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ENTRETIEN Jean-Luc Angibault : « Il faut être capable de décider dans l’incertitude » Réalisé par S.M Lire en pages 34 & 35 DIPLOMATIE Relations Maroc-Brésil : une coopération Sud-Sud solidaire Saad Bouzrou Lire en page 7 NOTE DE LECTURE Ce fragile équilibre du monde : Hommage à Khatibi L es 12, 13, 14 et 15 mars, l’Uni- versité Chouaïb Doukkali d’El Jadida, l’Université Mohammed V de Rabat, l’EGE Rabat/ Universi- té Mohammed VI Polytechnique et l’Université Ibn Toufaïl de Kénitra or- ganisent un colloque itinérant intitulé : «Abdelkébir Khatibi : cheminement et empreintes», en hommage à ce grand penseur disparu en 2009. C’est l’occa- sion pour nous de revenir sur le roman Pèlerinage d’un artiste amoureux, publié aux éditions du Rocher et chez Tarik en 2003. Par Jean Zaganiaris Lire en page 37 15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 40 pages www.maroc-diplomatique.net N° 33 - MARS 2019 Par Souad Mekkaoui «Q ue puis-je faire pour vous ? Allez-y je vous écoute… Demandez-moi par exemple : quelle est la date d’aujourd’hui ? Quand est mon prochain rendez-vous ? Est-ce qu’il y a du vent ? Ré- veille-moi dans huit heures. A quelle heure se lève le so- leil à Paris ? » C’est ainsi que vous parle Siri dès que vous appuyez, pendant deux secondes, sur le bouton principal de votre iPhone et que vous le relâchez. Cette application informatique de commande vocale, développée par la société américaine Apple et qualifiée d’assistant person- nel intelligent, est une inter- face homme-machine qui repose sur la reconnaissance vocale. L’utilisateur peut donc s’exprimer normale- ment et Siri répond aussi le plus normalement possible dans un langage naturel plus ou moins décalé. Lire en pages 16 à 23 D imanche 10 mars, soit un peu moins de quarante jours du scrutin présidentiel, initiale- ment prévu pour les 18 et 24 avril pro- chains, « un avion du président » de la République algérienne, Abdelaziz Bou- teflika s’est posé à l’aéroport de Genève pour le quitter quelques heures après, à destination d’Alger. A bord se trouvait un homme affaibli et omnipotent, la chaise roulante constituant à vrai dire le seul symbole d’une descente aux enfers d’un pouvoir en état d’agonie. L’image eût pu être différente, si – arcbouté au mensonge d’Etat – l’entourage affolé du même président avait pu changer la triste et pénible réalité caricaturale et offrir aux millions d’Algériens autre chose que cette sempiternelle fresque. S’il suscitait encore un certain nombre d’interroga- tions, ce retour sur une chaise roulante n’était pas le premier du genre. Depuis avril 2013, date à laquelle il a subi l’at- taque cérébrale violente, nous nous sommes habitués à la seule et unique image d’un chef d’Etat grabataire, main- tenu artificiellement au prix de violents et insoutenables efforts. Un président qui ne pipe mot, qui n’écoute pas non plus…et, la main et les gestes forcés, fonctionne à une mécanique gestuelle. Entre les hôpitaux de Paris et ceux de Genève notamment, la vie du président algérien flottait depuis 6 ans , tandis que le sort du peuple restait suspendu à une inconnue. Les chaines de télévi- sion, les radios et les journaux toutes catégories confondues du monde entier n’avaient de cesse de faire le point sur l’effervescence qui s’était emparée du pays, les rassemblements et marches du peuple algérien, les manifestations qui se multipliaient ici et là dans un remar- quable calme qui force l’admiration, confrontées cependant à un silence as- sourdissant du pouvoir ou de ceux qui, dans l’ombre, l’incarnent et le mani- pulent. Depuis le 22 février, la situation politique et sociale en Algérie est en pleine ébullition pour ne pas dire ex- plosive. Au cœur de cette révolution en douce, image de la révolution orange en Ukraine d’il y a quelques années, se trouve un acteur majeur, surgi sponta- nément des faubourgs et des quartiers différents, dans les villes comme dans les campagnes, je veux dire la jeunesse dans ses immenses élans ! Hassan Alaoui Suite en page 3 ÉVÉNEMENT Le Pape François en visite au Maroc Par Khadija Skalli Lire en page 8 Lire en page DOSSIER DU MOIS Intelligence artificielle : Pour le meilleur OU pour le pire ? L’INFORMATION QUI DÉFIE LE TEMPS L’Algérie et nous ... Alger : Septembre 1962, quelques semaines après l’indépendance de l’Algérie, S.M. Hassan II rend visite à Ahmed Ben Bella, ici accompagné par Houari Boumediene, ministre de la Défense. Mars 2006, S.M. le Roi Mohammed VI reçu à Alger par le Président algérien Abdelaziz Bouteflika. SPÉCIAL FEMMES Lire en pages 25 à 29

15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 40 pages ......ÉDITORIAL L’Algérie et nous Suite de la page 1 Force irrépressible, dont l’âge va-rie entre 16 et 25 ans, qui veut en dé-coudre

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ENTRETIENJean-Luc Angibault : « Il faut être capable

de décider dansl’incertitude »Réalisé par S.M

Lire en pages 34 & 35

DIPLOMATIERelations

Maroc-Brésil :une coopération

Sud-Sud solidaire

Saad BouzrouLire en page 7

NOTE DE LECTURECe fragile équilibre

du monde :Hommage à Khatibi

Les 12, 13, 14 et 15 mars, l’Uni-versité Chouaïb Doukkali d’El

Jadida, l’Université Mohammed V de Rabat, l’EGE Rabat/ Universi-té Mohammed VI Polytechnique et l’Université Ibn Toufaïl de Kénitra or-ganisent un colloque itinérant intitulé : «Abdelkébir Khatibi : cheminement et empreintes», en hommage à ce grand penseur disparu en 2009. C’est l’occa-sion pour nous de revenir sur le roman Pèlerinage d’un artiste amoureux, publié aux éditions du Rocher et chez Tarik en 2003.

Par Jean Zaganiaris Lire en page 37

15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 40 pages www.maroc-diplomatique.net N° 33 - MARS 2019

Par Souad Mekkaoui

«Q ue puis-je faire pour vous ? Allez-y je vous

écoute… Demandez-moi par exemple : quelle est la date d’aujourd’hui ? Quand est mon prochain rendez-vous ? Est-ce qu’il y a du vent ? Ré-veille-moi dans huit heures. A quelle heure se lève le so-leil à Paris ? »

C’est ainsi que vous parle Siri dès que vous appuyez, pendant deux secondes, sur le bouton principal de

votre iPhone et que vous le relâchez. Cette application informatique de commande vocale, développée par la société américaine Apple et qualifiée d’assistant person-nel intelligent, est une inter-face homme-machine qui repose sur la reconnaissance vocale. L’utilisateur peut donc s’exprimer normale-ment et Siri répond aussi le plus normalement possible dans un langage naturel plus ou moins décalé.

Lire en pages 16 à 23

Dimanche 10 mars, soit un peu moins de quarante jours du scrutin présidentiel, initiale-

ment prévu pour les 18 et 24 avril pro-chains, « un avion du président » de la République algérienne, Abdelaziz Bou-teflika s’est posé à l’aéroport de Genève pour le quitter quelques heures après, à destination d’Alger. A bord se trouvait un homme affaibli et omnipotent, la chaise roulante constituant à vrai dire le seul symbole d’une descente aux enfers d’un pouvoir en état d’agonie. L’image eût pu être différente, si – arcbouté au mensonge d’Etat – l’entourage affolé du

même président avait pu changer la triste et pénible réalité caricaturale et offrir aux millions d’Algériens autre chose que cette sempiternelle fresque. S’il suscitait encore un certain nombre d’interroga-tions, ce retour sur une chaise roulante n’était pas le premier du genre. Depuis avril 2013, date à laquelle il a subi l’at-taque cérébrale violente, nous nous sommes habitués à la seule et unique image d’un chef d’Etat grabataire, main-tenu artificiellement au prix de violents et insoutenables efforts. Un président qui ne pipe mot, qui n’écoute pas non plus…et, la main et les gestes forcés,

fonctionne à une mécanique gestuelle.Entre les hôpitaux de Paris et ceux de

Genève notamment, la vie du président algérien flottait depuis 6 ans , tandis que le sort du peuple restait suspendu à une inconnue. Les chaines de télévi-sion, les radios et les journaux toutes catégories confondues du monde entier n’avaient de cesse de faire le point sur l’effervescence qui s’était emparée du pays, les rassemblements et marches du peuple algérien, les manifestations qui se multipliaient ici et là dans un remar-quable calme qui force l’admiration, confrontées cependant à un silence as-

sourdissant du pouvoir ou de ceux qui, dans l’ombre, l’incarnent et le mani-pulent. Depuis le 22 février, la situation politique et sociale en Algérie est en pleine ébullition pour ne pas dire ex-plosive. Au cœur de cette révolution en douce, image de la révolution orange en Ukraine d’il y a quelques années, se trouve un acteur majeur, surgi sponta-nément des faubourgs et des quartiers différents, dans les villes comme dans les campagnes, je veux dire la jeunesse dans ses immenses élans !

Hassan AlaouiSuite en page 3

etet

Pour le meilleur

Dossier réalisé par:

Souad Mekkaoui

ÉVÉNEMENTLe Pape François

en visite au Maroc

Par Khadija SkalliLire en page 8

Lire en page

DOSSIER DU MOISIntelligence artificielle :

Pour le meilleur OU pour le pire ?

L ’ I N F O R M A T I O N Q U I D É F I E L E T E M P S

L’Algérie et nous ...

Alger : Septembre 1962, quelques semaines après l’indépendance de l’Algérie, S.M. Hassan II rend visite à Ahmed Ben Bella, ici accompagné par Houari Boumediene, ministre de la Défense.

Mars 2006, S.M. le Roi Mohammed VI reçu à Alger par le Président algérien Abdelaziz Bouteflika.

Najoua El BerrakSaloua Bichri

Samia Herrag

Farida Jaidi

Fatiha El AouniNarjis Rerhaye

Hasna Daoudi

spécialfemmes

Le Maroc est riche de ses femmesDossier réalisé par

Khadija Skalli et Souad Mekkaoui

SPÉCIALFEMMES

Lire en pages25 à 29

Page 2: 15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 40 pages ......ÉDITORIAL L’Algérie et nous Suite de la page 1 Force irrépressible, dont l’âge va-rie entre 16 et 25 ans, qui veut en dé-coudre

ÉDITORIAL

L’Algérie et nousSuite de la page 1

Force irrépressible, dont l’âge va-rie entre 16 et 25 ans, qui veut en dé-coudre avec le régime de Bouteflika et du cartel qui l’entoure, l’idéal de liberté enfoui dans la giberne, la jeu-nesse algérienne est à présent le mo-teur du soulèvement revendicatif et, contrairement à ce que d’aucuns sont tentés d’avancer et qui relève du com-plotisme, elle n’est l’objet d’aucune manipulation. Ni interne, ni externe…Elle incarne à vrai dire le « ras-le-bol » d’un pouvoir passé maître depuis 60 ans et plus de la gabegie, de la cor-ruption, des malversations, des pré-bendes et des mensonges érigés en po-litique d’Etat. Elle donne de nos jours l’exemple de l’engagement pacifique et de la défense des valeurs que sont l’idéal libertaire, l’unité et le partage. Tout ce que le régime militaire répres-sif semble combattre avec acharne-ment depuis des décennies et lui refuse avec acharnement

. « Ni dictateur, ni général, ni imam » semblent dire, parfois avec un zeste d’humour les banderoles déployées à Alger, Sétif, Ghardaïa, Annaba et autres villes du pays ! Ou encore ce slogan qui en dit long sur son exem-plaire maturité : « Le peuple ne veut plus… », allusion en substitution à l’autre appel d’il y a quelques années : « le peuple veut et exige ». En effet, le peuple veut mettre fin à la corruption et au favoritisme de la nomenklatura, mais « le peuple veut »…non seule-ment le départ de Bouteflika et de son entourage, mais « il veut la fin du ré-gime » que ce dernier a contribué à ins-taurer, vaille que vaille depuis…1963 !

C’est un tournant majeur dans la conception de la politique et dans son langage. Le « plafond de verre » éclate et l’édifice s’effondre, à l’instar de ce qui s’est passé un certain novembre 1989 à Berlin et en 1991 dans l’empire soviétique. Ils ont été près de 10 mil-lions, un peu plus que la moitié du corps électoral algérien qui ont défilé entre vendredi, samedi et dimanche 10 mars. En Algérie comme en Europe, où la diaspora algérienne a été d’au-tant plus offensive que son poids poli-tique est significatif. C’est finalement une même et indéfectible rengaine que cette litanie des responsables algériens invoquant à tout bout de champ une « infiltration », une « manipulation », « la menace extérieure » comme n’a de cesse de le faire le général chamarré Gad Aït Salah, tantôt menaçant, tantôt conciliant envers les jeunes manifes-tants.

La pression sociale, spontanée, aura été l’élément central et déterminant qui a poussé l’état-major présidentiel

algérien à faire croire que le président ne briguerait pas un 5ème mandat. Ma-nière sournoise pour calmer les reven-dications radicales du peuple et des millions de jeunes déterminés à mettre un terme au cynisme du pouvoir et des Apparatchiks qui l’incarnent depuis des décennies. Le sens de la responsa-bilité et le pacifisme portés comme un colifichet, les jeunes algériens expri-ment de concert leur rejet du blocage dans lequel le pays est plongé et exi-gent un changement radical du modèle de société qui leur est imposé, avec cette seule alternative, se courbet ou se révolter.

Ainsi donc en annonçant ou se fai-sant annoncer sa décision de retirer son éventuelle candidature, Bouteflika bouleverse profondément la donne po-litique, sans pour autant apporter une solution alternative. Un coup porté à la Constitution et aux institutions, une violation flagrante qui , qu’on le veuille ou non, met en pièces les espoirs d’une relève démocratique en règle.

S’il est dit ici et là que tous les pays, voisins immédiats et autres, suivent at-tentivement ce qui se passe en Algérie et ce que les affidés du régiment tra-ment, il est difficile en revanche pour nous autres Marocains de ne pas y être plus qu’attentifs. Affirmer que le sort du peuple algérien est en quelque sorte aussi le notre, relève quasiment du truisme, tant il est vrai que depuis 1962, voilà donc 58 ans, les relations entre nos deux pays évoluent en dents de scie. Le Maroc a soutenu la Révo-lution algérienne en s’y investissant comme jamais aucun autre pays, aucun autre peuple ne l’a fait, politiquement, financièrement, militairement et hu-mainement. Le Maroc a constitué la base arrière de l’Algérie combattante, abrité les leaders, de Ferhat Abbas à Mohamed Boudiaf, Mohamed Khider, en passant par Ahmed Ben Bella, Krim Belkacem, Houari Boumediene, Hou-cine Aït Ahmed et le jeune Abdelaziz Bouteflika.

Au lendemain de la proclamation de l’Indépendance algérienne en juillet 1962, feu le Roi Mohammed V était confronté à un dilemme scabreux posé par le gouvernement français : ajour-ner ou récupérer dans l’immédiat nos territoires spoliés dans le sud est, à savoir Tindouf, Saoura, Bechar, Ke-nadssa , le Touat et toute cette partie du Maroc incorporés de force dans le périmètre crée en 1957 par la France sous le nom de l’OCRS ( Organisation commune des régions sahariennes), destiné à l’exploitation des gisements miniers et à terme pétroliers et concé-dé arbitrairement à l’Algérie en 1962. Mohammed V déclina à tort la propo-sition avec ce commentaire digne d’un

grand Roi, tout à sa générosité : « Je négocierais la récupération de nos ter-ritoires, une fois nos frères algériens devenus libres ». Jusqu’en 1963, les populations de Tindouf et Bechar, entre autres, ne cessèrent de se soulever et refusaient d’être intégrés à l’Algérie. L’histoire retient que ces provinces n’avaient jamais cessé jusqu’à cette date d’appartenir au Royaume du Maroc, qu’elles relevaient directement du Pacha de Marrakech et d’Agadir, que le drapeau marocain flottait sur les bâtiments des villes, la monnaie frappée à l’effigie du Sultan et la prière du vendredi dite en son nom…

En guise de reconnaissance, le pre-mier gouvernement algérien, présidé par Ahmed Ben Bella lança quelques mois plus tard, en septembre 1963 une guerre contre le Maroc – dite « guerre des sables »- , en attaquant la localité de Figuig. Ben Bella fut renversé le 19 juin 1965 par le colonel Boumediene sur instigation de…Bouteflika, lequel en pleine mégalomanie – le Cohiba au bec – s’exalta dans sa campagne de plusieurs années pour dénigrer et agresser le Maroc. A telle enseigne que nous sommes en mesure, au fil des années, d’affirmer qu’il n’y a jamais eu de plus antimarocain que Abdelaziz Bouteflika, à l’origine du problème du Sahara, des complots au sein de l’OUA ( Organisation de l’unité africaine), aussi bien à l’ONU qu’au sein des Non Alignés…

En 58 ans de voisinage, jamais fron-tière commune n’a autant été fermée qu’entre le Maroc et l’Algérie, hormis entre 1969 – date du traité d’Ifrane – et 1975, date de rupture après la Marche verte…L’intermède furtif de 1994 fut un rapide éclair qui suscita l’espoir mais demeura lettre morte. Il n’est pas jusqu’à l’idéal de l’UMA qui n’ait subi les Fourches caudines du cynisme des dirigeants algériens, dont l’entourage de Bouteflika porte une lourde responsabilité. En novembre 2018, le Roi Mohammed VI, convain-cu qu’il ne faut point insulter l’avenir et de la nécessité de renverser le cours de l’Histoire, proposa au président et aux dirigeants algériens de créer un « Mécanisme de dialogue et de concer-tation » pour tourner la page de plus de 43 ans d’hostilité, aplanir les diffé-rends et donner son impulsion au pro-jet du Maghreb.

Force nous est de dire que l’espé-rance n’est pas pour autant enterrée, que l’Algérie nouvelle qui naîtra des soubresauts actuels s’inscrira égale-ment dans le projet unitaire de bon voi-sinage et de fraternité, et de surmonter les problèmes. n

Hassan Alaoui

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MARS 2019 3

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4 MARS 2019 HUMEUR

Souad Mekkaoui

Si il y a quelques temps encore, la presse à scandale était du ressort de certains supports bien connus et bien spécifiques, aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de faire une plongée dans cette presse

jaune puisque, tout uniment, les médias, à quelques exceptions près, s’arrachent le ve-dettariat en matière de buzz, de scandales ou d’informations balancées qui sont fausses et assez vite démenties.

A l’ère de l’industrie du divertissement qui vaut des milliards, les sites et les chaînes YouTube s’arrachent les contenus dont le cri-tère est plus la rapidité dans la publication et non la qualité. En effet, c’est devenu le nerf de la guerre. Il ne faut jamais être à court de contenu quel qu’il soit et qu’on avale tout rond. De fait, l’information abonde sans qu’elle ne soit crédible ni vérifiée. YouTube prospère du nombre de vues et les sites, ce-lui des clics. Peu importe qu’on exploite la misère des gens ou qu’on fasse ou défasse les carrières, les réputations ou les liens. Pour vendre, tous les moyens sont bons, à commencer par des titres provocateurs, cho-quants qui ne sont utilisés que pour duper et appâter le lecteur ou le spectateur avide de scandales. Cliquons pour voir ce que dé-voilent ces termes phares : Urgent ! Scan-dale ! Et jouons le jeu. Combien de fois, le contenu n’a rien à voir avec le titre ; ou nous sommes directement redirigés vers un autre lien qui profite de notre clic niais, regretté à la minute d’après, pour s’être rendu compte qu’on s’est fait avoir tout bonnement.

En tout état de cause, nous sommes à l’heure d’un nouveau format de journalisme charognard, viral et cupide, marqué par une forte concurrence et tout ce qui s’ensuit.

Des millions de « lecteurs » par jour mais à quel prix ?

Ce qui est malheureux au fait, c’est que même les sites sérieux tombent, sans le vouloir, dans le terrain glissant du buzz des dizaines de sites d’info-divertissement qui émergent, chaque semaine. S’ils ne résistent pas, même ces sites connus par leur crédibi-lité finissent par faire comme tout le monde.

Quand bien même les articles qu’on pu-blierait seraient intéressants et consistants, nous allons nous rendre compte que cela n’intéresse qu’une poignée de lecteurs. Met-tez en ligne une brève ou une vidéo qui traite d’un scandale ou d’un fait divers et cela fait la différence : le nombre de vues déplafonne. Tout bon ! D’où certaines rédactions n’hé-sitent pas à tordre la vérité allant loin jusqu’à monter de toutes pièces des histoires raco-

leuses. Et aujourd’hui que le scandale est partout sur Internet, allant d’un viol jusqu’à une scène révoltante de décapitation, cela offre une image désolante de notre société du tout public et de l’abominable vénalité de la presse marocaine, du moins des sites qui en font leur fonds de marketing. Les che-mins donc par lesquels l’argent pollue ce métier laissent entrevoir les enjeux sociaux et financiers qui voient en la vérification de l’information un frein pour le bon position-nement en matière de clic.

Quand on voit le Maroc qui mise et ouvre ses portes aux grandes écoles françaises pour former ses élites, ce Maroc qui construit de magnifiques cliniques suréquipées, ce Maroc qui met en place des réseaux d’infrastruc-tures ferroviaires de grande envergure, LGV et tramway dans les métropoles, ce Maroc qui bâtit des projets pharaoniques de mari-nas, corniches, complexes hôteliers et rési-dences grand luxe dans ses grandes villes et dans ses stations balnéaires, ce Maroc qui est précurseur dans sa vision, à long terme, sur les énergies renouvelables, ce Maroc même qui fait de certains effets comme Sina, Ikchwane, et tout le bataclan des « phé-nomènes qui pullulent sur la toile », des « stars » dont les vidéos font des millions de vues alors que les intellectuels sont mis au ban, on comprend bien notre bipolarité et on en reste tout bêtes. À l’évidence, il y a problème quelque part, quand les sites d’in-formation assurent la couverture médiatique d’événements ou de mariage d’untel dont on fait un fait inédit pour peu qu’il ramène les clics. Et au lieu qu’on se tire, les uns les autres, vers le haut, on se devance dans notre course vers le fond du chaos et on continue à creuser.

Rigueur où es-tu ?Certes, nous vivons ou plutôt survivons

grâce à la publicité et il faut rendre grâce au ciel à défaut de rendre les gants. Mais conti-nuer s’avère un combat de tous les jours et une épreuve qui relève d’un choix cornélien et d’un exploit sur le champ d’honneur. No-blesse oblige si on ne rend pas son tablier! Or aujourd’hui c’est l’algorithme de réfé-rencement qui décide à la place de l’annon-ceur qui ne cherche, lui, qu’une meilleure visibilité. Rares sont ceux qui continuent à sélectionner les supports pour leurs produits quand bien même ils seraient de qualité. Du coup, la course au clic oriente et impose le choix des sujets et le champ numérique est inondé d’articles calibrés pour optimiser le référencement sur Google. Aussi la fascina-tion pour le nombre de clics et de visites que le contenu génère fait-il prospérer un jour-nalisme bâclé. D’autant plus que le travail

s’apparente plus au divertissement dans ces rédactions qui se sont spécialisées dans la production industrielle et où tout est à loisir, au moment où des professionnels engagés et attachés à l’éthique qu’impose le métier, se rongent les méninges pour produire un ar-ticle qui n’intéresse qu’un lectorat restreint.

Pour l’heure, le succès et la quantité pri-ment sur la qualité ou la morale qui ont cédé face aux assauts de l’argent et de la publici-té. Pour cela on répond amen à tout, il suffit juste d’analyser les habitudes des lecteurs, de détecter les tendances ou de les imposer carrément et de voir à quel hameçon ils vont mordre, de bien composer les ingrédients et de les assaisonner par des vidéos amusantes voire scandaleuses, qui feront le tour de la toile pour que l’audience porte des sites, dont on ne discerne plus la ligne éditoriale, à des sommets inimaginables.

Faut-il souligner qu’entre ces sites aux au-diences stellaires et les agences de commu-nication les liens se tissent aisément puisque chacun y trouve son compte et on fait argent de tout? Honni soit qui mal y pense.

En somme, par les temps qui courent, le lecteur, qui n’est plus qu’une cible marketing plutôt qu’une personne à informer, a intérêt à être tout oreilles et à rester éveillé et vigilant, en parcourant les sites d’information qui ne sont plus, malheureusement, une référence en matière de vérité ou de crédibilité. Cela lui permettra, d’ailleurs, d’entretenir son es-prit d’analyse et de critique à une époque où certains journalistes n’ont plus le temps de recouper l’information et de la vérifier. Tout bien considéré, le clic n’attend pas. Et il faut qu’ils soient productifs de contenu, encore du contenu, rien que du contenu, du buzz, des scandales …

Pour solde de tout compte, c’est à qui mieux mieux et c’est au premier qui publie.n

Ces scandalesqui nous font vivre...

CE QUE JE PENSE

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SAHARA

Par Khadija Skalli

Les prochaines semaines seront marquées par d’intenses efforts di-plomatiques de la part du Maroc concernant la question du Saha-ra marocain. Deux événements de haute importance auront lieu : D’abord, la nouvelle table ronde des pourparlers prévue avant fin mars et ensuite le renouvellement du mandat de la Minurso, qui ar-rivera à échéance le 30 avril pro-chain.

Le deuxième round des pourparlers sur le conflit du Sahara aura lieu au cours de la deuxième quinzaine de

mars en Suisse. L’annonce a été faite par l’ONU. « L’Envoyé personnel du Secré-taire général des Nations Unies pour le Sahara, Horst Köhler, envisage de convoquer une deuxième table ronde des pourparlers au cours de la deuxième quin-zaine de mars en Suisse », a déclaré, mardi 5 mars, Sté-phane Dujarric, le porte-parole du Secrétaire général de l’ONU, lors du point de presse quotidien à New York.

Les préparatifs de cette rencontre vont donc bon train. L’ancien Président allemand a tenu, en fé-vrier et début mars, des réunions bilatérales avec les différentes parties concernées. L’émissaire onusien a rencontré, fin février, à Paris, la déléga-tion marocaine dirigée par le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Nas-ser Bourita. Horst Köhler s’est également entretenu avec le chef de la diplomatie algérienne Abdelka-der Messahel avant de rencontrer à Berlin le front Polisario. Des consultations ayant pour objectif de ficeler l’agenda de la prochaine table ronde. Comme annoncé lors du briefing au Conseil de sécurité de l’ONU, le 29 janvier 2018, la deuxième table ronde

des pourparlers aura bel et bien lieu avant fin mars. Rappelons que la première table ronde a eu lieu les

5 et 6 décembre 2018 à Genève. L’émissaire onusien s’est montré alors très optimiste quant à la reprise des pourparlers. Une étape importante, selon lui, pour re-mettre le processus politique sur les rails.

Minurso : le mandat arrivera à échéance le 30 avril

Le Conseil de sécurité devra examiner la question du Sahara au cours du mois d’avril, pour renouveler le mandat de la mission déployée dans la région, Minur-so, qui arrivera à échéance le 30 avril prochain.

Cette instance exécutive des Nations unies avait adopté pour mémoire, le 31 octobre 2018, à une grande majorité de ses membres, une résolution pro-rogeant le mandat de la Minurso pour une durée de six mois au lieu d’une année.

Porte-plume de cette résolution, les États-Unis ont expliqué que « la durée courte de six mois pour la pro-rogation du mandat souligne notre détermination pour que le processus politique soit couronné de succès ».

Washington laisse entendre qu’elle veut faire pres-sion sur les parties opposées dans le conflit du Sahara à trouver une solution autour d’une table de négociations.

Par ailleurs, Antonio Guterres, Secrétaire géné-ral des Nations unies, devra présenter aux membres du Conseil de sécurité un rapport sur le Sahara, bien avant la fin du mandat de la mission. Selon la résolu-

tion, Guterres est tenu de présenter aux Quinze « des exposés sur l’état d’avan-cement des négociations tenues sous ses auspices, sur les difficultés auxquelles se heurtent les opérations de la Minurso

et les mesures prises pour les surmonter » bien avant le renouvellement du présent mandat et avant son ex-piration.

La Minurso est dans le viseur de l’Administration Trump. Le renouvellement du mandat de la mission onusienne au Sahara sera subordonné aux avancées réalisées, avait menacé le représentant des Etats Unis, lors de la réunion du 31 octobre 2018.

La France et l’Allemagne initient une démarche commune

La France et l’Allemagne, qui assurent respective-ment, en mars et avril 2019, la présidence du Conseil de sécurité, ont convenu d’un programme de tra-vail conjoint. C’est une première dans l’histoire du Conseil de sécurité. Il ne s’agit pas d’une co-prési-dence de cet organe exécutif mais d’une coordination. Les deux pays vont ainsi coordonner étroitement leurs actions durant ces deux mois.

De ce fait, la France et l’Allemagne adopteront une démarche commune concernant le dossier du Sahara marocain.

Le Conseil de sécurité accordera, au mois d’avril ,un intérêt particulier à la question du Sahara maro-cain. Quatre réunions seront consacrées à la Minurso durant le mois prochain.

Etabli par la présidence et agréé par l’ensemble des membres du Conseil, le programme prévoit d’abord

Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, devra présenter aux membres du Conseil de sécurité un rapport sur le Sahara bien avant la fin du mandat de la mission.

Dans sa déclaration de politique générale, le gouvernement algérien a souligné que l’Algérie poursuit son engagement en faveur des séparatistes tout en cultivant des « relations de solidarité » avec la pseudo-RASD.

6 MARS 2019

Sahara : L’offensive diplomatiquemarocaine à l’ONU

Le Maroc a réussi une percée di-plomatique et politique très si-

gnificative sur la scène internationale concernant la question du Sahara. Des victoires historiques qui confortent la souveraineté du Royaume sur ses ter-ritoires sahariens.

La première grande avancée diplo-matique réalisée est l’adoption par le Parlement européen du nouvel accord de pêche liant le Maroc à l’Union Eu-ropéenne, en session plénière, mardi 12 février, à Strasbourg, à une écra-sante majorité. Ce nouveau texte juri-dique inclut les provinces du Sud du pays. Il s’agit là d’un tournant histo-rique et inédit qui confirme la position légitime du Maroc sur son Sahara.

Autre percée diplomatique magis-

trale du Maroc, la Cour de justice de l’Union européenne rejette le recours du front Polisario pour l’annulation de la décision du Conseil de l’Union européenne autorisant l’ouverture de négociations entre l’Union et le Maroc en vue de modifier l’accord de parte-nariat, en incluant les eaux du Sahara marocain.

La Cour a jugé que le recours des séparatistes est « irrecevable ». Mieux encore ! Cette institution judiciaire de l’UE a condamné le front du Polisario de supporter, à ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne dans cette procédure. Un revers cinglant pour les adversaires de l’intégrité territoriale nationale.

Le coup de théâtre politique a été

réalisé aux Etats-Unis. Promulgué par le Président Donald Trump, la loi de finances de l’année 2019 contient des dispositions explicites qui pré-voient que les fonds alloués au Ma-roc doivent être rendus disponibles à la coopération dans les provinces du Sud. Ainsi, les fonds alloués aux pro-vinces du Sud du Royaume doivent être exécutés à travers le Maroc. Au-trement dit, le Royaume est l’unique interlocuteur et représentant concer-nant ces provinces.

Ce texte de loi consacre ainsi la Souveraineté du Maroc sur son Saha-ra. N’en déplaise à Alger, le Sahara est une partie intégrante du Royaume. n

Les succès diplomatiques du Maroc

L’Envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies pour le Sahara, Horst Köhler.

un briefing, le 1er avril, sur la Minurso. Le Chef de la Minurso pourra probablement présenter un rapport sur la mission onu-sienne de maintien de la paix. Le major gé-néral pakistanais Zia Ur Rehman fraîche-ment nommé commandant de la Force de la Minurso, pourrait également être présent à cette réunion de haute importance, qui va enclencher le processus d’adoption d’une résolution pour le renouvèlement du man-dat de la mission.

Ainsi, le Conseil de sécurité se réunira à nouveau le 9 avril pour se concerter sur la Minurso. Les Quinze se donnent éga-lement rendez-vous le 10 du même mois pour consultations.

Les membres du Conseil de sécurité se réuniront, le 29 avril, pour adopter la nou-velle résolution sur le renouvellement du mandat de la mission onusienne déployée au Sahara. n

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DIPLOMATIE

Par Saad Bouzrou

Il n’est pas exagéré de dire que les relations entre le Maroc et le Brésil re-

vêtent un caractère particu-lier. Les liens entre les deux pays ne datent pas d’hier. Ils ont commencé au XVIII siècle, lorsque des immi-grants marocains sont arrivés au Brésil, attirés notamment par le cycle d’exploitation du caoutchouc en Amazo-nie, et lorsque le Brésil a pris les premières mesures pour établir des représentations di-plomatiques sur le territoire chérifien.

Des relations séculaires

et amicalesEn 1861, un premier consulat a été ouvert

à Tanger, suivi d’autres consulats brésiliens dans d’autres villes du Maroc. En 1906, un ministre plénipotentiaire brésilien présente, pour la première fois, ses lettres de créance au Sultan du Maroc. Après la restauration de l’indépendance du Maroc en 1956, le Brésil rétablit rapidement ses relations et ouvrit, en 1961, son ambassade à Rabat, dirigée par le grand écrivain brésilien Rubem Braga.

Depuis lors, les liens entre le Brésil et le Maroc se sont élargis et consolidés. Au niveau politique, un dialogue a été engagé caractérisé par l’amitié et la convergence de vues entre les deux pays en développement, sur la base d’un sentiment spontané de sym-pathie réciproque entre les deux peuples. Dans le même temps, les échanges écono-miques et commerciaux se sont diversifiés, même si à ce niveau, les relations sont encore bien en deçà du niveau escompté, compte tenu de la forte présence économique des deux pays dans leurs régions respectives.

Une coopération multidimensionnelle

Récemment, sur le plan politique, une étape extraordinaire a été franchie, avec la visite au Brésil, en 2004, de SM le Roi Mohammed VI, qui avait déjà rendu vi-site à Rio de Janeiro en 1992, alors prince héritier, en sa qualité de représentant du Maroc à la Conférence Rio-92 sur l’envi-ronnement et le développement. En 2018, le chef du gouvernement du Maroc, Saâd Eddine El Othmani, s’est rendu au Brésil, à l’occasion du Forum mondial de l’eau, où il s’est entretenu avec l’ex-président Michel Temer. Ces réunions de haut niveau ont ré-vélé une grande entente entre le Maroc et le Brésil sur des questions d’intérêt commun, étant donné qu’ils sont deux pays ouverts sur l’extérieur, convaincus que la coopé-ration Sud-Sud est, aujourd’hui, plus que jamais avantageuse et fructueuse et conti-nuent leurs efforts pour donner plus de

dynamisme à une coopération multidimen-sionnelle qui concerne tous les niveaux, po-litique, économique, social et culturel. En janvier 2019, Le Chef du gouvernement, qui a représenté SM le Roi Mohammed VI à la cérémonie d’investiture du nouveau président élu du Brésil, Jair Bolsonaro, a d’ailleurs évoqué la présence, de part et d’autre, d’ « une volonté de développer ces relations pour le mieux dans les domaines économique, politique et des échanges entre les deux peuples ».

La diplomatie parlementaire entre la Ré-publique fédérative et le Royaume est deve-nue aussi dynamique ces dernières années, notamment avec l’instauration des groupes d’amitié parlementaires dans les chambres législatives des deux pays. Au Brésil, suite aux visites, au Maroc, du sénateur Fernando Collor de Mello (juillet 2017 et novembre 2017), le groupe d’amitié Brésil-Maroc a été installé au Sénat fédéral et une première ré-union conjointe avec le groupe homologue marocain a eu lieu en mars 2018 à Brasilia, où un ambitieux programme de travail en commun a été défini.

L’intérêt du rapprochement entre les deux peuples

L’intérêt réciproque entre les deux pays est visible aussi dans le nombre de touristes brésiliens qui visitent le Maroc chaque an-née. Depuis 2013, avec la reprise des vols directs (SP-Casablanca et Rio-Casablanca) - qui ont déjà une fréquence quotidienne -, le nombre de touristes brésiliens a considé-rablement augmenté. En 2016, il y en avait environ 32 000. En 2017, le nombre a dé-passé les 45.000. Dans le même temps, le nombre de touristes marocains au Brésil a également augmenté. Les voyages dans les deux sens sont également facilités par la non-obligation d’un visa. Les échanges tou-ristiques, ainsi que les initiatives culturelles, favorisent donc un rapprochement entre les deux peuples et, le cas échéant, une meil-leure connaissance réciproque.

Un partenariat économique

marqué du sceau de l’essor

Quant aux relations éco-nomiques et commerciales, elles ont fortement augmen-té au cours des 15 dernières années. Entre 2000 et 2012, les échanges commerciaux sont passés de 221 millions USD à un niveau record de 2,15 milliards USD.

Pendant trois années consécutives - 2011, 2012 et 2013 - les échanges bilaté-raux sont restés supérieurs à 2 milliards de dollars améri-cains. Entre 2014 et 2016, il y a eu une certaine récession en raison de la crise écono-mique au Brésil. En 2017,

toutefois, il y avait une nette reprise, avec une augmentation (par rapport à 2016) d’en-viron 32% des importations brésiliennes de produits marocains et d’environ 26% des exportations brésiliennes à destination du Maroc. En conséquence, le Brésil a impor-té environ 868 millions USD du Maroc en 2017 et en a exporté environ 615 millions USD. En 2018, un solde de 252 millions de dollars américains avait été enregistré en fa-veur du Maroc.

Mais les échanges entre les deux pays sont encore concentrés sur des produits na-turels. En fait, le Brésil renouvelle chaque année une forte demande de phosphates et d’engrais, dont le Maroc est un fournisseur majeur dans le monde. Au même moment, le Maroc importe de gros volumes de sucre, et d’autres produits agricoles. Avec l’appro-fondissement et la diversification des rela-tions bilatérales et les efforts visant à réduire ou à éliminer les obstacles aux échanges, le même dynamisme devrait se manifester dans d’autres secteurs, notamment le secteur industriel. En ce sens, la négociation d’un accord de libéralisation des échanges entre le MERCOSUR (Marché commun du Sud)et le Maroc revêtirait une grande impor-tance, de même que la signature d’un accord de coopération et de facilitation des inves-tissements, qui fournira un cadre juridique favorable au développement des initiatives d’investissement des entreprises des deux pays amis.

Le Brésil et le Maroc partagent le même voisinage atlantique. De São Paulo à Casa-blanca, il y a neuf heures de vol, soit moins que de São Paulo à New York (9 heures et 45 minutes) ou à Paris (11 heures), et c’est un grand atout qui devrait être exploité da-vantage pour approfondir les relations bi-latérales dans les années à venir. En consé-quence, l’océan atlantique ne doit pas être perçu comme un fossé ou un obstacle à la coopération bilatérale entre les deux pays, mais plutôt un trait d’union. n

MARS 2019 7

Relations Maroc-Brésil :une coopération Sud-Sud solidaire

Rencontre à Brasilia, en 2004, entre SM le Roi Mohammed VI et l’ex-président brésilien Luís Inácio Lula da Silva.

sur le plan politique, une étape extraordinaire a été franchie, avec la visite au Brésil, en 2004, de S.M. le Roi Mohammed VI, qui avait déjà rendu visite à Rio de Janeiroen 1992, alors prince héritier, en sa qualité de représentant du Maroc à la Conférence Rio-92 sur l’environnement et le développement.

Entre 2000 et 2012, les échanges commerciaux sont passés de 221 millions USD à un niveau record de 2,15 milliards USD

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ÉVÉNEMENT

Par Khadija Skalli

Sur invitation de SM Le Roi Mo-hammed VI, le pape François se rendra les 30 et 31 mars prochain au Maroc. Une visite hautement symbolique placée sous le signe de l’espérance et du dialogue inter-religieux. Il s’agit de la deuxième visite d’un souverain pontife au Royaume après celle de Jean-Paul II, reçu le 19 août 1985 par Feu S.M. Le Roi Hassan II.

Le pape François effectuera, les 30 et 31 mars prochain, une visite au Maroc, 34 ans après celle de Jean-

Paul II, reçu le 20 août 1985 par Feu SM Le Roi Hassan II. Cette visite pontificale, tant attendue, revêt une importance capi-tale pour les deux Etats puisqu’elle réaf-firme la solidité et la profondeur de leurs relations historiques. Elle offre aussi « une opportunité importante pour développer davantage le dialogue interreligieux et la connaissance réciproque entre les fidèles des deux religions», affirme le souverain pontife.

Placé sous le signe de l’espérance et du dialogue interreligieux, ce 28e voyage apostolique de l’évêque de Rome sera, essentiellement, consacré à la capitale du Royaume, Rabat. Le séjour papal sera riche en rencontres notamment avec les oulémas et les migrants. « Ce sera un voyage très agréable », selon les propos du pape argentin, qui a tenu à rappeler qu’il se rendrait à Rabat pour marcher « sur les traces de Saint Jean-Paul II, qui a été le premier à s’y rendre ».

François sur les pas de Jean Paul II

Lundi 19 août 1985, le pape Jean-Paul II réalise son premier voyage officiel dans un pays musulman, sur invitation d’un Chef d’Etat musulman, en l’occur-rence Feu SM Le Roi Hassan II. Une visite historique qui restera dans les an-nales des deux Etats. Ce voyage pontifi-cal était précédé d’une visite officielle du défunt Souverain à Rome en 1980. Un événement d’une importance exception-nelle puisqu’il a été précurseur du dia-

logue interreligieux entre les Musulmans et les Chrétiens.

A son arrivée à Casablanca, Jean-Paul II s’est entretenu avec le Roi Hassan II, dans le palais royal puis avec les Oulé-mas du Royaume. Un événement sans précédent pour l’église qui est allée à la rencontre de l’islam. Le point culmi-nant de ce voyage était le discours du Souverain pontife. L’évêque de Rome a prononcé un discours devant près de 80.000 jeunes dans le grand stade de Ca-sablanca.

Sous une salve d’applaudissements, Jean-Paul II s’est adressé, d’abord, en langue arabe au grand public, qui est venu nombreux pour l’écouter.

« Chrétiens et Musulmans, nous nous sommes généralement mal compris, et quelquefois, dans le passé, nous nous sommes opposés et même épuisés en po-lémiques et en guerres. Je crois que Dieu nous invite, aujourd’hui, à changer nos vieilles habitudes. Nous avons à nous respecter, et aussi à nous stimuler les uns les autres dans les œuvres de bien sur le chemin de Dieu ».

Pour Jean Paul II, le dialogue entre croyants est plus nécessaire que jamais. Une étape importante pour le rapproche-ment entre Chrétiens et Musulmans.

Lors de son discours, le pape a loué la tolérance des Marocains. « Le Maroc a une tradition d’ouverture. Vos savants ont voyagé et vous avez accueilli des sa-vants d’autres pays. Le Maroc a été un lieu de rencontre des civilisations : il a permis des échanges avec l’Orient, l’Es-pagne et l’Afrique ».

La visite de Jean Paul II a insufflé une nouvelle dynamique aux relations diplo-matiques entre Rabat et le Vatican. Elles

seront renforcées lors du deuxième dé-placement du défunt Souverain Hassan II au Vatican, en novembre 1991.

Relations entre Rabat et le Vatican

L’origine des relations diplomatiques entre Rabat et le Vatican remonte à 1976 avec la nomination du premier ambassadeur du Royaume du Maroc.

« Nous sommes très heureux de vous recevoir aujourd’hui et d’accueillir, en la personne de Votre Excellence, le pre-mier Représentant près le Saint-Siège du Royaume du Maroc… Au moment où dé-bute votre Mission, Nous vous assurons, Monsieur l’Ambassadeur, de notre sym-pathie et de celle de nos collaborateurs. Le meilleur accueil vous sera toujours

réservé, et vous trouverez ici estime et compréhension », déclare le pape Paul VI dans son discours lors de la cérémo-nie de réception des lettres de créance de l’ambassadeur marocain, le 6 juin 1976.

Les relations entre les deux Etats connaîtront, ensuite, une évolution sou-tenue qui atteindra son point culminant avec la visite de Jean-Paul II, en 1985. Ces bonnes relations d’amitié entre les deux Etats se poursuivent et se renforcent avec la visite de SM Le Roi Mohammed VI, en 2000, au Vatican. Un accueil cha-leureux lui a été réservé par le pape Jean-Paul II.

Toutefois, ces relations connaîtront, en 2006, un coup de froid sous Benoît XVI, dont les propos virulents contre l’islam suscitent une vive polémique dans le monde musulman. Le Maroc avait même rappelé son ambassadeur pour consulta-tions.

Les relations entre le Maroc et le Va-tican ne connaîtront un réchauffement qu’après l’arrivée du successeur de Benoît XVI au trône de Saint-Siège. L’Argentin Jorge Mario Bergoglio, élu pape sous le nom de « François », fait du dialogue des religions son cheval de bataille.

Les deux Etats tournent la page des tensions. La nomination de la juriste et théologienne Raja Naji Mekkaoui, ambassadeur marocain au Vatican, confirme l’embellie des relations. n

8 MARS 2019

Le Pape François en visite au Maroc

Programme du séjour papal

Le programme du séjour papal sera riche en rencontres. Le souverain pontife sera ainsi accueilli, samedi 30 mars, à l’aéroport international

de Rabat Salé. Le Chef d’État de la Cité du Vatican se rendra, ensuite, au Palais royal où il sera reçu en audience par SM Le Roi Mohammed VI. Une rencontre hautement symbolique entre le Saint-Père et le Commandeur des croyants « Amir al-Mouminine ». Les deux Chefs d’Etat partagent une vision commune sur le dialogue interreligieux pour contrer l’extrémisme sous toutes ses formes.

A cette occasion, l’évêque de Rome prononcera un discours depuis l’espla-nade de la mosquée Hassan, adressé au peuple marocain.

Le programme de la journée comprend également une visite au Mauso-lée Mohammed V à Rabat, puis à l’institut Mohammed VI de formation des imams, prédicateurs et prédicatrices. La question de la migration, très chère au Pape François, sera abordée lors de ce voyage. Son agenda prévoit une visite au centre de la Caritas diocésaine pour une rencontre avec les migrants. Lors de ses différents déplacements internationaux, l’évêque de Rome a pris la défense des migrants. L’Argentin a même lancé un appel aux Européens pour qu’ils leur ouvrent leurs frontières.

Le dimanche 31 mars, deuxième journée de la visite papale, le Souverain pontife se rendra au centre rural des services sociaux de Témara. Comme à chaque voyage apostolique, le Souverain pontife ira également à la rencontre de la communauté catholique locale.

Une rencontre à la cathédrale avec les prêtres et le Conseil œcuménique des Églises est prévue. Il y prononcera un discours ainsi que la prière de l’angélus. L’après-midi, une messe papale sera célébrée, en clôture du séjour, avant un départ vers Rome. n

A son arrivée à Casablanca, Jean-Paul II s’est entretenu avec le Roi Hassan II dans le palais royal puis avec les Oulémas du Royaume. Un événement sans précédent pour l’église qui est allée à la rencontre de l’islam.

Toutefois, ces relations connaîtront en 2006 un coup de froid sous Benoît XVI, dont les propos virulents contre l’islam suscite une vive polémique dans le monde musulman. Le Maroc avait même rappelé son ambassadeur pour consultations.

Le Pape François.

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AFRIQUE

Par Khadija Skalli

Le 32e Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine, tenu en février dernier, dans la capitale éthiopienne Addis-Abeba, n’a pas tenu ses promesses. La réforme financière n’a pas eu lieu. La révision du barème des contributions financières a été reportée au sommet ex-traordinaire de l’organisation continentale qui se déroulera en juillet prochain, à Niamey, au Niger.

La montagne accouche d’une souris. Le 32ème Sommet des Chefs d’Etat

et de Gouvernement de l’Union Afri-caine, tenu les 10 et 11 février dernier, dans la capitale éthiopienne Addis-Abe-ba, n’a pas atteint ses objectifs de ré-forme financière. Bien que le président rwandais Paul Kagame, initiateur de cette réforme, ait fait feu de tout bois pour faire aboutir ce chantier, la prise de décision concernant le nouveau barème des contributions financières des membres de l’organisation conti-nentale a été reportée au prochain som-met extraordinaire qui se déroulera en juillet à Niamey, au Niger.

Largement dépendante des aides étrangères, l’institution africaine peine encore à assurer son autonomie financière. Ce qui constitue un frein à son efficacité. Des mesures d’autofi-nancement de l’organisation panafri-caine s’imposent. Le président rwan-dais Paul Kagame avait alors proposé de lever une taxe à hauteur de 0,2% sur les produits importés. Cette mesure de-vrait permettre aux membres de l’UA de payer leur contribution financière annuelle. Toutefois, de nombreux pays ont exprimé leurs réticences. A ce jour, seulement 24 pays ont accepté la mise en application de cette taxe, d’après les

chiffres officiels de la Commission de l’UA. Les discussions sur cette taxe ont été également reportées au pro-chain sommet extraordinaire.

Lors de ce sommet du mois de fé-vrier, les échanges entre les Chefs d’Etat et de gouvernement africains ont porté notamment sur les déplace-ments forcés en Afrique et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF).

L’Afrique aura-t-elle réellement sa zone de libre-

échange continentale ?Le projet de création d’une zone de

libre-échange continentale africaine (ZLECAF) avance à grands pas, se-lon les propos du président de la Ré-

publique du Niger, Issoufou Maha-madou, qui a présenté son rapport d’étape sur le processus de négocia-tion de la ZLECAF, à Addis-Abeba. « Nous avons maintenant atteint un point décisif dans le processus de ré-alisation de notre vision d’un marché commun africain. Nous sommes en passe d’entrer dans la phase opéra-tionnelle de ce processus », déclare-t-il lors du 32ème sommet ordinaire de l’UA.

L’institution continentale table beaucoup sur ce projet pour ren-forcer l’intégration économique de l’Afrique. Toutefois, des contraintes persistent entravant l’aboutissement du projet. Selon le Chef d’Etat ni-gérien, « six des États membres de l’UA n’ont pas encore signé l’Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine ».

En outre, 18 pays seulement ont ratifié l’Accord. Il s’agit du Congo Brazzaville, de la Côte d’Ivoire, de Djibouti, de l’Eswatini, du Ghana, de la Guinée, du Kenya, du Mali, de la Mauritanie, de la Namibie, du Ni-ger, de l’Ouganda, de la République Sud-Africaine, du Rwanda , du Séné-gal, de la Sierra Leone, du Tchad et du

Togo. Quid du Maroc ?Le Maroc a déjà signé l’accord

en 2018. La ratification est en cours. Le projet portant ratifica-tion de l’accord de la création de la zone de libre échange conti-

nentale africaine a été adopté jeudi 21 février en Conseil de gouvernement.

Or, 22 ratifications sont requises pour l’entrée en vigueur de cet accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine. « Cet Accord entre en vigueur, trente jours après le dépôt par vingt-deux États signataires de leurs instruments de ratification, auprès du Président de la Commission de l’Union africaine », stipule l’article 23 de ce texte.

Le Chef d’Etat nigérien reste pour le moins très optimiste. « Il est pos-sible d’obtenir le 22ème instrument de ratification avant la célébration du premier anniversaire de la ZLECAF, le 21 mars 2019 ». Et de poursuivre : « Afin que nos décisions soient cré-dibles, je voudrais recommander que nous nous engagions à faire du mar-ché commun africain une réalité, d’ici à 2023, et que nous demandions à nos ministres du Commerce d’élaborer, d’ici novembre 2019, une stratégie dans le cadre de la réalisation de cet objectif, pour examen par la Confé-rence en 2020 ».n

Le 32e sommet de l’organisation continentale a connu une première. Aucune décision de l’Union africaine sur le Sahara ne figure sur le rapport final de l’UA.

La révision du barème des contributions financières a été reportée au prochain sommet extraordinaire qui se déroulera en juillet à Niamey, au Niger.

MARS 2019 9

Réforme financière de l’UA :la grande déception

Nouveau venu à la troïka présidentielle de l’Union africaine, chargée de la question du

Sahara, l’Afrique du Sud, qui assurera la présidence tournante de l’UA en 2020, intègre ce comité prési-dentiel, créé lors de la 31e session ordinaire du Som-met des chefs d’État et gouvernement de l’Union africaine, en juillet 2018 à Nouakchott.

Ainsi, le Maroc perd, au sein de ce comité ad hoc, son allié, le président guinéen Alpha Condé. C’est son homologue sud-africain Cyril Ramaphosa, hos-tile à l’intégration territoriale du Maroc, qui prend la relève.

L’adhésion de l’Afrique du Sud à la troïka africaine intervient avec la tenue de sa première ré-

union. En effet, six mois après sa création, la troïka présidentielle chargée du dossier du Sahara s’est réu-nie, pour la première fois, dimanche 10 février, dans la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, en marge du 32ème sommet de l’Union africaine.

Le président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat, qui est membre de ce comi-té, a déclaré sur son compte Twitter que « le nouveau Mécanisme africain devrait arrêter une feuille de route pour permettre à l’UA d’apporter une contribution significative aux efforts de l’ONU et de jouer pleinement le rôle qui lui revient dans ce dossier ».

Par ailleurs, le 32e sommet de l’organisation conti-nentale a connu une première.

Aucune décision de l’Union africaine sur le Saha-ra ne figure sur le rapport final du 32ème sommet de l’UA. Mieux encore, un avis juridique a été émis par le Conseiller juridique de l’Union africaine, le représentant permanent du Nigeria, Bankole Adeoye et adressé aux représentants permanents des pays membres de l’Organisation continentale. Selon cetb avis « le Conseil Paix et Sécurité de l’institution panafricaine ne pourra plus soulever, citer ou se référer à la situation au Sahara de quelque manière que ce soit ».

La troïka présidentielle composée du président en exercice de l’UA, son prédécesseur et son successeur, ainsi que le président de la Commission de l’Union, est la seule habilitée à examiner la question du Sahara.

Sahara : L’Afrique du Sud intègre la troïka présidentielle chargée du dossier

Les chefs d’État africains réunis au siège de l’UA.

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AFRIQUE

Les récentes tensions entre la France et l’Italie ont remis au cœur des débats l’épineuse question du franc CFA en Afrique. Si sur le continent, la seule monnaie coloniale encore en activité dans le monde a de nombreux détracteurs, qui ap-pellent sa disparition de tous leurs vœux, le franc de la com-munauté financière africaine –initialement franc des colonies françaises d’Afrique jusqu’en 1958, utilisé par 14 pays et près de 155 millions de personnes– a des défenseurs sérieux qui sou-haitent au mieux le maintien de cette monnaie « stable », au pire sa révision.

«I l y a des dizaines de pays africains où la France imprime une monnaie, le franc des colonies. Et avec cette

monnaie, elle finance la dette publique française »

« Si la France ne décolonise pas (ces pays), alors nous continuerons à avoir une Afrique pauvre et une Europe hypo-crite. »

Ces déclarations de Luigi Di Maio, diri-geant du Mouvement 5 étoiles et ministre italien du Développement économique, du Travail et des Politiques sociales, ont mis un coup de pied dans la fourmilière monétaire des pays des zones UEMOA et CEMAC, et suscité une avalanche de réactions de politiques, d’intellectuels et d’acteurs de la société civile africaine sur la question du franc CFA, dans un contexte marqué par l’immigration clan-destine et ses corollaires.

Crée officiellement en 1945, cette monnaie perçue comme un outil de co-lonisation privant les pays utilisateurs du pouvoir monétaire, a très vite fait face aux critiques des ex-colonies au lendemain des indépendances, suivie par les sorties des zones CFA du Mali en 1962 et de Ma-dagascar en 1973. Et bien que le Mali ait réintégré le système en 1984 suite à des difficultés économiques, la question est restée très sensible sur le continent. En 2015, le président du Tchad, Idriss Déby Itno, a appelé les pays africains à une re-mise en cause collective du franc CFA.

« Il y a aujourd’hui le FCFA qui est garanti par le trésor français. Mais cette monnaie, elle est africaine. C’est notre monnaie à nous. Il faut maintenant que réellement dans les faits, cette monnaie soit la nôtre pour que nous puissions, le moment venu, faire de cette monnaie une monnaie convertible et une monnaie qui permet à tous ces pays qui utilisent encore le FCFA de se développer. », a-t-il lancé, ajoutant que dans « l’Afrique, la sous-ré-gion, les pays africains francophones aussi, ce que j’appelle la coopération mo-nétaire avec la France, il y a des clauses qui sont dépassées. Ces clauses-là, il fau-

dra les revoir dans l’intérêt de l’Afrique et dans l’intérêt aussi de la France. Ces clauses tirent l’économie de l’Afrique vers le bas, ces clauses ne permettront pas de se développer avec cette monnaie-là. ».

Ce que les opposants du franc CFA reprochent entre autres à cette monnaie commune, outre le fait qu’elle soit impri-mée en France et que les Etats membres doivent déposer 50% de leurs réserves de change sur un compte d’opérations ouvert auprès du Trésor Français, c’est qu’elle favoriserait les intérêts des entre-prises françaises à travers la parité fixe qui leur permet, selon l’économiste Franco-suisse Michel Santi « de continuer à ac-quérir des matières premières africaines (cacao, café, bananes, bois, or, pétrole, uranium...) sans avoir à débourser la moindre devise étrangère, tout comme elle autorise nos entreprises à investir dans cette zone franc sans risquer de dé-préciation monétaire ». Cet avis est parta-gé par Kako Nubukpo, homme politique et macroéconomiste togolais pour qui le système CFA sert aujourd’hui une toute petite minorité de dirigeants africains et de grands groupes européens qui béné-ficient du Trésor français, qui permet au franc CFA de rester arrimée à l’euro, dans le cadre du compte d’opération. Si l’appel lancé par le président tchadien a trouvé un écho favorable auprès de nombreux Afri-cains et non Africains, il n’en demeure pas moins que les avis sont partagés sur le continent et le franc CFA peut se targuer d’avoir des soutiens de tailles.

« Le franc CFA est une bonne monnaie à garder »Le débat autour du Franc CFA suscite

beaucoup de passion et pour de nombreux observateurs, cela est dû au passé colonial de cette monnaie dont l’abandon signi-fierait pour ses détracteurs, une «totale’’ indépendance vis-à-vis de l’ancien pays colonisateur, la France. Cependant, les pourfendeurs du Franc CFA sont accusés par des économistes et des dirigeants poli-tiques africains de premier rang de mener un combat émotionnel, dénué de toute analyse scientifique crédible pouvant re-

mettre en question le dispositif monétaire actuel. Face à la vague de contestations qui a suivi les propos des dirigeants ita-liens, le président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, reçu par Emmanuel Macron le 15 février dernier, a demandé que cesse ce « faux débat ».

« J’ai été directeur des études de la banque centrale de l’Afrique de l’Ouest qui émet le franc CFA, j’ai été vice-gou-verneur, gouverneur de la BCEAO, j’ai été Directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI). Je pense qu’il faut que ce débat cesse. Des gens en parlent sans savoir de quoi ils parlent. Le franc CFA est notre monnaie. C’est la monnaie des pays qui l’ont librement consenti et qui l’ont mis en place de ma-nière souveraine, et ce, depuis l’indépen-dance, depuis 1960. Le franc CFA est plus ancien que l’Euro. Personne ne parle de l’Euro et ceci ne semble pas poser de pro-blème. Je ne comprends pas ce faux débat sur le franc CFA. » , a-t-il déclaré.

Poursuivant, l’économiste a indiqué que « le franc CFA est une monnaie solide gérée par la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, (…) gérée uni-quement par les Africains. Les huit éco-nomies qui la composent sont parmi les meilleures en performance économique. Le taux de croissance est au-delà de 6%, l’inflation est basse, la pauvreté se réduit, les déficits sont maitrisés parce que nous sommes ensemble et la solidarité fait que de temps en temps nous pouvons nous ap-porter des appuis, ce qui fait avancer la machine. » a-t-il révélé.

Même son de cloche du côté du président Sénégalais Macky Sall qui quelques années auparavant appelait les pays membres à ne pas déstabiliser le franc CFA. « La monnaie CFA a des avan-tages. Elle a peut-être aussi des inconvé-nients, mais peut-on tout de suite la jeter et engager une aventure ? Je ne sais pas. Je n’ai pas les arguments qu’il faut pour aller dans cette direction. Par contre, nous devons améliorer le fonctionnement de la zone monétaire. Par exemple, la ma-nière dont la Banque centrale doit accom-pagner les États dans leur politique de développement. C’est là une question de

fond. Nous avons une institution forte et crédible. Et il ne faut pas la déstabiliser, car, quoi que l’on dise, le franc CFA est une mon-naie stable. Cela dit, si on arrive à nous prouver, sans considération politicienne, de lutte anticoloniale par exemple, qu’il faut choisir une autre voie, nous sommes assez autonomes et responsables pour l’emprunter. Pour le moment, j’aimerais qu’on nous éclaire da-vantage. En attendant, je dis que le franc CFA est une bonne mon-naie à garder. », a-t-il déclaré au cours d’une interview accordé au confrère Point Afrique.

Il ressort de ses prises de posi-tion, une volonté affichée de plusieurs décideurs africains de maintenir le franc CFA auquel ils trouvent plus d’avantages que d’inconvénients, tout en s’indignant, à l’instar de Tiémoko Meyliet KONE, gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) que « ceux qui en parlent ne connaissent pas les mécanismes et ne font aucun ef-fort pour (les) connaitre ». Selon l’ancien ministre ivoirien, « il faut arrêter de voir les relations entre la France et les pays de l’UEMOA comme celles d’un colonisa-teur avec ses colonisés. Les Africains ne devraient plus nourrir ce genre de com-plexe. De même, il ne faut pas confondre la gestion de la monnaie et celle des ac-cords de coopération entre notre zone et l’Hexagone. », a-t-il invité.

La France ouverte sur la question

Lors de son déplacement au Burki-na Faso en novembre 2017, le président Français Emmanuel Macron s’est dit ouvert à toutes les revendications sur le franc CFA, invitant par ailleurs les Afri-cains à porter un regard plus pragmatique sur la question. « N’ayez pas sur ce sujet une approche bêtement post-coloniale ou anti-impérialiste. Ça n’a aucun sens, ça n’est pas de l’anti-impérialisme, ce n’est pas vrai. La France accompagnera la so-lution qui sera portée par vos dirigeants», a-til assuré.

« S’ils veulent en changer le périmètre, j’y suis plutôt favorable. S’ils veulent en changer le nom, j’y suis totalement favo-rable. Et s’ils veulent, s’ils considèrent qu’il faut même supprimer totalement cette stabilité régionale et que c’est mieux pour eux, je considère que c’est eux qui décident et donc je suis favorable. », a-t-il affirmé. Cette sortie d’Emmanuel Macron a repositionné la problématique du franc CFA entre les seules mains des dirigeants africains mais selon plusieurs observateurs, un consensus est loin d’être trouvé tant les positions sont tranchées sur la question. n

D.B

10 MARS 2019

Afrique : Franc CFA, aubaine ou outil de servitude ?

Le franc CFA est la seule monnaie coloniale encore en activité dans le monde.

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AFRIQUE

Plus d’un mois après la procla-mation des résultats contestés de la dernière élection présidentielle en République démocratique du Congo (RDC), la tension semble être tom-bée dans le pays. Mais du côté du nouveau président Félix Tshisekedi et de Martin Fayulu, le combat se poursuit. L’un s’est lancé dans une quête de légitimité auprès de ses pairs tandis que l’autre milite pour la reconnaissance de sa victoire.

On aurait pu s’attendre à un déve-loppement différent de la situation, après les prises de position de la

Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), la France, et l’Union africaine au lendemain de la proclamation des résultats donnant Felix Tshisekedi vainqueur des premières élections démocratiques du pays avec 38,57 % des voix devant l’opposant Martin Fayulu (34,8 %).

En effet, faisant écho aux contestations de l’Eglise catholique congolaise, remet-tant en cause les chiffres de la Commission électorale nationale, le chef de la diploma-tie française Jean-Yves Le Drian a très vite dénoncé des manipulations dans la conclu-sion de l’élection présidentielle. « Les élec-tions se sont déroulées à peu près dans le calme, ce qui est une bonne chose, mais il semble bien que les résultats proclamés (…) ne soient pas conformes aux résultats que l’on a pu constater ici ou là, parce que la conférence épiscopale du Congo a fait des vérifications et annoncé des résultats qui étaient totalement différents », décla-rait-il le 10 janvier dernier, annonçant à la même occasion, la saisie de l’ONU par la France pour « que les résultats consta-tés soient les résultats réels ». Cependant dans ce dossier, l’Organisation des Na-tions unies (ONU) semble avoir adopté une autre approche. Sur les antennes du confrère RFI, le Secrétaire général des Na-tions unies, Antonio Guterres s’est dit prêt à collaborer avec les nouvelles autorités du pays, appelant, toutefois, à la mise en place d’un gouvernement inclusif capable de ral-lier tous les Congolais.

Une bataille perdue d’avance ?

Déterminé à faire triompher la « vérité des urnes », Martin Fayulu s’est dit préoccupé par le deux poids deux mesures de la com-munauté internationale, en comparaison à la situation du Venezuela. « Je note que le Secrétaire général des Nations unies n’ou-blie pas ce qui s’est passé en RDC, c’est-à-dire le hold-up électoral. Mais ma réaction est que c’est comme si le Congo était un pays exceptionnel comparativement à ce qui se passe au Venezuela par exemple où la communauté internationale semble opter pour l’organisation de nouvelles élections.

Le problème aujourd’hui, c’est comme faire accepter aux Congolais, et même au monde entier, que quelqu’un qui a eu moins de 17% soit Président de la République, alors que celui qui a plus de 62% ne peut pas exercer le pouvoir. Si la com-munauté internationale veut tuer la démocratie au Congo, qu’on nous le dise, car quel est ce Congolais qui, demain, pour-ra encore faire confiance aux élections? », a-t-il réagi, suite aux propos d’Antonio Guterres. Et alors qu’il a épuisé toutes ces voies de recours en République démocratique du Congo, après le rejet de sa requête par la Cour constitutionnelle le 20 janvier, pour une demande de recomptage des voix jugée « imprécise et absurde », Martin Fayulu s’est tourné vers l’Union africaine. A travers une lettre adressée, le 8 février, aux chefs d’Etats, le candidat malheureux à l’élection présidentielle a appelé l’insti-tution panafricaine à mettre en place « un comité spécial de l’Union africaine pour la vérifi-cation de la vérité des urnes en RDC afin de lever le voile sur le vrai Président de la République ainsi que les vrais députés élus » et à « refaire les élections dans un délai de six mois». Dans son courrier, l’opposant a accusé la Ceni d’avoir « fabriqué des ré-sultats qu’elle a publiés en igno-rant de manière cynique la sou-veraineté du peuple congolais », dans un souci de pérennisation du système Kabila, rappelant, par ailleurs, qu’un « passage en force au nom d’une hypothétique stabilité, c’est mépriser la vo-lonté du peuple congolais et condamner la RDC à l’instabilité ».

L’offensive diplomatique payante de Tshisekedi

Après son investiture à laquelle a assis-té un seul président sur les 17 invités –le Président du Kenya Uhuru Kenyatta–, le nouveau Président congolais s’est engagé dans une tournée auprès de ses pairs pour défendre la légalité de son élection. La 32ème session ordinaire de la Commission de l’Union africaine (UA), qui s’est tenue, les 10 et 11 février, dans la capitale éthio-pienne Addis-Abeba, a été une occasion inespérée pour Felix Tshisekedi qui s’y est entretenu avec une dizaine de chefs d’Etats africains. Parmi ces derniers, les plus cri-tiques à l’égard de la dernière élection présidentielle congolaise, à savoir les présidents zambien Edgar Lungu et rwan-dais Paul Kagame, qu’il a rencontré en plus des présidents tchadien Idriss Deby Itno, sud-africain Cyril Ramaphosa et ivoirien Alassane Ouattara. En outre, il a également

échangé avec la Représentante de l’Union européenne, Federica Mogherini et le Sé-crétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Elu au poste de 2e vice-président en exercice de l’Union africaine, une action perçue comme « une validation » à part entière de ses pairs, les « sérieux doutes » émis sur les résultats de son élection pour-raient être de l’histoire ancienne.

Dans une interview accordée au confrère RFI, au lendemain du dernier sommet de

l’UA, Jean-Pierre Lacroix, chef des opéra-tions de maintien de la paix aux Nations unies, a réaffirmé la volonté de l’ONU à travailler à la stabilité et au développement de la RDC. « Aujourd’hui, le Président Tshisekedi est reçu parmi ses pairs au sommet de l’Union africaine. Maintenant, il s’agit de regarder vers l’avenir et de voir, à notre place, celle des Nations unies, avec le mandat que nous avons, ce que nous pouvons faire pour aider les Congo-lais », a-t-il déclaré, précisant par ailleurs la position de l’Organisation internatio-nale : « Les bons offices, c’est une chose et nous avons toujours été en contact avec tous les protagonistes congolais. En même temps, il y a eu les élections. Vous avez aujourd’hui un président qui a été élu, qui est aujourd’hui reçu à Addis-Abeba au sommet de l’Union africaine. ». Si les dés semblent définitivement jetés, de son côté Martin Fayulu n’en démord pas. Interrogé sur la main tendue par Felix Tshisekedi, l’opposant qui a déclaré à la presse ne pas prendre « une main sale » a lancé un appel à la « résistance pacifique ». n

D.B

le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres s’est dit prêt à collaborer avec les nouvelles autorités du pays, appelant, toutefois, à la mise en place d’un gouvernement in-clusif capable de rallier tous les Congolais.

Alors qu’il a épuisé toutes ces voies de recours en République démocratique du Congo, après le rejet de sa requête par la Cour constitutionnelle le 20 janvier, pour une demande de recomptage des voix jugée « imprécise et absurde », Martin Fayulu s’est tourné vers l’Union africaine.

MARS 2019 11

RDC : Tshisekedi s’affirme, Fayulu ne lâche rien

Félix Tshisekedi

Martin Fayulu

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RELATIONS INTERNATIONALES

Pr. Bichara KHADER*

Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Rome (1957), instituant la commu-nauté économique européenne, la

jeune CEE s’est empressée de signer des ac-cords commerciaux avec les pays arabes du Sud (1958-1972), avant d’élaborer une série de politiques, dites euro-méditerranéennes : politique globale méditerranéenne (1972-1992), politique méditerranéenne rénovée (1992-1995), partenariat euro-méditerranéen (1995-2004), politique européenne de voisi-nage (depuis 2004) et Union pour la Médi-terranée (depuis 2008). Outre ces grandes politiques, on a vu le lancement d’initiatives sous-régionales, notamment le Forum des Pays de la Méditerranée occidentale, mis sur pied en 1990, et devenu, plus tard, le Groupe 5+5, Forum méditerranéen créé en 1994, dia-logue Otan-Méditerranée mis en place en 1994, et accord de coopération UE-Conseil de Coopération du Golfe (1989).

J’ai dressé le bilan de toutes ces politiques dans une dizaine d’ouvrages, notamment « La Méditerranée : géopolitique de la proximité » « L’Europe pour la Méditerranée », et « L’Europe et le Monde arabe : une évaluation critique des politiques européennes » (en langue arabe). Et, à vrai dire, ce bilan a été, dans l’ensemble mitigé, pour ne pas dire décevant.

Mais s’il y a bien eu une politique de diplomatie multilatérale, aboutie et couronnée de succès, cela a été le dialogue euro-arabe, lancé en 1974, et, définitivement, mis sous le boisseau en 1990. Depuis lors, l’UE n’a plus traité avec le monde arabe dans sa globalité, préférant s’engager dans des politiques méditerranéennes, intégrant certains pays arabes et Israël, ou des coopérations avec des regroupements régionaux tels que l’Union du Maghreb Arabe (UMA) ou le Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Sans minimiser l’importance de ces coopérations sous-régionales, je crois que le moment est venu de repenser la relation euro-arabe de fond en comble et de mettre en place un partenariat stratégique euro-arabe. Ce sera l’objet du premier sommet UE-Ligue des Etats Arabes prévu fin février 2019, sauf anicroche de dernière minute.

Le dialogue euro-arabe : un exercice de diplomatie

multilatéraleC’est la guerre d’octobre 1973 et le premier

choc pétrolier (la même année) qui en sont les catalyseurs. En effet, le quadruplement des prix pétroliers et l’embargo imposé par les Etats arabes à l’encontre de certains pays européens ont eu pour effet de démontrer la dépendance de l’Europe des pays arabes et sa vulnérabilité face aux crises proche orientales liées au conflit israélo-arabe. Forts de leur fierté retrouvée, les pays arabes veulent faire comprendre à l’Europe

la centralité, à leurs yeux, de la question palestinienne. Ce sont donc eux qui prennent l’initiative du dialogue : cela transparaît dans la « Déclaration à l’intention de l’Europe occidentale » publiée lors du Sommet arabe d’Alger, le 28 novembre 1973.

Les 9 pays européens de la CEE, réunis à Copenhague (10-14 décembre 1973) donnent leur aval au lancement du dialogue. Mais les priorités des deux parties sont différentes : pour la partie arabe, il s’agit de s’assurer l’appui de la CEE dans la recherche d’une solution juste du conflit israélo-arabe qui a déjà donné lieu à 4 guerres meurtrières (1948, 1956, 1967, 1973) et dont la perpétuation hypothéquait leur développement, menaçait leur stabilité et leur sécurité, alimentait des rancœurs tenaces, et servait de terreau pour des mouvements radicaux. Pour la partie européenne, les priorités sont d’un autre ordre : s’assurer des approvisionnements pétroliers dont l’Europe avait grand besoin, avoir un accès privilégié aux marchés arabes, et bénéficier du recyclage des pétrodollars dans ses banques et ses industries, en somme, il s’agit d’éviter un effondrement économique.

Le dialogue démarre en 1974, avec une commission générale et des comités spécialisés. Le climat entre les pays arabes est apaisé et plutôt euphorique. Les 9 pays européens connaissent des tensions notamment concernant la participation de l’OLP. La formule de Dublin permet de surmonter cet écueil : il est décidé que le dialogue n’est pas entre Etats européens et Etats membres de la Ligue des Etats Arabes (dont l’OLP est membre à part entière) mais bien un dialogue de groupe à groupe, ce qui permet à des représentants palestiniens de faire partie du Groupe Arabe. Et de fait, le représentant palestinien dans le dialogue euro-arabe, qui n’est autre que mon frère Naïm Khader, a été la cheville ouvrière du dialogue, ayant gagné la confiance et l’amitié de nombreux commissaires et ministres européens.

Entre 1974 et 1980, tous les objectifs du dialogue euro-arabe sont atteints : l’Europe a adopté une position claire et sans ambiguïté sur la question palestinienne, condamnant l’occupation israélienne, reconnaissant les droits du peuple palestinien à l’autodétermination, et appelant de ses vœux à des négociations avec la participation de l’OLP (Déclaration de Venise le 15 juin 1980). Pour ce qui est des objectifs de l’Europe, -énergie, marché, recyclage- tous ont été largement atteints : l’Europe est devenue le premier partenaire commercial du Monde arabe, 40 % des pétrodollars ont été recyclés dans

les marchés européens, et il n’y a pas eu un seul embargo pétrolier depuis 1974.

Était-ce un marché donnant-donnant ? Pas vraiment. La CEE avait déjà, depuis le Document Schuman de 1971, pris la mesure du danger que recèle la perpétuation du conflit israélo-arabe sur la stabilité régionale du Proche-Orient et sur sa propre sécurité

Comme l’on pouvait s’en douter, le dialogue euro-arabe suscite la colère des Etats-Unis et le courroux d’Israël. Kissinger était furieux parce que la CEE ne l’a pas consulté au préalable, et menaçait de tuer ce dialogue dans l’œuf. Tandis que le premier ministre israélien, Shamir, y voyait un basculement pro-palestinien de l’Europe et promettait de jeter la Déclaration de Venise dans la poubelle de l’histoire. Le 1er juin 1981, un an après cette Déclaration, mon frère Naïm, premier représentant de l’OLP à Bruxelles, est assassiné devant la porte de son domicile.

Le dialogue euro-arabe est interrompu. Plusieurs facteurs y contribuent, notamment, la mise au ban de l’Egypte, suite aux accords de Camp David (1979), la guerre entre l’Irak et l’Iran (1980-1989), l’invasion israélienne du Liban (1982), mais aussi l’arrivée au pouvoir, en Grande-Bretagne, de Margaret Thatcher et, aux Etats -Unis, de Ronald Reagan ainsi que les discussions portant sur l’architecture européenne. Le dialogue euro-arabe est relégué à l’arrière-plan.

12 MARS 2019

L’Europe et le monde arabe :vers un partenariat stratégique

Forts de leur fierté retrouvée, les pays arabes veulent faire comprendre à l’Europela centralité, à leurs yeux, de la question palestinienne.

S’il y a bien eu une politiquede diplomatiemultilatérale, aboutieet couronnée de succès, cela a été le dialogue euro-arabe, lancé en 1974, et, définitivement,mis sous le boisseau en 1990.

Entre 1974 et 1980, tous les objectifs du dialogue euro-arabe sont atteints : l’Europe a adopté une position claire et sans ambiguïté sur la question palestinienne, condamnant l’occupation israélienne

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RELATIONS INTERNATIONALES

La chute du Mur de Berlin (1989), l’implosion de l’URSS (1991) et la perspective d’unification allemande bouleversent la donne géopolitique en Europe et remettent à l’ordre du jour le rôle nouveau de l’Allemagne dans la « Mittel Europa », mais aussi le poids dont elle disposerait, désormais, au sein de la Communauté. La France tente de contrebalancer l’ouverture de l’Allemagne aux pays de l’Est, en convoquant à Paris (le 22 décembre 1989) une nouvelle Conférence euro-arabe. A l’ouverture de la Conférence, le président Mitterrand déclare que « le dialogue euro-arabe s’est enlisé depuis 6 ans. C’est pourquoi j’ai souhaité le sortir de l’ornière… ». Les Etats Arabes accueillent l’initiative avec enthousiasme, d’autant que le climat interarabe est, à nouveau, à la détente (création de l’Union du Maghreb arabe, en février 1989, et réintégration de l’Egypte dans le giron arabe en 1989). Le dialogue euro-arabe redémarre sous de bons augures. Malheureusement, l’occupation des troupes de Saddam Hussein de l’Emirat du Kuweït lui assénera un coup fatal.

L’UE relance des Politiques Euro-méditerranéennes

Pour comprendre la nouvelle orientation méditerranéenne de la politique européenne, à partir de 1990, il faut la situer dans le contexte mondial, régional et local, marqué par une série d’événements, de nature diverse : implosion de l’URSS (1991), crise algérienne (à partir de 1992), développement de l’Islam radical avec Al-Qaida en Afghanistan et le FIS en Algérie, Conférence de paix israélo-arabe (octobre 1991), Processus d’Oslo (1993) ouverture des négociations en vue de l’adhésion des pays de l’Europe centrale et orientale. Tous ces événements forcent l’UE à centrer son attention sur ses flancs de l’Est et du Sud. L’UE, focalisée, début 1990, sur la réunification allemande et son élargissement à la Suède, la Finlande et l’Autriche, redécouvre, dans toute leur acuité, les conséquences négatives d’un déficit de développement en Méditerranée, d’une marginalisation durable de la zone et décide, dès lors, de proposer, d’abord, un partenariat Europe-Maghreb ( 1992), transformé après les accords d’Oslo en Partenariat euro-méditerranéen (Novembre 1995), incluant 8 pays arabes et Israël en plus de Chypre, Malte, et la Turquie. L’objectif était de créer en Méditerranée une zone de libre-échange, de paix et de sécurité. Comme l’on sait, cette politique a été remplacée, en 2004, par la Politique Européenne de Voisinage (PEV). Mais, alors que cette politique était en cours, Nicolas Sarkozy annonce, en 2007, la mise en place d’une Union Méditerranéenne, devenue, par la suite, en 2008, Union pour la Méditerranée (UpM), comprenant 43 pays - tous les pays de l’UE et certains pays arabes méditerranéens.

Ce n’est pas le lieu de faire le bilan

critique de toutes ces politiques. Si je les mentionne ici, c’est parce que la dimension arabe a disparu, à un moment où l’Europe doit repenser sa relation avec le monde arabe dans son ensemble.

Pourquoi une politique arabe de l’Europe ?

Avec la sortie annoncée de la Grande Bretagne, l’Europe a, aujourd’hui, une population de 440 millions d’habitants. En face d’elle, il y a, aujourd’hui, 400 millions d’arabes et bientôt, avant 2030, près de 500 millions d’arabes. C’est un potentiel démographique considérable à peine inférieur à celui de la Chine (1300 millions).

Intégré économiquement, animé de visions partagées, s’appuyant sur une seule langue, doté d’institutions communes et d’instruments assurant des politiques de convergence entre ses parties, le monde arabe pourrait devenir non une arrière-cour, mais un partenaire fiable, démocratique et prospère. Le contraire serait un émiettement en entités politiques rivales, poursuivant des stratégies individuelles, sans aucune garantie de pouvoir, dans des contextes étriqués, relever tous les défis, avec les conséquences dramatiques à l’intérieur du monde arabe en termes d’aggravation du chômage, du pourrissement de la situation et d’instabilités multiples, et en Europe même, en termes de développement des filières mafieuses d’immigration clandestine, d’agitations sociales, voire de terrorisme transnational.

Aujourd’hui, avec la modification de la donne géostratégique, l’intérêt de l’UE lui commande de soutenir l’intégration régionale arabe. Le morcellement actuel du monde arabe contribue à faire douter de son existence et de la pertinence même du concept de « l’arabité ». Par le passé, l’unité du monde arabe, voire son intégration économique, étaient perçues comme une menace pour les intérêts européens. Cette vision empêchait de percevoir le potentiel de stabilité et de prospérité qu’induisait pour l’Europe un voisinage arabe sûr de lui-même, confiant dans son avenir, réconcilié avec son passé, et offrant à sa jeunesse une autre perspective que le chômage chronique, le martyr ou l’exil.

En effet, le monde arabe existe bel et bien, même si, échaudés par les échecs répétés d’unions avortées, les populations arabes semblent, aujourd’hui, se résigner à un sentiment de doute quant à la traduction de l’existence de la condition arabe en une exigence de rassemblement.

Ce doute est compréhensible quand on observe le spectacle affligeant de divisions et d’éparpillements. Mais n’est-ce pas là une raison suffisante pour un sursaut éthique, politique et économique ? L’histoire récente de l’Europe doit être une source d’inspiration. Ayant enterré la hache de guerre, l’Europe est, aujourd’hui, la région la plus intégrée au monde. Il n’y a, dès lors, aucune fatalité que les arabes

continuent à se tourner le dos.Je ne dis pas cela pour mettre au goût

du jour un nationalisme arabe sentimental un peu suranné. Mais pour dire que l’Europe élargie aura dans son voisinage immédiat un demi-milliard d’Arabes d’ici 12 ans. Et que ce monde arabe doit devenir une dimension pertinente pour son action extérieure. Aujourd’hui, les sous-ensembles (Europe-CCG, le 5+5 et euro-méditerranéen) sont pris en otage : le premier par les fissures entre les pays du Golfe et la menace réelle ou supposée de l’Iran, le deuxième par la rivalité entre le Maroc et l’Algérie, et le troisième par le conflit israélo-arabe. Or sur ces trois dossiers, l’UE a largement démontré son inefficacité, parce qu’elle ne s’adosse pas suffisamment à une vraie vision d’avenir et à des soutiens populaires : seule une politique arabe de l’Europe peut être efficace et générer un soutien des opinions publiques à la fois arabes et européennes.

J’appelle, dès à présent, à un partenariat stratégique EU-Monde Arabe qui sera fondé sur quelques idées-force :

1. Respect mutuel, dialogue constructif, connaissance réciproque ;

2. Implication de toutes les composantes des sociétés civiles ;

3. Développement des infrastructures régionales ;

4. Investissements massifs dans les énergies renouvelables, la protection de l’environnement, et la lutte contre la désertification ;

5. Aide aux réformes politiques et sociales ;

6. Lutte commune contre les mouvements xénophobes et islamo-phobes ;

7. Engagement réciproque dans la défense de la légalité internationale et des droits humains.

Telle est l’ébauche de ce Partenariat stratégique. Espérons que le premier Sommet Europe-Monde Arabe sera à la hauteur des espérances de nos peuples. Les jeunes européens et arabes, confrontés aux mêmes défis, veulent de l’action et de l’audace et point des palabres et des poignées de main. n

* PROFESSEUR ÉMÉRITE À L’UCLSPÉCIALISTE DU MONDE ARABE

Seule une politique arabe de l’Europe peut être efficace et générer un soutien des opinions publiques à la fois arabes et européennes.

Aujourd’hui, avec la modification de la donne géostratégique, l’intérêt de l’UE lui commande de soutenir l’intégration régionale arabe.

Intégré économiquement, animé de visions partagées, s’appuyant sur une seule langue, doté d’institutions communes et d’instruments assurant des politiques de convergence entre ses parties, le monde arabe pourrait devenir non une arrière-cour, mais un partenaire fiable, démocratique et prospère.

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L’Europe et le monde arabe : vers un partenariat stratégique (Suite)

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MONDE

Par Abdellah Chbani

La définition politique du populisme qui garde en elle un aspect souvent péjoratif est celle d’un discours po-

litique s’adressant aux classes populaires, fondé sur la critique du système et de ses représentants.

« Le mot populisme désigne une approche politique qui oppose le peuple aux élites politiques, économiques ou médiatiques.»

Le populisme est difficile à définir car il oscille d’un contexte national à un autre prenant des formes différentes. Une des choses communes reste le rejet des institutions dites traditionnelles et de leurs élites dans un clivage opposant le « nous » à « eux ».

Le message simple et direct envoyé par les partis dits populistes tend à avoir plus d’impact et un écho politique agrandi en confrontant les problématiques modernes avec simplisme. Le but de la politique étant de « faire passer le message », chose qui est réussie par ces formations politiques.

« Le sentiment d’exclusion du pouvoir, même élu démocratiquement, est à la base de cette attitude qui touche aussi bien des sensibilités politiques de droite que de gauche. Le populisme se réfère à un peuple qu’on estime exclu du pouvoir et non écouté par la démocratie représenta-tive jugée coupée des réalités. »

Si le populisme a pris des formes variées depuis le XIXe siècle, sa présence semble s’affirmer aujourd’hui, dans le monde occidental, au début de ce XXIe siècle, dans le contexte déstabilisant de la mondialisation et des déplacements de populations. Ainsi, on retrouve souvent des thèmes communs au populisme et au nationalisme. « Exploité parfois par des partis activistes, ce courant de pensée po-litique peut prendre des aspects démago-giques en préconisant et/ou soutenant des solutions simplistes à divers problèmes so-ciaux, économiques et politiques. Le mot populisme est fréquemment utilisé dans un sens péjoratif, notamment pour discrédi-ter les adversaires politiques en effectuant un rapprochement avec la naissance des fascismes dans les années 1920. »

Certains spécialistes parlent d’un espace médiatique et politique qui voit croître la notion de populisme dans le discours adressé à l’opinion publique. Les popu-lismes, dans leur définition, ne sont pas cantonnés à un parti et peuvent être de droite comme de gauche. Ils représentent aujourd’hui une inspiration qui peut être désastreuse si leur discours représentant une rhétorique d’opposition est repris par les partis dits classiques.

De quelle manière la personnalisation du pouvoir et l’émergence de figures fortes porte-t-elle un coût pour ces mouvements

populaires qui apparaissent spontanément au travers de la planète ? Le facteur signi-ficatif du populisme est sa conduite parti-culière de la politique qui peut être défini à travers trois points essentiels : celui du charme appliqué sur le peuple afin de le dresser contre la méprisée élite, l’utilisa-tion de crises et finalement l’utilisation d’un langage incendiaire.

Un exemple européenEn Europe, la montée des populismes

porte en elle des noms tels que : Victor Orban en Hongrie, Matteo Salvini en Italie, Jarosław Kaczyński en Pologne, Heinz-Christian Strache en Autriche et Nigel Farage au Royaume-Uni.

La France et l’Allemagne, de par leur importance en Europe, portent en elles le destin politique européen. L’exemple de Marine le Pen qui n’est, toutefois, pas en-core arrivée à la présidence mais qui néan-moins, affirme sa prévalence politique en se positionnant au second tour et en pré-parant l’avenir du FN devenu récemment le Rassemblement National est manifeste. Des mouvements sociaux durables tels que celui des Gilets jaunes mettent en avant le climat social tendu et les effets d’une crise économique et politique qui touche une majorité grandissante.

Le mouvement 5 étoiles en Italie veut s’en prendre à la classe politique corrom-pue et à l’élite. Son orateur le plus fameux, Giuseppe Grillo, dit Beppe Grillo est un ancien comédien de stand-up et blogueur.

En mai 2019, les élections européennes seront aussi le rendez-vous des populismes dans le processus démocratique suprana-tional. Un fléau qui pourrait atteindre les enjeux de l’Union Européenne mais qui devrait néanmoins être contenu, laissant passer de côté cette vague populiste.

Dans le reste du monde s’affichent des symboles forts d’une politique populiste qui prennent la forme de Trump aux Etats Unis, de Bolsonaro au Brésil et de Duterte aux Philippines. Ils sont synonymes de

propagande anti-immigration, anti-médias et anti-élites qui rallient une couche de la population plus large depuis la crise finan-cière de 2008 qui a entraîné l’appauvrisse-ment et touché les classes moyennes.

Le blâme, généralement lorsqu’il s’agit de populisme, se fait à l’encontre du libre-échange et de la migration de masse. Mais la technologie fait partie d’un des facteurs principaux qui transformera la face du monde dans les décennies à venir. C’est aussi l’un des futurs facteurs principaux qui causera des inégalités dans les pays développés. La Silicon Valley s’apprête à rejoindre Wall Street comme entité cau-sant des maux inégalés pour la population laissée sur le carreau.

Quelles sont les résistances qui s’op-posent à notre situation que la spécialiste Chantal Mouffe nomme « post démocra-tique » et cela du fait d’une certaine hégé-monie néo-libérale qui surpasse n’importe quel discours politique de par sa préva-lence dans la géopolitique internationale actuelle ?

Le crash financier et la crise de 2008 ont créé une augmentation de mécontentement et prouvé que l’aspect libéral est tellement dominant que la démocratie est relayée au second plan, de par la souffrance innée de la population générale et l’avènement d’un certain déclin des classes moyennes aux prises avec une augmentation des dif-ficultés pour survivre.

Les mouvements sociaux majeurs à ci-ter sont le printemps arabe, les indignés d’Espagne, Occupy Wall Street qui sont le symbole de la montée des radicalités et d’un retour des conflictualités.

A quel point la démocratie porte en elle une dimension populiste ? Aussi, le popu-lisme représente-t-il la nouvelle contre-culture qui est réprimée par le monde du mainstream ? Telles sont les questions qui se posent désormais dans un temps de montée des pouvoirs dit populistes. n

Si le populismea pris des formes variées depuis le XIXe siècle, sa présence semble s’affirmer aujourd’hui, dans le monde occidental, au début de ce XXIe siècle, dans le contexte déstabilisant de la mondialisation et des déplacements de populations.

Dans le reste du monde s’affichent des symboles forts d’une politique populiste qui prennent la forme de Trump aux États Unis, de Bolsonaro au Brésil et de Duterte aux Philippines.

14 MARS 2019

L’arrivée de la vague populistepromet-elle un raz de marée politique ?

Sommes-nous entrés dans l›ère des populistes dans le monde ?.

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DOSSIER DU MOIS MARS 2019 15

etet

Pour le meilleur

Dossier réalisé par:

Souad Mekkaoui

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Par Souad Mekkaoui

«Que puis-je faire pour vous ? Allez-y je vous écoute… De-mandez-moi par exemple :

quelle est la date d’aujourd’hui ? Quand est mon prochain rendez-vous ? Est-ce qu’il y a du vent ? Réveille-moi dans huit heures. A quelle heure se lève le soleil à Paris ? »

C’est ainsi que vous parle Siri dès que vous appuyez, pendant deux secondes, sur le bouton principal de votre iPhone et que vous le relâchez. Cette applica-tion informatique de commande vocale, développée par la société américaine Apple et qualifiée d’assistant personnel intelligent, est une interface homme-ma-chine qui repose sur la reconnaissance vocale. L’utilisateur peut donc s’expri-mer normalement et Siri répond aussi le plus normalement possible dans un lan-gage naturel plus ou moins décalé. Il est vrai qu’il ne peut encore tenir une vraie conversation, comprendre des subtilités fines de la langue naturelle comme le ferait un être humain et qu’il est facile de le piéger puisque les, limites de son vocabulaire apparaissent très vite. Mais la révolution technologique est donc une réalité qu’on ne peut plus contourner. Par une simple phrase, on peut connaître la météo, programmer l’alarme, se faire rappeler ses rendez-vous, etc;

Peu importe ce que vous voulez faire, Siri peut s’en charger à votre place. Il suffit de demander. Deman-dez-lui d’envoyer un message sur votre iPhone, de diffuser votre série TV pré-férée sur votre Apple TV et il s’exécute. Bref, là où il y a du digital, il y a (aura) de l’intelligence artificielle. Et donc comme monsieur Jourdain qui fait de la prose sans le savoir, nous, nous utili-sons de l’IA sans en être conscients, ne serait-ce que par les chatbots auxquels nous avons accès 24H/24, 7j/7 pour être informés, conseillés ou tout sim-plement pour nous divertir.

Désormais, vous n’êtes plus obligé de connaître l’itinéraire de votre destina-tion, vous pouvez vous rendre partout et n’importe où sans connaître au préalable l’adresse, Waze le fait pour vous. N’est-ce pas là des utilisations anecdotiques quotidiennes qui confirment, bel et bien, qu’on ne peut plus échapper à l’Intel-ligence artificielle, au moment où elle échappe à tout le monde, allant même jusqu’à troubler le sommeil des experts en la matière ? Cette utopie transhuma-niste, certains pensent qu’elle deviendra réalité dans le courant de ce siècle et nous y sommes déjà.

Au motif de toutes les avancées auxquelles nous assistons, on accepte l’idée qu’un jour, peut-être, on pour-rait fabriquer une nouvelle espèce, mi-homme mi-machine. Qui sait ? D’où la nécessité de dessiner une cartographie

DOSSIER DU MOIS16 MARS 2019

Intelligence artificielle :Pour le meilleur OU pour le pire ?

des promesses et des dangers de l’intel-ligence artificielle.

D’ailleurs et malgré toute la perti-nence des réflexions éthiques sur ces questions, cela n’empêche pas un pays comme la Chine de devenir le labora-toire d’un monde futuriste inquiétant et imprévisible, grâce à l’intelligence artificielle, loin de toute convention internationale et de toute sauvegarde des libertés individuelles. Aussi les États-Unis prennent-ils le train et se lancent dans une course avec l’empire

céleste pour affirmer leur supériorité capacitaire dans ce domaine. Quel rôle jouerait alors l’Europe ? La France ?

L’intelligence artificielle en débat

A l’ère où les intelligences s’ar-rachent le vedettariat, et où les Etats se disputent les coopérations en matière d’intelligence artificielle, celle-ci entre en force dans les sociétés. Elle est déjà partout et ce n’est qu’un début. Elle fait les grands titres des Unes et suscite

autant d’interrogations que d’espoirs ou d’appréhensions. Entre fascination et inquiétude, l’intelligence artificielle ne laisse personne indifférent. Elle tient le haut du pavé, depuis quelques mois, et fait l’objet du débat le plus im-portant de notre époque. Alors qu’en 2015 le marché de l’intelligence artifi-cielle pesait 200 millions de dollars, on estime qu’en 2025, il s’élèvera à près de 90 milliards de dollars.

Jouer aux échecs, aux cartes ou à Candy crush est un divertissement qui ne nécessite pas qu’on

se pose la question : on joue contre qui ou plutôt contre quoi? Peu importe notre rival. On joue, on gagne ou on est battu et on passe. Mais là l’intelli-gence artificielle vient de franchir une nouvelle étape dans sa maîtrise du langage humain.

Or, il y a de cela quelques jours, plus exactement, le 11 février dernier, IBM donnait à voir un duel iné-dit entre un homme et …une machine ! L’indétrô-nable champion du monde des débats, Harish Na-tarajan, finaliste du World Debating Championship 2016, devait affronter une intelligence artificielle gavée de données sur un thème particulièrement complexe à savoir « l’Etat doit-il subventionner les écoles maternelles ? ». Et le moins que l’on puisse dire est qu’il … s’en était sorti avec des sueurs face à Project Debater, son interlocuteur métallique qui a fait montre d’érudition redoutable. Celui-ci s’était adressé à l’orateur en lui disant : « Il paraît que vous détenez le record du championnat du monde des débats, mais vous n’avez jamais affronté une machine. Bienvenue dans le futur ». De quoi déstabiliser le meilleur des débatteurs.

Au moment où l’un ne pouvait compter que sur sa

mémoire et son art oratoire, l’autre, élaboré dans les labos d’IBM en Israël était muni de milliards de textes et piochait dans plusieurs milliards d’élé-ments de langage pour former des phrases com-plètes, convaincre le public et battre son concur-rent.

La bataille était rude. Mais bien que la machine ait pu présenter un argumentaire brillant, elle s’était montrée, des fois, décalée par rapport aux réponses de son rival, de sang et de chair, qui avait pu mettre le public de son côté et gagner, face aux neurones synthétiques.

En tout cas, ce qu’il faut retenir, c’est que Project Debater est désormais capable de débattre de su-jets complexes défiant en cela les meilleurs orateurs humains et les spécialistes des joutes verbales.

Il y a lieu de se demander si l’intelligence artificielle est vraiment intelligente. Pourrait-elle remplacer un avocat à l’avenir ? Les choses changeront-elles d’ici quelques années ? Le robot mettra-t-il KO l’homme lors de débats ? Seul le temps nous le dira mais les experts d’IBM sont persuadés que l’IA aidera certainement les humains dans la prise de décision prochainement en leur permettant notamment de comprendre le problème sous toutes ses facettes.n

Quand le débat s’arrache entre l’homme et la machine

L’Intelligence articficielle est en train de révolutionner le monde.

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DOSSIER DU MOIS MARS 2019 17

Intelligence artificielle : Pour le meilleur OU pour le pire ? (Suite)

Harry Shum, Executive Vice-Pre-sident AI & Research de Microsoft dé-crit la situation dans des propos ré-alistes et satiriques à la fois. « Bien sûr qu’il faut aimer l’IA ! Après tout, qu’est-ce que l’opposé de l’intelligence artificielle ? La stupidité naturelle » dit-il.

Ce monde bleu des chiffres et des calculs infinis, et ces gigantesques bases de données nous dépassera pro-bablement bientôt. Nos voitures et nos maisons peuvent être télécomman-dées à distance et ce qui relevait, il y a de cela juste quelques années, de la science-fiction commence à constituer, désormais, notre réalité. Et si, il y a quelques années encore, l’IA n’était pas à la portée de tous vu qu’elle exigeait des expertises pointues et des moyens conséquents, aujourd’hui, l’intégration de l’IA dans toutes les applications est devenue facile et largement démocrati-sée.

Aujourd’hui donc, séminaires, col-loques, conférences, tables rondes, tout tourne autour de la révolution IA, cette technologie en plein développement qui fascine et inquiète, à la fois, à tel point que certains se voient dans l’obli-gation de tirer la sonnette d’alarme quant au danger qu’elle représente, tel-lement elle n’a pas de limite et donc in-contrôlable. Mais c’est quoi donc cette notion qui révolutionne le monde ?

L’intelligence artificielle (IA, ou AI en anglais pour Artificial Intelligence) consiste à mettre en œuvre un certain nombre de théories et de techniques visant à permettre aux ma-chines de simuler une forme d’intelli-gence réelle (humaine). C’est à propre-ment parler de programmes capables de performances, habituellement, asso-

ciées à l’intelligence humaine, ampli-fiées par la technologie. Ainsi, de la fa-culté d’apprendre progressivement, de raisonner, à la capacité d’interagir avec l’homme, en passant par l’amélioration continuelle des performances, l’intel-ligence artificielle investit différents domaines et parvient même à identifier les mots dans un échange oral comme le ferait un être humain ou presque.

Vous avez dit intelligence artificielle ?C’est dans les années 1950, année

fondatrice de l’IA, que le mathéma-ticien Alan Turing soulève l’idée de doter les machines d’une forme d’in-telligence, dans son livre Computing Machinery and Intelligence. Depuis, des réseaux de neurones artificiels sont mis en place par les grandes entre-prises dans le monde de l’informatique telles que Google, Microsoft, IBM, Apple, Facebook, etc. Groupes infor-matiques, PME, grandes entreprises, acteurs du secteur public, industriels, tous sont passés à l’intelligence arti-ficielle. Cette révolution est rendue possible par une quantité de data abon-dante combinée à une forte puissance informatique en plus d’algorithmes ré-volutionnaires.

L’IA se retrouve ainsi implémen-tée dans un nombre grandissant de domaines d’applications grâce aux données, à la manière de les exploiter puis à la capacité à apprendre, sachant que l’intelligence artificielle s’ins-pire des processus cognitifs humains. Ainsi, l’explosion de la puissance de calcul des machines a fait basculer l’IA, dans les années 2010, d’un clas-sique de science-fiction à une réalité

de plus en plus proche, devenue enjeu scientifique majeur. Janvier 2018, lors du célèbre test de lecture de l’Université de Stanford, l’IA marque encore le point et dépasse les humains dans l’exercice de lecture et de compré-hension.

Toutefois, le cerveau artificiel est loin d’atteindre la complexité de l’en-céphale humain, explique les neurobio-logistes.

Le défi majeur serait donc : comment garder le contrôle sur des intelligences dont on se dit qu’elles finiront par nous surpasser ? Aujourd’hui, les GAFAM dominent le monde. Les transfor-mations dont on parle c’est déjà au-jourd’hui car la Chine n’attend pas elle, elle classe et fiche ses citoyens qu’elle reconnaît automatiquement dans la rue. Normal, ne dispose-t-on pas, au-jourd’hui, de milliers de microproces-seurs miniaturisés ? Du coup, on peut obtenir des capacités supra humaines de stockage de l’information et de trai-tement statistique des données. En plus, pour résoudre un problème complexe, c’est plus simple en le divisant en plu-sieurs sous-problèmes, avec une intelli-gence artificielle assignée à chacun.

Cette technologie perfectible a pour-tant commencé à bouleverser nos mo-des de vie, et va continuer à le faire dans le futur, avec l’arrivée program-mée des voitures autonomes, des robots chirurgiens, des algorithmes avocats ou des majordomes virtuels.

C’est dire que nous entrons dans le monde de la surveillance généralisée des cerveaux humains et aucun secteur n’y échappe plus.

De nombreuses entreprises utilisent, dès à présent, l’intelligence artificielle pour devenir plus productives, plus efficaces et plus innovantes.

A quoi ressemblera l’usine de l’avenir ? Certaine-ment pas à ce qu’elle est aujourd’hui. En choi-

sissant d’être dans l’air du temps et de s’inscrire dans l’ère de la digitalisation, les entreprises auront d’autres critères de sélection en matière de recru-tement et bien des métiers disparaîtront pour être remplacés par des robots.

Le cas de la FranceSelon le think tank Institut Sapiens, cinq métiers semblent plus menacés que les autres par l’Intelli-gence artificielle et l’automatisation. Ils pourraient disparaître dans le courant du XXIe siècle.Le rapport avise en premier les employés de banque et d’assurance qui sont les plus menacés selon l’Ins-titut Sapiens. Leurs effectifs sont passés de 356.000 en 1986 à 221.000 en 2016 soit une diminution de 39 %. Il prévoit une véritable extinction rapide d’ici 2038 à 2051.Le métier de comptable aura aussi du plomb dans l’air puisque, depuis quelques années, la tendance est à l’externalisation du métier. L’étude prévoit une extinction entre 2041 et 2056 dès que des logiciels s’acquitteront des tâches comptables sans avoir re-cours à l’homme.

Depuis 1986, le nombre des secrétaires n’a cessé de diminuer, passant de 765.000 à 560.000 en 2016. Leur extinction est ainsi prévue entre 2053 et 2072. Quant aux caissiers et aux employés de libre-ser-vice, le rapport projette une extinction du métier à 2050 au plus tard 2066. D’ailleurs la courbe est dé-croissante depuis les années 2000 en faveur des caisses automatiques dans les supermarchés. Les ouvriers de la manutention, eux, seront amenés à trouver autre chose à faire d’ici 2071 ou 2091. Des géants comme Amazon ambitionnent d’automatiser leurs entrepôts le plus tôt possible. Et ce sont plus de 2 millions de personnes qui sont concernées par ces métiers.Par ailleurs, d’autres métiers « futuristes » jusqu’à il y a quelques années gagneront du terrain parmi nous certainement notamment des roboticiens pour améliorer l’autonomie des robots et faciliter leur inté-gration dans notre espace quotidien. En tout cas, force est de constater que les boulever-sements induits par l’IA seront tels qu’il sera impos-sible de maintenir le même état des choses pendant longtemps et surtout de les appliquer à tous les en-vironnements. n

La reconnaissance vocale bat son plein grâce à des as-sistants virtuels qui peuvent désormais transcrire des pro-pos formulés en langage na-turel et traiter les requêtes de différentes manières (synthèse vocale, traduction instantanée ou autre).

Les images n’ont plus de se-cret pour l’IA. Celle-ci peut au-tomatiquement reconnaître le contenu de l’image et la clas-ser en fonction de critères dé-terminés. Certains algorithmes ne se contentent plus de re-connaître des images, mais se montrent capables de les produire et de donner des yeux aux machines.

Un message perçu comme indésirable est systématique-ment et efficacement filtré grâce aux algorithmes.

Diagnostics médicaux, chat-bots, traduction automatique, facility management, finance algorithmique, banques, as-surances, maintenance pré-dictive, voitures autonomes, assistants personnels, robots industriels, jeux vidéo, maîtrise de la consommation d’énergie, smart building et même sur le terrain militaire, la technologie émergente de l’IA bouleverse tous les secteurs et devient un allié de taille. D’un simple chabot générique, elle est au-jourd’hui un vrai système de gestion incontournable.n

Les métiers au rythme de l’intelligence artificielle

L’Intelligence artificielle : divers

usages et un potentiel infini

A titre d’exemple, que ce soit en in-dustrie du textile ou dans l’industrie alimentaire, l’intégration de l’intelli-gence artificielle se fraie son chemin aisément, pour des gains opérationnels, des risques réduits et une maintenance améliorée ; et la productivité s’en targue.

Néanmoins, une machine a besoin, pour penser, des données que seuls des individus dotés d’intelligence peuvent y introduire. Force est de se demander si à l’avenir, des puces électroniques en silicium pourront avoir les mêmes propriétés que le cerveau humain et si l’intelligence artificielle pourra imiter le cerveau humain qui fonctionne grâce à cent milliards de neurones, connectés entre eux par un million de milliards de synapses. Du moins, arrivera-t-on un jour à séparer la conscience du corps et la loger dans une machine ?

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DOSSIER DU MOIS18 MARS 2019

Faut-il se méfier de l’intelligence artificielle?Smartphones, automobiles, maisons,

commerce, santé et même en justice, l’IA est une réalité dans bien des aspects de la vie quotidienne. Progrès ou cau-chemar ? D’aucuns s’enthousiasment, y voient un nouveau champ de progrès pour l’homme et mettent en avant les nombreux services que va rendre l’IA dans la santé (prédiction des cancers, gé-nétique), le transport (voiture autonome, drones), environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain (EIAH), le spatial (robots sur Mars ou d’autres planètes), les banques (avec le robot-ad-visor), les services de relation clients (chatbot) ou le marketing (assistants per-sonnels).

D’autres, par contre, s’inquiètent de l’arrivée de robots intelligents, des-tructeurs d’emplois, voire d’une intel-ligence artificielle consciente qui rem-placerait l’humanité. Aujourd’hui, et loin des auteurs ou réalisateurs de films de science-fiction dont les scénarios prévoient des catastrophes entre les hu-mains et les machines, des spécialistes s’insurgent.

En effet, des géants, figures respec-tées de la sphère technologique, comme Alphabet, Amazon, Facebook, IBM et Microsoft, ainsi que des personnalités

Intelligence artificielle : Pour le meilleur OU pour le pire ? (Suite 2)

Les applications de ren-contres se dotent d’intel-

ligence artificielle et pour-raient connecter, sans perdre de temps, des âmes «compatibles» via leurs smart-phones. L’amour n’aura plus besoin de pré pour naître mais tout simplement d’algo-rithmes et de codes. Objec-tif ? Reproduire les processus de la pensée humaine lors de la recherche d’un partenaire, ce qui permettra peut-être de trouver ainsi l’âme sœur plus facilement. Bref, les sites de rencontre brandissent leur atout indéfectible pour rappro-cher «les âmes». Comment intervient donc l’IA dans la connexion des cœurs ? Elle devrait aider (ou du moins essayer) à gagner un temps précieux dans la recherche de son prochain partenaire, en fonction des profils et des pré-férences personnelles.Peut-être même que d’ici peu, l’IA pourra prévoir la durée de la réussite d’une relation avant que celle-ci ne commence. n

Parler d’intelligence artifi-cielle au Maroc est encore

précoce vu l’état actuel des choses, du moins pour la ma-jorité des entreprises. Le pays est encore en phase de pré-paration d’un terrain propice. Pour cela, les entreprises tra-vaillent sur la digitalisation de leurs données afin d’en faciliter l’accès et l’analyse. Et c’est ce qui enclenchera, par la suite, l’implémentation d’un système d’intelligence artificielle.Cela dit, plusieurs secteurs s’apprêtent à accueillir la ré-volution technologique qui nécessite leur digitalisation avant de passer à la robotisa-tion notamment les banques, les assurances, les opérateurs télécoms, l’industrie en plus du secteur public. D’ailleurs, la banque et l’assurance s’y mettent déjà en implémentant des programmes d’intelligence artificielle dans leurs sys-tèmes. Du coup, la demande en termes de profils plus qua-lifiés et appropriés à savoir des d’ingénieurs et des mathéma-ticiens augmentera certaine-ment, à l’avenir. L’heure sera donc aux robots et à ceux qui en maîtrisent l’usage.Toutefois le rythme reste lent et la tendance mondiale, elle, va en flèche. n

En quête d’âme sœur ? L’IA choisira

pour vous !

Où en est le Maroc ?

comme Stephen Hawking et Elon Musk, n’ont pas hésité à exprimer leurs craintes quant aux progrès exponentiels de cette révolution technologique. À bien des égards, il s’agit d’une nouvelle fron-tière, qui concerne tout autant l’éthique et l’évaluation des risques que les nou-velles technologies. Alors, quels sont les sujets qui troublent le sommeil des ex-perts en intelligence artificielle qui laisse entrevoir, à terme, un dépassement des capacités humaines ? Steve Wozniak, compagnon de Steve Jobs dans le lan-cement d’Apple, va beaucoup plus loin en prédisant un « futur effrayant », dans lequel les humains pourraient être trans-formés en « animaux domestiques » ou « écrasés comme des fourmis » par les robots qu’ils auront créés.

Donc face aux défenseurs de l’IA, il y a ceux qui brandissent le revers de la médaille. Elle servirait aussi à des buts moins louables, comme la surveillance généralisée, mise en place en Chine. Des experts internationaux sonnent l’alarme sur les risques d’une utilisation mal-veillante de l’intelligence artificielle par « des États voyous, des criminels ou des terroristes ». Faut-il rappeler les agisse-ments coupables de Cambridge Analy-tica, cette société qui en manipulant des données personnelles volées à Facebook, aurait contribué à la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis ? La vie privée s’en trouve alors menacée. D’autant plus qu’elle peut être beaucoup plus dangereuse si on pense au « haking ». Des robots ou des voitures autonomes connectés en réseau et envoyés au sein de la population sont susceptibles d’être « hackés ».

Par conséquent, il est probable que les progrès de l’intelligence artificielle pourraient renforcer la cybercriminalité mais aussi conduire à des utilisations de drones ou de robots à des fins terroristes, dans les prochaines décennies.

C’est pourquoi un rapport d’une cen-taine de pages a été rédigé par 26 experts spécialistes en intelligence artificielle, en cybersécurité et robotique pour appeler les gouvernements à mettre en place des mesures pour limiter les menaces poten-tielles liées à l’IA, sachant qu’il y aura toujours un pays, un laboratoire, une armée, qui fera ce qui est interdit. Par ailleurs, 116 chefs d’entreprise ont signé une lettre ouverte prévenant l’ONU des dangers des robots-tueurs.

Sur le plan économique, la grande peur c’est que l’IA tue les emplois, avec les conséquences qu’on imagine. Il est vrai que ses défenseurs nous expliquent qu’elle créera autant d’emplois qu’elle en détruira mais on a du mal à le croire. Elle pourrait détruire des millions d’emplois, en remplaçant les chauffeurs par des véhicules autonomes ou les avocats par des algorithmes. C’est ce qu’avancent régulièrement des études plus ou moins alarmistes. En 2014, le cabinet Roland Berger a ainsi publié une étude selon laquelle la robotisation menacerait 42%

des emplois et pourrait en détruire 3 mil-lions, en France, d’ici à 2025.

En mai 2017, les universités d’Oxford et Yale ont publié un calendrier des années où l’IA va surpasser l’humain, et sera donc susceptible de le remplacer. Selon diverses prévisions, quasiment tous les métiers seraient menacés. En 2062, les IA seront en mesure de réaliser toutes les tâches humaines plus efficace-ment que nous.

L’intelligence artificielle, l’exploit des temps

modernesSi de nombreuses personnalités du

monde high-tech comme Stephen Hawking, Bill Gates et Elon Musk ma-nifestent leurs craintes quant à l’invasion de l’IA et pointent les risques éthiques d’une IA rendue trop autonome, d’autres scientifiques, par contre –des transhu-manistes- nourrissent des espoirs aux couleurs métalliques ; et estiment que ,probablement, si la transition se fait de manière correcte et progressive, on re-gretterait, forcément, le temps perdu et passé par l’homme au travail afin que celui-ci puisse vivre.

Pour eux il n’y a pas lieu d’avoir peur d’une machine qui tourne selon des pro-grammes pré-établis et exécute les tâches qu’on lui donne.

Au contraire, l’intelligence artificielle peut débloquer d’incroyables possibili-tés dans tous les secteurs, y compris la médecine et l’éducation. Utilisée à bon escient, elle représente une très belle op-portunité économique et sociale.

Selon eux, il est clair que l’intelligence artificielle (IA) va transformer le monde tel que nous le connaissons au cours des dix prochaines années. Mais elle est loin de représenter une menace pour l’huma-nité. Et la perspective d’un « Terminator» qui déciderait de supprimer les humains n›a aucune chance de se réaliser. Tel est le message qui ressort d’une passion-nante conférence organisée par l’univer-sité de Stanford, sous le titre « Artificial Intelligence and Life in 2030 ».

Elle permettrait, entre autres, de réali-ser toutes les tâches ménagères. Peut-être même qu’à l’avenir les intelligences ar-tificielles pourront avoir une apparence humaine pour le contact social. Sur un autre plan, elles faciliteraient les dépla-cements. Mieux encore, elles le feront à la place de l’Homme. D’ailleurs, il existe déjà des véhicules pouvant se déplacer seuls, munis de caméras et de capteurs.

Le hic c’est qu’une erreur technique n’est pas à écarter dans la programma-tion des robots. Ce qui pourrait être fatal dans certains cas.

En tout cas, le train de la révolution est en marche. Et tous les secteurs se préci-pitent pour le prendre. Les moyens co-lossaux en recherche et développement déployés, depuis plusieurs années, par les GAFAM et IBM assurent une avance considérable aux sociétés américaines,

principalement dans la Silicon Valley. Le monde est en effervescence tech-

nologique et nos habitudes quotidiennes risquent d’être chamboulées. Avec la technologie Mobileye (rachetée par In-tel pour 15 milliards de dollars) Tesla a ouvert le bal des voitures autonomes, pilotées par des IA. Les autres construc-teurs n’ont pas tardé à lui emboîter le pas. Le monde de la Santé, quant à lui, est révolutionné par le projet Deep Lear-ning de Google qui peut diagnostiquer un cancer plus vite que les oncologues. Watson d’IBM a établi, quant à lui, un nouveau diagnostic d’une forme rare de leucémie et proposé un traitement qui s’est avéré efficace. Avec les smart-phones nous avons l’embarras du choix entre les performances de Siri d’Apple, Cortana de Microsoft, Magic live de Huawei et bien d’autres assistants per-sonnels vocaux qui nous accompagnent.

Le monde de la presse n’échappe pas non plus à l’Intelligence artificielle. Des robots journalistes sont de plus en plus employés. Ils informent sur le temps qu’il fera, affichent les résultats bour-siers et donnent le compte-rendu des rencontres sportives surtout le week-end.

Bref, on est à l’ère de l’invasion des algorithmes. n

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DOSSIER DU MOIS

On associe, généralement, l’intelli-gence artificielle (IA) au cyborg envoyé par Sarah Connors pour

sauver son fils John, dernier espoir de l’humanité face à la guerre contre la ma-chine. Une machine sophistiquée dotée de capacités similaires à l’humain, mais avec de velléités destructrices. Cette même image porte, intrinsèquement, en elle toute la crainte que l’on peut avoir en pensant à l’IA. Mais soyons clairs, on est encore loin de ce moment-là, nous n’y arrive-rons sûrement jamais, la machine ne nous

égalera pas et ne prendra pas le contrôle de notre destinée.

L’IA est, aujourd’hui, dans toutes les conver-sations. Elle fascine tout autant qu’elle fait peur. Ce terme fleurit, exponentiellement, dans les présentations Power-Point dans les milieux d’affaires. Mais les spé-cialistes en la matière parlent, eux, de «ma-chine learning» ou plus précisément de «deep learning» ou apprentis-sage profond, qui est la capacité d’une machine à apprendre toute seule,

grâce à un réseau de neu-rones artificiels. Il suffit alors de nourrir ce réseau profond avec un grand nombre de données pour qu’il réussisse, après un temps d’entraînement

variable, à identifier et à accomplir une tâche spécifique et précise, mimant l’in-telligence humaine : reconnaître un vi-sage, traduire une phrase, prédire notre prochain achat.

Aujourd’hui, l’IA connaît un dévelop-pement fabuleux dans plusieurs domaines dont : la vision par ordinateur, la recon-naissance vocale, la traduction, la robo-tique, la voiture autonome, pour ne citer que ces derniers.

Les enjeux de l’IAL’avènement de la société du numé-

rique, l’omnipotence du « Big Data », l’augmentation de la capacité de stoc-kage et de la puissance de calcul des or-dinateurs ainsi que la sophistication des

algorithmes de traitement et d’analyse ont créé les conditions du développement exponentiel de l’IA. Cette nouvelle donne s’accompagne d’un changement de para-digme fondamental : une révolution tech-nologique sans précédent, qui donnera à la nation qui la maîtrisera, un avantage décisif dans la gestion des affaires du monde. Le cabinet PWC estime le gain en productivité au niveau mondial de 16 tril-lions de dollars. A titre de comparaison, le PIB des Etats-Unis d’Amérique, en 2017, était de 19 trillions de dollars. Le potentiel est massif.

L’IA va révolutionner nos méthodes de transport avec l’avènement de la voiture autonome, notre industrie avec la roboti-sation des outils de production, la santé avec la sophistication des méthodes de diagnostic, notre consommation à travers une connaissance extra fine de nos habitu-des d’achat, mais surtout et sans doute le plus important, notre capacité de prédic-tion. Car prédire, -l’un des fondements de l’intelligence humaine-, deviendra facile et peu coûteux. La prédiction dépendant de la quantité de données à capturer et à analyser, le faible coût de capture de la donnée et de son analyse révolutionnera notre approche des problèmes et des solu-tions au niveau économique, sociétal, en-vironnemental, éducatif et politique, pour ne citer que ces derniers.

L’IA en ChineNous avons eu la chance à XNode d’être

au cœur de l’accélération de certaines nouvelles technologies, dont l’IA. Et nous avons mesuré l’impact énorme qu’elle aura sur le façonnement de la nouvelle société technologique chinoise. La Chine s’est dotée d’une stratégie gouvernemen-tale et d’un plan quinquennal mettant l’IA au centre du réacteur économique. La Chine est, aujourd’hui, en compétition frontale avec les États-Unis et compte bien devenir le leader mondial en la ma-tière à horizon 2030. L’investissement en IA en Chine a dépassé celui des États-Unis en 2018.

La Chine a deux avantages concurren-tiels flagrants : la taille de sa population lui permettant d’accumuler des masses de données importantes. Puis sa réglementa-tion très souple sur la confidentialité des données personnelles et leurs utilisations, qui lui permet une flexibilité et une agili-

té que d’autres pays n’ont pas et n’auront peut-être jamais. J’en veux pour exemple l’utilisation des données médicales per-sonnelles, qui peuvent être utilisées, ai-sément, en Chine pour nourrir des IA qui opèrent dans le diagnostic médical par exemple.

Les dernières découvertes majeures en matière d‘IA ont été faites aux États-Unis, mais les innovations et applications sur le marché sont décidément chinoises. L’IA est partout en Chine, dans la finance, l’as-surance, la surveillance, la consommation, les usines etc.… La Chine abrite l’entre-prise d’IA la plus valorisée au monde : Sensetime. Cette dernière travaille étroite-ment avec le gouvernement local, et ren-force la vidéosurveillance de la ville de Shanghai par exemple. Pour l’anecdote, les autorités de la ville peuvent retrouver automatiquement n’importe quel visage, au sein d’une population de 24 millions d’habitants, en moins de 8min. Ahuris-sant !

La Chine est désormais crainte. L’af-faire Huawei où les États-Unis ont inculpé le numéro deux du groupe chinois, pour commerce illicite avec l’Iran, n’est que la partie visible de la grosse course à la su-prématie sur la data et l’IA que les deux puissances se livrent. Huawei, au-delà d’être un fabricant de téléphone hors pair, dépassant, l’année dernière, Apple en termes de ventes annuelles de téléphones, défraie, aujourd’hui, la chronique avec sa technologie 5G, dont il est le leader mon-dial. En effet, Huawei maîtrise parfaite-ment cette dernière et a des moyens co-lossaux pour déployer son architecture au niveau international. La mainmise sur les réseaux 5G sera la future base fondamen-tale de capture et de transfert des données, nerf de la guerre de l’IA.

Pour finir sur une note plus positive, la France, l’Allemagne et les pays nordiques se sont dotés, ces derniers mois, de stra-tégies IA au niveau gouvernemental pour faire face à la concurrence américaine et chinoise, et ne pas être relégués au banc des nations qui auront échappé à cette ré-volution technologique. Nous avons au Maroc les ressources nécessaires (de très bons mathématiciens) pour développer et mettre en œuvre une stratégie nationale d’IA qui ait du sens et qui servirait de relais de croissance pour les décennies à venir. n

MARS 2019 19

L’Intelligence artificielle fascine toutautant qu’elle fait peur

Othmane Bennis,Managing, Partner et BD

Director @ XNode

prendre le temps de l’analysewww.maroc-diplomatique.net

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DOSSIER DU MOIS

L’intelligence artificielle (IA), n’est plus une science-fic-tion. l’IA est aujourd’hui

une réalité qui se développe, de jour en jour, et concerne l’ensemble des processus opérationnels et supports des organisations. Oliver Wyman, PDG du 4ème plus gros cabinet de Conseil en stratégie disait que « Personne n’échap-pera au choc de l’intelligence artifi-cielle ». Certes, L’impact de celle-ci sur les entreprises peut présenter des

risques potentiels : disparition de nom-breux métiers, crise économique dans certains secteurs, mais également des opportunités énormes en termes d’augmen-tation de la produc-tivité, d’accès à de nouveaux marchés, de création de nouveaux métiers, etc. Au stade de l’évolu-

tion et de développe-ment du numérique et des objets connec-tés, et leur utilisation par une majorité de la population, les entreprises n’ont pas vraiment le choix : soit elles prennent le train des nouvelles technologies et de-viennent des acteurs de la transformation pour saisir les oppor-tunités qu’offre l’IA afin de développer de nouveaux produits et services. Soit elles

restent inertes et spectatrices pour se retrouver in fine avec des produits et services qui ne répondent pas aux at-tentes des clients et donc, fatalement, elles risquent de disparaître des radars à l’instar de « KODAK », qui est un cas d’école.L’Intelligence Artificielle ne date pas

d’aujourd’hui : l’automatisation a été introduite il y a plus de 50 ans, mais a connu un essor et un engouement, depuis une dizaine d’année, surtout avec l’arrivée des GAFA (Google, Amazone, Facebook, Apple). En effet, avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), internet, les réseaux sociaux, big data, Cloud, etc, la digitalisation des processus opéra-tionnels et fonctionnels commence à prendre toute sa place dans le sec-teur public et privé. En témoignent les différentes plateformes web mises en place par les différentes organisations, pour faciliter l’accès direct aux pro-duits et services aux clients, en temps réel et à moindre coût (e-commerce, e-gov, e-bay, e-learning,..), mais aussi la mise en place des espaces collabo-ratifs de travail au sein des entreprises.Face à ce constat, les questions

légitimes à se poser sont : Est-ce que l’IA détruit ou crée des emplois ? Comment la fonction RH s’adapte et adapte ses ressources humaines pour intégrer l’IA dans les différentes acti-vités de l’entreprise ? Et en tant que Business Partner, quels rôles la fonc-tion RH doit jouer pour préparer l’en-treprise au passage à l’IA ?Certes, l’introduction de l’intelli-

gence Artificielle va, inéluctablement, faire disparaître des métiers, notam-ment celles qui nécessitent des tâches répétitives réalisées par l’Homme avec son lot d’erreurs et de stress. Mais, l’IA couplée à la robotisation et l’automatisation pourrait réaliser ces tâches avec plus d’efficacité et d’ef-ficience ; et libérer ainsi l’Homme pour qu’il se recentre plus sur les ac-tivités à fortes valeurs ajoutées. Dans une note récente, le cabinet américain Gartner, estime que l’IA devrait créer 2.3 millions d’emplois en 2020 et de-vrait détruire 1.8 million selon l’étude. Face à cette donne, le rôle de la DRH est devenu très stratégique. Il est au cœur du processus de transformation et d’intégration de l’IA. Le DRH, doit,

dès aujourd’hui, mener une réflexion de fond sur l’avenir des métiers de l’entreprise. Cette démarche proactive permettrait

de mieux anticiper et accompagner l’évolution des compétences des colla-borateurs dont le métier serait affecté par l’IA. La mission des RH, en colla-boration avec les SI et les opération-nels, est donc de repenser chaque poste pour identifier les tâches automati-sables et définir les nouvelles missions à fortes valeurs ajoutées pour l’entre-prise et pour le collaborateur. C’est le cas de la fonction RH, elle-même, qui commence déjà à être impactée par l’IA, où des processus RH ont été digitalisés (paie, administration du personnel, évaluations annuelles…), l’utilisation de plateforme web dans le processus de recrutement, de for-mation (e-learning), mais également, l’utilisation dans certaines organisa-tions de plateforme de travail collabo-ratif, pour faciliter et optimiser l’in-formation et la communication entre les collaborateurs.L’Intelligence Artificielle est, au-

jourd’hui, une nécessité et sera dans les cinq ou les dix prochaines années, une condition de survie pour les or-ganisations. Son introduction dans l’entreprise donnera un nouvel élan à la fonction RH et confortera sa po-sition en tant que Business Partner. L’IA permettra à la fonction RH, de se recentrer sur l’intelligence, la créa-tivité et l’innovation des ressources humaines, en les détachant des tâches routinières sans valeur ajoutée. En re-vanche, la fonction RH, doit veiller et s’assurer que le couple Intelligence Humaine(IH) / Intelligence Artificielle (IA), fonctionne en parfaite symbiose, pour l’intérêt des collaborateurs, de l’entreprise et in fine pour le bien-être de l’Humanité. n

20 MARS 2019

L’intelligence artificielle, quels impactssur les Ressources Humaines ?

Dr. Kamal Fahmi,General Manager

ProgressConsultingEX. Directeur des Ressources

Humaines et RSE

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DOSSIER DU MOIS

L e capital Immatériel le plus cher de notre nation chérifienne est, indénia-blement, le capital intellectuel de nos

enfants, celui-là même qui pourra enrichir notre collectivité, par leurs sciences, leurs re-cherches et découvertes.

Seulement voilà, les premiers de nos en-fants, nos surdoués marocains, ne sont pas pris en charge, et nous ne savons même pas combien d’enfants précoces dotés d’un très fort potentiel peuplent les provinces de notre Royaume.

Ces enfants – presque personne ne soup-çonne qu’ils sont brillants dans le sens com-mun - car ils sont souvent en échec scolaire.

La dimension pédopsychiatrique de leurs particularités n’est pas prise en compte et beaucoup d’entre eux sont exclus du système scolaire pour inadéquation, provoquant ainsi un sérieux déficit de compétences au-dessus de la norme, compétences qui auraient pu nous servir – entre autres - à nous hisser dans le concert des pays développant de nouvelles technologies.

Les statis-tiques mon-diales reflètent que 2/3 des surdoués non répertoriés sont en échec sco-laire. Et l’en-semble des efforts pour développer les enfants dans les systèmes d’éducation des pays en voie de développement, sont concentrés sur ceux qui sont normaux, voire brillants à l’école.

Les grandes p u i s s a n c e s , elles, ont, de-puis longtemps, introduit dans leur système d’éducation des traqueurs pour insérer leurs surdoués dans

des systèmes d’éducation parallèle, spécia-lisés.

Ne pas le faire engendre souvent une vraie destruction de ce fameux capital immatériel.

Un enfant de 5 ans qui ne sait pas colorier sans déborder, au grand désespoir de sa maî-tresse, et qui s’intéresse déjà à la physique quantique...pourrait être mis à l’écart de notre système d’éducation.

Nous pouvons débattre longtemps sur la question « faut-il les prendre en charge et les aider à développer leur potentiel, ou les lais-ser vivre, tranquillement, leur destinée quelle qu’elle soit ? ».

En somme, un débat de la même teneur que « éduquer en français, anglais… ou en arabe » n’est-il pas superflu ? C’est ce

genre de débats qui nous retardent surtout dans cette course mondiale à l’intelligence, qui au mieux, fait doucement sourire les superpuissances.

Pour vous aider à sourire aussi, intéres-sez-vous au filtre de recrutement chez Goo-gle, cela vous permettra de vous faire une idée du monde où l’on vit :

« Nous sommes moins intéressés par vos notes et votre dossier de scolarité que par la façon dont vous raisonnez. Nous vous po-serons des questions qui nous permettrons de savoir comment vous résolvez les pro-blèmes. Montrez-nous comment vous abor-deriez le problème présenté, et n’essayez pas de mettre le doigt sur la « bonne » ré-ponse. Trouvez de nouveaux chemins, uti-lisez la langue, le langage ou l’idiome qui vous sied le plus, on s’en fout »…

J’aurais voulu ajouter … on s’en fout… pour peu que vous ayez eu accès à la connaissance universelle. Celle produite par les 100.000 revues scientifiques exis-tantes dont la quasi majorité est en anglais et dans une moindre partie, en Français.

100.000 revues éditées chaque mois, voire chaque semaine, depuis des décen-nies… Les Français se font un devoir d’en traduire une partie – systématiquement - afin de ne pas rester sur la touche. Ils gravent ainsi des données sur leurs ser-veurs spécialisés, dont Francis et Pascal du CNRS.

Sans vouloir rentrer dans les débats du moment, si l’on a pour objectif sincère de nourrir nos enfants de connaissances de qualité, à fortiori nos surdoués, il faudra utiliser l’une de ces deux langues, car à priori, le travail de traduction de millions d’articles scientifiques et les échanges avec la communauté scientifique internationale - en arabe - n’est pas pour demain.

La puissance de création, les dépôts de brevets, sont indéniablement le nouveau saint graal mondial. La détection de génies, la capacité à les répertorier et les former re-présente bien cette nouvelle ruée vers l’or.

Les nations développées, après avoir concentré leurs efforts sur le monde de l’industrie, s’attèlent, aujourd’hui, à nour-rir leurs centres de recherches, délaissant les usines et la production au tiers-monde.

Ailleurs, L’IA (l’Intelligence artifi-cielle) permet de collecter ces fameuses métadonnées, issues de recherches mon-diales, en permettant aux enseignants des programmes spéciaux de créer des chat-bots (agents conversationnels) éducatifs, alimentés par l’Intelligence artificielle permettant de nourrir les cerveaux les plus assoiffés par divers thématiques et do-maines d’activité. Répondre au question-nement de cerveaux géniaux n’est pas à la portée de simples enseignants, qui munis du système conventionnel mis à disposi-tion par l’Education nationale ne seraient d’aucun effet.

L’IA est utilisée pour personnaliser les leçons, les hypothèses et les démonstra-tions, en fonction des forces et des fai-blesses de chaque élève surdoué, en fonc-tion de ses centres d’intérêts. Ce n’est plus

de la science-fiction et la démocratisation de l’accès au net permet d’accélérer, pro-digieusement, ces nouveaux processus d’augmentation des compétences au ser-vice d’intelligence rare.

Certains programmes de recherche avan-cés permettent de tester et de circulariser les jeunes qui ne raisonnent pas tout à fait comme les adultes, mais pas non plus comme ceux de leur âge.

Ils sont répertoriés à notre insu. Et nous ne nageons pas en pleine théorie du com-plot.

Il y a encore 40 ans, dans les différents systèmes académiques étrangers, les tests de QI étaient appliqués dans la scolarité pour les déceler. Aujourd’hui, les associa-tions comme Mensa* qui répertorie les sur-doués sont dépassées.

Les métadonnées, collectées dans le web, permettent de ratisser large, sans se soucier des frontières.

Un pays qui ne maîtrisera pas les pro-cessus de reconnaissance de cette élite, les perdra au profit de superpuissances qui les auront identifiés, tôt ou tard.

Nous nous devons de déceler nos génies et de les intégrer dans des processus d’édu-cation évitant les risques de rupture. Nous devons les accompagner, psychologique-ment, et nous devons leur donner l’envie d’aller plus loin en faisant en sorte qu’ils prennent conscience de leur capital, et surtout que le système scolaire n’en fasse pas des reclus ensevelis sous un système d’éducation qui peine déjà dans les cursus adressés aux enfants normaux.

Acheter la puissance d’IA permettant de répertorier et de nourrir l’intellect de nos jeunes prodiges où qu’ils soient, dans nos campagnes ou nos villes, est à la portée d’un appel d’offre et de quelques centaines de millions de dirhams – constituant le plus fort retour sur investissement - que pourrait connaître notre Pays.

Nos enfants surdoués pourraient suivre ainsi des programmes individualisés de dé-veloppement, sans même quitter leur foyer.

Il n’est pas un plus grand chantier natio-nal qui pourrait plus augmenter nos chances de nous hisser nous aussi dans le concert des nations qui compteront demain.

Pour vous donner une idée sur l’étendue de nos pertes potentielles si l’on ne fait rien, il suffit de prendre les chiffres fran-çais. Selon un rapport de l’Inspection gé-nérale de leur ministère de l’Education, 2,3 % des enfants français de six à seize ans seraient considérés comme surdoués.

Ce chiffre appliqué chez nous, corres-pondrait à plusieurs dizaines de milliers de génies, 190.000 pour être précis.

A ce titre, Lao Tseu devrait faire réflé-chir nos politiques : « Mieux vaut allumer des petites lumières que de se plaindre de l’obscurité. »n

*Mensa, « The International High IQ So-ciety » fondée à Oxford le 1er octobre 1946 par

l’australien Roland Berril et le juriste britan-nique Lancelot Ware.

MARS 2019 21

Allumer de petites lumières

Amine Jamai,D.G Valoris Conseil & Valoris

Executive Search, Ecrivain

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DOSSIER DU MOIS

Sans aller jusqu’à donner des exemples des métiers, des ac-tivités et des grandes entre-

prises qui faisaient les beaux jours, jadis, et que nous avons vu dispa-raître de nos radars ; et à l’instar de la citation de Charles Darwin : « Ce n’est pas l’espèce la plus forte qui survit, ni la plus intelligente, mais bien celle qui s’adapte le mieux au changement », nous pouvons affirmer que les métiers qui peuvent espérer continuer à exister et à se développer dans l’ère des grands changements et des mutations permanentes que connaît notre monde, sont ceux qui vont pouvoir s’adapter aux nouveaux paradigmes de l’e-société et intégrer dans leurs ADN(s) l’Intelligence Artificielle (IA) contemporaine. En effet, Il faut garder en mémoire

que le développement de l’IA était et restera l’obsession de l’humani-té dans sa conquête perpétuelle pour maîtriser le monde et découvrir son univers. A cet égard, l’IA était au cœur des 4 dernières révolutions industrielles. Ainsi, elle a été opé-rée, respectivement, lors de l’indus-trie 1.0 via (machanization, steam power et weaving loom), l’industrie 2.0 via (mass production, assembly line, electrical energy), l‘industrie 3.0 (automatization, computers and electronic) et l’industrie 4.0 via (cyber physical systems, internet of things, networks). Donc, on peut prévoir qu’à court et à moyen terme, les métiers et les activités qui vont pouvoir persister sont ceux qui vont réussir à héberger et opérer l’IA af-

férente à leurs secteurs aux niveaux des technologies contemporaines notamment les technologies mobiles.

Donc à l’ère de la transformation digitale, les grands champions éco-nomiques, à savoir les opérateurs de prestations de services, pour pré-tendre perdurer, misent sur l’inté-gration de l’IA dans leur ADN mé-tiers en l’opérant et en l’hébergeant sur les smartphones. Ainsi, les principaux domaines dans lesquels ils donnent la priorité à l’IA sont ceux qui offrent une expérience client plus personnalisée et plus rapide, avec un contrôle et une compréhension rapide d’impor-tantes quantités de données afin de prendre des décisions plus in-telligentes ou d’être conforme. Ainsi, on peut noter 4 domaines

suivants : l’Onboarding « em-bar-quement : extraire et analyser des informations accessibles au public et les comparer avec les produits et services que l’entreprise peut offrir », le traitement des comptes fournisseurs et des factures, la « main-d’œuvre numérique » et la conformité et les risques. A titre d’exemple avec l’essor de l’e-commerce, nous pou-vons remarquer les degrés élevés d’introduction de l’IA au sein des processus métiers des principaux intervenants dans la chaîne de valeur y afférente, notamment avec l’utilisation accrue de la ro-botique par les opérateurs postaux aux niveaux de la chaîne logistique (tri et manu-tention), de la blockchain par les opérateurs de paiements, du cloud par les Market place pour sécuriser les transac-

tions. Sous un autre angle, la dis-ruption afférent à l’IA et qui est une transformation fondamentale, radi-cale et irréversible du système ca-pitaliste, continuera à faire émerger de nouveaux modèles créant ainsi des marchés plus vastes avec des services plus accessibles, là où il y a des oligopoles non transparents. En effet, les « disrupteurs » sont quali-fiés d’innovateurs qui trouvent des solutions aux problèmes qu’ils ren-contrent. A cet égard, on peut citer le domaine de l’assurance comme un cas d’école, avec l’émergence de ce qu’on appelle les Insurtech qui désignent l’ensemble des star-tups mettant à profit les nouvelles technologies pour « disrupter » le secteur de l’assurance. A l’échelle

22 MARS 2019

Intelligence artificielle : « Le biologistepasse et la grenouille reste »

Dr. Ahmed KADA,Directeur International

et Coopération GBAM, Di-recteur CTR

de l’Afrique Ouest et Vice-Président

CEP UPU

européenne, déjà 139 millions de dollars d’investissement dans les Insurtech ont été enregistrés, sur le premier trimestre 2018.

En ce qui concerne la perte et la création de l’emploi, il y a lieu de se référer à l’énonciation at-tribuée à Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se trans-forme ». Donc, on peut conclure que lorsqu’on perd des emplois au sein des activités en déclin, on les récupère, au sein d’autres activités émergentes ou en pleine ascension. Des emplois exigeant plus de qua-lifications techniques et opération-nelles et créant ainsi plus de valeur. En effet, sur le plan économique, disposer de machines qui exécutent des tâches demandant, jusqu’ici, une intervention humaine et qui apportent, immanquablement, as-sez de puissance de calcul pour produire une tâche gérée intellec-tuellement par une machine est une solution efficace. Notamment pour « penser » plus rapidement

et traiter davantage d’informations que le cerveau humain. Ainsi, l’IA a fait émerger des technologies basées sur les algorithmes génétiques et neuronaux, inspirés, eux-mêmes, des systèmes nerveux humains. Néanmoins, il est à noter que l’objectif escompté de l’IA est, avant tout, de soutenir l’employé et d’étendre ses compétences, plus largement, les performances de l’entreprise, et de ne le remplacer, partiellement ou totalement, qu’aux niveaux des environnements qui lui sont inaccessibles pour des raisons de sécurité notamment, comme dans le cosmos ou sur des territoires isolés où l’expertise humaine, par exemple, médicale, peut être utile.

Donc, d’après ce qui précède, on peut considérer, respectivement, les métiers et les emplois d’une part et l’IA d’autre part comme l’homme et la grenouille, cités respective-ment dans la citation de Jean Ros-tand : « Le biologiste passe et la grenouille reste ».n

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DOSSIER DU MOIS

Par Souad Mekkaoui

Nous sommes, certainement, à l’aube d’une nouvelle civilisa-tion où les robots vont devenir

une nouvelle espèce avec laquelle il va falloir vivre. Ce sera alors l’émergence d’un monde dans lequel la robotique, l’informatique et la biologie vont faire leur fusion.

En attendant, l’IA n’est, pour l’ins-tant, que des techniques que l’homme améliore, peu à peu, mais qui restent très éloignées de Robocop ou de l’im-mortel androïde conscient des films de science-fiction.

En tout cas, pas une semaine ne passe sans qu’un livre ou une étude ne cherche à décrire le big bang à venir. Comme l’avènement des armes nucléaires, l’IA suscite aussi des questions d’ordre po-litique, juridique ou éthique. Aussi faut-il rester vigilant, aujourd’hui que les progrès militaires s’étendent dans de nombreux domaines et que le déve-loppement de l’intelligence artificielle au service de la guerre fait craindre les pires scénarios. C’est à se demander si des robots capables de tuer sans inter-vention humaine remplaceront bientôt les soldats sur les champs de bataille.

A quoi ressemblerait une guerre à l’avenir ?

« Le leader dans le domaine de l’in-telligence artificielle sera le maître du monde », affirmait en septembre 2017 Vladimir Poutine. En effet, en lançant cette vérité glaçante à la face du monde, le président russe met en évidence le fait que le développement des nou-velles technologies pourrait bouleverser les guerres à l’avenir et menacerait les équilibres stratégiques existants.

Cinq siècles avant J-C, Sun Tzu di-sait déjà que « l’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combat ». Pourtant, on n’y croyait pas trop.

Aujourd’hui, il est certain que l’IA risque de transformer notre manière d’appréhender la guerre, du moins son aspect sombre qui combinerait techno-logies et (géo) politique. Si depuis la nuit des temps, la guerre est synonyme de combat, de mort et de souffrance, de nos jours, la technologie commence à constituer le moteur de la guerre. Celle-ci risque donc d’être déshumanisée et il suffira de confier à des robots program-més la sélection des cibles. D’ailleurs, des chercheurs estiment qu’il faut es-sayer de maîtriser les choses dans le domaine des recherches scientifiques sinon il serait impossible de faire ma-chine arrière à un certain niveau où la machine désobéirait à l’homme par exemple.

On ne sait que trop que depuis des années, des drones équipés de missiles et pilotés à distance éliminent des en-nemis à l’autre bout de la planète. A l’avenir et avec toutes l’IA, les robots autonomes investiraient le champ de bataille. Fin août, une centaine de PDG

du domaine, dont le milliardaire Elon Musk, ont adressé une lettre ouverte aux Nations unies réclamant l’interdiction des robots tueurs. « Ces armes pourraient être utilisées par des dictateurs ou des terroristes, (...) ou piratées à des fins fu-nestes », ont-ils dit.

Il faut donc dire que lorsque les voix alar-mistes s’élèvent au sein du secteur de l’intelli-gence artificielle même, il y a de quoi avoir peur.

Chasse aux robots

La société Asgard, basée à Berlin et spécialisée dans l’in-telligence artificielle, a établi un clas-sement mondial des pays en fonction du nombre de start-up dans ce domaine d’avenir. Les trois premières places sont tenues par les Etats-Unis, avec 40% des start-up mondiales en ce domaine, sui-vis par la Chine et Israël qui détiennent chacun 11% du nombre de start-up mondiales. Israël devance donc des pays comme le Japon, la Corée du Sud et tous les pays européens. Rien que ça !

De ce fait, la Chine ambitionne d’être le leader mondial de l’IA d’ici à 2030 et développe son armée, à grande vi-tesse, avec un budget militaire qui at-teint quelque 200 milliards de dollars. Le quotidien suisse le Temps a d’ail-leurs mis en perspective cette nouvelle évolution qui traduit la montée en puis-sance, sur la scène internationale, de la deuxième économie mondiale – bientôt la première… Selon le même support, « La Chine est devenue un leader en matière de drones à usage militaire. Ce marché lui rapporte 23 milliards de yuans (3,3 milliards d’euros) par an, un montant qui devrait passer à 180 mil-liards de yuans (26 milliards d’euros) d’ici à 2025. » Selon The Diplomat, les drones chinois armés sont opérés ou commandés par plus de 17 Etats.

De son côté, un groupe de réflexion indépendant du Congrès américain a pu-blié, fin novembre 2018, un rapport sur l’avenir des utilisations de robots et d’in-telligence artificielle qui soutient que la Russie et la Chine «recherchent de ma-nière agressive» des systèmes d’armes avancés «qui pourraient être utilisés contre les forces américaines». Une autre étude note que «le Comité militaire industriel russe a approuvé un plan qui permettrait d’avoir 30 % de la puissance de combat russe composée d’armes entièrement autonomes et contrôlées à distance sur des plates-formes robotiques d’ici à 2030 ». C’est à qui mieux mieux !

Les Sud-Coréens quant à eux ont

développé le robot sentinelle Samsung SGR-A1 pour défendre la Corée du Sud contre l’intrusion de soldats à la fron-tière nord-coréenne.

Le Royaume-Uni ne fait l’exception. Le missile Brimstone mis au point pour la Royal Air Force est conçu pour dé-truire des véhicules terrestres ou de pe-tites embarcations.

Pour sa part, Israël tient tellement à la vie de ses soldats qu’il a déjà annoncé son intention de remplacer tous ses pi-lotes par des robots, et aux États-Unis ,des généraux ont assuré que le dernier pilote de chasse de l’histoire de l’armée de l’Air américaine était déjà né.

«Des nuées de petits drones, des na-vires sans pilote, des satellites intelli-gents : la guerre du futur sera automa-tisée, avec des interactions constantes entre robots et humains et des équipe-ments moins chers et jetables », selon le Pentagone.

En somme, les plus grands investis-sements en intelligence artificielle se trouvent chez les deux géants rivaux du XXIe siècle, les Etats-Unis et la Chine avec, vraisemblablement, un avantage aux Chinois en matière de budgets in-vestis.

Dominer le monde par l’IA

Comme l’a déclaré le secrétaire de l’armée américaine, Mark Esper, «Qui-conque acquiert la robotique et possède [la maîtrise de] l’IA en premier, devien-dra un « game-changer » sur le champ de bataille ». Et imposera les règles du jeu.

Pour la ministre de la défense néerlandaise Jeanine Antoinette Plasschaert, « ce genre d’armes est déjà une évolution définitive, il n’y aura pas de marche arrière. Nous allons par exemple être confrontés à des systèmes d’intelligence artificielle capables de modifier en cours de mission leurs propres règles d’engagement. De ce fait, la dimension éthique et le contrôle humain de ce genre d’armes n’en est que plus important ».

Tout compte fait, les nations s’ar-rachent les positionnements en termes de développement de systèmes auto-nomes et robotiques associés à l’IA afin de mettre toutes les chances de leur côté, sur les champs de bataille. La guerre robotique pointe donc à l’hori-zon et les machines autonomes à tuer des gens seront parmi nous, sous peu.

C’est dire que c’est probablement la compétition pour la suprématie en matière d’intelligence artificielle qui mènera à la troisième guerre mondiale. Celle-ci ne sera pas une confrontation entre des armées humaines mais sera une guerre de robots, dotés d’une puis-sance de destruction immense comme l’ont soutenu certains hommes poli-tiques et militaires aussi bien américains que chinois, selon le média en ligne Deutsche Wirtschafts Nachrichten.

« Dans les futurs champs de bataille, plus personne ne se battra. » C’est ce qu’a prédit, en tout cas, un dirigeant de la troisième plus grande entreprise de défense chinoise, le 25 octobre 2018, lors du Beijing Xiangshan Forum. Pour lui, les armes autonomes mortelles se-ront monnaie courante avant 2025.

L’intelligence artificielle pourrait, pour ainsi dire, devenir un outil de domination dans la géopolitique mon-diale. Une perspective qui n’est pas sans danger avec des systèmes de com-bat du futur qui comprennent, entre autres, des brouilleurs capables de per-turber le fonctionnement des satellites, des missiles supersoniques, des armes cybernétiques mettant hors de service des systèmes d’approvisionnement en eau et en électricité, des armes électro-magnétiques tirant des projectiles à une vitesse 6 fois supérieure à celle du son, des lasers, des exosquelettes, des robots autonomes, ainsi que des bombardiers furtifs.

Les robots pourraient-ils alors prendre le contrôle du monde ? Telle est la question.n

MARS 2019 23

La guerre des robots aura-t-elle lieu ?

Lors de la guerre en Afghanistan, l’armée américaine a pu compter sur 7.000 robots dans les airs et 12.000 sur terre.

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SPÉCIAL FEMMES MARS 2019 25

Najoua El BerrakSaloua Bichri

Samia Herrag

Farida Jaidi

Fatiha El AouniNarjis Rerhaye

Hasna Daoudi

spécialfemmes

Le Maroc est riche de ses femmesDossier réalisé par

Khadija Skalli et Souad Mekkaoui

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SPÉCIAL FEMMES

Jusqu’à il y a quelques années encore, la diplomatie était un milieu viril où peu de femmes étaient tolérées mais sans

qu’elles ne puissent accéder aux principales responsabilités. Aujourd’hui, elle commence à s’ouvrir, de plus en plus, face à la détermi-nation et aux performances féminines dont l’engagement et le dévouement forcent le res-pect et l’admiration. La porte entrebâillée a, dès lors, donné à voir des diplomates femmes talentueuses qui contribuent au rayonne-ment de leur pays et au dialogue entre les

peuples. Par mérite, elles sont promues selon leurs compétences et talents en vue d’œuvrer pour la promotion du Royaume. Un métier qu’elles trouvent passionnant en dépit des difficultés qu’il peut présenter. Servir le Ma-roc et le représenter en dehors des frontières est la mission dont elles doivent s’acquitter, aussi est-il nécessaire de bien connaître le terrain et de développer un réseau fort d’in-terlocuteurs, tout en maîtrisant les défis et les enjeux politiques, économiques, sociaux et culturels des pays qui les accueillent. En em-

brassant la carrière diplomatique, elles em-pruntent des voies différentes, elles s’invitent dans un monde autre qui leur offre, à chaque rencontre, une fenêtre donnant sur d’autres pays et d’autres relations qui contribuent à la bonne marche du monde. Ces portraits croisés retracent de longs parcours riches et distingués de femmes mordues par la diplo-matie et qui n’épargnent aucun effort pour porter haut l’image du Maroc et entretenir de bonnes relations d’amitié avec les autres pays. n

26 MARS 2019

Les diplomates marocaines :Une main de fer dans un gant de velours

Native de la ville de Rabat, Farida Jaidi était la deuxième femme marocaine

à accéder au poste d’ambassadeur après la défunte Princesse Lalla Aïcha qui s’est vu confier cette mission stratégique en 1965. Un honneur, c’est le moins qu’on puisse dire ! Faut-il préciser que Farida Jaidi s’est acquittée de sa mission avec un dévoue-ment hors pair ?

Après avoir décroché sa licence en Droit public à l’Université de Bordeaux, la jeune Farida entame, en 1976, sa car-rière diplomatique en tant que Repré-sentant Permanent Adjoint auprès de la FAO (Organisation des Nations-unies pour l’alimentation et l’agriculture). Ri-gueur et précision sont les mots d’ordre de cette jeune diplomate qui a évolué progressivement dans la hiérarchie diplomatique. Quelques années plus tard, elle a été affectée à l’ambassade du Maroc, à Rome en tant que Secrétaire des Affaires étrangères.

La jeune diplomate retourne au bercail pour assurer la mission de Conseillère des Affaires étrangères au ministère des Af-faires étrangères et de la Coopération à Rabat. Farida Jaidi devient ensuite Chef de Service de l’Assemblée Générale de l’ONU et du Conseil de Sécurité. En 1991, elle est Ministre plénipotentiaire et occupe plusieurs postes de responsa-bilité : Chef de Service des Conférences et Organisations internationales ainsi que Chef de Division de la Coopération éco-nomique Internationale et Régionale.

En 1995, Mme Jaidi est propulsée Di-rectrice de la Coopération multilatérale. Quatre ans plus tard, elle hérite du pres-tigieux poste de Consule générale du Ma-roc à Montréal au Canada. C’est le début d’une ascension fulgurante !

L’année 2001 était l’heure de gloire pour Farida Jaidi qui se voit confier le

poste d’ambassadeur de sa Majesté le Roi du Maroc en Suède. Elle devient ain-si un acteur incontournable des relations internationales. Sa nouvelle fonction fait d’elle un personnage très important, situé au cœur des relations maroco-suédoises. Un rôle qu’elle a accompli avec brio pen-dant cinq ans.

Au terme de sa mission dans ce pays, l’ambassadrice a été décorée par le Roi de Suède de l’Ordre Royal de l’Etoile Polaire. Une distinction prestigieuse, ins-tituée en 1975 pour récompenser le mérite civique et le dévouement au devoir.

Une nouvelle mission se présente ! En 2006, Mme Jaidi a été nommée Ambas-sadeur de sa Majesté le Roi du Maroc au Brésil, Suriname et Paraguay. Les rouages de la diplomatie n’ont plus aucun secret pour cette diplomate qui exécute sa mission avec honneur !

En reconnaissance du travail accom-pli, elle a été décorée de la Grande Croix de l’Ordre national de la Croix du Sud, la plus haute distinction brésilienne, at-tribuée à des citoyens étrangers. Outre ces distinctions, la diplomate a été aussi décorée par SM Le Roi Mohammed VI.

Farida Jaidi ne s’arrête pas en si bon chemin. En 2009, elle devient Conseillère diplomatique du Ministre des Affaires étrangères et de la coopération et repré-sentante personnelle du premier ministre à l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie).

En 2012, elle décide de se consacrer à sa nouvelle vocation qui n’est autre que le coaching personnel et professionnel. Elle devient Master-coach en coaching diplomatique à l’Académie marocaine des Etudes diplomatiques où elle dispense des cours sur « le savoir être du bon diplo-mate ». Et assure des formations en proto-cole avec Building business.n

Saloua Bichri est une diplomate de carrière, formée dans la plus

pure tradition marocaine. C’est à l’Ecole nationale de l’Administra-tion publique (ENA) qu’elle s’initie à la diplomatie. Elle intègre cette prestigieuse école après avoir obte-nu son baccalauréat au lycée Des-cartes de Rabat et une licence en littérature anglaise à la faculté des Lettres de la capitale.

Saloua Bichri s’est distinguée par ses compétences et ses perfor-mances. Major de sa promotion à l’ENA, cette femme déterminée à accomplir tout ce dont elle rêve, va tout mettre en œuvre pour at-teindre son objectif. Elle décide alors de poursuivre ses études supé-rieures à l’Université Mohammed V de Rabat pour approfondir ses connaissances en Relations interna-tionales.

Une formation qui lui permet d’intégrer, en juillet 1995, le minis-tère des Affaires étrangères et de la coopération. Un long parcours ja-lonné de succès. Armée de courage et de persévérance, Saloua Bichri gravit les échelons en assumant plu-sieurs postes de responsabilité. De la Direction du protocole à la Direc-tion des Etudes et de la coordination sectorielle, elle sera ensuite chargée du service Presse et Communica-tion à l’Ambassade du Maroc à Madrid. Une mission qu’elle réus-sira brillamment de 1999 à 2003.

Saloua Bichri regagne, ensuite, le Maroc où elle occupera d’autres postes de responsabilité.

Forte de son expérience et de ses compétences multilingues, (Arabe, Français, Anglais et Espagnol), elle sera affectée à la Direction des Af-faires européennes du ministère des Affaires étrangères et de la coopé-ration.

C’est en 2011 qu’elle devient Chef de Division de l’Action cultu-relle, à la Direction de la coopéra-tion et de l’action culturelle. Cinq ans plus tard, Saloua Bichri devient Directeur par intérim de la même Direction. Puis Conseillère du Mi-nistre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères et de la coo-pération internationale, chargé de la Coopération africaine.

En septembre 2018, elle est nom-mée Consule Générale du Royaume du Maroc à Tarragone, Lérida et Aragon en Espagne.

Saloua Bichri a été décorée de la Croix de l’Officiel pour Dames de l’Ordre du Mérite Civil, par le Royaume de l’Espagne, en recon-naissance à son action en faveur de la promotion des relations bilaté-rales Maroc-Espagne.

Cette diplomate qui a plusieurs cordes à son arc, est aussi active dans le domaine associatif. Sa-loua Bichri est membre du Lion’s Club-Association Malaika pour les enfants trisomiques.n

Farida Jaidi, une diplomate de rigueur

Sérieuse, précise et efficace, Farida Jaidi ne recule devant aucun défi. Cette diplomate au parcours passionnant est un modèle d’ambition féminine.

Saloua Bichri, une diplomate au parcours élogieux

Saloua Bichri est l’une de ces femmes marocaines de talent qui ont réussi à se frayer un chemin dans un domaine largement dominé par la gent masculine, en l’occurrence la diplomatie. La persévérance est un atout principal chez cette

Consule générale du Royaume à Tarragone, en Espagne. Retour sur le parcours d’une femme

à la détermination inébranlable.

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SPÉCIAL FEMMES MARS 2019 27

Les diplomates marocaines : Une main de fer dans un gant de velours (Suite)

De nature enjouée, Najoua El Berrak répand la joie de vivre autour d’elle tout en laissant

voir sa rigueur et son sérieux. Cette diplomate aux yeux pétillants de vie est une femme de terrain qui a déjà cumulé une grande expérience malgré son jeune âge. Depuis sa nomination en juillet 2018, à la tête du Consulat général du Maroc à Rennes, elle multiplie les rencontres et les amitiés. A l’écoute de son prochain, elle se déplace pour parler aux Bretons et aux Marocains installés dans cette région Ouest de la France et donne à voir l’image de son pays qu’elle hisse là où elle va.

Najoua El Berrak, à la simplicité naturelle, jouit aussi d’une présence et d’un rayonnement remar-quables dans le paysage médiatique national et in-ternational. On ne peut qu’admirer son talent de représentante du Maroc et de belle communicante. Un talent qu’elle a aiguisé lors de son parcours professionnel au ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale.

En effet, cette diplomate, native de Rabat, était la chef de division des Médias à la Direction de la diplomatie publique et des acteurs non-éta-tiques, au ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale. Durant son passage, elle marquera de son empreinte le département de

communication. Son professionnalisme, sa réacti-vité, son aptitude à l’écoute et sa présence sur le terrain font d’elle une diplomate distinguée, à la fois facile à lier mais imposant le respect.

Sa nomination à la tête du Consulat de Rennes est le couronnement d’une longue carrière diplo-matique riche et évolutive.

Titulaire d’un diplôme d’Études supérieures ap-pliquées (DESA) en Sciences administratives et développement institutionnel à l’Université Mo-hammed V à Rabat, Najoua El Berrak a fait ses études doctorales à Paris.

C’est en 2007 que la jeune femme débute sa carrière diplomatique en tant que Conseillère à la Mission du Royaume du Maroc, auprès de l’Union Européenne dans la capitale belge. Elle était chargée, entre autres, du dossier des droits de l’Homme, de la coordination entre le Maroc et la commission européenne ainsi que des relations avec les différents médias internationaux accrédi-tés à Bruxelles. Une mission délicate qu’elle réus-sit avec beaucoup de finesse et de tact.

Quatre ans plus tard, Mme El Berrak est nom-mée Conseillère à la Mission du Royaume du Ma-roc à Genève. Forte de son expérience, elle pren-dra en charge, d’abord, le dossier des droits de

l’Homme et des affaires humanitaires. Puis, elle se verra confier une nouvelle mission à savoir le ser-vice des affaires sociales et point focal du Maroc auprès de plusieurs organisations internationales notamment l’OMS, l’ONUSIDA, l’UNITAID et l’OIM.

La jeune diplomate retourne, en 2015, au ber-cail pour chapeauter le service des Organisations et des initiatives internationales et désarmement à la Direction des Nations unies et des organisations internationales au ministère des Affaires étran-gères et de la coopération internationale. Quelques mois plus tard, Najoua El Berrak est nommée Chef de division des Médias à la Direction de la diplomatie publique et des acteurs non-étatiques. En 2018, la diplomate voit son labeur récompen-sé : elle est nommée Consule générale du Maroc à Rennes. Une formidable ascension dans la hié-rarchie diplomatique !

La diplomate est également très active dans le domaine social. Elle est présidente d’honneur du Club Rotary Casablanca Marina et membre d’honneur de Wimen (Women international ma-nagement & executif network), un collectif de femmes dirigeantes au Maroc. Un parcours digne d’une success-story !n

Native de la ville d’Oujda, Samia Herrag a décroché son baccalauréat en Sciences éco-

nomiques, au lycée Moulay Slimane à Fès. Après avoir obtenu, en 1984, une licence en langue et littérature française, à l’Université Mohamed Ben Abdellah, dans la capitale spirituelle du Royaume, elle débute aussitôt son parcours professionnel en tant que Conservateur du Musée Borj-Nord à Fès. Avant de s’envoler pour la France afin de développer ses compétences. Elle réussit à décro-cher un diplôme d’Etudes approfondies (DEA) en littérature comparée et sociolinguistique, à l’Université de Haute Bretagne à Rennes.

A son retour au bercail, elle se lance dans la création et la co-administration de l’Agence de Lobbying et Conseil en Communication institu-tionnelle et mécénat culturel à Rabat de 1987 à 1991.

Le domaine de la communication séduit Samia Herrag et devient alors Conseillère de la Com-munication et des Relations extérieures près du ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de la communauté marocaine résidant à l’étranger et président de la Fondation Has-san II pour les MRE, Ahmed El Ouardi. Toute la campagne de communication pour les opéra-tions Marhaba lui sera confiée. D’autant plus que l’organisation du forum des compétences marocaines à l’étranger était l’œuvre dont elle

s’acquitte avec brio. La jeune Samia poursuit son brillant parcours

et fait son entrée, en 1998, au Consulat général du Royaume du Maroc à Bruxelles en tant que Vice-Consul. Quatre ans plus tard, elle retourne au pays pour intégrer la Direction générale des relations bilatérales au ministère des Affaires étrangères et de la coopération, à Rabat où elle est nommée Conseillère.

Persévérance est le mot d’ordre pour cette mordue de communication. Samia Herrag se voit confier la tâche de Chef de service du pro-gramme des Nations unies pour le développe-ment (PNUD) et de la coopération technique pour les pays en développement ainsi que de l’Agence des Nations unies pour la femme (ONU Femmes), près de la Direction de la coo-pération multilatérale au ministère des Affaires étrangères.

Plusieurs événements s’inscrivent dans son actif notamment l’organisation de la première conférence africaine sur le développement, qui s’est tenue, à Rabat, en 2006. Elle a également participé et suivi l’élaboration du Country pro-gramme Action Plan (CPAP) qui représente le cadre type du contrat de coopération entre le Maroc et le PNUD.

Mission accomplie, on fait appel à ses ser-vices pour une nouvelle tâche diplomatique.

La diplomate fut désignée Conseiller politique, chef de service du Parlement européen à la Mis-sion du Maroc auprès de l’Union européenne. Un parcours professionnel jalonné de réalisa-tions et de réussites. Samia Herrag occupe en-suite plusieurs postes de responsabilités : Chef de service Migration et partenariat UE-Afrique, Chef de service Union pour la Méditerranée (UPM) et des Processus EuroMed…

En 2013, la diplomate est nommée ministre Conseiller chargée des Affaires économiques et des Affaires multilatérales transversales à l’Am-bassade du Maroc à la Haye. Elle mènera cette mission pendant cinq ans avant de prendre les rênes du département de la Communication à l’Ambassade du Maroc à Paris. Pour la Mission du Maroc auprès de l’UE, on fait appel à son sens d’engagement, de respon-sabilité et de communication pour négocier tout le statut, l’aspect juridique et opérationnel de la mise en œuvre de la Commission mixte Parle-ment européen- Parlement marocain. En plus du suivi de la participation du Maroc au Partenariat UE-Afrique, la négociation de la Déclaration po-litique du Partenariat Migration, Mobilité et Sé-curité est tenue par ses soins. Pour tout résumer, Samia Herrag ne ménage jamais ses efforts quand il s’agit de défendre les intérêts de son pays. n

Najoua El Berrak, une diplomate au sourire contagieuxSans se départir de son sourire accrocheur, Najoua El Berrak,

Consule générale du Maroc, à Rennes, en France, peut s’enorgueillir d’avoir déjà à son actif une longue et fructueuse carrière de diplomate appréciée par tous.

Samia Herrag, la pro de la communicationMinistre plénipotentiaire, Samia Herrag est responsable de la communication et de la Relation presse,

à l’Ambassade du Maroc à Paris. Portrait d’une diplomate persévérante

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28 MARS 2019 SPÉCIAL FEMMES

On a souvent pensé que « femmes et journa-lisme » ne vont pas de

pair surtout que dans ce mé-tier, on a toujours valorisé des traits de caractère qui ont été, traditionnellement, associés aux hommes, notamment l’es-prit combatif, la pugnacité et le fait de travailler sans avoir un horaire fixe et précis. D’où l’étiquette qu’on colle aux femmes journalistes en les ca-tégorisant ou les cantonnant à certains sujets qui sont perçus comme spécifiques à la gent féminine (santé, beauté, bien-être ...)

Or aujourd’hui, à l’heure où la presse traverse une crise sans précédent, beaucoup plus morale et éthique qu’autre chose, et où l’indépendance des journalistes est souvent remise en cause, des femmes libres, engagées et profondé-ment attachées à leur métier, ont marqué leur profession, à travers le temps et l’espace, par leur travail dévoué, dans un souci de justesse et d’élégance.

Au-delà des clichés qui pèsent encore sur le 4e pouvoir, ces femmes journalistes sont de plus en plus nombreuses, souvent

en première ligne sur le ter-rain mais occupent, malheu-reusement, moins de postes de direction stratégique dans les médias. En effet, le « plafond de verre », cette barrière invi-sible qui bloque l’avancement, joue à fond dans le journa-lisme. Mais la voix forte et la plume acerbe de femmes de la trempe de Hasna Daoudi, Nar-jis Rerhaye et Fathia El Aouni -et bien d’autres fort heureu-sement- qui suscitent l’admi-ration, ont ouvert de nouvelles voies dans ce monde difficile et complexe.

Conscientes que leur métier leur confère un grand pouvoir, celui de la parole publiée ou diffusée à grande échelle, elles s’activent à l’aiguiser et à la ci-bler, persuadées qu’elle pour-

ra déclencher des changements pour que règnent l’égalité et la justice. n

Femmes de la presse : femmes de tous les défis

D ans la relation entre la France et le Maroc de ces trois dernières

décennies, il y a des noms et des personnalités qui ont imprimé leurs marques dans le paysage médiatique. Parmi elles se trouve la journaliste franco-marocaine Hasna Daoudi. Diplômée de l’Institut supérieur de journalisme de Rabat et de l’Univer-sité Paris VI en sociologie de l’infor-mation et de la communication, ses premiers pas dans la presse furent à travers des collaborations depuis Paris avec le journal «L’Opinion» dans les années 90.

D’un caractère à la fois sym-pathique et bien trempé, d’une re-doutable curiosité à la recherche de l’info qui compte et celle qui fera date, Hasna Daoudi s’est, tout de suite, imposée comme une incon-tournable journaliste ressources à Paris, au point de devenir la plus jeune directrice du bureau de l’Agence Maghreb Arabe Presse dans la ville Lumières. Pendant de longues années, elle parcourt, avec un enthousiasme inégalé, les ar-

canes de la relation entre la France et le Maroc au point d’en connaître les moindres recoins et de pouvoir anticiper ses moindres évolutions. Pour Hasna Daoudi, journaliste énergique et active, le lien fort et stratégique entre Paris et Rabat n’a plus aucun secret.

Pendant les années MAP, quand le bureau de cette agence trô-nait sur la prestigieuse place de la Concorde, puis boulevard de la Madeleine, elle fut aux premières loges de cette relation qu’elle a réussi à densifier, avec un sens inné des relations publiques, à travers de nombreux voyages dans le monde, avec les différents présidents de la République française, de François Mitterrand à Emmanuel Macron en passant par Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Has-na Daoudi connaît sur le bout des doigts la classe politiques française, son personnel et ses soubresauts institutionnels. Des personnalités les plus connus aux cabinets les moins exposés, elle a réussi, au fil

des années, à tisser des réseaux de relations d’une redoutable efficaci-té quand il s’agit de détecter, avant tout le monde, l’information fran-co-marocaine qui fera les grandes lignes du lendemain.

C’est ce savoir-faire et cette ex-pertise acquise au contact des meil-leures sources qui lui ont permis, quelques années plus tard, de lan-cer le site d’information Atlasinfo.fr, un des sites, aujourd’hui, réfé-rence sur la relation France-Maroc. Hasna Daoudi avait le flair oppor-tun. Bien avant beaucoup, elle avait senti qu’à l’ère du numérique, la consommation de l’information al-lait migrer des médias classiques vers les médias électroniques.

En dirigeant avec une conception éditoriale tout à fait innovante, axée sur la réactivité, la vérification et le recoupage de l’information, Hasna Daoudi a réussi à faire de son site Atlasinfo le réceptacle de nombreux scoops et autres exclusivités de la relation France-Maroc. Au fil des mois, son média a gagné en cré-

dibilité et en visibilité au point de s’imposer naturellement comme un canal d’information pour tous ceux qui veulent communiquer sur la relation France-Maroc. Son grand exploit est d’avoir réussi, en si peu de temps, à faire d’Atlasinfo.Fr le site où tout ce qui touche la rela-tion entre la France et le Maroc, La France et le Maghreb, la diplomatie, la culture, l’islam, l’immigration, les faits de société, prennent corps dans ses pages. Le tout avec un pré-cieux sens professionnel accumulé pendant des années, dans l’exercice de son métier de journaliste.

Hasna Daoudi est de ces rares femmes journalistes qui ne laissent personne indifférent. Sa passion du métier porté en bandoulière, son inépuisable énergie, son sens de la relation, son empathie naturelle en-vers les personnes en difficulté et les grandes causes et sa conscience aiguë de l’importance de sa mission l’ont rendue incontournable dans la galaxie des relations entre les deux rives de la Méditerranée. n

Hasna Daoudi : la valeur influente qui nous vient de Paris

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MARS 2019 29SPÉCIAL FEMMES

Femmes de la presse : femmes de tous les défis (Suite)

Nommée le 3 décembre 2018, membre du Conseil Supérieur de la Communication

audiovisuelle par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Narjis Rerhaye est une figure marquante de la presse marocaine. Elle est de ces journalistes au parcours professionnel d’exception qui force l’admiration. Cette intellectuelle intègre, active, féministe, libre penseuse, engagée et … militante pour les Droits de l’Homme impose le respect et la considération parmi ses confrères et au sein des lecteurs.

Femme de convictions, sa passion n’a d’égale que son engagement pour lutter contre toute forme d’abus tant et si bien qu’elle n’hésite ja-mais à dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas.

Diplômée de l’Institut supérieur de journa-lisme de Rabat (l’actuel Institut supérieur de l’Information et de la Communication), elle entame la carrière de journaliste qu’elle aiguise en passant par plusieurs quotidiens marocains qu’elle a marqués de son estampille en écrivant sans filtre et en osant afficher ses opinions sans se cacher. Sa voix féminine s’est élevée pour une parole assumée et fluide, un engagement pour toucher du doigt des réalités complexes et per-

mettre aux citoyens de savoir et de comprendre.Connue pour ses valeurs et ses principes jour-

nalistiques qu’elle porte comme une deuxième peau, Narjis Rerhaye s’est détachée, il y a de cela quatre ans, de sa carte de presse qu’elle a volontairement rendue avec l’amertume d’un deuil qu’on fait suite à une lourde perte. Elle, pour qui le journalisme est avant tout un métier de foi, ne pouvait trouver meilleur moyen pour exprimer sa profonde désolation d’assister à la dégradation d’une mission noble que des cha-rognards ont réduite à un canal de buzz et de course au clic.

Journaliste radio également, elle a notamment produit et animé un débat politique (Pile et face) sur la chaîne inter.

Membre-fondateur de l’Observatoire ma-rocain des prisons et membre du bureau de la Fondation Driss Benzekri pour la démocratie et les droits humains, Narjis Rerhaye a consacré ces dernières années à la promotion des droits humains. Elle se voit, d’ailleurs, décerner, en 2008, le Prix Amnesty international des défen-seurs des droits humains.

C’est ainsi qu’elle dirige en 2005, la commu-nication de la Commission Vérité marocaine

(IER) avant de lancer, une année plus tard, la campagne marocaine pour l’égalité sans ré-serves de l’Association démocratique des femmes du Maroc (campagne pour la ratifica-tion de l’OP-CEDAW et la levée des réserves). Par ailleurs, le Conseil consultatif des droits de l’Homme, devenu le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), a fait appel à Narjis Re-rhaye en tant que responsable de communication du plan d’action national pour la promotion de la culture des droits humains.

Sa plume prolifique et intarissable ne se limite pas à l’écriture journalistique. La journaliste, aux analyses pointues et pertinentes, est l’au-teure de quatre ouvrages sur la femme, les mé-dias et la situation politique au Maroc : « Ma-roc, chronique d’une démocratie en devenir », «Femmes et politique», «Femmes et médias» et «La parenthèse désenchantée : une alternance marocaine».

En journaliste experte, elle a été consultante en communication digitale et correspondante au Maroc du site «Atlasinfo», basé à Paris avant d’être nommée membre du CSCA. n

Sa voix, au timbre bien spéciale, porte bien les mots et nous accompagne, chaque ma-

tin, à travers les ondes de Radio 2M dont elle est la Rédactrice en Chef principale. Son face à face avec Nicolas Sarkozy, qu’elle a reçu lors de l’une des éditions de Crans Montana, fait d’elle la journaliste incontournable des Grands.Cette tangéroise qui a grandi en Bourgogne, plus précisément dans un petit village de France appelé «Tonnerre» ne s’est jamais détachée de son pays d’origine où elle venait passer ses vacances en MRE. Née avec la fibre artistique et l’amour du beau, elle est séduite par le monde du stylisme qui ne tarde pas à lui paraître su-perficiel. Elle le quittera pour la Radio qu’elle découvre, dans les années 80, au moment de la libéralisation des fréquences en France. Elle commence alors comme bénévole dans la radio locale qui diffusait de l’information de proxi-mité.Mais comme les voies de Dieu sont impéné-trables, la voix de la jeune franco-marocaine ne laisse pas indifférent un Monsieur d’Europe 1 qui demande à la voir. Les conseils de celui-ci ne tombent pas dans l’oreille d’une sourde. Fa-thia El Aouni prend le tournant qui s’offrait à elle et entame des études de journalisme, au grand désespoir de ses parents. Des jours et des nuits sont passés à réviser pour réussir le

concours, une fois en poche tout était possible, une grande porte était ouverte … Les voies s’arrachaient sa voix.A 22 ans, elle prend les commandes de l’an-tenne d’Europe 2 à Auxerre, en Bourgogne. Ce monde la captive tellement qu’elle décide de monter sa propre radio à La Rochelle, trois ans après. Sa passion et sa détermination chevillées au corps, elle se lance dans le défi et commence dans un studio de 9 mètres carrés et du matériel d’occasion. Le challenge abdique devant sa té-nacité et son courage. L’Adjoint au Maire de l’époque, devenu un ami, a réussi à convaincre le Maire et le di-recteur des Francofolies de La Rochelle, Jean Louis Foulquier, d’être présent à son inaugura-tion. Le lendemain, elle faisait les gros titres de la presse et la Radio était lancée !Une année après, une délégation est venue vi-siter sa radio (les studios étaient depuis sur le vieux port, 200 mètres carrés) et parmi elle un monsieur qui travaillait pour le ministère des Affaires étrangères. Celui-là même qui allait lui parler d’une radio franco-marocaine basée à Tanger qu’elle se précipite d’aller voir. Le directeur de Médi1 l’a immédiatement retenue par une proposition alléchante.En 1993, elle finit par s’installer définitivement

au Maroc, dans sa ville natale où elle fondera sa petite famille et y restera une dizaine d’an-nées. En 2000, l’appel de la France gagne mais le retour au bercail se fait huit ans après. A ce moment-là, Radio 2M lui propose de rejoindre l’équipe pour lancer les News.Passionnée de culture et découvreuse de talents, cette voyageuse infatigable, avide de rencontres et d’aventures, n’aime pas rester dans son cou-loir et s’ingénie à traiter les sujets qui fâchent quitte à prendre des risques. Fathia El Aouni est de ces femmes fortes qui ont l’art de relever les défis pour marquer leurs noms en lettres d’or, sur la scène médiatique. Femme dynamique et ambitieuse, toutes les personnalités qui font la Une de l’actualité se voient honorées de se tenir face à son micro.

Rédactrice en chef adjointe, Rédactrice en chef et depuis 2018, Rédactrice en chef principale, en charge de toute l’antenne de la Radio et membre du réseau des Panafricaines, réseau initié et por-té par le groupe 2M, Fathia El Aouni qui est connue pour sa culture et sa maîtrise des sujets, nous a habitués à son journalisme sans détour, avec ses questions boulets de canon. Elle est une icône médiatique avec sa voix mélodieuse qui enchante les auditeurs dont elle chatouille l’ouïe et conquiert les cœurs. n

Narjis Rerhaye : la figure emblématiquede la presse féminine marocaine

Fathia El Aouni : la brillante amazone de la radio marocaine

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QUESTION DE DROIT

Hicham Berjaoui*

La qualification juridique de l’Union européenne est largement débat-tue. D’aucuns estiment qu’elle

constitue une organisation internationale ayant des mécanismes de fonctionnement plus avancés que ceux posés par le Droit des organisations inter-gouvernemen-tales classiques. D’autres considèrent, en revanche, que l’Union européenne est, certes, plus avancée qu’une organisation inter-étatique, mais, étant moins dévelop-pée qu’un Etat, elle représente une per-sonne juridique spéciale.

Il est loisible de rappeler que l’idée d’une Europe unie et pacifiée s’est dé-clenchée, après la Deuxième guerre mon-diale. Les Européens aspiraient à dessiner un avenir meilleur, par la construction d’un espace commun d’échange et de coopération, en vue de la stabilité interne d’un continent miné par des guerres san-guinaires. Ainsi, en 1957, la Commu-nauté Economique Européenne (CEE) est créée, avec comme but essentiel, la relance, par la voie économique, de l’idée européenne, exprimée et scandée par les leaders de l’Europe libérale, qui ont, ardemment, lutté contre les régimes totalitaires en Allemagne, en Italie, en Espagne et dans d’autres pays européens.

Malgré l’apport important du Traité créateur de la CEE, son contenu et son application sont dominés par la formule de la coopération inter-gouvernementale traditionnelle et, par conséquent, l’objec-tif d’un espace régional européen libérali-sé n’a pas été totalement réalisé. Pour re-médier à cette lacune, le Traité de l’Acte Unique a été adopté en 1968. Ce Traité incarnait une évolution déterminante car il est le premier texte ayant prévu de vraies dispositions supra-nationales, d’où son caractère « unique ». En effet, ledit Traité a posé les bases des quatre libertés de l’Union (libre circulation des personnes, des services, des capitaux et des marchandises) et a généré de vraies politiques communes dans divers do-maines de l’économie et du commerce.

Progressivement, la construction eu-ropéenne s’est dotée des Traités de Maastricht, d’Amsterdam, de Nice et, finalement, de Lisbonne. Ces différents textes réalisent un parachèvement du mouvement de communautarisation initié par le Traité de l’Acte Unique sus-mentionné.

En dépit des avancées économiques et commerciales concrétisées par les Européens, leur institution supra-natio-nale traverse des crises structurelles qui poussent une partie des peuples euro-péens à en remettre en cause l’utilité.

Quelles sont donc les manifestations de l’inertie de l’Union et quelle est la portée des solutions adoptées ?

Des domaines déterminants…mais « non-communautarisés »

L’Union européenne fonctionne selon deux ensembles normatifs. Un ensemble normatif supra-national qui consacre le principe communautaire d’une part, et

un ensemble normatif respec-tueux des souverainetés des Etats membres d’autre part.

L’ensemble normatif supra-na-tional englobe les domaines éco-nomiques et commerciaux, mais ses dispositions peuvent être écartées chaque fois que les cir-constances de l’ordre public de l’Etat membre l’exigent. Aussi, faut-il mentionner qu’un domaine cardinal et influent échappe à l’Union, il s’agit du domaine des affectations financières ou des politiques budgétaires. En effet, le fonctionnement optimal de l’Union est constamment pertur-bé, et quelquefois entravé, par l’absence d’un contrôle commu-nautaire efficace et réel sur les politiques budgétaires menées par les Etats membres. Ceux-ci soutiennent le plus souvent que la politique budgétaire repose sur une loi votée par des parlemen-taires élus au suffrage universel direct et ne peut, de ce fait, être retirée à la com-pétence de l’Etat-Nation.

Outre le domaine des affectations fi-nancières, celui de la sécurité et des af-faires étrangères appartient aux préroga-tives de l’Etat membre. Cette situation dresse des obstacles à la mise en place d’un marché économique intérieur co-hérent d’une part, et d’autre part, fragi-lise la position internationale de l’Union dont les Etats membres, à l’occasion de contentieux ou différends internationaux, ont adopté des attitudes différentes voire antinomiques.

La portée limitée des solutions adoptées

En vue d’atténuer les effets nocifs des problèmes évoqués précédemment, les Européens ont mis en œuvre des solu-tions et des mesures ayant pour but le renforcement des pouvoirs communau-taires concernant les budgets nationaux et les affaires étrangères.

Dans le domaine des budgets, les Eu-ropéens ont adopté un pacte de stabili-té et de croissance, lequel introduit des mesures de consolidation des budgets des Etats comme la fixation du taux de la dette à 3% du PIB. Or, les disposi-tions du pacte ne sont pas totalement contraignantes et peuvent être écartées si l’ordre public ou les choix démocra-tiques de l’Etat membre l’exigent. En conséquence, l’efficacité de ce moyen est restée très limitée et plusieurs crises l’ont remis en cause. Les exemples de la Grèce, de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie et relativement de la France sont, remarquablement, significatifs dans ce sens.

En matière de politique étrangère, l’Union s’est dotée d’un haut commis-saire aux Affaires étrangères. Mais, à l’instar du pacte relatif aux questions budgétaires, ce haut commissaire de-meure un agent de coordination, stricte-

ment, inter-étatique et son efficacité s’est avérée très limitée dans plusieurs ques-tions internationales, à l’occasion des-quelles les Etats européens n’ont pas pu adopter des positions communes.

Un « rêve » vacillantL’Union européenne est une créature

juridique à part entière. Les mécanismes de son action reposent sur une sorte de conjugaison ou d’équilibrage entre l’idée supra-nationale d’un côté, et l’idée natio-nale souverainiste, de l’autre.

L’adoption définitive d’un Etat fédé-ral a été, douloureusement, refoulée par l’échec de la mise en œuvre du Traité de Rome II qui aurait doté l’Europe d’une constitution. Si la mise en place d’un édi-fice respectueux des souverainetés et, en même temps, promoteur d’intégration et de fédéralisation a apporté des solutions tangibles aux questions du développe-ment économique et commercial, il n’en demeure pas moins qu’il s’est négati-vement répercuté sur des domaines non moins importants pour chaque processus d’intégration. D’où une crise lancinante qui sévit dans l’Europe et dont l’issue est incertaine.

Le « rêve européen » oscille entre le fédéralisme et la décrépitude. Les faits montrent que l’équation d’équilibrage entre le « supra-national » et le « natio-nal », n’est plus opérante. Du coup, elle doit être révisée, soit pour renforcer le volet communautaire et créer un Etat fédéral, soit pour revaloriser « l’Etat-Na-tion » et, par conséquent, signer l’acte de décès du « rêve » européen, étant précisé, de surcroît, que l’Etat-Nation, dont le fonctionnement se fonde sur les mécanismes de la démocratie représentative, est atteint d’une crise de légitimité. Celle-là même qui se mani-feste dans les mouvements contestataires qui échappent à la régulation de syndi-cats et de partis politiques affaiblis et discrédités. n

*Chercheur en Droit public

L’Union européenne est une créature juridique à part entière. Les mécanismes de son action reposent sur une sorte de conjugaison ou d’équilibrage entre l’idée supra-nationale d’un côté, et l’idée nationale souverainiste, de l’autre.

Le « rêve européen » oscille entre le fédéralisme et la décrépitude. Les faits montrent que l’équation d’équilibrage entre le « supra-national » et le « national », n’est plus opérante.

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Les dilemmes du « rêve européen »

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INTERNATIONAL

Par Saad Bouzrou

Deux semaines à peine, après l’investiture du Président véné-zuélien Nicolás Maduro, le chef

de l’opposition, Juan Guaidó, s’est déclaré président par intérim, contestant directe-ment la légitimité du chef de l’Etat réélu pour un deuxième mandat. Des dizaines de milliers de manifestants se sont rassem-blés, mercredi 23 janvier 2019, à travers le pays pour soutenir Guaidó. Les États-Unis, le Canada et de nombreux pays européens et d’Amérique latine l’ont rapidement re-connu comme le président légitime. En retour, Maduro a rompu les relations di-plomatiques avec les États-Unis et a or-donné au personnel de son ambassade de quitter le pays dans un délai de 72 heures. Délai que les Américains allaient ignorer. « Je suis le seul président du Venezuela », a déclaré Maduro, à ceux-ci, s’exprimant depuis le balcon du palais présidentiel et accusant l’administration Trump d’avoir orchestré un complot visant à le renverser.

Un pays enfoncé dans la dictature

Nicolás Maduro, qui a assumé la prési-dence, après la mort de son mentor, Hugo Chávez, en 2013, a enfoncé davantage le Venezuela - jadis l’un des pays les plus prospères de la région - dans la dictature et le chaos économique, en grande partie à cause de la mauvaise gestion et de la corruption. Il a également centralisé le pouvoir au sein de l’exécutif, écrasant l’opposition par la violence et l’intimi-dation et gagnant la loyauté de l’armée en lui conférant le contrôle de secteurs lucratifs.

Pendant les années 1950, le Venezuela comptait parmi les pays les plus riches du monde du fait de ses ressources natu-relles : les premières réserves de pétrole (300 milliards de barils) devant l’Arabie saoudite (270 milliards de barils), mais aussi d’immenses gisements de gaz, d’or ou de métaux rares. Il figure aujourd’hui parmi les plus pauvres, en grande partie à cause de la révolution utopique de Hugo Chavez, héritée par son dauphin Maduro.

En mai 2018, Maduro a été réélu pour un nouveau mandat de six ans, en pleine crise financière et humanitaire. La coer-cition et la fraude électorale ont été lar-gement enregistrées. Au moment de son entrée en fonction, le 10 janvier 2019, de nombreux pays n’avaient pas recon-nu son nouveau mandat comme légitime, notamment les États-Unis, le Canada et une douzaine de pays d’Amérique latine.

Qui est Juan Guaidó ?Jusqu’à tout récemment, Juan

Guaidó, président de l’assemblée na-tionale vénézuélienne, âgé de 35 ans, était une figure inconnue sur la scène

internationale. Mais la situation a chan-gé, mercredi 23 janvier 2019, lorsque le jeune homme politique s’est tenu, devant des milliers de manifestants, à Caracas et s’est juré de siéger à titre de président par intérim - une initiative qui a été immédiatement saluée par les gouvernements américain et canadien.

Quand la réélection de Maduro a suscité la désapprobation de la com-munauté internationale, Guaidó, six jours, seulement, après son entrée en fonction, a déclaré au monde entier qu’il était prêt à assumer la présidence jusqu’à ce que des élections libres et équitables soient organisées, à condi-tion qu’il bénéficie du soutien vital de l’armée. Cette annonce constituait un rare défi ouvert au régime de Maduro et avait obtenu l’appui du président de l’Organisation des États américains - mais elle avait également fait craindre une nouvelle répression de l’opposi-tion.

Élevé à La Guaira, ville portuaire située à une vingtaine de kilomètres de Caracas, Guaidó a fait ses premiers pas dans l’opposition, lors des mani-festations étudiantes de 2007, contre le défunt prédécesseur de Maduro, Hugo Chávez, qui cherchait alors à consoli-der son pouvoir, à travers des amen-dements à la Constitution, y compris l’abolition des limites du mandat pré-sidentiel et la possibilité de déclarer, unilatéralement, une urgence natio-nale.

Beaucoup de gens au Venezuela pensaient que Maduro avait réussi à neutraliser l’assemblée nationale en 2017, lorsqu’il l’avait écartée en fa-veur d’une assemblée constituante plus souple grâce à des élections qui étaient aussi largement qualifiées de simu-lacres, mais peu s’attendaient à ce que Guaidó lance un défi aussi audacieux à Maduro. « Il était incroyablement cou-rageux et courait à présent le risque d’être emprisonné, torturé ou d’avoir besoin de s’exiler », a déclaré David Smolansky, dirigeant de l’opposition, qui a été contraint de fuir le Venezuela

pour aller vivre aux États-Unis. « Ce-pendant, il a décidé de continuer. Il fait partie de ma génération, une gé-nération courageuse qui a grandi sous une dictature. »

Guaidó n’est pas étranger à l’adver-sité. Sa famille a survécu, en 1999, à un glissement de terrain dévastateur dans sa ville natale, ce qui a coûté la vie à 30.000 personnes. Il affirme por-ter des cicatrices au cou, causées par des balles en caoutchouc, tirées sur des manifestants, en 2017, à Caracas. Il di-rige également, aujourd’hui, l’un des partis d’opposition du pays, le Volun-tad Popular.

Qu’est-ce qui pourraitse passer ensuite ?

On ne sait pas comment la crise sera résolue, deux hommes des côtés oppo-sés du spectre politique se proclamant président. Guaidó a cité un article de la Constitution du Venezuela qui trans-fère le pouvoir au président de l’As-semblée nationale, en cas de vacance de la présidence. Le président Trump, qui n’a pas exclu, jusqu’à maintenant, l’utilisation de la force militaire pour destituer Maduro, a fait une déclaration quelques minutes après que Guaidó s’est auto-proclamé président par inté-rim, le reconnaissant en tant que lea-der du pays et qualifiant l’Assemblée nationale de « seule branche légitime du gouvernement dûment élu par le peuple vénézuélien ». Le Parlement européen, l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Cos-ta Rica, le Danemark, le Paraguay, le Pérou et l’Organisation des États amé-ricains ont également reconnu Guaidó comme l’unique président du pays.

Les dirigeants vénézuéliens pourraient donc décider si Maduro peut ou non conserver le contrôle de l’armée. À ce jour, l’armée a prêté al-légeance à ce dernier. Le ministère de la Défense a publié, jeudi 24 janvier 2019, une déclaration selon laquelle elle lui était restée fidèle. n

Pendant les années 1950, le Venezuela comptait parmi les pays les plus riches du monde du fait de ses ressources naturelles : les premières réserves de pétrole (300 milliards de barils) devant l’Arabie saoudite (270 milliards de barils), mais aussi d’immenses gisements de gaz, d’or ou de métaux rares.

32 MARS 2019

Crise au Venezuela :comment le pays en est arrivé là ?

Juan Guaido, qui s'est proclamé président par intérim du Venezuela, tient un exemplaire de la constitution du pays lors d'un rassemblement contre le gouvernement de Nicolas Maduro, à Caracas, le 23 janvier 2019.

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MARS 2019 33POINT DE VUE

Le Venezuela vit, en ce début de Février 2019, une crise écono-mique, sociale, politique et dé-

mocratique, la plus dangereuse de son histoire. Ce pays, d’une superficie de 900.000 Km2 et d’une population de 31 millions d’habitants, se situe dans la par-tie la plus septentrionale de l’Amérique du Sud. Ayant obtenu son indépendance de l’Espagne en 1811, le Venezuela est une puissance énergétique majeure, et affirme avoir des réserves de pétrole de l’ordre de 297 milliards de barils. Ce qui en ferait le premier pays du monde dans le classement par réserves de pétrole prouvées.

Pour comprendre ce qui se passe actuellement au Venezuela, il faut revenir à l’histoire récente de ce pays. Dans les années 1980, le Venezuela était gouverné par une coalition de droite, et le peuple s’est soulevé les

27 et 28 Février 1989 pour protester contre une explosion des tarifs des transports, et des réformes économiques inspirées par le néolibéralisme, suite à des accords avec le Fonds monétaire international. Ce soulèvement a donné lieu à une répression tuant plus de 3.000 personnes, en quelques jours. En 1992, date à laquelle les couches populaires sont ruinées, ont eu lieu deux coups d’Etat dont l’un dirigé par Hugo Chavez. Ce dernier fut élu à la présidence du Venezuela, le 6 Décembre 1998 et exerça le pouvoir de 1999 à 2013, jusqu’à sa mort. Les années Chavez sont caractérisées par une augmentation des dépenses sociales, qui permettent une réduction des inégalités et du chômage, du fait de l’augmentation considérable du secteur informel et du recrutement intensif de fonctionnaires dans le secteur public. Cette politique sociale a été rendue possible par l’envolée du prix du

pétrole des années 2000, et par un fort endettement du pays notamment vis-à-vis de la Chine. Du fait de l’absence de réformes, la situation économique devint tendue avec la chute du prix du pétrole à partir de 2008. Avant sa mort en 2013, Chavez désigne comme successeur Nicolás Maduro, son ancien ministre des Affaires Etrangères et Vice-Président.

Celui-ci devient Président par intérim et remporte l’élection présidentielle avec 50,62% de voix, une élection contestée par l’opposition. Il hérite d’un pays dont l’économie est très affaiblie du fait d’un secteur privé et d’un tissu industriel atrophiés, un large clientélisme, une inflation importante, et une population confrontée à des pénuries alimentaires. Les législatives du 6 décembre 2015 donnent une grande victoire à l’opposition dans le contexte d’une crise économique, sociale et politique. Le 25 octobre 2016, le Parlement tente, en vain, de destituer le Président Maduro. Dans un contexte de violences et de contestation sociale, Maduro fait élire, en juillet 2017, une Assemblée constituante, boycottée par l’opposition.

Un pays dans la tourmente

Devant la situation catastrophique du pays, l’exil des Vénézuéliens a atteint 3 millions en 2018, et l’ONU prévoit qu’il atteindra 5,3 millions fin 2019 s’il n’y a pas de solution à la crise. Le 23 Janvier 2019, Juan Guaidó, Président du Parlement, s’autoproclame Président par intérim du Venezuela et prête serment, au cours d’une manifestation organisée à Caracas. Il obtient immédiatement la reconnaissance des Etats-Unis, du Canada, du Brésil, de la Colombie et du Pérou. La France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Union européenne lancent un ultimatum à Nicolás Maduro pour l’organisation d’une élection présidentielle libre, avant le 3 Février 2019. Devant son refus, ils reconnaissent Juan Guaidó, qui est également reconnu par les autres pays de l’Amérique latine sauf Cuba et la Bolivie, tandis que le Mexique et l’Uruguay se déclarent neutres. La Russie, la Chine et la Turquie soutiennent, de leur côté, le Président Maduro, alors que Juan Guaidó est reconnu par une quarantaine de pays.

Malgré sa division, la communauté internationale s’active pour trouver une solution à la crise du Venezuela. Le 4 Février 2019 à Ottawa, onze des quatorze pays qui composent le groupe de Lima (10 pays latino-américains et le Canada) ont appelé à un changement de régime sans usage de la force. Ils ont exhorté l’armée Vénézuélienne à

se ranger derrière l’opposant Guaidó, et à ne pas s’opposer à l’entrée et au transit de l’assistance humanitaire au Venezuela.

Le 7 Février 2019, à Montevideo, huit pays européens et trois latino-américains de Groupe international de contact ont appelé à une élection présidentielle libre, transparente et crédible. Ils ont recommandé d’éviter la violence intérieure et une intervention extérieure. Le même jour, une cargaison d’aide humanitaire américaine à destination du Venezuela est arrivée à Cucuta, la principale ville frontière colombienne. Pour faire pression sur le régime de Maduro, les Etats-Unis ont appliqué des sanctions contre le groupe pétrolier public PDV SA qui ne produit plus que 1,1 million de barils/jour contre 3 millions dans les années 2000. Enfin, le 9 Février 2019, les Etats-Unis ont proposé au Conseil de sécurité de l’ONU, un projet de résolution appelant le Venezuela à faciliter l’entrée de l’aide humanitaire internationale et à s’engager pour un scrutin présidentiel.

En ce qui concerne notre pays, le Maroc, dans un entretien téléphonique du 29 Janvier 2019, Mr Nasser Bourita, Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération internationale, a exprimé à Mr Juan Guaidó le soutien du Royaume à toutes les actions menées afin de répondre aux aspirations légales du peuple du Venezuela à la démocratie et au changement. De son côté, Mr Manuel Avendaño, Conseiller en Affaires étrangères à l’Assemblée nationale du Venezuela, a indiqué que le Venezuela a l’intention de « reconsidérer sa reconnaissance de la RASD sous le gouvernement du Président par intérim Juan Guaidó ».

En conclusion, on peut considérer la crise du Venezuela comme un cas d’Ecole des relations internationales. On y voit l’acharnement des dictateurs à s’accrocher au pouvoir quel que soit le prix. On relève la difficulté de trouver une solution politique pacifique lorsque la société est divisée en deux. Un autre principe est battu en brèche : la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays membre de l’ONU. Enfin, le positionnement de chaque pays dans une crise internationale, où seuls sont pris en compte les intérêts nationaux. C’est ainsi que la Russie et la Chine ont pris position pour le Président Maduro, tandis que l’Occident est plutôt favorable à Juan Guaidó, traduisant ainsi un relent de la guerre froide. Le Maroc, de son côté, soutient Juan Guaidó en espérant que le changement de régime permettra de rétablir des relations saines entre les deux pays. n

La crise du Venezuela Quelle implication pour le Maroc ?

Jawad Kerdoudi, Président de l’IMRI

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ENTRETIEN

Réalisé par Souad MEKKAOUI

A l’ère où l’intelligence artifi-cielle trouble le sommeil du commun des mortels qui se

demandent comment elle va s’immiscer dans notre société et si les machines vont finir par prendre la place de l’humain sur le marché du travail, l’intelligence stratégique pointe en justicière salva-trice pour redonner au capital humain une place centrale dans le processus du développement des entreprises et, en conséquence, assurer le dynamisme de l’économie et le bien-être du corps social. Pour cela, il faut s’informer, analyser, décrypter, établir des straté-gies, déclencher des actions, en un mot décider. Ce qui n’est plus chose aisée dans un environnement concurrentiel des marchés en perpétuelle mutation.

Ainsi, face aux défis majeurs tels que la mondialisation, l’émergence des nouvelles technologies de l’in-formation et de la communication ou encore l’infobésité, l’information et sa maîtrise constituent un enjeu de taille pour les entreprises développées. Aus-si, l’intelligence stratégique doit-elle être de mise pour accompagner les dirigeants et soutenir la stratégie des entreprises.

Pour mieux comprendre et cer-ner le sujet, qui mieux que Monsieur Jean-Luc ANGIBAULT, Président de Wintellis et expert en intelligence stra-tégique qui accompagne ses clients et les aide à décrypter les situations, à dé-cider et à déployer leur compétitivité, pour nous éclairer ?

l MAROC DIPLOMATIQUE : Outil d’optimisation de la prise de décision et d’aide à l’action, l’Intel-ligence Stratégique recouvre une no-tion aux diverses réalités difficilement cernables et regroupe des pratiques et des postures managériales de maîtrise et de protection des données. Ne re-joint-elle pas en cela l’Intelligence

Economique, autrement dit, l’Intel-ligence Economique dans une en-treprise ne serait-elle pas un service stratégique ? Quelle différence y-a-t-il entre les deux sachant qu’elles se confondent sous d’autres cieux (Bel-gique, Canada …) ?

- Jean-Luc ANGIBAULT : Vous avez raison de souligner que les deux outils, intelligence économique (IE) et intelligence stratégique (IS), peuvent apparaître, en première lecture, sem-blables, d’autant, comme vous le mentionnez, que les deux termes sont utilisés indifféremment pour recouvrir les mêmes concepts dans les pays fran-cophones. Je note toutefois que l’IE est davantage liée au domaine public, alors que l’IS s’inscrit plus fortement dans le monde du privé, probablement parce que le vocable « stratégique » ré-sonne plus fortement dans les milieux d’affaires et renvoie à la prise de déci-sion, au niveau exécutif.

Toutefois, même s’ils utilisent la même « matière première », l’infor-mation, la donnée, ils diffèrent, à mon sens, en termes de finalités et de tem-pos.

En ce qui concerne les finalités, l’IE repose sur la « veille », avec une dimen-sion protection et influence. C’est du benchmarking permanent. Autrement dit, dans l’IE, on part d’un « point » (soi-même, l’entreprise, ses produits, ses marchés, …) et on va vers un « tout », la veille de l’environnement, qu’il soit commercial, technologique, concurrentiel, réglementaire, normatif, … Schématiquement, cette démarche pourrait être représentée sous la forme d’un triangle dont la pointe est l’entre-prise et la base son but.

L’IS, pour sa part, est un outil d’aide à la décision. Le point clé de l’IS est donc l’« objectif ». On part d’un « tout », qui est la situation (commerciale, technologique, concur-rentielle, mais aussi géopolitique, so-ciologique, historique, sécuritaire, reli-

gieuse, culturelle, …) et on va vers un « point » qui est l’objectif. Le schéma du triangle est inverse par rapport à l’IE, la réflexion est canalisée vers la décision, pour l’action.

En termes de temporalité, l’IE est un processus permanent, l’IS est une dé-marche ponctuelle liée à une prise de décision ou à la gestion d’une action.

Pour faire court, l’IE se résume dans le triptyque « veille-protection-in-fluence » alors que l’IS se caractérise par « décrypter-décider-déployer » (ce qui est d’ailleurs le slogan de Wintel-lis).

l Pourquoi est-il important de mettre en œuvre un dispositif d’In-telligence Stratégique au sein d’une organisation ? A quels domaines s’adapte-t-elle ?

- Il est important de mettre en œuvre un dispositif d’IS au sein d’une entre-prise ou d’une organisation car elle conditionne ce que j’appelle la fluidité de fonctionnement. En effet, la profu-sion d’informations (on parle d’infobé-sité), facilement accessibles, donne l’illusion d’une compréhension aisée

de son environnement d’affaires, de ses opportunités, de ses vulnérabilités et de ses menaces, alors qu’elle entraîne, au contraire, un surcroît d’incertitude, une dispersion des efforts et au final une al-tération du processus de décision. Tous les niveaux sont concernés : la direc-tion générale, les patrons de business units, les directeurs du marketing, les responsables sûreté, les directeurs des systèmes d’informations, etc.

l Vous accordez une place centrale au facteur humain. Quel rôle joue-t-il dans l’Intelligence Stratégique et quelle importance revêt-il dans le pro-cessus de décision ?

- Le facteur humain est primordial dans l’IS car tout est humain.

Je m’explique : Si on se laisse por-ter par les modes technologiques, on retient que l’intelligence artificielle, les robots, le big data, l’internet des objets, la transformation digitale vont marginaliser le rôle des humains. Or, ces outils numériques, dont il ne s’agit pas de contester l’utilité, ne remplace-ront jamais la dimension humaine des affaires et de la décision, faite, certes de raison, mais aussi (et peut-être sur-tout) d’intuition, d’émotion, de ressen-ti. Gilles PELISSON, ancien PDG du groupe ACCORD, diplômé de l’ES-SEC et de Harvard, disait en 2006 que « la formation de manager m’a appris l’importance de la planification à 5 ans, l’analyse SWOT et autres outils me préparant à toute éventualité pou-vant impacter mon activité, mais l’in-tuition reste essentielle ». Que chacun pense à l’utilisation qu’il fait du GPS lors de ses trajets en véhicule pour mesurer, certes, l’apport de la techno-logie, mais surtout le rôle de la percep-tion et de la connaissance humaines pour décider de la route à suivre.

Ensuite, toute action se déroule dans un milieu humain, qui a ses caractéris-tiques propres. Et la compréhension de ce système humain est essentielle, dans ses codes, ses schémas de pensée, sa manière de communiquer, … Et là encore, si la globalisation technolo-gique et technique est une réalité, les identités des groupes humains restent déterminantes et structurantes, et pas seulement entre deux pays étrangers, mais au sein même d’une nation (fait-on des affaires de la même manière à Casablanca, à Meknès et Oujda ?)

l’IE est davantage liée au domaine public, alors que l’IS s’inscrit plus fortement dans le monde du privé, probablement parce que le vocable « stratégique » résonne plus fortement dans les milieux d’affaires et renvoie à la prise de décision, au niveau exécutif.

Si on se laisse porter par les modes technologiques, on retient que l’intelligence artificielle, les robots, le big data, l’internet des objets, la transformation digitale vont marginaliser le rôle des humains. Or, ces outils numériques, dont il ne s’agit pas de contester l’utilité, ne remplaceront jamais la dimension humaine des affaires et de la décision.

34 MARS 2019

Jean-Luc Angibault : « Il faut êtrecapable de décider dans l’incertitude »

Jean-Luc Angibault, président de Wintellis et expert en intelligence stratégique.

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ENTRETIEN

l La matière première pour dé-marrer la procédure de l’Intelligence Stratégique est le rassemblement de l’information, socle de tout processus décisionnel. Une fois l’information collectée, traitée et analysée, com-ment déclencher l’action ?

- C’est la décision, fondée sur l’ana-lyse des facteurs, qui déclenche l’ac-tion. Car en affaires, « il s’agit bien d’agir », en s’adaptant à des environ-nements, pour croître durablement. Mais le processus d’IS ne s’arrête pas avec la décision, il accompagne l’ac-tion et il la devance même. Il permet en effet de mesurer la portée des ac-tions en restant attentifs aux interac-tions et réactions suscitées au sein de l’environnement où elle se développe et il éclaire l’action future, le tout pour rester aligné avec l’objectif fixé.

l Quels sont les piliers sur lesquels s’appuie l’Intelligence Stratégique et qui favorisent la croissance des entre-prises et leur pérennité ?

- Nous avons vu que la matière pre-mière de l’IS est l’information. Elle ne vaut rien en tant que telle, c’est l’ana-lyse qui lui donne sa valeur et la trans-forme en renseignement nécessaire à la compréhension du milieu et à la décision. Le premier pilier est donc l’analyse.

Le deuxième est la capacité à déci-der. Et si l’on attend pour décider de disposer du maximum d’informations, on risque fort d’être conduit à l’immo-bilité car les environnements d’affaires sont dynamiques et concurrentiels. Il faut donc être capable de décider dans l’incertitude.

Enfin, le dernier pilier est la facul-té de conduire l’action. Et on revient alors au facteur humain, car chaque collaborateur est à la fois un acteur (il contribue à réaliser l’action, surtout par son sens de l’adaptation et de l’ini-tiative) et un capteur (il fait remonter les points de blocage, les opportunités, pour ajuster en permanence l’action par rapport à l’objectif). C’est-à-dire qu’il convient d’expliquer, avec la plus grande clarté et à tous les niveaux, les objectifs stratégiques, pour, en même

temps, donner un sens ET du sens à l’action, sans excès de procédures et de contrôle, pour justement permettre au collaborateur d’exprimer tout son po-tentiel et son sens de l’initiative, cette dernière qualité s’avérant fondamen-tale pour conserver la dynamique et la fluidité d’action.

l Dans son dernier livre, Philippe Baumard constate qu’on navigue actuellement à court terme, en plein vide stratégique, que ce soit au ni-veau des Etats ou des entreprises. L’absence d’anticipation au profit d’une gestion improvisée court ter-miste entraîne, selon lui, les acteurs économiques vers un aveuglement et une perte de discernement. Vous accompagnez principalement des dirigeants ? En quoi consiste votre travail ?

- Notre ambition vise justement à redonner aux dirigeants clarté et sé-rénité, essentiellement en les freinant. La suractivité, la multiplication des réunions, des déplacements, l’hyper-connectivité, l’impératif d’une com-munication permanente, etc, c’est gri-sant et cela remplit excessivement une journée, mais cela aide peu à penser et à formuler ses objectifs véritablement stratégiques.

Plus l’entreprise est grande, plus cette problématique est prégnante. Nous sommes souvent frappés de constater que dans les PME et PMI, parce qu’il y a unicité de conception, de décision et de direction, ce n’est pas la vision stratégique qui fait le plus défaut, mais les moyens, financiers et humains, de la mettre en œuvre.

Notre premier travail, c’est donc de la maïeutique, étymologiquement « l’art de faire accoucher », une méthode qui date de l’Antiquité (nous sommes loin de l’intelligence artificielle et de la transformation numérique), conceptualisée par Socrate (qui était fils d’une sage-femme) visant à faire accoucher les esprits des pensées qu’ils contiennent sans le savoir.

Autrement dit, d’aider les dirigeants à clairement formuler leurs objec-tifs stratégiques. Comme vous l’avez compris, dans l’IS, on part d’un tout, l’environnement, le contexte, et l’on va vers un point, l’objectif. La phase de définition de cet objectif est donc fondamentale. Le reste n’est que de la technique de collecte, analyse, et mise en forme d’informations pour préparer la décision et l’action.

l La mondialisation des échanges, doublée de l’explosion d’Internet, bouleverse le paysage de l’informa-tion tant dans les contenus que dans les méthodes. La démarche de l’In-telligence Stratégique est-elle l’af-faire de tous ou reste-t-elle du res-sort des dirigeants de l’entreprise ?

- Comme nous l’avons déjà évoqué,

l’IS concerne tous les niveaux. Certes la phase de formulation et de décision de l’objectif est l’apanage du dirigeant. Mais même cette phase est l’affaire de tous car le dirigeant, pour bien décider, doit en amont de la décision, puis en cours d’action, écouter, associer, tous les capteurs de son entreprise.

Prenons une métaphore marine : le commandant d’un navire a pour objec-tif d’atteindre tel port, mais pour fixer le cap, il va devoir prendre en compte les éléments de son pilote (la position des écueils, des hauts-fonds), de son responsable météo, de son mécanicien, …, et les mêmes, en cours de trajet, feront remonter à son niveau les élé-ments à porter à sa connaissance car ils pourraient influer l’atteinte de son objectif.

l Quelles sont les mesures suscep-tibles d’accélérer la promotion de l’Intelligence Stratégique ?

- La présente interview est une me-sure efficace car elle permet de diffu-ser la culture de l’IS.

Je dois vous avouer que mon équipe et moi-même passons beaucoup de temps à faire la pédagogie de cet outil, au travers de cercles de réflexion, du réseau social professionnel LinkedIn, de conférences et, plus récemment, d’interventions dans les écoles de ma-nagement.

J’ai coutume de résumer cette stra-tégie de diffusion de la culture de l’IS au moyen de l’acronyme VIRALE, VI pour « visibilité » (à savoir les actions de communication que nous menons), RA pour « rayonnement » (lorsque d’autres que nous parlent de l’IS après s’être appropriés l’outil) et LE pour « légitimité » (quand nous avons fait la démonstration de la méthode auprès de nos clients).

l Comment évaluez-vous la situa-tion de l’Intelligence Stratégique au Maroc sachant que vous connaissez les réalités marocaines et maîtrisez les enjeux et les défis du pays ? Quels sont les modèles suivis ? Comment peut-on la promouvoir davantage à l’échelle continentale ?

- A mon niveau, et cela n’engage que moi, je considère que le Maroc est un des rares pays qui met en œuvre avec brio l’intelligence stratégique.

D’abord, parce que le Royaume a une richesse, que nous Français avons perdue, un tempo politique de long terme. Le roi fixe les objectifs straté-giques, aussi bien dans le domaine des infrastructures (citons la dimension intercontinentale du port de Tanger Med), de l’industrie (le Maroc est de-venu un pôle d’excellence automobile et aéronautique), de l’énergie (je pense évidemment aux énergies renouve-lables, en particulier le solaire), des services (mentionnons Casa Finances City, mais aussi les centres d’appel)

que du développement de la société (le nouveau modèle social).

Le gouvernement met en œuvre avec une obligation de résultat.

Ensuite, le Royaume abrite plusieurs sociétés d’intelligence stratégique, lesquelles appuient, en particulier, les entreprises marocaines dans leur dé-veloppement dans la sous-région et en Afrique centrale.

Enfin, parce que les écoles de ma-nagement (et certaines associations) diffusent cette culture, non seulement au profit des étudiants marocains mais aussi de leurs collègues africains, pré-sents en grand nombre dans le système universitaire et d’éducation supérieure du Royaume.

l L’information devient un enjeu stratégique non seulement pour les entreprises mais pour la sûreté des Etats et pour défendre la compétitivité globale d’un pays. Quels liens y-a-t-il alors entre l’Intelligence Stratégique, les métiers de renseignements et les think tanks ?

- Je n’y vois pas de lien autre que celui que vous mentionnez, à savoir défendre la compétitivité globale d’un pays, avec toutefois une limitation pour les think tanks, lesquelles sont par définition dans la réflexion et non pas dans l’action (sans leur contester toute-fois un rôle d’influence certain).

Plus précisément, je considère qu’il existe une complémentarité : L’acteur régalien doit se focaliser sur des thèmes vitaux, que nous pourrions qualifier de « flux de mort » car ils mettent en péril la stabilité sécuritaire, politique, éco-nomique et sociale du pays (crimina-lité organisée, espionnage économique et technologique, terrorisme, etc).

L’acteur privé, de son côté, apporte de manière croissante un appui opé-rationnel aux entreprises avec des sociétés d’intelligence économique, stratégique, sécuritaire et de gestion de crise, afin de permettre la plus grande fluidité possible des « flux de vie » (en-vironnement des affaires, stabilité et intégrité des systèmes d’information, sûreté des personnels et des biens). Ces dernières n’agissent pas selon un modèle de sous-traitance mais dans un mode complémentaire au service des acteurs privés ou publics. n

MARS 2019 35

Jean-Luc Angibault : « Il faut être capable de décider dans l’incertitude » (Suite)

A mon niveau, et cela n’engage que moi, je considère que le Maroc est un des rares pays qui met en œuvre avec brio l’intelligence stratégique.D’abord, parce que le Royaume a une richesse, que nous Français avons perdue.

Le Royaume abrite plusieurs sociétés d’intelligence stratégique, lesquelles appuient, en particulier, les entreprises marocaines dans leur développement dans la sous-région et en Afrique centrale.

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36 MARS 2019 À VRAI DIRE

Depuis la création d’ « Ar-panet », l’ancêtre d’Inter-net, en 1966, par la Defense

Advanced Research Projects Agen-cy (DARPA), des sociologues versés dans la futurologie ont prévu les dé-rapages possibles d’un système d’in-formation ouvert, accessible à tous et dépourvu de centre névralgique.

Conçu initialement pour le main-tien d’un système de communication, en cas de frappes nucléaires, l’ « Ar-panet » a engendré le « monstre » technologique qu’est devenu l’Inter-net et qui a pulvérisé l’information na-guère, exclusivement institutionnelle.

Instrument de pouvoir par excel-lence, l’information est devenue accessible à tous non seulement en termes de consommation, mais éga-lement au niveau de la production. Grâce aux réseaux sociaux, chacun peut aujourd’hui produire et partager l’information à sa guise.

Ainsi, les trois milliards d’utilisateurs de réseaux sociaux de par le monde peuvent créer, échanger, partager et ré-percuter des milliers de milliards d’in-formations, de jour comme de nuit, en un flux vertigineux qui ne laisse aucune place au filtrage, à l’analyse et a fortiori au moindre sens critique.

Les 16 millions de facebookeurs marocains peuvent ainsi satisfaire, allègrement, leurs pulsions en mé-ga-tberguig tout en inventant, parta-geant ou répercutant, au gré de leur oi-siveté ou de leurs rancunes, autant de rumeurs ou d’informations « fauthen-tiques », face à leurs écrans d’ordina-teurs ou de smartphones, sans craindre quelque censure que ce soit.

Les limites de la rationalité occidentaleMon vieil ami Hassan Kacimi

Alaoui, ex-adepte des cours magis-traux de Michel Foucault, se plaît souvent à citer notre Maître. Je m’y essaie ici à mon tour en traitant le sujet de cette menace majeure contre la dé-mocratie qu’est l’universalisation des « fake news ». N’est-ce pas l’auteur de « Les Mots et les choses », l’ami de Michel Serres, de Georges Dumézil, de Roland Barthes et de Gilles Deleuze qui écrivit : « Les limites de la rationa-lité occidentale sont abyssales ».

Les analyses développées au sein de la chaire de « Gouvernementalité et biopolitique » que Foucault anima, du-rant deux années (1978-1979), au sein du Collège de France, renseignent, en effet, sur l’étendue du hiatus entre « administrants » et administrés au sein des démocraties occidentales. En un clash flagrant entre « concept et processus ».

Aujourd’hui, « les limites de la ra-tionalité occidentale » sont plus que jamais abyssales, en cela que le monde « des Bâtards de Voltaire » (John Saul) semble avoir définitivement tourné le dos à la Raison. En effet, celle-ci semble à jamais délaissée alors qu’elle fut le rhizome de la modernité engen-drée par les Lumières !

Alors que le marché y a triomphé de la démocratie, l’Occident subit dorénavant deux fêlures civilisation-nelles dont les dégâts dépassent les promesses, en ampleur comme en pro-fondeur.

La première de ces fêlures aura été la sortie du capitalisme de son antre productive vers la sphère exclusive-ment financiariste ; et cela mérite une analyse dont ce n’est hic et nunc ni le lieu ni l’occurrence.

La seconde fêlure se rapporte à la globalisation de l’information. Et c’est là notre sujet.

C’est donc cette globalisation de l’information, paradoxalement si per-verse et si nocive, qui fait sujet dans ma chronique-ci.

La révolution de l’information qu’Internet a mise crescendo en branle, depuis un peu plus de deux décennies, a enfanté les « Fake news ». Traduisez la formule à loisir et comme bon vous semble : « balivernes », « bobards », « qu’en-dira-t-on de corbeau » ou encore « fausses nouvelles »…etc.

Ce que j’appellerais, quant à moi, « l’industrie de la rumeur » fait aujourd’hui autant de dégâts sociaux, économiques, politiques, géostraté-giques ou ethnoculturels que la plus dévastatrice des guerres modernes.

Elle peut disloquer des Etats, des nations, des démocraties, des équi-libres régionaux, des cultures, des « vivre-ensemble », des foyers, des carrières et, in fine, l’humain.

Aujourd’hui, les périls naturels les plus apocalyptiques ne peuvent at-teindre les préjudices économiques – une « fausse nouvelle » peut pulvériser les principales bourses mondiales ! –, sociaux, politiques, culturels…occasionnés par les « Fake news ».

C’est à la faveur de ces dernières que les démocraties occidentales pâtissent, aujourd’hui, de l’émersion électorale d’un écoloseptique, anti-multilatéral et belliqueux de la trempe de Trump aux USA, que la galaxie dite arabe eût à vivre une cruelle dépression hiver-nale déguisée en « printemps », que la cosmogonie musulmane a souffert et souffre encore du mortel pathos « qaï-do-daechien ».

Pulsions haineusesIl suffirait aujourd’hui, en effet,

qu’une vulgaire pulsion haineuse soit

postée sur les réseaux sociaux, sou-ventement adjointe à d’improbables montages iconographiques type Pho-toshop, pour que prolifèrent et pros-pèrent, à la vitesse des clics, les com-plotismes les plus invraisemblables, les racismes les plus abjects, les anti-sémitismes les plus insupportables, les révisionnismes les plus nauséeux et, plus couramment, les populismes les plus effrayants !

Les dégâts latéraux et collatéraux des « Fake news » font l’objet, au-jourd’hui, d’une foultitude d’études académiques qui en détaillent les in-calculables nuisances. Mais, chacun peut en constater, dorénavant, la no-civité dans sa propre vie quotidienne, à commencer par son environnement professionnel ou familial.

Rappelons-nous la « foutaise » des « armes de destructions massives » qu’aurait cachées Saddam Hussein et par l’alibi desquelles des millions de destinées humaines furent passées par « pertes et profits » !

Heureusement que le versant « vertuel » de la technologie virtuelle a fini par mettre en lambeaux la « mère des Fake news » américano-israélienne que fut la « dangereuse imminence des armes nu-cléaires iraniennes » !

Et puis que de « Fake news » pouvons-nous compter, depuis quelques années, dans notre Ma-ghreb où les « mar-chands du Paradis », les ennemis de la démocratie et les impérialismes de petite, moyenne ou grande taille, sans compter les mafias à la petite semaine, purent, peuvent et pourront encore s’en servir pour flin-guer la tranquillité publique, la culture, le « vivre-ensemble », et jusqu’au pain quotidien des peuples !

Le pire se manifeste à cet égard lorsque les « Fake news » sont déployées parmi des populations culturellement indigentes, donc la-mentablement privées du moindre sens critique, souvent immergées dans le tragique triptyque « analphabé-tisme-fatalisme-fanatisme ».

Nous sommes là, en vérité, au cœur d’un périlleux « bouillon de culture » où s’entremêlent les pires ingrédients du plus inflammable des populismes !

C’est de là que jaillissent les pires jacqueries, les « révoltes oisives », ou ce que d’aucuns anthropologues ap-pellent « les colères de l’ennui » !

Et c’est ainsi que les « Fake news » ont trouvé leurs plus bienveillantes

oreilles dans notre béni pays où « un rial d’encens peut parfumer toute une ville ».

Aussi, la rue marocaine a-t-elle pu colporter à loisir des « vertes et des pas mûres » sur untel qui aurait forniqué en dehors des liens du mariage avec unetelle, tel haut responsable qui au-rait détourné l’équivalent du PIB ( !) ou –pis !- la personne du Roi qui se-rait atteinte d’on ne sait quelle rare et incurable pathologie ! Tout cela avec « ouallah », « sources dignes de foi » ou autre « C’est écrit ! » à l’appui !

Avec de telles « Fake news », on peut déstabiliser une nation, l’harmonie culturelle d’un pays, l’existence même d’un Etat, fût-il des plus enracinés, la pérennité des institu-tions et in fine un « vivre-ensemble » longuement, patiemment et souvent

laborieusement construit autour de valeurs communément admises.

En vérité, les « Fake news » existent, depuis la nuit des temps. La Bible et le Coran eux-mêmes en rapportent co-pieusement à la faveur de la vie des prophètes, des contrées d’antan et des peuplades ayant vécu entre Jourdan et Euphrate. Mais c’est la technologie amplificatrice des réseaux sociaux en-gendrés par Internet qui, aujourd’hui, en constitue et favorise la toxicité uni-verselle.

C’est aujourd’hui au tour de la dé-mocratie d’en faire les frais. Cet acquis si précieux de l’humanité en pâtit aux registres de la qualité de la représenta-tion – la rue arrachant le pouvoir aux institutions – comme de la pérennité.

Il est temps de s’interroger sur notre capacité à mettre en place les contre-pouvoirs face à la flui-dité torrentielle des « Fake news » subrepticement arrivées par le « big-bang » de la globalisation ! n

Les Fake news : Une menace suprême contre la démocratie !

Abdessamad Mouhieddine

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HOMMAGE

Par Jean Zaganiaris *

Les 12, 13, 14 et 15 mars, l’Université Chouaïb Doukkali d’El Jadida, l’Université Moham-med V de Rabat, l’EGE Rabat/ Université

Mohammed VI Polytechnique et l’Université Ibn Toufaïl de Kénitra organisent un colloque itinérant intitulé : « Abdelkébir Khatibi : cheminement et em-preintes », en hommage à ce grand penseur disparu en 2009. C’est l’occasion pour nous de revenir sur le roman Pèlerinage d’un artiste amoureux, publié aux éditions du Rocher et chez Tarik en 2003.

« Le silence est notre langue naturelle ». Il s’agit d’une des phrases figurant dans un paquet de lettres trouvées par Raïssi, derrière l’un des murs de la maison familiale. Elle a été écrite par un prénom-mé Rachid, né à Marrakech et ayant étudié à Fès, qui supplie celui qui découvrira ce message de faire le pèlerinage à la Mecque et de prier pour lui sur la tombe du Prophète, ainsi que pour la femme dont il évoque l’histoire. L’une des lettres du pa-quet est d’ailleurs adressée au Prophète. L’histoire commence à la fin du XIXème siècle. Raïssi dé-cide d’effectuer le pèlerinage, accompagné par son frère. Le voyage sera long, rempli de péripéties, à l’instar du poème « Ithaque » de l’écrivain grecque Constantin Cavafy. Les passages avec la Sicilienne, rappelant Nizham, la belle femme de Bagdad dont parle Ibn Arabi, sont de toute beauté et évoquent la théophanie, cette manifestation divine ou cet aver-tissement qui se produit ici-bas. Tout fonctionne par signe chez Khatibi, le hasard ne résiste pas au Mektoub et surtout à la magnification, à ce ré-en-chantement du monde décrit par Max Weber.

Au début de son périple, Raïssi rencontre cette femme énigmatique, aux pieds teints au henné, et tombe sous son charme, se laisse guider par son audace. La linéarité du récit s’immobilise briè-vement, repart, s’arrête de nouveau, à l’instar de ces cœurs arythmiques qui cessent de battre une petite seconde, de temps en temps, pour mieux repartir, ou dont les battements sont doubles, par-fois triples : « Entre le temps de la prière et celui du désir suspendu, il y a comme une syncope où l’Ange apparaît. Raïssi ne vivait plus qu’en fonc-tion de cette rencontre qui déréglait sa journée, le jetant dans une orbite lunaire » (pp. 24-25). Leur union sera marquée par l’ivresse des sens, l’envoûtement réciproque, la possession mu-tuelle, aussi forte qu’éphémère. C’est d’ailleurs cette force du désir que l’on retrouve dans le ma-gnifique roman La liaison de Ghita El Khayat, dont la correspondance avec Khatibi reste un té-moignage précieux. Pour les amants, la proximi-té n’est pas incompatible avec la distanciation, pas plus que la mémoire ne l’est avec l’amnésie : « Au lieu de la fatigue accumulée et dénouée au bord des larmes, les amants découvrirent un nou-veau monde. Dès lors, ils redevenaient inconnus l’un à l’autre » (p. 28).

Khatibi et la quête spirituelle

L’aventure se poursuit, Raïssi embarque sur un bateau à vapeur, passe par Tanger, découvre les plaisirs du haschich, glisse dans un « monde féérique incontrôlable ». Bien entendu, le voyage de Raïssi n’est pas l’excursion beat generation racontée par Jack Kerouac dans On the road. Le pèlerinage est une quête spirituelle raconté à tra-vers le regard soufi, omniprésent dans l’œuvre de Khatibi, comme l’a justement souligné Abdellah Memmès. Les moments de prière, notamment avec son frère, font partie de ces passages poé-tiques du roman et rendent compte de l’harmonie des antagonismes omniprésente chez Khatibi, de-puis Le livre du sang à Amours bilingue. Au fur et à mesure que l’on avance dans le récit, l’écri-ture devient peinture, calligraphie. On retrouve cette dimension dans le roman de Soumia Mej-

tia, Luciole et Sirius, défini par l’auteure comme étant un conte soufi : « Nous sommes un peu du moment, le moment où la vie se dresse en nous et nous sus-pend au juste moment. Nous sommes alors du moment, juste du moment, oublieux de la triste mémoire. Nous aurons cette im-pression quand, au réveil, nous ne savons pas où nous sommes, ni qui nous sommes ». L’am-nésie décrite par cette auteure est très proche de celle qui tra-verse l’aimance d’Abdelkébir Khatibi et « cette vie en dehors de la vie » qui jalonne la quête mystique de Raïssi.

Le profane se mélange au sacré, pour que l’être aille vers la pureté. Les identités fusionnent, de manière alchi-

mique. Lors d’un échange religieux, un incon-nu dit à Raïssi : « Suis-je musulman ? Suis-je Algérien ? Suis-je Français ? Les trois » (p. 47). Les êtres sont des mosaïques, la société composite dont parle le sociologue Paul Pascon existe en chacun de nous. « L’autre », celui que bien souvent des discours de haine et de res-sentiment construisent comme différent, existe en « moi », et ce « moi », à la fois singulier, décolonisé et appartenant à un monde commun, existe également dans « l’autre » : « Peut-être êtes-vous aussi chrétien que moi et moi aussi musulman que vous. Qu’est-ce qui nous sé-pare ? » (p. 64). « Tout le monde et personne », répond Raïssi. Si cette proximité a conduit à la colonisation et à l’exploitation capitaliste, dont Raïssi sera le témoin et contre laquelle il lutte-ra, elle peut aussi mener à ces amours métissés avec Mademoiselle Matisse, où « l’Orient » et « l’Occident » font l’amour en s’affranchissant par l’amnésie nietzschéenne des violentes assi-gnations identitaires infligées par les colons ou les nationalistes.

Aujourd’hui, dans un monde où les discours identitaires semblent avoir plus de sacralité que la vie humaine, lire, relire ou sentir en soi la beauté du verbe khatibien est plus que salu-taire.n

* Sociologue, enseignant-chercheur à l’EGE

MARS 2019 37

Ce fragile équilibre du monde :Hommage à Khatibi

L’histoire commence à la fin du XIXe siècle. Raïssi décide d’effectuer le pèlerinage, accompagné par son frère. Le voyage sera long, rempli de péripéties, à l’instardu poème « Ithaque » de l’écrivain grecque Constantin Cavafy.

Au fur et à mesure que l’on avance dans le récit, l’écriture devient peinture, calligraphie. On retrouve cette dimension le roman de Soumia Mejtia, Luciole et Sirius, défini par l’auteure comme étant un conte soufi

Abdelkébir Khatibi

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CHRONIQUE

Par Gabriel Banon

La France qui devait re-prendre sa marche en avant avec Macron, tourne en rond.

Petit à petit, les « Gilets jaunes » ont transformé leur ras-le-bol, en un hap-pening hebdomadaire agonisant. Leurs revendications pour le pouvoir d’achat, contre les hausses du carbu-rant, leur jacquerie fiscale, ont débouché sur un véritable nihilisme. Cette vieille tendance révolutionnaire des rejets des élites s’accompagne, à chaque mani-festation, de heurts avec les forces de l’ordre et des dérapages inadmissibles.

Sans leader, sans projet, sans utopie mobilisa-trice, ce mouvement fait penser à un serpent sans queue ni tête, qui s’agite sans savoir où il va. Les Gilets jaunes, puisqu’ils s’appellent eux-mêmes comme cela, agrègent tous les extrémismes et donnent le champ aux idéologies les plus dan-gereuses pour qui ils ont libéré la parole. Les médias leur offrent une caisse de résonnance qu’ils ne méritent

plus, tellement ils se sont fourvoyés. Ils avaient raison, lorsqu’ils se sont soulevés contre une fiscalité confis-catoire qui accapare 53% du PIB. Ils avaient raison lorsqu’ils ont récla-mé un pouvoir d’achat décent, leur permettant de vivre dans la dignité. Toutes ces belles raisons sont, au-jourd’hui, balayées par la violence et les dégâts qui accompagnent, chaque samedi, leurs manifestations. Toutes leurs revendications sont balayées par les dommages causés à l’activité économique du pays. Toute la sympathie qu’avait réunie leur mouvement, a été balayée par leurs outrances.

Ils se retrouvent, chaque same-di, de moins en moins nombreux,

à un carrefour, devenu pour certains d’entre eux, le bal du samedi soir. Le pouvoir malmené, a répondu par un débat national, des projets de plus d’im-pôts, l’instauration d’une taxe carbone flottante et d’une vignette poids lourds. Personne ne parle d’une diminution des dépenses publiques qui pourrait permettre une diminution des impôts. Le grand débat va-t-il apporter une ré-ponse aux questions posées ? Va-t-il aborder les enjeux vitaux pour l’avenir, le repositionnement de la France dans une Europe qui ne finit pas de se cher-cher, sa place dans un monde bousculé par le retour en force du nationalisme et du protectionnisme, et par le discours démagogue qui nourrit le populisme ? Un débat sur de faux problèmes ne permettra pas de traiter les vrais. Oublions le mythe de la dé-mocratie directe qui détruit la démocratie représentative. Oui, beaucoup d’élites ont fail-li à leur mission, mais on doit se souvenir que les révolutions, ce sont les élites qui les ont pensées et les bourgeois qui les ont faites. Continuez à tourner, manèges, conti-nuez à tourner dans un carrefour, tel

celui de Raymond Devos dont toutes les sorties sont en sens interdit. Ce rondpoint est l’image d’une société bloquée qui cherche désespérément la porte de sortie. Vous avez cru voir en Macron l’homme providentiel attendu, le messie qui allait changer le monde. Il est, hélas, un homme, un politique, qui se trompe comme tous les autres hommes. Tout au long de ces manifestations, on a entendu s’exprimer, sans retenue, la haine des riches et des bourgeois. Le fonctionnement de l’État, la marche de l’économie ont besoin d’eux comme ils ont besoin de toutes les forces vives de la Nation. Il faut raison garder. Messieurs les Gilets jaunes, ne croyez-vous pas que la comédie a assez duré ?n

Continuez à tourner, manèges, continuez à tourner dans un carrefour, tel celui de Raymond Devos dont toutes les sorties sont en sens interdit.

Les Gilets jaunes, puisqu’ils s’appellent eux-mêmes comme cela, agrègent tous les extrémismes et donnent le champ aux idéologies les plus dangereuses pour qui ils ont libéré la parole.

38 MARS 2019

France : la comédie a-t-elleassez durée ?

SAISONARTISTIQUE 2 0 1 8 / 2 0 1 910°

Tarif

étudiants

50 dh

SOIRÉEAMÉRICAINE

Soliste Violon :Galiya ZHAROVA (Kazakhstan)

Direction : Oleg RESHETKIN

Infoline : 06 78 71 90 44 Sur internet : www.ticket.ma

Fès : Librairie Populaire 26, Rue 16 Novembre Tél : 05 35 62 04 58 - Agences de voyages - Complexe Culturel Al Hourria le jour de spectacle

Casablanca : Librairie carrefour des livres Angle rue des Landes et Vignemale, 20000, Maarif - Tél : 05 22 98 24 30 - Librairie Khalsi 60, Rue Moussa Ibnou Noussair Quartier Gauthier Tél : 05 22 27 57 47 Librairie Maarif Culture 22, Rue Assad Ibnou Zarara Maârif, Tél : 05 22 98 23 52 - Théâtre Mohammed VI le jour de Spectacle

Rabat : Théâtre National Mohammed V - Tél : 05 37 20 83 16

www.aujourdhui.ma

Avril à 20h00Complexe Culturel Al HouriaFès

01 Avril à 20h00Théâtre Mohammed VI Casablanca

03 Avril à 20h00Théâtre National Mohamed V Rabat

04

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LE BILLET DE VALÉRIE MORALES ATTIAS MARS 2017 39

C’est la fronde dans la rue. Ces derniers jours, les images des télévisions du monde s’at-

tardent sur les virées week-end des Gi-lets jaunes en France, tandis que sur une autre terre, plus au Sud, les rapporteurs d’infos collent aux basques de nombreux groupes algériens, opposant leur refus à la cinquième candidature à la Présidence d’Abdelaziz Bouteflika.

La volonté généraleC’est un grand mot, lourd de sens po-

sitif. Dans le pavé du Contrat social, élaboré par Jean-Jacques Rousseau, au siècle des Lumières françaises, la vo-lonté générale pouvait tenir tout entière, dans un pacte que tous s’engagent à res-pecter. Rousseau est formel. La volon-té souveraine du peuple est « toujours droite » et tend à « l’utilité générale ». Clair et net, certes, mais à quoi mesure-t-on la volonté générale ? Cela dépend.

Nous serions tentés de répondre en terme de nombre des voix lors des élec-tions, si celles-ci sont loyales. Pourtant, rien n’est moins sûr. L’efficacité des urnes paraît bien aléatoire quand les votants n’ont pas toute leur tête (votes de complaisance), toutes leurs lettres (analphabétisme) ni toutes leur raison (passion religieuse). La beauté huma-niste du vote démocratique tient pour-tant en cela : la liberté de chacune et chacun face aux systèmes idéologiques qui fondent une société et ainsi pouvoir choisir parmi une pléthore de candi-dats, leurs futurs gouvernants.

Les urnesHélas, il faut bien reconnaître qu’en

terme de choix, les critères pour élire les représentants du peuple, se révèlent parfois ahurissants. Ainsi, dans les riches démocraties, on a vu quelques femmes déterminées, fréquenter les

urnes pour des motifs aussi hasardeux que la couleur des yeux du Président. Oui, ça compte, ne vous en déplaise, nous en avons les preuves, le regard clair et lumineux engrange une tonne de voix parfaitement midinettes. On a aus-si vu des Présidents se faire élire pour la seule couleur de leur peau, d’abord parce que c’est la mode, puis pour manifester un salutaire sursaut huma-niste, après des abus avérés par le pas-sé contre une ethnie particulière. Fuite en avant ou perte de repères, les Euro-péens votent, aujourd’hui, en priorité, pour des candidats férocement nationa-listes, dont le racisme primaire promet le bonheur entre soi et soi. D’autres, cow-boys revendiqués, vont plébisciter le candidat prêt à leur garantir l’achat et la vente libre des armes avec le droit de s’en servir en toute bonne conscience…

De notre côté, que dire ? Les urnes, il n’y a que ça de vrai, même si les dé-sirs exprimés dans la solitude du bureau de vote ne sont pas toujours reluisants. Face aux choses qui comptent dans la vie morale d’un peuple, force est de reconnaître que celui-ci n’est pas tou-jours aussi classe qu’on l’aimerait. Pourtant, on n’imagine pas le contexte autrement. Le citoyen est là, droit dans ses bottes et plein comme une outre de sentiments inavoués, d’émotions dé-raisonnables, de défauts rédhibitoires, de certitudes absurdes et parfois d’une somme d’ignorances veules, qu’il est prêt à vendre au plus offrant des urnes du tiers-monde. Bon, le peuple est un peu sale, certes, mais, ô merveille dé-mocratique, quand une voix sincère proclame publiquement que le Peuple est souverain, ce sont des frissons d’émotion qui piègent, à chaque coup, notre habituel cynisme. Car c’est au peuple qu’une Nation doit son exis-tence et c’est à lui seul que celle-ci doit rendre des comptes. Amen.

La bagarreD’accord, le peuple est sacré, mais

quel dilemme s’offre à nous devant cette autoritaire « volonté du peuple » ! Car de quel peuple parle-t-on ? Ce n’est pas si simple… Il en existe au moins deux : d’abord le « bon peuple » popu-laire, celui qui n’a pas droit au chapitre mais le devoir de consommer beaucoup pour aider aux affaires du pays. Il existe aussi le peuple « citoyen », une sorte de peuple « politique », entité énervée au centre d’une Nation, d’un Royaume, d’un Etat. Ce peuple-là est grande gueule, combatif et, particulièrement, attentif aux inégalités. Le citoyen de ce peuple politique se plaint et ne manque pas de protester dans les médias qu’il utilise comme un pro quand il estime qu’on lui manque de respect. Ce peuple

de forte culture politique permet la plu-ralité, même divergente, des idéologies et le bordel des idées, c’est bon pour la démocratie. Dans ce contexte, personne ne prend la peine de sortir crier dans la rue. Tout se joue ailleurs. Parfois, le système déraille et la foule grondante descend en ville. Les choses se com-pliquent. Quand ce peuple-là, ni pire ni meilleur que chaque citoyen pris indi-viduellement, choisit la transe collec-tive, on sait que les dés sont jetés. Ça va chauffer sec.

La révolte C’est triste à avouer, mais les foules

vibrantes et déchaînées nous indis-posent. A leurs exaltations, nous pré-férons la réflexion et le calme de l’es-prit cultivé et bien informé. Ce n’est pas que nous méprisons les revendi-cations exigées par le peuple citoyen. Au contraire, sur ce plan, nous sommes de tout cœur avec lui et prêts à agir, mais autrement. Car dans l’espace pu-blic assiégé, plus rien ne ressemble à la vérité. Les forces vives de l’homme révolté se dissolvent vite dans le vieux pathos à la pralinette. La révolte, elle-même ne crée plus la noblesse mais le bête échauffement des esprits. L’ab-surde envahit tout, le cri devient senti-mental et enfin, l’irrationnel convoque la violence. Inutile de préciser que dans ce contexte, l’intelligence et la raison comptent pour du beurre.

Pourtant, un peuple qui n’a plus rien à perdre, échevelé, menaçant, déraison-nable, parfois illettré, parle toujours d’une seule voix et celle-ci est d’une indiscutable beauté. Les mots du mal-heur scandés à coups de burin dans notre mémoire collective portent juste et loin. Enfin, rendue folle par les in-justices à son égard, la colère de la rue n’a pas à être discutée. Elle est. Point. Que tremblent les élites responsables des raisins de la colère.

Qu’elles soient révolutionnaires, sectaires, illuminées ou définitivement absurdes, la grandeur symbolique des révoltes populaires tient dans le refus du malheur humain, dernier levier mo-ral qui se dresse face à l’intolérable in-justice.

Pourtant, ce bain d’empathie récon-fortant présente de sacrées limites. La question qui fâche : le citoyen est-il vraiment capable de concevoir un inté-rêt général et de prendre celui-ci, vrai-ment au sérieux, au point d’oublier son intérêt propre, celui de sa famille, de sa religion, etc ? Dans un tel contexte, l’idée généreuse de peuple disparaît au profit d’un agrégat d’individus peu in-téressés par l’intérêt public, mais à la seule poursuite de leurs propres lois. C’est aussi un principe de réalité dont il faut, hélas, tenir compte. n

Le Peuple a-t-il toujours raison ?