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LITTÉRATURE L'AUTEUR ET SES DOUBLES DIDACTIQUE L'ENSEIGNEMENT- APPRENTISSAGE DE L'ÉCRITURE À L'ÈRE DU 2.0 CHANSON / CINÉMA / ÉCHOS DE LA RECHERCHE EN DIDACTIQUE DU FRANçAIS / ÉDUCATION INTERCULTURELLE ET DIVERSITÉ LINGUISTIQUE / FICHES DE LECTURE / HISTOIRES DE MOTS / NOUVEAUTÉS LITTÉRAIRES / TIC 173 QUÉBEC FRANçAIS 2014 / 10, 95 $ ISBN PDF 978-2-920204-31-7

173 quécBe fRANçAIS€¦ · apprentissage de l'Écriture À l'Ère du 2.0 c h anson / cinÉma / Éc h os de la rec h erc h e en didacti q ue du f ran ç ais / É ducation interculturelle

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L'AUTEUR ET SES DOUBLES

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L'ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE DE L'ÉCRITURE À L'ÈRE DU 2.0

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173 quéBecfRANçAIS

2014 / 10, 95 $

ISBN pdf 978-2- 920204-31-7

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édito

rial

Directrice : Isabelle L’Italien-Savard Vice-directeur : Réal Bergeron

Littératurerédacteur en chef : Vincent Lambert équipe de rédaction et comité de lecture : Marie-Andrée Bergeron, Aurélien Boivin, Maude Couture, Vincent Lambert, Isabelle L’Italien-Savard

DiDactique rédacteur en chef : Réal Bergeronéquipe de rédaction et comité de lecture : Nancy Allen, Réal Bergeron, Christian Dumais, Pascal Grégoire

révision linguistique et préparation des manuscrits : Réal Bergeron, Chrisitan Dumais, Pascal Grégoire, Vincent Lambert, Isabelle L’Italien-Savard, Marie-Michèle Rheault

collaborateurs au numéro Françoise Armand, Alain Beaulieu, David Bélanger, Claire Bélisle, Marie-Andrée Bergeron, Ginette Bernatchez, Suzelle Blais, Aurélien Boivin, Mélissa Boisvert, Guergana Boyadjiéva, Elodie Combes, Annie Côté, Giedo Custers, Christian Dumais, François Dumont, Gabriel Dumouchel, Judith Émery-Bruneau, Vincent Gagnon, Gérald Gaudet, Bertrand Gervais, Pascal Grégoire, Hans-Jürgen Greif, Caroline Hétu, Cécile Kovacshazy, Nathalie Lacelle, Vincent Lambert, Pierre-Luc Landry, Nathalie Langelier, David Leblanc, Denys Lelièvre, Maryse Lévesque, Prune Lieutier, Isabelle L’Italien-Savard, Audrey Mattioli-Thonard, Monique Noël-Gaudreault, Raymond Nolin, Christian Ollivier, Maria Petreus, Anne Peyrouse, Marie-Michelle Poulin, Suzanne

Pouliot, Laurent Puren, David Rancourt, Noëlle Sorin, Pascale Thériault, Karine Thonnard, Michèle Vatz-Laaroussi, Claude Viel

Les collaborateurs sont seuls responsables du contenu de leurs textes.

La revue est membre de la Société de développement des périodiques culturels québécois (sodep)www.sodep.qc.ca.

Fondée en 1970, la revue Québec français est publiée par Les Publications Québec français et paraît trois fois par an.

éditions numériquesvitrine.entrepotnumerique.com/www.erudit.org

La revue est indexée dans Point de repère.

Graphisme : Djanice St-Hilaire

impression : HLN

Québec français reçoit des subventions puisées à même les budgets discrétionnaires du ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport.

Dépôt légalBibliothèque et Archives nationales du Québec / Bibliothèque nationale du Canada ISSN 0316-2052 ISBN PDF 978-2-920204-31-73e trimestre 2014

Secrétariat / publicité / abonnementJulie Veillet2095, rue Frank-Carrel, bureau 212Québec (QC) G1N 4L8

adresse postale C. P. 9185 Québec (QC) G1V 4B1tél. 418-527-0809fax 418-527-4765revue@revuequebecfrancais.cawww.revuequebecfrancais.ca

Considérer l’éducation autrement

marie-andrée bergeron, rédactrice en chef adjointe

Lors du congrès qu’elle a mené les 9 et 10 août dernier, l’aile jeunesse du Parti libéral du Québec a porté une proposition, envers et contre son chef Philippe Couillard, pour l’abolition des collèges, cela en vue de prendre un virage utilitaire et d’orienter la formation de nos jeunes adultes vers l’emploi, les

métiers, les entreprises, en somme : vers l’argent. Car il apparaît qu’il soit impossible maintenant d’envisager l’éducation en dehors de l’idéologie néolibérale, laquelle, il faut le dire, nous avale. Déjà qu’être libéral à 20 ans m’apparaissait incongru (et ce, bien avant le printemps 2012), voilà que ces jeunes gens nous rabâchent les oreilles pour faire de notre jeunesse des ouvriers ou des travailleuses uniquement – et pourquoi pas des machines ! –, mais surtout pas des citoyens et citoyennes doté.es de l’esprit critique qu’il faut pour, parfois, se soulever, briser le consensus et changer le monde. La formation générale obligatoire à tout programme du collégial permet d’envisager le politique autrement. Plus qu’une simple ligne dans un programme électoral, ce que nous proposent les jeunes libéraux, c’est une vision de l’éducation détachée des humanités (j’entends les disciplines des sciences humaines, des lettres et des arts, principalement) et de ce qu’elles permettent d’intégrer en matière de connaissances, de méthodes et de modes d’appréhension du monde. Oui, les humanités sont une loupe à privilégier pour l’ausculter et tenter de l’élucider dans la recherche d’une vérité qui, toute subjective soit-elle, permettrait peut-être de l’améliorer. Mais encore faut-il, pour cela, avoir au moins parfois l’impression d’appartenir à quelque chose qui nous dépasse et qui serait de l’ordre du collectif ; de cet ensemble plus grand que l’on pourrait simplement nommer au moyen de quatre petites lettres : NOUS. Aussi faut-il considérer l’éducation autrement que comme un chaînon de la vaste entreprise capitaliste, mais comme un passage qui forme les esprits indépendants et forge les citoyens et des citoyennes déterminé.es, audacieux et audacieuses.

Ce numéro de Québec français s’articule, comme d’habitude, en deux volets. Le dossier littéraire portant sur « L’auteur et ses doubles » s’inscrit dans le cadre des activités du Festival littéraire Québec en toutes lettres auquel nous participons pour la cinquième année déjà. Le dossier didactique, quant à lui, traite de l’enseignement 2.0, à l’heure du Web et des toujours nouvelles technologies dont le recours permet d’adapter l’enseignement à la réalité des élèves. Encore une fois, le numéro 173 de Québec français a été fabriqué dans l’urgence d’une situation financière plus que précaire et nous vous invitons à parler de la revue à vos ami.es et collègues, pour en assurer la pérennité.

Bonne rentrée !

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es L’auteur et ses doubles

30 Présentation Vincent Lambert

31 Les doubles au XIXe siècle Cécile Kovacshazy

36 Le double fictif ou le jeu des fluidités Mélissa Boisvert

38 Victor-Lévy Beaulieu : à lui-même tout un collectif d’auteurs Gérald Gaudet

41 Des miroirs déformants Le double autofictif dans la littérature québécoise contemporaine David Bélanger

44 N’oublie pas, s’il te plaît, que je t’aime de Gaétan Soucy ou le jeu du miroir Claude Viel

L’écritoire48 Borges et moi

David Leblanc

Lorsque je cherche à habiter le vide Pierre-Luc Landry

50 Une affection particulière... Alain Beaulieu

51 Formes contemporaines de l’identité Bertrand Gervais

Double portrait, Egon Schiele, 1915, aquarelle sur papier.

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Cinéma 4 Deux films à l’âme fragile : Le règne

de la beauté et Le vrai du faux David Rancourt

Chanson 7 Félix : œuvre de mémoire

Denys Lelièvre

Littérature jeunesse 10 Plongées dans le temps

Isabelle L’Italien-Savard

Histoires de mots 14 Revoler exprime, avec plus

d’intensité, certaines valeurs de voler Suzelle Blais

Fiche de lecture - roman16 La lune rouge

de Jean Lemieux ou l’art du suspense Aurélien Boivin

Entrevue19 Comment Angèle Delaunois

a écrit certains de ses albums engagés Monique Noël-Gaudreault

Fiche de lecture - jeunesse21 Une petite bouteille jaune

d’Angèle Delaunois Maryse Lévesque

Échos de la recherche en didactique du français

23 Que veut dire « enseigner la littérature » pour les enseignants de français du secondaire québécois ? Judith Émery-Bruneau

Éducation interculturelle et diversité linguistique

25 Écrire en langue seconde Les textes identitaires plurilingues Françoise Armand, Elodie Combes, Guergana Boyadjiéva, Maria Petreus et Michèle Vatz-Laaroussi

TIC28 Penser la lecture dans un

monde numérique Claire Bélisle

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nouveautés littéraires

dida

ctiq

ue

88 NOUVELLE Gaëtan Brulotte, Collectif belgo-québécois, Agnès Desarthe, Douglas Kennedy POÉSIE Antoine Boisclair (dir.), Michaël Trahan ROMAN Éliette Abécassis, Alessandro Baricco, David Bélanger, Cassie Bérard, Claude Coulombe, Céline Daignault, Sergine Desjardins, Patrick Deville, Cécile Dubé, Marie-Bernadette Dupuy, Jean-Marie Gustave Le Clézio, Geneviève Lévesque, Daniel Poliquin, Léonard Priest, Richard Ste-Marie

L’enseignement-apprentissage de l’écriture à l’ère du 2.0

54 Présentation Pascal Grégoire

56 Littérature numérique : typologie, caractéristiques et écriture collaborative Nathalie Lacelle et Prune Lieutier

58 Le Web 2.0 dans l’enseignement des langues : quelques réflexions Giedo Custers

61 Du bon usage du Web 2.0 ou comment faire rimer innovation technologique avec innovation pédagogique Christian Ollivier et Laurent Puren

64 Lumière sur des expériences d’écriture collaborative Karine Thonnard

66 Écrire avec les TIC : quelques pistes pour la classe de français langue étrangère Audrey Mattioli-Thonard

68 Apprivoiser la reconnaissance vocale et en tirer profit avec les élèves en difficulté

Vincent Gagnon et Pascale Thériault

70 L’écriture collaborative à l’aide des cartes scripturales Proposition d’une approche innovante Gabriel Dumouchel

74 Twittérature et genres Annie Côté

76 La classe inversée à trois vitesses Caroline Hétu

Hors dossier78 Camille Bouchard, passeur de

multiplicité culturelle

Noëlle Sorin et Suzanne Pouliot

Situation d’apprentissage et d’évaluation

81 La création d’aide-mémoires pour favoriser la consolidation du vocabulaire mathématique Projet interdisciplinaire au troisième cycle du primaire Raymond Nolin

84 La lessive d’hiver Situation d’apprentissage pour développer le vocabulaire des élèves de 1ère année Nathalie Langelier et Christian Dumais

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GaudreaultSa bande-annonce et son affiche vous

auront peut-être fait croire à une typique comédie québécoise tonitruante, mais Le vrai du faux d’Émile Gaudreault est un animal plus étrange. Assurément pas un film commercial aussi bien ficelé que De père en flic du même réalisateur, ni un film d’auteur,

Les deux films québécois qu’on examinera sont plutôt différents, au-delà de la parenté superficielle qu’ils ont de donner un rôle à l’acteur Mathieu quesnel. On peut ajouter que leur affiche officielle respective n’est pas la meilleure de l’histoire. À part ça ? Les réalisateurs Denys arcand et émile Gaudreault ont le mérite de ne pas appliquer une recette facile, mais ni Le règne de la beauté ni Le vrai du faux, deux films ambitieux à leur façon, ne s’imposent comme des réussites.

mais un ovni qui essaie de s’inventer un genre quelque part entre les deux. La mission n’est pas accomplie jusqu’au bout, mais c’était presque impossible, unir un si large spectre de comédie et de drame, allant du burlesque le plus grossier à la tragédie.

Bande-annonce imposée par le distri-buteur ou pensée à l’origine par les créa-teurs du film ? D’une manière ou de l’autre, c’est un jeu dangereux, chercher le succès en déformant la nature du produit. Il semble ainsi moins probable que le film trouve vrai-ment son public.

D’un autre côté, cette stratégie est peut-être une extension logique du film, car Le vrai du faux lui-même met en scène un réalisateur (incarné par Stéphane Rousseau) de films à succès au bord du burnout qui, pour se racheter de l’influence néfaste qu’il reconnaît exercer sur le public, s’at-tache à l’idée de faire son prochain film sur le syndrome post-traumatique d’un soldat revenu d’Afghanistan (Mathieu Quesnel), projet au potentiel commercial éminem-ment problématique. Se joindront à la fête la psychologue (Julie Le Breton), l’ex-petite amie (Marie-Ève Milot) et les parents (Guylaine Tremblay et Normand D’Amour)

du soldat, ainsi qu’un futur ex-fonctionnaire pacifiste et végétalien (Charles-Alexandre Dubé).

Il est diff icile de savoir dans quelle mesure le film est réussi et correspond au désir de ses auteurs, vu son deuxième degré assumé et son mélange des genres. On sait que le personnage du réalisateur est lui-même pris entre cinéma commercial et cinéma d’auteur. Dès lors, quand une scène du Vrai du faux ne fonctionne pas bien sur le mode commercial ou sérieux, on se demande : est-ce voulu ? Il y a un ou deux gags d’abord drôles et qui s’étirent en des running gags épuisés, mais est-ce que cela fait partie du concept pour créer le malaise ? C’est possible, car on en a vu, des films et des séries télé (depuis The Office) qui cultivaient la comédie du malaise, et il y a quelque chose de tragique dans un gag qui s’écrase.

Avec Le vrai du faux, nous voilà mis au défi de rire. Le film nous place dans une posi-tion où on pourrait quasiment trouver ridi-cule cet ex-soldat, où rigoler de la misère d’une ville minière « fictive » (appelée Taylor Mines…) devient possible. Je ne sais pas si les scénaristes (Gaudreault et Pierre-Michel Tremblay, dramaturge dont la pièce est à la

Deux films à l’âme fragile :Le règne de La beauté et Le vrai du fauxdavid rancourt *

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base du film) gèrent toujours ce risque habi-lement ; on sent trop, par exemple, que le personnage caricatural du fonctionnaire a l’unique fonction de distribuer le ridicule sur une plus large portion de la population, que c’est une médecine de choc administrée au film pour atténuer le risque de faire passer les soldats pour des disjonctés et les habi-tants des régions pour des demeurés.

Parfois, les styles d’humour et le drame entrent en collision. On a l’impression d’ob-server les auteurs hésiter, faire des essais, se demander jusqu’où ils peuvent aller. Cela se ressent dans l’impression finale que le film nous laisse, un arrière-goût imprécis. Un problème est peut-être que Stéphane Rousseau n’est pas un vecteur d’émotion, même quand il pleure. Peut-être est-ce voulu, peut-être doit-il demeurer dans la superficialité, peut-être le réalisateur a-t-il l’espoir que son jeu gros et faux renforcera le contraste entre drame et comédie. Ça ne veut pas dire que le spectateur a du plaisir, qu’il est heureux, mais le bonheur du spec-tateur n’est pas un droit acquis.

Mais dans ses meilleurs moments, Le vrai du faux atteint un état de grâce où drame et hilarité fusionnent. Une scène où Guylaine Tremblay a soudain le besoin imminent de s’exprimer sur tout et son contraire devant la psychologue (qui n’était pas là pour ça) est marquante ; il semble que là, le film atteint son but, d’être en même temps intensément drôle et cruel. Il y aurait quelques autres passages à citer, dont celui où l’ex-blonde du soldat croit qu’elle va passer une audition pour un film et montre qu’elle peut pleurer sur commande.

À travers tout cela, l’émotion se fraie un chemin malgré tout. Après quelques ratés, des hauts et des bas, on a droit à une conclu-sion puissante, entre le soldat et ses parents. On comprend que tout le film ne pouvait que mener là.

J’aime les nombreux passages où Le vrai du faux réussit à marcher en équilibre entre tragique et comique, d’une manière imprévue et génératrice de tension. On pense à Claude Meunier : lui aussi a réussi à faire rire sur des sujets impossibles, au théâtre et à la télé ; d’autres fois, il s’est cassé la gueule royalement. On pourrait croire que Le vrai du faux est le résultat d’une gageure, de l’idée de faire une comédie sur le sujet le moins propice : Oserais-tu faire une comédie sur le stress post-traumatique des soldats au retour d’Afghanistan ? Parler

d’un tel sujet, c’est mettre le doigt directe-ment dans une plaie vive. Il n’y a pas l’éloi-gnement dans le temps, qui adoucit les choses et qui fait qu’on peut maintenant rire des guerres napoléoniennes. Existe-t-il vrai-ment un grand film comique sur une guerre récente ou en cours ? Peut-être Le dictateur de Charlie Chaplin ? Il n’y a pas de honte à ne pas réussir exactement aussi bien.

arcanDIl commence de façon prometteuse, Le

règne de la beauté de Denys Arcand. Un jour, à Paris, où le personnage principal, Luc, architecte incarné par Éric Bruneau, reçoit un prix pour l’ensemble de son œuvre, il retrouve par hasard une Ontarienne avec qui il avait eu une liaison bien des années plus tôt. Retour dans le passé, exit le vieillis-sement artificiel appliqué sur le visage de Bruneau : on vivra l’époque de leur passion clandestine, entre Charlevoix et Toronto.

Le problème est peut-être qu’on s’at-tend à une satire qui affiche clairement ses couleurs, mais que le réalisateur a pour sa part une tout autre intention, et qu’on passe le film à se demander laquelle c’est au juste. L’histoire d’un jeune architecte infidèle et de ses amis professionnels trentenaires, beaux et riches, cela ne peut être qu’une dénon-ciation de leur superficialité, n’est-ce pas ? Pas certain. Si on accepte l’hypothèse que je suis le représentant type du public, on peut dire que Denys Arcand a cette fois-ci perdu le contact avec le public.

Dans un film où le non-dit a une telle place, la distribution des rôles devient

primordiale, mais quelque chose n’a pas cliqué ici. Melanie Merkovsky, qui joue la maîtresse, réussit à insuffler de la vie à son personnage, mais on dirait que la struc-ture de ce film sur l’architecture ne donne pas aux autres acteurs le bon espace pour qu’ils déploient leur talent, tout savamment disposés qu’ils soient dans le cadre. Le règne de la beauté est comme une toile blanche sur laquelle les comédiens étalent un jeu tout aussi blanc. Certes, il y a des drames : l’entrepreneur en construction incarné par Michel Forget meurt, l’épouse de Luc sombre lentement dans la dépression, mais ces épreuves ne font jamais jaillir claire-ment les motivations des personnages. Ou si les personnages se révèlent, ils semblent dépouillés de tout sauf de pulsions primi-tives, animales : un appétit sexuel variable, l’amour de l’argent (ou plutôt la peur du manque d’argent, mais c’est peut-être la même chose), la peur de la mort, la peur d’être découvert.

Ou peut-être est-il normal que, dans ce film sur l’architecture, les personnages eux-mêmes soient la plupart du temps réduits à des formes et à des surfaces. Si le film est censé être empreint d’un voile sentimental, d’un regret ému de la jeunesse, cela est fort ténu. C’est comme si Arcand avait fait un travail d’épure qui était allé trop loin, et qu’il manquait le principal, le centre de l’œuvre. Peut-être avons-nous la mission de combler les vides, d’atteindre l’émotion en projetant dans le canevas notre propre nostalgie ou notre propre dégoût. Malheureusement, les films ne fonctionnent pas toujours comme ça ; les ellipses ne donnent pas automati-quement la profondeur, et les acteurs inex-pressifs ne raflent pas automatiquement les prix. N’est pas Gilbert Sicotte ou Anthony Hopkins qui veut.

Et quelle est donc cette beauté qui règne  ? Pas sûr que ce soit celle des corps nus qui exultent, qui tendent vers le déprimant par leur allure mécanique. On comprend tout de suite que le film aborde et mélange l’architecture et la beauté physique des corps humains, et il réussit bien à transmettre l’idée de la beauté contenue dans la séduction, beauté toujours menacée par essence. Il y a aussi une bonne dose de paysages, de belles vues sur montagnes, et plusieurs plans très touristiques filmés à Québec, mais tout cela est-il à apprécier au premier degré ou est-ce une dénonciation du mauvais goût ? On

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s’est posé des questions semblables devant certains des récents films « touristiques » de Woody Allen, dont certains ont réellement été financés par des offices de tourisme.

Quelque chose dans Le règne de la beauté fait penser à De l’amour et des restes humains, film tourné au Canada anglais par Arcand il y a 20 ans et qui n’avait pas connu le succès public. Un des problèmes était son doublage : des voix moins soignées, moins réalistes, moins subtiles que dans la version originale peuvent vraiment nuire à une œuvre, en introduisant comme un paravent entre le film original et le public. Avec Le règne de la beauté, il n’y a pas de doublage, mais une même distance. Comme un film qui se double lui-même, comme en raison d’un manque de relation immédiate et viscérale avec son sujet.

Que tirer de ce que le réalisateur nous offre ? Ce film un peu vide est-il simplement un film sur le vide ? Faut-il comprendre que c’est la peinture d’un nouvel Âge des ténè-bres, l’Âge des faux-semblants et de leur lumière aveuglante ? Si c’est le cas, il n’est pas certain qu’il valait la peine d’y consa-crer ces 102 minutes-là. Mais après tout, il

n’y a pas de catastrophe, ce n’est qu’un film mineur de Denys Arcand. Il a certainement gagné le droit de faire autre chose que des chefs-d’œuvre. Espérons seulement qu’il n’a pas perdu le feu sacré.

en cOncLuSiOnIl serait trop amusant d’allonger la liste

des ressemblances et des différences entre ces films. Par exemple, parallèle surprenant, la guerre est un élément perturbateur dans les deux cas : dans le film d’Arcand, c’est la guerre, guerre éloignée vue aux nouvelles télévisées, qui semble enclencher pour de bon la dépression chez la femme de l’architecte.

Plus fondamentalement, les deux films parlent d’eux-mêmes, sont à l’image du monde qu’ils décrivent, mais on ne saura jamais vraiment jusqu’à quel point. Ce film-ci est-il une coquille vide ou la pein-ture d’une coquille vide  ? Celui-là est-il une parodie du cinéma commercial ou une production commerciale déguisée en parodie ? Le règne de la beauté et Le vrai du faux obligent donc le spectateur à travailler, à garder ouvertes ces deux inter-

prétations. Pendant que les images défilent à l’écran, nous passons beaucoup de temps à essayer de comprendre ce que les réalisa-teurs ont voulu faire, ce qui est quelque peu épuisant. On finit par croire que nos efforts n’étaient pas tous prévus par les réalisateurs, mais qu’on les a faits simplement parce que ces films ne sont pas de franches réussites.

Il y a donc le malaise voulu par les deux films, mais on sent bien un malaise supplémentaire qui s’ajoute à cause de leur manque de maîtrise. Aucun des deux ne nous fait « passer un bon moment ». Ici, pas de réaction immédiate « c’était un bon film », pas non plus d’illumination de « film impor-tant ». Un même inaboutissement semble atteint par deux processus opposés : le pas assez, l’élagage excessif pour Arcand ; le trop, le mal taillé, les branches qui dépas-sent pour Gaudreault. Les deux réalisateurs n’ont pas réussi, cette fois-ci, à atteindre l’état de grâce qui fusionne les ingrédients hétéroclites d’un film, qui lui donne pleine-ment une âme. Z

* Réviseur linguistique et cinéphile

228 pages • 27,95 $

N O U V E A U T É C’EST UN PREMIER ROMAN. L’auteur est Québécois

d’origine espagnole et enseigne le français en Chine

depuis peu. DES MONSTRES, c’est la représen tation de

l’univers de quatre étudiants du 4e secondaire.

C’EST UN ROMAN qui évoque la subtilité de l’étrangeté

et de la perversité. Dans DES MONSTRES, l’enseignant

est beau, populaire, les filles et les garçons le remarquent.

Rien ne peut aller à l’encontre de leurs fantasmes. Surtout

pas les parents qui n’encadrent pas. Pendant une année

scolaire, chacun d’eux, à l’insu et bientôt au su des autres,

sera entraîné dans une relation amoureuse et sexuelle avec

le séduisant Omar Ramos, d’origine mexicaine, bon prof par

ailleurs, mais prompt à nier la perversité de ses actes, dès

lors, se rassure-t-il, qu’il n’a forcé personne. C’est une des

expériences de vie que seule l’adolescence, à la merci

d’elle-même, désire vivre jusqu’au bout.

F

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dès 1965, dans l’un de ses grands textes, « Toi l’ami », Sylvain Lelièvre rend hommage à Leclerc en recon-

naissant la place qu’il occupe dans l’espace francophone de la chanson : « Nous pour-rions simplement nous asseoir et jaser / En écoutant Félix ou Mozart ou Coltrane ». Félix Leclerc écrit « Notre sentier » en 1934. Il n’a pas encore vingt ans. À ce moment-là, en France, Édith Piaf, Jean Sablon et Charles Trenet commencent à peine leurs carrières. Au début des années 1950, de futurs géants de la chanson, les Brassens, Brel et Ferré salueront son influence.

L’œuvre considérable de Leclerc, riche et diversifiée, faite de chansons, de poèmes, de romans, de pièces de théâtre, de contes et de carnets regroupant des maximes, nous permet de suivre l’évolution du Québec d’un monde traditionnel vers un monde moderne. À la fin de son premier roman, Pieds nus dans l’aube (1945), nous recon-naissons l’ambivalence des personnages de la littérature du terroir. Leclerc traduit bien l’hésitation du jeune adolescent à quitter l’enfance pour le monde adulte, à laisser la campagne rassurante pour la ville : « Mon enfance était morte… Je sortais de ma chère vallée, comme les billots qui sortent par la Saint-Maurice et vont en ville se faire changer en papier… Et je m’endormis. L’orange avait roulé par terre et discrètement

Félix : œuvre de mémoiredenys LeLièvre *

Félix leclerc aurait eu 100 ans le 2 août de cette année. nous désirons souligner l’anniversaire de l’un des plus grands écrivains que le québec ait connus. Sa contribution au développement de la chanson d’ici et d’ailleurs est inestimable. nous pouvons aussi aisément faire un parallèle entre l’évolution de son œuvre et celle de la société québécoise.

cet anniversaire nous invite à redécouvrir le répertoire des chansons de Félix, à saluer l’héritage qu’il nous a légué et à rappeler l’intérêt et l’actualité de son œuvre. en février dernier, le gouvernement du québec le désignait personnage historique en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel.

s’était sauvée… À mon réveil, la montagne était traversée, une vallée inconnue m’ap-paraissait au loin… ». Si nous considérons le corpus des chansons (plus de 160), les textes semblent suivre la même évolution que celle des œuvres de nos grands poètes. De la fin des années 1940 au début des années 1960, comme l’a déjà suggéré Gilles Marcotte, les poèmes et les chansons manifestent certes une grande affirmation du pays québécois, mais davantage au plan de la conscience, alors que les écrits des années 1960 et 1970 nous feront passer, comme chez Miron, du poétique au politique, incitant le lecteur à passer à l’action, à opérer du changement.

La connaissance de l’œuvre d’un auteur-compositeur-interprète, qu’il s’agisse de Barbara, de Brassens, de Cohen ou de Dylan, se limite à quinze ou vingt chansons. Chez Leclerc, elles appartiennent presque toutes aux premières années de sa carrière : « Contumace » (1944), « Bozo » (1946), « Le Bal » (1946), « Moi mes souliers » (1948), « Le train du Nord » (1946), « Francis » (1947), « Le p’tit bonheur » (1948), « Mac Pherson » (1948), « Présence » (1948), « L’hymne au prin-temps » (1949), « Le roi heureux » (1949), « La fille de l’île » (1950), « Attends-moi Ti-Gars » (1956), « Tirelou » (1957). Parmi les œuvres plus engagées des années 1970, le public gardera en mémoire « L’alouette en colère » (1972), « Le Tour de l’île » (1975), « Sors-moi

donc Albert » (1975) et « Les 100 000 mille façons de tuer un homme » (1975).

en MarGe DeS cLaSSiqueSNous pouvons regrouper les chansons en

deux grandes périodes : la première davan-tage axée sur le pays intérieur, dialogue constant entre l’homme et la nature (1934-1970), l ’autre établissant le lien entre poésie et politique (1970-1988). L’écoute renouvelée des chansons de Leclerc nous permet de redécouvrir plusieurs d’entre elles, des textes évoquant la « vie, l’amour, la mort » avec une étonnante économie de mots, l’ailleurs rêvé. Écoutons la parole du poète. « En muet » (1944), « Écho » (1947), « Les perdrix » (1955), « Ce matin-là » (1955), « Je cherche un abri pour l’hiver » (1960) et « Douleur » (1963) expriment avec une grande poésie l’ambivalence du sentiment amoureux, sa plénitude et son vide : « Mais amour en muet, c’est un cœur dessiné º C’est aussi yeux rougis et douleur sur la bouche º C’est les rides au front, les marqûres au flanc º C’est tout proche des cris » (« En muet ») ; « J’ai lancé cette chanson º Sur l’eau, l’air et le vent º Partout tout à la fois º Pour qu’elle entende ma voix » (« Écho ») ; « Les sources sont glacées º Et les roseaux sont morts º Dans leurs habits de rouille ; º On a crevé les champs º Et mon cœur et mon dos º À grands coups de couteau… » (« Les

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perdrix ») ; « Quand tu dis que tu m’aimes et que tu danses au village º Avec tous les garçons qui ont cheveux bouclés º Tu mens effrontément… alors moi, demain, je m’en irai º Plus loin que ce pays, plus loin que les nuages º Et j’enverrai la mort te tuer, cher visage » (« Ce matin-là ») ; « La source jolie en lumière º En novembre se cache sous terre º Chanter est métier de misère º Quand on n’est pas oiseau dans l’air » (« Je cherche un abri pour l’hiver ») ; « Je m’appellerais l’amour º que je te courtiserais º Je m’ap-pellerais la peur º que je te défendrais º Je m’appellerais la nuit º que je t’illuminerais º Je m’appellerais la mort º que je t’épargne-rais » (« Douleur »). Quatre grandes chansons inspirées par la mer, aux mélodies envoû-tantes, suggèrent un ailleurs fantasmé qui réconcilierait la vie, l’amour et la mort  : « Demain, si la mer » (1946), « Mouillures » (1946), « La mer n’est pas la mer » (1949) et « La Gaspésie » (1949) : « Quand ils t’ont aperçue, º Les oiseaux en folie º Ont envahi la rue º Et reculé la nuit (« Demain, si la mer ») ; « Quand ils auront franchi ce terrible désert º Et que les mains tendues ils attein-dront la mer º Une traînante barque les rejoindra bientôt º […] Ainsi nous glisserons à travers les mouillures º Bus par l’éternité, bus par l’éternité » (« Mouillures ») ; « Y a des grèves autour de la mer º des coquillages et du sel º et de vieux marins qui ne voguent plus  º qu’on a débarqués mais qui sont repartis º dans des voyages sans escale…Y a le soleil sur la mer º Et toi au bord º qui le regarde descendre dans l’eau » (« La Gaspésie »). Enfin, dans la chanson « Prière bohémienne » (1955), Leclerc exprime toute

sa reconnaissance envers les petites gens : « J’apporte les hommages émus º Les espoirs des villes inconnues º L’entrée au paradis perdu º Par des continents jamais vus ; º Ce sont eux qui sont les plus forts º Qui empor-tent tout dans la mort ».

D’autres chansons de cette première grande période de création abordent la question identitaire de manière très directe ou sur un ton plus poétique. Dans «  Le Québecquois »  (1943), Leclerc tourne en dérision un jeune homme qui croit séduire une femme par une chanson inspirée par le monde étranger : « C’était bien, mais il mit des prouchkinovs º Des icônes, d’la vodka, des troikas… º Blues, Tennesse º Brooklyn, California º Blues, apple pie º Alleluia, Coca-Cola…C’était un Québecquois º Qui voulait me célébrer º Hélas ! Il avait oublié de m’re-garder ». Il est facile ici d’établir un lien entre la femme et le pays. « Tu te lèveras tôt » (1958) préfigure les chansons de filia-tion père-fils et d’héritage des années 1970 telles que « Mon fils »  : « Et tu rentreras lourd º Pour avoir fait le tour º De ce qui est à toi º Tu diras à ta mère º Que l’ho-rizon est clair º Et elle sera fière º D’être de ce pays-là… Tu te lèveras tôt º Tu mettras ton capot  º Et tu iras dehors…  ». Deux merveilleuses chansons, moins connues, expriment, sur un ton plus poétique, le même espoir en des lendemains meilleurs. « Le jour qui s’appelle aujourd’hui » (1964) peut prendre une double signification. Le texte suggère de mettre au présent l’amour et la terre où il se développe : « Mais un jour qui n’est pas venu º Et qui se fait dans les nues º Peut-être est-ce demain º Peut-être

l’an prochain º Il viendra, il viendra ici º Et si nous sommes endormis º Il nous réveillera et sera sans fin […] Si tu veux faisons de notre vie º Le jour qui jamais ne finit º Qui s’ap-pelle aujourd’hui ». « Passage de l’outarde » présente plus que jamais un homme debout : « Passage de l’outarde revenant de bien loin […] dans mon jardin d’automne debout cabrant les reins º je lui montre ma vie au bout de mes deux poings ». À la fin des années1960, renouant avec « Complot d’enfants » (1950) et avec cette idée d’insou-mission, Leclerc écrit deux chansons de tran-sition qui pavent ainsi la voie au dialogue des générations des années 1970. Dans la première, « En attendant l’enfant » (1969), à quelques mois de la naissance de sa fille, Nathalie, il s’interroge sur l’état du monde qu’il lui offre : « voilà ce que je t’offre […] Des guerres à ta naissance º comme à la mienne aussi  º les pays d’espérance  º que m’a légués mon père º et ce parler de France º la chanson de ta mère ». Dans la seconde, « J’inviterai l’enfance » (1969), il exprime sa foi dans le pouvoir de la jeunesse de trans-former le monde : « Et les enfants nouveaux poseront º dans la main de l’homme seul º les leurs, ouvertes º chaudes et nues ».

Extrait des « Escales de ma vie », tiré du livre Dernier calepin : « Au plus fort de la panique, je fais la plus grande découverte de mon existence : je découvre que j’ai un pays à moi sous les pieds et qu’on est en train de lui faire mal, et c’est à moi qu’on fait mal ». Au lendemain des événements d’oc-tobre 1970, Leclerc sent « sourdre en lui la colère » et rejoint les autres « pionniers » de la chanson pour « chanter ce pays » : « Notre

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arme, puisque le port d’armes est interdit, sera la chanson ». Il sera plus présent que jamais sur disque et sur scène : « L’alouette en colère » (1972), « Le Tour de l’île » (1975) et « Mon fils » (1978). Le spectacle Le loup, le renard, le lion (1974), réunissant sur scène les trois grands de la chanson québécoise, Leclerc, Vigneault et Charlebois, constitue l’un des moments les plus festifs du mouve-ment identitaire. Certaines chansons méri-tent une nouvelle écoute : « Comme une bête » (1975), « Le dernier point » (1975) ou encore « Un soir de février ». Celle-ci raconte la défaite de 1759 et la revanche plus de deux cents ans après : « Nous étions six millions º À pas suivre la joute º À la télévision º Et personne sur les routes º Sur la pointe des pieds º On a fait comme eux autres º Pris possession des clefs º Des ponts, des villes, de tout ». Mais, surtout, trois chansons du dernier album de Félix enregistré en studio. Dans « La nuit du 15 novembre », le narra-teur salue les enfants, une dame, un grand-père, un professeur, un théologien et un pianiste aveugle. Les mots ne sont plus

nécessaires, il faut que la joie explose  : « C’est une affaire d’amour º Qui commence entre nous º Laissez-nous, laissez-nous º Charnellement à lui º Il me possède enfin º L’amant que j’attendais […] J’acclame dans mon cœur º Le géant qui se lève ». Dans le texte intitulé « L’an 1 », Leclerc établit claire-ment la filiation entre l’ancêtre et le jeune Québécois : « L’arrivée de l’enfant a été dure pour la mère º Enfin il est là…Il lui reste à étudier, comparer, discuter les pensées dans les livres, les visages, les lunes, les voisins, les jardins, à découvrir le fleuve, les milliers de soupirs qui font de la musique dans les marais de nuit pour les Bozo fragiles. À chausser les patins, à nager sous les lacs, à filer sous la lune en français librement… Trop de temps, trop longtemps, la terre fut aux lâches, aux oisifs, aux tricheurs º Qu’il la prenne, lui, mon fils, c’est à ton tour. Chacun son tour º Elle est belle, elle est là, elle est sienne, et que la peur de vivre soit rayée à jamais º Ne me remercie pas. º Que tu vives comble mes jours de joie º Bon voyage à toi et à ta descendance ». La chanson « Mon

fils », qui clôt l’album, poursuit la réflexion amorcée dans « Le Tour de l’île », sans doute la plus grande chanson de Leclerc. Il y fait le bilan de sa vie, lègue à son « fils » « ce qu’il a fait de mieux » et l’incite à épouser les mêmes aspirations : « Il est temps que tu rentres º Finis les migrations º Les tran-sits, les voyages º Il est l’heure, couche-toi º Et viens dans mon Royaume º Tu ne partiras plus º Viens pour te reposer º Viens savoir si j’existe ». Z

* Professeur de littérature à la retraite, il est maintenant journaliste culturel à la pige. Il anime présentement sur les ondes de CKRL FM 89,1 l’émission Univers francophone, consacrée à des entrevues en chanson, en littérature et en théâtre.

Maude Veilleux

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habile de Maude Poissant. »

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premier bijou de l’auteure ne saurait être plus unique et

mémorable. »Jean-François Lebel, La bible

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Alexandra Ackerman, une jeune fille russe

intelligente et curieuse, est

séparée des siens et trouve

refuge chez des juifs hassidim

du quartier d’Outremont à

Montréal.

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roman

YIOSH !

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isabeLLe L’itaLien-savard *

sent. Pour Antoine, voler représente le plus grand rêve de sa vie. Le jour convenu, l’en-fant quitte l’hôpital avec sa mère pour gagner l’aéroclub où l’attend le pilote Léon. Antoine s’embarque à l’avant d’un gracieux planeur, attaché à un avion qui l’escorte dans le ciel jusqu’à ce que, la bonne alti-tude atteinte, on puisse s’en détacher. C’est Antoine, aux commandes de l’appareil, qui doit vaincre sa peur et libérer le planeur dans l’immensité du ciel. Le garçon est émerveillé par la beauté du paysage, la sensation de voir tout autrement... comme un oiseau. À l’atter-rissage, c’est un Antoine fatigué, mais pour-tant plein d’une énergie nouvelle qui met pied à terre. Katia Canciani sait rendre avec justesse les craintes et l’exaltation de l’en-fant, tout en glissant çà et là des allusions à la dimension symbolique de cette lancée dans le vide et aux forces qu’exige le contrôle du vol. Quant aux illustrations de Félix Girard, elles reflètent à merveille, notamment en variant cadrages et perspectives, l’aspect grandiose de ce que vit le héros.

Enfin, pour ceux qui aiment la variété, qui se régalent de l’inventivité des illustra-teurs, on propose le foisonnant album L’été

indien et 43 petites histoires, né d’un catalogue d’Illustra-tion Québec conçu pour promouvoir le talent d’il-lustrateurs d’ici à l’étranger, auquel l ’éditeur Rober t Soulières a proposé d’as-socier un texte aux images (le monde à l’envers, donc). Le résultat est fort réussi. Colombe Labonté, Johanne Mercier, Gilles Tibo et Robert Soulières se sont prêtés au jeu de concocter de courts textes (souvent drôles ou rimés) en s’inspirant des

personnages et motifs représentés par les images. Et quelles images ! Comme elles se voulaient une vitrine sur l’univers québécois tel que présenté par nos créateurs, les illus-trations arborent une belle unité et propo-sent des visions du Québec qui évoquent nos paysages, nos animaux, nos légendes, notre culture au quotidien. Pouvoir contempler ces traces de notre identité à travers les magnifi-ques images qu’en proposent nos meilleurs illustrateurs… ça vaut le détour !

Du preux cheVaLier… au GLauque juSticier

Les héros chevaleresques à l’âme pure et au courage sans faille ont de toute époque c o n q u i s l e s amateurs d’aven-tures et il semble bien que leurs histoires ravissent encore les lecteurs d’aujourd’hui si l’on en juge par les preux person-nages qui émer-gent de parutions jeunesse récentes.

Avec La mystérieuse histoire de Tom Cœurvaillant, aventurier en herbe, le populaire récit de Ian Beck, tout juste paru chez Hurtubise en version française, c’est le modèle du valeureux héros de contes de fées qui reprend du service. Pour l’heure, il s’agit d’un apprenti héros d’à peine 12 ans, Tom, petit dernier des sept frères Cœurvaillant, dont les aînés sont reconnus depuis long-temps au Pays des contes, où ils excellent à vivre les aventures dont les paramètres sont esquissés par le Bureau des Contes et que leur attribue le Maître. Au retour de leur périple, les héros doivent raconter leurs exploits, qui sont alors soigneusement consi-

aLbuMS – SpLenDeurSL’album Dans mon livre de cœur de

Martine Audet, illustré par Katty Maurey, emprunte une voix feutrée, poétique pour évoquer la magie du monde des livres, du monde d’un livre, celui qui nous tient à cœur et qui, comme un cœur, peut contenir toutes les émotions, toutes les aventures. Un dessin naïf, épuré, un texte rimé simple et limpide présentent un garçon partout accompagné de son livre, du matin au soir. Les mots paraissent ainsi flotter sur des images hiéra-tiques, ce qui crée, en sourdine, une atmos-phère sacrée propre à laisser planer une invitation à plonger dans les mondes secrets et précieux qui attendent dans les livres. C’est sans doute l’album idéal pour s’inter-roger avec les enfants sur l’aura de mystère qui entoure nos livres de cœur.

Ce même côté éthéré, aérien, se retrouve dans L’envolée d’Antoine, un album qui aborde pourtant un sujet grave. La Fondation Rêves d’enfant est en effet ici associée à l’auteure et l’illustrateur pour offrir une histoire qui ressemble à celle de nombreux enfants gravement malades à qui on permet de réaliser un rêve qu’ils chéris-

Plongées dans le temps

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gnés pour en faire les livres d’histoires illus-trés destinés à nourrir l’imaginaire des petits et des grands. Mais cette fois, comme on s’in-quiète de ne pas voir revenir les six frères Cœurvaillant de l’aventure à laquelle chacun d’eux a été officiellement assigné pour y jouer un rôle, le petit Tom est nommé aven-turier par le Maître et sommé, par missive express, de partir pour retrouver ses frères et déjouer les sombres projets du Frère Omerstone (traître au Bureau des Contes). Le jeune héros devra alors plonger dans six histoires différentes, qui lui feront croiser le chemin d’une princesse endormie que nul ne peut réveiller, d’une certaine Blanche Neige pleurée par sept nains, de la serveuse d’une auberge appelée Cendrillon, d’une princesse éplorée par la perte de son amie grenouille et de la fille d’une mégère, Raiponce, que sa mère garde enfermée en haut d’une tour. Toutes ces belles attendent le retour de leur prince charmant… que Tome réussira à retrouver à l’aide d’un haricot magique. La lecture de ce récit est agréable, bien sûr, parce qu’on y reconnaît plusieurs contes classiques de l’enfance (belle occasion pour les jeunes de les redécouvrir – ou de les découvrir), mais il est aussi réconfortant de voir valoriser un modèle héroïque, suranné peut-être, mais dont les valeurs de courage, de vaillance et de probité n’ont rien perdu de leur pertinence, bien au contraire.

Le roman Le fier chevalier de la table carrée de Marie Beauchamp nous montre justement toutes les vertus d’une attitude chevaleresque en les actualisant à travers le personnage de Simon Surprenant, qui s’in-vestit noblement dans la carrière de cheva-lier « pour répandre, par chacune de ses actions, le rire et la fantaisie » à son école. Un blason qui représente sa mission affiche symboliquement son audace et sa créati-vité, armes privilégiées pour accomplir sa quête. Sire Surprenant sévira surtout lors du carnaval d’hiver de la ville, où différentes écoles de la région se retrouvent en compé-tition lors d’épreuves sportives. Le désir de victoire et de gloire fait oublier à certains les valeurs sacrées de loyauté, de respect et d’entraide, mais le bien nommé cheva-lier Surprenant veille au maintien de l’har-monie et se charge de rappeler, toujours avec fantaisie et adresse, toute la noblesse d’une conduite chevaleresque. Le récit, destiné aux lecteurs de 8 à 10 ans, est narré par Chloé, la meilleure amie du héros, ce qui contribue à donner encore plus d’éclat aux

exploits colorés et inventifs de ce justicier des temps modernes.

Mais le chevalier le plus preux, si j’ose dire, demeure Perce-Neige, le héros créé par Michel Châteauneuf en 2005 (La quête de Perce-Neige), qui reprend du service après une trop longue absence. Comme dans le premier opus, L’Odyssée de Perce-Neige offrent aux lecteurs un truculent amalgame de la légende arthurienne et du folklore québécois, en y ajoutant cette fois les figures mythiques de L’Odyssée d’Homère. Le récit est ainsi truffé de clins d’œil historiques (d’ailleurs répertoriés dans une « Table des clins d’œil » à la fin du livre) et mélange avec bonheur (et malice) les époques pour donner un cadre tout à fait inusité à son héros : un improbable Québec médiéval (en l’an de grâce mil un), au royaume d’Engelure, sous la gouverne du roi Frimas XIII. Notre preux chevalier, un peu désœuvré et même désa-busé depuis sa dernière aventure, doit pour-tant enfiler son armure (devenue d’ailleurs un peu juste…) et rappeler ses fidèles compagnons (René De Sescendres et Alexis Letrotteur) pour retrouver la fiancée du roi, la délicieuse Rose Latulipe, enlevée par des loups-garous. L’expédition, sous le comman-dement du sergent d’armes Geaifroid De Labanquise, doit affronter la neige et la glace pour sillonner le fleuve et suivre la piste des ravisseurs qui les mènera – après différents périples rocambolesques qui révèlent les talents chevaleresques de Perce-Neige et de ses acolytes – jusqu’à l’île d’Anticosti (Naticousti), où les attend la sulfureuse demoiselle Latulipe. Si les exploits du cheva-lier captivent le lecteur et le jettent dans un feu roulant d’actions héroïques, on le doit en grande partie à la gouaille du narrateur, qui emprunte les intonations d’un barde au style précieux et enlevé. En grand cheva-lier du langage, Michel Châteauneuf réussit tout autant d’exploits que son héros. C’est un plaisir pour les jeunes de suivre les aventures de Perce-Neige, mais aussi de relever toutes les allusions et références à notre culture et à notre société qui sont ici glissées dans une fresque « gréco-médiévale ».

Le jeune romancier Vic Verdier se livre lui aussi à l’exercice d’imaginer un Québec « alternatif », mais en modifiant les prémisses de sa fondation : l’histoire réécrite dote la ville de Québec d’une incroyable mine de diamants sous le cap qu’elle domine. La fortune de la Cité en a fait une puissance mondiale qui règne sur le monde et a favo-

risé, dès la fin du XIXe siècle, la conver-gence de grands scientifiques en son sein, assurant cet État du contrôle planétaire en matière de technologie. L’histoire se déroule sur deux époques, qui s’entrecoupent et se correspondent. En 1887, Victor Notre-Dame, étrange bourlingueur au corps déformé, revient chercher vengeance dans sa ville natale, troublée par l’affrontement entre deux factions qui déchirent la population entre les adeptes du Vrai Messie qui prédi-sent la venue imminente du Grand Mal et l’Église, qui cherche à contrer la secte en s’alliant les services d’un professeur versé dans la création d’hybrides (plus ou moins réussis…). Cent ans plus tard, en 1987 donc, une jeune étudiante tente patiemment de reconstituer cette période houleuse de l’his-toire du Québec pour un travail scolaire. Le roman de Verdier, touffu, foisonnant de réfé-rences historiques et culturelles, multipliant narrateurs et personnages qui se répon-dent d’une époque à une autre n’est pas à la portée de tous les lecteurs. Son univers glauque, ses personnages crus, au langage parfois très vulgaire (un brin macho, dirais-je), en font une lecture pour les jeunes adultes férus de science-fiction historique. L’architecture très audacieuse du récit, bien maîtrisée, et surtout l’originalité de cette dystopie typiquement québécoise valent à elles seules le détour. C’est une œuvre solide. Et puisque qu’on parle de dystopie, je me permets de signaler, en passant, la réédition, à L’école des loisirs, du très beau roman d’an-

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Préscolaire• Dans mon livre de cœur. Texte de Martine Audet, illustrations de Katty Maurey. Montréal, La courte échelle, 2014, 40 pages.• L’envolée d’Antoine. Texte de Katia Canciani, illustrations de Félix Girard. Montréal, éditions Isatis, 2014, coll. « Tourne-pierre », no 40,

36 pages.• L’été indien et 43 petites histoires. Textes de Colombe Labonté, Johanne Mercier, Gilles Tibo et Robert Soulières, illustré par 44 illus-

trateurs du Québec. Saint-Lambert/Montréal, Soulières éditeur en collaboration avec Illustration Québec, 2014, 96 pages.• Le pays sans musique, illustrations de Christine Delezenne, éditions de l’Isatis, coll.  « Tourne-Pierre », 2005.

8-10 ans• Le fier chevalier de la table carrée. Marie Beauchamp, illustré par Julien Rivard, Rosemère, éditions Pierre Tisseyre, 2014,

coll. « Papillon », no 193, 112 pages.• Pierre et Ahonque. André Noël, illustré par Francis Back, Montréal, La courte échelle, 2014, 280 pages.

10 ans et plus• La mystérieuse histoire de Tom Coeurvaillant, aventurier en herbe. Ian Beck. Traduit de l’anglais par Nathalie Nédélec-Courtès,

Montréal, Hurtubise, 288 pages.• Étienne Brûlé, Coureur des bois. Jacques Paquet, illustré par Adeline Lamarre, Montréal, éditions de l’Isatis, 2013, coll. « Bonjour

l’histoire », no 6, 80 pages.• Kondiaronk, Grand chef autochtone. Marie Roberge, illustré par Adeline Lamarre, Montréal, éditions de l’Isatis, 2013, coll. « Bonjour

l’histoire », no 7, 80 pages.• Jean Talon, Intendant de la Nouvelle-France. Josée Ouimet, illustré par Adeline Lamarre, Montréal, éditions de l’Isatis, 2014,

coll. « Bonjour l’histoire », no 9, 80 pages.• Samuel de Champlain, Fondateur de la Nouvelle-France. Cécile Gagnon et Jean-Pierre Tusseau, illustré par Adeline Lamarre,

Montréal, éditions de l’Isatis, 2013, coll. « Bonjour l’histoire », no 10, 72 pages.

12 ans et plus• Le passeur, Lois Lowry, traduit de l’américain par Frédérique Pressmann, Paris, L’école des loisirs, 2014, coll. « Médium », 222 pages.

14 ans et plus• L’Odyssée de Perce-Neige, Michel Châteauneuf. Rosemère, éditions Pierre Tisseyre, 2014, coll. « Conquêtes », no 145, 152 pages.• L’empire bleu sang, Vic Verdier. Rosemère, Joey Cornu éditeur, 2014, 304 pages.

BIBLIOgRAPhIE

ticipation Le passeur, de Lois Lowry, dont l’adaptation cinématographique vient d’ar-river. C’est, dans un tout autre registre, une autre façon d’interroger notre société, en sollicitant l’aide d’un monde parallèle imagi-naire, mais pas si loin du nôtre.

DétOur en nOuVeLLe-FranceSi on veut faire connaître aux enfants

la glorieuse histoire de nos ancêtres, voici

deux façons attrayantes d’y entrer. D’abord, par la fiction, avec les trois histoires que renferme l’ouvrage Pierre et Ahonque, série écrite par André Noël que les éditions de la courte échelle rééditent en un seul volume. Les héros, âgés d’une douzaine d’années – Pierre, venu de France sur La Grande Hermine avec Jacques Cartier, et Ahonque, jeune Amérindienne d’Achelacy réfugiée à Stadaconé – traverseront ensemble trois aventures, mais également trois époques, aidés par la magie d’un cerf qui les protège et dont les bois permettent de rajeunir. Pierre et Ahonque vivront donc l’épidémie qui décime la population du Canada en 1535 ; la pêche de baleines par les Basques aux envi-rons de Terre-Neuve en 1584 et enfin, en 1614, les débuts de la colonie aux côtés de Samuel de Champlain. Chacun des récits est capti-vant, avec son cadre historique propre, mais surtout avec les péripéties haletantes que vivent les héros, auxquels on s’attache d’une histoire à l’autre. En prime, les images magni-fiques de l’illustrateur Francis Back.

Si l’on préfère une voie davantage docu-mentaire, la collection « Bonjour l’histoire »

des éditions Isatis (dont j’ai déjà parlé dans cette chronique) paraît tout indiquée pour informer les jeunes lecteurs sur leur passé en présentant les grandes figures qui ont marqué la Nouvelle-France. Avec plus d’une dizaine de titres, la collection offre des portraits variés et représentatifs des diffé-rentes facettes de l’histoire québécoise. La vie des personnages est racontée dans un récit qui synthétise leurs exploits et chaque ouvrage est accompagné d’un dossier qui complète et précise l’information semée dans la narration. Selon les héros, les recons-titutions sont ainsi plus ou moins factuelles ; par exemple les vies d’Étienne Brûlé, coureur des bois, et de Kondiaronk, grand chef autochtone, invitent davantage à la conjec-ture, vu le peu d’informations officielles, comparativement à celles de Jean Talon ou Samuel de Champlain. Mais la qualité de ces petites ouvrages ne se dément pas d’un titre à l’autre, bien qu’ils soient signés d’auteurs et d’illustrateurs différents. Z

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Congrès 2015

15-16 novembre 2015

Québec

Enseigner le français : entre l'ancre et la déferlante

Association québécoise des professeurs de français

C’est à travers ces mots de Vigneault que le thème du congrès de 2015, Enseignerle français : entre l’ancre et la déferlante, prend tout son sens. Comme le �euve, l’enseignementdu français jette l’ancre dans des cultures, une matière immuable formant le lit sur lequeldéferlent des courants parfois dévastateurs, violents, parfois inspirants, créateurs. Notre thème coule etdécoule du �euve qui baigne notre ville, Québec. Un �euve pas toujours tranquille, qui sort de son lit etemporte l’humain. Un �euve qui porte sur ses courants doux d’été un bienêtre indolent. Un �euve qui nourrit, donne vie et la reprend. Une eau vive qui renaitde sa gaine de glace au printemps. À la fois immuable et fragile. Comme l’enseignement de notre langue. Comme l’enseignement de la littérature, de la culture.

« Puisqu’il y a toujours péril en la demeure », poursuit Vigneault, parce que l’apprentissage de la langue se fonde sur l’émotion, le savoir, la quête de sens.Quel horizon �xer? Nous, enseignants de français, passeurs du réel à l’imaginaire, de la théorie au bonheur de lire et d’écrire, sommes des guides au-dessus dela déferlante. Un horizon, ça se pro�le, ça se dessine, ça se concrétise et ça se désire. Portons notre regard et notre intelligence sur l’essentiel,la construction d’une culture de la langue, des textes, de la communication, qui favorise l’épanouissement de chacun et de la société. Une ré�exion profonde s’impose, fondée sur le mouvement - les jeunes et leur culture, la technique au sein des pratiquesd’enseignement - et sur l’immuable - la langue elle-même, la lecture, l’écriture. Pour qui et pour quoi devrons-nous nous battre? Dans cette mer de vents favorables et contraires, c’est à l’élève que nous devons penser.

L’AQPF vous convie à vous engager à Enseigner le français : entre l’ancre et la déferlante en proposant un atelier ouun stage pour son congrès de 2015. Vous trouverez toute l'information au

Pour défendre trois mots que disait mon grand-pèreApportés par chez nous au temps de Rabelais

En forme de rondeau, ballade ou trioletPour que mon petit-�ls apprenne au secondaire

Que c’est en perdant ça que les peuples se meurent

Vivre debout, paroles de Gilles Vigneault

aqpf.qc.ca

AQPF

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Attesté depuis le XIIe siècle, le mot revoler est formé du verbe voler avec l’ajout du préfixe re-. Du latin volare, voler, qui date de la fin du IXe siècle, a le sens de « se soutenir et se déplacer dans l’air au moyen d’ailes » en parlant d’animaux. En français général, le verbe intransitif revoler est donné dans les dictionnaires avec l’acception de « voler de nouveau » en parlant des oiseaux et, par analogie, « piloter de nouveau un avion », attesté depuis la seconde moitié du XXe siècle. Il signifie en outre « retourner quelque part en volant » en parlant des oiseaux et, par figure depuis 1638, « revenir, retourner rapidement » en parlant d’une personne. Ce dernier sens est donné comme littéraire ou poétique par le Trésor de la langue française.

Comme c’est le cas pour un certain nombre de mots du français général qui sont usités dans le langage familier au Québec, le verbe revoler connaît une extension séman-tique. Il a le sens général d’« être projeté en l’air, au loin » en parlant des choses et des personnes. Le choix des exemples fera ressortir les différentes nuances d’emploi de ce verbe au propre et au figuré. Ajoutons que revoler conserve ici les valeurs de mouve-ment aérien et de rapidité qui caractérisent les verbes voler et revoler en français général. Il est encore bien vivant dans le langage fami-lier au Québec. Signalons que revoler au sens québécois figure dans Le Petit Robert ainsi que dans l’édition de 2010 du Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey.

L’autre trait distinctif de ce verbe concerne le préfixe. Alors qu’en français général l’élé-ment antéposé re- dans revoler exprime la répétition de l’action, c’est-à-dire encore, à nouveau, ce même élément prend en français québécois une valeur intensive : il marque l’in-sistance sur l’action, le renforcement de l’ac-tion, ce qui explique que revoler se substitue au verbe simple voler dans un certain nombre de contextes. À ce sujet, Kristoffer Nyrop écrit dans son ouvrage intitulé Grammaire histo-rique de la langue française : « Souvent le sens de re- est tout à fait effacé, de sorte que le composé [ici revoler] exprime la même idée que le simple [voler]. Ce phénomène est

Revoler exprime, avec plus d’intensité, certaines valeurs de volersuzeLLe bLais *

surtout fréquent dans la langue populaire qui abuse de re-1 ». Ainsi, dans les exemples suivants tirés du Grand Larousse de la langue française, on peut penser que le verbe voler pourrait devenir revoler en français québé-cois : Le jeu devint orageux ; les cartes volè-rent par la chambre. La mêlée fut générale. Les chopes volaient à travers la salle, et au figuré : Au cours de la bagarre, les injures et les menaces volaient.

Enfin, la prononciation de revoler en fran-çais québécois constitue une autre caractéris-tique de ce verbe. Comme beaucoup de mots commençant par re-, il est généralement prononcé familièrement arvoler, ervoler. Au sujet de la métathèse re- initiale devenant er, Marcel Juneau explique dans Contribution à l’histoire de la prononciation française au Québec qu’elle « est un des traits saillants du québécois populaire moderne […] ; il en était de même en ancien québécois […] » ; et il ajoute : « Il est vraisemblable que cette métathèse, toujours vivante en québécois, a sa source dans les parlers de France, où elle est bien connue. L’ALF [Atlas linguistique de la France] la relève dans tout le gallo-roman du Nord et elle existait également dans le parisien populaire du XVIIe siècle2 ». En outre, le Glossaire du parler français au Canada relève également ce trait de prononciation sous l’entrée ER.

puiS c’eSt Le tOurbiLLOn DeS jupeS, DeS natteS qui reVOLent DanS Le MOuVeMentAu sens de « tourbillonner, flotter » sous

l’effet de l’air, d’un mouvement, Alice Parizeau écrit dans Côte-des-Neiges  : « En bas, on a repoussé les tables et les chaises le long des murs, deux “violoneux” sont en train de jouer une gigue, des couples se forment et se mettent à se suivre, puis c’est le tourbillon des jupes, des nattes qui revolent dans le mouve-ment, des visages souriants et des mains qui se tendent, se croisent, se saisissent, se relâchent et se ressaisissent encore3 ». Avec le verbe voler et la même valeur sémantique, le Grand Larousse de la langue française cite cette

chanson populaire : « Son voile qui volait, qui volait, / Son voile qui volait au vent ».

Revoler est également usuel avec l’ac-ception d’« être projeté, lancé à distance » en parlant de choses : « Des fois, pendant que nous faisions notre show, nous entendions des verres r’voler dans les loges. C’était Paolo qui faisait une crise de rage4 ». Avec la même signification en parlant d’une personne  : « Ici, c’est une zone de 50 km/h. À 50, si t’as un accident, ça fesse, mais on s’entend que tu ne revoles pas aussi loin et qu’il n’y a pas deux morts » (Le Soleil, 2  juin 2010, p. 7). Dans son roman Les Plouffe, Roger Lemelin cite une lettre envoyée du front pendant la guerre : « Voici la dernière lettre que j’ai reçue, dit Ovide […]. “Excuse l’écriture, on est après clairer une autre poche, et mon ami Dinel, de Limoilou, qui s’était fait la barbe à côté de moi à matin, vient de revoler à 40 pieds en l’air par le déplacement d’air d’une bombe. Mort.”5 ». En suisse romand, avec la même valeur sémantique, c’est le verbe gicler qui est usité, en parlant de choses et de personnes : « Gicler en l’air. Elle a renversé son sac, ses affaires ont giclé partout. En faisant une chute à ski, il a giclé contre un arbre6 ». Et le verbe regi-cler s’utilise aussi dans le même sens : « Tout à coup, la corde du pressoir pète, le palan-chon [perche servant de levier] me tape, et je regicle dans un coin. » (W. Pierrehumbert, Dictionnaire historique du parler neuchâ-telois et suisse romand, Neuchâtel, Éditions Victor Attinger, 1926.) Ces emplois des verbes gicler et regicler en suisse romand nous rappellent que nous ne sommes pas les seuls, au Québec, à donner à certains mots des sens qu’ils n’ont pas en français général.

Enfin, revoler est également employé figurément en parlant de choses abstraites (paroles, mots, insultes) ; en voici un exemple tiré de Menaud, maître-draveur de Félix-Antoine Savard : « Les regards de Menaud partaient alors en déserte vers les monts où, peut-être, il ne retournerait jamais plus […]. Et, de son cœur rattisé, montaient de vieux mots agressifs qui revolaient dans la brunante comme des étincelles7 ».

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Au sens de « lancer violemment », revoler est, de plus, usuel avec les verbes envoyer et faire, employés comme auxiliaires et souvent suivis de l’expression en l’air. En voici un exemple en parlant de choses : « Et il y avait ces féroces, ces joyeuses, ces interminables parties de Monopoly. Je vois encore l’air effaré de ma sœur quand notre mauvais perdant de frère, en plein milieu de la partie, eut envoyé le jeu revoler en l’air, avec tous les hôtels, les maisons, les pitons… » (Le Journal de Québec, 23 décembre 2012, p. 16) ; en parlant de personnes, Damase Potvin écrit : « Vous allez tous aller vous coucher, à présent, tas de brutes que vous êtes !… et que pas un seul ne dise un mot ou je le fais revoler d’un coup de pied, par la fenêtre, dans le Saguenay… Vous entendez ?8 ». Au figuré, Victor-Lévy Beaulieu dit au sujet de Jack Kérouac : « […] les choses apprises dans l’enfance, les sermons du Père et ceux de la Mère, l’éducation puritaine, ce sens de la mort (donc de l’impuissance) si chère aux Canucks, tout cela dont Jack parle dans ses livres avait pris trop de place en lui et il n’eut pas la force de tout faire revoler en l’air9 ».

tout revoleAprès l’énumération de divers objets qui

sont projetés en l’air par une personne ou par le vent, c’est, pour résumer, l’expression tout (en) revole qui est usitée. Le verbe est employé sans complément avec le sens de « se déplacer avec rapidité ». Dans Marie-Didace, Germaine Guèvremont  écrit  : «  C’était un pêcheur, pêcheur d’éperlan, et c’était pas un ange, si vous voulez le savoir. Il buvait. Des fois il buvait toutes ses pêches. En fête il se possédait pas. Il faisait maison nette, le tuyau du poêle à terre, tout revolait10 ». L’expression est connue égale-ment en Acadie comme le montre ce contexte d’Anselme Chiasson, qui écrit dans Chéticamp : histoire et traditions acadiennes : « De temps en temps une rafale balaie les champs, suivie d’une autre. Des planches à la traîne se jettent dans les clôtures ; des seaux affolés bondissent de motte en motte en quête d’un abri ; tout revole11 ». Avec le verbe voler, cette expres-sion est attestée, au figuré, chez Madame de Sévigné : « J’écrirais jusqu’à demain ; mes pensées, ma plume, mon encre, tout vole » (cité dans le Grand Larousse de la langue française).

En conservant l’idée de rapidité qui carac-térise le verbe revoler, l’expression ça va revoler signifie que l’action se fera en moins de deux, c’est-à-dire très vite. On lit dans Va savoir de Réjean Ducharme : « “Si vous avez besoin d’un coup de main, gênez-vous pas,

j’ai une bonne paire de bras”. […] Accroupie avec moi, en ouvrier, elle met la main sur le marteau et les points sur les i. “Passez-moi ça, je vais vous remplacer pendant que vous allez y aller. Vous le regretterez pas, ça va revoler !”12 ». Dans sa pièce qui a pour titre Quand nous serons heureux, Jacques Brault met en scène Marguerite et Félix en train d’étendre du linge : « Marguerite – Il faut tout finir avant demain. […] Tiens (elle lui tend un paquet de vêtements) Dépêche-toi, je suis fatiguée. Félix, pose Ange-Aimée par terre – Ça va r’voler13 ».

Enfin, revoler est également usuel en parlant de liquides ; il prend alors le sens de « jaillir, éclabousser, gicler avec une certaine force ». Relevé ici dans Le bien des miens de Janette Bertrand : « Ça y est, la pompe est partie ! – L’eau revole partout ! – Faut fermer la valve14 ». De Monique Larue, cette citation tirée de son roman Les faux fuyants : « La neige du printemps fond, mouille, slotche, revole, splache, avec des bruits liquides15 ».

En français québécois, revoler connaît, au sens de « jaillir, éclabousser, gicler », le synonyme friser ou refriser. À la question suivante que nous avons posée à une infor-matrice : « Vous avez un nom pour le récipient qui contient un produit à vaporiser ? », elle a répondu : « J’sais pas si y appellent pas ça une bombe. Ça, ben ça frise16 ». Le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui enregistre friser et refriser, ainsi que Gaston Dulong, qui donne l’exemple suivant : « Le tuyau était percé ici, c’est par là que l’eau frisait17 ». À noter que le préfixe re- dans refriser a également, comme celui de revoler expliqué ci-dessus, une valeur intensive. Le verbe friser, avec cette significa-tion, est hérité des parlers de l’Ouest de la France, où il a été relevé pour décrire la mer, ainsi qu’une nourriture pour les animaux faite d’eau et de froment. En outre, cet emploi de friser, associé à l’eau, est consigné dans le Dictionnaire universel de Furetière, en 1690 : « On dit figurément, que le Zephir frise l’eau, quand il ne fait que l’agiter par de petites ondes qui ne tiennent rien de la tempeste ». Enfin, le Grand Robert de la langue fran-çaise et le Trésor de la langue française citent cette phrase de Huysmans, un écri-vain du XIXe siècle : « Il [Durtal] s’amusait […] à observer l’eau qui frisait, qui se mettait à bouillir sous un coup de vent ».

D’autre part, précisons que c’est revoler au sens français de « revenir, retourner rapi-dement quelque part », qu’emploie Louis-Joseph Papineau dans sa lettre écrite de

Londres, à sa femme, en date du 27 juin 1823 : « Le tems de la fin de la Session du parlement sera dit-on vers le quinze juillet – Si c’est le cas je saurai bientôt après en quel tems je pourrai être libre de revoler en Canada mais je ne puis le dire quand à présent. Je ne tiendrai pas longtems à ce pays après que je pourrai sans mériter de blâme, le laisser » (Rapport de l’Ar-chiviste de la Province de Québec pour 1953-1954 et 1954-1955, p. 208-209). Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, cette acception du français général est donnée aujourd’hui comme littéraire ou poétique. Z

* Linguiste et chercheure indépendante

notes

1 Kristoffer Nyrop, Grammaire historique de la langue française, Genève, Slatkine Reprints, 1979, t. III, Formation des mots, p. 238.

2 Marcel Juneau, Contribution à l’histoire de la prononciation française au Québec. Étude des graphies des documents d’archives, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1972, p. 228-229.

3 Alice Parizeau, Côte-des-Neiges, Montréal, Pierre Tisseyre, 1983, p. 88.

4 Jérôme Lemay, Les Jérolas, Montréal, Les Éditions Québécor, 1983, coll. « Célébrités », no 192, p. 89-90.

5 Roger Lemelin, Les Plouffe, Québec, Bélisle Éditeur, 1948, p. 467-468.

6 Dictionnaire suisse romand, conçu et rédigé par André Thibault, sous la direction de Pierre Knecht, Genève, Éditions Zoé, 1997.

7 Félix-Antoine Savard, Menaud, maître-draveur, Québec, Librairie Garneau, 1937, p. 102-103.

8 Damase Potvin, Peter McLeod, 1937 ; édition préparée et présentée par Aurélien Boivin, Alma, Les Éditions du Royaume, 1983, p. 51.

9 Victor-Lévy Beaulieu, Jack Kérouac. Essai-poulet, Montréal, Éditions du jour, 1972, p. 193.

10 Germaine Guèvremont, Marie-Didace, Montréal, Éditions Beauchemin, 1947, p. 105.

11 Anselme Chiasson, Chéticamp : histoire et traditions acadiennes, Moncton, Éditions des Aboiteaux, 1961, p. 24.

12 Réjean Ducharme, Va savoir, Paris, Éditions Gallimard, 1994, p. 22.

13 Jacques Brault, Quand nous serons heureux : théâtre, Montréal, dans Écrits du Canada français, 1970, no 29, p. 220.

14 Janette Bertrand, Le bien des miens, Montréal, Libre Expression, 2007, p. 328.

15 Monique Larue, Les faux fuyants, Montréal, Québec/Amérique, 1982, coll. « Littérature d’Amérique », p. 32.

16 Informations recueillies lors d’enquêtes linguistiques que nous avons effectuées en 1980, à Trois-Pistoles (localité du Bas-Saint-Laurent).

17 Gaston Dulong, Dictionnaire des canadianismes, Montréal, Larousse, 1989.

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Premier roman de Jean Lemieux, La lune rouge1 paraît d’abord chez Québec / Amérique en 1991, dans la

collection « Littérature d’Amérique ». Il est réédité à La courte échelle, en 2000, dans la collection «  Roman 16/96  », dans une version remaniée avec correction de quel-ques coquilles et erreurs, telles, par exemple « se mettre à genoux à l’offertoire » corrigé pour « à l’élévation » (p. 240). Le roman a connu une première publication en livre de poche en 2005, avant d’être réédité en 2009. Il a paru en anglais chez Cormorant, en 1994, dans une traduction de Sheila Fischman. Un projet d’adaptation cinématographique a été envisagé, le scénario ayant même été écrit, sans toutefois qu’il se concrétise.

De quOi S’aGit-iL ?La lune rouge est un polar qui se déroule

aux Îles-de-la-Madeleine, où l’auteur a pratiqué la médecine pendant plusieurs années à compter des années 1980, avant de s’installer à Québec, où il poursuit et sa carrière médicale et sa carrière litté-raire à l’intention et des adultes et des jeunes, remportant prix et distinctions bien mérités. Médecin, comme l’auteur, desser-vant l’archipel perdu dans le golfe Saint-Laurent, François Robidoux, la journée de l’Halloween, se rend au dispensaire de l’Île d’Entrée, comme il le fait une fois par mois pour rendre visite à ses patients en majo-rité anglophones. Une forte tempête force le jeune docteur, en peine d’amour depuis deux mois, à coucher dans l’île, après ses visites qu’il effectue en compagnie de l’in-firmière, qui l’invite d’abord à sa table puis dans son lit. Dans la nuit, une jeune insu-laire, récemment débarquée de Toronto, lui donne rendez-vous sur le quai. Elle ne se présente pas mais il la retrouve dans son lit, à son retour. Elle le quitte au moment où, vers les 4 heures du matin, il doit recevoir en urgence le pasteur de l’île aux prises avec des maux d’estomac, un simple prétexte pour lui raconter sa vie. Au matin, un chas-seur d’outardes découvre le cadavre de la jeune femme au pied d’une falaise, le Cap d’Enfer. Suicide ? Meurtre ? Vengeance d’un amoureux déçu ? Allez donc savoir  ! Qui aurait pu en vouloir à celle que l’on consi-dère comme la plus belle fille de l’île. Le sergent détective Cyril Moreau, accom-pagné de quelques collègues, débarque dans l’île pour entreprendre son enquête. Quelques suspects sont rapidement identi-

fiés : le pasteur Jeffrey Ballantyne, coureur de jupons, qui a déjà quitté l’île le matin de la découverte du cadavre ; Randy Aitkens, le maire de l’île, qui est attiré par la jeune femme ; Borden Welsh, qui a découvert la jeune femme au pied de la falaise, alors qu’il prétend être allé à la chasse… sans son fusil ! L’enquêteur semble plutôt s’in-téresser au jeune médecin, qui refuse de dire la vérité quant à ses aventures, quel-ques heures avant le drame. La situation se complique davantage le lendemain de la mort de la jeune femme quand l’infirmière, installée dans l’île depuis plus de vingt-cinq ans, est retrouvée morte au même endroit. Y a-t-il un lien entre les deux drames ? C’est le médecin, le dernier à avoir vu les deux femmes, et non l’enquêteur qui décou-vrira la vérité, lui qui a caché des éléments de preuve importants et qui a menti au sergent détective de peur d’attirer sur lui des soupçons.

le titre Le romancier ne s’est pas expliqué sur

le titre de son roman. Certes les deux morts sont survenues la nuit, deux nuits de vent violent, « alors que s’était élevée […] une lune rouge » (p. 53). Le rouge du titre est, selon Le Petit Robert, la couleur du sang, du coquelicot, du rubis.

le lieu et le temPsLa lune rouge, on l’a dit, se déroule aux

Îles-de-la-Madeleine, archipel situé dans le golfe Saint-Laurent, plus particulièrement dans l’Île d’Entrée, « une île perdue » (p. 53 et 106), la seule non reliée aux autres et accessible uniquement par bateau ou par avion. Selon certains, «  cet avant-poste perdu dans l’Atlantique » (p. 77), c’est « le bout du monde », là où « on n’a qu’à faire un pas pour tomber dans le vide » (p. 13 et 30). Selon d’autres, c’est « un caillou de grès et de terre rouge, vaguement carré, de trois kilo-mètres de côté. Sa silhouette jaune envahit l’horizon. La moitié nord était bosselée de buttes flanquées de falaises escarpées. Au sud, les collines s’étiraient en un plateau semé de maisons pastel » (p. 27). Elle est habitée par des immigrants irlandais et écos-sais, venus il y a quatre-vingt-cinq ans, mais qui ne parlaient toujours pas français (p. 40). Selon l’infirmière de l’île, « c[e] n’est pas un pays pour une femme seule » (p. 89).

L’intrigue de La lune rouge dure tout au plus trois jours, soit du 31 octobre, fête de

auréLien boivin *

La Lune Rouge de Jean Lemieux ou l’art du suspense

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l’Halloween, jusqu’au 2 novembre. Quelques chronotopes peuvent être utiles pour préciser l’année. Quand le docteur Robidoux consulte la fiche médicale de Charlene Collins, peu après sa mort, il précise qu’elle est née le 6 juillet 1958 et qu’elle est âgée de 28 ans (p. 141), ce qui situe l’intrigue en 1986. Cette date se confirme quand on sait, quel-ques pages auparavant, que le 31 octobre tombe justement un vendredi en  1986. Toutefois, d’autres chronotopes posent problème. Dans le journal personnel qu’elle a tenu à son arrivée dans l’île, l’infirmière, Gladys Patterson, précise qu’elle est arrivée dans l’île en septembre 1958 et qu’elle compte vingt-cinq ans de service (p. 17 et 45), ce qui n’est pas exact, car âgée de vingt ans à son arrivée, elle a cinquante ans quand survient la mort de Charlene (p. 70), ce qui est encore inexact : si l’intrigue se déroule en 1986, elle a plutôt quarante-huit ans.

LeS perSOnnaGeSFrançois Robidoux. C’est le person-

nage principal. Médecin âgé de vingt-six ans, il est rattaché à l’hôpital de Cap-aux-Meules et doit desservir le dispensaire de l’Île d’Entrée, qu’il visite au moins une fois par mois. Depuis le mois de septembre, il vit une peine d’amour et tente de se consoler en écoutant de la musique classique, surtout du Mozart, devenu en quelque sorte son confident. Il est dévoué envers ses patients et leur montre beaucoup d’empathie, lui qui est « en contact quotidien avec la douleur » (p. 64). Comme il est étranger dans l’île, on le regarde avec méfiance dès qu’est découvert le cadavre de Charlene, surtout qu’elle lui a dérobé, pour lui jouer un tour en ce soir de l’Halloween, son pantalon, qu’elle a caché dans le creux d’un arbre. L’infirmière, qui a épié ses moindres gestes depuis la fenêtre de sa salle de bains, sait que Charlene lui a rendu visite, en cette nuit fatidique, et qu’il est sans doute la dernière personne à avoir vu la jeune femme vivante. Considéré même comme principal suspect, il décide de supprimer toute trace du passage de la victime : il range avec soin sa chambre au dispensaire, arrose les oreillers de déodo-risant pour éliminer l’odeur de cannelle que dégageait la jeune femme, ramasse un à un les cheveux longs… Il n’a pas le choix d’affronter les policiers. Mais la visite que lui a rendue le pasteur, la nuit du meurtre, sa disparition, le matin même, et les aveux qu’il reçoit de la meurtrière détournent fina-

lement les soupçons et contribuent à réta-blir sa crédibilité (p. 151).

galdys Patterson. Née Hadfield (p. 75), elle a débarqué dans l’île en septembre 1958 à titre d’infirmière, si on se fie aux premières entrées de son journal intime, qu’elle a rédigé dès son arrivée en provenance de Saskatoon. Elle a toutefois vu le jour à Londres, où sa mère et son frère ont trouvé la mort, lors d’un bombardement, alors qu’elle avait cinq ans à peine (p. 64). Son père, hautboïste, a alors quitté l’orchestre philarmonique de Londres pour s’occuper d’elle. À huit ans, après avoir vu un western au cinéma, elle souhaite aller en Amérique (ibid.). Son père répond à son vœu et choisit le Canada, en raison de la présence des Indiens, après qu’ils eurent visité plusieurs villes d’Europe. Le père et la fille s’installent d’abord à Halifax, puis à Saskatoon, pour vivre avec une Allemande et son fils rencon-trés sur le bateau depuis Amsterdam. C’est là que le père ouvre un magasin de musique, alors que Gladys fait des études pour devenir infirmière. Son diplôme en poche, elle s’exile aux Îles-de-la-Madeleine, où la solitude lui pèse souvent au point de sombrer dans l’al-coolisme. Elle est passionnée d’amour pour le jeune médecin, qui la considère comme folle (p. 98) et qui ne lui rend pas son amour, même s’il finit par passer quelques heures dans le lit de cette dame – difficile à saisir.

Charlene Collins. Fille du peintre Timothy Collins, elle a vécu entre autres à Toronto, avant de revenir à l’Île d’Entrée, où, « sirène aux cheveux fauves » (p. 98), on la considère comme la plus belle fille des Îles. Âgée de vingt-huit ans (p. 141), « [e]lle avait un petit visage rond, parsemé de taches de rous-seur, et des yeux malicieux. Sa tignasse fauve était striée de cheveux blancs qui ne faisaient que renforcer son air de jeunesse » (p. 50). Tous les insulaires rêvaient de l’amener dans leur lit, ce qui multiplie les suspects poten-tiels aux yeux des limiers chargés d’enquêter sur sa mort tragique.

Jeffrey Ballantyne. C’est le pasteur, aus s i su r n o m m é l e «   d o n j u a n e n soutane » (p. 125). Il a entretenu une relation amoureuse avec une femme mariée, Margie Stone, qu’il a chassée, mais qu’il retrouve un jour à Halifax où il se rend fréquem-ment pour goûter au service d’une pros-tituée. Alcoolique depuis sa rupture avec Margie et devenu impuissant, il se confie au médecin, la nuit du meurtre de Charlene, lors d’une visite urgente au dispensaire, au

cours de laquelle il a bien failli surprendre le médecin au lit avec Charlene, qui parvient à quitter discrètement, sans être vue. C’est un drôle de numéro (p. 162, 164) : il a été hippie, a fréquenté le petit monde underground de Halifax, où il rencontré Margie, a été soup-çonné de trafic de cannabis, a même été accusé de détournement de mineure, s’est mêlé de politique, est devenu écologiste, méritant même le titre de « père Teresa du pluvier siffleur » (p. 114) menacé d’extinction, avant de sombrer dans le monde de l’ésoté-risme et des drogues (p. 112). C’est alors qu’il a découvert sa vocation, surtout que « [l]es presbytères étaient vides » (ibid.). Il confie au médecin qu’il a le « sentiment d’avoir raté sa vie, de n’être ni un homme, ni un prêtre, juste un pou insignifiant, un alcoolique dont on rit en secret » (p. 117). Les policiers le soupçonnent du meurtre de Charlene, d’autant qu’il s’est enfui, le matin du drame, et l’amènent à Cap-aux-Meules pour finale-ment le relâcher.

Timothy (dit Timmy) Collins. Le père de Charlene est un peintre de renommée mondiale, «  l’un des dix peintres les plus cotés de son époque » (p. 47). Ses tableaux se vendent à forts prix à Toronto. Aussi consi-dère-t-il qu’il a « bien fait de rester en ville à barbouiller des toiles plutôt que de revenir pêcher du homard à cinquante cents la livre » (ibid.). Il a déjà entretenu une relation amoureuse avec l’infirmière, qui était déjà la femme de Bill Patterson. Il lui a déjà offert un collier, identique à celui que portait sa fille le soir du drame. Il a dû réapprendre à peindre de la main gauche à la suite d’une paralysie. Il dit connaître le meurtrier de ce crime qu’il juge crapuleux (p. 211) et être sûr qu’il se dénoncera lui-même. On le considère comme un « sphinx prétentieux » (p. 205).

Éva Patton. Une patiente du médecin à l’article de la mort et la grand-mère de Thomas Patterson, le narrateur de ce qui pourrait servir de prologue et d’épilogue. Elle accuse l’infirmière, sa belle-fille, d’avoir assassiné son fils Bill (p. 44). Elle meurt juste avant sa belle-fille, l’infirmière.

Cyril Moreau. Surnommé d’abord sergent Morue, puis Plongueuil (c’est-à-dire crapaud de mer, p.  137), il est le sergent chargé de l’enquête sur la mort de Charlene. Il a été affecté très jeune aux Îles-de-la-Madeleine et a bénéficié de dispenses pour y demeurer même s’il « n’était pas d’usage de permettre aux policiers de s’ins-taller en région éloignée. Ils fraternisaient

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avec la population et perdaient leur effi-cacité » (p. 138). C’est une poire aux yeux de Margie (p. 185). Il est doué au contraire d’une rigueur professionnelle exemplaire (p. 139). À mesure qu’il déploie son enquête, il se dit « persuadé que la tragédie avait ses racines dans le passé » (p. 208), rejoi-gnant ainsi Timmy, qui prétend que « [d]es éléments essentiels demeuraient enfouis dans des mémoires » (p. 211). Il est aidé dans son enquête par l’agent Matte et le docteur André Pépin, le coroner.

Il y a encore Randy Aitkens, un résident plutôt bizarre de l’Île d’Entrée, qui donne-rait tout pour attirer Charlene dans son lit ; Phyllis dickson, la femme du maire (p. 81), l’hôtelière de l’Île d’Entrée ; Borden Welsh, qui a découvert le corps de Charlene, qu’il aime ouvertement, au point d’être lui aussi soupçonné de sa mort.

La StructureLa lune rouge est constitué, dans la

version remaniée, de trente-neuf chapitres, tous titrés et précédés d’une épigraphe empruntée à dif férents auteurs, dont plusieurs québécois. Ils sont racontés par un narrateur omniscient, extérieur à l’action. Enclavent ces chapitres, un prologue et un épilogue, sans titre toutefois (contrairement à la version originale), rapportés par Thomas Patterson, l’un des f ils de l’infirmière, accouru à l’Île d’Entrée depuis Halifax, dès qu’il a appris la mort tragique de sa mère, survenue au lendemain de celle de Charlene Collins. Il nous renseigne rapidement sur ce qui lui semble deux meurtres, les deux premiers, « de mémoire d’homme » (p. 13), à se produire aux Îles. Dans le dernier texte, sorte d’épilogue, titré d’ailleurs « Thomas » dans la version originale, le même narra-teur évoque d’abord le départ du cadavre de sa mère, puis le ménage qu’il a fait dans la maison en brûlant tout ce qui s’y trouvait. Il y découvre, au grenier, un tableau du peintre Timothy Collins reproduisant le portrait d’une jeune femme, sa mère, qui aurait donc eu une relation avec ce peintre, ce qui expliquerait, selon lui, les mauvais rapports entre les deux et leur rupture. Il dépose le tableau près du feu qu’il a allumé à l’exté-rieur et décide de rendre visite au peintre.

LeS thèMeSla vengeance. C’est le thème principal

de La lune rouge, qui pousse la meurtrière, amoureuse du médecin, à se débarrasser

de Charlene Collins. Cette jeune fille est loin de laisser le médecin indifférent, ce qui rend jalouse l’infirmière, qui aime passion-nément François Robidoux. Mais le médecin, qui vient de connaître une difficile rupture, ne lui rend pas cet amour.

la solitude. Elle est souvent évoquée dans le journal personnel de l’infirmière, qu’elle prête pour lecture au jeune médecin. Le lecteur prend connaissance d’une tranche de ce journal. « La solitude est comme le feu : on s’approche et on se réchauffe, on s’ap-proche un peu plus et on se brûle » (p. 84). Elle qui n’a « pas l’âme d’une missionnaire » se demande quelle idée elle a eue de venir s’enterrer vivante dans ce pays qui n’est pas fait « pour une femme seule » (p. 89). Les insulaires, eux, sont souvent isolés, « prison-niers du vent » (p. 74).

L’amour. François Robidoux est en peine d’amour depuis le départ de celle qu’il aimait mais qui a décidé de le quitter et de partir sur le continent, incapable de s’adapter au mode de vie des insulaires et, surtout, à l’attitude de son partenaire, en particulier son « amour pour Mozart, dont la musique enrobait jusqu’à leurs ébats, faisait partie avec ses caleçons italiens, son projet de voyage en Asie, son Encyclopédie de l’histoire de la médecine et son appar-tenance aux Dinosaures de JFT Électrique, d’un ensemble d’attributs agaçants qu’elle unifiait sous le concept de bullshit » (p. 20). Pour elle, « [c]’est de la musique de vieux », une « musique désinfectée » (ibid.) qui le force à fuir la réalité. Elle refuse cette vie de bourgeois et l’accuse d’être un peureux (p. 21). Aussi, elle le quitte, ce qui laisse le champ libre à l’infirmière, du moins le croit-elle, qui a presque deux fois son âge et qu’il n’aime pas, lui préférant sans l’ombre d’un doute la belle Charlene. Est souvent évoqué aussi l’amour que ressent Randy Aitkens pour Charlene.

La mort. Autre thème omniprésent dans le premier roman de Jean Lemieux. Non seulement deux personnages importants sont-ils retrouvés au pied du Cap d’Enfer, à une journée d’intervalle, mais on assiste encore aux derniers moments d’une vieille dame, la belle-mère de l’infirmière, qu’elle accuse d’avoir tué son mari, plutôt décédé des suites d’une hémorragie cérébrale. Bien que médecin, Robidoux est toujours secoué par la mort d’une patiente. Au chevet de la vieille dame Patton, il se remémore le malaise qu’il avait ressenti au moment de

la mort de sa première patiente (p. 55). À ce thème est relié celui de la vieillesse.

La folie. Plusieurs personnages, comme le rapporte Réginald Martel, semblent « fêlés du cerveau2 ». C’est le cas, par exemple, de l’infirmière Gladys Patterson, que Robidoux considère comme folle, comme il l’avoue à Charlene. L’attitude pour le moins étrange du pasteur et sa conduite à l’égard des femmes (et des prostituées) frôlent la folie.

Le SenS (La pOrtée) Du rOManLa lune rouge est plus qu’un polar, réussi

il faut le dire, car il se lit d’une frappe, sans que le lecteur ait envie de déposer le livre. Ce qu’a d’abord voulu Jean Lemieux, et son mérite, comme le précise Martel, c’est d’avoir « débroussaill[é] assez joyeusement chez eux [les insulaires], dans le respect de leur singularité, l’univers si complexe et si secret de la mémoire et du désir3 ». Le romancier s’est rappelé son long séjour dans cet espace perdu au milieu du golfe Saint-Laurent et s’est donné pour mission de faire connaître ce coin de pays sauvage d’une beauté encore vierge avec ses us et coutumes, et ses paysages à couper le souffle. Qu’on en juge par ce court extrait : « L’île avait des allures de bout du monde. Des remparts de cages à homards s’ali-gnaient contre le ciel gris, sous la garde des carcasses de voitures et des chiens errants. Les fleurs sauvages s’étaient flétries sous les vents d’automne. Le foin roux prolongeait le frémissement des vagues, se chamar-rait sous le vent aigre » (p. 30). Le romancier sait aussi flirter avec l’humour à quelques endroits. Z

* Professeur associé (littérature québécoise), Département des littératures, Université Laval.

1 La lune rouge, Montréal, La courte échelle, 2009, 259[1] p. (Polar) [1re édition : Québec / Amérique, 1991, coll. « Littérature d’Amérique », 319[2] p. ; 2e édition, version revue : La courte échelle, 2000, coll. « Roman 16/96 », 217[1] p.]. Le roman a été traduit en anglais par Sheila Fischman, sous le titre Red Moon, Dunvergan (Ont.), Cormoran, 1994, 240 p.

2 Réginald Martel, « Les chimères apprivoisées des insulaires », La Presse, 14 avril 1991, p. C-5

3 Loc. cit.

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son assassinat à Coyoacán et de Malcolm Lowry dans son périple le menant à la rédaction d’un chef-d’œuvre inégalé, Au-dessous du volcan (1947), dont « l’ac-tion » se déroule à Cuernavaca. Se déploient devant nous politique et arts, littérature (Trotsky aurait pu devenir un grand écrivain) et peinture, la présence de Diego Rivera (un monstre, tant sur le plan du talent que sur celui de ses relations personnelles, particu-lièrement avec sa femme Frida Kahlo). Un chassé-croisé où surgissent Breton, le père du surréalisme, l’insaisissable B. Traven aux multiples identités, sans oublier Antonin Artaud, qui veut connaître les Indiens Tarahumaras. Un « cocktail » de personnages haute-ment explosif, avec, en arrière-plan, Staline et Hitler, qui veulent tous deux la mort de Trotsky, leader poli-tique charismatique, brillant, l’homme le plus puissant de l’Union soviétique après la Révolution des bolche-viks, rival mortel de Staline qui le force à fuir l’URSS, le traque d’un pays à l’autre, alors que son pendant, Hitler, lui voue une haine double du fait qu’il soit juif et communiste.

Il est impossible de résumer un tel livre, basé sur des recherches solides, où les différentes factions communistes se livrent une guerre sans merci, où nous suivons, étourdis et abasourdis, la panoplie des personnages les uns plus énigmatiques que les

autres, à commencer par Trotsky lui-même, dont on ne comprendra jamais la soudaine lassitude après la mort de Lénine qui l’a mené dans un immense périple avec, au bout, l’assassinat de la main du meurtrier à la solde de Staline. Et que dire de Lowry, qui a inventé une nouvelle façon d’insérer dans le roman sa vie privée avec ses failles, ses manies, son égocentrisme (un pied de nez anticipé aux poststructuralistes qui voulaient nier l’importance de l’écrivain).

La présentation des grands de l’époque, les circonstances politiques, la vie quotidienne du foison-nement de personnages au Mexique sont d’une splen-deur dont Deville a le secret. Écrit pour la plupart dans un présent historique, il laisse le lecteur hors d’ha-leine. À tel point que ce dernier se demande parfois s’il est encore dans un roman et non pas dans une fabuleuse fresque historique où les hommes et les femmes dépassent l’imagination, sans exception. Si l’un ou l’autre des caractères vous intéresse, c’est un livre incontournable et à garder dans sa biblio-thèque, pour le plaisir d’en relire des passages, mais aussi comme référence.Z HANS-JüRGEN GREIF

DanieL pOLiquinLe vol de l’angeBoréal, Montréal, 2014, 318 pages

Dès le début du roman, nous apprenons une étonnante vérité : entre 1875 et 1925, on pratiquait au Nouveau-Brunswick des ventes aux enchères au cours desquelles des enfants et des personnes âgées pauvres ont été attribués pour la plupart à des fermiers contre quelques dollars, versés par le gouvernement de la province à ces derniers, évitant ainsi aux démunis l’orphelinat ou l’hospice, « lieux peu recommandables à l’époque » (p. 9), première litote d’une longue liste qui va suivre. Il ne s’agissait pas, à proprement parler, de traite d’esclaves, parce que les fermiers étaient tenus de bien traiter ceux qui ne pouvaient plus ou pas encore prendre soin d’eux, mais ils s’acquittaient de leur « dette » en effectuant des travaux en tant que main-d’œuvre bon marché.

On s’attend donc à la lecture d’un livre déprimant. Mais le narrateur, au début de la soixantaine, muet et analphabète, communique à un scribe anonyme, par des signes et le regard, l’histoire de sa vie à rebours, commençant par le dernier encan qui l’attend. Il remonte jusqu’à son enfance et à sa mère Salomé, de qui il a hérité « des siècles de mémoire muette »,

l’un des grands thèmes du récit (p. 196). Issue d’une des dernières familles des « Gens du Marais », prati-quant la contrebande et, parfois, la pêche, elle et le père du narrateur, un amant de passage qui « ne voulait pour pays que la route » (p. 238), lèguent au fils – qu’ils abandonnent tous deux – leur goût du voyage. À travers ses déplacements, celui-ci rencontre des familles d’accueil, des femmes, des hommes plus pauvres que lui encore, de Cap-Pelé à Cap-Enragé, d’où l’on voit la baie de Fundy, en passant par Shédiac, Kouchibouguac, Bouctouche, en somme toute l’ancienne Acadie, avec des séjours en haute mer et en prison. Sa vie est aussi bariolée que loufoque, aussi remplie de surprises que celle des Lazarillo de Tormes, Simplicius Simplicissimus, Gil Blas, pour ne nommer que les exemples les plus connus du roman pica-resque, dont Poliquin suit la trace à la lettre. Cependant, il y ajoute des éléments nouveaux, comme la mémoire collective et la figure du père. Puisqu’il ne reste jamais assez long-

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temps pour savoir s’il laisse derrière lui une femme enceinte, notre homme ne sait pas s’il a une descen-dance à lui – sauf dans le cas de la maîtresse d’un médecin véreux. Ancienne institutrice, elle se suicide en découvrant qu’elle porte un enfant du narrateur, suicide qui amène le père (manqué) en prison et, de là, à l’asile d’où il sera libéré parce que le gouvernement a besoin de lits pour héberger les blessés et les fous de la Grande Guerre. Ce nouveau pícaro touche à toutes les strates de la société et expose la méchanceté des « bien pensants », qui le regardent du haut de leur fortune, alors que le monde est sans cesse mis sens dessus dessous. D’où l’ajout des « déficiences physi-ques » de l’antihéros par l’auteur, pour faire ressortir davantage le grotesque dans la société, autre sujet de premier plan. Avec ce roman, Poliquin indique une nouvelle voie à la littérature québécoise et cana-dienne ; son roman dépasse, et de loin, une affabula-tion sur une période particulière. Sa satire attaque les maux de notre ère postmoderne, la misère intellec-tuelle de la population désinformée, les mensonges des politiques, l’aveuglement collectif dont le regretté Saramago avait exposé les dangers, les duperies des multinationales.

Pour tout dire : un roman important, divertissant en surface, d’une écriture au ton parfaitement adapté au sujet, qu’il faut laisser décanter, puis reprendre pour en saisir l’importance.Z HANS-JüRGEN GREIF

richarD Ste-Marierepentir(s)Alire, Lévis, 2014, 336 pages

Le monde de l’art a aussi ses criminels, particu-lièrement dans le domaine de la peinture où les faux tableaux sont légion. C’est du moins ce que laisse entendre Richard Ste-Marie dans son troisième roman, qui vient de paraître chez Alire sous le titre Repentir(s). Pourquoi un tel titre ? Parce que les trafiquants d’œu-vres d’art sont hantés par le remords ? Pas du tout. Le titre s’explique ainsi, selon le romancier, qui a été, pendant plusieurs années, professeur à l’École des arts visuels de l’Université Laval : « En peinture, ce qu’on appelle le repentir est une manière de travailler qui consiste à tracer des lignes ou à ajouter des traits à ce qui existe déjà sur la toile. […] c’est plus qu’une simple réparation. C’est une décision esthétique, iconogra-phique, non pas technique » (p. 288). Et le célèbre sergent-détective Francis Pagliaro, que nous avons connu dans le roman précédent, L’inaveu, comprend pourquoi le romancier a choisi de recourir au pluriel, car il existe chez les peintres plusieurs repentirs « pour modifier l’image, en masquer des parties, en souligner d’autres ou en faire apparaître de nouvelles » (ibid.). Voilà comment le romancier s’y prend pour enrichir les connaissances de ses lecteurs, peu ou prou fami-

liers avec les arts visuels, tout en mettant ses talents à susciter l’intérêt. Car son nouveau polar ne nous tombe pas des mains avant la fin.

Repentir(s) s’amorce au moment où un double meurtre est commis dans la galerie Arts Visuels Actuels de Montréal, lors d’une exposition du peintre Andrew Garrison, qui habite Chelsea, dans les envi-rons de Gatineau. Il n’en faut pas plus pour que le sergent-détective Pagliaro de la Sûreté du Québec, et son adjoint Martin Lortie, se précipitent à la galerie pour amorcer leur enquête. Surtout que l’une des deux victimes est un policier de carrière, Frédéric Fortier, un haut gradé de la police de Montréal.

Parallèlement à cette enquête que nous suivons du 28 septembre au 13 octobre 2012, le romancier, par le procédé du retour en arrière et de l’alter-nance des deux histoires qui finiront par se rejoindre, nous plonge dans un petit village de la région de Montmagny, sur la frontière canado-américaine, à la rencontre d’un adolescent d’à peine une douzaine d’années, issu d’une famille désunie, qui présente des talents certains pour le dessin, et de son ami, Samuel, qui tente de l’entraîner dans la délinquance. Ils fini-ront par trouver une place importante dans l’intrigue dans laquelle Pagliaro ne cesse de découvrir que le galeriste Gaston, dit Faby Lessard, est loin d’être ce qu’on pourrait appeler un enfant de chœur, ce qui l’étonne au plus haut point, surtout qu’il a toujours cru que le monde des arts visuels était d’une pureté et d’une noblesse sans faille. À chaque jour, le sergent-détective fait une visite à la galerie dans l’espoir de faire parler les œuvres de Garrison qui y sont expo-sées et faire le point sur son enquête. Ses découvertes ne cessent de le surprendre, lui qui poursuit toujours des études en philosophie à l’Université de Montréal et qui, de jour en jour, s’intéresse de plus en plus aux arts visuels, dont la peinture.

Il faut, comme on dit, se garder une petite gêne et ne pas en dévoiler davantage pour susciter l’intérêt des lecteurs que je souhaite nombreux. Rassurez-vous, Pagliaro a beaucoup de flair tout en emmagasinant les connaissances en arts visuels à une vitesse quelque peu surprenante, il faut le dire. C’est une véritable leçon qu’il nous donne, en fin de parcours devant les tableaux de Garrison, qu’il a fini par comprendre dans les moindres détails. N’oublions pas que le romancier a connu une riche carrière dans cette discipline et qu’il a été appelé comme expert dans certains causes où des tableaux offerts à des musées avaient été suréva-lués pour permettre aux mécènes d’obtenir de fara-mineux reçus d’impôt, comme c’est arrivé entre autres au Musée Louis-Hémon de Péribonka, il y a quelques années. Mais cela ne nuit pas à la qualité du roman de Ste-Marie, qui sait construire une histoire, susciter l’intérêt jusqu’à la fin et nous charmer par son écriture d’une belle qualité. Z AURÉLIEN BOIVIN

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