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PARCOURS Suzel Brout RÉALISATIONS Frank Gehry Renzo Piano Vander Maren et Venlet Éva Samuel TECHNIQUE Vêture bois DOSSIER Architectures chinoises : une décennie pour se réinventer d a DARCHITECTURES 230 - OCTOBRE 2014 D’ARCHITECTURES, LE MAGAZINE PROFESSIONNEL DE LA CRÉATION ARCHITECTURALE – FRANCE 12 - BELGIQUE 12,5 - DOM/S 13 - TOM/S 1450 CFP - CANADA 16,95 $CAD - SUISSE 19,90 FS - MAROC 120 MAD - TUNISIE 14 TND L 13688 - 230 - F: 12,00 - RD

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139-PUB VILLEROY 230 24/09/14 16:01 Page 140

PARCOURSSuzel Brout

RÉALISATIONSFrank GehryRenzo PianoVander Maren et VenletÉva Samuel

TECHNIQUEVêture bois

DOSSIER

Architectures chinoises :une décennie pourse réinventer

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D’ARCHITECTURES, LE MAGAZINE PROFESSIONNEL DE LA CRÉATION ARCHITECTURALE – FRANCE 12 € - BELGIQUE 12,5 € -

DOM/S 13 € - TOM/S 1450 CFP - CANADA 16,95 $CAD - SUISSE 19,90 FS - MAROC 120 MAD - TUNISIE 14 TNDd’a

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RÉALISATIONS

74 > FRANK GEHRY

La fondation Louis-Vuitton à Paris, 16e arrondissement

88 > RENZO PIANO

La fondation Jérôme Seydoux-Pathé à Paris, 13e arrondissement

94 > PHILIPPE VANDER MAREN ET RICHARD VENLET

L’atelier de Michel François à Bruxelles

102 > ÉVA SAMUEL

La casa Pileci, à Gioiosa en Sicile

^ De gauche à droite :Accrochée à 400 mètres au-dessus de la mer, la casa Pileci

fait face aux îles Éoliennes. © Clément GuillaumeL’atelier de Michel François, à Bruxelles © Filip Dujardin

La fondation Louis-Vuitton de Frank Gehry © Iwan BaanLa fondation Jérôme Seydoux-Pathé

dans le 13e arrondissement © Serge Demailly

72-73 SOM REA 230_SROK 24/09/14 11:27 Page 73

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émerge au niveau du premier sous-sol surun bassin d’eau reflétant la lumière.Dès son origine, le projet repose sur unedualité entre une enveloppe en verre réflé-chissant la lumière et le ciel pour atténuerla présence du bâtiment au sein du bois, etla nécessité de créer des volumes opaquespour abriter les espaces d’exposition etrépondre aux exigences muséographiquesmodernes, selon lesquelles la lumière natu-relle doit être contrôlée, voire totalementabsente. Les douze gigantesques « voiles »qui enveloppent les volumes de « l’iceberg »(nom donné par FOG lui-même, en réfé-rence à sa géométrie érodée) évoquent l’ar-chitecture des serres des jardins botaniquesdu XIXe siècle, comme celle d’Auteuil.

ENTRE-DEUX

L’organisation intérieure du bâtiment, quisemble à première vue assez chaotique, esten réalité le fruit d’un long travail – quel’on pourrait qualifier de chorégraphique –de recherche d’un équilibre entre la pondé-ration des masses programmatiques et l’or-ganisation des flux au sein de l’édifice. Aurez-de-chaussée, le bâtiment est scindé endeux à partir d’un hall d’entrée traversantqui offre un accès à l’auditorium d’un côtéet à une galerie d’exposition de l’autre.

Derrières les façades contorsionnées del’iceberg, on est surpris de découvrir desimples boîtes rectangulaires. Onze gale-ries, de tailles et de hauteurs variées, per-mettent d’accueillir différents typesd’œuvres et formats d’exposition. Dans cesespaces relativement flexibles et neutresdemandés par le maître d’ouvrage, le visi-teur peut avoir un rapport « serein » avecles œuvres. Mais contrairement aux sallesd’exposition en « enfilade », qui commu-niquent les unes avec les autres et imposentun parcours, le visiteur est ici libre d’allerd’une galerie à une autre en empruntantdes passages sinueux et des escaliers qui luifont découvrir la véritable morphologie dubâtiment. C’est précisément dans ces entre-deux que Gehry révèle son talent de met-teur en scène. L’architecte assume cettedimension sculpturale de l’enveloppe quipeut s’émanciper des contingences fonc-tionnelles pour incarner la dimensionpublique et émotionnelle de l’édifice. Loind’être un masque plaqué sur un corpsétranger, comme l’était le hangar décoré deRobert Venturi, elle est un lieu habité, par-couru, qui participe pleinement à l’expé-rience spatiale du bâtiment.Le principe est assez similaire au WaltDisney Concert Hall à Los Angeles, où l’es-

pace entre la boîte acoustique de la salle deconcert et les voiles extérieures qui l’enve-loppent sert de lieux de circulation et desociabilité du philharmonie. Mais tandisque ce bâtiment est centripète, en se proté-geant derrière ses façades d’acier inox pourencourager une communion autour de lamusique, la fondation Louis-Vuitton estcentrifuge. En adoptant une carapace trans-parente, le visiteur est projeté dans cetentrelacs de structure et de verre, et au-delàvers les spectaculaires points de vue que cesespaces périphériques offrent sur le bois etsur la ville. Le bâtiment est aussi pensécomme une topographie artificielle quel’on escalade pour s’y promener et accéderà des terrasses en toiture, surplombées parla canopée des voiles de verre. La fondationLouis-Vuitton s’inscrit en cela dans la tradi-tion des fabriques de jardin, de facture par-fois extravagante, qui construisent un pointde vue pittoresque sur l’environnementdans lequel elles s’inscrivent.Gehry a déjà exploré cette stratégie de ladouble peau dans sa propre maison,construite à Santa Monica en 1978 (etremodelée en 1991), où il a emballé unbungalow des années 1920 avec une nou-velle peau faite de contreplaqué, de tôleondulée, de grillage et de verre. Mais

74 D’ARCHITECTURES 230 - OCTOBRE 14

Vingt ans après le Centre américain àBercy, Frank Gehry livre dans le Bois deBoulogne à Paris un nouveau bâtimentpour la fondation Louis-Vuitton, dédiée à lacréation contemporaine. Le bâtiment estemblématique de sa manière de travailleret des thèmes qui habitent son œuvredepuis son origine. Il marque aussi unenouvelle étape dans l’évolution du travailde l’architecte californien depuis sa derniè-re œuvre majeure, le musée Guggenheimde Bilbao en 1997. Analyse et entretienavec Frank Gehry.

Située à l’orée du Bois de Boulogne, le longde l’avenue du Mahatma-Gandhi, la fonda-tion s’inscrit dans le paysage à l’anglaise dubois, dessiné par l’ingénieur Alphand et lepaysagiste Barillet-Deschamps, à la deman-de de Napoléon III et du baronHaussmann. Implanté en lisière du Jardind’acclimatation, le bâtiment a aussi étépensé en relation avec les activités ludiquesdu parc d’attractions. Grand amateur deÀ la recherche du temps perdu, Frank Gehryn’ignore pas non plus l’aura littéraire dulieu et les descriptions des promenades queProust faisait, enfant, dans le bois.

Occupé auparavant par un bowling, le ter-rain d’un hectare est la propriété de la Villede Paris. Une convention d’occupationd’une durée de cinquante-cinq ans a étésignée en 2007 entre la ville et la fonda-tion, au terme de laquelle le bâtimentreviendra à la ville. Non loin de là, l’ancienmusée national des Arts et Traditionspopulaires, construit en 1969, a fermé sesportes en 2005 et ses collections ont ététransférées au Mucem à Marseille. Lecontraste entre la composition modernistede Jean Dubuisson et l’abracadabrantesqueenchevêtrement de volumes de FrankGehry offre un raccourci saisissant del’évolution de l’architecture durant ces cin-quante dernières années.

DUALITÉ

Avec pas moins de huit musées à son actif,Gehry a acquis une grande expérience desprogrammes muséographiques. En dépitde l’extraordinaire succès du muséeGuggenheim de Bilbao, il n’a depuisconstruit aucun musée important. Le pro-jet du nouveau Guggenheim de New Yorka été abandonné ; celui d’Abou Dhabi, quidevait initialement être livré en 2013, a été

retardé par la crise.La fondation Louis-Vuitton est une fonda-tion d’entreprise et non une fondation per-sonnelle comme celle de François Pinault àVenise. L’objectif est d’accueillir des événe-ments pluridisciplinaires, des expositionstemporaires et des installations d’œuvres per-manentes pour lesquelles des artistes contem-porains seront sollicités. Le bâtiment de11700 m2 comprend 3200 m2 d’espaces d’ex-position et un auditorium de 350 places.La parcelle, de forme allongée, a contraintGehry à adopter un volume relativementcompact s’étirant en limite du Jardin d’ac-climatation. Contrairement au Centre amé-ricain à Bercy qui était soumis a de fortescontraintes d’alignement et de gabarit (res-pectées par Gehry non sans certaines diffi-cultés), la situation dans le Bois deBoulogne a permis une plus grande libertéen échappant aux aspects les plus contrai-gnants du règlement d’urbanisme parisien.Le PLU limitait cependant la hauteurconstructible et le terrain a dû être creusé,créant un niveau en sous-sol qui profited’un éclairage naturel. Pour accentuer lasensation de volumes en lévitation et ren-forcer l’effet de mouvement, le bâtiment

« Un coup d’aile ivre »*La fondation Louis-Vuitton à ParisArchitecte : Frank Gehry - Texte : David Leclerc

R É A L I S AT I O N S

Le bâtiment vu depuis le Jardin d’acclimatation.

* Extrait de Poésies (1887) de Stéphane Mallarmé.

« Le vierge, le vivace et le bel aujourd’huiVa-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre

Ce lac dur oublié que hante sous le givreLe transparent glacier des vols qui n’ont pas fui ! »

Stéphane Mallarmé

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7776 D’ARCHITECTURES 230 - OCTOBRE 14

la sensation de bricolage et la palettede matériaux « pauvres » qui étaient sasignature à l’époque ont aujourd’hui dis-paru au profit d’impressionnantesprouesses structurelles et d’une miseen œuvre d’un luxe inouï.

ÉQUILIBRE INSTABLE

Il va sans dire que cette architecture anécessité de relever de nombreux défisconstructifs et technologiques. Les façadesde l’iceberg sont recouvertes de 19000 pla-quettes de Ductal blanc moulés à partirdes données digitales du projet. Les13500 m2 de verrière à double courburesont constitués de panneaux uniques cin-trés sur-mesure. Le verre est pixélisé pourlui donner une teinte légèrement blanchequi s’accorde avec l’« iceberg », tout enconservant une surface réfléchissante etsensible à la lumière. La perception de lastructure qui supporte les voiles est aussiatténuée par ce film.Gehry a toujours voulu montrer la maniè-re dont les choses sont construites. Dès lesannées 1970, à Los Angeles, il remarque queles bâtiments sont plus beaux en chantierque finis. Il exposera dans ces premières

maisons ce squelette de bois dissimuléhabituellement sous une peau de plâtre etdes oripeaux décoratifs. Plus tard, la plasti-cité de l’espace prend souvent le dessus surl’expression de la structure ; celle-ci estalors est exagérée, pour prendre la formede colonnes surdimensionnées ou de com-positions arborescentes.En dissociant la structure porteuse de « l’ice-berg » de celle qui soutient les voiles deverre et en conservant cette dernière à l’ex-térieur, Gehry a pu librement l’exposer et lafaire participer à la dynamique d’ensembledu bâtiment. Le choix du bois lamellé-collé,présenté à l’origine comme un gage de déve-loppement durable, a dû être complété pardes manchons en acier pour obtenir uneinertie suffisante, ce qui donne au bâtimentune touche high-tech, inédite dans l’œuvrede l’architecte. Le soin apporté au dessin desdifférentes composantes structurelles et auxplatines d’accroche sur les volumes de l’ice-berg – qui sont étonnamment valorisées –témoigne aussi du savoir-faire des ingé-nieurs de RFR.On reproche souvent à l’architecture« expérimentale » de privilégier la formeaux détriments d’une véritable pensée

constructive ; d’où la déception trop sou-vent ressentie quand on passe de l’imageaguicheuse du rendu au bâtiment construit(le carreau des halles, au cœur de Paris, enest déjà un exemple). Combien de « blobs »ont tenu leurs promesses ? On peut repro-cher à Gehry son absence de rationalitéconstructive. Il est par contre difficile derester insensible à la puissance de cette sur-prenante structure en équilibre instable quise dresse sur la carapace de l’iceberg pourvenir soutenir les voiles de verre.

MOUVEMENT FIGÉ

Le thème du mouvement figé obsède Gehrydepuis ses débuts. Il trouve sa premièreincarnation architecturale dans le muséeVitra en 1989. Mais son expression la plusaboutie est peut-être au Bois de Boulogne.L’idée de mouvement semble à première vuecontradictoire avec le principe même de sta-bilité inhérent à l’architecture. Pour Gehry,l’architecture ne peut rester insensible aumouvement qui caractérise le monde d’au-jourdhui. Tandis qu’à Bilbao le bâtiment estanimé par une torsion verticale, à la fonda-tion Louis-Vuitton le mouvement est plutôttransversal, comme si ses volumes

R É A L I S AT I O N S > LA FONDATION LOUIS-VUITTON À PARIS

^V La façade nord, sur le Jardin d’acclimatation.V Le bâtiment vu depuis l’avenue du Mahatma-Gandhi.À droite, le plan d’eau situé le long de l’avenue se transforme en cascade pour rejoindre le niveau du sous-sol.

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© Cyrille Weiner

[ MAÎTRE D’OUVRAGE : FONDATION LOUIS-VUITTON ; BERNARD

ARNAULT, PRÉSIDENT – MAÎTRE D’ŒUVRE : FRANK GEHRY (ARCHI-

TECTE) ; GEHRY PARTNERS ; GEHRY TECHNOLOGIES ; INC. ATELIER

LIEUX ET PAYSAGE – MAÎTRISE D’ŒUVRE D’EXÉCUTION : STUDIOS

ARCHITECTURE – BET : SETEC BÂTIMENT ; L’OBSERVATOIRE

INTERNATIONAL/INGELUX SETEC BÂTIMENT ; RFR/TESS (FAÇADES) ;

LAMOUREUX (ACOUSTIQUE) ; NAGATA ACOUSTICS (SOUND DESIGNER

AUDITORIUM) – ENTREPRISE GÉNÉRALE : VINCI CONSTRUCTION –

TERRAIN : 1 HA – HAUTEUR : 48,5 MÈTRES – SURFACES :

11,700 M2 (TOTALE) ; 3,267 M2 (11 GALERIES D'EXPOSITION) ;

653 M2 (HALL) ; 563 M2 (AUDITORIUM, 350 PLACES) – PREMIÈRE

ESQUISSE : 2005 – LIVRAISON : OCTOBRE 2014 ]

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78 D’ARCHITECTURES 230 - OCTOBRE 14

R É A L I S AT I O N S > LA FONDATION LOUIS-VUITTON À PARIS

^ Modélisation montrant les différentes stratesdu bâtiment : les volumes de l’iceberg,la structure intermédiaire et les voiles de verre.< La voile en porte-à-faux, tel le spi d’un bateau gonflé par le vent.> Vue en contre-plongée de l’espace interstitielentre l’iceberg et les voiles de verre.V Au niveau du sous-sol, le plan d’eau entourele bâtiment comme une douve.

© Cyrille Weiner

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R É A L I S AT I O N S > LA FONDATION LOUIS-VUITTON À PARIS

> Détails constructifs :Platine de fixation de

la structure sur l’iceberg.L’iceberg au moment de la pose

de la vêture en Ductal blanc.Pièces de connexion des différentes

poutres en lamellé-collé.Détail des gouttières en inox

en rive des verrières.

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Accès rue. Niveau + 36,20

Niveau + 43,45

Niveau + 59,20

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Coupe 1

Coupe 2

Coupe 3

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8382 D’ARCHITECTURES 230 - OCTOBRE 14

avaient été emportés par une bour-rasque. En fonction des points de vue, lesimages et les métaphores qui surgissent dece chaos ne manquent pas : nuage de verre,vaisseau avec ses voiles gonflées par le vent,insecte en cours de mue. L’équation est com-plexe pour que ces sensations de chaos et demouvement figé soient porteuses de véri-tables qualités spatiales et produisent unbâtiment irréprochable d’un point de vuefonctionnel. Cela n’est possible que par untravail de va-et-vient entre les croquis, lesmaquettes et la modélisation informatiquepour que l’ensemble des contraintes pro-grammatiques soient intégrées à la concep-tion du projet dès son origine.

R É A L I S AT I O N S > LA FONDATION LOUIS-VUITTON À PARIS

^ Vue d’un escalier. À droite, vue de l’intérieur sur la double peau à l’extérieur.V Vues des salles d’exposition avec leur skylight.

^ Vue du hall d’entrée vers le parc du Jardin d’acclimatation.V Vue de la librairie depuis le hall d’entrée.

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© Iwan Baan

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qui est au cœur de sa démarche. Gehry atoujours pensé l’architecture de l’intérieurvers l’extérieur. Certains diront que tout cefatras de verre et Ductal est absurde puis-qu’il ne sert qu’à abriter des galeries d’ex-position somme toute assez convention-nelles. Les voiles de verre qui enveloppentle bâtiment sont aussi critiquables si l’on seplace du point de vue vitruvien de l’utilitas.Gehry récuse cette idée qu’elles ne seraientque simple décoration ne servant à rien.C’est l’émotion que procure l’architecturequi est primordiale, selon lui, et c’est à tra-vers elle que l’architecture communique.On peut aussi se demander si cette audacearchitecturale et cette surenchère formellen’ont pas été encouragées par BernardArnault lui-même pour épater son futurpublic et faire de sa fondation la vitrine deson groupe de luxe ? Le choix de FrankGehry est loin d’être neutre dans la straté-gie de communication de LVMH. Commele musée Guggenheim pour la ville deBilbao, la fondation va probablementdevenir l’emblème du groupe en incarnantsa capacité d’innovation. Aucune informa-tion n’a été communiquée concernant lecoût de construction final, le budgetannoncé de 100 millions d’euros ayantprobablement été dépassé. Comme àBilbao, il sera remboursé rapidement parles profits commerciaux qu’en tirera legroupe. À 84 ans, Gehry ne s’intéresse pasà ces polémiques. Il poursuit sesrecherches avec une vitalité surprenante,une certaine humilité mais aussi beaucoupde doutes et de questionnements sur sonpropre travail, ce dont témoigne l’entre-tien qu’il nous a accordé. <

1 - CATIA a été conçu par Dassault pour la concep-tion du Mirage 2000. C’est Gehry qui le premier autilisé ce logiciel dans le domaine de l’architecture,au début des années 1990, et qui l’a progressivementadapté aux exigences de sa profession. Il a fondé en2004 Gehry Technologies, qui commercialise CATIADigital Project pour les architectes.

84 D’ARCHITECTURES 230 - OCTOBRE 14

MUCH ADO ABOUT NOTHING ?

L’hypercomplexité du bâtiment soulève denombreuses questions. Gehry n’est-il pasallé trop loin ? La fondation Louis-Vuittonest-elle le reflet d’un style décadent, commele baroque tardif qui privilégiait les effetsdécoratifs ostentatoires à de véritables inno-vations spatiales ? Gehry ne serait-il pas vic-time de CATIA, le logiciel qu’il a façonnédurant ces vingt dernières années1 et quiaurait ouvert la boîte de Pandore en luioffrant un répertoire de formes illimitédifficilement constructible auparavant ?Seule l’expérience du bâtiment lui-mêmepourra apporter des réponses à ces ques-tions et nous dire si le jeu en valait lachandelle. Il faut toutefois rappeler quel’architecte, depuis quarante ans, n’a jamaischangé sa manière de travailler. Comme il

le répète souvent, il ne sait même pas allu-mer un ordinateur. Dans son agence deLos Angeles, il procède toujours en suivantla même méthode, à partir de croquis et demaquettes physiques à différentes échelles,qui sont progressivement digitalisées, pourfabriquer une maquette virtuelle en 3D.C’est donc toujours cette même approchehands on et intuitive qui prévaut encoreaujourd’hui. L’architecte se démarque encela radicalement de l’architecture dite« non standard », qui privilégie une concep-tion digitale des formes architecturales.Gehry sera probablement accusé une nou-velle fois d’être un sculpteur plutôt qu’unarchitecte, comme Kenneth Framptonl’avait souligné. Mais réduire son œuvre àun formalisme, c’est refuser de voir l’extra-ordinaire travail sur l’espace et la lumière

R É A L I S AT I O N S > LA FONDATION LOUIS-VUITTON À PARIS

^ Vue sur les tours de la Défense sous la canopée des verrières en toiture.

> Page de droite, en haut : une fracture dansl’iceberg ménage une place pour un escalier.

> Page de droite, en bas : la toiture est un véritable espace de promenade.Les dalles en béton armé sur plots DNSHeavy ont été réalisées par Pardak-Zoontjens.

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ries si classiques que ça. Je pense qu’elles sontsereines et plus nobles. Tous les musées, toutesles galeries sont des cubes blancs et ils sonttous pareils. Un grand nombre de mes amisartistes détestent ces espaces. Mais la plupartdes conservateurs et des directeurs de muséene jurent que par ça. Le monde est fatigué etil y en a marre de ces conneries. Le muséed’Art moderne de New York (MOMA) est undésastre et ils doivent le reconstruire aujour-d’hui. Vous savez, quand vous êtes dans cesespaces rigides, en enfilade, que l’on parcourtdans un sens, c’est mortel. Ici ils ont deman-dé ce type d’espace car ils ont des collectionsqui le nécessitent. Mais ils ont aussi desespaces avec lesquels ils peuvent composer etfaire des choses. Je crois qu’il y en a une varié-té suffisante pour que les artistes puissent lesinvestir. On le verra au fil du temps.Boltanski par exemple a choisi un recoininattendu pour installer une de ses œuvres. Sil’on m’avait demandé de choisir un espacepour Boltanski, j’aurais choisi la grotte. Maisil ne l’a pas choisi. C’est difficile d’anticiperet de pontifier sur ce qu’est un espace d’ex-position. J’ai personnellement dû faire desexpositions dans de nombreux muséesconstruits ces quinze dernières années, c’estdifficile car les espaces peuvent être écrasants.

DA :AU MUSÉE GUGGENHEIM DE BILBAO,VOUS AVIEZ PROPOSÉ

D’UN CÔTÉ DES GALERIES CLASSIQUES POUR LA COLLECTION

PERMANENTE ET DE L’AUTRE DES ESPACES PLUS SINGULIERS

POUR QUE DES ARTISTES VIVANTS PUISSENT LES INVESTIR.

VOUS NE SEMBLEZ PAS AVOIR EU CETTE LIBERTÉ ICI…

FG : Les clients sont différents. On m’ademandé ici ce type d’espace. Il y a toute-fois de la variété, les espaces ne sont pastous les mêmes. Les galeries sont épiso-diques, elles ont différentes tailles et diffé-rentes formes. Elles sont rectangulaires etblanches, mais les puits de lumière ne sontpas au centre. Il y a plus de liberté. J’espèreque ce n’est pas trop rigide. Mes amisartistes trouveront des lieux pour faire deschoses. Ils me disent qu’ils n’aiment pas lescubes blancs. La notion qui prévaut, c’estque les « white box » ne sont pas intrusivespour l’art, mas ce n’est pas vrai : elles sonttellement parfaites qu’elles deviennent uneimposition.

DA :VOUS PARLEZ SOUVENT D’UN MOMENT DE VÉRITÉ DURANT

LE PROCESSUS DE CONCEPTION, QUI EST SIMILAIRE POUR

UN ARTISTE ET POUR UN ARCHITECTE. QUAND AVEZ-VOUS

RESSENTI CE MOMENT POUR CE PROJET ?

FG : Quand j’ai terminé le design. Mais jesuis toujours très peu sûr de moi, ce qui estbien, je pense. Donc je ne regarde jamais enarrière, je regarde toujours en avant. Le pro-blème c’est que quand le bâtiment est fini,dix ans plus tard, je l’observe et je voistoutes les choses que j’aurais dû faire. C’estdonc compliqué. C’est le mauvais momentpour m’interviewer, attendez quelques moispour que cela se décante !

DA :VOUS AVEZ DIT QUE L’ŒUVRE DE L’ARTISTE ET ARCHITECTE

GIAN LORENZO BERNINI VOUS A BEAUCOUP INFLUENCÉ.

EST-CE VISIBLE DANS CE BÂTIMENT ?

FG : J’ai parlé de cet artiste pour le plissédes façades de la tour de New York. Paspour la fondation. Je ne sais pas qu’ellessont les influences ici. Celle des voiles debateaux…

DA : POUVONS-NOUS DIRE DU BÂTIMENT QU’IL EST BAROQUE ?

FG : Oui, bien sûr, un certain baroque. Je crois qu’il faut attendre de voir commentl’art va trouver sa place dans le bâtiment. Il y a un programme très riche qui a été élaboré et qui va constamment changer.

DA :AVEZ-VOUS ENVISAGÉ DE METTRE DES ŒUVRES D’ART

SUR LES TERRASSES EN TOITURE ?

FG : J’aimerais mettre des œuvres dans levide entre les voiles de verre et les volumesde l’iceberg. Il semble que cela soit plus dif-ficile que je ne pensais. Mais j’espère quel’on arrivera à le faire. C’est mon idéedepuis le départ (Gehry cherche une photo demaquette sur son portable). Je pense que celafonctionne ici à cause du jardin d’enfants.C’est une tradition française d’avoir dessculptures sur les bâtiments : la cathédralede Chartres et celle d’Autun ont des sculp-tures à l’extérieur. C’est donc une variationsur ce thème : mettre de l’art derrière leverre. J’en ai parlé à des artistes qui aimentcette idée. Mais Suzanne Pagé m’a répon-du : « Oh non, Frank ! » Je crois qu’il fautattendre que tout le monde se soit calmé eton le fera progressivement. <

86 D’ARCHITECTURES 230 - OCTOBRE 14

DA :VOUS DITES SOUVENT QUE LA RELATION AVEC VOTRE CLIENT

EST UN ÉLÉMENT IMPORTANT DE VOTRE MANIÈRE DE TRAVAILLER.

POUVEZ-VOUS NOUS DIRE COMMENT S’EST PASSÉE VOTRE COLLA-

BORATION AVEC BERNARD ARNAULT ET SUZANNE PAGÉ ?

FG : Bernard Arnault est quelqu’un quisait ce qu’il veut. On a fait la premièremaquette, ça lui a plu, et après il n’a pasvoulu que je change ! Il a ainsi préempté enquelque sorte ma manière de travailler, etdonc mes souffrances. Il est difficile de diresi c’est une bonne chose ou pas. Quand j’aifait Bilbao, je me suis aperçu, après l’achè-vement du bâtiment, qu’il était déjà dansmon premier croquis. Mais cela a pris desannées. Avec Bernard Arnault, mon pre-mier sketch lui a plu et on l’a construit.Normalement, j’agonise pendant long-temps avant d’arriver à un résultat.

DA : LA CONCEPTION DU PROJET A DONC ÉTÉ TRÈS RAPIDE ?

FG : Rapide pour trouver l’idée, mais pasfacile à construire…

DA : EST-CE LE BÂTIMENT LE PLUS COMPLEXE QUE VOUS AYEZ

CONSTRUIT À CE JOUR ?

FG : Probablement, oui, car il a une doublepeau. Pour répondre à l’environnement duparc, il devait être en verre. Mais vous nepouvez pas accrocher de l’art sur du verre.

DA :AVEZ-VOUS EU LE SENTIMENT QUE TOUT ÉTAIT POSSIBLE ?

FG : Je traverse des phases d’évaluation etde réévaluation où j’agonise. Oui, jesouffre, mais c’est une souffrance positive !

DA :VOUS AIMEZ ÇA ?

FG : Cela m’empêche parfois de dormir !Je pense que de tout mon travail, ce bâti-ment est celui qui est le plus proche de mespremières esquisses. Il est en quelque sorteun croquis figé. C’est inhabituel pour moi.Cela a été difficile de conserver cette spon-tanéité. La qualité de la construction estexcellente. Ils ont très bien travaillé.

DA :VOUS PARLEZ SOUVENT DU MOUVEMENT FIGÉ, CE THÈME

REVIENT CONSTAMMENT DANS VOTRE ŒUVRE. LA FONDATION

LOUIS-VUITTON EN EST PEUT-ÊTRE L’INCARNATION LA PLUS ABOU-

TIE. POURQUOI CETTE IDÉE EST-ELLE SI IMPORTANTE POUR VOUS ?

FG : Avec ce bâtiment, ça marche ! Il y acette sensation que quelque chose est entrain d’advenir. Je fais souvent référenceaux sculptures de Phidias sur les frises duParthénon qui sont conservées au BritishMuseum et à la figure de Shiva en train dedanser. Ici c’est la même chose.

DA : C’EST UNE MANIÈRE D’ÉVOQUER LA VIE ?

FG : C’est le monde dans lequel on vit, oùtout est en mouvement ; le bâtiment doitrefléter ce monde et en faire partie.

DA : L’ARCHITECTURE NE DOIT-ELLE PAS AU CONTRAIRE ÊTRE UN

LIEU DE STABILITÉ ?

FG : Il y a de la stabilité ici ! Mais quandquelque chose se passe, ce n’est pas statique,c’est en mouvement ; le bâtiment changeavec le ciel, avec le monde qui l’entoure, ilbouge constamment.

DA : LA FONDATION LOUIS-VUITTON EST LE BÂTIMENT LE PLUS

EN MOUVEMENT QUE VOUS AVEZ CONSTRUIT. CELA A-T-IL À VOIR

AVEC LE CONTEXTE ?

FG : Il y a le Jardin d’acclimatation, avecdes enfants, des manèges. La fondationpeut être un lieu de découverte pour lesenfants. Cela ne ressemble pas à leur mai-son ou à leur école, donc ils seront curieuxde la traverser. Le bâtiment reflète l’espritdu jardin d’enfants. C’est un antidote aubâtiment noir voisin (Gehry fait référenceau musée des Arts et Traditions populaires).Ce n’est pas un bâtiment complaisant, c’estun lieu de création, inspiré. C’est difficiled’en parler. Le bâtiment est ce qu’il est. J’aima propre opinion. Mais la beauté est dansles yeux de celui qui regarde.

DA : QUAND NOUS AVONS VISITÉ LE BÂTIMENT, IL ÉTAIT ENCORE

VIDE DE SES COLLECTIONS. POUVEZ-VOUS NOUS PARLER

DE LA PLACE DE L’ART DANS LA FONDATION ?

FG : Je ne peux pas.

DA : !!! VOUS N’AVEZ JAMAIS VU LA COLLECTION DE BERNARD

ARNAULT ?

FG : J’en ai vu une partie, mais pas tout.C’est Suzanne Pagé qui s’occupe de ça.

DA : EST-CE UNE FONDATION QUI PEUT ACCUEILLIR TOUT TYPE

D’ART OU A-T-ELLE ÉTÉ CONÇUE POUR UNE COLLECTION

PARTICULIÈRE ?

FG : Suzanne Pagé a demandé des espacesd’exposition « classiques », donc c’est ce quenous avons fait. Mais ce ne sont pas des gale-

R É A L I S AT I O N S > LA FONDATION LOUIS-VUITTON À PARIS

ENTRETIEN AVEC FRANK GEHRY par David Leclerc et Emmanuel Caille - Paris, 1er juillet 2014, fondation Louis-Vuitton

Maquette d’étude montrant des œuvres d’art présentées

dans les espaces entre les volumes de l’iceberg et les verrières.