donc chargé du cours de philosophie au couvent de Saint-Bonaventure. Le jeune maître y réussissait à merveille quand un mal redoutable vint mettre ses jours en péril : la phtisie. Il dut abandonner sa chaire et chercher la guérison dans un repos complet et un changement d'air. Mais en vain traîna-t-il son pauvre corps de Rome à Naples, puis de Naples à Port-Maurice ; le mal poursuivait sa marche implacable, quand, tout à coup, après une prière fervente et un vœu adressé à Marie, il disparut mystérieusement. Le jeune religieux était guéri ; il va devenir l'un des plus merveilleux missionnaires.

Le missionnaire.

Saint Alphonse de Liguori, son contemporain, l'appelle, en effet, « le grand missionnaire de notre siècle ». Léonard a consacré quarante ans de sa vie aux travaux de l'apostolat, et prêché plus de trois cents missions. Ce fut un travailleur acharné, dépensant ses forces jusqu'au bout. Il ne redoutait ni ne dédaignait aucun auditoire. Des Papes, des cardinaux, des évêques, des religieux, des professeurs d'Universités et leurs élèves, des officiers et leurs hommes de troupe, des filles perdues, des pauvres sont venus autour de sa chaire, l'écoutant avec une égale avidité.

Il est allé aux prisonniers, aux forçats, aux malades. Il a prêché dans les plus grandes villes : Rome, Florence, Gênes, et c'est un modeste village qui a eu les derniers efforts de sa voix. De véritables foules évaluées à quinze mille, vingt mille, et même trente mille personnes sont venues l'entendre, et recevoir la bénédiction papale qu'il donnait aux cérémonies de clôture. C'est à peine si, çà et là, quelques éléments épars ou en bloc ont résisté aux appels de son zèle. Et il a vaincu dans les circonstances les plus difficiles, et là même où la prudence humaine semblait l'inviter à ne rien tenter.

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Le carnaval à Gaëte et à Livourne.

Le missionnaire arrive à Gaëte, dans le royaume de Naples, à l'approche des réjouissances du carnaval. Gaëte est une ville de garnison, et on y compte cent cinquante officiers et cinq mille hommes de troupe. Des musiciens ont été appelés tout exprès de Naples pour assurer l'éclat des fêtes projetées. Et on murmure contre le missionnaire qui vient contrecarrer les plans établis. Plein de mesure et de modération, il s'en défend et se contente de prier qu'on veuille bien venir à la mission. On l'écoute de fait, et l'on est pris comme au piège, et les réjouissances échouent faute d'amateurs. Quand les officiers veulent donner leur première soirée, c'est à peine s'il s'y présente quelques dames, et on observe plaisamment que ce sont des plus âgées. Les officiers n'ont qu'à « battre en retraite » ; ils seront à la mission les assistants les plus assidus.

A Livourne, dans le duché de Toscane, c'est un succès analogue et dans des circonstances peut-être plus difficiles encore. Villeneuve, ramassis de gens de nationalités diverses dominé par l'élé-ment juif, Livourne est une sentine de vices. Léonard y arrive pareillement à la veille des dissipations du carnaval. Et tandis qu'on se demande dans son entourage s'il ne serait pas sage de différer la mission, l'apôtre en fait l'ouverture sur la place publique. Aussitôt les passions se taisent, les préparatifs du carnaval sont abandonnés, les théâtres fermés, et la mascarade remplacée par une procession de pénitence.

La mission de Corse.

Gênes domine mal cette île qui relève alors de sa puissance, et qui, profitant des guerres du continent, songe à secouer le joug sans savoir toutefois à qui se donner. L'incendie, le vol, l'assassinat, les rivalités mortelles de familles, les batailles rangées de factions adverses y portent au comble la désolation et la ruine, à ce point que des villages ont juré de s’entr’égorger jusqu’au dernier homme. Qui donc pourra faire luire un rayon de paix et de fraternité sur ce malheureux pays ? La République de Gênes fait appel à Léonard, qui est un orateur puissant, qu’on sait un ardent patriote, et chez qui on pressent un homme d’Etat ; le Souverain Pontife approuve et encourage. Le missionnaire partit pour l’île en 1744. Il prêcha, comme toujours, avec flamme et multiplia les exercices de mission. Spectacle nouveau, les hommes venaient souvent l’entendre tout armés. Mais ce n’était pas, comme cela s’est vu, pour se réconforter au pied des autels avant d’engager le combat contre l’ennemi du dehors qui s’attaque à la patrie ; ils étaient prêts à une lutte fratricide entre eux-mêmes. Or, dans ces circonstances, il y eut des pardons héroïques, des réconciliations émouvantes : des mères et des veuves pardonnaient au meurtrier d’un fils ou d’un mari.

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Un redoutable chef de brigands, surnommé « le Loup », se converti à la voix de saint Leonard.

Mais le missionnaire ne se contenta pas de prêcher , il pria. De plus, il recourut aux tracts, aux conversations particulières, il montra à ce peuple son amour en se dévouant, employant tous les moyens qu'inspirait la prudence humaine, établissant dans chaque commune quatre magistrats dont le rôle était de régler les différends, et faisant dresser, par-devant notaire, l'engagement de renoncer aux vengeances privées. Entre temps, il suggère au pouvoir central l'attitude et les mesures capables de ramener la paix dans l'île. Il conseille l'amnistie pour ceux qui rallieront le drapeau génois. Certes, cet homme d'Église a un sens profond du gouvernement des hommes et des choses de l'Etat. Les affaires avaient pris bonne tournure quand, hélas ! s'étant blessé dans une chute, le missionnaire fut obligé de reprendre le chemin de Gênes pour y recevoir des soins indispensables. L'une de ses plus belles conquêtes en Corse avait été la conversion d'un brigand redoutable qu'on appelait « le loup » ; il en fit une pacifique brebis du bon Dieu.

Le saint.

Le secret des succès missionnaires de Léonard ne fut pas dans le mérite littéraire de ses discours. Certes, il avait les dons de l'orateur populaire, la clarté dans l'exposition, l'image dans l'expression, la chaleur du débit, la force et la sonorité de l'organe, mais sa composition n'est pas exempte de traits apocryphes, d'interprétations forcées ni de mauvais goût. C'est à la sainteté de l'homme qu'il faut recourir pour avoir le secret de sa puissance.

Après avoir longuement prié et pleuré, il montait en chaire dans le feu de la contemplation des divins mystères ; et alors tout prêchait en lui, tout parlait au cœur, ses yeux encore baignés de larmes, son visage amaigri par le jeûne, la chaleur communicative de ses convictions.... Sentait-il dans son auditoire un certain mouvement de résistance à la grâce ? Il avait recours aux grands moyens. Du sang ! Du sang ! » s'exclamait-

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il ; et il se ceignait le front d'une couronne d'épines, se frappait les épaules avec des lames de fer et allait baiser les pieds des prêtres ; puis, les yeux voilés par les larmes et par le sang, demandait pardon à Dieu en face d'une assistance qui éclatait en sanglots… (Léopold de Chérancé.)

L'amour de Dieu et des âmes était le foyer ardent d'où procédaient ces signes extérieurs du zèle. La louange divine débordait de ses lèvres lorsqu'il allait à travers les champs : « Seigneur, laissez-moi vous louer et vous bénir. Laissez-moi vous offrir autant d'actes d'amour qu'il y a de feuilles dans les forêts, de fleurs dans les prairies, d'étoiles au firmament, de gouttes dans les fleuves, de grains de sable aux bords de la mer. » Et pour Dieu il aima les âmes, déployant pour les lui conquérir l'exténuante activités de sa vie missionnaire. Le divin Maître voulût manifester sa sainteté et le désigner aux regards et à la vénération des foules en mettant autour de son front l'auréole des miracles. En Léonard le thaumaturge fut vraiment aussi remarquable que le missionnaire. Il découvrait, les secrets des consciences, prédisait l'avenir, guérissait en grand nombre les infirmes et les malades. A Matelica, il rend la vue à Françoise Benigni, une pauvre mère de famille atteinte depuis plusieurs années de cécité. A San Germano la cloche se met à sonner d'elle-même le glas des pécheurs ; la grêle ravage les récoltes de la seule paroisse qui ait opposé à ses exhortations une indifférence glaciale.

Les infirmités. – Le jubilé de 1750.

Aux environs de 1740, Léonard, alors âgé d'environ soixante-quatre ans, se demanda s'il ne devrait pas abandonner le ministère des missions pour se préparer à la mort. Benoît XIV lui répondit en personne : «  Mon fils, vous êtes le soldat du Christ ! Un soldat doit mourir les armes à la main. Nous voulons qu'il en soit ainsi pour vous. » La joie du missionnaire en fut à son comble. Il redoublera d'ardeur, il prêchera pendant plus de dix ans encore.

Mais à la fin, épuisé, il s'évanouira maintes fois en chaire ; ses Frères le tireront par une corde pour l'aider à gravir quelque pente abrupte ou ils iront quérir une bête de somme pour le porter, trempé de pluie, enlisé dans des fondrières, au bout de sa course. Et il mourra, en effet, presque au soir de sa dernière mission. Gênes était devenue, après la guerre, le théâtre de bouleversements intérieurs peu propices au travail des missions. Aussi l'infatigable apôtre redescend-il vers le Midi. De 1746 à 1749, il évangélise tour à tour Ferrare, Bologne et plus de vingt autres villes ou bourgades. Nous le retrouvons à Rome au printemps de 1749. Benoît XIV, qui lui témoigna en maintes circonstances une touchante amitié, voulut qu'il préludât, dans Rome même, aux prédications du Jubilé qui approchait. Le grand prédicateur était avancé en âge et affaibli par tant de travaux ! N'importe, il n'était pas homme à refuser le travail, et en juillet il commença les prédications antéjubilaires sur la place Navone. Dès le premier jour de ces exercices, les Romains couvraient la place ; les cardinaux et les nobles affluaient aux balcons. Plusieurs fois le Pape lui-même vint entendre le sermon de l'humble et saint religieux, et il voulut donner en personne la bénédiction papale solennelle à la cérémonie de clôture.

Puis, après deux autres missions et plusieurs retraites prêchées avec un pareil succès, Léonard abandonna à d'autres prédicateurs les grandes tâches extérieures pour s'en aller dans la solitude se prêcher à lui-même et se préparer à l'indulgence du Jubilé. Il reparut à la fin de l'Année Sainte, à l'appel de Benoît XIV, pour en prêcher le triduum de clôture dans la grande église de Saint-André della Valle. Au lendemain du Jubilé il prêchait à l'érection « du chemin de Croix dans l'enceinte du Colisée ; il en avait fait son œuvre et c'est par là sans doute que son nom est resté célèbre près des Romains. Léonard était entré dans sa soixante-quinzième année, et Lucques, où il avait déjà prêché quatre missions, le réclamait encore avec instance pour gagner le Jubilé. Ce fut pour lui l'occasion d'une suprême tournée de missions. En vrai disciple de saint François d'Assise, il se sentit fort attristé de devoir la faire en voiture, mais la volonté expresse du Pape Benoît XIV, si paternelle et si

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humaine, l'exigeait ainsi. Et ce fut le village de Barbarolo qui reçut les derniers efforts du zèle de l'illustre missionnaire, à la fin de ce voyage rempli de pénibles et fructueux travaux. Il ne souhaitait plus que de mourir à Rome, à son couvent de Saint-Bonaventure.

Mort de saint Léonard. – Son culte.

Au cours des étapes qui l'y ramenaient, en traversant les Apennins il prit froid ; c'était le 22 novembre 1751. Le 23 à Foligno, en ramassant tout ce qu'il avait de force, il put encore célébrer la messe. Trois jours après, par Spolète et Civita-Castellana, il arrivait à Rome au soleil couchant et il y entrait irradié de joie, au chant du Te Deum alterné avec Fr. Diègo, son fidèle compagnon. On le descendit de voiture près du couvent et entouré de ses Frères, il exprima sa joie de mourir au milieu d'eux. Puis, tout entier tourné vers la céleste patrie, on l'entendit qui bénissait Dieu de sa vocation et conversait avec la Sainte Vierge, comme s'il l'eût vue des yeux de la chair. Et il s'éteignit doucement le même jour, un peu avant minuit, muni du Viatique et de l'Onction des mourants. C'était le 26 novembre 1751.

Pie VI proclama, le 16 février 1792, l'héroïcité de ses vertus ; ce même Pape voulut se rendre, le 2 août 1795, au couvent de Saint-Bonaventure pour y faire publier, dans la chambre même où Léonard était mort, le décret approuvant deux des miracles proposés pour la béatification ; le décret de tuto, qui ordonnait de publier les lettres de béatification, fut signé le 19 mars 1796. Saint Léonard fut canonisé par Pie IX, le 29 juin 1867, en même temps que vingt-deux autres Saints, dont son compatriote et contemporain saint Paul de la Croix, fondateur des Passionnistes. Sa fête se célèbre le 26 novembre ; le Propre du diocèse de Rome l'indique au lendemain.

On a gardé de saint Léonard de Port-Maurice, et publié après sa mort, beaucoup de sermons, de lettres, un recueil de méditations appelé La voie du Paradis, etc.

G. Hironde.

Sources consultées. – P. Léopold de Chérancé, Saint Léonard de Port-Maurice (1676-1751) (Paris). – Œuvres complètes du bienheureux Léonard de Port-Maurice…, précédées de sa vie, par le P. Salvator D’Orméa, traduites par F.I.S. Labis (Paris, 1858). – (V.S.B.P., n° 562.)

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SAINT MAXIMEAbbé de Lérins, puis évêque de Riez (400-460)

Fête le 27 novembre.

Maxime vit le jour dans la ville de Decomeum, aujourd'hui Château-Redon, près de Digne, en Provence, vers l'an 400. Ses parents, excellents chrétiens, mirent un grand soin et une vigilance pleine de dévouement à bien élever ce cher enfant que Dieu leur avait confié, à le conserver dans cette belle innocence dont son âme avait été revêtue au jour de son baptême, à lui apprendre enfin à se rendre digne du bienheureux et éternel héritage du ciel que le Père céleste lui avait promis en ce beau jour.

Son éducation.

Docile à une éducation aussi chrétienne, Maxime, encore enfant et jeune homme, était déjà un petit saint. C'est le témoignage que rend de lui Dinamius Patricius son plus ancien historien, qui lit un admirable tableau de ses vertus précoces, et ajoute naïvement que l'enfant faisait bien prévoir dès lors qu'il serait tout à fait digne de son nom par sa très grande grâce et sainteté dont, devait briller son âme ; Maxime, en effet, en latin Maximus, signifie très grand. D'une piété angélique, doux et modeste, humble et obéissant, charitable envers les pauvres, ami de la paix et de la retraite, il fuyait l'oisiveté, il aimait l'étude et se livrait souvent à de pieuses lectures pour s'instruire davantage dans les choses de Dieu ; son visage, où se reflétaient la gravité et la sérénité de son âme, inspirait déjà le respect. Encore dans le monde il ressemblait à un religieux. Quand vint l'âge où le monde semble offrir le plus d'espérance à la jeunesse, Maxime, renonçant à tous ses biens, quitta sa patrie et alla se faire religieux au monastère de Lérins. Etant encore dans sa famille, il avait déjà, avec la réflexion et la maturité d'esprit qui le distinguaient, fait le vœu de chasteté, il venait maintenant se consacrer

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entièrement à Dieu et compléter son sacrifice par l'obéissance et la pauvreté monastiques. Les choses de la terre lui paraissaient bien méprisables, dit son historien, quand il les comparait aux biens du ciel. D'ailleurs, Dieu à lui seul ne vaut-il pas infiniment plus que toutes les créatures ensemble ?

Près des côtes de Provence, non loin du rivage sur lequel la ville actuelle de Cannes sème ses nombreuses et riches villas, s'élèvent deux îles de peu d'étendue, ce sont les îles Lérins. Quand Maxime y aborda, il y a plus de quinze siècles, saint Honorat venait d'établir dans l'une d'elles une communauté de moines bientôt florissante et dans l'île voisine un couvent de religieuses s'était formé sous la direction de sainte Marguerite, sa sœur. Honorat, l'illustre maître que Maxime venait chercher pour se faire diriger dans les voies de la perfection, était déjà justement admiré dans les Gaules. Né à Toul d'une famille riche et noble, mais païenne, Honorat s'était fait chrétien malgré de grands obstacles ; il reçut le baptême avec sa sœur Marguerite et ensemble ils convertirent leur frère aîné Venantius. A la mort de leurs parents, ils distribuèrent leurs biens aux pauvres, et pour échapper aux louanges que leur attiraient leur générosité et leurs autres vertus, ils s'enfuirent à Mar-seille. Là, Honorat et Venantius, laissant Marguerite dans un couvent de religieuses, partirent avec le moine saint Capraise pour aller étudier la vie monastique auprès des illustres solitaires qui embaumaient alors l'Orient du parfum de leur sainteté.

Saint Venantius mourut en Grèce durant ce pieux pèlerinage ; mais la Providence avait déjà donné à Honorat comme un nouveau frère dans la personne d'un noble Assyrien nommé Jacques. Officier distingué dans les armées du roi de Perse et encore païen, Jacques s'était fait chrétien en voyant l'héroïsme des catholiques persécutés dans son pays. Pour suivre la religion véritable, il avait quitté son grade, ses biens, sa patrie, et s'était retiré sur le territoire de l'empire romain. Dans la ville de Nicomédie, en Asie Mineure, il eut le bonheur de connaître saint Honorat et s'attacha à lui. De retour en Provence, les deux pèlerins se lient d'une étroite amitié avec saint Léonce, évêque de Fréjus, originaire de Nîmes, et se retirent dans la solitude de Lérins, alors déserte et infestée de nombreux serpents, que la prière d'Honorat chassa miraculeusement dans les flots. De nombreuses vocations viennent bientôt augmenter la communauté naissante, on bâtit une église et un monastère, et saint Honorat, nouveau Moïse, fait jaillir une source d'eau douce d'un rocher où il n'y en avait point eu jusqu'alors.

L’île change de face, écrit Ch. de Montalambert, le désert devient un paradis. Une campagne bordée de profonds ombrages, arrosée d'eaux bienfaisantes, riches de verdure, émaillée de fleurs, embaumée de leur parfum, y révèle la présence féconde d'une race nouvelle. Honorat, dont le beau visage rayonnait d'une douce et attrayante majesté, y ouvre les bras de son amour aux fils de tous les pays qui voulaient aimer le Christ ; il lui arrive en foule des disciples de toutes les nations. L'Occident n'a plus rien à envier à l'Orient, et bientôt cette retraite, destinée, dans la pensée de son fondateur, à renouveler sur les côtes de la Provence les austérités de la Thébaïde, devient une école célèbre de théologie et de philosophie chrétienne, une citadelle inaccessible aux flots de l'invasion barbare, un asile pour les lettres et les sciences qui fuyaient l'Italie envahie par les Goths, enfin une pépinière d'évêques et des saints qui répandirent sur toute la Gaule la science de l'Evangile et la gloire de Lérins.

Les moines apôtres.

Tel était le monastère de Lérins où Maxime était venu embrasser la vie religieuse. Parmi les Frères, avec Vincent de Lérins et Salvien, dont nous admirons encore les savants et vigoureux écrits, se trouvaient saint Eucher, plus tard archevêque de Lyon ; saint Hilaire, plus tard archevêque d'Arles ; saint Loup, qui fut ensuite évêque de Troyes et sauva sa ville épiscopale des mains du farouche Attila qui ravageait la Gaule à la tête de sept cent mille barbares. Beaucoup d'autres furent également appelés à gouverner des diocèses ; ainsi Valérianus devint évêque de Cimiez et de Nice, Aurélius, évêque de Fréjus, Salonius, évêque de Genève, Véranus, évêque de Vence. Honorat, ce

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maître admirable dans la science de la sainteté monastique, formait encore plusieurs de ses disciples à l'apostolat, œuvre d'autant plus nécessaire que l'empire romain s'écroulait alors en Occident, envahi de toutes parts par les peuples barbares, les uns païens, les autres hérétiques.

Heureusement pour l'humanité, l'Eglise catho- lique était là pour adoucir et civiliser peu à peu les vainqueurs en les convertissant, pour garder en ses monastères le trésor des sciences et des lettres, et faire l'éducation de grandes nations modernes. Honorat sortait quelquefois de Lérins pour évangéliser avec quelques-uns de ses moines les campagnes qui s'étendent entre le Rhône et les Alpes. Dans une de ces excursions apostoliques, Jacques et Maxime l'accompagnent et viennent prêcher aux montagnards des Alpes Grées parmi lesquels il y avait encore de nombreux païens qui rendaient un culte spécial au serpent.

Les missionnaires eurent plus d'une fois à souffrir persécution, mais leur apostolat porta cepen-dant des fruits durables. Chassés d'une vallée, ils prêchaient dans une autre. Réfugiés quelque temps dans la vallée de Luce, appelée ainsi sans doute à cause de ses forêts qui sont encore une de ses richesses (lucus, bois), ils y forment une chrétienté qui deviendra florissante. Et plus tard, la principale paroisse de cette vallée, que son remarquable château fera nommer la vallée de Beaufort, prendra pour patron saint Maxime, pendant qu'une paroisse voisine se mettra sous le patronage de saint Jacques. Les guerres causées par l'invasion des Burgondes interrompent les travaux des missionnaires qui rentrent à leur abbaye de Lérins. Jacques ne tarda pas à revenir avec plusieurs prêtres fonder définitivement le diocèse de Tarentaise dont il fut le premier évêque (420-429). Peu après, Honorat, choisi malgré lui pour devenir archevêque d'Arles, désignait Maxime pour lui succéder dans le gouvernement de l'abbaye de Lérins, en 426.

Saint Maxime abbé de Lérins.

Le nouveau supérieur était digne de son maître, et l'abbaye continua à fleurir sous sa prudente et sage direction.

Entre toutes les retraites habitées par les pieux serviteurs de Jésus-Christ, j’aime et j'honore ma chère Lérins, écrivait saint Eucher, arraché à cette solitude pour être élevé sur le siège épiscopal de Lyon. Elle méritait de fixer le choix d'Honorat, ce père des Saints, ce fondateur en qui revit la majesté des patriarches et des apôtres. Maintenant Honorat est devenu le pontife d’Arles. Mais Lérins a gardé Maxime, grand par cela seul qu’il fut jugé digne de succéder à Honorat dans le gouvernement des monastères… O bon Jésus ! quels Saints, quels anges, j’ai vus là ! le parfum répandu du vase d’albâtre évangélique n’exhalait pas une plus suave odeur. C’était comme une atmosphère de vie céleste. Le rayonnement de l'homme intérieur illuminait les visages. Étroitement unis dans la charité, déférents par l'humilité, d'une piété tendre et d'une espérance invincible, leur démarche était modeste, leur obéissance rapide, leur abord silencieux, leur regard plein de sérénité. On eût dit un bataillon de l'armée des anges. Ils ne convoitent rien, ne désirent rien, si ce n'est le Dieu qu'ils désirent encore tout en le possédant. Ils aspirent à la vie bienheureuse et ils l'ont déjà. Ils s'élancent vers le ciel et le ciel est chez eux. Il n'est pas jusqu'au travail qui ne soit pour eux une source immense de joie, puisqu'en s'y livrant ils trouvent le Dieu qui doit en être la récompense. O Hilaire, mon bien-aimé, quel n'est pas votre bonheur au milieu de cette céleste colonie  ! Je vous en supplie, ne perdez pas la mémoire d'un misérable pécheur tel que moi, et recommandez ma faiblesse aux prières de ces Saints. Comme Israël vous habitez le désert, afin d'entrer avec Jésus dans la terre des promesses. Adieu en Jésus-Christ Notre Seigneur.

Le prêtre hilaire à qui était adressée cette lettre touchante devait plus tard succéder à saint Honorat comme archevêque d'Arles.

Le signe de la croix et les démons.

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La sollicitude paternelle de Maxime dans le gouvernement de ses moines était vraiment admirable. Son historien nous raconte comment chaque nuit, pendant que les Frères dormaient, il visitait tout le monastère afin de s'assurer que tout était tranquille et en repos. Une nuit, un jeune religieux l'aperçut, et poussé par la curiosité, il se mit à le suivre sans bruit. Le saint abbé continuait sa marche quant tout à coup le démon, sous la forme d'un monstre affreux et tout de flamme, se dresse sur son chemin. Le petit moine, saisi d'une indicible épouvante, s'enfuit en courant dans sa cellule et tombe sur son lit, en proie à une fièvre ardente. Maxime, sans s'émouvoir, fait le signe de la croix, et le dragon de feu disparaît. Sa tournée finie, il vient voir le jeune malade, prie près de son lit et lui obtient une parfaite guérison. Une autre nuit, comme il faisait ainsi le tour du monastère, le Saint aperçoit sur la mer un splendide vaisseau. Deux étrangers débarquent, s'approchent de lui, le saluent avec des apparences d'incroyable respect, et lui faisant des compliments inouïs sur ses vertus, ils l'invitent à monter sur leur navire pour le conduire, disent-ils, à Jérusalem, où tout un peuple l’attend pour l’honorer.

- La malice de l’imposteur Satan ne saurait nuire aux soldats du Christ, quand Dieu les éclaire, répondit avec dédain Maxime.

Puis il fit le signe de la croix et toute cette fantasmagorie diabolique disparut dans les flots. Si, heureux de ces louanges perfides, l’abbé de Lérins s’était livré à eux, ils l’auraient sans doute jeté à la mer. Rentré au couvent, il donna le signal de Matines, et avec ses religieux chanta avec plus de ferveur que jamais les louanges de Dieu, vainqueur de l’enfer.

Saint Maxime évêque de Riez.

Cependant, la renommée de l’abbé de Lérins se répandait au loin, et beaucoup d’églises auraient voulu pour pasteur cet homme admirable, placé, dit un contemporain, comme un phare sur une montagne pour diriger les âmes vers le ciel, et dont le visage vénérable rappelait la douceur de

saint Pierre unie à la majesté de saint Paul. L’évêque de Fréjus étant mort, les prêtres de cette Eglise

se hâtent de voguer

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Une nuit saint Maxime aperçoit sur la mer un vaisseau. Deux étrangers en débarquent et s'approchent de lui.

vers Lérins ; déjà ils débarquent près du monastère. Maxime les aperçoit, il s'échappe à la hâte et va se cacher au milieu des rochers de la petite forêt de l'île. Pendant trois jours et trois nuits on ne sait ce qu'il est devenu, on le cherche sans le trouver. Or, dit, un de ses disciples dont nous possédons encore un discours à la louange du Saint, il faisait un temps affreux, et j'en fus témoin ; une pluie intense au milieu d'un brouillard épais détrempait le sol, les moines étaient dans une grande inquiétude au sujet de leur abbé. Enfin, les prêtres de Fréjus, désespérant de trouver l'humble fugitif, s'éloignent et vont choisir un autre évêque, et l'abbé revient tout joyeux à son monastère. La Providence cependant le voulait évêque, non pas de Fréjus, mais d'une autre église. Voici qu'arrivent les envoyés de la ville de Riez qui le veut pour pasteur. Maxime s'enfuit sur une barque et vient chercher un refuge sur la côte de Provence. On le poursuit, on le cherche, on le découvre, on l'amène en triomphe à Riez et il est sacré évêque au milieu de la joie universelle. C'était en 433. Se conformant à la volonté de Dieu, il se dévoue tout entier au salut de ses diocésains et dépasse tontes les espérances qu'on avait fondées sur lui. Sur le trône épiscopal il continue à vivre comme un moine, comme en son abbaye de Lérins, en toute pauvreté, humilité, austérité. Il jeûne souvent, porte un cilice, passe de longues heures en prières, rend la justice, instruit son peuple par ses éloquents discours. Il fit construire à Riez une église en l'honneur de saint Albin. Un attelage de bœufs amenait les fortes colonnes destinées à soutenir l'édifice. Or, un jour, comme l'évêque venait de s'éloigner du chantier des constructions, l'attelage s'arrêta sans que rien ne put le faire avancer ; les bœufs s'agitaient sous les coups et la pointe des aiguillons, mais semblaient attelés à une montagne. On vient avertir Maxime qui s'empresse de revenir.

- Cessez, dit-il, de battre des animaux sans raison, car notre ennemi vous dresse des obstacles que vous n'apercevez pas. En effet, il voyait un diable, sous la forme d'un affreux petit nègre, qui empêchait les bœufs d'avancer. Il pria le Seigneur, le démon s'enfuit et l'attelage reprit sa marche comme auparavant.

Saint Maxime ressuscite trois morts.

Un diacre de Riez nommé Ansane avait un neveu, enfant de son frère, jeune orphelin qu'il avait pris à sa charge et qu'il aimait comme son fils. Un jour l'enfant, jouant avec ses camarades sur les remparts de Riez, tomba du haut des murailles et se brisa la tête. Ansane, prévenu aussitôt, accourt tout en larmes, saisit en ses bras le petit cadavre sanglant, le porte dans la chambre de l'évêque et va se jeter aux pieds du Pontife qui était alors à l'église.

- Priez pour mon neveu, disait-il, vos prières sont assez puissantes pour le ressusciter.Et il refusait de se lever. Maxime consent à le suivre, il vient s'agenouiller près du cadavre, prie

avec ferveur, et le mort se lève plein de vie. La foule avait suivi l'évêque, elle éclata en transports d'enthousiasme :

- Gloire à Dieu ! Gloire à Dieu ! criait-on de toute part. Et tous se pressaient pour voir l'enfant. Une veuve perdit sa fille unique, et après l'avoir disposée elle même de ses mains maternelles dans la bière, elle alla trouver l'évêque, mais les larmes entrecoupaient sa voix, Maxime la suit. Il demande qu'on le laisse un moment seul en prières près de la défunte, et bientôt après, appelant l'heureuse mère, il lui rend sa fille ressuscitée. La foule, témoin de ce spectacle, fut saisie d'une telle admiration qu'elle se mit à poursuivre le saint évêque, en lui arrachant des lambeaux de ses habits pour les conserver comme reliques. La longue tunique que le Saint portait ce jour-là fut tellement déchirée qu'elle ne put plus servir, et l'église de Riez la conservait autrefois avec respect. Maxime ressuscita encore un jeune homme qui avait été tué par un chien enragé ; et de son souffle il fit

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mourir la bête furieuse. Il guérit un autre homme qu'un bœuf avait affreusement blessé d'un coup de corne ; il rendit la vue à un malheureux qui était aveugle depuis quinze ans. Il fit encore bien d'autres miracles, dit son historien, mais on est obligé de les passer sous silence pour n'être pas trop long. C'était vraiment un homme rempli de l'Esprit-Saint. Le bien général de l'Eglise ne lui était pas moins cher que celui de son propre diocèse. En 439, il assiste à un Concile provincial tenu dans sa propre ville de Riez. Il se trouve au Concile d'Orange en 441, puis au Concile d'Arles en 454.

Derniers jours.

Enfin, Dieu, lui fit connaître par révélation le jour de sa Bienheureuse mort. Alors il pria humblement les fidèles de Riez de lui permettre d'aller visiter une dernière fois sa patrie terrestre pour y faire ses adieux à ceux qui lui étaient chers. Il y alla et dit aux siens avec un calme joyeux qu'il allait quitter cette terre, ce qui changea en grande tristesse la joie qu'ils avaient de le revoir. Le soir il s'étendit sur un lit comme pour dormir et rendit doucement sa belle âme à Dieu, à l'heure où l'on psalmodiait Matines, le 27 novembre 460.

Puissance des saints après leur mort.

Le corps du bienheureux évêque fut porté à Riez ; les populations émues se pressaient sur le passage du cortège, et chacun voulait toucher le cercueil. On passa près d'un village au moment où l'on portait au tombeau le cadavre d'une jeune fille, et comme il se pratique encore aujourd'hui en certains pays, le couvercle de la bière n'était pas encore cloué. Ceux qui la portaient demandèrent qu'on fit toucher le cercueil de la jeune défunte à celui du saint évêque. On le leur permit ; toute la foule s'agenouilla pour prier et répéter sept fois le Kyrie eleison. Tout à coup la jeune fille s'agita dans sa bière, elle se releva vivante, au milieu de la stupeur des assistants, et se mit à suivre elle aussi le cercueil en chantant les louanges de Dieu et les mérites du saint évêque de Riez. Le corps du Saint fut enseveli à Riez dans l'église Saint-Pierre qu'il avait fait bâtir, et à laquelle on donna plus tard son nom. Et comme les fidèles de Riez s'entretenaient des vertus de l'illustre pasteur qu'ils venaient de perdre et de la gloire dont son âme devait jouir au ciel, le sous-diacre Cariatto parla en ces termes :

- Vous avez bien raison de croire que Dieu a couronné notre évêque au milieu des anges et des saints, car il vivait déjà en leur compagnie sur la terre. Une année, à la vigile de saint André, j'avais été chargé de réveiller les clercs pour l'office de nuit. La première moitié de la nuit n'était pas encore passée et je dormais paisiblement quand le chant des psaumes me réveilla ; je crus que j’avais oublié l'heure et que les clercs étaient déjà au chœur. Je me précipitai vers l'église, je regardai de la porte, une harmonie toute céleste se faisait entendre, et l'évêque Maxime chantait les louanges de Dieu avec saint Pierre et saint André. J'entrai, mais voilà que je ne vis plus que l'évêque prosterné seul dans le sanctuaire. Il me reprocha ma curiosité et me dit : «  Ne révélez à personne ce que vous venez de voir et d'entendre, le jour où vous en parlerez vous mourrez. »  « Or, reprend l'historien, ce jour même où le sous-diacre raconta ces choses, il cessa de vivre. Il avait préféré mourir plutôt que de ne pas faire connaître ce qu'il savait des mérites de saint Maxime, et la foule eut raison de croire à son récit. Nous tous qui célébrons avec joie la fête de ce grand serviteur de Dieu, ajoute-t-il, prions par son intercession le Dieu tout-puissant afin qu'il nous pardonne nos péchés et nous conserve désormais en état de grâce, par les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne avec le Père et l'Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen. »

Maxime Viallet.

Sources consultées. – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes (Paris). – Migne, Dictionnaire

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hagiographique. – U. Chevalier, Collection des Cartulaires du Dauphiné (1869). – (V.S.B.P., n° 302.)

SAINT ÉTIENNE LE JEUNEMoine, martyr à Constantinople, et ses compagnons (715- vers 764)

Fête le 28 novembre.

Le mont Scopa (encore appelé mont Saint-Auxence, à cause du premier ermite connu qui l’habita) est une colline bithynienne à l’est de la ville de Chalcédoine (aujourd’hui Kadi-Koy). Il a joué dans l’histoire religieuse de Byzance un rôle considérable. Pendant plus de huit cents ans, de nombreux ermites et cénobites habitèrent ses grottes et ses monastères. Après saint Auxence (…..472), ses disciples ou imitateurs, Serge Bendidianos et Grégoire, sont parmi les plus connus. Au début du VIIIe siècle, la vie monastique est toujours en plein épanouissement au sommet et sur les pentes du mont Scopa. Là vit un solitaire nommé Jean, dont la réputation est grande. Elle sera cependant surpassée par celle de son disciple, Étienne le Jeune, un autre reclus qui dirigera plusieurs monastères et qui mourra martyr de la persécution iconoclaste de Constantin Copronyme en même temps que trois cent quarante-deux autres moines, d'après le Martyrologe romain. Sa biographie a été écrite vers 807, par un certain Étienne, diacre de Sainte-Sophie.

Au parvis de Sainte-Sophie. – Visite au mont Auxence.

La naissance d'Étienne en 715 fut la récompense d'un vœu fait par sa mère à la Vierge Marie dans le célèbre sanctuaire des Blakhernes à Constantinople. Son nom lui fut aussi imposé d'une manière surnaturelle. Jean et Anne, ses parents, assistaient à l'intronisation du saint patriarche Germain. Anne, montée sur un escabeau pour mieux voir aux portes de Sainte-Sophie, cria au patriarche qui passait : « Bénissez l'enfant que le Seigneur va me donner.

- Que Dieu le bénisse ! répondit le Saint, par l'intercession du premier des martyrs. » C'est ainsi que l'enfant reçut le nom du premier martyr, Étienne ; il fut baptisé à Sainte-Sophie même, par le prélat qui l'avait béni avant sa naissance. Son enfance et sa jeunesse furent pieuses. Il se fit remarquer à l'école par sa prodigieuse mémoire qui lui permettait de retenir l'Ecriture Sainte en entier. Les œuvres de saint Jean Chrysostome étaient, avec la Bible, ce qu'il aimait par-dessus tout. Lorsqu'il eut seize ans, sa mère le conduisit au monastère du mont Auxence pour le consacrer au service de Dieu, car elle l'y avait voué dès avant sa naissance. C'est à l'Abbé Jean que le jeune Etienne fut présenté par ses parents. Le solitaire regarda l'enfant avec bienveillance et connut aussitôt les desseins de Dieu sur lui ; il l'admit, lui coupa les cheveux et le revêtit de l'habit religieux à l'issue des Matines (en 731).

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A la fontaine. – Le chien de saint Etienne.Triste prédiction.

Etienne fut donc moine à seize ans. Il imita les vertus de son nouveau Père spirituel et s'adonna aux veilles et aux jeûnes avec la ferveur d'un parfait religieux. Les plus humbles et les plus dures fonctions étaient celles qu'il préférait. C'était lui qui entretenait la provision d'eau du monastère ; or, la fontaine était située fort loin, au bas de la montagne, et il fallait suivre un chemin très ardu pour y arriver. Etienne s'y rendait pourtant chaque jour, en été comme en hiver, sans négliger pour cela aucune des pratiques ordinaires de la vie monastique. Il faisait aussi les commissions au monastère des religieuses Trikhinaires, où se trouvait le tombeau de saint Auxence. Mais on raconte que, pour n'être point trop distrait par ces voyages, il avait dressé un chien à porter les lettres à la supérieure et à rapporter les objets demandés. L'animal excitait l'admiration de tous, par son intelligence et son dévouement.

Un soir, au retour d'une de ces courses habituelles, Etienne trouva le vénérable P. Jean qui versait des larmes, la tête appuyée contre les rochers de sa grotte. Il se prosterna, comme d'habitude en lui demandant sa bénédiction, mais le vieillard le laissa longtemps incliné sans lui parler. Enfin, il leva la tête et lui dit : « C'est à cause de vous, mon fils, que je verse ces larmes, car Dieu m'a appris que ce monastère, après avoir prospéré quelque temps sous votre direction, sera ensuite renversé par les ennemis des saintes images. »

Etienne fut très contristé de ces paroles. « Auriez-vous donc appris, mon Père, s'écria-t-il, que je doive périr aussi et me laisser vaincre par l'hérésie ? – A Dieu ne plaise, mon fils, pareille chose n'arrivera jamais ; mais il sera bon, comme dit saint Paul, que vous soyez attentif et prudent, car celui-là seul sera sauvé qui aura persévéré jusqu'à la fin. » Après ce salutaire avis, l'Abbé prédit plus clairement au jeune moine quels seraient ses combats dans l'avenir.

Deuils de famille. – Solitude complète.

Il arriva que le père d'Étienne mourut à Constantinople. Jean envoya alors son disciple l'ensevelir et consoler la mère affligée. Le religieux demeura dans la ville impériale le temps de mettre ordre à toutes les affaires de sa famille ; il décida sa mère et une de ses sœurs à le suivre dans le désert, dit adieu à son autre sœur déjà consacrée à Dieu dans un couvent de Constantinople, et, après avoir distribué aux pauvres toute sa fortune, il se représenta à la grotte du saint Abbé Jean. Celui-ci bénit avec joie la mère et la sœur de son disciple fidèle. Elles entrèrent comme religieuses dans le monastère des Trikhinaires. A quelque temps de là, en 743 ou 746, le vénérable Jean mourut aussi. Etienne convoqua les solitaires des alentours, et tous ensemble firent à leur Père spirituel de pieuses funérailles.

Malgré sa jeunesse – il n'avait alors qu'un peu plus de trente ans – Etienne fut choisi comme successeur du défunt. Il s'enferma dans l'étroite grotte où avait vécu son maître et continua ses vertus. Pour n'être à charge à personne, il fabriquait des filets de pécheurs et copiait des livres, car il possédait une belle écriture. Beaucoup de moines eussent voulu le fréquenter et vivre d'après ses conseils, mais il s'en défendait, préférant le silence et la solitude complète. A la fin pourtant il en choisit douze parmi lesquels les trois suivants sont surtout demeurés célèbres : Jean, Christophe et, Zacharie. Plus tard, leur nombre augmenta jusqu'à vingt, mais alors il leur donna, en 754 ou 757, pour le suppléer, un économe nommé Marin et demeura dans sa solitude. Il se bâtit en secret sur le sommet même de la montagne une cellule beaucoup plus étroite que sa petite caverne. Elle n'avait que deux coudées de long et une demi-coudée de large. La moitié, du côté de l'Est, était voûtée à si peu de hauteur que l'on pouvait à peine s'y tenir debout en se courbant, l'autre partie était entièrement découverte. Etienne s'y enferma avec l'aide de Marin, qu'il avait mis dans son secret. La

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nuit suivante, les moines qui se présentaient au sortir de la prière devant son ancienne grotte, pour recevoir sa bénédiction, l'appelèrent en vain. Quand ils eurent constaté sa disparition, ce fut un tel concert de plaintes et de larmes que le solitaire les entendit et n'y put tenir. Il éleva la voix et appela ses enfants avec des paroles pleines de tendresse. Tous accoururent et se pressèrent autour de son étroite cellule. Il leur annonça sa résolution définitive et les bénit. Alors les disciples s'écrièrent :

« Pourquoi, Père, abrégez-vous votre vie par de telles austérités ? Est-ce pour nous rendre plus tôt orphelins ? » Et lui : « Pouvais-je faire autrement, mes enfants, quand l'Evangile dit que la voie du ciel est étroite ? – Souffrez au moins que nous mettions un toit à votre cellule et ne passez pas votre vie exposé à toutes les intempéries. – Le ciel me suffira comme toit », répondit Etienne, et il les renvoya sur ces paroles.

Les petits cadeaux ne font pas toujours des amis.Persécution des iconoclastes.

Les fidèles accouraient au nouvel ermitage, et le serviteur de Dieu leur donnait ses conseils. On était alors au temps de la cruelle persécution des iconoclastes. L'empereur Constantin V Copronyme (740-775) avait détruit les images des Saints et poursuivait avec acharnement ceux qui leur rendaient un culte. Les moines, zélés défenseurs des saintes images, excitaient surtout sa haine. L'empereur détestait particulièrement Étienne, dont les conseils étaient d'autant plus écoutés que la sainteté lui donnait plus d'influence. En 752, le moment lui sembla venu de demander à l'épiscopat d'Orient docile à ses ordres la décision doctrinale et les anathèmes qui pourraient justifier sa lutte contre les images. En février 753, au palais impérial d'Hiéra (ou Féner-Bagtché), ensuite à Sainte-Marie des Blakhernes, les évêques se réunirent et, sous la pression de l'empereur et des prélats hérétiques, repoussèrent comme une forme d'idolâtrie le culte des images de la Vierge et des Saints ; les iconophiles seraient punis par la loi. Armé des décrets conciliaires, l'empereur envoya à Étienne, vers 760, un de ses fonctionnaires, le patrice Calliste, pour le faire adhérer à la formule hérétique rédigée par les iconoclastes. Calliste se présenta la flatterie sur les lèvres et, offrit même de la part de l'empereur des figues, des amandes et d'autres présents pour les solitaires. Mais, au premier mot de son message, Étienne l'arrêta avec indignation et fit en faveur des saintes images une ardente profusion de foi qu'il termina par ce mot énergique :

« Quand même il ne me resterait de sang que de quoi remplir le creux de ma main, je le verserais avec joie pour la défense des images saintes. » Et il renvoya le sénateur avec ses figues. Le lendemain Calliste revint au mont Auxence avec des soldats : il avait l'ordre de conduire Étienne dans le monastère voisin et de l'y garder avec ses moines en attendant une nouvelle décision de l'empereur.

Les soldats enfoncèrent à coups de pied la porte du réduit où priait le solitaire et le traînèrent brutalement dehors. Ils s'aperçurent alors qu'Étienne ne pouvait marcher ; ses genoux ployés depuis trop longtemps pour la prière s'étaient ankylosés et il fallut le porter jusqu'au monastère, qui était situé plus bas. Là, il fut réuni à ses moines. Tous ces confesseurs de la foi furent maintenus pendant six jours dans le cimetière des Trikhinaires, exposés aux intempéries. Ils ne durent leur délivrance qu'à la nécessité où se trouva Copronyme de rappeler ses soldats pour aller combattre les Bulgares.

Calomnies et trahisons. – L'hypocrisie d'un page.

Le patrice Calliste, cependant, ne se tenait pas pour battu. Il circonvint l'un des disciples d'Étienne, appelé Serge, et fit tant par ses promesses et son argent que le malheureux consentit à trahir son Père spirituel et à le calomnier. Il écrivit, avec un fonctionnaire, collecteur des impôts

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pour les ports du golfe de Nicomédie, un acte d'accusation qui contenait, entre autres choses, de prétendues injures proférées par Etienne contre l'empereur Constantin. II y avait aussi une accusation infâme dans laquelle on donnait pour complice au solitaire une femme, noble et vertueuse, appelée Anne, à qui il avait précédemment coupé les cheveux et donné l'habit des religieuses.

On inventa aussi un faux témoin : c'était la servante d'Anne qui avait suivi sa maîtresse au couvent et que la promesse d'un brillant mariage parvint à séduire, lorsque la machination fut bien préparée, l'empereur, qui guerroyait chez les Bulgares, fut averti. Il fut au comble de la joie et ordonna qu'on lui envoyât aussitôt la religieuse accusée. Il lui fit subir de nombreux interrogatoires, l'enferma en d'obscures prisons, la fit battre de verges, sans pouvoir en obtenir une parole de calomnie contre Étienne !

La servante, gagnée à prix d'argent, fut seule à porter un faux témoignage. L'empereur iconoclaste imagina un autre stratagème pour en finir avec le défenseur des saintes images. Parmi ses pages, il en était un, nommé Georges Synclète, beau et vigoureux adolescent, d'un esprit délié et adroit. Il l'envoya au mont Auxence demander l'habit monastique en simulant la piété et le dégoût du monde. Aussitôt la prise d'habit faite, Georges devait s'enfuir du monastère et revenir à la cour impériale avec son froc ; l'incident produirait une grande impression, et l'on pourrait accuser Étienne soit de violence, soit d'ingratitude envers le souverain à qui il enlevait ses pages pour en faire des ermites. Le tour réussit, car l'envoyé de Constantin exécuta sa consigne avec une rare habileté, et le moine avait le cœur trop bon pour supposer une si noire perfidie. Il donna l'habit religieux au jeune hypocrite trois jours à peine après sa présentation. Celui-ci se sauva immédiatement et revint à Constantinople auprès du souverain, qui poussa les hauts cris en voyant son favori la tête rasée et vêtu d'une cagoule. Il fit aussitôt assembler le peuple, pour lui montrer cette prétendue victime des moines et fit maudire l'Abbé Étienne comme un affreux tyran.

Ruine des monastères. – Discussion. – Seul dans une île.

A l'automne de la même année 760, les soldats revinrent au mont Auxence. Ils détruisirent par ordre de l'empereur les monastères, car, disait-on, ils empêchaient le gibier de se développer. Les moines et les religieuses furent maltraités et dispersés. Étienne fut saisi de nouveau, frappé à coups de bâton, couvert de crachats, bref, soumis à toutes sortes d'injures. Il fut enfermé pendant dix-sept jours dans le monastère de Philippique, à Chrysopolis (Scutari). Là, l'empereur lui envoya quelques évêques iconoclastes pour l'entraîner à l'erreur. Le prisonnier les reçut dans la salle des bains, où il était enfermé, les fers aux pieds, et répondit victorieusement à tous les arguments. Il refusa de reconnaître leur prétendu Concile, parce que cette réunion avait eu lieu en dehors de l'autorité du Pape et sans l'approbation des patriarches d'Orient. Il eut à souffrir les mauvais traitements des geôliers et même des coups de pied de l'évêque hérétique de Nicomédie. Enfin, ces bourreaux revinrent vers Constantin en s'avouant vaincus. Durant son séjour au monastère de Chrysopolis, Étienne ne prit aucune nourriture.

Le supérieur du couvent, très malade à ce moment, se croyait près de la mort. Il fit appeler son hôte pour lui faire ses derniers adieux et en recevoir quelques avis spirituels. Étienne vint au chevet du moribond et lui parla affectueusement. Le malade cependant sentait son mal diminuer à mesure qu'Étienne parlait ; enfin, il se leva complètement guéri lorsque celui-ci lui eut donné à boire un peu de vin dans sa coupe.

L'empereur exila le défenseur des images dans l'île de Proconnèse (mer de Marmara). Y ayant trouvé une belle grotte que les insulaires avaient convertie en un sanctuaire dédié à sainte Anne, mère de la Sainte Vierge, Etienne en fit sa demeure et reprit la vie érémitique. C'est en ce lieu que tous ses disciples, excepté deux, vinrent le retrouver. Sa mère et sa sœur même l'y rejoignirent et continuèrent sous sa conduite, non loin de son ermitage, les exercices de la vie religieuse

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commencée au mont Auxence. Ces deux chrétiennes admirables moururent bientôt, à sept jours d'intervalle. Etienne s'était bâti une espèce de petite tour dans laquelle il s'enferma pour reprendre ses anciennes mortifications. Du haut de son observatoire, il contemplait la vaste étendue de mer, et, lorsqu'il la voyait soulevée par la tempête, il priait pour les voyageurs en danger ; il en sauva ainsi un grand nombre et apparut à plusieurs.

Soldat parjure. Ce qu'on peut prouveravec une pièce de monnaie. – La femme du geôlier.

Un soldat de l'empereur, originaire d'Arménie, avait quitté le service à cause d'une paralysie presque complète. Il vint visiter Etienne dans son ermitage et obtint par ses prières que le moine le guérit en lui faisant vénérer les saintes images de Jésus et de Marie. De retour à Constantinople, l'Arménien raconta à ses compagnons le miracle dont il avait été l'objet. L'aventure fit du bruit dans l'armée, surtout parce que la guérison avait été obtenue par les saintes images auxquelles l'empereur avait déclaré une guerre acharnée. Constantin l'apprit, manda le soldat guéri et lui fit de telles menaces que le malheureux consentit à outrager les images saintes qui l'avaient sauvé. Il fut nommé aussitôt centurion. Fier de son nouveau grade, il montait à cheval au sortir du palais, lorsque sa monture le renversa et se mit à le frapper de ses sabots avec une telle violence quelle le laissa mort sur le terrain. L'empereur ordonna qu’Etienne fût ramené à Constantinople et qu'on l'enfermât dans la prison de Phiale, les entraves aux pieds et les fers aux mains. Le tyran eut en personne une longue discussion avec sa victime et n'y gagna que d'être confondu en présence de ses courtisans. Etienne lui présenta en effet une pièce d'argent à son effigie, et, s'inspirant du trait évangélique, lui demanda : « De qui sont cette figure et cet exergue ? » Copronyme, étonné, lui répondit : « Ils ne peuvent être que de l'empereur. – Et si quelqu'un, continua le moine en regardant les courtisans, se permettait de jeter cette figure par terre et de la fouler aux pieds, le punirait-on ?

- Certainement, s'écrièrent-ils en chœur, puisque c'est la figure de l'empereur. » Alors Etienne, poussant un grand soupir, s'écria : « O indigne aveuglement ! si l'on punit de mort une insulte faite à l'image d'un empereur mortel, quel châtiment ne faudra-t-il pas infliger à celui qui outrage les images du Fils de Dieu et de sa Mère ? » Et, ce disant, il jeta à terre la pièce de monnaie et la foula aux pieds. Les courtisans faillirent le mettre en pièces, il était coupable de lèse-majesté et comme tel, voué à la mort ; on le reconduisit à sa prison. Trois cent quarante-deux moines, dont trois, Basile, Pierre et André, ont leur nom inscrit au Martyrologe, étaient détenus comme lui dans la prison du prétoire. Tous avaient souffert pour la cause des saintes images, beaucoup étaient complètement défigurés ou mutilés par les supplices déjà endurés. Ces martyrs se mirent en communauté sous la conduite d'Étienne, et la prison se changea en un monastère où la louange de Dieu retentissait jour et nuit. Entre temps, les captifs se racontaient les uns aux autres les beaux traits dont ils avaient été témoins pendant la persécution. Les geôliers étaient touchés jusqu'aux larmes de ce pieux spectacle. L'un d'eux en parla à sa femme avec un tel enthousiasme qu'elle vint se jeter aux pieds d'Étienne, le suppliant de lui permettre de le servir. Le martyr promit ses prières, mais refusa constamment les services de cette personne. Comme elle s'en attristait, il lui avoua que c'était pour n'avoir aucune communication avec les ennemis des saintes images. Aussitôt, la femme du geôlier, pour prouver son orthodoxie, courut chercher des images de Marie et des saints Pierre et Paul qu'elle avait soigneusement cachées aux iconoclastes et les donna, triomphante, à Étienne, qui la bénit et accepta dès lors ses services. Plusieurs mois s'écoulèrent ainsi ; le moment suprême approchait. Le confesseur de la foi voulut passer dans un jeûne parfait les derniers jours de sa vie mortelle. La veille de sa mort, il fit appeler sa pieuse bienfaitrice, lui rendit les trois saintes images et la bénit ; puis il dit : « J'irai demain dans un autre monde voir un autre empereur. »

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Martyrisé dans la rue.

Le lendemain, en effet, jour d'orgie pour Copronyme, on vint arracher Étienne à sa prison. Il fut traîné à travers les rues de la ville, accablé de coups de pied et de bâton, couvert de boue et d'injures. En passant devant l'église dédiée à saint Théodore, il se releva sur les mains et rendit, par un salut, un hommage suprême au glorieux martyr. A ce moment, un misérable, nommé Philom-mace, le frappa sur la tête avec une telle violence que du même coup il lui enleva la vie. C'était probablement le 28 novembre 764. Les bourreaux continuèrent à traîner le corps du martyr par les pieds en l'insultant. Les femmes et les enfants eux-mêmes lui jetaient des pierres. Un rôtisseur lui fracassa la tête d'un coup de tisonnier et la cervelle se répandit avec le sang sur le pavé. Elle fut recueillie par un pieux chrétien du nom de Théodore.

Les monstres, après avoir outragé le cadavre, le traînèrent jusqu'au monastère de Monocion, où la sœur du martyr était religieuse, pour la forcer à le lapider avec eux ; mais l'infortunée put se cacher à temps. Ce qui restait du corps fut abandonné à la voirie. Quelques reliques de saint Étienne le Jeune furent déposées au monastère de Die, sous l'autel dédié au premier martyr saint Étienne. C'est le 28 novembre que les Églises latine et grecque célèbrent la mémoire de saint Étienne le Jeune et de ses compagnons.

Christophe Portalier.

Sources consultées. – Surius, Vitae Sanctorum, t. XI (1618). – Mgr Paul Guérin, Petits Bollandistes, t. XIII (Paris, 1888). – Petin, Dictionnaire hagiographique, t. 1er (Paris, 1850). – P. Raymond Janin, la Banlieue asiatique de Constantinople, dans Echos d'Orient, t. XXII (Paris, 1923). (V.S.B.P., n° 873.)

SAINT SATURNIN ou SERNINApôtre de Toulouse (1er ou IIe siècle)

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Fête le 29 novembre.

Une fois de plus se pose, avec l'histoire du saint évêque de Toulouse, la question de l'apostolicité de l'Eglise des Gaules, c'est-à-dire de l'évangélisation remontant au temps des Apôtres ou des disciples immédiats de Notre-Seigneur. Tandis que le Martyrologe fixe au temps de l'empereur Dèce (…. 251) la passion du martyr, la tradition toulousaine la place en l'an 70, sous le règne de Néron. Cette tradition, nous allons la rapporter brièvement sans nous prononcer sur le fond même du récit. D'après cette version ancienne, Saturnin était de famille royale et, par sa mère, Cassandre, descendait des Ptolémées qui furent longtemps souverains de l'Égypte. Il naquit à Patras en Achaïe (province de Grèce), au commencement de l'ère chrétienne.

Un disciple de Notre-Seigneur.

Jeune homme, il voyageait en Syrie pour compléter la haute éducation que ses parents lui avait fait donner, quand il entendit parler d'un prophète extraordinaire, Jean le Baptiste, qui attirait vers lui sur les bords du Jourdain les multitudes par ses héroïques vertus et ses sublimes enseignements. Saturnin resta auprès de lui et reçut le baptême figuratif de l'eau. Ainsi Saturnin connut le Sauveur du monde, crut en lui et s'attacha à ses pas ; il renonça généreusement aux espérances de ce monde et devint l'un des soixante-douze disciples du divin Maître. Après la Pentecôte, tout rempli de l'Esprit-Saint, il aurait été le collaborateur de saint Pierre, prêchant dans la Palestine, la Syrie, l'Asie centrale et l'Asie Mineure. On sait qu'après avoir fait d'Antioche le centre de son apostolat pendant sept ans, saint Pierre, sur l'ordre de l'Esprit-Saint, partit pour Rome, alors capitale du monde païen. Saturnin aurait été au nombre des hommes apostoliques que le Prince des Apôtres amenait avec lui pour porter le flambeau de la foi dans les contrées d'Occident, et, sacré par l'apôtre lui-même, aurait pris place avec saint Papoul, fils du préfet romain d'Antioche. Telle est la donnée traditionnelle qui paraît complètement abandonnée par les hagiographes modernes.

Saint Saturnin envoyé dans les Gaules.

Dans le fond, la question de la date où a vécu un Saint est d'une importance secondaire. S'il est glorieux pour une Eglise d'avoir un long passé, il est encore plus glorieux pour elle de s'épanouir dans le rayonnement de la foi et de la pratique des vertus. Qu'il s'agisse du premier ou du IIIe siècle, nous admettons sans peine que Saturnin venait de Rome et que, comme les premiers missionnaires apostoliques, il arriva dans les Gaules par la vallée du Rhône. Chemin faisant, Saturnin prêchait  partout où il passait les vérités de la foi chrétienne. Il trouvait en tous lieux l'idolâtrie triomphante, les peuples assujettis à d'infâmes superstitions. Ses paroles faisaient frémir les adorateurs des faux dieux et provoquaient de leur part de terribles menaces, mais rien ne l'effrayait. Il se portait de préférence aux lieux où les démons se montraient plus forts ; il y fondait des chrétientés, y bâtissait des oratoires et y laissait des prêtres pour maintenir les fidèles dans la vérité et dans le bien. C'est en évangélisant de la sorte qu'il arriva à la ville d'Arles, sur le Rhône, alors la cité la plus importante des Gaules. Pendant le temps qu'il y passa, il fit tant par ses miracles et ses prédications, qu'il gagna une innombrable multitude d'âmes à Jésus-Christ.

De la ville d'Arles, il passa à celle de Nîmes, déjà grande et célèbre. Il y obtint les mêmes succès, ainsi que dans toute la Gaule Narbonnaise (aujourd'hui le Bas-Languedoc). Il fit à Nîmes une conquête du plus grand prix : il convertit à Jésus-Christ un jeune homme nommé Honeste, doué

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des plus brillantes qualités naturelles, fils d'un des plus riches cultivateurs de la contrée. Après l'avoir baptisé, Saturnin proposa au jeune homme de le suivre et de consacrer sa vie à procurer aux autres le bonheur et le bienfait qu'il venait de recevoir. Honeste accepta avec ardeur ; il quitta sa famille bien-aimée, dont il était l'honneur et l'espérance, il quitta ses richesses et sa maison, et suivit l'apôtre des Gaules. Celui-ci le forma à la science, aux vertus sacerdotales et l'ordonna prêtre. Saturnin, étant arrivé à la cité de Carcassonne avec ses compagnons Papoul et Honeste, voulut annoncer aux habitants la bonne nouvelle de l'Évangile ; mais leur zèle leur valut une dure épreuve. Rufin, préfet de la ville, les fit saisir tous les trois et enfermer dans un cachot infect. Dieu permit qu'ils fussent ainsi traités afin d'avoir l'occasion de leur donner un éclatant témoignage des soins de sa Providence à leur égard. La nuit suivante, il leur envoya un ange brillant de lumière qui brisa leurs chaînes et leur ouvrit les portes de la prison.

Saint Saturnin à Toulouse.

Voici Saturnin au principal terme de son voyage apostolique. Lors de son arrivée à Toulouse, Saturnin y rencontra son ami saint Martial, premier évêque de Limoges. Martial évangélisait alors l'Aquitaine, et il venait de fonder une chrétienté à Toulouse. Il lui avait donné pour centre un oratoire dédié au vrai Dieu, sous l'invocation de saint Étienne, premier martyr. Cet oratoire deviendra un jour l'église métropolitaine de Toulouse. La rencontre des deux évêques fut pour eux une grande consolation, et Dieu voulut manifester l'union de ces deux frères dans l'apostolat par un éclatant prodige qu'ils opérèrent ensemble. Austris, fille du gouverneur de Toulouse, atteinte d'une maladie cancéreuse qu'aucun remède humain ne pouvait guérir, fit appeler les deux étrangers dont on vantait la puissance surnaturelle :

- Puisque le Dieu crucifié que vous prêchez est si puissant, leur dit-elle, priez-le qu'il daigne me guérir.

Ils lui répondirent :- Vous serez exaucée si vous l'adorez, si vous embrassez son culte et sa morale.Elle acquiesça à cette exhortation ; on lui conféra le baptême, et au sortir des fonds sacrés elle

se trouva délivrée de son mal.Après le départ de saint Martial, Saturnin convertit de même une femme nommée Cyriaque,

épouse du président du Sénat toulousain, et atteinte d'une lèpre affreuse. Au moment où elle sortait de la piscine baptismale, ses membres se trouvèrent, purs comme ceux d'un petit enfant. Ce prodige donna une nouvelle ardeur à la foi de Cyriaque ; toute sa maison se convertit, et bientôt après la moitié des Toulousains eut embrassé la foi en Jésus-Christ. Saturnin, avec un zèle infatigable, instruisait les nouveaux convertis, les confirmait dans la foi par de nouveaux miracles et cherchait sans cesse à arracher de nouvelles âmes à la tyrannie du démon. On venait de toutes parts lui présenter des malades. Le missionnaire les guérissait en faisant sur eux le signe de la croix ; puis il les instruisait et les renvoyait chez eux avec le bienfait de la foi et la grâce du baptême.

L'Eglise de Toulouse se trouvant assez bien établie, Saturnin se dirigea vers la Gascogne. Au bourg de Villa-Clara (aujourd'hui Auch, sur le Gers), il dédia en l'honneur du Prince des Apôtres, la chapelle qu'il faisait bâtir pour servir de lieu de réunion aux nouveaux chrétiens de la ville. Il s'avança ensuite jusqu'à la ville Élisana (Eause) ; ses prédications y convertirent un grand nombre d'âmes. Les nouveaux chrétiens se cotisèrent pour se bâtir un lieu de réunion et de prière ; Saturnin dédia cette église à la Sainte Vierge. Les succès obtenus dans cette ville par le saint apôtre furent si grands, qu'il résolut d'en faire le centre d'une province ecclésiastique et y établit en qualité de métropolitain ou archevêque un de ses meilleurs disciples, saint Paterne. Celui-ci, originaire de Bilbao, en Espagne, ayant entendu parler des merveilles accomplies par Saturnin, était venu l'entendre, avait embrassé la religion chrétienne et s'était attaché à son illustre maître. Saturnin revint ensuite à Toulouse où sa présence était nécessaire pour fortifier dans la foi et soutenir dans la

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pratique des vertus chrétiennes, les nombreux chrétiens qu'il y avait laissé et pour travailler à convertir d'autres âmes. Mais toutes ces occupations ne pouvaient l'empêcher de jeter les yeux sur l'Espagne, patrie de son disciple et collègue saint Paterne il y envoya saint Honeste.

Voyage en Espagne.

Honeste prêchait un jour dans la ville de Pampelune et racontait comment il avait appris lui-même la vérité de la bouche de Saturnin ; trois de ses auditeurs, non des moindres, Firmus, Faustin et Fortunat, lui répondirent :

- Puisqu'il en est ainsi, retournez auprès de Saturnin votre maître. Il ne nous est pas tout à fait inconnu. La renommée de ses vertus et de ses prodiges est déjà arrivée jusqu'à nous. Priez-le qu'il vienne lui-même nous parler de ce qu'il vous a chargé de nous dire, afin que nous croyions en votre Dieu.

Honeste s'empressa de franchir les Pyrénées et de revenir à Toulouse porter ce message à son maître. Saturnin, levant les mains au ciel, rendit au Seigneur d'ardentes actions de grâces. Il confia l'administration de l'Eglise de Toulouse à son autre disciple saint Papoul et, guidé par Honeste, prit la route de l'Espagne. Les deux voyageurs ne mirent que seize jours pour faire le trajet de Toulouse à Pampelune. Ils s'arrêtèrent cependant en plusieurs endroits pour y prêcher Jésus-Christ. Ils furent reçus d'une manière honorable à Pampelune. Saturnin s'établit près d'un temple de Diane et se mit aussitôt à prêcher. La foule accourait de plus en plus nombreuse à ses instructions, d'éclatants miracles attestaient la vérité de ses enseignements, et la grâce de Dieu, appelée par ses austérités et ses prières, touchait les cœurs. Des milliers de personnes – on en a évalué le nombre à quarante mille – demandèrent le baptême, parmi lesquelles le sénateur Firmus, dont le fils aîné Firminus (saint Firmin) devint l'un des plus zélés apôtres des Gaules, premier évêque d'Amiens et martyr. Saturnin sacra Honeste évêque de Pampelune, et alla porter l'Evangile à d'autres provinces de l'Espagne, jusqu'à Tolède et en Galice. Au milieu de ces voyages, il apprit que saint Papoul avait été martyrisé au lieu qui porte encore son nom, à l'est de Toulouse, et pour ne pas laisser sans pasteur ses chères brebis de Toulouse, reprit en toute hâte le chemin des Gaules. Il rentra dans ce pays par la vallée de la Garonne, jetant sur ses pas la semence évangélique. Il érigea un autel à la Vierge Marie, dans un lieu nommé Lugdunum Convenarum (Saint-Bertrand de Coniminges). Il s'arrêta ensuite au lieu dit Le Mas, et depuis Saint-Gaudens, y convertit une multitude d'âmes et y posa les fondements d'une église qu'il dédia à saint Pierre.

Martyre de saint Saturnin à Toulouse.

Saturnin étant rentré à Toulouse, se tenait habituellement dans l'humble résidence qu'il s'était ménagée. De là, tous les matins, il se rendait à une modeste chapelle pour la célébration de la messe et des offices divins. Il était obligé de passer et de repasser devant le capitole. Dès les premiers temps du séjour de Saturnin à Toulouse, on s'était aperçu que les dieux du capitole, par lesquels les démons rendaient de faux oracles, restaient souvent sourds et muets. Les oracles cessèrent complètement quand Saturnin fut revenu d'Espagne. Les prêtres des faux dieux et leurs adhérents obstinés, effrayés autant que surpris de cet état de choses, se réunirent pour se consulter.

- Qui donc, s'écria l'un d'eux, a pu fermer la bouche à nos dieux ? En vain nous répandons à leurs pieds le sang de nombreuses victimes, ils ne donnent plus aucune réponse à ceux qui viennent les consulter ? Seraient-ils fâchés contre nous, ou seraient-ils absents ?

Ce que vous cherchez à savoir, je crois le connaître, dit un autre. Vous n'ignorez pas qu'une secte, appelée chrétienne, s'est depuis quelques années établie parmi nous ; elle est l'ennemie de

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notre religion. Le chef de cette secte, dont le nom est Saturnin, passe souvent devant le capitole. Il est à croire que sa présence cause le silence de nos dieux. Si nous voulons qu'ils rouvrent la bouche, il faut mettre à mort cet homme pernicieux.

- Mais, repartit un troisième, si nos dieux ont peur d'un homme, c'est qu'il sert un Dieu plus puissant qu'eux ; en ce cas, nous devrions plutôt adorer nous-mêmes ce Dieu.

Ces paroles étaient sensées, mais l'assemblée n'était pas disposée à les accueillir. Sur ces entrefaites, Saturnin passa au pied du capitole suivant son habitude. Un de ces idolâtres l'aperçut.

- Le voici, cria-t-il, le sacrilège ennemi de nos dieux ! Si on le laisse continuer de prêcher son Christ, il finira par anéantir notre religion. Venez, emparons-nous de sa personne, et s'il refuse d'apaiser les dieux en leur offrant un sacrifice, vengeons par sa mort l'outrage qu'il a fait à nos divinités.

Ces paroles excitèrent contre le messager évangélique la fureur des gens du peuple qui se trouvaient là. En un instant, ce fut un affreux tumulte, d'où s'échappaient des cris de rage et de mort. La foule se précipita sur Saturnin. Après avoir garrotté le saint évêque, les idolâtres lui firent gravir les degrés du capitole et le placèrent au milieu de l'assemblée. Le chef de la réunion lui dit :

- Je vous ordonne de sacrifier aux dieux, sinon vous allez être traité avec la dernière rigueur.Le saint vieillard répondit avec une majesté ferme et douce :- Ce que vous me proposez est insensé, impie. Bien loin de consentir à le faire, je vous exhorte

moi-même à renoncer au crime d'idolâtrie, à vous repentir de vos offenses contre la majesté du vrai Dieu, afin qu'il vous fasse miséricorde. Je n'offre de sacrifices qu'au Dieu tout-puissant à qui je les présente sur l'autel de mon cœur.

On répond à ces nobles paroles par une explosion de fureur et de mauvais traitements, on le tire d'ici, de là, on le frappe, on le couvre de plaies. A ce moment Dieu glorifie son serviteur par un grand prodige. Les idoles tombent de leur piédestal et viennent se briser en mille morceaux devant le prêtre de Jésus-Christ. A cette vue, la rage des persécuteurs ne connaît plus de bornes, la nouvelle de la chute des idoles se répand aussitôt dans la ville, la populace païenne éclate en cris et en malédictions.

- Quel désastre ! nos dieux sont détruits, comment vivrons-nous maintenant ? comment la ville subsistera-t-elle ? Qu'attend-on pour faire mourir cet homme malfaisant, pour venger nos dieux outragés ?

Il y avait au capitole un taureau indompté, amené là pour être immolé en sacrifice ; on entoure ses flancs d'une corde au bout de laquelle on attache par les pieds le saint martyr ; on lâche l'animal furieux, en le piquant de rudes coups d'aiguillon. Le taureau se précipite, entraînant sa victime dont le crâne se brise sur les degrés du temple tandis que la cervelle se répand çà et là. Et comme il poursuit sa course furibonde à travers les rues, le corps de Saturnin est affreusement disloqué et déchiré. Cependant la corde vient à se rompre, l'animal continue à fuir et le corps du martyr reste gisant à l'endroit où se trouve aujourd'hui l'église de Notre Dame du Taux. Ce glorieux martyre eut lieu le 29 novembre d'une année qui se place, selon tout vraisemblance, entre 250 et 260, au dire des Bollandistes.

Les « saintes Puelles ». – Culte de saint Saturnin.

Craignant la fureur des païens, les disciples du saint évêque martyr n'osaient aller donner la sépulture aux restes mutilés de leur maître ; mais deux vierges chrétiennes qui avaient été baptisées par saint Saturnin, n'écoutant que la voix de la reconnaissance et de la pitié, eurent l'héroïque courage d'aller rendre les derniers devoirs au Père de leur âme.

Elles allèrent d'abord sur les degrés du capitole recueillir dans une fiole, la cervelle du martyr et le plus possible du sang qu'il avait répandu. Puis, s'étant procuré un cercueil en bois, elles y

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déposèrent respectueusement le saint corps ; elles firent creuser, ou peut-être creusèrent elles-mêmes une fosse profonde, y descendirent le cercueil et confièrent ainsi à la terre ce précieux trésor, en ayant soin de dissimuler le dessus du tombeau pour que les païens ne vinssent pas le profaner. Les ennemis de la foi firent payer cher aux deux chrétiennes leur admirable courage. Le gouverneur de la ville ordonna de les amener en sa présence, il leur reprocha leur bonne action comme un crime puis on les conduisit à travers les rues en les flagellant, au milieu des injures de la populace, et enfin on les chassa de la ville. Elles se dirigèrent vers Carcassonne et s'arrêtèrent dans un lieu nommé Recaudum, où elles achevèrent leur vie dans les exercices de pieté et la pratique des bonnes œuvres.

Les habitants de l'endroit qu'elles avaient grandement édifiés par leurs vertus, les ensevelirent avec honneur dans une chapelle du voisinage, dédiée à saint Michel. Toulouse a gardé fidèlement leur mémoire et de temps immémorial a célébré la fête des « saintes Puelles », c'est-à-dire les saintes Pucelles ou les saintes vierges, le 17 octobre. Cet honneur, que des critiques exagérées leur avait fait perdre, leur fut restitué vers la fin du XIXe siècle.

Les chrétiens de Toulouse oublièrent encore moins le tombeau de leur apôtre saint Saturnin, et ils allaient souvent y prier. Après les persécutions, saint hilaire, évêque de Toulouse, construisit au dessus un oratoire. A la fin du IVe siècle, l'évêque saint Exupère acheva une belle basilique commencée par son prédécesseur saint Sylve, et y transféra solennellement les reliques de saint Saturnin. Il paraît même avoir fondé auprès de la basilique un monastère dont les religieux étaient chargés d'y célébrer le service divin. Transporté à l'abbaye de Saint-Denys, près de Paris, par ordre de, Dagobert 1er (VIIe siècle), puis rendu aux supplications des Toulousains, le corps du saint apôtre de Toulouse repose toujours au milieu de ses enfants, dans la superbe basilique de Saint-Saturnin (par abréviation populaire Saint-Sernin), entouré d'un splendide cortège d'autres reliques et de la vénération des fidèles.

Le corps de saint Saturnin fut retrouvé pour la seconde fois le 6 septembre 1258. Peu de temps après, fut faite une châsse d'argent dans laquelle son corps fut déposé solennellement le 25 juin 1283, et qui fut restaurée par la suite grâce aux libéralités de trois chanoines de la basilique, dont les noms nous ont été conservés. Le chef du saint martyr fut placé dans un buste d'argent offert en 1338 par Jean de Cadillac, patriarche d'Alexandrie et administrateur de l'Eglise de Toulouse. Le diocèse de Carcassonne n'oublia pas le passage du saint apôtre. Sur l'emplacement de la prison de la ville épiscopale où il avait été enfermé, une église fut construite en son honneur.

Le nom de « Sacraire de Saint-Sernin » donné à la tour absidale de l'antique église de la Cité, église qui fut démolie en 1793, assure la survivance de son souvenir. En ce même diocèse, l'ancienne église abbatiale de Saint-Hilaire, dédiée primitivement à saint Saturnin, conserve un sarcophage du XIIe siècle, orné d'un bas-relief représentant en deux scènes l'arrestation de l'évêque de Toulouse et son supplice.

Le culte du Saint était répandu non seulement dans les pays de langue d'oc, mais encore beaucoup plus haut, dans le Nivernais, en Touraine, en Normandie, dans l'Ile de France et en Lorraine. Le genre de mort effroyable que subit saint Saturnin l'a fait invoquer par les fidèles pour être guéri ou préservé des douleurs de la tête.

A la même date du 29 novembre, le Martyrologe romain mentionne un second saint portant le nom de Saturnin ; il s'agit d'un vieillard mis à mort au IVe siècle, à Rome, sur la via Salaria, en mémé temps que le diacre saint Sisine.

Maxime Viallet.

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Sources consultées. – Le curé de Saint Sernin, Vie de saint Saturnin (Toulouse). – Iconographie de saint Saturnin, dans Semaine religieuse de Toulouse (novembre 1920). – (V.S.B.P., n° 456.)

SAINT ANDRÉApôtre (…..69 ?)

Fête le 30 novembre.

Saint André, le premier des apôtres qui se soit attaché à Notre-Seigneur, était de Bethsaïde. Il exerçait le métier de pêcheur sur la mer de Galilée. Ayant entendu raconter tout ce que la renommée disait de Jean-Baptiste, il alla le trouver pour recevoir le baptême de pénitence dans les eaux du Jourdain. Charmé de la doctrine et de la sainteté de Jean, il résolut de demeurer avec lui, et de devenir un de ses disciples. Cependant, il était appelé à un rôle bien plus grand que celui de disciple du Précurseur, il devait devenir un des plus grands apôtres de Jésus-Christ.

Premier apôtre de Jésus.

La première entrevue qu'il eut avec le divin Maître est fort belle et fort touchante. Nous la lisons

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dans le premier chapitre de l'Evangile de saint Jean.

Jean-Baptiste, se trouvant un jour sur les bords du Jourdain avec deux de ses disciples, regardant Jésus qui passait, leur dit : Voici l'Agneau de Dieu. Ce que les deux disciples ayant entendu, ils suivent Jésus. Alors Jésus se retourna et, voyant qu'ils le suivaient, leur dit : « Que cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Rabbi (c'est-à-dire Maître), où demeurez-vous ? » Et Jésus leur dit : « Venez et voyez. » Ils allèrent, et ils virent où il demeurait ; et ils restèrent chez lui ce jour-là. Il était environ la dixième heure du jour. Un des deux disciples qui avaient suivi Jésus était André, frère de Simon-Pierre. Il rencontre son frère Simon et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie, c'est-à-dire le Christ. » Et il l'amena à Jésus. Et Jésus l'ayant regardé, lui dit : « Vous êtes Simon, fils de Jean, désormais, vous vous appellerez Céphas (c'est-à-dire Pierre. »

D'après les commentateurs il rencontra son frère Simon, non par hasard, mais parce qu'il le cherchait. Quand on a trouvé le Messie, on est désireux de le faire connaître aux autres. Et c'est non seulement parce que, le premier, il avait suivi Jésus, mais encore parce que, le premier, il avait amené à Jésus son frère Simon, que saint André est appelé le premier des Apôtres.

Après ce contact avec Notre-Seigneur, il retourna à ses occupations, puisque nous voyons que, plus tard, Jésus, passant sur les bords de la mer de Galilée, aux environs de Bethsaïde, et voyant les deux frères jeter leurs filets dans la mer, leur dit : « Suivez-moi, je vous ferai pêcheurs d'hommes. » Et, ajoute l'évangéliste, « ils quittèrent aussitôt leurs filets et le suivirent ». André est nommé en plusieurs autres passages de l'Évangile ; ainsi c'est à lui qu'on s'adressait pour parler à Jésus, ce qui fait dire à saint Bède le Vénérable que saint André était l'introducteur auprès du Christ. Ce privilège et la grande familiarité dont il jouissait auprès de Notre-Seigneur viennent peut-être de ce que saint André était vierge, comme le rapporte saint Jérôme.

Son apostolat.

Après l'Ascension de Jésus et la Descente du Saint-Esprit sur les apôtres, André prêcha dans Jérusalem, dans la Judée et la Galilée, jusqu'au moment où les apôtres se dispersèrent. Alors il eut pour mission de porter l'Évangile aux peuples de la Scythie. Il a annoncé aussi la parole de Dieu aux Sogdiens, aux Saces et aux Ethiopiens, puis dans la Galatie, la Cappadoce et la Bithynie jusqu'au Pont-Euxin. Saint Jean Chrysostome raconte que l'apôtre redressa les erreurs de la Grèce, et les Grecs lui attribuèrent, mais à tort, la fondation de l'Eglise de Byzance.

Sa passion.

Un 30 de novembre, probablement en l'an 69, un cortège pompeux entrait dans Patras, en Achaïe. C'était un nouveau magistrat grec qui prenait possession de son siège et allait offrir un sacrifice aux dieux. Egée, car c'est ainsi que plusieurs le nomment, tout en lui donnant à tort le titre de proconsul, n'a pas été sans remarquer, lors de sa cérémonie inaugurale la désertion des temples. A la rencontre du magistrat qui s'avance, précédé des licteurs, entouré de son cortège de flatteurs et de suppôts, se dresse soudain un vieillard, à l'aspect humble, au regard assuré qui vient lui dire : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »

C'est là, sur le port, entre les murs qui relient le rivage à la ville, au milieu de jardins, d'une luxuriante végétation d'oliviers, de vignes et d'orangers. Distantes d'un demi-kilomètre, les blanches maisons de la ville, dominées par l'Acropole aux temples dorés, s'appuient au flanc d'une montagne verdoyante. Les prêtres de Cérès, la crainte de César, ont déjà poussé le nouveau magistrat à la haine de ces chrétiens dont il ignore la doctrine. Mais Egée est un Grec, et tout naturellement la discussion va s'engager, alors qu'à Rome la violence agirait seule. Les juges romains fuyaient en

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effet, généralement, les discussions théologiques, par crainte de donner aux martyrs un nombreux auditoire. André mit à profit cette occasion de prêcher la gloire de la croix, l'incarnation du Fils de Dieu fait homme, l'Immaculée Vierge Mère, et le « Proconsul », disons plutôt le juge, le trouvant inflexible, le condamna à la mort. Rien de plus naturel que le choix du supplice, rien de moins étonnant que le désir de lui faire ironiquement goûter par une longue station en croix le charme de la croix qu'il a exaltée. La flagellation, selon l'usage, précéda le crucifiement. Les actes du martyre nous ont été transmis dans un récit détaillé, connu sous le titre de « Passion de saint André ». Il commence ainsi : « Nous tous, prêtres et diacres des Eglises d'Achaïe, envoyons à toutes les Eglises d'Orient et d'Occident, du Midi et du Septentrion, la relation du martyre de saint André que nous avons vu de nos propres yeux …»

Cette « passion » reproduit la longue discussion entre André et son juge elle dépeint la colère populaire prête à éclater à plusieurs reprises contre le proconsul Egée et que l'apôtre parvient à apaiser. Elle montre André attaché pendant deux jours sur la croix et exhortant sans cesse la foule qui l'entoure. La liturgie lui a emprunté cette émouvante apostrophe du martyr : « Salut, Croix précieuse, depuis longtemps souhaitée, rends-moi à mon Maître ; que Celui qui m'a racheté par toi me reçoive par toi ! » Ce texte est si beau qu'on hésiterait à le croire inventer. D'ailleurs, la très ancienne contestatio ou préface de Saint-André dans la liturgie gallicane s'en est inspirée. Elle est conforme aux sentiments des premiers chrétiens, tels que les a établis le savant Martigny, et Mgr Batiffol a été frappé de leur analogie avec les plus vénérables textes de la liturgie.

L'apôtre est attaché à la croix, quasi in equuleo, comme sur un chevalet. Ici la tradition a été longtemps incertaine, surtout en Occident ; saint Pierre Chrysologue nous montre le Saint attaché les deux pieds réunis à un olivier, les bras étendus sur deux branches ; la croix a la forme d'un Y. Les vieux artistes occidentaux ont souvent pris la croix de la forme de celle de Notre-Seigneur. Avec l'influence des Grecs, chassés par la prise de Constantinople, la forme de chevalet en X devient universellement admise. Déjà elle figurait dans la Notitia dignitatum de l'Empire romain sur l'emblème de la légion Pannonienne tirée précisément de ces pays évangélisés par l'apôtre ; les Burgondes en gardent le souvenir, elle reste leur emblème national. C'est la croix de Bourgogne. Le Saint après deux jours a expiré. Une riche chrétienne de noble race obtient le corps, elle le dépose dans son sépulcre « dans son jardin ». Il est probable que selon l'usage, la croix est déposée avec le corps du supplicié dans le tombeau offert par Maximilla. La vie mortelle est finie ; la gloire commence.

Reliques et culte en Orient et en Italie.

Au IVe siècle, saint Grégoire le Grand, à qui on attribue le premier office de saint André, rapporte que son tombeau était à Patras l'objet d'un pèlerinage célèbre ; c'est là qu'eut lieu le miracle de la guérison de Mummolus, ambassadeur du roi Théodebert d'Austrasie, près de l'empereur Justinien. Déjà cependant le tombeau était vide, car en 357, le corps avait été transporté à Constantinople. Des parcelles avaient été alors détachées et on en avait transporté à Nole, à Milan et à Brescia. Par un prodige qui se continue encore à Amalfi, où le saint corps fut transporté depuis, il découlait déjà de ce sépulcre une sorte de « manne » ou huile d'agréable odeur. L'onction et l'absorption de cette huile guérissaient les malades. Justinien 1er fit élever le corps de la confession ou crypte où il avait été placé d'abord et le disposa dans une châsse d'argent, un 28 juillet, vers l'an 550. Dès le 6 avril 399 les grands pèlerinages avaient commencé. Saint Jean Chrysostome y avait conduit une procession générale, faisant invoquer le patron de l'Eglise de Byzance. La princesse Arcadie fonda le monastère de Saint-André. Une autre église fut fondée dans l'île Saint-André. Le 9 quai 1210, les Latins, qui ont grand soin après la prise de Constantinople de dépouiller la ville de ses reliques, enlèvent le corps de saint André. Le cardinal légat Pierre de Capoue s'en empare et le destine à Amalfi, sa patrie. Telle est l'origine de la troisième fête de la Translation de saint André.

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Une quatrième, le 9 avril, rappellera plus tard l'arrivée de sa tête à Rome.Lors de la translation de 357 le chef du Saint était demeuré à Patras. Il avait échappé à la pieuse

avidité des Latins de 1204. Thomas, « despote » du Péloponèse, le sauva lors de la prise de Constantinople par les Turcs en 1453 et l'apporta à Rome, où Pie II le reçut en triomphe le 12 avril 1462.

Patron des Slaves et des Écossais.

Les Slaves n'ont point oublié que leur pays reçut de saint André la lumière de l’Evangile. Dans le Caucase, l'antique ville d'Andrewa garde pieusement son culte. Kiew possède une riche église dédiée à « son » Apôtre ; de même Moscou. Pierre le Grand a reconnu ce célèbre patronage en plaçant sous le nom du Saint l'Ordre suprême de chevalerie qu'il fonda le 11 décembre (30 novembre russe) 1698. Les Polonais appellent saint André « Celui qui le premier... ». Son nom est encore aujourd'hui l'un des plus répandus, doublement depuis l'illustration que lui a donnée en 1657 le bienheureux martyr André Bobola. Cracovie a son église Saint-André, datant du XIIe siècle ; c'était l'église royale. De même à Varsovie. La Hongrie, par la liste de ses rois, nous prouve la popularité constante de l'apôtre de l'antique Pannonie. Les monnaies du comitat de Hondt, en 1568, portent son effigie. Les petits ducats d'or carrés frappés en 1759, lors du siège de Vienne, portent l'effigie de sa croix. C’est sans doute de là que le culte s'est répandu en Allemagne où nous relevons d'importantes églises. Dans l'ancien Empire, Oldenbourg, Juliers, Thorn, Emden et Campen ornaient jadis leurs monnaies de la figure ou de la croix de saint André. Il en est de même à Metz, à Chàteauregnauld jusqu’en 1627, et à Luxembourg, dont les changeurs appelaient ces pièces « florins de saint André ». Dès 975 au plus tard, la cathédrale de Trèves possède les « sandales de saint André », que l’archevêque Egbert place dans un reliquaire d’argent et qu’on expose encore aujourd’hui à la vénération. L’origine du culte du Saint en Grande-Bretagne et de son patronage national sur l’Ecosse est tout autre. Sans nous arrêter aux légendes poétiques, nous savons qu’il fut apporté en Angleterre, comme il l’avait été en Corse, par les moines disciples de saint Grégoire le Grand, venus avec saint Augustin, le premier archevêque de Cantorbéry. En 674, saint Wilfrid d'York fonda une église Saint-André à Hexham. Son successeur, l'évêque Acca, dut fuir devant une invasion et emporta en Écosse les reliques de l'église d'Hexham. Le roi Hungus l'accueillit avec bienveillance et l'aida à fonder l'église de Kilrimont, où, en 760, fut déposé un bras de l'apôtre. Telle fut l'origine du patronage de saint André sur l'Écosse. L'ancien bréviaire d'Aberdeen mentionne au 9 mai la Translation de cette relique.

Au XIe siècle, le siège épiscopal prit le nom de Saint-André et Edimbourg, et devint métropolitain de toute l'Écosse en 1472. Tout en tombant dans l'hérésie, la monarchie écossaise a gardé, puis transmis à la couronne d'Angleterre, son ordre de chevalerie dédié à saint André. Fondé par Jacques V, en l'an 1534, aboli en fait à la mort de Marie Stuart en 1587, rétabli par Jacques II, il est encore aujourd'hui une des décorations les plus estimées du Royaume uni. L'Angleterre, tout en donnant le culte de saint André à l'Écosse, l'avait conservé assez spécial pour qu'on le trouve mêlé à ses grandes traditions religieuses. L'Irlande n'avait pas été sans subir cette influence. En 1171, l'église Saint-André était une des principales de Dublin. Les émigrations bretonnes ont apporté le culte de saint André en Bretagne et en Normandie ; la cathédrale d'Avranches l'avait pour patron ; à Rouen subsiste l'admirable tour de son église ; le diocèse de Rennes possède de nombreuses paroisses sous son vocable.

Patron des Bourguignons.

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Les Burgondes venus de la Scythie, avaient gardé le culte de leur apôtre. La croix de Saint-André fut leur emblème national. Elle est restée celui du drapeau de la Franche-Comté, jaune à la croix de Saint-André rouge. Un moine scythe, Cassien, fonde au Ve siècle, l'abbaye de Saint-Victor de Marseille, et c'est là que dès une époque très ancienne et avec des légendes auxquelles il n'y a point à s'arrêter, va paraître en vénération la croix de saint André. Au VIIIe siècle, Charlemagne en prélève un fragment en faveur d'Heldrad, abbé de Novalaise.

Avec diverses aventures, la croix atteint la Révolution. Un mince fragment échappe, conservé dans une grande croix de bois peinte en rouge et or, sur un autel de la crypte de la vénérable église. A Aix on garde un des pieds du Saint ; Saint-Claude avait reçu au Ve siècle une de ses côtes, qui a disparu dans une des catastrophes qui ont frappé cette abbaye. Dôle avait reçu en triomphe en 1604 un os de l'avant-bras de saint André. Il y avait aussi à Vergy, en Bourgogne, une relique du Saint, très vénérée au moyen âge.

La croix de Saint-André est l'emblème par lequel les artistes jusqu'au XVIIesiècle représentent la nationalité bourguignonne ; on la voit sur les monnaies, sur les taques de fonte des cheminées, sur les murailles des villes, aux palais des tribunaux. Les soldats qui solennisent saint André comme fête patronale, jusqu'au XVIIe siècle, placent sur les portes des maisons de petites croix de Saint-André en plomb, portant gravés les mots « A tout hasard », pour montrer la protection dans les périls de la guerre. On sait que le duc Jehan sans Peur opposa la croix de Bourgogne à la croix droite blanche des Armagnacs et le rôle qu'elle joua dans les guerres civiles de ces temps calamiteux.

Populaire en Franche-Comté comme la fleur de lys en France ou l'aigle noir en Allemagne, elle servait d'enseigne aux auberges et on entendait même souvent, hélas ! jurer par elle ! Le cri de guerre des Bourguignons était d'ailleurs « Montjoie saint André », et les Lorrains appellent les Bourguignons « gens de la croix de Saint-André ». Saint André est le patron de l'Ordre chevaleresque de la Maison de Bourgogne. C'est en effet sous son invocation que le 10 janvier 1429 le duc Philippe le Bon fonda l'Ordre de la Toison d'or. Les églises du nom de Saint-André sont légion dans tout l'ancien royaume de Bourgogne. Unis à la Franche-Comté sous le nom de Cercle de Bourgogne, les Etats belges et flamands acceptèrent aisément le culte du Saint dont les monnaies de leurs communs princes portaient la croix ou l'effigie. L'Espagne, par les relations de saint Isidore et de saint Léandre avec saint Grégoire le Grand, devait avoir été pénétrée de dévotion envers saint André ; la liturgie mozarabe en témoigne. Elle accueillait aisément aussi le culte qui était celui du Patron de ses rois, à partir de Philippe le Beau ; l'écharpe rouge en l'honneur de saint André, la croix de Saint-André sur les bannières, dont sont fières les vaillantes troupes espagnoles, que décrit Bossuet en narrant la batailla de Rocroy, dans l'oraison funèbre du prince de Condé. A l'étranger, les Francs-Comtois exilés lors de la conquête par Louis XIV gardent fidèlement le patronage et dédient à saint André et à saint Claude l'église qu'ils élèvent à Rome, avec une confrérie qu'Innocent Xl déclare « archiconfrérie nationale ».

Saint André dans l'art, les traditions, la liturgie.

Si, par l'influence anglaise ou bourguignonne, une grande partie de la France est sous un spécial patronage de saint André, le reste du territoire n'a point échappé entièrement à la propagation du culte du Saint. La cathédrale de Bordeaux est, d'après une bulle du 25 février 1488, déclarée par Innocent VIII « le premier édifice construit en l'honneur du Saint ». La cathédrale d'Agde, comme celle d'Avranches, est aussi dédiée à saint André. A La Chaise-Dieu était une insigne relique du Saint ; il est le patron de la principale église de Châteauroux, de la chapelle de paroisse, à la cathédrale de Poitiers, d'églises en diverses villes. Le diocèse de Paris, qui a eu jadis sa célèbre église Saint-André-des-Arcs, a vu se relever Saint-André-d'Antin et Saint-André de Montreuil ; enfin c'est la France qui a vu surgir au XIXe siècle une Congrégation sous le titre : les Soeurs de la Croix de Saint-André, fondées par le bienheureux André-Hubert Fournet.

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L'ancienne liturgie gallicane donnait d'ailleurs une grande place à saint André ; nous avons vu qu'elle lui attribuait une préface propre. Adam de Saint-Victor lui dédie deux de ses plus belles proses ; et dès 813 Charlemagne avait fait ordonner par le Concile de Mayence que la fête de saint André fût célébrée solennellement dans tout l’empire. Saint André est le patron des pêcheurs et des marchands de poissons et on le représente souvent un poisson en main ; il est aussi le patron des porteurs d'eau et quelquefois des bouchers. A Rome, il est le patron des cordiers, sans doute parce qu'il fut attaché à la croix non par des clous, comme Notre-Seigneur, mais par des cordes. Il est naturellement le patron des soldats en Pologne, comme il l'était en Franche-Comté. Est-ce pour cela que dans ces deux pays, il est le patron des jeunes filles à marier ? Les dévotions populaires à ce sujet y sont curieuses et identiques, et, chose remarquable, il en est de même des pratiques superstitieuses qui trop souvent se sont greffées sur ces dévotions. Dans certaines localités d'Alsace, le jour de Saint.-André, les parrains offrent à leurs filleuls des pains d'épices aux amandes, usage dont l'origine n'a pu être éclaircie.

On invoque saint André contre les maux de gorge, contre la calomnie, et surtout pour être délivré des obsessions impures du démon.

La liturgie a toujours donné une place importante à sa fête. C'est avec celle des saints Pierre et Paul, la plus ancienne des fêtes d'Apôtres célébrées séparément. En 865, saint André est si important dans le calendrier, que le Pape saint Nicolas 1er indique aux Orientaux sa fête comme une des huit solennités qui dispensent du maigre du vendredi. Comme le rite gallican, la liturgie ambrosienne nous fournit une superbe préface propre dans laquelle est encadré un récit de la passion du Saint.

Les artistes qui ont reçu dans la tradition, pour saint André, le type d'un vieillard à longue barbe blanche, se sont complus à représenter son effigie ou sa vie. Sa caractéristique est la croix, souvent en Occident représentée droite jusqu'au XVIe siècle, depuis déterminée de la forme de l'X. A Mimizan, dans les Landes, au XIIe siècle, ce sont les jambes du Saint qui sont croisées de manière à représenter ce signe sacré. Les plus grands peintres d'Italie, d'Espagne, de Flandre ont pris part à cette iconographie vraiment royale dans laquelle on peut rassembler plusieurs centaines de chefs-d'œuvre. Les Pères et les Docteurs fourniraient un superbe recueil sur saint André. Citons seulement le mot de saint Jean Chrysostome : « André est le simulacre parfait du Christ. »

Saint André, dit saint Grégoire, nous enseigne « que le Seigneur ne regarde pas ce que vaut notre offrande, mais combien grande est l'affection avec laquelle nous faisons notre offrande ». Il nous enseigne dans ses actes l'amour de la croix, l'offrande quotidienne de la sainte Eucharistie. Est-il leçon plus utile à notre époque ?

A.C.P.

Sources consultées. – André Pidoux de la Maduère, Saint André, sa vie, sa passion, son culte (ouvrage sous presse en 1927). – (V.S.B.P., n° 92.)

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SOMMAIRE______

NOVEMBRE

1. Saint Bénigne, prêtre et martyr, apôtre de Dijon (…179), AHL.2. Saint Marcien, ermite en Orient (… vers 387), A.L.3. Saint Hubert, évêque, patron des chasseurs (655-727), A.R.4. Saint Charles Borromée, cardinal et archevêque de Milan (1538-1584), R.B.5. Saint Zacharie, père de saint Jean-Baptiste (t 1er s.), A.J.D.6. Saint Winnoc ou Winoc, abbé ou prieur de Wormhoudt (640?-716?), A.J.D.7. Saint Ernest, abbé de Zwifulda et martyr (1100?-1148), E. Lacoste.8. Saint Godefroy ou Geoffroy, évêque d'Amiens (1065 ou 1066-1115), R.H.L.9. Saint Ursin, premier évêque de Bourges (1er ou IIIe s.), J.V. et Fr. Br. 10. Saint André Avellino, Théatin (1521-1608), A.L. 11. Saint Martin, évêque de Tours, patron de la France (3l6-397), A. L. 12. Saint Martin 1er, Pape et martyr (….655), Th.Vettard.13. Saint Didace ou Diego d'Alcala, convers de l'Ordre des Frères Mineurs (1400?-1463), Jean de la Croix de Monsterlet.14. Saint Josaphat Koncewicz, archevêque de Polotsk et martyr (1580-1623), Fr. Br. 15. Sainte Gertrude, vierge et religieuse Cistercienne (1256-1302), A.L. 16. Saint Edmond, archevêque de Cantorbéry (1180-1240), A.E.A.17. Saint Grégoire le Thaumaturge, évêque de Néocésarée (210-270), A.Bousquet.18. Saint Odon, moine. Bénédictin de Baume et abbé de Cluny (879-942), J.V. 19. Sainte Élisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe, veuve (1207-1231), A.E.A 20. Saint Edmond, roi et martyr en Angleterre, (841-870), I.F.21. Saint Albert de Louvain, cardinal, évêque de Liège et martyr (1166-1192), A.L 22. Sainte Cécile, vierge et martyre (… 230?), Louis Veuillot.23. Saint Clément 1er, Pape et martyr (vers 30-vers 100), Abbé H. Castérède.24. Saint Jean de la Croix, premier Carme déchaussé, Docteur de l'Eglise (1542- 1591), A.R. 25. Sainte Catherine d'Alexandrie, vierge et martyre, patronne des jeunes filles et des philosophes (289?-307?), A. Poirson.26. Saint Léonard de Port-Maurice, Frère Mineur (1676-1751), G.Hironde.27. Saint Maxime, abbé de Lérins, puis évêque de Riez (400-460), Maxime Viallet. 28. Saint Étienne le Jeune, moine, martyr de Constantinople, et ses compagnons (715-764?), Christophe Portalier.29. Saint Saturnin ou Sernin, apôtre de Toulouse (1er ou IIe), Maxime Viallet.30. Saint André, apôtre (…69?), A.C.P.

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(illustrations de J.-M Breton et de Jos. Girard)

TABLE DES MATIÈRES

Les pages en chiffres gras indiquent les biographies complètes ; les pages suivies d'un astérisque (*) les citations des écrits ; les autres pages de simples notes.

SAINTS

Albert de Louvain Josaphat Koncewicz

Ambroise Justin, 40*.Andéol Lambert, 20.André Léocade, 66.André Avellino, 73. Léonard de Port-Maurice, 201.Auguste, 67. Lidoire, 84.Augustin, 72*, 144*, 184*. Marcien d’Orient, 9.Benigne de Dijon, 1. Martin, 81.Bernard, 51. Martin 1er, Pape, 89.Berthevin, 70. Maxime de Riez, 209.Bertin, 41. Nil le Sinaïte, 72*.Bonaventure, 160*, 184*. Odon, 137.Charles Borromée, 25, 75. Pierre, 178.Clément 1er, 177. Saturnin ou Sernin de Toulouse, Cyprien, 48*, 72*. 225.Didace ou Diégo d'Alcala, 97. Tiburce, 170.Edmond de Cantorbéry, 121. Urbain 1er, 169.Edmond, roi d'Angleterre, 153. Ursin, de Bourges, 65.Ernest, 49. Valérien, 169.Etienne le Jeune, 217 Vincent de Paul, 24*.François de Sales, 200*. Winnoc, 41.Germain de Constantinople, 217*. Zacharie, 33.Germain de Paris, 67. SAINTESGodefroy ou Geoffroy d'Amiens, 57. Catherine d’Alexandrie, 193.Grégoire le Thaumaturge, 129. Cécile, 169.Hilaire de Poitiers, 83. Elisabeth, mère de S.J.Baptiste,Hubert, 17. 33.Jean-Baptiste, 35, 233. Elisabeth de Hongrie, 145.Jean de la Croix, 185. Gertrude, 113.Jean l'Évangéliste, 179. Léonille, 2, 5. Thérèse, 187.

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