16
Dossier réalisé par Christian Yerly Un défi social, démocratique et scolaire Le recours à la différenciation pédagogique est souvent décrit comme une composante essentielle des pratiques inclusives qui valorisent l’apprentissage de tous les élèves dans un milieu d’apprentissage commun. Qu’en est-il de la collaboration notamment entre les intervenants spécialisés et les titulaires de classe? Apprendre tous ensemble, une longue histoire à Martigny C’est de notoriété suisse, à Martigny, on a joué le rôle de laboratoire en matière d’intégration. Depuis 1974 déjà. Entretien avec Raphy Darbellay Genève: un changement de paradigme Le concept général élaboré pour tout le canton pose la question essentielle suivante: «Comment maximiser le potentiel des élèves, tant sur le plan intellectuel que physique et socio-émotionnel?» Christian Yerly Payerne et environs, un projet d’école: «Vers une école inclusive» La force du dispositif mis en place: un co-enseignement négocié, avec des coups de pouce ciblés selon la matière enseignée et les groupes constitués. Un projet et des intentions communes, mais avec des réalisations différen- ciées. Quatre questions à Danielle Zombath 10 e Journée de l’enseignement spécialisé 26 novembre 2014 – Renens Le chagrin des mères Dans La cause des mères, Marie Desplechin dresse le portrait de mères d’enfants en difficulté scolaire. Vision systémique à Fribourg: famille, école, institution, communauté sociale, Etat Face à la multiplication des demandes d’un public scolaire toujours plus hétérogène, les enseignants se trouvent confrontés à des demandes qui dépassent le cadre habituel de la professions: éducation et enseignement. Christian Yerly Une école inclusive: un rôle de composition pour chacun L’expérience de l’école ordinaire de la Sainte Famille de Vierset et de l’école spécialisée des Capucines de Ciney (Belgique). Bernard Kersten Je me méfie de l’intégration… Est-ce permis? Les enseignants se retrouvent face à un discours paradoxal: «Occupez-vous de chacun avec ses différences ET faites-les tous réussir…» Stéphane Hoeben 2 4 6 7 10 12 13 16

10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

Dossier réalisé par Christian Yerly

Un défi social, démocratique et scolaireLe recours à la différenciation pédagogique est souvent décrit comme une composante essentielle des pratiques inclusives qui valorisent l’apprentissage de tous les élèves dans un milieu d’apprentissage commun. Qu’en est-il de la collaboration notamment entre les intervenants spécialisés et les titulaires de classe?

Apprendre tous ensemble, une longue histoire à MartignyC’est de notoriété suisse, à Martigny, on a joué le rôle de laboratoire en matière d’intégration. Depuis 1974 déjà. Entretien avec Raphy Darbellay

Genève: un changement de paradigmeLe concept général élaboré pour tout le canton pose la question essentielle suivante: «Comment maximiser le potentiel des élèves, tant sur le plan intellectuel que physique et socio-émotionnel?» Christian Yerly

Payerne et environs, un projet d’école: «Vers une école inclusive»La force du dispositif mis en place: un co-enseignement négocié, avec des coups de pouce ciblés selon la matière enseignée et les groupes constitués. Un projet et des intentions communes, mais avec des réalisations différen-ciées. Quatre questions à Danielle Zombath

10e Journée de l’enseignement spécialisé26 novembre 2014 – Renens

Le chagrin des mèresDans La cause des mères, Marie Desplechin dresse le portrait de mères d’enfants en difficulté scolaire.

Vision systémique à Fribourg: famille, école, institution, communauté sociale, EtatFace à la multiplication des demandes d’un public scolaire toujours plus hétérogène, les enseignants se trouvent confrontés à des demandes qui dépassent le cadre habituel de la professions: éducation et enseignement. Christian Yerly

Une école inclusive: un rôle de composition pour chacunL’expérience de l’école ordinaire de la Sainte Famille de Vierset et de l’école spécialisée des Capucines de Ciney (Belgique). Bernard Kersten

Je me méfie de l’intégration… Est-ce permis?Les enseignants se retrouvent face à un discours paradoxal: «Occupez-vous de chacun avec ses différences ET faites-les tous réussir…» Stéphane Hoeben

2

4

6

7

10

12

13

16

Page 2: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

2 Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialisé

Un défi social, démocratique et scolaire

Projet démocratique et implications scolairesLa diversité accrue de nos sociétés contemporaines est l’une des nombreuses mutations sociétales qui réclament le déve-loppement d’institutions plus inclusives (Mc Andrew et al., 2013). A cet égard, de par la nature des finalités qu’elle pour-suit, l’école est fortement interpellée par ce mouvement (Ducette et al., 1996; Prud’homme et al., 2011) et les ensei-gnants sont exhortés à développer des pratiques d’ensei-gnement qui répondent aux besoins de tous les élèves en tenant compte de leurs différences (Benoît et Angelucci, 2011: Bonvin et al., 2013; Booth et Ainscow, 2002; LEO, 2011). A ce titre, le recours à la différenciation pédagogique est sou-vent décrit comme une composante essentielle des pratiques inclusives qui valorisent l’apprentissage de tous les élèves dans un milieu d’apprentissage commun (Armstrong, Armstrong et Spandagou, 2010; Booth et Ainscow, 2002; Mittler, 2005). Or, ce travail en classe ordinaire demeure le fait de cas isolés, une majorité évoquant un faible sentiment de compétence face à la gestion de l’hétérogénéité (Horne et Timmons, 2009; Paré, 2011).Dans un tel contexte, plusieurs écrits relèvent que la collabo-ration, notamment entre les intervenants spécialisés et les ti-tulaires de classe, est une condition sine qua non pour la réussite de ce projet. La Journée de l’enseignement spéciali-sée se tiendra sous la forme d’un séminaire de travail où par-ticipants et animateurs exploreront les enjeux de cette colla-boration au regard du travail de l’enseignant spécialisé.

Un horizon à construire: l’entraide mutuelleEnvisager une approche plus globale de la formation et du vivre ensemble questionne fortement l’école qui doit inclure tous les élèves, qu’ils aient une incapacité ou non. Auparavant, les élèves ayant des besoins particuliers étaient intégrés dans les classes ordinaires uniquement pour les activités aux-quelles ils pouvaient participer pleinement, c’est-à-dire les activités non théoriques comme la musique, l’éducation phy-sique, les périodes libres et les pauses. Ainsi, ils passaient la majeure partie du temps d’enseignement dans les classes spéciales et tous obtenaient le même classement scolaire sans tenir compte de leur incapacité et de leurs besoins parti-culiers. Une fois atteint le niveau de compétence acceptable, on «permettait» à ces élèves de réintégrer la classe ordinaire.Dans un contexte inclusif, il est courant de voir des élèves ayant une incapacité et des élèves sans capacité jouer en-semble, travailler en collaboration à divers projets et s’aider mutuellement. Tous les élèves font partie du groupe. Or, quand on y regarde de plus près, on découvre que certains élèves font des activités et des travaux complètement diffé-rents des autres. Certains écrivent assis à leur pupitre, d’autres sont sur le clavier d’ordinateur ou dictent leur ré-ponse à un preneur de notes. En lecture, la situation est éga-lement éclatée: certains lisent seuls et d’autres se font lire une histoire en groupe pendant qu’un élève lit avec un parte-naire et que d’autres écoutent une histoire avec leur casque branché sur un ordinateur.

10e Journée de l’enseignement spécialisé Diversité, inclusion et différenciation pédagogique: les enjeux d’une collaboration profes-sionnelle pour la réussite de tous les élèves (Valérie Benoît, Valérie Angelucci et Luc Prud’homme)

Christian Yerly

Dans plusieurs pays européens, comme en Suisse, l’avenir des élèves différents ou qui ont des be-soins particuliers se situe dans une perspective de scolarisation «inclusive». Une telle volonté d’ac-corder l’égalité des chances et de participation à la vie sociale à tous les membres d’une commu-nauté convoque à la fois un cadre législatif (loi scolaire, directives OMS), une dimension citoyenne (participation et vie communautaire), ainsi que des éléments plus individuels (droits humains de la personne). L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non pas avec une vision de déficience, mais surtout à partir des différents obstacles rendant difficile la vie sociale de certaines personnes.

Du devoir d’accessibilité aux droits fondamentaux du vivre ensembleAinsi, ce n’est plus la norme sociale qui est retenue comme critère d’évaluation, mais une réelle préoccupation visant à prendre en compte le mode d’expression particulier qu’ex-prime un être particulier (Gombert A. et Guedj D., 2011). Désormais, la personne handicapée est reconnue d’emblée comme un sujet-citoyen qui existe dans un univers de partage et de solidarité (Kristeva J., 2003, p. 28-29, citée in Gombert et

al.). Comme le précise Kristeva, il y a désormais une obliga-tion faite aux communautés démocratiques de connaître et de reconnaître le citoyen handicapé dans sa réalité singulière afin de lui garantir pleinement ses droits. Ainsi, on dépasse les devoirs citoyens de compensation et d’accessibilité à la vie communautaire pour en faire des droits fondamentaux. Dès lors, c’est la responsabilité de tous qui se trouve engagée de manière à permettre à tous les individus d’être et de vivre ensemble.

Page 3: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

3Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialisé

Un engrenage de relations Fustier (1993, cité) soulevait déjà le piège d’être pris dans un engrenage de relations symboliques qui attribue droits et de-voirs en termes de réparations lorsque la société met en place une approche différenciée. Avec une visée inclusive, la centra-tion ne s’opère plus sur une seule personne mais sur l’en-semble du contexte et de leurs relations: c’est tout l’environ-nement humain qui est concerné en visant un soutien global et non ciblé! Il appartient aux différents groupes humains d’identifier les besoins collectifs et d’apporter à tous, per-sonnes handicapées ou non, un support nécessaire en termes de formation, d’aménagements techniques, d’aide psycholo-gique et de vie en société. Développer un tel sens communau-taire pose un défi qui dépasse l’école, faisant intervenir le contexte social (une communauté) et différents acteurs: en-seignants, intervenants extérieurs, responsables, parents et les élèves eux-mêmes. Face à tant de partenaires concernés, comment gérer autant de mouvements, de chamboulements et de crises? Comment écouter et entendre l’individualité d’un enfant particulier en évitant le sentiment d’invasion? (Hochmann, 2007, cité in Gombert et al.)

Des pratiques «si» spécifiques?Quelle posture adopter vis-à-vis de l’accessibilité au savoir avec des personnes qui ne sont pas socialement identifiées comme participant pleinement au développement écono-mique? Alors que le soin de «faire apprendre comme ils le pouvaient» aux élèves handicapés était laissé au secteur spé-

Gombert A., Guedj D., (2001) Travail et formation, TFE 8/11: L’inclusion en classe ordinaire des élèves en situation de handicap (saisi sur http://tfe.revuew.org, le 3.08.2014)Hammeken Peggy A. (2013). Adaptation: Paquette J. Le guide de l’inclusion sco-laire, répondre aux besoins de tous les élèves du primaire. Chenelière Education.

Réf

éren

ces

cialisé, la question du devenir social des personnes handi-capées et du développement des pratiques professionnelles spécifiques doit aussi être posée: «En quoi les pratiques d’en-seignement ordinaire ou spécialisé sont-elles spécifiques?»

Gestes ordinaires et situations extra-ordinaires?Quelle différence de nature entre les gestes d’adaptation pé-dagogiques déclarés et mis en œuvre dans le cadre d’une in-clusion par les enseignants spécialisés et par les enseignants ordinaires? Quelle adaptation à l’espace, au temps? Quelles modifications? Quels supports d’apprentissage? Quand et comment collaborer?Selon Mazereau P. (cité par Gombert et al.), les enseignants ordinaires se focalisent principalement sur la guidance pour aider les élèves, le but étant le maintien de l’attention des élèves vers la tâche, alors que les enseignants spécialisés s’orientent vers une adaptation des gestes et des exigences (consignes, supports, cadre de travail). Quels changements dans les pratiques quand des gestes ordinaires doivent être traités dans des situations extra-ordinaires?

Du tutorat au collectif de travailDes regroupements selon des besoins spécifiques, des logi-ciels ou des moyens spécifiques adaptés à des niveaux diffé-rents: décidément, la classe bourdonne de mille activités dif-férentes, mais pour quel horizon commun? Agir ensemble en même temps dans un même lieu: une telle collaboration ne va pas de soi. Dans ce genre de situation, on voit apparaître des gestes professionnels d’ajustement (Bucheton, 2007, citée in Gambert et al.) de l’ordre de la «ruse» éducative et de l’intelligence du moment opportun, une sorte «d’intuition pédagogique», des savoirs d’action proches du faire, en par-tie non verbaux et non conscients. Tout un répertoire de gestes professionnels «invisibles» qui nécessite une meil-leure visibilité.

Vivre ensemble, quand tous les élèves participent au mouvement?Dans une visée inclusive, la socialisation ne va pas à sens unique. Il s’agit de faire vivre ensemble toutes les différences et toutes les représentations dans des échanges allant dans les deux sens. Comment respecter les différentes personnali-tés ayant des histoires et des représentations différentes dans un collectif de pratiques où les élèves sont partie prenante?Une visée inclusive de l’école vient questionner les pratiques professionnelles (pédagogie et didactique), les diverses formes de collaboration entre enseignants ordinaires et en-seignants spécialisés, de même que les représentations des élèves, des parents et de tous les responsables scolaires. l

Programme9 h 15 – 9 h 40 Accueil café-croissant

9 h 45 – 10 h 00 Ouverture de la journée par Catherine Dayer, présidente de la commission d’enseignement spécialisé du SER

10 h 00 – 12 h 30 Ouverture sur le mouvement international d’inclusion scolaire.

Les enjeux de la diversité en éducation et la différenciation pédagogique. par V. Benoît, V. Angelucci et L. Prud’homme

Tables de travail: Forces et obstacles dans vos contextes professionnels – Mise en commun

12 h 30 – 13 h 30 Buffet dînatoire

13 h 45 – 15 h 30 Une culture de collaboration: des enjeux pour les systèmes d’éducation.

Le coenseignement en contexte inclusif: quoi, pourquoi et comment. par V. Benoît, V. Angelucci et L. Prud’homme

Tables de travail: Nouveaux rôles des enseignants spécialisés dans le mouvement vers une école plus inclusive.

15 h 30 – 16 h 00 Conférence synthèse: par Luc Prud’homme et Chantal Tièche

16 h 00 – 16 h 15 Conclusion de la journée par Georges Pasquier, président du SER

Dès 16 h 15 Apéritif

Page 4: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

4 Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialiséChristian Yerly

Martigny: Prix suisse des écoles 2013

Apprendre tous ensemble, une longue histoire à Martigny

Un établissement primaire performant!C’est de notoriété suisse, à Martigny, on a joué le rôle de laboratoire en matière d’intégration, comme des pionniers. Dès 1974 déjà, Jean-Pierre Cretton, direc-teur des écoles, a créé une école qui accueillait tous les élèves sans distinction, alors que de nombreuses barrières séparaient les élèves de Martigny. En effet, les classes étaient séparées en deux, les filles d’un côté et les garçons de l’autre, et une division voyait les catholiques et les protestants chacun dans leur zone. C’est donc le directeur d’alors qui a voulu supprimer ces frontières scolaires.

1990: un tournant décisifAvec la construction d’un nouveau bâtiment scolaire en 1990, une grande option a été prise: intégrer malgré un handicap physique ou mental tous les élèves qui doivent être scolarisés, de l’école enfantine à la sixiè-me primaire, alors que les élèves handicapés étaient jusque-là pris en charge par une institution indépen-dante et gérée par l’Etat du Valais. Dès lors, l’impulsion d’une école plus intégrative était lancée.Chaque enfant en intégration est appuyé par un en-seignant particulier, qui développe un programme adapté à ses capacités. Les interactions sociales avec les autres élèves sont surtout investies lors des cours d’éducation physique et des activités créatrices ma-nuelles. Il appartient aux enseignants ordinaires et spécialisés, avec la direction, de gérer au quotidien la prise en charge de tous les élèves.

1997: «apprendre tous ensemble en respectant chacun»C’est cette devise qui anime l’école depuis 1997 avec un projet d’intégration visant à répondre au mieux aux besoins des enfants. Avec la distinction obtenue

«Notre institution a été primée avant tout pour les efforts d’intégration dont elle fait preuve depuis de nombreuses années.» Raphy Darbellay, directeur des écoles de Martigny

en 2013, l’établissement compte bien poursuivre avec cette volonté d’intégration et les valeurs qui la portent.

Diversité et particularité: une richesse pour l’écoleCette année scolaire, 1425 élèves de cinquante natio-nalités ont fait leur entrée. Pour tenir compte de toutes ces particularités, l’établissement primaire peut comp-ter sur un intervenant en intégration et l’école dispose d’une bibliothèque interculturelle avec des ouvrages écrits dans environ cinquante langues. Malgré la dimi-nution des ressources humaines et l’augmentation des effectifs, le projet d’inclusion perdure. (Sources: Le Nouvelliste 16.08.2014)

Entretien avec Raphy DarbellayQuelle évolution peut-on relever dans l’histoire de l’intégration à Martigny? Auprès des élèves, des en-seignants et des parents ou de l’école en général?Raphy Darbellay: Dernièrement, un hebdomadaire romand a consacré tout un dossier à notre école avec ce titre très évocateur «Martigny: l’intégration comme une évidence». Je crois, sans faire preuve d’un nombri-lisme exagéré, que c’est effectivement le cas. Il ne faut cependant pas oublier que l’intégration dans les écoles de Martigny a une genèse de plus de 40 ans. Mais, je m’empresse de le préciser, elle a connu des phases de tâtonnements et de remises en question.Aujourd’hui par contre, l’intégration ne fait plus débat au sein de la communauté octodurienne. Tous les enfants sont scolarisés dans notre école, quel que soit leur handicap, si les parents le souhaitent. Des structures scolaires adaptées à leurs besoins ont été mises en place. Cette «philosophie» a reçu l’aval des autorités scolaires et politiques, des parents, des en-seignants. Elle est perçue comme très positive par la quasi totalité des élèves. Actuellement nous n’avons plus aucun problème à trouver des enseignants moti-vés et prêts à intégrer des élèves différents et plus au-cune réticence des parents à scolariser leur enfant au sein d’une classe accueillant des élèves handicapés. De plus, les questions soulevées lors des premières expériences d’intégration concernant les préjudices que cela pouvait occasionner sur la qualité de l’ensei-gnement, notamment au niveau des programmes, ont disparu.

La première édition du Prix suisse des écolesOrganisé par l’association Forum Bildung, ce concours est doté de 225’000 francs de prix. Son objectif est d’«encourager activement des évolutions orientées vers l’avenir au sein des écoles suisses». Parmi les cent établissements candidats, dix-huit ont été sélection-nés pour la finale. Après visites effectuées dans chacun d’eux, les experts ont désigné l’école de Martigny comme le plus performant du pays, ex aequo avec un établissement zurichois.

Page 5: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

5Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialisé

Répondre au mieux aux besoins des enfants: il y a donc des limites, lesquelles? Quand on parle d’intégration, on pense essentielle-ment aux élèves en situation de handicap mental ou physique. Notre école – plusieurs sondages l’attestent – semble répondre de façon satisfaisante à leurs besoins, mais il n’en est pas de même pour tous les enfants. Je pense en effet que se crée actuellement une nou-velle catégorie d’élèves inintégrables parce que soi-di-sant inadaptés à la vie scolaire: les élèves hyperactifs, dys-, TSA, HPI...Pour ces enfants-là, l’école doit faire preuve de plus d’inventivité et mettre en place des structures leur per-mettant de vivre une scolarité plus harmonieuse.Une école vraiment inclusive, une «école pour tous», laisse supposer que l’on pratique une différenciation des approches pédagogiques et des apprentissages en fonction des capacités des élèves. Malheureusement, les enseignants, même les plus jeunes, sont encore insuffisamment préparés et «outillés» pour répondre à l’incroyable diversité de la population scolaire actuelle. Des souhaits pour l’avenir? Quelles précautions ou décisions pour faire encore mieux? Des effectifs de classe moins lourds, des heures d’en-seignement spécialisé plus nombreuses pour per-mettre aux directions de mettre en place des structures scolaires adaptées aux besoins de tous les élèves: appui intégré, soutien, programmes adaptés, duos d’enseignants…

Et si c’était à refaire?Les enseignants de Martigny ont mené de 1995 à 1997 une grande réflexion1 ayant comme but de mettre en place des structures scolaires répondant aux be-soins de tous les élèves. De cette réflexion sont nés une charte et un projet d’école qui se résume ainsi: apprendre tous ensemble en respectant chacun. Ce consensus autour des valeurs, des missions de l’école, a permis de dégager une vision commune sur les idées fortes qui doivent guider nos démarches éducatives et pédagogiques, dont l’intégration. Si c’était à refaire, nous placerions ce temps de ré-flexion tout au début du processus d’intégration.

L’intégration n’est-elle pas une contrainte créative qui oblige l’école à se focaliser sur les apprentissages essentiels? On pense par exemple aux processus que sont les savoir-faire à développer: comparer, dégager des ressemblances, des différences, etc.Chez nous, l’intégration n’est plus ressentie comme une contrainte, mais comme une réelle plus-value. Elle permet en effet de développer une plus grande atten-tion aux autres, un plus grand respect des autres. Les programmes sont adaptés aux possibilités des élèves en situation de handicap mental, un projet pé-dagogique individualisé est élaboré. Ces adaptations favorisent la collaboration, le tutorat, les interactions entre élèves.

Le PER et son objectif transversal pour les élèves. Et pour les enseignants?

CollaborationVisées générales de la Capacité

La Capacité à collaborer est axée sur le développement de l’esprit coopératif et sur la construction d’habiletés nécessaires pour réaliser des travaux en équipe et mener des projets collectifs.

Quelques descripteursIl s’agit pour l’élève, dans des situations diverses, de:

Prise en compte de l’autre • manifester une ouverture à la diversité culturelle et ethnique;• reconnaître son appartenance à une collectivité;• accueillir l’autre avec ses caractéristiques;• reconnaître les intérêts et les besoins de l’autre;• échanger des points de vue;• entendre et prendre en compte des divergences;

Connaissance de soi • reconnaître ses valeurs et ses buts;• se faire confiance;• identifier ses perceptions, ses sentiments et ses intentions;• exploiter ses forces et surmonter ses limites;• juger de la qualité et de la pertinence de ses actions;• percevoir l’influence du regard des autres;• manifester de plus en plus d’indépendance;

Action dans le groupe • élaborer ses opinions et ses choix;• réagir aux faits, aux situations ou aux événements;• articuler et communiquer son point de vue;• reconnaître l’importance de la conjugaison des forces

de chacun;• confronter des points de vue et des façons de faire;• adapter son comportement;• participer à l’élaboration d’une décision commune

et à son choix.

Alors oui, l’intégration est une contrainte créative! Mais pas du tout dans le sens de la question posée, orientée vers les apprentissages essentiels. C’est une contrainte créative qui oblige l’école à imaginer des séquences d’apprentissage basées sur la coopération et l’entraide, c’est-à-dire vers l’acquisition de compé-tences sociales. l

1 Voir site des écoles de Martigny : www.ecolemartigny.ch

Page 6: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

6 Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialisé

E galité des chances, intégration des élèves à besoins éducatifs spécifiques: un changement de paradigme nécessaire pour prendre en

compte tous les apprenants dans leur diversité (Les Clefs de l’école, printemps 2013). Ce n’est pas à l’élève de s’adapter à l’école par diverses préparations, mais c’est au système scolaire d’adapter son fonctionne-ment à la diversité des élèves. Quel fonctionnement dans les établissements? Quelles méthodes et quelles exigences pour s’adapter au projet éducatif de chaque élève? L’inclusion avec quelles solutions locales, glo-bales, individuelles?«L’éducation inclusive est une approche qui consiste à réfléchir aux changements à apporter aux systèmes éducatifs pour qu’ils répondent à la diversité des ap-prenants.» La définition d’une école inclusive incite à une meilleure collaboration entre tous les acteurs de l’éducation.

Un concept généralA Genève, les directions et le secrétariat général du Département de l’instruction publique (DIP) élaborent un concept général pour tout le canton. Il doit englo-ber tous les élèves quels que soient leurs besoins, leur handicap, leur talent, leur origine et leurs conditions de vie économiques et sociales.La question, essentielle, est la suivante: «Comment maximiser le potentiel des élèves, tant sur le plan intellectuel que sur les plans physique et socio-émo-tionnel?» Si de nombreux dispositifs «d’intégration et d’apprentissages mixtes» participent déjà de ce projet,

Christian Yerly

1 Véronique Poutoux, rédactrice en chef du site Vers une école inclusive. Juin 2014V. Poutoux (2014). Document: www.versunecoleinclusive.fr, L’évaluation différen-ciée. Pourquoi? Comment?

Réf

éren

ces

«Faire bénéficier certains de «privilèges» est vu comme une atteinte à l’idéal démocratique et scolaire. La justice c’est d’abord l’égallité.» Véronique Poutoux.1

le concept d’école inclusive doit encore être finalisé pour être entériné par les autorités politiques.(Références: Les clefs de l’école, printemps 2013)

Aides particulières et évaluation: une question majeureAdaptation et aménagement des interventions péda-gogiques ou allégements des exigences, autant de particularités qui viennent questionner l’école et ses missions. Ecole élitiste ou école inclusive?En effet, comment rendre compte de ce qui est acquis par les élèves quand on a différencié les aides, diffé-rencié les compétences évaluées, différencié les sup-ports? Livret de progression? Formulaires administra-tifs? Peut-on personnaliser l’évaluation? Est-ce juste? Ne trompe-t-on pas l’élève lui-même? Est-ce un leurre pour les parents?

Logique d’apprentissage ou logique de résultats?Pour Véronique Poutoux (2014), «Il est temps que les enseignants abandonnent le stylo rouge comme instru-ment symbolique de l’évaluation sinon l’école inclusive ne peut poursuivre sa marche». L’évaluation différen-ciée n’est pas uniquement une indication du parcours individuel d’un élève, c’est également un outil de pilo-tage pour conduire des progressions en lien avec une approche par compétences. Si des groupes de besoins ont été mis en place, les modalités d’évaluation aussi bien formative que sommative peuvent être différentes. De tels choix pédagogiques viennent immanquable-ment convoquer des valeurs dépassant le cadre strict de l’école pour intégrer la notion citoyenne d’éga-lité: «Tous les citoyens étant égaux (aux yeux de la République), sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics selon leur capacité et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents» – art. 6 de la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (cité par Poutoux, 2014). Poutoux insiste: «Alors que notre société pri-vilégie l’individu et la mobilité sociale, les positions sociales de chacun sont désormais le résultat d’une compétition ouverte à tous, dans laquelle chacun est en mesure de faire valoir ses talents, ses mérites, ses choix. Il s’agit de la version égalité des chances sans l’école.» l

Genève: un changement de paradigme

© G

iann

i Ghi

ring

helli

Page 7: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

7Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialiséChristian Yerly

«La ressemblance ne fait pas autant un que la différence ne fait autre.» (Montaigne)

Une convergence d’intérêts et de réflexions: priorité aux solutions inclusives plutôt que séparativesLe projet de l’établissement primaire de Payerne trouve son origine à la fois dans les textes de loi et dans une réflexion approfondie sur la pertinence des prises en charge des élèves en difficulté, de même que dans une volonté d’innover, de s’inscrire dans un hori-zon différent, pour donner plus de sens aux actions et aux activités proposées par tout l’établissement pri-maire. Il s’agit d’envisager de nouvelles expériences, de promouvoir d’autres valeurs à l’intérieur d’un éta-blissement: élaborer progressivement un nouveau paradigme pour se donner une autre représentation de l’école, selon les termes de la directrice Danielle Zombath.

Une nouvelle loi et une volonté de différencierUn article de la nouvelle Loi scolaire vaudoise (LEO art. 98 al. 1) précise que l’école est un lieu qui s’adresse à tous les élèves: «Le directeur et les professionnels concernés veillent à fournir à tous les élèves les condi-tions d’apprentissage et les aménagements néces-saires à leur formation et à leur développement.» Dès lors, la priorité doit être accordée aux solutions inclusives plutôt que séparatives. Ainsi, dans l’éta-blissement primaire de Payerne, la prise en charge des élèves en difficulté qui doivent régulièrement sortir de classe a été sérieusement interrogée, car les insa-tisfactions de plusieurs acteurs, enseignants et inter-venants, ont été relevées: la difficulté des horaires, des objectifs et des activités souvent en décalage, un manque de coordination et de collaboration. L’élève pris en charge individuellement est doublement péna-lisé, il doit sortir de la classe et intégrer ce qu’il ap-prend seul aux autres activités de la classe.

Une réalité sociale: des différences qui augmentent sans cesseL’hétérogénéité de plus en plus grande des élèves (origine, milieu socio-culturel et maturité, mais aussi rythme d’acquisition, intérêt et connaissances géné-rales) nécessite des pratiques différenciées. Cette dif-férenciation peut et doit s’effectuer durant et dans les activités en classe. En effet, la présence de spécialistes au sein même des établissements est une richesse de regards et de potentialités de réflexions et d’actions

Payerne et environs,un projet d’école:«Vers une école inclusive»

dont doit pouvoir bénéficier l’ensemble de l’équipe enseignante. Réfléchir et travailler à plusieurs est pro-fitable à l’ensemble des acteurs.

Une école ambitieuse: l’accueil de tousUne réalité: l’élève standard ou l’élève dans la norme n’existe pas. Comme il serait simpliste de considé-rer que l’école puisse fonctionner avec des groupes d’élèves homogènes: le groupe de dyslexiques, celui des élèves avec des troubles de comportements, les élèves timides, les sportifs et ceux à haut potentiel, etc. Vision impossible! La réalité est tellement diverse et complexe; il appartient à l’établissement scolaire de prendre en compte cette diversité afin de répondre aux besoins et aux particularités de chacun.

Des principes qui donnent des ailes aux acteursEtre créatif et avoir envie de tester. On doit oser, on s’autorise à essayer des changements au sein des équipes d’enseignants. Augmenter les têtes et mul-tiplier les mains pour intervenir dans une classe. Partager les ressources et les forces crée un esprit d’équipe.

Vivre ensemble: une exigence communautairePrendre en compte l’autre, se connaître et réaliser des actions en groupe font partie des intentions du Plan d’études romand (PER, Capacités transversales). Les objectifs transversaux donnent à voir plusieurs termes ou formules qui décrivent très bien la valeur de cette ambition de collaboration: manifester une ouverture à la diversité, accueillir l’autre avec ses caractéris-tiques, reconnaître les intérêts et les besoins de cha-cun, prendre en compte des divergences, reconnaître ses valeurs et ses buts, etc. Tous ces descripteurs convergent vers un horizon commun à tous: devenir un élève parmi les autres élèves. Etre, exister, vivre et apprendre avec les autres.

Page 8: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

8 Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialisé

Des interventions coordonnées sur la matière, les moments et les groupes d’élèvesDans l’établissement primaire de Payerne, il n’y a plus d’appui traditionnel individualisé donné à l’extérieur de la classe ou uniquement pour certains élèves alors que d’autres étaient mis en congé. Désormais, chaque semaine durant quatre périodes, un-e second-e ensei-gnant-e intervient en soutien intégré (SI). Pour ce faire, les deux enseignant-e-s coordonnent leurs inten-tions, les exigences et le contenu à traiter en désignant ensemble les élèves qui bénéficieront d’une aide selon les thèmes et les disciplines travaillés. Ainsi, tous les élèves travaillent sur les mêmes notions en même temps, mais avec des approches différenciées et à des niveaux différents. Ici réside la force du dispositif: un co-enseignement négocié, avec des coups de pouce ciblés selon la matière enseignée et les groupes consti-tués. Un projet et des intentions communes, mais avec des réalisations différenciées. Evidemment, cette ma-nière de faire impose des contraintes et des exigences aux enseignant-e-s.

Des projets individualisés assurés par l’enseignant-e régulièr-e avec l’enseignant-e spécialisé-eCertains handicaps nécessitent une prise en charge individualisée, c’est le soutien intégré spécialisé (SIS) qui s’occupe de cet aspect. Afin d’assurer une stabilité et d’éviter un défilement d’intervenants, le-la même enseignant-e spécialisé-e prendra en charge les autres élèves qui ont un besoin de soutien. Cette prise en charge au sein même de la classe permet aux élèves porteurs de handicap d’apprendre avec les autres dans la même école et de bénéficier ainsi des interactions sociales nécessaires au développement personnel.

Collaboration, implication et, surtout, modification des habitudes...Une telle intention de changement vient bousculer l’organisation habituelle du fonctionnement en classe: gestion des élèves avec des collègues, ouverture des classes au regard externe et cela plusieurs fois par semaine, collaboration et préparation intensifiées, ré-flexion importante à propos d’exigences différenciées autour d’une même notion ou d’un même concept. Ce sont de nombreuses rencontres avec les collègues et les spécialistes (PPLS), mais également avec les pa-rents, qui doivent venir tisser les mille et un fils per-mettant la mise en place d’une pareille volonté «Vers une école inclusive». Un investissement considérable et un travail remarquable sont à mettre au crédit des enseignants pour la réussite d’un tel projet. C’est une variété de dispositifs nouveaux que l’équipe enseignante a dû intégrer et Danielle Zombath ne tarit pas d’éloges pour l’investissement consenti par tous les enseignants.

Un soin particulier au premier cycle (CIN, école enfantine): les compétences sociales et langagièresL’attention portée aux premiers pas des jeunes élèves dans l’école de Payerne n’est pas sans rappeler une

Ecole inclusive et différenciation dansle canton de Vaud (saisie le 29.08.14)Conformément aux dispositions de l’Accord sur la pédagogie spé-cialisée, l’avant-projet de loi met l’accent sur la priorité à donner aux solutions intégratives plutôt que séparatives. La pédagogie différenciée devient la règle, non seulement pour les élèves qui rencontrent des difficultés scolaires, mais également pour ceux qui, plus rapides que les autres, peuvent atteindre les objectifs avec davantage d’aisance. L’avant-projet précise ainsi les bénéfi-ciaires de mesures de pédagogie différenciée et les types de me-sures à mettre en place, qui ne sont plus décrites sous l’angle de «regroupements d’élèves», autrement dit sous l’angle de «classes spéciales», mais sous l’angle des mesures dispensées aux élèves qui ont des besoins particuliers, ce qui donne davantage de sou-plesse dans l’organisation de ces mesures et permet de privilégier les mesures intégratives. Si le principe de priorité à donner aux situations intégratives est affirmé, cela ne signifie pas pour au-tant que tous les élèves pourront suivre un enseignement régulier dans des classes régulières.

L’être-avec comme structure humaine… Vivre ensem-ble, être ensemble, vie commune. Un lien comme une réaffirmation d’appartenance: la notion de bien commun revient sur la scène. Un nouveau rapport d’appartenance, une révolution s’opère dans nos so-ciétés, la «reliance», c’est ce rapport d’appartenance qui s’appuie sur de nouveaux indices: réaffirmation régionale, projet communautaire, défi inclusif…

Page 9: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

9Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialisé

des caractéristiques du succès de l’école finlandaise: traiter très tôt les difficultés des élèves. C’est égale-ment l’ambition du projet de l’établissement payer-nois: la diversité et l’ampleur des différences étant plus marquées au début de la scolarité, c’est là que doit porter l’effort de prise en charge des différences. Pour pouvoir devenir un élève comme les autres et en-trer dans les apprentissages, il faut surtout de bonnes compétences langagières et sociales, les unes venant nourrir les autres dans un va-et-vient permanent. «Communication, compétences langagières», c’est le credo de la directrice de l’établissement figurant sur une des bases de la fusée illustrant le projet d’établis-sement (ci-contre). Cette vision transversale de l’usage du langage dans toutes les disciplines reprend un des aspects importants assignés à l’enseignement du fran-çais, son caractère transversal, bien précisé par les experts de la CIIP (2006, p.3).

Quatre questions à Danielle Zombath

Quelles sont les plus grandes difficultés qui sub-sistent encore dans votre projet «Vers une école inclusive»?La première des préoccupations réside dans la non-re-conduction du dispositif. Sa pérennisation devient un réel souci pour tout l’établissement primaire. Le projet étant limité dans le temps, son financement ne sera donc plus assuré.Ensuite, il y a toujours une certaine réticence des en-seignants face au regard extérieur. Le regard de l’autre, la peur d’être jugé est toujours un défi pour les ensei-gnant-e-s qui ouvrent leur porte plusieurs fois par semaine.

Des satisfactions et les premiers enseignements por-teurs d’avenir?C’est d’abord la volonté de prolonger la collaboration émise par les enseignant-e-s. En effet, avoir goûté au coenseignement et au partage des ressources vous fait percevoir les avantages d’une mise en commun des forces. De plus, le plaisir retrouvé des élèves en difficulté pour l’école et l’envie d’apprendre est bien réel. Ces élèves qui ont des besoins particuliers sont portés par la dy-namique du projet: apprendre ensemble. La régulation par les pairs fait qu’un véritable esprit communautaire génère une ouverture, une volonté de progresser et de l’imagination qui emportent l’ensemble des élèves et des enseignants. On ose!

Une anecdote?Oui, l’an passé, une maman me demandait des nou-velles de notre projet d’établissement. Comme je lui re-tournais la question (sa fille étant dans une classe qui comportait de l’enseignement spécialisé), la maman s’étonnait: sa fille lui avait parlé avec enthousiasme de la deuxième enseignante qui venait aider les élèves. Difficile d’identifier l’élève porteur de handicap…

Quelques outils ou traces du processus enclenché dans votre établissement?Plusieurs documents internes ont été élaborés pour cadrer, encadrer et mettre en réseau les différentes équipes. Par exemple, un document «travail en équipe: mission et mandats» et un document «mandats des équipes pédagogiques» (à découvrir sur le site www.revue-educateur.ch). l

Aspect transversal de l’enseignement du françaisParmi les directives relevant des aspects particuliers de l’enseignement du français (l’articulation communiquer/apprendre à communiquer, maîtriser le fonctionnement de la langue/réfléchir et construire des références culturelles), il faut relever surtout: le caractère transversal de l’ensei-gnement du français, au croisement de toutes les disci-plines scolaires, qui relève dès lors de la responsabilité de l’ensemble des enseignants quelle que soit leur spécialité. Les activités et les démarches:– La prise en compte des connaissances initiales des élèves.– La mise en problèmes des objets de savoir afin de les présenter non comme des éléments de savoir «fini», mais comme un «obstacle» à dépasser.– Les échanges et la coopération entre élèves pour créer des situations favorisant le partage de la parole tout en visant l’acquisition de compétences de communication. (Références CIIP, 2006, Enseignement/apprentissage du français en Suisse romande, Orientations)

Le soutien langagier dès les premiers pas en classeDès lors, l’activité langagière des élèves est aux fondements des apprentissages sociaux et scolaires. C’est ce dévelop-pement-là, le langage et le bagage culturel, qui va faire

l’objet de toutes les attentions. Le français, à la fois langue de communication, outil de travail et d’échanges en classe, mais aussi support et instrument de travail des autres disci-plines, doit être renforcé dans le but de permettre aux élèves d’entrer dans l’écrit. Cette volonté d’action se manifeste par la présence d’une enseignante de «soutien langagier» qui intervient trois périodes par semaine, en soutien et diversifi-cation de l’enseignement régulier.

Une volonté d’innovation dans les établissementsUne telle volonté d’innovation est encouragée et soute-nue par le Département de la Formation de la Jeunesse et de la Culture, la Direction générale de l’enseignement obli-gatoire, le Service de l’enseignement spécialisé, et le pro-jet «Vue inclusive» fait l’objet de bilans annuels internes et externes. Ces diverses interventions démontrent que le projet profite aux élèves et que la plupart des enseignants sont globalement satisfaits du changement intervenu dans leur fonctionnement. Un suivi expert auprès des élèves et des enseignants est également assuré par la Haute école pédagogique de Lausanne. Il s’agit là d’un regard externe qui offre un retour étayé permettant un meilleur pilotage du projet d’innovation en cours.

Page 10: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

10 Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialisé

Quand un enfant n’y arrive pas…Comment font les parents, surtout les mères, quand un enfant est en difficulté scolaire? Cette réalité, ces por-traits de parents au combat, Marie Desplechin a décidé de partir à leur rencontre à travers différents portraits de mères (La cause des mères, Le Monde, juillet, août, 2014)Quand un élève n’y arrive pas… On essaie tout: la dou-ceur, le conseil, la rigueur, l’entretien, les résolutions, la patience, le spécialiste, etc. Comment faire avec l’école, les enseignants, les responsables, les insps, les experts, les éducs, les psys, les orthos, les neu-ros? On voit son enfant malheureux, on se transforme en entraîneur, en coach ou en gendarme, on fait aussi du lobby, mais l’enfant résiste toujours et, souvent, renonce. Mais qu’a-t-on fait de faux? Comment en est-on arrivé là?

Maman, la saison des reproches. Papa, où t’es?Marie Desplechin rappelle cette réalité de parents, et surtout celle des mères, car les pères viennent après…. Lorsqu’un parent est aux prises avec un enfant en dif-ficulté scolaire, tant de souvenirs proches ou lointains dans une vie de mère qui «offrent mille raisons de se faire des reproches». Qu’est-ce qu’on n’a pas fait juste? Quand a-t-on fait des erreurs? Quelle décision prendre? Quelle solution? «Comment faire maintenant pour que le fruit de nos erreurs trouve une place dans un monde qui ne veut plus des faibles, des lents, des étourdis? On se débat, convaincu d’être à la fois le problème et la solution.» (Le Monde, Culture & Idées, 12.07.2014). Certes, on finit par trouver une solution, mais le com-bat (le cirque!) aura duré dix, quinze ou vingt ans ! C’est beaucoup dans une vie…

Chagrin d’écoleEt Marie Desplechin de citer: «On est la mère…», écrit Daniel Pennac dans Chagrin d’école (Gallimard, 2007), «On est seule, la main sur le téléphone, on hésite. Expliquer pour la énième fois le cas du fils, faire une fois de plus l’historique de ses échecs, cette fatigue, mon Dieu…» En dressant une typologie des mères éplorées, le ro-mancier pointe une situation invisible à force d’être

commune: le temps et l’énergie investis par les femmes pour élever des enfants qui ne satisfont que très moyennement aux normes requises par le système scolaire et le corps social.

Les experts et les héroïnesCe combat des mères tient de l’épopée. Toutes les réflexions et les échanges tenus autour des difficultés d’un enfant constituent un récit où se mêlent des pro-pos qui se ressemblent et se répondent, parmi lesquels «l’institution scolaire et l’expertise éducative ou médi-cale tiennent les premiers rôles». Il y a de l’héroïsme au quotidien dans cette ténacité déployée par les mères. Pourquoi pas les pères? «De fait rarement le père», ré-pond Pennac, «le père vient après, quand il vient, mais à l’origine, le premier coup de téléphone, c’est toujours la mère (…)». «Aux hommes le jardinage, le bricolage et les animaux familiers. Aux femmes le ménage, les courses, la cuisine, le linge. Et les enfants, à tout âge, des couches au travail scolaire, aux relations avec les enseignants, à la participation aux jeux, aux prome-nades et aux sorties.»Hélas, les chiffres révèlent des inégalités qui perdurent. Sur les milliards d’heures de travail domestique effec-tué en France en 2010 (invisible dans les indicateurs économiques), souligne Desplechin, les deux tiers étaient effectués par des femmes (Insee, 2010).

L’enfant, c’est d’abord la mère!Certes, il y a bien quelques nuances à apporter en fonction du milieu socio-culturel (1% chez les indé-pendants et près de 6% chez les cadres supérieurs), mais à quelque pour-cent près, la pratique demeure majoritairement inégalitaire. Et l’augmentation des familles monoparentales (une famille sur cinq) ne fait que conforter cette réalité. Pourtant, c’est qu’elle a fait du chemin la mère, en cin-quante ans… l

M. Desplechin, (2014) La cause des mères 1/7, Le Monde, culture et idées, 10.07.2014.

Réf

éren

ces

Christian Yerly

Le récit des mères, «c’est lui que j’ai voulu écouter,

transcrire et donner à lire. Pour souligner combien il se

ressemble et se répond d’une voix à l’autre, pour secouer à mon tour l’indifférence qui affecte l’émietté,

le banal, le privé, et masque opportunément le social et

le politique». (Marie Desplechin)

Le chagrindes mères

© P

hilip

pe M

artin

Page 11: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

11Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialisé

Des Cités de l’Education: Reggio Emilia, Maceratta, Charleroi, Péruwelz, EtterbeekUne synergie politique, scientifique et socio-pédagogiqueMutations sociales fortes avec nouvelles parentali-tés et précarité des liens: la famille, l’école et la so-ciété doivent réinventer des modalités éducatives pour favoriser un épanouissement individuel et col-lectif des enfants.Pour aborder ces nouveaux défis, il faut mettre en commun les ressources de la société dans son en-semble. Comment favoriser à la fois l’émancipation de tous: enfants, famille et individus membres de la communauté, tout en luttant contre les inégalités en lien avec certaines conditions sociales? Comment reconnaître et valoriser les savoirs et les compé-tences de chacun?

Créer des Cités de l’EducationCette utopie, ce défi prend progressivement forme et s’enracine dans plusieurs villes et communes. Avec la période de crise, plusieurs acteurs poli-tiques, socio-pédagogiques et scientifiques sont conscients qu’il faut trouver de nouvelles voies d’ac-tion. Désormais un réseau international de Cités de l’Education a été créé (RICE). Charte, convention, échange de pratiques sont les premiers outils d’ex-périences originales que partagent plusieurs com-munautés: les villes éducatives.

Co-éduquer: l’éducation comme préoccupation partagée!Et c’est un véritable partenariat Ecole-Famille-Communauté qui représente la clé de voûte de l’ensemble du processus éducatif (J.-P. Pourtois, H. Desmet à l’Université de Mons) avec : action concer-tée et coordonnée au niveau politique (autorité), socio-pédagogique (parents, enseignants, éduca-teurs, intervenants sociaux, citoyens…) et scienti-fiques (Université). Il s’agit de re-créer des liens et de travailler ensemble en mobilisant les ressources et les compétences de toute la communauté pour faire face à la déliance toujours insécurisante afin d’engager des synergies fructueuses pour le déve-loppement de tous. l

(Source: Revue internationale de l’Education Familiale, no 34, 2013. Université de Mons.

Contacts: [email protected] [email protected])

Vers l’école avec mon enfant, pour une entrée réussie

Pour mieux préparer mon enfant, est-ce que j’ai pensé à…– Visiter avec lui l’école?– Participer avec lui aux activités organisées par l’école?– Aller à la bibliothèque du quartier avec lui?– Lui lire une histoire tous les jours?– Jouer avec les mots, les sons, les chiffres, les lettres?– Lui faire exprimer ses sentiments face à l’école et le rassurer au besoin?– Le laisser faire des choses par lui-même: ranger ses jouets, s’habiller tout seul?(Je félicite mon enfant chaque jour!)

Comme parent, je prépare mon enfant pour son entrée à l’école, quand…– Je l’encourage à jouer avec les autres.– Je l’invite à dire ce qu’il ressent en respectant les autres.– Je l’amène à être plus autonome.

L’entrée à l’école est un moment important pour mon enfant. Une bonne préparation à cette étape facilitera sa réussite scolaire.

Je contribue à la réussite de mon enfant quand…– Je lui propose des activités qui nécessitent son attention.– Je lui parle positivement de l’école (j’ai à cœur sa réussite).

(Source: Fédération des comités de parents du Québec)

Un projet artistique pour les enfants (ville de Toulouse): «Education pour tous, dessine-moi une école plus inclusive…» Et si on cartographiait un projet d’inclusion scolaire? La place des dif-férents acteurs, les frontières ou les limites, de même que les difficultés… Lieux de changements, lieux à effets émotionnels: supervisions, rencontres, participation. Perméables, étanches, mouvantes: de l’usage des frontières… Délimiter un espace, c’est faire appa-raître différents lieux, c’est démarquer des zones et placer des frontières qui apportent nuances, ressemblances et différences à un ensemble. Ces différences ou ces oppositions sont les endroits où se structure le monde. Avec les années, les fron-tières peuvent évoluer, disparaître ou réapparaître.

«Si on veut comprendre comment est fait le monde, il faut comprendre quels usages sont faits des frontières…» Patrick Suter, professeur de littérature, Berne.

Co-éduquer... ensemble!

Page 12: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

12 Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialisé

«Tous les hommes sont des originaux, des machines si différentes que, si chaque

individu pouvait se créer une langue analogue à ce qu’il est, il y aurait autant de langues que d’individus.» Diderot, Œuvres complètes,1875.

Christian Yerly

Coopération, collaboration et travail en équipe: un souhait, une exigence, un cheminComment tenir compte des injonctions parfois para-doxales d’un système éducatif confronté à des de-mandes de plus en plus complexes et différentes? Enfants à besoins particuliers, élèves allophones, enfants souffrant de différents troubles, etc. Face à la multiplication des demandes d’un public scolaire toujours plus hétérogène, les enseignants se trouvent confrontés à des demandes qui dépassent le cadre habituel de la professions: éducation et enseignement.

Vers une école plus inclusiveSi l’horizon visant à réaliser une école plus inclusive met tout le monde d’accord, sa mise en œuvre exige de remodeler ou, du moins, de mieux coordonner les solutions actuellement en place. Comment faire mieux dialoguer la logique institutionnelle et ses dispositifs répondant aux réels besoins du terrain?

Un souhait: une meilleure coordinationLa multiplication des différents services auxquels s’adresser mériterait une plus grande cohérence.

Ainsi, au souhait d’une meilleure collaboration des enseignants devrait correspondre une meilleure colla-boration des services.

Un cahier des tâches qui s’allonge et des responsables de plus en plus sollicitésLes nouvelles exigences de la profession d’enseignants viennent occuper des plages de temps qu’il est difficile d’augmenter. Dossiers à constituer, réunions d’équipe, collaboration multiple à deux et à plusieurs, etc.: les projets et les dossiers s’accumulent sans que des dé-charges soient prévues.

Des parents partenaires, vraiment?Selon les textes de loi, les parents sont des partenaires de l’école. Mais il faut souligner combien cette volonté ne s’applique pas toujours dans les gestes du quoti-dien, certains parents ne respectant pas les exigences les plus élémentaires: horaire, investissement, enga-gement et soutien à leurs élèves, etc.

Un enseignant ordinaire pour des demandes de plus en plus extra-ordinairesEnseignant et petits métiers variés: collaborateur, conseiller, coach, oreille attentive, organisateur et psychologue, administrateur, gestionnaire, profileur, gendarme et arbitre de conflit, soignant, thérapeute, infirmier…

Question d’espace…Comment adapter l’espace des classes de manière à pouvoir réaliser des activités différentes sans se déran-ger mutuellement? l

Un ensemble de dispositifs pour des besoins de plus en plus hétérogènes

Quelques abréviations bien connues des usagers: – SESAM: Service de l’enseignement spécialisé;– MCDI: maître de classe de développement itinérant;– SI: Service d’intégration;– FLS: Français langue seconde.

Education générale, psychologues, logopédistes: à disposition des enseignants pour répondre aux besoins de plus en plus diffé-renciés d’une population scolaire très hétérogène et cosmopolite.

© G

iann

i Ghi

ring

helli

Vision systémique à Fribourg: famille, école, institution, communauté sociale, Etat

Page 13: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

13Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialisé

GestationIncident de parcoursEn juin 2014, le pouvoir organisateur de notre école a décidé de nous considérer officiellement comme «école inclusive». Comment et pourquoi en est-on arrivé là? Cela mérite un temps d’observation car, il faut bien l’avouer, nous avons découvert l’Amérique en cher-chant un autre chemin pour les Indes!La question et le projet initiaux n’ont pas été: «Comment construire une école inclusive?», mais: «Comment mettre en chantier une école plus efficace et plus efficiente? Pour tous les enfants!»Chemin faisant, la voie de la reconnaissance nous a conduits à accueillir de plus en plus d’élèves à diffi-cultés spécifiques. Cela nous imposait une régulation permanente. Ce qui nous a conduits à cesser d’être un acteur solitaire et à nous associer. D’avancées en avan-cées dans notre partenariat, nous avons pu constater que nous avions construit toutes les caractéristiques d’une école inclusive.

Une évolution progressiveDepuis des décennies, l’école de la Sainte Famille s’im-posait une réflexion pédagogique sur ses pratiques et se tenait à l’écoute de l’actualité pédagogique. Il y a une vingtaine d’années, un premier virage conséquent s’est opéré. Au moment de la refonte du programme scolaire, une série de chantiers ont été entrepris afin de mettre en place consciemment et volontairement des pratiques plus efficaces et plus efficientes. Les pro-jets éducatif et pédagogique ont été revisités et nous avons entamé une quête de cohérence afin de passer des mots à une réalité effective sur le terrain. Les ques-tions posées peuvent se résumer par quelques titres d’ouvrages et auteurs qui nous ont accompagnés lit-téralement et activement: Enseigner et/ou apprendre?,

Une école inclusive: un rôle de composition pour chacun

L’expérience de l’école ordinaire de la Sainte Famille de Vierset et de l’école spécialisée des

Capucines de Ciney (Belgique).

de Joseph Stordeur; Oser l’apprentissage à l’école, de Stordeur et Jamaer; Miser sur les différences: êtres gagnants, de Stéphane Hoeben, Paul-Marie Leroy et Patrick Reuter.Cette quête permanente d’efficience et d’efficacité nous a permis naturellement d’accompagner des élèves en difficultés. Nous commencions à faire de l’intégration spontanée.

AssociationIl y a six ans, un deuxième virage a été franchi quand un décret a permis des aides substantielles aux écoles désirant organiser des pratiques intégratives. Nous sommes passés d’une intégration sauvage à une inté-gration reconnue. L’école spécialisée des Capucines de Ciney cherchait une école ordinaire pour lancer ce type de projet. Nous avons entamé notre fructueuse collaboration. Six enfants ont été bénéficiaires au dé-part sur une population de quatre-vingts élèves dans notre école; puis de plus en plus, jusqu’à vingt-sept sur nonante maintenant. Nous tentons de nous tenir à un taux de 25 % en intégration officielle. Cependant, la demande est tellement forte que ce taux n’est qu’offi-ciel car, officieusement, un enfant sur trois arrive chez nous parce qu’il rencontre des difficultés scolaires. Au point de vue du personnel supplémentaire qui encadre les enfants, on est passé d’un enseignant spécialisé à temps complet à trois enseignants spécialisés, soit un par cycle avec une logopède à temps plein et une coor-dinatrice spécialisée.

Gestion Prise de positionAu moment de l’entrée en collaboration avec le per-sonnel de l’enseignement spécialisé, une série de prin-cipes pédagogiques étaient déjà bien expérimentés: travail en cycle (en équipe), évaluation formative, coo-pération, différenciation… L’équipe «ordinaire» avait soif de connaissances sur les besoins spécifiques des élèves en difficultés. L’équipe spécialisée se retrouvait en défi par rapport aux contraintes externes à l’institu-tion (programme, CEB, normes…). Ce sont donc les dif-ficultés des élèves qui ont orienté les premières prises de positions.

Bernard Kersten, directeur avec charge de classe, Master en Sciences de l’Education, Ecole Sainte Famille de Vierset-Barse (Belgique), [email protected]

Dans un premier temps, nous répondrons à la question: comment en est-on arrivé là? Et dans un deuxième temps: comment organise-t-on au quotidien cette collaboration ordinaire/spécialisé? Enfin, nous envisagerons quelques priorités.

Page 14: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

14 Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialisé

Trois étapes ont jalonné cette mise en relation: oppo-sition, apposition, composition. L’opposition serait le temps où les positions s’affrontent subjectivement; l’apposition, le temps où les positions sont posées l’une à côté de l’autre et analysées objectivement. Et la composition, le temps de l’action en revisitant les posi-tions pour les adapter à la situation réelle.La phase d’opposition fut très vite dépassée et trans-formée en phase d’apposition. La phase de compo-sition est devenue permanente, centrée sur la réalité effective et pas uniquement la théorie. l Exemple: «Pour cet enfant dyspraxique, il serait plus judicieux de lui donner d’emblée l’outil informatique lors de la production d’écrit.», «Je pense que l’écriture manuelle, c’est important.» Opposition.l «Et si, lors des temps de productivité, on lui donnait accès à l’ordinateur; et durant les temps d’apprentis-sage, on favorisait l’écriture manuelle.» Apposition.l «Je mettrai telle adaptation dans la phase producti-vité et telle autre dans la phase apprentissage puis on évaluera les effets.» Composition.

SymbioseCe rôle de composition n’est pas construit d’avance, il est le fruit d’une construction et d’un apprentissage permanent. Je pense que dans notre situation, nous avons observé une symbiose entre les besoins et les conditions des apprenants enfants et des apprenants adultes que nous devenions. Chaque acteur a respecté les lois de l’apprentissage définies par Marc Dennery (2008):

– On apprend en déstructurant et restructurant ses connaissances.– On apprend en agissant.– On apprend en résolvant des problèmes en petits groupes.– On apprend en échangeant au sein d’un groupe.– On apprend en ayant un projet d’apprentissage.– On apprend en prenant du plaisir et dans un climat de confiance.– On apprend en maîtrisant ses propres stratégies d’apprentissage.

De la culture commune au travail en communL’enjeu est d’allier la complémentarité des compé-tences, la formation et la construction d’un savoir pro-cédural d’acteur et la capitalisation des expériences collectives.Il est capital de construire et d’entretenir cette nouvelle culture commune à travers des temps de concertation et de régulation. Nous nous sommes organisés pour que les membres de chaque cycle jouissent:l de deux heures de concertation effective hebdoma- daires;l d’une heure de régulation en équipe par semaine; l de deux heures mensuelles en équipe d’auto- formation; l un minimum de trois jours de formation annuels en équipe donnés par des experts en réponse à un plan de formation établi en commun;l en plus, chaque équipe s’adjoint d’autres temps supplémentaires en fonctions des besoins.

Concrètement, chaque cycle (6-8 ans, 9-10 ans, 11-12 ans) forme un groupe d’apprentissage (+/- 30-35 élèves). Ce groupe est géré par un enseignant temps plein spécialisé, un temps plein et un mi-temps ordi-naires, ainsi qu’une logopède qui intervient en classe (coenseignement) et de manière individuelle (co-inter-vention). Pour chaque groupe, cette dernière intervient (+/- 8 heures). Dans la mesure du possible, chaque groupe occupe un espace permettant l’enseignement en grand groupe ou la séparation du groupe en deux ou en trois (tentures, cloisons, local annexe). L’espace, chez nous, le permet aisément pour deux cycles sur trois. Chaque équipe alterne des apprentissages en groupe classe et en groupes de besoins. Les temps en groupe classe sont des temps de coenseignement, selon les besoins des élèves et les projets des ensei-gnants (guider, observer, soutenir...). Ce coenseigne-ment peut prendre les formes suivantes: l l’un dirige, pilote, l’autre collecte des informations; l l’un pilote, l’autre soutient les élèves;l l’enseignement parallèle (la classe est coupée en deux groupes pour un même projet ou en alter- nance); l des activités en ateliers.

© G

iann

i Ghi

ring

helli

Page 15: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

15Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé 10e Journée de l’enseignement spécialisé

Durant les temps en groupes de besoins (une ou deux périodes par jour), les groupes ont été répartis en fonc-tion des besoins repérés lors des collectes d’informa-tions. Chaque enseignant ou logopède prend en charge un groupe de besoins et programme des apprentis-sages ciblés pendant au minimum deux semaines. Ensuite, la composition des groupes est revisitée en fonction de nouveaux besoins.

Accompagner les apprentissagesLa programmation des apprentissages s’organise lors des concertations. Elle se déroule de manière collé-giale mais, si nécessaire, les rôles sont constitués comme suit: l’enseignant ordinaire assure le contenu et la continuité de la programmation tandis que l’en-seignant spécialisé et la logopède mettent en place les adaptations nécessaires pour les apprenants à difficul-tés spécifiques.L’évaluation des apprentissages est essentiellement formative. Au bout d’une séquence d’apprentissage ou d’une programmation de groupes de besoins, on évalue les effets. Avantageusement, le coenseigne-ment permet des observations plus fines de la part de l’enseignant qui se met en retrait (pas toujours le même). Ces informations peuvent permettre la forma-tion des groupes de besoins et/ou les communications aux collègues, aux enfants et aux parents. Elles per-mettent également d’établir les PIA (Projets individuels d’apprentissage) et donc d’établir des priorités. Chez nous, les élèves ne sont pas évalués par des points. Cela modifie le rapport au savoir, exclut la compétition au profit de la coopération, élimine le stress et permet l’audace.

GestePrioriserS’il fallait définir les impératifs prioritaires à mettre en place pour construire une école inclusive, outre la construction d’une culture commune autour des valeurs et attitudes (Tremblay, 2012), la mise en place de pratiques efficaces (différenciation, métacogni-tion, coopération, rendre explicite…), une gestion effi-ciente et efficace des intervenants…, il nous semble que les deux premiers piliers incontournables sont le rapport au savoir et le rapport au temps. En effet, les performances cognitives et le rendement temporel se confrontent ouvertement à la norme. Ils sont à l’origine de nombreux freins conceptuels et personnels. Ils gé-nèrent des peurs et peuvent provoquer des tensions. Ils méritent un large temps de formation, de concerta-tion. Ces piliers imposent la modestie.

Méta-fort!Trois conceptions s’opposent. Quoi de mieux que la construction d’une cathédrale pour rendre modeste le rapport au savoir et au temps. Le travail (savoir et sa-voir-faire) y est spécialisé et soumis à un compagnon-nage. Il faut plusieurs générations successives et donc des décennies pour venir à bout du projet. La sagesse rapporte cette anecdote: «Un jour, un passant découvre trois jeunes qui taillent une pierre. Il demande au premier: Que fais-tu? Celui-ci répond: Je taille une pierre. Il s’adresse au deuxième: Je construis un mur. Le dernier s’émeut: Je construis une cathédrale.»Le premier manifeste une relation de reproductivité au savoir. Sa relation au temps se limite au quota à four-nir, à l’obéissance.Le deuxième montre une relation de productivité au savoir. Sa relation au temps se limite au produit fini.Le dernier montre une relation inconditionnelle au sa-voir. La quête de sens.Sa relation au temps lui permet d’admettre l’infini, l’in-fini.Les normes limitent les deux premières visions.La dernière vision permet l’énorme!N’est-ce pas le défi de l’école inclusive? Quitter les normes pour entreprendre l’énorme.Donner cette conscience aux enfants de leur pouvoir sur eux-mêmes, sur le savoir et sur le temps.Le pari de l’éducabilité, ensemble, de manière complé-mentaire en admettant que le travail ne sera pas fini et que d’autres poursuivront l’œuvre, là où elle en est. Voilà la voie. l

M. Dennery, Piloter un projet de formation, ESF Editeur, 2008.C. Jamaer, J. Stordeur, Oser l’apprentissage... à l’école, de Boeck, Bruxelles, 2006.Leroy, Hoeben, Reuter, Miser sur lers différences: êtres gagnants, Labor, 2010.J. Stordeur, Enseigner et/ou apprendre, Coll. Outils pour enseigner, de Boeck, 1996.M. Tremblay, Inclusion scolaire: dispositifs et pratiques pédagogiques, de Boeck Université, 2012. B

iblio

grap

h

© G

iann

i Ghi

ring

helli

Page 16: 10e Journée - le-ser.ch · L’interaction entre ces trois composantes redessine la «situation de handicap» qui peut s’avérer plus ou moins importante et qui doit se lire non

16 Educateur 09.14

10e Journée de l’enseignement spécialisé

B eaucoup d’enseignants que j’ai rencontrés ont peur de l’intégration dans leur classe. Pourquoi? Tout simplement parce qu’ils ont été

formés pour enseigner et/ou apprendre… Le travail est de plus en plus difficile. L’intégration apparaît comme une surcharge de travail et même parfois comme un danger de constat d’incompétence. En effet, certains enfants arrivent avec des troubles qui, inconsciem-ment, mettent en péril le difficile équilibre de l’ensei-gnant face au groupe… Si le système veut agir sur cette peur, il serait respectueux de prévoir une formation des acteurs concernés…Le monde de l’enseignement est souvent traversé par un discours humaniste hérité des religions. «Allons, intégrez… Vous ne pouvez pas refuser… Ce ne serait pas très charitable…» L’utilisation d’un certain nombre de valeurs joue sur les sentiments des enseignants pour «faire avaler» le projet. Dans le même temps, le ministère est contradictoire par rapport aux valeurs de rentabilité et de réussite véhiculées par ses épreuves d’évaluation certificatives. Les enseignants se retrou-vent face à un discours paradoxal: «Occupez-vous de chacun avec ses différences ET faites-les tous réus-sir…» Si le système cherchait la cohérence, il construi-rait des attentes (évaluations) différentes, explicites pour les enfants intégrés… Comment peut-il jongler avec les valeurs de PISA et celles de l’intégration?«Le politique varie, l’enseignant reste.» Qui d’entre nous n’a pas constaté que chaque ministre veut lais-ser une trace, défend un cheval de bataille ou encore a parlé trop vite aux médias et se trouve piégé? Il nous faut rester vigilants pour inscrire dans un vrai projet éducatif une politique d’intégration. C’est d’autant plus difficile que la réussite de celle-ci dépend des moyens octroyés à long terme à une équipe enseignante. Dans le témoignage de l’Ecole de Vierset-Barse (lire p. 13), la réussite d’un tel projet ne vient pas d’un décret mais d’une forte expérience (compétence) d’une équipe en projet ET de l’octroi de moyens humains. La crise éco-

nomique en Europe – que doivent gérer nos politiques – leur permettra-t-elle de maintenir comme priorité l’éducation optimale du plus grand nombre? En auront-ils la volonté sur le long terme?Le Québec exerce sur le monde de l’enseignement en Europe une forme de fascination impressionnante. Leur mode de communication pragmatique et leur ac-cent font souvent croire aux autres que tout est magni-fique ou magique dans leur Belle Province. Pour y être intervenu à plusieurs reprises durant plusieurs années, j’ai été confronté à des enseignants perdus devant leur classe inclusive: «Comment voulez-vous que je m’oc-cupe de la majorité de façon efficace si je passe 50 % de mon temps à gérer quatre ou cinq élèves avec des troubles?» A la description de la composition de leur classe, je ne pouvais que comprendre leur désarroi. Au Québec, comme ailleurs, il y a des réussites d’intégra-tion et des écoles en grandes difficultés à ce propos. En anecdote, je me suis fait traiter de «gros naïf» lors de mes premiers passages parce que je pensais que tous les enseignants lisaient ou utilisaient les livres de la Chenelière…Enfin, tout scientifique vous parlera des dangers de la généralisation vis-à-vis des cas particuliers! Dans le domaine de l’éducation, chaque individu (enfant et adulte/enseignant) est particulier, chaque trouble est spécifique (il y a plusieurs nuances de dyslexies, associées ou non à d’autres troubles), chaque culture d’école est influencée par son passé. Les équipes (ou les enseignants) qui réussissent l’intégration sont gé-néralement expert-e-s et en projet. Faire fi de tant de particularités pour créer l’école inclusive obligatoire me semble dangereux…

Je me suis permis de me méfier de l’intégration… Que les enfants pour lesquels c’est une chance me pardonnent…Que les enseignants et les équipes qui y parviennent reçoivent ma sincère considération… l

Je me méfie de l’intégration*... Est-ce permis?(*des élèves du spécialisé dans les classes «ordinaires»)

Alors que l’intégration en elle-même ne me pose pas de problème, plusieurs raisons m’amènent à me méfier de sa généralisation et de sa traduction en principe: les ren-contres, le discours sur les valeurs, la variabilité du politique et la crise, l’influence québé-coise, la généralisation face à des cas particuliers... et d’autres…

Stéphane Hoeben, consultant indépendant en Education en Belgique, en Suisse… et ailleurs