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13. Climat : « L’interaction entre science et société devient cruciale » Deux mille scientifiques sont réunis depuis mardi au siège de l’Unesco de Paris pour préparer la conférence climatique de décembre prochain. Après le constat, les chercheurs planchent sur le passage à l’action. Entretien avec Hervé Le Treut, climatologue, directeur de l’institut Pierre Simon Laplace et membre du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). La conférence internationale qui se tient à l’Unesco se veut le plus grand forum scientifique avant la Conférence climatique de Paris. Que peut-elle apporter qui n’ait pas déjà été dit par le GIEC ? Hervé Le Treut. Scientifiquement, beaucoup de choses sont effectivement connues et établies. Ce qui change, c’est le contexte dans lequel elles doivent s’exprimer. La recherche climatique connait une mutation très forte. Nous sommes en train de passer d’un travail portant sur le constat, à la nécessité d’aider au passage à l’action. Nous n’en sommes plus à savoir si la planète se réchauffe ou pas : sur ce point, les climatologues sont d’accord. Au-delà d’objectifs très généraux, en revanche, il existe une large variété de stratégies à mettre en place pour atténuer ce problème, ou pour y remédier. Qu’il s’agisse de transition économique, énergétique, agricole, industrielle ou sociale, chacune demande à être évaluée. Et cela exige une compréhension scientifique des enjeux beaucoup plus précise. Vous voulez dire que le processus va prendre encore plus de temps qu’il n’en a déjà pris ? Hervé Le Treut. Il est souhaitable que la recherche soit la plus rapide possible. Cela dit, et ce n’est pas nouveau, le savoir ne s’acquiert jamais de manière immédiate et le temps du constat physique, celui de la recherche, n’a jamais été négligeable. La question climatique a commencé à émerger des laboratoires dans les années quatre-vingt : il se sera écoulé plus de 20 ans, depuis les premières mesures de CO2 jusqu’au premier rapport à l’Académie des Sciences Américaine sur le danger climatique associé. Et plus de 30 ans pour que le GIEC soit créé en 1988 et sorte son premier rapport, en 1990. Le premier Sommet de la Terre de Rio (qui a lancé le cycle des négociations internationales sur le climat, NDLR) a eu lieu en 1992 : jusqu’au protocole de Kyoto, signé en 1997, les choses sont ensuite allées assez vite. Mais depuis, ce mouvement s’est ralenti, confronté à des enjeux économiques complexes et à un phénomène qui n’avait pas été anticipé: la croissance fulgurante des pays émergeants, et plus singulièrement de la Chine. Ce ralentissement traduit également la difficulté à agir à la hauteur d’enjeux qui, de fait, sont énormes. Pour limiter la hausse des températures à 2°C d’ici la fin du siècle, le dernier rapport du GIEC indique qu’il faudrait avoir réduit de 40% à 70% les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici 2050. D’ici 2100, il faudra avoir atteint la neutralité carbone, c'est-à-dire ne pas émettre plus de CO2 ou équivalent CO2 que nous ne sommes capables d’en absorber. C’est colossal, et les climatologues ré alisent l’ampleur des défis que cela représente. Ils sont équivalents, peut -être, aux grandes transformations qui ont permis la sécurité sociale ou l’émergence de l’Europe. Le fait

13. Climat « L’Interaction Entre Science Et Société Devient Cruciale »

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  • 13. Climat : Linteraction entre science et socit devient cruciale

    Deux mille scientifiques sont runis depuis mardi au sige de lUnesco de Paris pour prparer la confrence climatique de dcembre prochain. Aprs le constat, les chercheurs planchent sur le

    passage laction. Entretien avec Herv Le Treut, climatologue, directeur de linstitut Pierre Simon Laplace et membre du groupe dexperts intergouvernemental sur lvolution du climat (GIEC).

    La confrence internationale qui se tient lUnesco se veut le plus grand forum scientifique avant la Confrence climatique de Paris. Que peut-elle apporter qui

    nait pas dj t dit par le GIEC ?

    Herv Le Treut. Scientifiquement, beaucoup de choses sont effectivement connues et

    tablies. Ce qui change, cest le contexte dans lequel elles doivent sexprimer. La recherche climatique connait une mutation trs forte. Nous sommes en train de passer

    dun travail portant sur le constat, la ncessit daider au passage laction. Nous nen sommes plus savoir si la plante se rchauffe ou pas : sur ce point, les climatologues

    sont daccord. Au-del dobjectifs trs gnraux, en revanche, il existe une large varit de stratgies mettre en place pour attnuer ce problme, ou pour y remdier. Quil sagisse de transition conomique, nergtique, agricole, industrielle ou sociale, chacune demande tre value. Et cela exige une comprhension scientifique des

    enjeux beaucoup plus prcise.

    Vous voulez dire que le processus va prendre encore plus de temps quil nen a dj pris ?

    Herv Le Treut. Il est souhaitable que la recherche soit la plus rapide possible. Cela

    dit, et ce nest pas nouveau, le savoir ne sacquiert jamais de manire immdiate et le temps du constat physique, celui de la recherche, na jamais t ngligeable. La question climatique a commenc merger des laboratoires dans les annes quatre-vingt : il se

    sera coul plus de 20 ans, depuis les premires mesures de CO2 jusquau premier rapport lAcadmie des Sciences Amricaine sur le danger climatique associ. Et plus de 30 ans pour que le GIEC soit cr en 1988 et sorte son premier rapport, en 1990. Le

    premier Sommet de la Terre de Rio (qui a lanc le cycle des ngociations internationales

    sur le climat, NDLR) a eu lieu en 1992 : jusquau protocole de Kyoto, sign en 1997, les choses sont ensuite alles assez vite. Mais depuis, ce mouvement sest ralenti, confront des enjeux conomiques complexes et un phnomne qui navait pas t anticip: la croissance fulgurante des pays mergeants, et plus singulirement de la

    Chine. Ce ralentissement traduit galement la difficult agir la hauteur denjeux qui, de fait, sont normes. Pour limiter la hausse des tempratures 2C dici la fin du sicle, le dernier rapport du GIEC indique quil faudrait avoir rduit de 40% 70% les missions mondiales de gaz effet de serre dici 2050. Dici 2100, il faudra avoir atteint la neutralit carbone, c'est--dire ne pas mettre plus de CO2 ou quivalent CO2 que

    nous ne sommes capables den absorber. Cest colossal, et les climatologues ralisent lampleur des dfis que cela reprsente. Ils sont quivalents, peut-tre, aux grandes transformations qui ont permis la scurit sociale ou lmergence de lEurope. Le fait

  • est quil faut, l aussi, oprer une transition majeure. Avec un handicap: il faut le faire vite. La nature nous laisse peu de temps.

    Ces changements relvent de choix conomiques et politiques. En quoi la science

    peut-elle aider ?

    Herv Le Treut. Cest bien sr aux citoyens, aux lus de prendre des dcisions. La science est seulement l pour les clairer. Mais elle est ncessaire : sans elle, on ne

    saurait mme pas que la plante se rchauffe. Dans un contexte o les enjeux

    sacclrent, linteraction science-socit devient aussi plus cruciale. Lvaluation des dangers volue sans cesse et les risques climatiques se heurtent dautres risques, environnementaux ou sociaux. La science peut proposer des solutions, des incitations.

    Elle ne se limite pas celle des climatologues : toutes les disciplines sont ncessaires y compris la science conomique. De fait, beaucoup de choix ne sont pas consensuels :

    pensons la place du nuclaire dans cette transition, celle des grands barrages, ou

    encore des biocarburants de premire gnration, qui peuvent diminuer les risques

    climatiques, crer, mais en crer dautres. Dans le domaine de ladaptation au changement climatique, il faut dterminer au plus prs quels seront les pays les plus

    vulnrables lavenir, afin de leur permettre dagir en consquence et dobtenir les financements ad hoc. Bref, tous les niveaux de dcisions, il y a des lments

    techniques mettre plat et expliquer. On ne peut pas trancher des choix aussi

    complexes au doigt mouill, mme si bien sr les dcisions relveront aussi trs

    fortement de critres non-scientifiques, tels que la justice ou le respect de certaines

    valeurs.

    Une quarantaine de pays, dont la Chine, lEurope et les Etats-Unis, ont dj livr leurs objectifs de rduction de gaz effet de serre pour laprs 2020. Nous placent-ils sur la bonne trajectoire ?

    Herv Le Treut. Rpondre cette question de manire prcise est prmatur : nous ne

    disposons pas de tous les chiffres, et il faut analyser dans le dtail ceux qui sont connus.

    Dans le cas prsent, les Etats se fixent chacun des objectifs sur des priodes de 10 ans

    ou un peu plus. Il va nous falloir calculer ce quils induisent en fin de sicle. Bien sr cela dpend du caractre structurant des mesures engages, de leur prennit au-del des

    quelques dcennies venir : re-forester peut avoir un impact moyen terme, mais une

    fois les arbres repouss, il sannule. Rnover un systme ferroviaire par exemple, a, au contraire, un impact plus durable. Cest la toute la difficult de lobjectif long terme du 2C : lambition est la bonne, mais il nest pas facile de mesurer si lon est en bonne voie.

    LHumanit.fr (http://www.humanite.fr/climat-linteraction-entre-science-et-societe-devient-

    cruciale-579155)