34
DSC 163 DSCTC 16 F rév. 1 fin Original : anglais Assemblée parlementaire de l’OTAN COMMISSION DE LA DÉFENSE ET DE LA SÉCURITÉ LES CAMPAGNES MILITAIRES INTERNATIONALES CONTRE DAECH RAPPORT Attila MESTERHAZY (Hongrie) Rapporteur Sous-commission sur la coopération transatlantique en matière de défense et de sécurité

163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

DSC163 DSCTC 16 F rév. 1 finOriginal : anglais

Assemblée parlementaire de l’OTAN

COMMISSIONDE LA DÉFENSE ET DE LA SÉCURITÉ

LES CAMPAGNES MILITAIRES INTERNATIONALES CONTRE DAECH

RAPPORT

Attila MESTERHAZY (Hongrie)Rapporteur

Sous-commission sur la coopération transatlantique en matière de défense et de sécurité

Page 2: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

www.nato-pa.int 19 novembre 2016

Page 3: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION.....................................................................................................................

II. LA GUERRE CIVILE EN SYRIE ET LE DILEMME POSÉ PAR DAECH...............................A. L’ESSOR DE DAECH.................................................................................................B. DES SOURCES DE POUVOIR INÉPUISABLES.......................................................C. NÉGLIGÉ PENDANT TROP LONGTEMPS...............................................................

III. LA CAMPAGNE CONTRE DAECH DIRIGÉE PAR LES ÉTATS-UNIS................................A. FACTEURS DÉTERMINANTS DE LA CAMPAGNE DES ÉTATS-UNIS CONTRE

DAECH........................................................................................................................B. L’OPÉRATION INHERENT RESOLVE ......................................................................C. CHANGEMENT DE STRATÉGIE ET DE PRIORITÉ EN 2016...................................D. L’IRAQ.........................................................................................................................E. LA SYRIE....................................................................................................................F. COOPÉRATION AVEC LES PARTENAIRES ET RÉACTION DE L’OTAN...............

IV. INTERVENTION DE LA RUSSIE.......................................................................................A. LES MOTIFS DE L’INTERVENTION RUSSE...........................................................

V. RÉSULTATS DES CAMPAGNES........................................................................................A. RUSSIE.....................................................................................................................B. COALITION DIRIGÉE PAR LES ÉTATS-UNIS........................................................C. L’INQUIÉTANTE VARIABLE IRANIENNE................................................................

VI. AUTRES CAMPAGNES CONTRE DAECH : AFGHANISTAN ET LIBYE..........................A. DAECH EN AFGHANISTAN (EIIL-K)........................................................................B. UN FRONT LIBYEN POTENTIEL.............................................................................

VII. ÉVOLUTION DE LA PROPAGANDE DE DAECH ET PERSPECTIVEDE RÉAPPARITION DU GROUPE SOUS UNE NOUVELLE FORME..............................

VIII. CONCLUSIONS.................................................................................................................

BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................

i

Page 4: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

I. INTRODUCTION

1. C’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires qui a déferlé sur le Moyen-Orient entre fin 2010 et début 2011. Très vite, réclamant des réformes politiques et la liberté face à l’oppression, les manifestants de plusieurs villes syriennes ont été confrontés à une répression violente menée par les services de sécurité intérieure du régime de Bachar al-Assad : emprisonnements et balles en caoutchouc ont vite cédé la place à des méthodes plus létales. La rapide escalade dans le recours à la force par le régime de Damas a entraîné la création de l’Armée syrienne libre, dont le but initial était de protéger les manifestants, avant de se muer en moyen de riposte à la campagne aux allures de plus en plus anti-insurrectionnelles menée par le régime.

2. Cette campagne violente a très rapidement dégénéré en une guerre civile complexe, sans précédent dans l’histoire du pays car dominée par le sectarisme et l’extrémisme – deux dimensions nourries par le régime de Bachar al-Assad pour tenter de rallier le soutien de certaines minorités à l’intérieur du pays et de consolider l’aide militaire extérieure. Le phénomène le plus déstabilisant aux niveaux local, régional et désormais mondial résultant de l’extrémisme et du sectarisme omniprésents dans la guerre civile en Syrie est Daech1.

3. L’essor rapide et inattendu de Daech lui a permis de conquérir de vastes étendues de territoire dans le nord et l’est de la Syrie et, dès l’été 2014, de se ramifier pour s’emparer d’une grande partie des territoires du cœur sunnite de l’Iraq, en aval du Tigre et de l’Euphrate, bousculant dans sa progression des forces iraquiennes mal préparées. Au 10 septembre, les États-Unis étaient parvenus à former une coalition régionale de volontaires destinée, pour reprendre les termes du président Obama, à « affaiblir et, finalement, détruire l'EI ». Des frappes aériennes de la coalition dirigée par les États-Unis étaient menées conjointement à des efforts au sol, en vue de renforcer la capacité des forces locales en Iraq et en Syrie pour nettoyer et tenir les territoires reconquis.

4. Un an plus tard, la Russie lançait une campagne aérienne parallèle pour soutenir la lutte de Bachar al-Assad et de ses alliés contre les forces « terroristes » déstabilisant la région et menaçant la stabilité du gouvernement « légitime » de Damas. Le soutien aérien russe a eu un effet immédiat sur le terrain en rétablissant l’équilibre des forces en faveur du régime.

5. L’enchevêtrement des forces russes et des forces régionales et locales alliées des États-Unis dans la guerre civile en Syrie augmente davantage encore la complexité du conflit le plus violent et le plus déstabilisant du XXIe siècle. Le présent rapport cherche à clarifier les ramifications des diverses alliances complexes et à comprendre les campagnes militaires internationales menées contre Daech. Après un bref examen de l’état actuel de la guerre civile en Syrie et de l’influence de Daech dans la région, il offre un aperçu des campagnes menées par les États-Unis et la Russie et de leurs objectifs respectifs. Il souligne par ailleurs le rôle actuellement joué par chaque force inféodée aux alliances respectives. Le rapport s’achève en fournissant un aperçu des perspectives de paix très incertaines et présente des conclusions provisoires destinées à nourrir le débat parlementaire.

II. LA GUERRE CIVILE EN SYRIE ET LE DILEMME POSÉ PAR DAECH

6. La commission a déjà traité, dans des rapports précédents, de l’évolution de la guerre civile en Syrie et de ses répercussions dans la région. Dans ces rapports, elle examinait le rôle potentiel des pays membres de l’OTAN, à la fois à titre individuel et en tant qu’Alliance. Deux ans plus tard, la guerre civile en Syrie continue de s’enliser, en raison de facteurs apparemment insolubles qui compliquent tout effort visant à trouver une issue susceptible d’aboutir à une paix durable. Le

1 Acronyme arabe utilisé pour désigner l’organisation terroriste État islamique (EI)

1

Page 5: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

conflit semble bel et bien s’embourber et constitue à la fois une guerre régionale incontrôlable et une guerre mondiale par procuration.

7. Le bilan de cinq années de guerre civile en Syrie est lourd : 500 000 tués, 6,6 millions de Syriens déplacés dans le pays et 4,6 millions de réfugiés qui ont fui leur pays - ce qui représente plus de la moitié d’une population d’environ 21 millions d’habitants avant la guerre (UNOCHA, 2016). Les infrastructures et l’héritage culturel de la Syrie ne sont plus, en grande partie, que décombres, en raison des campagnes de plus en plus violentes qui opposent forces rebelles et l’Armée arabe syrienne et ses alliés. Ces campagnes sont menées aussi bien dans les montagnes et les déserts que dans les plaines. Le résultat le plus dévastateur du conflit est peut-être l’essor rapide et la poussée régionale de Daech.

A. L’ESSOR DE DAECH

8. Puissant groupe armé non étatique, Daech s’est emparé de vastes étendues de territoire en Syrie et en Iraq, proclamant un nouveau califat dans la région. Partis de l’est de la Syrie et de leur capitale opérationnelle Raqqa, les combattants de Daech ont progressé en aval du Tigre et de l’Euphrate, bousculant les forces iraquiennes formées par les États-Unis et occupant les terres sunnites de l’est de la Syrie et de l’ouest de l’Iraq. En chemin, l’organisation a saisi un important butin de guerre, sous la forme de champs de pétrole, de réserves en espèces de la Banque centrale iraquienne et d’antiquités ensuite revendues au marché noir.

9. À l’apogée de sa puissance au Levant, à l’automne 2014, Daech pouvait sans doute aligner une armée de plus de 50 000 combattants2, des niveaux élevés de recrutement lui permettant de regarnir assez rapidement ses rangs en 2014-2015, et ce, malgré de lourdes pertes au combat et de nombreuses désertions. Au plus fort de son expansion territoriale, le groupe contrôlait un territoire d’une taille comparable à celle du Royaume-Uni et un peu plus de 6 millions de personnes : 2,25 millions en Syrie et 4 millions en Iraq. Les campagnes internationales lancées en septembre 2014 continuent de repousser sans cesse Daech au Levant.

10. Tout en poursuivant le combat pour conserfprojver les territoires conquis au Levant, Daech parvient à étendre sa présence au niveau mondial, en grande partie grâce au succès de sa doctrine de salafisme radical associée à des tactiques ultra-violentes qu’il affiche par le biais d’un réseau de propagande sophistiqué. Depuis juin 2014, Daech ne se contente plus d’une présence en Syrie : ses ramifications s’étendent désormais au Yémen, à la Libye, au Nigeria, au Pakistan, à la Russie, à l’Égypte, à l’Algérie, à la Somalie et à l’Afghanistan3. Dans certains de ces pays, le ralliement à Daech n’est guère plus qu’un geste symbolique de loyauté envers le chef de l’organisation, Abou Bakr al-Baghdadi. D’autres pays en revanche, comme la Libye, deviennent de nouveaux fronts vers lesquels sont envoyées les recrues de Daech (Wehrey et Lacher, 2016)4.

2 Il est extrêmement difficile d’évaluer la taille de l’armée de Daech et quand elles existent, les estimations sont souvent peu fiables. Le chiffre cité ici est une estimation basée sur plusieurs sources dont l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH) basé au Royaume-Uni, The Economist et des rapports du New York Times.

3 Le rapport spécial de la commission de la défense et de la sécurité en 2016 Afghanistan : La mission Resolute Support en 2016 [164 DSC 16 F bis] étudie plus en détail l’expansion de Daech en Afghanistan, connu dans ce pays sous le nom de Province (Wilayat) de Khorasan. On retiendra essentiellement que Daech éprouve des difficultés à s’implanter en Afghanistan en raison du code tribal deobandi qui prône la fidélité aux talibans.

4 À ce propos, voir le rapport 2016 du GSM Terrorisme et instabilité environnante  : les dimensions de la menace Daech [063 GSM 16 F rév. 1]

2

Page 6: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

B. DES SOURCES DE POUVOIR INÉPUISABLES

11. Les principales sources de pouvoir de Daech sont sa capacité à générer des revenus dans les territoires conquis et une aptitude sans précédent à recruter des combattants étrangers. À son apogée, Daech ne percevait pas moins de 1,25 million de dollars par jour grâce aux champs de pétrole et de gaz sous son contrôle (Hussein et al., 2014). L’organisation est également parvenue à s’emparer de l’équivalent de 430 millions de dollars de réserves en espèces de la Banque centrale iraquienne à Mossoul5 (Cooper, et al., 2016). Des revenus supplémentaires proviennent de la taxation et de l’extorsion dans les territoires conquis. Une grande partie de la taxation provient en réalité du fait que les gouvernements iraquien et syrien continuent de payer les salaires des fonctionnaires pris au piège dans les territoires occupés par Daech. Ce n’est qu’assez récemment, par exemple, que les autorités syriennes ont cessé de payer les salaires de leurs citoyens dans ces territoires. Quant à l’Iraq, il n’a que progressivement réduit cette source de revenus durant l’automne 2015, après avoir longuement hésité compte tenu des conséquences humanitaires d’une telle décision (Coles, 2015).

12. Daech est parvenu à se constituer un important stock d’armes grâce au pillage, à des achats frauduleux et à des donateurs internationaux. Sa panoplie va des armes légères de base aux systèmes sophistiqués tels que missiles portatifs Stinger, obusiers de 155 mm, lance-roquettes, chars de combat, TTB (Transport de troupe blindé) américains et même, à un certain moment, jusqu’à six hélicoptères Black Hawk et un certain nombre de vieux chasseurs russes MiG (The Economist, 2014)6. La capacité de Daech à s’emparer d’une telle puissance de feu, à l’utiliser et à manœuvrer lui a permis de conquérir et de tenir des territoires couvrant les régions sunnites du Levant.

13. La montée en puissance phénoménale de Daech et son expansion fulgurante au Moyen-Orient ont renforcé sa grande capacité à recruter des combattants étrangers. Grâce à des réseaux de recrutement sophistiqués, soutenus par des campagnes de propagande incessantes sur différents réseaux sociaux, Daech est parvenu à recruter près de 40 000 combattants provenant de plus de 120 pays différents (Schmitt, 2016). Six mille neuf cents au moins de ces recrues proviennent de pays occidentaux.

C. NÉGLIGÉ PENDANT TROP LONGTEMPS

14. Bien que parfois négligé dans les analyses de l’évolution de l’organisation, un autre facteur qui a contribué à son essor est le fait que Daech a, en grande partie, échappé aux premiers assauts militaires du régime de Bachar al-Assad. Le raisonnement à la base de cette politique était relativement simple à l’époque : laisser les éléments les plus extrémistes de la rébellion contre le régime prospérer.

15. Dans un pays comme la Syrie qui, à de nombreux égards, ressemblait à une mosaïque ethnique et confessionnelle avant la guerre, cet élément revêt une importance capitale, car tout un éventail de minorités allant des chrétiens aux druzes et aux alaouites s’inquiétait de l’essor d’une insurrection sunnite extrémiste susceptible de renverser le régime de Bachar al-Assad et de leur imposer un avenir peu réjouissant. Le régime de Damas espérait donc bénéficier de l’effet de ralliement vers lequel les minorités se sentiraient attirées face à la montée de l’extrémisme.

16. Les amnisties prononcées par le régime de Bachar al-Assad en 2011, qui entraînèrent la libération de quelque 1 000 prisonniers liés à des réseaux djihadistes et jusque-là détenus dans des prisons de haute sécurité, ont joué un rôle essentiel dans l’extrémisme croissant de la 5 500 millions de dollars supplémentaires ont été saisis par des actes de spoliation, portant le total à

environ 1 milliard de dollars.6 Pour une liste plus complète de l'arsenal militaire présumé de Daech :

http://www.militaryfactory.com/smallarms/weapons-of-isis.asp. Voir le rapport sur les saisies de petites armes de Daech: http://www.conflictarm.com/wp-content/uploads/2014/10/Dispatch_IS_Iraq_Syria_Ammunition.pdf

3

Page 7: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

rébellion syrienne (Lister, 2016). Les germes de l’essor de Daech en Syrie ont été semés lorsque le groupe État islamique d’Iraq a envoyé des agents dans le pays pour tirer parti de l’anarchie relative existant dans le nord-est de la Syrie. Durant l’année 2012, l’organisation s’est transformée en une redoutable armée, connue pour ses tactiques d’une violence extrême. 17. Pendant ce temps, les efforts militaires du régime de Damas demeuraient centrés sur les forces plus modérées de l’Armée syrienne libre et de ses alliés pour tenter d’éliminer le restant des forces combattantes. À ce stade, le régime pouvait encore faire valoir auprès des Syriens non extrémistes, représentant toujours la grande majorité de la population, qu’il valait mieux soutenir Bachar al-Assad plutôt que se retrouver confronté à un avenir régi par un groupe comme Daech.

18. À partir de 2014, Daech se distingua en tant qu’organisation armée non-étatique la plus extrémiste et la plus violente opérant dans les régions de plus en plus faillies du nord de la Syrie. À l’issue des combats qui l’opposèrent, au printemps 2014, au Front Fatah al-Sham (anciennement Front al-Nosra) aligné sur al-Qaïda dans les régions situées à l’est d’Alep, vers Raqqa et Deir ez-Zor, Daech parvint à consolider sa position et devint la seule force d’occupation dans la région. Depuis cette base de lancement et s’appuyant sur un nombre croissant de recrues locales et étrangères attirées par ses succès militaires, son idéologie et ses tactiques extrémistes, Daech fut alors prêt à déferler sur le restant de la Syrie pour entamer sa marche vers ce qu’il prônait être son ultime objectif : la restauration d’un califat au Levant et au-delà.

19. Les images de décapitations brutales de travailleurs humanitaires ou de journalistes capturés (principalement occidentaux) diffusées dans le monde entier tout au long de 2014, ont suscité une inquiétude majeure dans l’opinion publique, face à l’essor de cette organisation jusque-là relativement inconnue en dehors du conflit. La rapidité alarmante de la progression de Daech en Iraq – avec la prise rapide de Mossoul, suivie d’un déferlement accéléré vers le sud – a fini par pousser l’armée des États-Unis à s’engager dans une campagne d’éradication de Daech et à chapeauter l’ensemble des opérations en Iraq et même en Syrie.

III. LA CAMPAGNE CONTRE DAECH DIRIGÉE PAR LA COALITION

20. Le 10 septembre 2014, le président Obama annonça un nouveau plan des États-Unis, ses alliés et ses partenaires, pour « affaiblir et, finalement, détruire l’EI ». Ce plan impliquait des frappes aériennes en Iraq et en Syrie, ainsi que des efforts visant à former, conseiller, aider et équiper les forces iraquiennes et certains groupes rebelles syriens sur le terrain, pour qu’ils reprennent et tiennent les territoires conquis par Daech. Les États-Unis cherchèrent également à obtenir le soutien de leurs alliés régionaux dans ce combat, afin de renforcer la légitimité de leur nouvelle action militaire dans la région.

A. FACTEURS DÉTERMINANTS DE LA CAMPAGNE DE LA COALITION CONTRE DAECH

21. Trois grands facteurs sous-tendent la décision des États-Unis de mener une campagne militaire contre Daech. En premier lieu, comme nous l’avons déjà dit, les États-Unis veulent affaiblir et, finalement, détruire Daech. La capacité pour une organisation armée non-étatique de s’emparer de territoires aussi vastes et de les occuper est pratiquement sans précédent sur la scène politique moderne. Bien qu’il soit peu probable que l’on parvienne à détruire l’idée qui est à la base de Daech, il est essentiel de saper la capacité du groupe à occuper des territoires pour générer des revenus et étendre sa base de pouvoir, en particulier dans une région déjà affaiblie par des structures étatiques fragiles.

22. Deuxièmement, l’intervention des États-Unis dans le conflit syrien contre Daech en Iraq et en Syrie permettra à Washington d’avoir son mot à dire dans le règlement politique ultime de la guerre civile en Syrie. Les États-Unis ont clairement indiqué qu’on ne peut envisager une paix et une stabilité à long terme en Syrie si la structure du pouvoir politique inclut le président

4

Page 8: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

Bachar al-Assad. C’est pourquoi ils accordent, à des degrés divers, un soutien diplomatique, financier et militaire à des groupes politiques qu’ils considèrent comme modérés opérant sur le terrain en Syrie.

23. Troisièmement, la position des États-Unis comme principale source d’influence externe au Moyen-Orient est remise en question depuis une dizaine d’années, en raison principalement de la politique d’après 2008 consistant à réduire drastiquement leur empreinte dans la région à tous les niveaux. L’intervention des États-Unis dans le bourbier syrien peut donc également être perçue comme une volonté de rassurer leurs alliés régionaux (l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Turquie et les petites monarchies du Golfe en particulier) en renouvelant leur appui sur les plans diplomatique, financier et militaire. Le soutien plus affirmé aux intérêts des alliés régionaux de Washington a été bien perçu dans la région, surtout à la suite de l’accord nucléaire conclu récemment avec l’Iran, un accord rejeté sans ménagement par nombre des alliés traditionnels des États-Unis dans la région7.

B. L’OPÉRATION INHERENT RESOLVE 

24. Dans les semaines qui ont suivi l’annonce par le président Obama de s’attaquer à Daech, les États-Unis, la Jordanie, Bahreïn, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont entamé une campagne aérienne contre des cibles de Daech, en particulier des dépôts d’armes, des concentrations de troupes, des camps d’entraînement, ainsi que des installations pétrolières et gazières. Les premiers succès se sont rapidement étiolés, les militants de Daech ne tardant pas à se fondre dans les zones urbaines et à modifier leurs stratégies en matière de convois et d’approvisionnement. Les États-Unis craignaient en outre qu’une stratégie trop agressive contre les infrastructures pétrolières et gazières et les convois n’entraîne un nombre inacceptable de dégâts collatéraux parmi la population civile. Par ailleurs, il était clair qu’à elles seules, les frappes aériennes ne suffiraient pas et que des forces locales au sol seraient nécessaires pour nettoyer et tenir les territoires occupés, parallèlement à une campagne aérienne8.

25. En 2015, les États-Unis ont travaillé au renforcement de l’armée iraquienne, dont les performances s’étaient avérées très médiocres face aux forces de Daech durant l’été et l’automne 2014. Lors de l’assaut contre Mossoul par exemple, un millier de combattants de Daech était parvenu à envahir une zone contrôlée par 30 000 soldats iraquiens. Plutôt que de combattre, la plupart des soldats iraquiens, abandonnés par leurs officiers, avaient fui leurs positions, laissant derrière eux une quantité importante de matériel militaire haut de gamme fourni par les États-Unis.

26. Daech est parvenu à réaliser quelques avancées stratégiques en 2015, la plus importante étant peut-être la prise de la ville antique de Palmyre dans le désert syrien oriental, établissant ainsi une ligne d’approvisionnement cruciale vers ses territoires en Iraq, en dépit de certains revers dans le centre de l’Iraq et dans le nord de la Syrie. De toute évidence, les progrès en vue de tarir les sources de revenus du groupe terroriste s’avérèrent insuffisants. C’est pourquoi l’opération Tidal Wave II, fut lancée en octobre 2015 comme campagne aérienne parallèle, ciblant en

7 Pour de plus amples informations à ce propos, voir le rapport spécial 2016 de la commission des sciences et des technologies Le programme nucléaire iranien : comment mettre l’accord à profit [176 STC 16 F rév.1 fin]

8 Comme indiqué dans le rapport 2014 de la sous-commission de la défense et sécurité sur Les conséquences régionales et mondiales de la guerre civile en Syrie : quel rôle pour l’OTAN ? [193   DSCTC 14 F rév.1 fin] , les États-Unis avaient déjà lancé un programme pour former et équiper des rebelles syriens sur des bases d’entraînement en Jordanie dès 2011. Au fil des ans cependant, ce programme n’est jamais parvenu à des résultats tangibles en raison du cadre rigide que s’étaient imposés les États-Unis eux-mêmes pour sélectionner et accepter des rebelles dans ce programme. Résultat : le programme de formation et d’équipement a peu à peu perdu de sa substance, pour finir par être annulé après que quelques dizaines seulement de combattants ont été considérés comme aptes pour le combat ; de retour sur le théâtre de la guerre civile en Syrie, ceux-ci ont cependant été immédiatement capturés ou tués par des extrémistes sur le sol syrien.

5

Page 9: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

particulier les capacités de raffinage et de distribution de pétrole de Daech (Gordon et Schmitt, 2015).

C. CHANGEMENT DE STRATÉGIE ET DE PRIORITÉ EN 2016

27. En février 2016, les États-Unis ont annoncé de nouvelles dispositions en matière de financement des dépenses de défense dans le cadre du budget 2017 pour répondre aux défis auxquels leurs Alliés européens de l’OTAN sont confrontés sur deux flancs. En plus des 3,4 milliards de dollars affectés à l’Initiative de réassurance européenne (IRE)9, 7,5 milliards ont été demandés pour la campagne en cours contre Daech. Ces nouveaux moyens financiers seront principalement affectés à l’augmentation des ressources des États-Unis au sol, dans les airs et en mer sur le théâtre des opérations, ainsi qu’à des équipements supplémentaires et au soutien du personnel civil.

28. Au cours de l’automne et de l’hiver 2015-2016, les États-Unis ont revu leur stratégie contre Daech. Le principal changement concerne l’accroissement relativement important du soutien au sol qu’apportent des conseillers militaires des États-Unis aux forces iraquiennes dans leurs combats pour reprendre et tenir des territoires sous le contrôle de Daech. L’objectif ultime reste la reconquête des grandes villes de Mossoul en Iraq et de Raqqa en Syrie. Comme l’a déclaré le secrétaire à la Défense Ashton Carter le 13 janvier 2016, « la carte de notre plan de campagne comporte de grandes flèches pointées sur Mossoul et sur Raqqa » (Tilghman, 2016). Au moment où nous rédigeons ce rapport, quelque 5 000 soldats américains se trouvent en Iraq (Schmidt, 2016). Nous présentons ci-dessous un aperçu de la stratégie de campagne au premier trimestre 2016.

29. Pour les planificateurs de la défense des États-Unis, il ne fait plus guère de doute que la manière la plus efficace dont la coalition conduite par les États-Unis puisse repousser Daech (en Syrie ou en Iraq) consiste à mener un combat pluridimensionnel. Comme le faisait remarquer un responsable de la défense à la délégation de la commission de la défense et de la sécurité en visite à Washington en janvier 2016, l’essence même de la stratégie des États-Unis consiste à combattre sur tous les fronts, ce qui implique de frapper Daech partout simultanément pour éviter une succession renouvelée d’opérations tactiques (tactique dite « tape-taupe »). Toujours selon lui, cela conduira à la désorganisation des activités de Daech et le forcera à reculer plutôt qu’à poursuivre ses offensives.

D. L’IRAQ

30. L’année 2015 a été marquée par une dynamique positive dans la campagne que mène la coalition sous l’égide des États-Unis pour réduire la présence de Daech en Iraq. Cet élan se poursuit en 2016. Au cours des six premiers mois de l’année 2016, Daech a perdu 12 % du territoire qu’il lui restait, soit plus de 50 % du territoire que le groupe occupait en Iraq à un certain moment. En outre, du fait de ces pertes territoriales, le nombre de personnes vivant sous le contrôle de Daech a diminué (IHS Jane’s). Les frappes aériennes des forces combinées des États-Unis et de la coalition, associées aux efforts concertés des troupes iraquiennes au sol (peshmergas kurdes et armée régulière iraquienne) ont considérablement entravé la capacité du groupe terroriste à lancer de nouvelles offensives et le placent désormais en position essentiellement défensive en Iraq.

31. La campagne menée contre Daech en Iraq a connu de sérieuses avancées en 2016. Les forces loyales au gouvernement iraquien ont repris la ville de Falloujah en juin, et, dès le mois d’août, la ville de Qayyarah et sa base aérienne ainsi que le poste-frontière d’al-Walid, qui se situe à la frontière entre l’Iraq et la Syrie. La prise de Qayyarah constitue un grand pas en avant vers

9 Le financement supplémentaire de l’IRE par les États-Unis est expliqué en détail dans le rapport général 2016 de la DSC La nouvelle posture de dissuasion de l’OTAN : du sommet du pays de Galles au sommet de Varsovie [161 DSC 16 F bis].

6

Page 10: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

l’objectif ultime de la campagne – la libération de Mossoul – car cette région peut servir de base stratégique à partir de laquelle lancer la future opération. En parallèle, la région désertique de Khalidiyah (entre Falloujah et Ramadi) a été débarrassée des militants de Daech par les forces nationales iraquiennes de concert avec les milices chiites pro-gouvernementales. En plus de limiter l’empreinte de Daech en Iraq et d’avoir l’impact qui s’ensuit sur la capacité du groupe à collecter des fonds et à manœuvrer dans la région, l’opération Inherent Resolve a, de par ses bons résultats dans la lutte contre le groupe, beaucoup nui à la capacité de Daech à regarnir ses rangs, le flux de combattants étrangers dans la région ayant, selon les estimations, chuté de 90 % (Gibbons-Neff, avril 2016).

32. Alors que la campagne continue de remonter l’Euphrate vers Mossoul, personne ne se fait d’illusions sur les difficultés que la bataille pour la deuxième plus grande ville d’Iraq posera aux forces de la coalition et à leurs homologues iraquiens. Cette métropole occupée par Daech compte environ 1,5 million d’habitants. Les difficultés pour reprendre la ville et la tenir, et les affrontements complexes que cela implique dans un environnement urbain, sont inévitables face à une armée iraquienne dont on connaît l’état de faiblesse relative. Coordonner le commandement et le contrôle entre les forces iraquiennes au sol est également une tâche ardue qui attend Bagdad pour la prise et le contrôle de Mossoul ; une grande partie des combats qui ont récemment permis de reprendre des territoires ont été livrés par les milices chiites plutôt que par les forces du gouvernement iraquien, ce qui représente, sur le terrain, un enjeu politique à plus long terme (Laud, août 2016). Compte tenu de ce qui précède et des problèmes à venir, l’administration Obama a annoncé en juillet qu’elle déploierait 560 soldats de plus pour l’offensive de Mossoul, ce qui portera le nombre total de soldats états-uniens en Iraq à 4 647 (Suster).

33. Parallèlement, les États-Unis et leurs partenaires cherchent à reconstruire les capacités de l’Iraq. Pour les États-Unis, leurs partenaires et les organisations internationales qui opèrent dans le pays, le gouvernement de Bagdad constitue au moins un interlocuteur avec lequel ils peuvent travailler, alors qu’ils concentrent leurs efforts sur la stabilisation du pays. Il reste toutefois d’immenses défis à relever. C’est ainsi par exemple que, si la reprise de Tikrit et les travaux de reconstruction peuvent être considérés comme un succès relatif, il reste beaucoup à faire à Ramadi et à Sinjar, où les destructions occasionnées par Daech et les combats pour libérer ces villes ont entraîné des dégâts considérables. À Ramadi, les coûts de reconstruction sont estimés à plus de 40 millions USD.

34. Bien qu’éclipsée par la situation en Syrie voisine, la crise humanitaire en Iraq est impressionnante. Il faut notamment répondre aux besoins de plus de 3 millions de personnes déplacées. Cette situation présente particulièrement un risque de déstabilisation de la région kurde qui, suite à l’effondrement de ses revenus pétroliers, ne dispose pas des ressources nécessaires pour prendre soin de ces populations.

35. Forte de ses bons résultats contre Daech en Iraq, la coalition dirigée par les États-Unis doit maintenant commencer à définir une stratégie pour la suite à donner à la libération prometteuse de Mossoul. Quand bien même Daech perdrait le contrôle de ce territoire, son emprise idéologique demeurera sur des communautés sunnites entières, mécontentes, dont le mécontentement sera probablement attisé par les problèmes humanitaires et de reconstruction qui font suite à une grande opération de combat. Daech semble s’y préparer, comme en atteste une déclaration dans laquelle le groupe affirme qu’il ne « combat pas pour un territoire » mais qu’il est plutôt prêt à reprendre ses tactiques de guérilla, et il appelle ses partisans à attaquer les ennemis du groupe à l’étranger (The Economist, juillet 2016).

7

Page 11: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

E. LA SYRIE

36. La permission octroyée en juillet 2015 d’utiliser des bases aériennes de la Turquie et la présence jusqu’en juin 2016 du porte-avions USS Dwight D. Eisenhower et de son escorte dans le Golfe apportent un soutien considérable à la campagne aérienne des États-Unis en Syrie. L’USS Harry Truman, qui a été relevé en juin 2016 dans le cadre de l’opération Inherent Resolve des États-Unis, a établi un record pour les porte-avions en termes de sorties et de bombardements dans la lutte contre Daech, avec 2 054 sorties au combat en huit mois de mission (LaGrone, 2016).

37. La cible principale est le nord-est de la Syrie, où la coalition se déplace pour isoler Daech à Raqqa. Pour la coalition, il est particulièrement important de pouvoir continuer de restreindre les mouvements des militants de Daech de part et d’autre de l’Euphrate, et entre la Syrie et l’Iraq. En juillet, Manbij, un centre de commandement de Daech en Syrie, indispensable pour son accès à la frontière turque, a été nettoyé. Les frappes aériennes de la coalition, ainsi que l’appui-feu et l’appui d’artillerie soutenus des forces armées turques de février à juillet 2016, ont entraîné des pertes considérables de Daech et la perte de matériel, qui ont grandement contribué au succès de l'opération Manbij. La prise de Manbij a coupé les dernières lignes d’approvisionnement de Daech dans le nord-est de la Syrie.

38. Le fief de Daech à Raqqa subit actuellement une pression de plus en plus forte car à la fois la coalition dirigée par les États-Unis et les forces favorables au régime avancent aux alentours. Ce mouvement de tenailles a forcé Daech à se replier de sa ligne de front du nord de la province d’Alep, en août, pour se concentrer sur la défense de son fief de Raqqa, ce qui a permis à la coalition d’obtenir des gains dans cette province, notamment la ville frontalière clé d’Al-Raï. Le fait que la position stratégique de Daech se soit détériorée ne ramènera vraisemblablement pas ces régions au calme, mais risque au contraire de susciter de nouveaux conflits entre les acteurs locaux et régionaux, ce qui compromettrait les futures avancées de la coalition. Les terres abandonnées par le groupe pourraient bien voir resurgir la rivalité entre les Kurdes de Syrie, les groupes d’opposition et les milices favorables au régime, et devenir le théâtre d’une bataille géographique entre la coalition dirigée par les États-Unis et la campagne menée par la Russie à l’appui de l’Armée arabe syrienne. Ces conflits pourraient entraver la progression de la coalition internationale anti-Daech en Syrie (Kozak, juin 2016).

39. À la fin du mois d’août, les forces armées turques, bénéficiant du soutien aérien des États-Unis, sont entrées en Syrie pour repousser les avancées de Daech à proximité de la ville frontalière de Jarabulus. Outre cette action contre Daech, la Turquie cherchait également à chasser de ses frontières les forces kurdes, qu’elle soupçonne d’avoir des liens avec les groupes kurdes de Turquie, qu’Ankara considère comme autant d’organisations terroristes – l’un des principaux éléments venant compliquer la donne est néanmoins le degré de soutien que les États-Unis continuent d’apporter à ces mêmes forces kurdes, en Syrie (Arango et al., août 2016).

40. Au total, Daech a perdu environ 20 % du territoire qu’il occupait en Syrie depuis son apogée de 2015.

F. COOPÉRATION AVEC LES PARTENAIRES ET RÉACTION DE L’OTAN

41. En plus de leurs efforts militaires, les États-Unis mènent depuis deux ans des efforts diplomatiques vigoureux pour rallier, dans le monde entier, des forces supplémentaires contre Daech. Comme on le fait remarquer au commandement central des États-Unis : « [L’opération Inherent Resolve] symbolise également la volonté et la détermination des membres de la coalition à collaborer étroitement avec nos amis dans la région et à faire jouer toutes les facettes nécessaires – diplomatique, informationnelle, militaire et économique – du pouvoir national pour affaiblir et, finalement, détruire l’EI ». Les efforts des États-Unis pour rallier des pays partenaires à

8

Page 12: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

leur campagne contre Daech se développent selon trois axes : par le biais d’une collaboration avec les alliés régionaux ; par le bais des Nations unies (via le Conseil de sécurité et d’autres agences) ; et enfin par le biais d’alliés traditionnels et sûrs (principalement l’OTAN).

42. Depuis le début de ces efforts, les États-Unis sont parvenus à rallier 40 pays à la coalition contre Daech. Tous les États membres de l’OTAN apportent leur contribution, sous une forme ou une autre, certains plus que d’autres. C’est ainsi, par exemple, qu’au lendemain des attentats terroristes de Paris en novembre 2015, le président de la République française François Hollande a annoncé que la France s’apprêtait à envoyer le porte-avions Charles de Gaulle (26 chasseurs) et son escorte pour accélérer la cadence des opérations contre Daech dans le ciel d’Iraq et de Syrie, baptisant cette nouvelle mission opération Chammal. Le Royaume-Uni a pour sa part lancé l’opération Shader en septembre 2014, incluant désormais la Syrie dans sa campagne aérienne. La Turquie s’est jointe à la coalition mondiale avec l’opération Martyr Yalçin.

43. En 2016, presque tous les coalisés, en particulier la France, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Canada, ont accepté de renforcer leurs contributions à la campagne dirigée par les États-Unis. Le secrétaire à la Défense des États-Unis Ashton Carter a signalé en février que les États-Unis recherchaient de nouvelles contributions alliées en matière de soutien aérien, d’aide pour former, conseiller et appuyer les forces iraquiennes, et de ressources financières pour la reconstruction des villes détruites.

44. Presque immédiatement, les ministres de la Défense de l’OTAN ont approuvé l’idée d’un plan d’utilisation des AWACS de l’OTAN pour aider certains Alliés à libérer leurs propres AWACS afin de mieux contrôler l’espace aérien au-dessus de l’Iraq et de la Syrie dans le cadre des campagnes aériennes en cours. L’OTAN a en outre signalé qu’elle élargirait son aide en matière d’intelligence, de surveillance et de reconnaissance (ISR) à la Turquie pour mieux contrôler les 912 km de frontière qu’elle partage avec la Syrie.

45. L’OTAN renforce actuellement les capacités de défense régionale en certains endroits de la Jordanie et de la Turquie. Les efforts en cours pour aider l’Iraq s’articulent autour de cinq axes : lutte contre les engins explosifs improvisés/déminage, planification civile et militaire, plans civils d’urgence, réforme du secteur de la sécurité et cyberdéfense. L’aide actuelle à l’Iraq implique 350 officiers de ce pays et se déroulera en Jordanie. La Jordanie a par ailleurs demandé le soutien de l’OTAN pour améliorer ses structures et procédures de gestion des crises. Une équipe consultative et de soutien supplémentaire a été déployée à cet effet.

46. Au sommet de Varsovie, l’OTAN a indiqué avoir l’intention d’entamer des activités de renforcement des capacités également en Iraq. Si le plan théorique a été confirmé par les chefs d’État et de gouvernement à Varsovie, les détails de la mission devraient quant à eux être déterminés au cours des ministérielles Défense du mois d’octobre, qui permettront également de donner les orientations et autorisations nécessaires pour chacun des axes d’effort de ce renforcement des capacités. La décision de l’OTAN de s’engager plus avant dans les activités de réforme du secteur de la sécurité de pays comme l’Iraq a été appréciée par bon nombre des États membres qui jouent un rôle prépondérant dans le cadre de l’opération Inherent Resolve.

47. Au mois d’août 2016, la coalition a effectué 14 198 frappes aériennes, dont 9 411 en Iraq et le reste (4 787) en Syrie (BBC, août 2016). Au 31 mai 2016, 26 374 cibles avaient été détruites. Depuis le 8 août 2014, les États-Unis ont dépensé 7,5 milliards USD dans les opérations militaires de lutte contre Daech, soit en moyenne 11,7 millions USD par jour (McInnis, août 2016). En juillet 2016, Ashton Carter, secrétaire à la défense des États-Unis, a rencontré les ministres de la défense des pays membres de la coalition dans le cadre de l’opération Inherent Resolve pour examiner les campagnes à venir visant à prendre les deux villes essentielles que sont pour Daech Mossoul et Raqqa ; au cours de la réunion, plusieurs des coalisés ont accepté d’accroître leurs contributions à la lutte, et les échanges se sont concentrés sur les plans de stabilisation et de gouvernance après la défaite de Daech. En juillet également, le secrétaire d’État John Kerry a tenu

9

Page 13: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

une autre conférence, au Département d’État, pour reccueillir au moins 2 milliards USD d’aide humanitaire auprès de pays donateurs afin d’aider l’Iraq dans le processus de reconstruction au lendemain du retrait de Daech (Tilghman). Le Département d’État a annoncé qu’il avait réuni 2,1 milliards USD, ce à quoi les Washington a ajouté 310 millions d’aide supplémentaire (Baldor, juillet 2016).

IV. INTERVENTION DE LA RUSSIE

48. Au premier semestre 2015, après quatre années de combats intensifs sur plusieurs fronts, l’Armée arabe syrienne était sur la défensive et reculait régulièrement. Le régime de Bachar al-Assad a alors demandé officiellement ce que la Russie a appelé une aide militaire directe à Moscou. L’intervention militaire russe a débuté le 30 septembre 2015, avec le déploiement d’un contingent de 30 aéronefs à voilure fixe et de 20 hélicoptères (transport et attaque) dans le but de fournir aux forces du régime syrien et de ses alliés10 sur le terrain le soutien aérien nécessaire pour reprendre l’offensive. À la fin du mois, un centre d’information conjoint a été établi par les gouvernements iranien, iraquien, russe et syrien afin de coordonner les opérations sur le théâtre des combats11 (CNN, 2015).

49. Avant son intervention, la Russie apportait déjà au gouvernement et à l’armée syriens des moyens financiers, des armes et un soutien diplomatique. Le 11 octobre 2015, le président russe Vladimir Poutine a déclaré que l’intervention militaire directe de son pays en Syrie avait pour but de « stabiliser le pouvoir légitime et de créer les conditions d’un compromis politique » (Shakdam, 2016). D’après le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, la Russie a invité les États-Unis à prendre part à sa campagne, mais n’a reçu qu’une « réponse peu constructive » (RT, 2015 ; Parfitt, 2015a; Al-Arabiya 2016).

50. La première série d’attaques russes ciblant des groupes de l’opposition s’est déroulée le 30 septembre 2015 dans les régions de Homs et de Hama. Les frappes aériennes russes ont touché des positions rebelles dans les provinces de Homs, Hama et Kuneitra (BBC News, 2015; Reuters, 2015a). Elles étaient également dirigées sur des positions de Daech dans le gouvernorat de Raqqa (Reuters, 2015b). Parallèlement, les frappes aériennes russes ont touché les positions de l’Armée syrienne libre et d’autres forces modérées soutenues par les États-Unis à Alep et aux alentours, ce qui a suscité les protestations de Washington (Mekhennet, 2014).

51. À la mi-octobre 2015, la Russie a doublé le nombre de ses aéronefs opérant en Syrie pour le porter à 60. Le rythme de l’opération russe est alors passé d’environ 20 sorties par jour à 100 à la mi-novembre. À ce moment-là, la Russie a également commencé à déployer des moyens stratégiques, comme des bombardiers à long rayon d’action Tu-22M3, Tu-160 et Yu-95 depuis le sud de son territoire (Bodner, 2015). Officiellement, l’entrée en scène de ces bombardiers se justifiait par la destruction, le 31 octobre, d’un avion commercial russe au-dessus de l’Égypte, destruction revendiquée par Daech pour punir la Russie de son intervention en Syrie. Qui plus est, après qu’un F-16 turc a abattu, le 24 novembre, un chasseur russe Su-24M dans l’espace aérien de la Turquie, la Russie a déployé des systèmes S-400 à Lattaquié, pour fournir à ses forces une défense aérienne couvrant la majeure partie de la Syrie.

52. La Russie a également envoyé des navires de guerre au large de la côte syrienne. Le croiseur lance-missiles Moskva fait partie de ce contingent naval. Il est équipé de systèmes de défense sophistiqués qui couvrent la majeure partie du territoire syrien et une partie de la Turquie. Le sous-marin russe Rostov-on-Don a en outre procédé à des tirs de missiles de croisière Kalibr contre des cibles en Syrie début décembre (Bodner, 2015).

10 Le Hezbollah, la force iranienne Al Qods des gardiens de la révolution, les milices chiites étrangères des pays alliés et les forces syriennes locales opérant dans les territoires contrôlés par les rebelles

11 Les milices chiites du Hezbollah libanais soutiennent aussi les opérations.

10

Page 14: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

53. Le 1er décembre 2015, The Times a signalé que la Russie se préparait à étendre ses opérations militaires en Syrie en ouvrant la base aérienne d’al-Shayrat proche de la ville de Homs (Parfitt, 2015b). Le rôle de Moscou a été qualifié de crucial dans la reconquête, le 24 janvier 2016, par le régime syrien de Rabia, dernière grande ville aux mains des rebelles dans la province de Lattaquié (BBC News, 2016). Cette dernière offensive menace les lignes d’approvisionnement des rebelles provenant de Turquie.

54. Tout au long du mois de février 2016, les frappes aériennes russes ont aidé les forces du régime de Bachar al-Assad et les milices soutenues par l’Iran à reprendre des territoires au nord d’Alep à des groupes d’opposants, coupant ainsi en grande partie une route d’approvisionnement entre la Turquie et les groupes d'opposition d’Alep. Les forces du régime de Bachar al-Assad se sont emparées de territoires au sud et à l’est d’Alep, ainsi qu’au nord, et encerclent la ville.

55. Le 14 mars 2016, à la veille de la reprise des pourparlers de paix à Genève, le président Vladimir Poutine a proclamé la fin de l’opération russe en Syrie, estimant à 480 millions USD, soit environ 3 millions USD par jour, le coût total de celle-ci, provenant principalement du budget de formation des forces armées. En dépit de la fin officielle de cette opération, la Russie conserve ses infrastructures en et en dehors de la Syrie, pour pouvoir revenir rapidement sur le théâtre des opérations. Le président Poutine a déclaré : « Si nécessaire, la Russie peut accroitre juste en quelques heures sa présence dans la région en fonction des exigences de la situation et utiliser tout l’arsenal de capacités à notre disposition » (Bodner, 2016).

Faux retrait

56. Depuis le mois de mars, l’intervention russe en Syrie s’est transformée en une alternance entre fausses promesses de retrait et de cessez-le-feu, le tout associé à la réalité d’une campagne militaire continue et intense. L’intervention russe en Syrie se poursuit et inclut des frappes aériennes, des avis militaires, des entraînements, l’amélioration d’infrastructures militaires et, récemment, un accord entre les deux alliés visant à ce que l’aviation russe poursuive ses activités en Syrie indéfiniment.

57. En mars, la Russie a bien retiré quelques avions, mais son empreinte en Syrie reste forte. Le Kremlin a maintenu sa présence navale à Tartous ainsi que plusieurs dizaines d’avions à réaction sur sa base aérienne de Hmeimim, à proximité de Lattaquié, et environ 1 000 conseillers militaires ; Moscou dispose également d’une nouvelle base aérienne, à Palmyre, qui abrite le système antiaérien sophistiqué Pantsir-S1, des hélicoptères d’attaque et des dépôts de ravitaillement. Les puissants missiles antiaériens S-400, qui restent sur la base de Lattaquié, peuvent être déployés à tout moment et ils maintiennent un périmètre considérable de défense aérienne en Méditerranée orientale. Outre son importante présence infrastructurelle, la Russie semble avoir pris en main les missions conjointes qu’elle effectue avec la Syrie et qui sont conduites « aux conditions russes » (The Economist, May 2016).

58. Durant tout le mois d’avril et au mois de mai, la Russie a continué d’apporter un soutien aérien et naval aux forces favorables au régime. C’est à ce moment qu’elle a commencé à réorganiser son déploiement militaire et à retirer certains appareils de la base aérienne de Hmeimim, près de Lattaquié, tout en déployant des hélicoptères supplémentaires, en particulier dans la bataille d’Alep, ainsi qu’à développer une nouvelle base près de Palmyre. À Alep, la Russie a fourni un soutien aux forces du régime qui tentaient d’encercler et d’assaillir l’opposition syrienne (Casagrande, 2016). Malgré tout, entre le 4 et le 11 mai, la Russie est apparue dans le conflit comme un arbitre international constructif lors d’une série d’accords partiels de cessez-le-feu, négociés sous l’égide de Moscou et de Washington. Lorsque les cessez-le-feu ont expiré, le 12 mai, les frappes aériennes ont repris. Les attaques se sont poursuivies dans diverses régions, notamment la Ghouta, autour de la capitale syrienne, et Idleb, où les frappes auraient visé des hôpitaux (Ensor). En mai, la Russie a également effectué des raids aériens à Lattaquié, en réponse à une présence accrue de Daech. Moscou a déclaré viser les « terroristes »,

11

Page 15: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

dont elle donne une définition large cadrant avec la description générale que fait le régime de tous les opposants d’al-Assad.

59. Fin juin, l’administration Obama a proposé à la Russie un partenariat militaire en Syrie. Il s’agissait pour les États-Unis de mener une campagne aérienne coordonnée contre Daech et le Front Fatah al-Sham (anciennement Front al-Nosra). En échange, la Russie aurait accepté d’amener le régime à cesser de frapper les zones détenues par des groupes d’opposition soutenus par les États-Unis (Rogin, 2016). En Syrie, il est difficile de délimiter de telles zones étant donné que les groupes extrémistes et d’opposition partagent souvent les mêmes territoires. L’accord est problématique de bien d’autres façons : il est par exemple formulé de telle manière qu’il ne précise pas les méthodes d’attaques interdites, qu’il ne mentionne pas de clauses de sauvegarde en cas de « menace imminente » ou « autres circonstances » et qu’il omet de décrire les conséquences d’un non-respect (Rogin, 2016). Son utilité dans le conflit est donc contestable, et d’ailleurs, en juin et en juillet, la Russie a poursuivi sa campagne aérienne contre l’opposition syrienne dans l’ouest du pays, et notamment à Alep. Elle visait la dernière ligne d’approvisionnement de l’opposition dans la ville. Également en juin, il a été signalé que la Russie était accusée de larguer des bombes incendiaires (RBK-500 ZAB 2.5SM) sur des villes syriennes, ce qui constitue une violation flagrante des engagements qu’elle a pris au titre du droit international humanitaire, d’autant que bon nombre des victimes étaient des civils (Ensor, 2016).

60. Le rythme des attaques russes a ralenti à la mi-juillet, mais Moscou a continué d’avoir recours à des attaques ciblées et à des munitions incendiaires à l’appui de la campagne menée à Alep par le régime. Le 28 juillet, la Russie a permis aux forces favorables au régime de finir d’encercler Alep, isolant ainsi la principale région occupée par des forces d’opposition non djihadistes dans le nord de la Syrie. De telles avancées menacent la survie à long terme des groupes d’opposition traditionnels pouvant être des partenaires face à Daech et au Front Fatah al-Sham (Kozak, juillet 2016). Cela ôte à la campagne la prétendue justification avancée par la Russie, à savoir combattre Daech. En outre, Moscou a intensifié les bombardements sur Homs et sur la périphérie est de Palmyre, qui s’avérera essentielle pour le régime lors du lancement de futures opérations à l’est de la Syrie.

61. Le 6 août, les forces d’opposition ont mis fin au siège d’Alep, ce qui aurait conduit à une recrudescence de l’utilisation d’armes incendiaires à Idleb (Human Rights Watch). Le 9 août, Poutine a soumis à la Douma d’État, pour ratification, un accord syro-russe prévoyant le déploiement en territoire syrien d’un groupe d’aviation des forces aériennes russes. Cet accord, qui a été conclu pour une durée indéterminée, permet à la Russie d’importer en Syrie et d’exporter de Syrie les moindres armes, munitions, équipements et matériels dont le groupe d’aviation pourrait avoir besoin pour accomplir ses missions, et d’assurer la sécurité et les activités vitales du personnel. Il réserve à la Russie le droit d’utiliser gratuitement et à perpétuité la base aérienne de Lattaquié, et il débouchera probablement sur l’agrandissement des infrastructures temporaires actuelles de la Russie sur cette base. Le 16 août, la Russie a annoncé qu’elle avait passé un accord lui permettant d’utiliser des bases aériennes iraniennes pour pouvoir réduire la distance que doivent parcourir les bombardiers à long rayon d’action, et donc de disposer d’une puissance de feu accrue dans le conflit syrien et de bénéficier d’une bien plus grande flexibilité sur le plan militaire. Ce privilège lui a depuis lors été retiré par Téhéran suite à des allégations selon lesquelles Moscou aurait été indiscrète à propos de cet accord.

62. Au moment de la rédaction du présent rapport, un autre cessez-le-feu a été négocié entre la Russie et les États-Unis à la lumière de l’accord militaire annoncé en juin par l’administration Obama. Il devait entrer en vigueur à la mi-septembre. Il reste à voir jusqu’à quel point les parties, quelles qu’elles soient, respecteront l’accord.

12

Page 16: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

A. LES MOTIFS DE L’INTERVENTION RUSSE

63. Les motifs de l’intervention russe sont relativement clairs. En premier lieu, la Russie considère le maintien d’un régime ami au Moyen-Orient comme essentiel à la projection de sa puissance dans la région et à la défense de son pouvoir d’influence dans le monde. Le soutien au régime de Bachar al-Assad permet à Moscou d’avoir son mot à dire dans l’issue du problème mondial le plus pressant du moment. Deuxièmement, la Russie est capable de former une coalition de puissances régionales au Moyen-Orient s’inscrivant résolument contre une position d’hégémonie des États-Unis dans la région et donc de saper l’influence de ces derniers dans le cadre d’autres problèmes clés de la région. Troisièmement, la Russie a profité de son intervention en Syrie pour tester les forces russes récemment modernisées, et leur doctrine davantage axée sur des capacités expéditionnaires. La Russie a mené une opération conjointe à un rythme soutenu pendant 167 jours, une première à une telle distance de ses frontières depuis l’époque de l’Union soviétique. Quatrièmement, la Russie a pu faire étalage de ses nouveaux équipements aux yeux d’acheteurs potentiels, ce qui explique l’envoi de bombardiers à long rayon d’action et le tir de missiles de croisière vers un théâtre d’opérations situé à plus de 1 000 km, alors que la situation ne l’exigeait pas vraiment. Cinquièmement, bien que ce soit une priorité secondaire des combats qu’elle mène en Syrie, éliminer Daech et l’influence qu’il exerce dans les territoires russes de Caucase du Nord était un motif de poids de la campagne russe en Syrie. Entre juin 2014 et décembre 2015, le nombre de combattants étrangers rejoignant les rangs de Daech depuis la Russie et l’Asie centrale a augmenté de 300 % (Soufan Group, 2015) et ils seraient actuellement, selon les estimations, 2 700 ; le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Oleg Syromolotov, a fait savoir que 160 ressortissants russes étaient morts en Syrie et en Iraq alors qu’ils combattaient aux côtés de Daech (Radio Free Europe, 2016). C’est très préoccupant pour Moscou, qui craint que cela n’alimente l’insurrection qui agite sa majorité musulmane du Caucase du Nord.

V. RÉSULTATS DES CAMPAGNES

A. RUSSIE

64. La campagne russe semble avoir été très efficace, puisqu’elle a atteint son objectif de renforcement de la position du régime de Bachar al-Assad. Depuis le début de l’intervention russe, l’équilibre des forces est sans aucun doute de nouveau en faveur de Damas, le gouvernement syrien contrôlant environ 40 % du territoire et les groupes kurdes, Daech et les autres groupes d’insurgés en occupant chacun 20 % (Zraick, 2016). Alors que les États-Unis ont déclaré à de nombreuses reprises qu’il n’y a pas de solution militaire au conflit syrien, mais seulement une solution politique, l’intervention de la Russie aux côtés de Bachar al-Assad semble faire pencher la balance en faveur du régime, alors que les pourparlers de paix visent une issue politique stable.

B. COALITION DIRIGÉE PAR LES ÉTATS-UNIS

65. À ce jour, les frappes aériennes des États-Unis ont entraîné à elles seules la mort d’environ 25 000 combattants de Daech en Syrie et en Iraq. Cinquante pour cent du territoire occupé par Daech en Iraq a été repris, ainsi que 25 % en Syrie. Les frappes aériennes ciblant, dans au moins dix dépôts différents, des réserves en espèces ont en outre détruit plusieurs dizaines de millions de dollars qui étaient tombés aux mains de Daech, forçant ce dernier, d’après les témoignages, à réduire parfois de moitié les salaires de ses combattants (Cooper, 2016). Les lignes d’approvisionnement stratégiques reliant les principaux centres opérationnels de Daech en Syrie ont en outre été reprises.

66. L’opération Tidal Wave II a réduit d’un tiers les revenus pétroliers de Daech, dont les difficultés financières sont encore aggravées par la chute mondiale des cours du pétrole. La perte de contrôle de points de passage essentiels sur la frontière de la Syrie avec la Turquie a également de graves conséquences pour le groupe terroriste.

13

Page 17: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

67. En mars, les attaques ciblées de la coalition dirigée par les États-Unis ont en outre entraîné la mort du numéro deux et du « ministre » de la Guerre de Daech et, en août, elles ont entrainé celle d’Abou Mohammed al-Adnani, l’un des fondateurs du groupe et le visage de la campagne de propagande de l’organisation, dans le cadre d’opérations visant à éliminer les dirigeants de l’organisation terroriste (Muñoz, 2016). Selon une estimation récente des services de renseignement états-uniens, le nombre de combattants de Daech en Iraq et en Syrie a diminué d’au moins 20 % en raison des morts et des désertions. Daech cherche donc des théâtres d'opération différents pour ses forces.

C. L’INQUIÉTANTE VARIABLE IRANIENNE

68. Ces derniers mois, la Russie et l’Iran ont coopéré de plus en plus étroitement dans leurs campagnes de soutien au régime syrien. Leur coopération a atteint son summum en août lorsque l’Iran a permis à la Russie d’utiliser sa base aérienne de Hamadan pour sa campagne militaire en Syrie. C’est la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale que l’Iran accorde à un autre pays un tel accès privilégié à son sol.

69. Les intérêts stratégiques des deux pays se rejoignent quant au maintien de la position d’al-Assad en Syrie. Aider à maintenir celle-ci crée une réalité géopolitique qui favorise directement les intérêts iraniens tout en desservant ceux des États-Unis. Tout comme la Russie, l’Iran désire un monde multipolaire, avec une empreinte états-unienne nettement réduite. L’alignement iranien sur la Russie et la Syrie en est l’illustration.

70. De plus, l’Iran apporte un soutien de longue date à la Syrie, celui-ci datant en effet des premiers jours de la révolution iranienne : avoir en Damas un solide allié permet à Téhéran d’avoir un accès direct aux armes et aux fonds de son mandataire régional au Liban, le Hezbollah, ce qui, par extension, lui permet d’avoir son mot à dire dans le conflit continu arabo-israëlien (Milani, 2016). Par ailleurs, le soutien de Téhéran à Damas s’inscrit dans le cadre de l’ambition de l’Iran dans la région, à savoir contrebalancer la suprématie de l’Arabie saoudite et appuyer sa propre sphère d’influence parmi les groupes chiites. Alliée à Damas, Beyrouth et Bagdad, Téhéran peut contrebalancer l’influence des Saoudiens dans le Golfe. Ce « croissant chiite » serait fortement compromis si al-Assad venait à tomber. Pour atteindre ses objectifs stratégiques et maintenir al-Assad en place, il lui est donc essentiel de collaborer avec Moscou. Les opposants d’al-Assad sont soutenus par des nations puissantes comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, face auxquelles la Russie représente un important contrepoids.

71. La coordination Iran-Russie s’est récemment partiellement intensifiée suite au mécontentement de l’Iran face à la lenteur avec laquelle progresse la mise en œuvre de l’accord sur le nucléaire que l’Iran a signé l’an passé avec le P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies plus l’Allemagne). Tandis que l’Iran s’est efforcée de démanteler ses réacteurs et de permettre à des inspecteurs d’accéder à ses installations nucléaires, elle s’aperçoit que la levée des sanctions à son encontre est un lourd processus, qui continue de dissuader les investissements étrangers. Avec de telles inégalités, les Iraniens ont de plus en plus l’impression que les États-Unis se servent des sanctions restantes pour empêcher l’Iran de bénéficier des avantages liés au respect de ses obligations dans le domaine du nucléaire (The Economist, 2016). Si cette lenteur persiste, l’Iran pourrait chercher des alternatives à une détente avec les États-Unis, tout particulièrement si les modérés, qui ont soutenu l’accord sur le nucléaire, sont discrédités par l’apparente incapacité de cet accord à procurer des avantages.

72. Tout cela complique la position de l’Iran dans la lutte contre Daech. Les États-Unis et l’Iran ont tous deux un intérêt stratégique à vaincre Daech et disent souhaiter coopérer à cette fin. Encore faudrait-il activement tirer parti de cette situation ; l’Iran ne participe pas à la coalition internationale contre Daech et le pays a été exclu des conférences internationales sur la façon de venir à bout du groupe (Esfandiary et Tabatabi, 2015). À la place, il s’est allié avec la Russie et la

14

Page 18: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

Syrie, deux pays qui ne considèrent ni l’un ni l’autre Daech comme le principal ennemi. Certains analystes estiment d’ailleurs qu’al-Assad, assisté en cela par Poutine, favorise l’essor de Daech afin que son régime apparaisse, par comparaison, comme une solution modérée et souhaitable (Tierney, 2015). Les pays de l’OTAN auraient tout intérêt à inverser la tendance pour faire en sorte que l’Iran voie les avantages de l’accord sur le nucléaire et pour l’empêcher de s’orienter davantage vers la Russie sur le plan diplomatique, tout en cherchant des domaines de coopération dans la lutte contre Daech, ce qui est essentiel pour vaincre le groupe.

VI. AUTRES CAMPAGNES CONTRE DAECH : AFGHANISTAN ET LIBYE

A. DAECH EN AFGHANISTAN (EIIL-K)

73. En janvier 2015, dans les quatre à cinq districts de la province de Nangarhâr où un petit contingent de Daech s’était établi – se faisant appeler EEIL-Khorasan (EEIL-K), Daech se serait livré à des attentats suicide, à des attaques à l’arme légère ainsi qu’à des enlèvements de civils et de membres des forces nationales afghanes (UN, 2015a).

74. En octobre 2015, les préoccupations suscitées par l’EIIL-K se sont considérablement accrues, le commandant de la Mission Resolute Support et des forces des États-Unis en Afghanistan (USFOR-A) John F. Campbell déclarant que l’organisation terroriste était passée du stade « embryonnaire » à celui d’« émergent sur le plan opérationnel » (US DoD, 2015). Face à cette situation, début 2016, le président Obama a octroyé à l’USFOR-A l’autorisation supplémentaire de mener des opérations offensives contre Daech en Afghanistan. La campagne aérienne contre des zones où l’organisation est présente s’est alors fortement accrue.

75. La défection de certains commandants talibans de haut niveau pour rejoindre l’EIIL-K a par ailleurs suscité l’attention. Deux d’entre eux, Rauf Khadem et Hafeez Saeed Khan, se sont ainsi ralliés à l’organisation, le premier en tant gouverneur de la soi-disant province de Khorasan et le second en qualité de gouverneur adjoint. Ils ont alors collaboré à la création de nouvelles cellules de recrutement dans la province de Nangarhâr (Osman, 2015). Peu après son implantation, l’EIIL-K a toutefois subi un revers majeur lorsque Khadem a été tué par un drone américain. La présence de Daech en Afghanistan se limite pour l’essentiel à des combattants étrangers et à un petit groupe de talibans, bien que certains de ses attentats s’avèrent relativement meurtriers. Comme dans d’autres régions où il sévit, Daech en Afghanistan fait preuve de sectarisme dans le choix des cibles qu’il privilégie pour ses attaques. En juillet 2016, 80 Afghans de la communauté chiite hazâra ont été tués en Afghanistan dans un attentat à la bombe. C’est à ce jour l’attentat le plus meurtrier qu’ait commis l’EIIL-K dans ce pays. L’attaque s’est produite sur fond d’une importante offensive lancée par l’armée afghane et les forces spéciales des États-Unis contre le bastion du groupe dans l’est du pays. Cette offensive témoigne de la présence accrue des forces spéciales des États-Unis en Afghanistan depuis juillet. Au moins dans les provinces de l’est du pays, cette nouvelle campagne états-unienne a ramené le nombre de combattants de Daech de 3 000 à environ 1 500 (Suster).

B. UN FRONT LIBYEN POTENTIEL

76. Nombreux sont ceux qui, dans le cadre de la campagne internationale contre Daech, souhaitent l’ouverture d’un nouveau front en Libye. D’après des responsables du département de la Défense des États-Unis, le nombre de combattants de Daech opérant en Libye augmente très rapidement. En février 2016, il oscillait entre 5 000 et 6 500, soit deux fois plus en l’espace de quelques mois à peine. Daech donne apparemment pour consigne à ses nouvelles recrues de se rendre en Libye plutôt qu’en Syrie ou en Iraq, afin de contribuer à établir la présence du groupe dans ce pays (The Economist, juillet 2016). Daech a apparemment envoyé plusieurs responsables de haut niveau en Libye pour aider à structurer et à étendre sa nouvelle présence dans ce pays (Wehrey, 2016).

15

Page 19: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

77. Au printemps, Daech contrôlait un peu plus de 100 km de côte libyenne autour de Syrte et maintenait une présence opérationnelle dans les capitales des deux gouvernements antagonistes du pays, l’un basé à Tripoli et l’autre à Benghazi, ainsi que dans toutes les grandes villes libyennes. Alors que les gouvernements rivaux aux deux extrémités de la côte libyenne ne parviennent toujours pas à trouver un terrain d’entente et à unir le pays, Daech profite de l’instabilité résultant de l’absence d’une gouvernance stable pour mener une campagne sophistiquée sur plusieurs fronts contre les installations pétrolières libyennes (Gambhir, 2016). En avril, craignant que la présence de Daech en Libye n’augmente et qu’elle ne commence à représenter une menace pour la Tunisie, l’envoyé spécial des Nations unies, Martin Kobler, a appelé les forces occidentales à aider à combattre le groupe en coopération avec le nouveau gouvernement du pays. Cet appel venait en réponse à une intensification des attaques de Daech contre les champs de pétrole libyens. À l’heure actuelle, la présence de Daech se fait sentir à Fida, Maradah et Zillah, dans le bassin de Syrte, ainsi que dans la ville d’Awbari, dans le sud-ouest (Stephen et Wintour).

78. En août, le gouvernement d’union nationale libyen parrainé par les Nations unies a demandé aux États-Unis de fournir un soutien aérien aux forces libyennes pour une offensive contre la ville de Syrte. L’opération a permis de reprendre le dernier bastion de Daech en Libye. Des drones et des avions de chasse américains ont effectué 29 frappes, contre plusieurs emplacements de Daech et un véhicule lance-roquettes. À cela sont venus s’ajouter des affrontements qui ont permis de reprendre la ville de Sabratha, à l’ouest, en février. Le groupe continue toutefois de contrôler les quartiers résidentiels de Syrte, où les forces libyennes avaient auparavant eu des difficultés à progresser dans des combats de maison en maison.

79. La chute de Syrte est un revers majeur pour Daech et un énorme coup de pouce pour le gouvernement parrainé par les Nations unies, qui a eu du mal à imposer son autorité face à la résistance persistante de groupes armés (Al Jazeera, août 2016). Tout comme en Iraq et en Syrie, les bons résultats de la coalition dans la lutte contre Daech ont cependant mis en évidence une question bien plus compliquée : que faire après Daech ? L’idéologie insidieuse du groupe sera bien plus difficile à combattre que son contrôle territorial et elle exigera une approche plus réfléchie. Daech continue de recruter en Afrique du Nord et « crée une véritable armée djihadiste africaine » (Stephen et Willsher). Il est difficile d’arrêter ces recrues car elles empruntent les mêmes itinéraires que les migrants. Aussi le gouvernement d’union nationale parrainé par les Nations unies doit-il examiner ses tactiques pour l’après-Daech et être soucieux d’utiliser ces victoires pour asseoir son autorité grâce à la police d’État et à l’armée plutôt qu’en s’appuyant sur des milices, qui se sont forgé une piètre réputation durant ces cinq dernières années de combat.

VII. ÉVOLUTION DE LA PROPAGANDE DE DAECH ET PERSPECTIVE DE RÉAPPARITION DU GROUPE SOUS UNE NOUVELLE FORME

80. La propagande et les méthodes organisationnelles de Daech sont en pleine transition, en partie suite, ces derniers mois, aux lourdes pertes territoriales du groupe et au décès de plusieurs de ses ténors. Plus de 40 % du territoire de Daech en Iraq a été repris, notamment les villes de Falloujah, Ramadi, Tikrit et Sinjar. En Syrie, Daech continue de perdre du terrain jour après jour ; en août, l’emprise du groupe autour de Jarabulus, à la frontière entre la Syrie et la Turquie, a été brisée. Selon les estimations, Daech a perdu entre 20 et 30 % de son territoire en Syrie (Michaels, 2016). Syrte, capitale « de substitution » du groupe en Libye, a également été reprise.

81. Au-delà des pertes géographiques, le groupe a essuyé un sérieux revers en août lorsque son chef des opérations externes et porte-parole, Abou Mohammed al-Adnani, a été tué par une frappe aérienne états-unienne. Al-Adnani, qui était l’un des ténors du groupe, aurait été pressenti pour remplacer Al-Baghdadi en cas de décès de celui-ci. Il a énormément contribué à repérer les recrues européennes pouvant être entraînées puis renvoyées dans leur pays pour y commettre des attentats. C’est al-Adnani qui a appelé des loups solitaires à perpétrer des attaques contre des

16

Page 20: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

cibles occidentales, ce qui aurait semble-t-il inspiré les auteurs des attentats d’Orlando, d’Istanbul, de Nice, de Dacca et de ceux de Bagdad cette année pendant le ramadan. Ce vide à la tête du groupe, qui sera difficile à combler, pourrait avoir des conséquences négatives sur l’aptitude de Daech à maintenir le nombre de recrues, déjà en baisse cette année.

82. À la lumière de ces revers et d’une défaite probable de Daech dans un avenir proche, le discours et les tactiques du groupe ont manifestement évolué. Avant sa mort, al-Adnani, qui était alors le porte-parole du groupe, avait clairement fait état d’un changement de tactique en annonçant que le groupe ne combattait pas pour un territoire et qu’il se préparait à reprendre des tactiques de guérilla, et il avait expliqué aux partisans de Daech que « la moindre de vos actions au cœur de leurs pays est préférable et plus durable pour nous que ce que vous feriez si vous étiez avec nous » (The Economist, juillet 2016).

83. Le changement de tactique met en exergue un sérieux problème à long terme pour les Alliés. Le cas échéant, la chute de Mossoul et de Raqqa, capitales de Daech, n’annoncera pas la fin du groupe. La menace viendra au contraire d’un groupe djihadiste mondial plus disséminé, qui, comme l’a montré la lutte contre al-Qaïda, est plus difficile à cibler et à éliminer. L’idéologie du groupe ne disparaîtra pas avec son territoire, ce qui soulève une multitude de problèmes internes en termes de lutte contre le terrorisme face aux efforts que déploieront les membres restants du groupe pour relancer Daech sous une nouvelle forme.

VIII. CONCLUSIONS

84. Selon les estimations, il ne faut pas s’attendre à une victoire finale sur le champ de bataille avant 2017 au plus tôt. Qui plus est, les perspectives de paix et de stabilité à long terme en Syrie et en Iraq sont loin d’être prometteuses. Dans le cas de la Syrie, les cessez-le-feu précaires qui se succèdent semblent devoir continuer d’être rompus étant donné que les principaux fauteurs de leur violation sont exclus du cadre des négociations. Le processus de reconstruction en Iraq (forces armées et infrastructures endommagées) exige en outre des investissements massifs continus à long terme : quelles seront les forces capables de préserver le territoire une fois celui-ci à nouveau sous le contrôle du gouvernement central de Bagdad ? Le degré de loyauté envers l’État d’Iraq dans un pays aux divisions ethniques de plus en plus marquées sera difficile à évaluer et seules de réelles réformes au niveau politique permettront à une armée unifiée de sécuriser le territoire.

85. Les membres de la commission de la défense et de la sécurité doivent néanmoins tenir compte de plusieurs considérations :

Faire de la défaite de Daech la priorité absolue – Outre la dynamique enclenchée récemment, il est un fait qu’une intervention directe de forces militaires occidentales qualifiées serait certainement le moyen le plus efficace de vaincre Daech à court terme. Les pays occidentaux n’affichent toutefois aucune volonté politique de s’impliquer dans une nouvelle intervention de grande ampleur au Moyen-Orient. Hormis l’intervention militaire directe, il est clair que les membres de la coalition contre Daech dirigée par les États-Unis sont capables de coordonner et de mobiliser une part plus importante de leur puissance nationale à tous les niveaux : diplomatique, informationnel, militaire et économique.

Réprimer les trafics illicites – Les Alliés peuvent assurément investir beaucoup plus de ressources pour couper les voies d’approvisionnement illicites qui permettent à Daech d’obtenir des fonds, des combattants et des armes. Un investissement dans des services ISR renforcés dans toute la région permettrait d’obtenir une vue plus claire, tandis que la coordination des renseignements (ROHUM – renseignement d’origine humaine, ROEM – renseignement d’origine électromagnétique et ELINT, renseignement technique d’origine électromagnétique appliqué au radar) aiderait certainement à tarir les sources de soutien qui continuent à alimenter Daech.

17

Page 21: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

Faire preuve de créativité pour lutter contre la radicalisation – En dépit des efforts consentis, des milliers de citoyens des pays membres de l’OTAN continuent à rejoindre les rangs de Daech sur le théâtre des opérations ou essaient d’accomplir chez eux - et malheureusement parfois réussissent - le sale travail du groupe terroriste. Les attentats perpétrés en Belgique, en France et en Turquie rappellent le prix élevé que les populations peuvent payer en raison de la dérive de quelques marginaux vers la radicalisation. Il est essentiel de bien comprendre les programmes actuels de lutte contre la radicalisation, car ce n’est qu’ainsi que les législateurs pourront réfléchir de manière plus créative à de nouvelles solutions.

Investir dans les initiatives de renforcement des capacités de l’OTAN – Les Alliés doivent multiplier les efforts visant à conseiller et à former des forces sur le terrain en Iraq. Il est clair que les enseignements tirés de l’Afghanistan peuvent servir de modèle en Iraq et, à terme, en Syrie. La volonté, exprimée par les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’OTAN, de lancer en Iraq un programme de renforcement des capacités est un excellent début ; les travaux visant à définir les grands axes de ce programme sont toujours en cours. Trois propositions sont actuellement sur la table. La première consiste à envoyer des équipes de conseillers directement dans les ministères iraquiens, ainsi qu’à déployer des instructeurs pour aider les militaires et les policiers sur le terrain. Il a fallu près d’un an et demi à l’OTAN pour répondre à la demande du gouvernement de l’Iraq d’obtenir un soutien à la formation de ses forces, ce qui est beaucoup trop long. L’OTAN peut développer sa coopération avec des organisations régionales telles que le Conseil de coopération du Golfe, afin de développer largement son programme de formation, conseil et assistance dans l’ensemble de la région, ce qui pourrait permettre d’éviter que Daech ne réapparaisse sous une nouvelle forme au lendemain de sa défaite sur le terrain en Iraq et en Syrie.

86. Signalons enfin que l’OTAN peut assurément utiliser ses plates-formes de coopération régionale pour étoffer ses efforts en matière d’opérations de lutte contre le terrorisme, ainsi que de sécurité énergétique et maritime.

18

Page 22: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

BIBLIOGRAPHIE

Ackerman, Spencer and Graham-Harrison, Emma, “US airstrikes allegedly kill at least 73 civilians in northern Syria”, The Guardian, 20 juillet 2016

Al-Arabiya, “Erdogan Warns Against Mideast Sectarian Divisions,” 26 décembre 2016Al-Jazeera, “Libyan forces recapture ISIL headquarters in Sirte”, (11 août 2016)Arango et al., “Turkey’s Military Plunges Into Syria, Enabling Rebels to Capture ISIS Stronghold”,

New York Times, 24 août 2016Baldor, Lolita, “Defense, foreign ministers to plan next steps against IS”, Associated Press,

20 juillet 2016BBC News, “Syria bombing: Russia begins Air Strikes against Assad Foes,” 30 septembre 2015BBC, “Syria conflict: Major rebel town ‘seized’ in boost for Assad,” 24 janvier 2016BBC, “Islamic State group: Crisis in seven charts”, 23 août 2016Bodner, Michael, “In Syria, Russia Digs In, Adds Aircraft and Eyes More Bases,” International

Defense News, 14 décembre 2015Bodner, Michael, “Putin Leaves All Options On the Table in Syria: Pullout Puts New Spin on Peace

Negotiations,” International Defense News, 21 mars 2016Casagrande Genevieve, “Russian Airstrikes in Syria: April 19 – May 12, 2016”, Institute for the Study of

War, 13 mai 2016CNN, “Why Russia is Pressing the Accelerate Pedal in Syria,” 15 octobre 2015Coles, Isabel, “Despair, Hardship as Iraq Cuts Off Wages in Islamic State Cities,” Reuters,

2 octobre 2015Cooper, Helene et al., “Allied Fight Against ISIS, and its Cash, Gains Ground,” New York Times,

8 avril 2016EED (Europe Diplomacy and Defence), “The Agence Europe Bulletin ON CSDP and NATO,”

Twice-Weekly Publication No. 874, 17 mars 2016Eljarh, Mohamed, “After ISIS Defeat in Sirte Challenges Remain”, Atlantic Council, juillet 2016Ensor, Josie, “Russia 'caught out' using incendiary weapons in Syria by its own channel Russia Today”,

The Telegraph, juin 2016Esfandiary, Dina and Tabatabi, Ariane, “Iran’s ISIS Policy”, International Affairs, vol. 91, no.1, 2015

https://www.chathamhouse.org/sites/files/chathamhouse/field/field_publication_docs/INTA91_1_01_Esfandiary_Tabatabai.pdf

Gambhir, Harleen, “ISIS’s Campaign in Libya: January 4-February 19, 2016” Institute for the Study of War, 19 février 2016

Gibbons-Neff, Thomas, “Number of foreign fighters entering Iraq and Syria drops by 90 percent, Pentagon says”, Washington Post, avril 2016

Gordon, Michael R. and Schmitt, Eric, “U.S. Steps Up Its Attacks on ISIS-Controlled Oil Fields inSyria,” The New York Times, 12 novembre 2015

Human Rights Watch, “Syria/Russia: Incendiary Weapons Burn in Aleppo, Idlib”, 16 août, 2016Hussein, Mohammed et al., “ISIS Earning $1M per day from Iraqi oil smuggling,” Iraqi Oil Report,

9 juillet 2014HIS Janes, “Islamic State Caliphate Shrinks a Further 12 Percent in 2016”, juillet 2016Klapper, Bradley, “U.S., allies say they're at key moment in fight against ISIS”, Military Times,

21 juillet 2016Kozak, Chris, “The Competing Campaigns Against ISIS in Northern Syria”, Institute for the Study of

War, 10 juin 2016Kozak, Chris, “Russia Airstrikes in Syria: June 29- July 27 2016”, Institute for the Study of War,

28 juillet 2016 LaGrone, Sam, “Harry S. Truman Strike Group Returns from Extended Deployment,” USNI News,

13 juillet, 2016.Laud, Zachary, “Islamic State”, Council on Foreign Affairs, août 2016Lister, Charles, “Evolution of an Insurgency: How Syria was Radicalised,” Foreign Affairs,

14 mars 2016McInnis, Kathleen, “Coalition Contributions to Countering the Islamic State”, Congressional Research

Service Report, 24 août 2016McLeary, Paul, “Afghan, US Commandos Launch Offensive Against ISIS”, Foreign Affairs, 28 juillet

2016,

19

Page 23: 163 DSCTC 16 F - Daech - NATO PA · Web viewC’est en mars 2011 qu’ont débuté les manifestations pacifiques en Syrie, dans la foulée de la vague de soulèvements populaires

163 DSCTC 16 F rév. 1 fin

Mekhennet Souad, “The Terrorists fighting us now? We just finished training them,” The Washington Post, 18 août 2014

Michaels, Jim, “ISIS loses 45 percent of territory in Iraq, 20 percent in Syria”, Military Times, 17 mai 2016

Milani, Mohsen, “Iran and Russia's Uncomfortable Alliance”, Foreign Affairs, 31 août 2016 https://www.foreignaffairs.com/articles/iran/2016-08-31/iran-and-russias-uncomfortable-alliance

Mneimneh, Hassan, “Disentangling the Legacies of ISIS”, Washington Institute, 17 juin 2016Muñoz, Carlos, “Islamic State spokesman and strategist killed in Syria by U.S. airstrike”, Washington

Times, 30 août 2016Osman, Borhan, “The Shadows of ‘Islamic State’ in Afghanistan: What threat does it hold?’ Afghanistan

Analyst Network, 12 février 2015Parfitt, Tom, “Britain has Frozen Us Out, Says Russian Envoy,” The Times, 26 octobre, 2015 (a)

- “Russia builds new base for more jets in Syria,” The Times, 1 décembre 2015 (b)Radio Free Europe, http://www.rferl.org/contentinfographics/foreign-fighters-syria-iraq-is-isis-isil-

infographic/26584940.html, consulté le 12 septembre 2016Reuters, “Russia jets strike Islamic State in Northern Syria: al-Mayadeen TV”, 1er octobre 2015aReuters, “Russian Airstrikes hit CIA-trained rebels, Commander Says”, 1er octobre 2015bRogin, Josh, “Obama proposes new military partnership with Russia in Syria”, Washington Post,

juin 2016RT (Russia Today), “U.S. Refuses to receive PM Medvedev’s delegation to coordinate anti-terrorist

actions in Syria,”, 16 octobre 2015Schmidt, Michael S., “Marine’s Death in a Secret Iraqi Base Reflects a Quietly Expanding U.S.

Role,” The New York Times, 11 avril 2016Schmitt, Eric, “U.S. Officials Met with Belgians on Security Concerns Before Attacks,” The New

York Times, 4 avril 2016Shakdam, Catherine, “Putin’s Syrian Strategy: Not Following Playbook of American Exceptionalism”,

Russia Today (RT), 19 mars 2016Soufan Group, “Foreign Fighters”, décembre 2015,

http://soufangroup.com/wp-content/uploads/2015/12/TSG_ForeignFightersUpdate3.pdfStephen, Chris and Wintour, Patrick, “Libya UN envoy calls for west's help in anti-Isis fight ahead of

summit”, The Guardian, 21 avril 2016Stephen, Chris and Willsher, Kim, “French special forces assisting anti-Isis efforts in Libya, say

sources”, the Guardian, 24 février 2016Stephen, Chris and Wintour Patrick, “Libyan forces claim to have ousted Isis from final stronghold”, the

Guardian, 9 juin 2016Stuster Dana, “U.S. to Deploy More Troops to Iraq for Mosul Offensive”, Foreign Policy, juillet 2016The Economist, “Two Arab Countries Fall Apart,” 14 juin 2014The Economist, "Jihadists on the Run," 2 avril 2016The Economist, “The Withdrawal That Wasn’t”, 14 mai 2016The Economist, “Islamic Stateless?”, 9 juillet 2016The Economist, “Teething pains or trouble ahead?”, 25 juin 2016

http://www.economist.com/news/middle-east-and-africa/21701121-agreement-curb-irans-nuclear-activities-working-it-may-be-more

Tierney, Dominic, “Bashar al-Assad and the Devil’s Endgame”, The Atlantic, 28 septembre 2015Tilghman, Andrew, “This is the Pentagon’s New Strategy to Defeat ISIS,” Military Times,

14 janvier 2016United Nations, “The situation in Afghanistan and its implications for international peace and security,”

Report for the Secretary-General, 10 décembre 2015a (A/70/601-S/2015/942)UNOCHA (Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies).

http://www.unocha.org/syriaUS DoD (Département de la défense des États-Unis), “Enhancing Security and Stability in

Afghanistan,” Report to Congress, décembre 2015Wehrey, Frederick and Lacher, Wolfram, “The Next Front against ISIS: The Right Way to Intervene in

Libya”, Foreign Affairs, 7 février 2016Zraick, Karen and Barnard, Anne, “Syrian War Could Turn on the Battle for Aleppo,” The New York

Times, 12 février 2016

______________________

20